Malgré le vote de la loi sur les facs privés la lutte continue

« Chaque semaine à Thessalonique, se déroule depuis plusieurs mois une manif de l’éducation, assez massive »

Comme on pouvait s’y attendre, le projet de loi sur les facs privées une fois déposé au Parlement a été voté le 8 mars par la droite, qui détient la majorité absolue des sièges (pour 41 % des voix exprimées aux législatives, soit 20 % du corps électoral).

Lors des débats, on a pu entendre des choses aberrantes de la part des bradeurs de la richesse publique (la vente des biens publics aux entreprises privées continue, comme désormais pour le port de Thessalonique), et cela pour justifier le fait que la droite grecque vote une loi contraire à la Constitution (l’article 16 interdit la création d’universités privée…) : Mitsotakis a osé dire que la réglementation européenne est supérieure à la Constitution. On a beau savoir que ce politicien ultralibéral n’a aucun autre principe que celui des profits, on ne peut que trouver indécente une telle affirmation de la part de ce Premier ministre : il y a quelques semaines, le même, mettant en avant ses fameux 41 % de voix aux élections grecques, disait tout son mépris de la condamnation de ses pratiques anti-démocratiques « orbanesques » par une large majorité du Parlement européen (seuls une petite partie du PPE, parti de la droite européenne, et les députés fascistes ont voté contre !)…

Le premier bilan qu’on peut tirer d’une séquence qui n’est certainement pas achevée, c’est que la formidable mobilisation universitaire, reposant avant tout sur le mouvement étudiant, a non seulement fait de la victoire espérée par la droite un bien maigre succès, aucun autre groupe ne la suivant, mais a créé un véritable sursaut démocratique. En effet, la fermeté de la mobilisation sur la gratuité des études et le caractère exclusivement public de l’université a non seulement entraîné une foule de prises de positions du monde politique et des expertEs, mais elle a aussi fortement pesé dans la société, qui sous le poids d’une propagande effrénée des médias ultralibéraux, ne voyait pas jusqu’alors que la fac privée, c’est la sélection et l’exclusion renforcées et la suppression accentuée des moyens pour le service public…

Ce qui a rendu cette mobilisation exemplaire, c’est sa lucidité sur la nécessité vitale de refuser les facs privées, mais ce sont aussi ses formes d’organisation, avec AG et occupations.

Pour nous donner une idée concrète de cette organisation, une camarade militante d’AREN (Unité de Gauche), un des groupes les plus unitaires de la gauche anticapitaliste, nous explique ci-dessous la mobilisation dans sa section universitaire, à Thessalonique. Ce qu’elle nous dit ne peut que nous engager à être solidaire de leur lutte pour le service public d’éducation, aujourd’hui comme demain car, quelle que soit la forme qui sera décidée, la lutte contre les facs privées continue !

« Depuis des semaines, notre faculté est occupée à la suite des décisions de l’assemblée générale de l’Association des étudiantEs en droit. L’assemblée générale est l’organe syndical suprême de la section universitaire. Chaque étudiantE en droit peut venir, discuter, prendre position et ensuite voter. En tant qu’AREN (= Unité de Gauche), nous considérons l’assemblée générale comme un espace vivant de fermentation politique fondé sur le dialogue et l’échange de points de vue. Les tensions et les confrontations sont une réalité de ces processus. Certes, il est arrivé que la confrontation entre les différentes forces politiques parte en vrille, parce que l’enjeu est fort et qu’il existe une tendance au repli organisationnel. Cependant, le jour où la fraction étudiante gouvernementale s’est pointée à une Assemblée Générale, nous avons pu formuler une proposition politique et répondre dans l’unité. Mais ce qu’on constate chaque semaine, c’est qu’au lieu de tenter une formulation commune, des propositions politiques différentes sont proposées lors des assemblées générales, l’Association est appelée à choisir celle qu’elle juge préférable. Du coup, il me semble qu’au fil du temps, le fossé entre les diverses forces se creuse, alors qu’en réalité les vrais désaccords politiques ne sont pas si nombreux.

Après l’irruption des forces de police et l’évacuation de notre section universitaire, on aurait pu s’attendre à ce que les diverses forces se rassemblent davantage autour de notre objectif commun. Il y a actuellement 6 à 7 forces politiques de gauche sur notre campus et pour notre part, nous avons réussi à travailler de manière cohérente avec 2 d’entre elles. Mais en dernier lieu, ce qui est encourageant, c’est de constater que dans la section, la plupart comprennent la nécessité de l’unité et de la lutte commune : on a bien remarqué que les actions unies reçoivent un plus large soutien.

Une fois prise la décision d’occuper la section, un comité de coordination de l’occupation est formé avec pour tâches de surveiller le lieu, de décider des questions concernant la section et d’organiser des actions dans le cadre de l’occupation, afin que la lutte soit massive et l’école bien vivante. Vu que nous sommes étudiantEs en droit, nous avons jusqu’à présent organisé des débats avec des professeurs sur l’inconstitutionnalité du projet de loi sur les universités privées, mais aussi sur d’autres questions telles que le nouveau code pénal, qui est encore plus sévère, et le récent projet de loi sur l’égalité dans le mariage (il y a encore quelques jours, le mariage entre personnes du même sexe n’était pas autorisé en Grèce). En plus de ces débats, nous mettons au point nos banderoles, nous jouons à des jeux de société, discutons et réfléchissons ensemble. Nous voulons que l’espace de l’occupation soit un espace de politisation et de socialisation.

Par ailleurs, il est évident que les étudiantEs que nous sommes ne restent pas enfermés dans leurs sections ! Chaque semaine à Thessalonique, se déroule depuis plusieurs mois une manif de l’éducation, assez massive. Et le 28 février, les associations d’étudiantEs ont participé en masse à la grève panhellénique déclenchée pour le premier anniversaire de la collision ferroviaire à Tèmbi, qui a entraîné la mort d’au moins 57 personnes. Quant au projet de loi, il va être voté cette semaine. Le 8 mars, une manif panhellénique de l’éducation est prévue à Athènes. Les Associations étudiantes de toute la Grèce marcheront jusque devant le Parlement, pour montrer concrètement que la société s’oppose et s’opposera à ce projet de loi. »

Propos recueillis par A. Sartzekis

Source NPA

Communiqué de SOS MEDITERRANEE

En faisant obstruction aux activités de recherche et de sauvetage, l’Italie met des vies en danger

Déclaration commune des organisations non gouvernementales (ONG) impliquées dans les activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale.

L’adoption en 2023 d’une nouvelle loi par les autorités italiennes et l’assignation systématique de ports éloignés aux navires de sauvetage humanitaires ont conduit à l’augmentation du nombre de morts en Méditerranée centrale. Face à cette situation, nous demandons au gouvernement italien de mettre fin immédiatement à l’obstruction de nos activités de sauvetage en mer. 

Au cours de l’année passée, les ONG de recherche et de sauvetage ont à plusieurs reprises alerté sur le risque d’une augmentation du nombre de morts en Méditerranée centrale à la suite de la mise en place d’une nouvelle série de règles par les autorités italiennes qui ciblent et entravent spécifiquement leurs activités de recherche et de sauvetage en mer. Avec plus de 2 500 hommes, femmes et enfants morts ou disparus sur cette route migratoire en 2023 – l’année la plus meurtrière depuis 2017 – et déjà 155 décès cette année1, toutes les ressources de sauvetage sont urgemment nécessaires. 

Il y a un an, le 24 février 2023, le parlement italien faisait passer le Décret-Loi 01/2023 en loi 15/2023. Cette loi traduit clairement une stratégie des autorités italiennes pour restreindre la présence des navires des ONG en mer, limiter leur capacité à opérer des sauvetages et réduire à tout prix les arrivées sur les côtes italiennes. 

Cette obstruction délibérée aux activités de secours des ONG intervient dans un contexte où les capacités de recherche et de sauvetage en mer sont déjà largement insuffisantes. En plus de violer les lois internationales et européennes, ce jeu politique aggrave le déficit de sauvetage et a des conséquences désastreuses, rendant la Méditerranée centrale – qui est déjà l’une des routes migratoires les plus meurtrières au monde – encore plus périlleuse. Le premier anniversaire du naufrage du 26 février près de la ville calabraise de Cutro, dans lequel au moins 94 personnes ont perdu la vie à quelques centaines de mètres des côtes italiennes, est un sombre rappel de cette tragique réalité. 

