L’UE a détruit son pays ….Nous sommes les prochains. Pour Élucid, Yánis Varoufákis revient sur ses années de combats contre le capitalisme mondialisé responsable de tant d’inégalités, mais également sur la crise grecque, symptomatique de la nature profonde de l’Union européenne : austéritaire, dysfonctionnelle et antidémocratique. Il déclare : Ils ont préféré traiter la Grèce