Dilemmes inhumains 

La loi stipule, entre autres règles, que les navires de sauvetage des ONG doivent se diriger immédiatement vers un port après un sauvetage, ce qui les contraint à ignorer les autres embarcations en détresse dans la zone. Cela entre en contradiction avec le devoir du capitaine de secourir les personnes en danger en mer, comme le stipule le droit maritime international. Les ONG qui désobéissent aux règles italiennes s’exposent à une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 euros et à la perspective de voir leur navire immobilisé pendant au moins 20 jours, voire confisqué par les autorités. 

« Dans de nombreux cas, nous devons choisir entre nous conformer à la réglementation italienne tout en sachant que nous risquons de laisser derrière nous des personnes en danger de mort, ou remplir notre devoir légal de sauvetage et risquer par la suite des amendes, la détention et l’éventuelle confiscation de nos navires. La détention des navires de sauvetage ne fait qu’exacerber le vide en Méditerranée centrale et les risques pour les personnes qui tentent la traversée » alertent les signataires.

Des centaines de jours perdus en mer 

Depuis février 2023, neuf navires de sauvetage d’ONG ont été retenus par les autorités italiennes à 16 reprises2, ce qui représente plus de 300 jours sans naviguer et sans pouvoir porter assistance aux personnes en détresse. 

L’impact négatif de la loi est encore aggravé par la pratique du gouvernement italien qui consiste à assigner des ports éloignés, dans le nord de l’Italie, aux plus grands navires des ONG pour le débarquement des personnes secourues. Ces ports peuvent être situés à 1 600 km de distance et cinq jours de navigation du lieu de sauvetage. Là encore, cette pratique est contraire au droit maritime international qui exige que les personnes soient débarquées dans un lieu sûr « dès que cela est raisonnablement possible ». 

En 2023, les navires de sauvetage des ONG ont dû parcourir plus de 150 500 km supplémentaires pour atteindre des ports éloignés, soit l’équivalent de plus de trois fois et demie le tour du monde et au moins 374 jours de navigation inutiles, par rapport à un débarquement dans des ports accessibles plus proches en Sicile et à Lampedusa3

« Cela représente des centaines de jours passés loin de la zone de recherche et de sauvetage durant lesquels la vie des personnes est en danger », dénoncent les organisations signataires.4 « En plus d’éloigner les navires des ONG, cette pratique entraîne des délais injustifiés pour les personnes secourues qui ont besoin d’accéder à des soins urgents et des services de protection à terre. » 

Un lourd tribut 

D’année en année, nous assistons à l’augmentation des entraves aux activités de sauvetage en mer des ONG, et ce sont les personnes qui cherchent à se mettre en sécurité en Europe qui en paient le prix fort. Dans le même temps, les garde-côtes libyens continuent de procéder à des interceptions illégales et à des renvois forcés vers la Libye, avec le soutien de l’UE et de ses États membres, notamment l’Italie et Malte. 

« L’exploitation et la violence à grande échelle auxquelles sont confrontées les personnes retenues en Libye ont été largement documentées et pourraient constituer des « crimes contre l’humanité » selon les Nations Unies5. En coopérant avec la Libye pour organiser ces interceptions en mer, l’Italie et l’UE se rendent complices de nouveaux abus contre les personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées6 . Il y a quelques jours, la Cour suprême italienne a confirmé que la Libye ne pouvait être considérée comme un lieu sûr et que le renvoi de personnes dans ce pays constituait un crime7 », affirment les signataires.

Pour éviter que la Méditerranée centrale ne devienne un cimetière plus grand encore, nous demandons :  

  • Aux autorités italiennes de cesser immédiatement d’entraver les activités de recherche et de sauvetage des ONG et de protéger les droits fondamentaux des personnes naufragée en mer en veillant à ce que les navires des ONG puissent porter assistance aux embarcations en détresse sans restriction, et que les personnes secourues en mer puissent débarquer dans le port sûr le plus proche, comme le prévoit le droit maritime international ; 
  • Aux autorités italiennes et européennes de favoriser une coopération efficace avec les navires de sauvetage des ONG et de déployer des navires dédiés à la recherche et au sauvetage en Méditerranée centrale afin d’éviter de nouvelles pertes de vies humaines en mer ; 
  • À l’UE et ses États membres de cesser tout soutien matériel et financier aux garde-côtes libyens et aux gouvernements responsables de graves violations des droits de l’homme. 


1 Source : Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) 
2 Aurora (deux fois), Geo Barents (une fois), Louise Michel (une fois), Mare*Go (une fois), Mare Jonio (une fois), Ocean Viking (trois fois), Open Arms (trois fois), Sea-Eye (trois fois), SOS Humanity 1 (une fois). 
3 Détail des calculs : sos-humanity.org/en/our-mission/change/over-a-year-of-operation-time-lost/ 
4 En juillet 2023, cinq ONG (ASGI, Emergency, Oxfam Italie, MSF et SOS Humanity) ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne, demandant d’examiner la loi italienne 15/2023 et la pratique d’attribution des ports éloignés des autorités italiennes. 
5 Libya: Crimes against humanity committed since 2016 – rights probe  
6 L’ONG European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) a déposé une communication auprès de la Cour pénale internationale, démontrant que de hauts fonctionnaires de l’UE et des États membres de l’UE contribuent à des crimes contre l’humanité en coopérant avec la Libye pour permettre des interceptions en mer. 
7 Reuters : Returning sea migrants to Libya is illegal, Italy’s top court says – 18 février 2024 

Organisations signataires :

Alarm Phone
Borderline Europe
Captain Support Network
CompassCollective
Emergency
Iuventa Crew
Maldusa
Mare*Go 
Médecins Sans Frontières/Doctors Without Borders (MSF)
MEDITERRANEA Saving Humans
Louise Michel
OpenArms
RESQSHIP
r42 – SailAndRescue
Salvamento Marítimo Humanitario
Seebrücke
Sea-Eye
Sea Punks
Sea-Watch
SOS Humanity
SOS MEDITERRANEE
United4Rescue

Source https://sosmediterranee.fr

Nouvelles de Grèce : faits nouveaux, analyse et comparaisons avec ce qui se passe en France parallèlement

Par Yannis Youlountas 24 février 2024

Sommaire des articles :

Un pouvoir de plus en plus autoritaire et répressif mais une belle victoire à Exarcheia ! Un nouveau code pénal pour réprimer les opposants – Une novlangue inversant ce qui est vital et ce qui est mortifère- Le retour progressif de la censure – Le renforcement de la surveillance – La crise qui ne dit pas son nom – La Grèce, Reine des leurres médiatiques – Des manifestations nombreuses dont personne ne parle- Une belle victoire à Exarcheia : La colline de Stréfi est libérée – « Le jour d’après » sur la colline d’Exarcheia.

Dans le détail et les photos : Sur le blog

Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement

Hermann Josef Abs signe l’accord de Londres sur les dettes extérieures allemandes le 27 février 1953.

En juillet 2024, la Banque mondiale et le FMI auront 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d’imposition de politique d’austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d’une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l’occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis jusqu’au mois de juillet une série d’articles revenant en détail sur l’histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.

  1. Autour de la fondation des institutions de Bretton Woods
  2. La Banque mondiale au service des puissants dans un climat de chasse aux sorcières
  3. Conflits entre l’ONU et le tandem Banque mondiale/FMI des origines aux années 1970
  4. SUNFED versus Banque mondiale
  5. Pourquoi le Plan Marshall ?
  6. Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement

  Sommaire  

  • Quelques éléments de comparaison
  • Allemagne 1953 / Grèce 2010-2019
  • Les mensonges concernant l’aide à la Grèce
  • Conclusion

L’Allemagne a bénéficié à partir du 27 février 1953 d’une annulation de la plus grande partie de sa dette . Depuis cette annulation, qui a permis à l’économie de ce pays de reconquérir la place de principale puissance économique du continent européen, aucun autre pays n’a bénéficié d’un traitement aussi favorable. Il est très important de connaître le pourquoi et le comment de cette annulation de dette. Résumé de manière très concise : les grandes puissances créancières de l’Allemagne occidentale voulaient que l’économie de celle-ci soit réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans la lutte entre le bloc atlantique et le bloc de l’Est.

Une comparaison entre le traitement accordé à l’Allemagne occidentale d’après-guerre et celui imposé aux Pays en développement ou à la Grèce d’aujourd’hui est révélateur de la politique du deux poids deux mesures pratiquée systématiquement par les grandes puissances.

L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique des puissances créancières occidentales qui avaient remporté la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux, la Grande-Bretagne et la France. En octobre 1950, ces trois puissances alliées élaborent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration dans laquelle ils énoncent : « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne » [1]

Il faut savoir que l’Allemagne nazie a suspendu le paiement de sa dette extérieure à partir de 1933 et n’a jamais repris les paiements, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir un soutien financier et de faire des affaires avec de grandes entreprises privées des États-Unis – comme Ford, qui a financé le lancement de la Volkswagen (la voiture du peuple imaginée par le régime hitlérien), General Motors qui possédait la firme Opel, General Electric associée à AEG et IBM qui est accusée d’avoir « fourni la technologie » ayant aidé « à la persécution, à la souffrance et au génocide », avant et pendant la Seconde Guerre mondiale [2] 

La dette réclamée à l’Allemagne concernant la période d’avant-guerre s’élevait à 22,6 milliards de marks, si on comptabilise les intérêts.

Une importante réduction des dettes contractées avant et après la guerre par l’Allemagne à des conditions exceptionnelles

La dette contractée dans l’après-guerre (1945-1952) était estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953 [3], ces montants ont été ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde [4]. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6 %.

Les montants cités plus haut ne prennent pas en compte les dettes liées à la politique d’agression et de destruction menée par l’Allemagne nazie durant la deuxième guerre mondiale, ni les réparations que les pays victimes de cette agression sont en droit de réclamer. Ces dettes de guerre ont été mises de côté, ce qui a constitué un énorme cadeau supplémentaire pour l’Allemagne de l’Ouest.

De surcroît, l’accord établissait la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions au cas où surviendrait un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources [5].

Les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes

Pour s’assurer de la bonne relance de l’économie de l’Allemagne occidentale et que ce pays constituera un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. Les grosses entreprises industrielles allemandes comme AEG, Siemens, IG Farben (AGFA, BASF, Bayer et Hoechst), Krupp, Volkswagen, BMW, Opel, Mercedes Benz et également des sociétés financières de tout premier plan comme Deutsche Bank, Commerzbank, la société d’assurance Allianz ont été protégées et renforcées, bien qu’elles aient joué un rôle de premier plan dans le soutien au régime nazi et qu’elles aient été les complices du génocide des peuples juif et tsigane. Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des gouvernements des grandes puissances occidentales.

Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des grandes puissances occidentales.

En ce qui concerne le problème de la dette qui pouvait être réclamée à l’Allemagne, les alliés partent du principe que l’économie du pays doit être en capacité de rembourser, tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Pour que l’Allemagne puisse rembourser sans s’appauvrir, il faut qu’elle bénéficie d’une très forte annulation de dette. Mais cela ne suffit pas. Comme l’histoire l’a montré, il faut que le pays retrouve une véritable marge de manœuvre et d’autonomie. Pour cela, les créanciers acceptent primo que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le deutsche mark, une partie importante de la dette qui lui est réclamée. Á la marge, elle rembourse en devises fortes (dollar, franc suisse, livre sterling…).

Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations : elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41 % des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66 %.

En cas de litige avec les créanciers, les tribunaux allemands sont compétents

Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de l’Allemagne à payer ses débiteurs privés et publics ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements . L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont : 1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3. les conditions de commerce futures probables ; 4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. » [6] 

En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).

Le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande

Autre élément très important : le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et de ses revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5 %. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots : monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts, qui oscillent entre 0 et 5 %.

L’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre

Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) que pourraient réclamer à la RFA les pays occupés, annexés ou agressés.

Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 12,5 milliards de dollars de 2019) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars de 2019) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.

Quelques éléments de comparaison

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette

Le résultat d’une première comparaison entre l’Allemagne occidentale d’après-guerre et les Pays en développement est éclairant. L’Allemagne, bien que meurtrie par la guerre, était économiquement plus forte que la plupart des PED actuels. Pourtant, on lui a concédé en 1953 ce qu’on refuse aux PED.

Part des revenus d’exportation consacrés au remboursement de la dette

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette.

En 2017, les PED ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette

En 2017, les pays en développement ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette [7]. Pour les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, ce chiffre a atteint 23,5 % en 2017. Quelques exemples de pays incluant des PED et des économies européennes périphériques : en 2017, ce chiffre atteignait 13 % pour l’Angola, 36 % pour le Brésil, 15 % pour la Bosnie, 21 % pour la Bulgarie, 41,6 % pour la Colombie, 17 % pour la Côte d’Ivoire, 21 % pour l’Ethiopie, 28,6 % pour le Guatemala, 34 % pour l’Indonésie, 70 % pour le Liban, 14 % pour le Mexique, 20 % pour le Nicaragua, 22,8 % pour le Pakistan, 21 % pour le Pérou, 22 % pour la Roumanie et la Serbie, 17 % pour la Tunisie, 40 % pour la Turquie.

Taux d’intérêt sur la dette extérieure

Dans le cas de l’accord de 1953 concernant l’Allemagne, le taux d’intérêt oscille entre 0 et 5 %.

En revanche, dans le cas des PED, les taux d’intérêt ont été beaucoup plus élevés. Une grande majorité des contrats prévoient des taux variables à la hausse.

Pour les PED, une grande majorité des contrats prévoient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés et variables à la hausse

Entre 1980 et 2000, pour l’ensemble des PED, le taux d’intérêt moyen a oscillé entre 4,8 et 9,1 % (entre 5,7 et 11,4 % dans le cas de l’Amérique latine et de la Caraïbe et même entre 6,6 et 11,9 % dans le cas du Brésil, entre 1980 et 2004). Ensuite, le taux d’intérêt a été historiquement bas pendant la période 2004 à 2015. Mais la situation a commencé à se dégrader depuis 2016-2017 car le taux d’intérêt croissant fixé par la FED (le taux directeur de la FED est passé de 0,25 % en 2015 à 2,25 % en novembre 2018) et les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises étatsuniennes par Donald Trump entraînent un rapatriement de capitaux vers les États-Unis. Par ailleurs, les prix des matières premières ont eu une tendance à baisser ce qui diminue les revenus des pays en développement exportateurs de biens primaires et rend plus difficile le remboursement de la dette car celui-ci s’effectue principalement en dollars ou en d’autres monnaies fortes. En 2018, une nouvelle crise de la dette a touché directement des pays comme l’Argentine, le Venezuela, la Turquie, l’Indonésie, le Nigéria, le Mozambique, … De plus en plus de pays en développement doivent accepter des taux d’intérêt supérieurs à 7 %, voire à 10 %, pour pouvoir emprunter en 2019.

L’Allemagne était autorisée à rembourser une partie de sa dette avec sa monnaie nationale.

Monnaie dans laquelle la dette extérieure est remboursée

Aucun pays en développement n’est autorisé à faire de même sauf exception et pour des montants dérisoires. Tous les grands pays endettés doivent réaliser la totalité de leurs remboursements en devises fortes (dollar, euro, yens, franc suisse, livre sterling).

Clause de révision du contrat

Les créanciers ont le droit de réclamer des PED le paiement anticipé des sommes dues dans le futur

Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources.

Dans le cas des contrats de prêts avec les PED, les créanciers imposent qu’il n’y ait pas de clause de ce type. Pire, en cas de difficulté des PED, les créanciers ont le droit de réclamer le paiement anticipé des sommes dues dans le futur.

Politique de substitution d’importation

Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant.

Par contre, la Banque centrale, le FMI et les grandes puissances imposent aux PED de renoncer à produire sur place ce qu’ils pourraient importer.

Dons en devises (en cash)

L’Allemagne, pourtant à l’origine de la deuxième guerre mondiale, a bénéficié de dons importants en devises dans le cadre du Plan Marshall et près celui-ci.

Les PED dans leur ensemble, à qui les pays riches ont promis assistance et coopération, reçoivent une aumône sous forme de dons en devises. Alors que collectivement, ils remboursent plus de 500 milliards de dollars par an, ils reçoivent en cash nettement moins que 100 milliards de dollars.

Les créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal

Incontestablement, le refus d’accorder aux PED endettés le même type de concessions qu’à l’Allemagne indique que les créanciers n’ont pas pour objectif le désendettement de ces pays. Bien au contraire, ces créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal à travers le paiement des intérêts de leur dette, à leur imposer des politiques conformes aux intérêts des prêteurs et à s’assurer de la loyauté de ces pays au sein des institutions internationales.

Allemagne 1953 / Grèce 2010-2019

Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points :

1.- Entre 2010 et 2019, la dette en pourcentage du PIB grec n’a cessé d’augmenter, elle est passée d’environ 110 % à 180 %

La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers

2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à l’intervention de la Troïka depuis 2010 ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors que l’Allemagne a bénéficié de mesures qui ont contribué largement à relancer son économie. Le produit intérieur brut de la Grèce a chuté d’environ 30 % entre 2010 et 2016 en conséquence des mémorandums qui lui ont été imposés. En comparaison la croissance du PIB de l’Allemagne occidentale a été phénoménale entre 1953 et 1960.

3.- La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers principalement alors qu’à l’inverse l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance et de grandes entreprises privées qui restaient sous le contrôle stratégique du capital allemand.

4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan imposé par la Troïka) n’ont pas été réduites alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne (à commencer par celles contractées à l’égard des pays que le Troisième Reich avait agressés, envahis voire annexés) étaient réduites de 60 % ou plus.

5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), alors que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.

Le fait de rembourser une partie importante de sa dette en deutsche marks permettait à l’Allemagne de vendre plus facilement ses marchandises à l’étranger. Prenons l’exemple des importantes dettes de l’Allemagne à l’égard de la Belgique et de la France après la seconde guerre mondiale : l’Allemagne était autorisée à les rembourser en deutsche marks. Or que pouvait faire la Belgique et la France avec ces deutsche marks sinon les dépenser en achetant des produits fabriqués en Allemagne, ce qui a contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.

6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Banque centrale allemande (Bundesbank) prêtait aux autorités de l’Allemagne occidentale et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.

7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.

Les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni sont compétentes pour les titres de la dette grecque

8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent depuis 2012 les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien celles-ci sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.

9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Pourtant, malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des «marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka.

10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.

L’Allemagne a reçu des dons considérables dans le cadre du Plan Marshall

11. – Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.

Les mensonges concernant l’aide à la Grèce

Hans-Werner Sinn [8], un des économistes influents en Allemagne, conseiller du gouvernement d’Angela Merkel, n’hésitait pas en 2012 à mentir en affirmant : « La Grèce a bénéficié d’une aide extérieure de 460 milliards d’euros au travers de diverses dispositions. L’aide apportée jusqu’ici à la Grèce représente donc l’équivalent de 214 % de son PIB, soit environ dix fois plus que ce dont l’Allemagne a bénéficié grâce au plan Marshall. Berlin a apporté environ un quart de l’aide fournie à la Grèce, soit 115 milliards d’euros, ce qui représente au moins dix plans Marshall ou deux fois et demi un Accord de Londres. » [9]

Tout ce calcul est faux. La Grèce n’a pas du tout reçu un tel montant de financement et ce qu’elle a reçu ne peut pas être sérieusement considéré comme de l’aide, au contraire.

L’Allemagne n’a payé à la Grèce que le soixantième de ce qu’elle lui doit en réparation pour les dévastations de l’occupation

Hans-Werner Sinn met de manière scandaleuse sur le même pied l’Allemagne au sortir de la seconde guerre mondiale que les dirigeants nazis avaient provoquée et la Grèce des années 2000. En outre, il fait l’impasse sur les sommes réclamées à juste titre par la Grèce à l’Allemagne suite aux dommages subis pendant l’occupation nazie [10] ainsi que l’emprunt forcé que l’Allemagne nazie a imposé à la Grèce. Selon la commission du parlement grec qui a travaillé sur ces questions en 2015, la dette de l’Allemagne à l’égard de la Grèce s’élève à plus de 270 milliards d’euros [11]. Comme l’écrit le site A l’encontre sur la base des travaux de Karl Heinz Roth, historien du pillage de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie [12] : « L’Allemagne n’a payé à la Grèce que la soixantième partie (soit 1,67 %) de ce qu’elle lui doit comme réparation des dévastations de l’occupation entre 1941 et 1944. ». [13]

1. Les plans d’« aide » à la Grèce ont servi les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec

Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro, principalement les grandes banques allemandes et françaises, qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes.

2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !

Les prêts accordés à la Grèce sous la houlette de la Troïka rapportent des intérêts conséquents aux prêteurs. Les différents pays qui participent à ces prêts ont gagné de l’argent sur le dos du peuple grec. Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France [14], a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5 % alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.

La situation était tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce devait être réduit [15].

Les bénéfices tirés par la France du sauvetage de la Grèce représentent une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !

Sous les protestations du gouvernement grec et face au profond mécontentement populaire qui s’est exprimé par de fortes mobilisations sociales en Grèce, les pays prêteurs ont fini par décider de ristourner à la Grèce une partie des revenus qu’ils tirent des crédits octroyés à Athènes [16]. Mais il faut préciser que les revenus sont ristournés au compte-gouttes et une partie importante d’entre eux ne seront jamais rendus. Pascal Franchet et Anouk Renaud, du CADTM, ont calculé les bénéfices tirés par la France du soi-disant Sauvetage de la Grèce. Ils considèrent qu’il s’agit d’une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !

De mon côté, j’ai dénoncé les profits odieux que fait la BCE sur le dos du peuple grec.

3. La crise de la zone euro a fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro, due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs, entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.

Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait garantir un taux d’intérêt de 3,4 % pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %. Cela correspond à une diminution de 60 % du coût du financement [17]. Selon le quotidien financier français Les Échos, « un calcul approximatif montre que les économies générées grâce à la baisse des taux du coût de financement depuis 3 ans s’élèvent à 63 milliards d’euros » [18]. Somme à comparer aux 15 milliards (sur 110 répartis entre les différents créanciers) effectivement prêtés (avec intérêt – voir plus haut) par l’Allemagne entre mai 2010 et décembre 2011 à la Grèce dans le cadre de sa contribution au premier plan d’« aide » de la Troïka.

La Grèce permet à l’Allemagne et aux pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables

Nous avons évoqué les taux à 10 ans et à 6 ans payés par l’Allemagne pour emprunter. Si on prend le taux à 2 ans, l’Allemagne a émis des titres de cette maturité le 23 mai 2012 à un taux d’intérêt nul [19]. Début 2012, l’Allemagne a emprunté à 6 mois la somme de 3,9 milliards d’euros à un taux d’intérêt négatif. A ce propos, Le Soir écrivait le 23 mai 2012 : « les investisseurs vont recevoir au terme de ces six mois un tout petit peu moins (0,0112 %) que ce qu’ils ont prêté » [20].

S’il y avait une once de vérité de vérité dans le flot de mensonges à propos de la Grèce (du Portugal, de l’Espagne…), on pourrait lire que la Grèce permet à l’Allemagne et aux autres pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables. La liste des avantages tirés par l’Allemagne et les autres pays du Centre doit être complétée par les éléments suivants.

4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre

Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations [21] dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, tirent profit car les biens publics sont vendus à des prix bradés.

5. Les sacrifices imposés aux travailleurs permettent de contenir une poussée revendicative dans les pays du Centre

Les reculs sociaux infligés aux travailleurs grecs (mais aussi portugais, irlandais, espagnols…) mettent sur la défensive les travailleurs d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de France, de Belgique… Leurs directions syndicales craignent de monter au combat. Elles se demandent comment revendiquer des augmentations salariales si dans un pays comme la Grèce, membre de la zone euro, on diminue le salaire minimum légal de 20 % ou plus. Du côté des directions syndicales des pays nordiques (Finlande notamment), on constate même avec consternation qu’elles considèrent qu’il y a du bon dans le TSCG et les politiques d’austérité car ils sont censés renforcer la saine gestion du budget des États.

Un accord du type de celui de Londres de 1953 ne pourra être obtenu que suite à des batailles

En octobre 2014, j’ai été interviewé par un important quotidien grec Le Journal des Rédacteurs concernant l’accord de Londres de 1953. Le journaliste m’a posé la question suivante : « Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ?  »

Il faut désobéir aux créanciers qui réclament une dette illégitime et imposent des politiques violant les droits humains fondamentaux

Je lui ai donné cette réponse : « C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953.Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale. »

Comme on le sait, Alexis Tsipras a choisi de mettre en pratique une autre orientation qui a abouti au désastre.

 Conclusion

Ne nous berçons pas d’illusions, les raisons qui ont poussé les puissances occidentales à traiter l’Allemagne de l’Ouest comme elles l’ont fait après la seconde guerre mondiale ne sont pas de mise dans le cas de la Grèce ou d’autres pays endettés.

La réalisation de processus citoyens d’audit de la dette jouera un rôle décisif dans cette bataille contre la dette et l’austérité

Pour maintenir leur pouvoir de domination à l’égard des pays endettés, ou tout au moins la capacité de leur imposer des politiques conformes aux intérêts des créanciers, les grandes puissances et les institutions financières internationales ne sont pas du tout disposées à annuler leurs dettes et à permettre un véritable développement économique.

Pour obtenir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales dans les pays endettés afin que des gouvernements aient le courage d’affronter les créanciers en leur imposant des annulations unilatérales de dettes. La réalisation de processus citoyen d’audit de la dette jouera un rôle positif décisif dans cette bataille

Notes

[1] Deutsche Auslandsschulden, 1951, p. 7 et suivantes, in Philipp Hersel, « El acuerdo de Londres de 1953 (III) », https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[2https://www.liberation.fr/evenement/2001/02/13/ibm-fournisseur-trop-zele-du-iiie-reich_354464 ; https://www.theguardian.com/world/2002/mar/29/humanities.highereducation

[3] Texte intégral en français de l’Accord de Londres du 27 février 1953 en bas de cette page. Ont signé l’accord le 27 février 1953 : La République fédérale d’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Belgique, le Canada, Ceylan, le Danemark, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Grèce, l’Irlande, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, le Pakistan, la Suède, la Suisse, l’Union d’Afrique du Sud et la Yougoslavie.

[4] 1 US dollar valait à l’époque 4,2 marks. La dette de l’Allemagne occidentale après réduction (soit 14,5 milliards de marks) équivalait donc à 3,45 milliards de dollars.

[5] Les créanciers refusent toujours d’inscrire ce type de clause dans les contrats à l’égard des pays en développement ou des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Europe centrale et orientale…

[6] Auslandsschulden, 1951, p. 64 et suivantes in Philip Hersel, El acuerdo de Londres (IV), 8 de enero de 2003, https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[7https://donnees.banquemondiale.org/indicator/DT.TDS.DECT.EX.ZS

[8] Une biographie utile est publiée par wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Hans-Werner_Sinn

[9Le Monde, 1 août 2012, p.17 http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/31/pourquoi-paris-et-berlin-s-opposent_1740576_3232.html

[10] Voir http://alencontre.org/europe/la-grece-et-loccupation-par-les-forces-du-iiie-reich-1941-1944-quels-dedommagements-la-dette-de-qui-envers-qui.html ainsi que http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-dette-allemande-envers-la-grece-96410 et http://cadtm.org/Declaration-de-Manolis-Glezos-a-l

[11http://www.lefigaro.fr/international/2015/04/07/01003-20150407ARTFIG00122-la-grece-reclame-2787-milliards-d-euros-a-l-allemagne.php ; https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/ces-279-milliards-d-euros-que-la-grece-reclame-a-l-allemagne-466791.html

[12] Voir note biographique en français : https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth et en allemand : http://de.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth

[13] Voir également l’interview que j’ai donnée à l’hebdomadaire Marianne : 11292

[14] Christine Lagarde est devenue directrice générale du FMI en juillet 2011.

[15] Voir Council of the European Union, Statement by the Heads of State or Government of the Euro area and EU Institutions, Bruxelles, 21 Juillet 2011, point 3, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=DOC/11/5&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=de.

[16] Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, table 18, p. 45, “Interest rates and interest payments charged to Greece” by the euro area Member States”, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm

[17Financial Times, “Investors rush for the safety of German Bunds”, 24 Mai 2012, p. 29

[18Les Échos, Isabelle Couet, « L’aide à la Grèce ne coûte rien à l’Allemagne », 21 juin 2012. La journaliste précise : « Les taux à 6 ans –ceux qui correspondent à la maturité moyenne de la dette allemande- sont en effet passés de 2,6 % en 2009 à 0,95 % en 2012. »

[19Le Soir, Dominique Berns et Pierre Henri Thomas, « L’Allemagne se finance à 0 % », 23 mai 2012, p. 21

[20] Idem.

[21] Voir le film documentaire Catastroïka http://cadtm.org/3-films-contre-l-austerite

Eric Toussaint Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.

Source CADTM France

À Athènes, une manif géante pour refuser les facs privées !

La journée nationale de mobilisation du 8 février restera dans les annales. À Athènes, la manif, qui avait regroupé le 25 janvier au plus fort 10 000 manifestantEs, a dépassé cette fois les 20 000, atteignant peut-être 25 000

On s’attendait à une grosse manif, comme le méritent les réponses de Mitsotakis à la très forte mobilisation universitaire contre son projet ancestral de facs privées : répression (charge sauvage des flics à la fac de droit de Komotini à la suite apparemment d’une demande des étudiants de la droite de Mitsotakis contre la décision majoritaire d’occupation !), menaces de procureurs contre des étudiantEs, des enseignantEs, des présidentEs d’université, calomnies officielles et médiatiques sur une « minorité » qualifiée de « voleurs de l’université ». On n’a pas été déçus.

En tête, derrière une banderole claquante (« La majorité a parlé : Non aux facs privées! Gratuité des études, valorisation de nos diplômes! »), les étudiantEs de Komotini et d’une fac de Salonique victime elle aussi de la violence policière. Quelques milliers d’étudiantEs sont venuEs de plusieurs villes du pays (gros cortèges de la Crète, de Patras…), même si s’y déroulaient en même temps de belles manifs. Un des slogans résume et la situation et la combativité de masse : « L’histoire, nous l’écrivons avec les AG, les occupations, les manifs ». Et cette fois, les enseignantEs étaient très nombreuxEs, des centaines avec OLME (syndicat unique du secondaire) et POSDEP (idem pour l’université), mais défilaient aussi des délégations de soignantEs de l’hôpital, d’avocatEs…

C’est un tournant évident dans cette mobilisation qui est évidemment difficile : la gauche radicale et révolutionnaire et le KKE soutiennent pleinement le mouvement et y sont engagés. Même si une délégation de Syriza était présente dans le cortège athénien (ainsi qu’une délégation du groupe de députés Nea Aristera, qui ont quitté récemment Syriza), certains de ses députéEs ne cachent pas qu’ils sont pour les facs privées (avec tout le blabla sur leur respect pour les facs publiques !). Et le Pasok prétend s’opposer au projet de Mitsotakis sous l’angle constitutionnel : il ne faut pas contourner l’article 16 comme voudrait le faire Mitsotakis, il faut une révision constitutionnelle, mais pour le reste, le Pasok voit d’un œil favorable les facs privées ! Pourtant, ce qui apparaît plus clairement semaine après semaine, c’est que cette bataille historique peut être gagnée face à un gouvernement en difficulté (mobilisation croissante des agriculteurEs, vote cinglant du Parlement européen cette semaine condamnant les graves atteintes à l’État de droit sous Mitsotakis défendu par – pas toute ! – la droite et l’extrême-droite européennes (divergences internes, etc.).

Un projet à long terme

Le ministre de l’Éducation Pierrakakis a enfin présenté le projet : des facs étrangères seraient autorisées à créer des annexes en Grèce sous statut privé, avec droits d’inscription et diverses pseudo-obligations qui ne peuvent cacher l’essentiel. La clientèle visée (car il s’agit de cela !) ressemble à un catalogue à la Prévert, et l’objectif immédiat, qui peut faire douter du succès de l’entreprise, ce sont des lycéenNEs ayant obtenu des notes faibles aux examens d’accès à la fac publique…mais pouvant débourser des dizaines de milliers d’euros pour s’inscrire dans un établissement privé dispensant « des services universitaires », dont les diplômes seront reconnus par l’État grec.

Pour l’heure, le seul projet évoqué concrètement est celui d’une fac privée chypriote qui voudrait créer une annexe en médecine, avec semble-t-il le soutien d’un groupe financier américain qui contrôle déjà des hôpitaux privés grecs ! On a donc du mal à percevoir l’intérêt et l’objectif profonds d’un projet explosif et de toutes façons miné par l’article 16 de la Constitution, très clair sur l’impossibilité de créer en Grèce une fac privée, alors que par ailleurs la législation européenne (prétextée par Mitsotakis) n’oblige pas un état à autoriser la création de facs privées.

Il semble que l’objectif est double. En passant par-dessus la Constitution, la droite veut certes offrir d’immédiats profits à ses amis patrons : dans le cas de la fac privée chypriote participerait aussi Lamda Development, un des principaux groupes grecs d’investissement immobilier, sans oublier, pour admirer encore une fois le réseau familial, que la fille de Mitsotakis a travaillé dans le groupe américain comme « manager »… Et surtout, le projet de fond semble être d’affaiblir toujours plus l’université publique : manque de moyens (les enseignantEs de l’université Polytechnique d’Athènes soulignent qu’en quelques années, ils sont passés de 750 à 450), financements en baisse, mensonges sur son niveau et ses coopérations internationales, alors que celle-ci est partout engagée depuis longtemps dans des projets et des liens à l’international… Et cette politique a pour but de pousser à aller vers le privé, qui aura droit par des combines à des financements publics. Tout cela en masquant la réalité : si on regarde les classements internationaux (et quoi qu’on pense de ceux-ci !), le bilan est sans appel pour les actuels « collèges universitaires » privés qui existent depuis pas mal de temps et qui pourraient bientôt avoir droit à la reconnaissance académique de leurs « diplômes » grâce au protocole de Lisbonne : toutes les universités publiques sont loin devant le premier de ces collèges, dont la plupart sont dans les abîmes des classements ! Pour essayer de rendre « attirantes » les facs privées que veut imposer Mitsotakis, une seule solution pour lui : casser complètement l’université publique.

Les étudiantEs ont tout compris !

Or, les étudiantEs ont immédiatement compris le danger. Dans un contexte d’affaiblissement continu des moyens, le danger est moins la « concurrence immédiate » du privé que l’aggravation accélérée de la sélection sociale et des problèmes de l’université publique, qui sera peu à peu soumise au régime du privé. Ainsi, à côté de mesures comme des « réformes » managériales des organes de direction, viennent d’être décidés des frais d’inscription pour les étudiantEs étrangerEs. À terme, c’est l’exclusion du droit aux études pour les enfants des classes populaires, et l’étouffement des libertés pédagogiques.

L’enjeu de la bataille en cours ici nous renvoie aux débats en France en 1984, où seuls des courants autour de l’École émancipée ou de la LCR exigeaient la nationalisation de l’école privée, précisément pour éviter qu’à terme, ce soit l’école privée qui gangrène et fasse périr l’école publique ! On voit où se trouve aujourd’hui l’école publique en France, au bord de l’effondrement, alors que se multiplient les cadeaux au privé… Ce qui commence à devenir désormais clair pour beaucoup en France au bout de quarante ans, est immédiatement perçu ici par le mouvement contre les facs privées. Ainsi le Conseil des présidentEs des départements de la Faculté méditerranéenne en Crète déclare-t-il : « Nous considérons que la discussion sur l’enseignement supérieur devrait se concentrer sur l’avenir des universités publiques, sur les grands problèmes qu’elles rencontrent et principalement sur le soutien effectif de l’État », appelant le ministère à ne pas déposer de dispositions de loi pour fonder des facultés privées en contournant l’article 16, mais à prendre immédiatement de substantielles mesures de soutien aux universités publiques (cité par le quotidien Ef Syn). De même, le regroupement Syspirossi des enseignantEs du supérieur déclare : « La seule université libre est l’université publique » (idem) ! Sans oublier que des facs comme celle de Patras refusent d’organiser les examens à distance que veut imposer le pouvoir pour casser le mouvement étudiant ou la déclaration unanime (y compris le courant de la droite) du congrès de POSDEP de condamnation du projet de facs privées. Avec une conscience des enjeux aussi nette et fort massive, le mouvement non seulement peut résister aux attaques continuelles de la droite et de ses médias aux ordres, mais il est une invitation à ce que la question de l’école publique soit (re)posée au niveau européen : le catastrophique libéralisme dans le secteur de l’éducation s’appuie sur des directives européennes, telles la « stratégie de Lisbonne » ou « processus de Bologne »…

Dans les jours ou les semaines qui viennent, le mouvement étudiant et universitaire et ses alliéEs veulent accentuer les mobilisations pour gagner, et cela alors que plus de 250 départements universitaires sont occupés. Ils devront bien sûr veiller à éviter les divisions internes. Après les manifs de jeudi s’est tenue la coordination nationale, en présence de 2 000 étudiantEs, mais dans une autre fac se tenait une coordination à l’appel du courant de la KNE (JC grecque, dont le courant syndical a remporté les élections universitaires). Cette division, agrémentée d’ailleurs de quelques échanges de coups dans la manif entre KNE et un groupe d’extrême gauche, est d’autant plus malvenue que les revendications sont unanimes, facteur de confiance pour tout le mouvement. Même si la KNE et quelques groupes de gauche radicale veulent inclure Syriza dans leurs condamnations, la lutte se concentre sur l’objectif de renvoyer à la poubelle un projet porté violemment par la droite, qui gouverne depuis 2019 et attaque frontalement la jeunesse scolarisée et les personnels de l’Éducation….

Un des axes sur lesquels tout le monde s’accorde aussi est le lien aux luttes des travailleurEs, et le mouvement voit ainsi comme une étape importante la grève de la Fonction publique appelée pour le 28 février par ADEDY (Fédération du secteur public) et aussi par des branches du privé et des unions locales. Mais sans attendre, un objectif dans cette situation brûlante devrait être contre la marchandisation de l’enseignement incitée par l’Europe libérale, la grève de toute l’Éducation nationale : les attaques contre l’enseignement secondaire (bachotage permanent pour les élèves, inspections sanctions contre les enseignantEs…) et le manque de moyens (fréquentes chutes de vieux plâtres dans des classes…) exigent une riposte urgente de tout le secteur.

Et bien sûr, un facteur clé sera aussi la solidarité internationale : contre l’Europe du capital et de l’école privée, les étudiantEs montrent la voie en Grèce, pour une Europe des jeunes et des travailleurEs, pour l’école publique et gratuite, le droit aux études pour toutes et tous, et pour le plein emploi avec respect de tous les droits sociaux !

Athènes, le 11 février 2024

Source NPA

Résolution du Parlement européen sur l’État de droit en Grèce

Les députés se déclarent préoccupés par l’état de droit en Grèce

Le Parlement européen a demandé mercredi à la Commission d’agir sur ce qu’elle a qualifié de « graves préoccupations » concernant l’État de droit en Grèce, citant un environnement hostile pour les journalistes, l’utilisation de logiciels espions contre les opposants politiques et les journalistes et les abus de pouvoir de la part de la police.

Les députés ont adopté la résolution par 330 voix pour, 254 contre et 26 abstentions.

Les parlementaires européens ont noté l’absence de progrès dans l’enquête sur l’assassinat du journaliste de la criminalité Giorgos Karaivaz en avril 2021, et ont déclaré que les journalistes faisaient l’objet de menaces physiques et d’agressions verbales, dans certains cas même de la part de politiciens de haut rang, et de violations de leur vie privée par le recours à des logiciels espions illégaux.

Ils ont également cité des actions abusives de personnes d’affaires et de responsables politiques mentionnés dans des rapports d’enquête.

En ce qui concerne le scandale des écoutes téléphoniques, la résolution a condamné le recours généralisé à la « sécurité nationale » comme moyen d’écouter les opposants politiques, y compris les députés européens. En réponse au scandale, les députés demandent des enquêtes efficaces avec l’aide d’Europol et expriment des inquiétudes quant au transfert de l’enquête à un procureur différent et à la pression politique, à l’intimidation et au harcèlement à l’encontre des fonctionnaires qui examinent le gouvernement.

La résolution souligne également le recours excessif à la force par la police et la qualité insuffisante des enquêtes et décisions de justice ultérieures, la durée des procédures judiciaires et d’éventuels conflits d’intérêts, y compris l’infiltration de la police par la criminalité organisée.

Les députés citent également le traitement des migrants et les rapports de refoulement systématique, ainsi que les attaques contre la société civile, en particulier les campagnes de dénigrement et le harcèlement judiciaire contre les militants des droits de l’homme.

Ils ont également déclaré qu’ils soupçonnaient « l’absence d’impartialité politique » dans l’enquête parlementaire sur la catastrophe du train – qui a causé des dizaines de morts en février 2023.

Le Parlement européen a invité la Commission à utiliser pleinement les outils disponibles pour remédier aux violations des valeurs de l’UE en Grèce, y compris l’évaluation de l’utilisation des fonds de l’UE.

Résolution ici sur le site web du PE

Source https://www.keeptalkinggreece

Mobilisation agricole de la Grèce à l’Espagne

« Les revenus, c’est le point central » : de la Grèce à l’Espagne, partout des mobilisations agricoles

Les mobilisations des agricultrices et agriculteurs dépassent les frontières françaises. Que ce soit au Portugal, en Grèce, en Espagne, le mouvement demande une régulation du marché et un meilleur accompagnement dans la transition écologique.

« Les revenus des agriculteurs, c’est le point central. L’année dernière, avec l’inflation, ils ont chuté. C’est toujours plus difficile pour les agriculteurs d’avoir les conditions de vivre dignement. » Vitor Rodrigues est le président de la Confédération nationale de l’agriculture du Portugal (Confederação Nacional da Agricultura), qui représente surtout l’agriculture familiale dans le pays.

Au Portugal aussi, les agriculteurs et agricultrices se mobilisent. Le mouvement y a débuté il y a quelques semaines. « Il y a un mouvement fort du secteur. L’élément qui a peut-être le plus contribué à la mobilisation ici, ce sont les coupes dans les aides de la Politique agricole commune (Pac). Mais ces coupes arrivent dans un contexte où les agriculteurs subissent depuis quelques années de fortes augmentations des coûts de la production, des aliments pour les animaux, des fertilisants… et où les prix payés aux producteurs par les chaînes de la grande distribution sont très bas. C’est cette conjonction qui a poussé les agriculteurs dans la rue », poursuit Vitor Rodrigues.

Le mouvement agricole qui a touché la France en début d’année est en fait européen. Des protestations ont eu lieu en Allemagne, en Belgique, en Roumanie, en Pologne… et dans le Sud de l’Europe, en Italie, en Grèce, au Portugal. Les éléments déclencheurs sont différents selon les pays : la fin d’un avantage fiscal sur le diesel a mis le feu aux poudres en Allemagne ; l’import de blé ukrainien en Pologne… Partout, la question des revenus, trop bas, est au cœur des revendications.

« Le problème, c’est le coût de la production »

« Nous demandons un prix garanti pour nos produits », souligne Thomas Moschos, éleveur bio dans le nord de la Grèce, président de l’Union des agriculteurs de Kastoria et représentant de la Coordination européenne Via Campesina. En Grèce, les mobilisations agricoles ont débuté en janvier. « Cela a commencé par trois ou quatre blocages, on en a aujourd’hui plus de dix. Les grandes exploitations et les petites se mobilisent ensemble, tout comme les éleveurs et les céréaliers, et aussi les pêcheurs. Le problème, c’est le coût de la production », nous dit au téléphone l’éleveur, alors qu’on entend ses moutons et chèvres en fond de conversation.

« Nous n’avons pas en Grèce de prix spécial sur le diesel pour les agriculteurs comme dans d’autres pays européens. On veut un prix sur le diesel. Et nous demandons une réforme de la Pac qui inclut les agriculteurs dans les discussions. Le gouvernement grec nous a aujourd’hui promis une aide temporaire pour le diesel et moins 10 % sur les factures d’électricité pendant sept mois. Mais nous voulons un prix permanent sur le diesel. Nous nous opposons aussi à l’accord de libre-échange avec le Mercosur [qui regroupe plusieurs pays d’Amérique latine, ndlr] et voulons sortir du Ceta [l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada adopté en 2017, ndlr]. »

Des tracteurs avec le slogan "Sein camp no hay vida" écrit sur une pancarte.
Une manifestation d’agriculteurs début février à Bilbao, en Espagne/ © LVC

En Espagne, les manifestations ont débuté le 8 février. « La mobilisation est très importante, elle touche 30 sites dans l’ensemble du pays. Et une mobilisation nationale est prévue à Madrid le 26 février pour coïncider avec la réunion du Conseil des ministres de l’Union européenne, nous explique Andoni Garcia, du Comité de coordination des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs en Espagne (Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos, COAG). La question des revenus est essentielle. Il y a beaucoup d’incertitudes sur les coûts et les prix payés aux producteurs, ce qui provoque une insécurité, un malaise et une frustration face à des politiques néolibérales appliquées au secteur agricole et alimentaire qui ont pour conséquence la destruction de milliers de petites exploitations. »

Les accords de libre-échange pointés du doigt

En plus des augmentations des coûts, les agriculteurs espagnols ont également souffert de la sécheresse des deux dernières années. « Ce point est aussi au cœur des revendications, dit Andoni Garcia. Il faut une garantie de revenus pour les agriculteurs qui n’ont pas produit pendant deux ans à cause de la sécheresse. »

Les organisations espagnoles demandent elles aussi l’arrêt des négociations de libre-échange avec le Mercosur et la régulation des marchés. « Une Politique agricole commune qui prévoit un budget plus important pour la transition agricole vers des modèles plus durables, et la limitation des investissements des fonds d’investissement et des grandes fortunes dans les terres “agricoles” », liste aussi Andoni Garcia parmi les revendications. Il ajoute : « Nous espérons que la réponse du gouvernement sera à la hauteur des problèmes. »

Au Portugal, le gouvernement (mené par les socialistes) a répondu aux mobilisations par des propositions, concrètes, mais pas suffisantes selon Vitor Rodrigues. « La réponse de notre gouvernement a été d’annoncer un retour en arrière sur les coupes des aides de la Pac. Mais ces mesures ne s’attaquent pas au marché. Il y a des problèmes structurels de la Pac et du secteur agricole, ce ne sont pas quelques millions qui vont les régler, défend-il.

« Il faut lutter contre la spéculation »

Pour lui, « il faut garantir qu’aucun producteur ne soit pas payé en dessous des coûts de production. Et il faut lutter contre la spéculation. Sans une intervention sur le marché pour résoudre ces problèmes, nous pensons que la Pac ne pourra pas garantir que les agriculteurs et agricultrices puissent vivre dignement de leur travail. Le problème fondamental de l’agriculture en Europe, c’est d’avoir plus de gens qui travaillent la terre et puissent vivre dignement de ce travail. Je pense que c’est évident pour tout le monde dans la population que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. » Et Vitor Rodrigues conclut : « Les agriculteurs sont en grande difficulté financière, mais les gens vont au supermarché et voient que les produits sont toujours plus chers, pour des raisons en partie complètement spéculatives, car les grandes chaînes de grande distribution font toujours plus de bénéfices. »

Sur le même sujet

L’actuel mouvement agricole qui traverse toute l’Europe pourrait-il enfin changer la donne, au sein du monde agricole et au-delà ? « Vous savez, la plupart des agriculteurs qui protestent aujourd’hui en Grèce ont voté pour le parti de l’actuel gouvernement », de droite, se désole Thomas Moschos en Grèce. « Ils ont voté pour les capitalistes. »

Rachel Knaebel

Photo de une : Une manifestation d’agriculteurs le 7 février au Portugal/©Confederação Nacional da Agricultura

Source Bastamag

SOS MEDITERRANEE / Ocean Viking détenu administrativement

L’Ocean Viking est détenu administrativement pour la troisième fois en trois mois. Cette sanction a été prononcée par les autorités italiennes le 9 février, suite au sauvetage de 261 personnes dans les eaux internationales au large de la Libye. Nous dénonçons cette décision injuste qui marque une nouvelle escalade dans le mépris, par les États, du droit maritime et des conventions humanitaires en Méditerranée centrale.

Cela fait suite à la journée chaotique du 6 février : en moins de 12h, l’Ocean Viking a été témoin de violations répétées et graves des conventions maritimes et des droits humains par des navires de patrouille libyens financés par l’Union Européenne. Interceptions et retours forcés vers la Libye, manœuvres agressives et dangereuses à proximité de notre navire et des embarcations en détresse : nous disposons de nombreuses preuves de ces évènements.

Or, plutôt que d’agir contre ces graves violations du droit international, les autorités italiennes criminalisent une organisation civile et humanitaire qui respecte le droit de la mer. Dès l’arrivée de l’Ocean Viking dans le port de Brindisi, avant même de questionner les membres de notre équipage, les autorités italiennes nous ont présenté une déclaration de détention de 20 jours et une amende de 3 333 €. Une décision uniquement basée sur les déclarations mensongères des navires libyens, nos équipes n’ont pas eu la possibilité d’expliquer ce qui s’était réellement passé.

Chacun des 4 sauvetages opérés par l’Ocean Viking a été effectué en toute transparence et en coordination avec les autorités italiennes et les navires libyens présents, qui ont donné leur feu vert. Pourtant, lors du dernier sauvetage, les bateaux libyens ont subitement changé d’avis et nous ont demandé de quitter les lieux. La panique a alors éclaté sur l’embarcation en détresse, la situation s’est brutalement détériorée et nous avons dû mettre nos canots de sauvetage rapides à l’eau pour porter secours aux naufragé.e.s.

« Devoir justifier le simple fait de sauver des vies en mer n’a aucun sens, ni moral, ni juridique. L’Ocean Viking a secouru 261 personnes qui étaient en très grand danger de mort imminente. Les patrouilleurs libyens ramènent les naufragé.e.s de force en Libye, ce qui est contraire à l’obligation légale de les débarquer dans un lieu sûr », explique Soazic Dupuy, notre directrice des opérations.

Malgré les entraves et cette criminalisation constante, nous savons que notre présence en Méditerranée centrale est vitale. Grâce à votre soutien, nous reprendrons la mer dès la fin de cette détention inacceptable pour continuer notre mission : sauver des vies.

Source https://sosmediterranee.org


En Grèce, malgré les menaces, le mouvement étudiant se renforce !

Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l’Anticapitaliste du 18 janvier) semble avoir pris au dépourvu le gouvernement de Mitsotakis qui s’illusionne après sa victoire électorale de juin sur sa capacité à faire passer toutes ses mesures désastreuses contre le camp des travailleurEs et des jeunes.

Ses réactions, après trois semaines de très grosses mobilisations, prouvent avant tout sa peur des mauvaises idées que le mouvement pourrait donner à toute une série de secteurs – des mobilisations paysannes ont commencé, et les paysans de la région de Larissa, sinistrée après les inondations de l’automne, ont eu droit aux charges des Mat [l’équivalent des CRS].

Disqualification et répression du mouvement

La réaction du gouvernement est de deux ordres. D’abord, il tente de faire passer la mobilisation pour un mouvement minoritaire et violent. Quitte à faire s’embrouiller ses piliers : pour la manif du 18 janvier à Athènes, la police indiquait 5 000 manifestantEs, mais la chaîne de télé Skaï, chien de garde de la droite, osait n’en voir qu’à peine 1 000 ! Du coup, la police a pris les devants pour la manif du 25, en annonçant pour Athènes 1 000 manifestantEs pour un cortège bien plus gros que les deux semaines précédentes : au moins 8 000 dans la rue ! Ces derniers jours, les journaux de la droite titrent sur les « Assemblées générales de la terreur » ou sur les « Occupations par quelques-uns » opposées aux « Examens voulus par la majorité ».

Ensuite, le gouvernement lance le chantage aux examens qui de fait s’inscrit dans une ligne répressive croissante : le ministre de l’Éducation veut contourner le mouvement d’occupations en obligeant les directions des universités à organiser les examens semestriels, si nécessaire en distanciel (ce qui avait été catastrophique pendant la période de la pandémie !). Et comme bien sûr un certain nombre d’administrations rechignent (elles savent elles aussi le danger de la création de facs privées), les menaces sur des baisses de financement sont proférées.

Face à cela, les présidents d’université viennent d’affirmer que les examens doivent être passés « d’une manière ou d’une autre », mais la réponse sur cette passation, qui n’est pas une mince question dans une période de chômage jeune restant très fort, viendra certainement des équipes enseignantes et des AG. En dernier lieu, la répression vise avant tout les jeunes : présence policière suffocante, intervention policière ou judiciaire contre telle ou telle occupation, et même convocation à la police de collégienNEs dénoncéEs par leur directrice pour participation à l’occupation de leur collège en Crète. Sans oublier les agressions fascistes : une lycéenne membre de l’organisation des jeunes de nos camarades de NAR a été agressée au Pirée, ce qui a entraîné une manif de riposte antifasciste.

Une mobilisation qui fragilise le « gouvernement des 41% »

Début janvier, le porte-parole du gouvernement affirmait que le projet de loi « Université libre » (!!) serait déposé pour être voté fin janvier. En cette fin janvier, le gouvernement n’a toujours pas déposé ce projet, ce qui est déjà une première victoire. Cela tient sûrement à deux raisons. Tout d’abord, même si depuis deux ans, la droite a pu avancer dans son projet de privatisation/marchandisation, elle bute sur l’obstacle de l’article 16 de la Constitution, qui est formel : l’enseignement supérieur est public et gratuit. Elle tente donc de le contourner en s’appuyant sur un autre article, mais personne n’est dupe, et plus le gouvernement qui voulait passer en force tarde à déposer son projet, plus la fragilité constitutionnelle de son bricolage sera connue et risque de faire désordre. Le porte-parole parle désormais de fin février pour le vote, et la mobilisation, dont les manifs athéniennes s’achèvent de manière spectaculaire devant le parlement, vise à empêcher le dépôt du projet.

L’autre raison renvoie à une évidente difficulté de Mitsotakis dans la période. Montré du doigt y compris au sein des instances européennes pour ses atteintes aux droits (scandales des écoutes, attaques contre la liberté de la presse, comme vient de l’illustrer un procès mené par son neveu, ex-numéro 2 du gouvernement, contre le journal Efimerida ton Syntakton et d’autres médias), il a besoin, sur fond de mécontentement croissant contre la vie chère (en un an, la bouteille d’huile d’olive, base de la cuisine grecque, a plus que doublé son prix), de soigner sa prétention à se faire passer pour moderniste libéral.

L’un de ses actuels projets, annoncé lors de sa campagne électorale, est de faire voter le mariage homosexuel. Or, la droite grecque, liée très fortement à une église orthodoxe (religion d’État) très réactionnaire, se divise, avec une fronde interne très forte – le tiers de ses députéEs ne voteraient pas une telle loi – et on assiste à des coups tordus étonnants. Alors que l’un des ministres issus de l’extrême droite, Voridis, ex-dirigeant des jeunesses de la junte militaire (1967-74) a fait savoir qu’il ne voterait pas un tel droit, un autre ministre d’extrême droite, Georgiadis, connu pour avoir publié des textes bêtes et odieux contre l’homosexualité, tente quant à lui de convaincre la partie réticente de la droite de voter le projet… Mitsotakis pensait peut-être faire passer son projet de facs privées comme un élément de sa politique « moderniste », mais vu la grave tension que provoque ces jours-ci le projet de mariage homosexuel, il est peut-être plus prudent pour lui d’attendre un tout petit peu pour éviter l’extension à une grave crise politique. Même si la gauche reste non crédible dans les sondages, ce sont 58 % des sondéEs qui se déclarent aujourd’hui mécontents de la politique de ce gouvernement…

Consolidation du mouvement

Les étudiantEs en sont bien conscientEs : la situation est difficile, face à un gouvernement disposant de tous les moyens pour salir et réprimer le mouvement, et d’autant plus dangereux qu’il se sait actuellement en difficulté. Mais fort de mobilisations répétées depuis 2019, fort aussi de l’affaiblissement de la droite étudiante (qui était première aux élections étudiantes jusqu’à peu), le mouvement s’est bien préparé à s’opposer à un projet de loi qui rendrait encore plus fragiles le droit et les possibilités de poursuivre des études.

Même chose du côté des personnels enseignants et administratifs : dans la manif athénienne du 25 janvier, ils et elles étaient plusieurs centaines dans la rue, renforcés par l’arrêt de travail déposé par les deux fédérations du primaire et du secondaire, DOE et OLME. Les enseignantEs du supérieur multiplient d’ailleurs les réunions et textes d’information sur ce que signifierait pour la Grèce l’introduction des universités privées. Et dans le secondaire, ce sont non seulement les enseignantEs mais aussi les élèves qui se mobilisent, et contre le projet de loi universitaire, et contre l’état déplorable et dangereux de nombreux établissements publics. Le 25, ils et elles étaient en nombre à Athènes, dans un cortège très décidé et très animé !

Ce qui fait la force de la mobilisation actuelle, ce sont trois éléments : d’abord, la participation aux AG. Prin, le journal de NAR, donnait des chiffres : dans de nombreux endroits, on a eu des AG de 600 à 900 étudiantEs. Et ce n’est pas la « terreur » dénoncée par la presse de droite qui y règne, mais la volonté de s’informer et de décider. Même la droite vient parfois y participer, ce qui se conclut par un rejet de ses propositions. Mais l’autre atout du mouvement, dans la grande tradition des mobilisations jeunes en Grèce, ce sont les occupations : ce sont bien plus de la moitié des départements universitaires qui sont aujourd’hui occupés, et dans ce contexte, le chantage aux examens perd en efficacité face à la priorité : « Non à la dévalorisation de nos diplômes, gratuité des études ! Les étudiantEs ne sont pas des clientEs! ». Et bien sûr, les trois journées nationales de manifestations ont été des temps forts, d’autant qu’à côté des grandes manifs à Athènes, Salonique ou Patras, les étudiantEs sont descenduEs dans la rue dans toute une série de villes moyennes dotées de départements universitaires. Enfin, même s’il y a des obstacles, la tendance est à la coordination du mouvement, gage d’efficacité.

La prochaine journée nationale de mobilisation aura lieu ce jeudi 1er février, a priori sous les mêmes formes. Étendre le mouvement, peut-être déjà à toute l’Éducation (nouvelle tentative de la droite d’imposer aux enseignantEs du primaire et du secondaire des évaluations sanctions), lier cette lutte à d’autres secteurs, font partie des discussions sur la suite de cette lutte difficile mais massive et porteuse d’espoirs sur la dynamique qu’elle contribue à créer.

Solidarité avec la mobilisation des étudiantEs contre la marchandisation de l’éducation!

A. Sartzekis, Athènes, le 30 janvier 2024

Source NPA

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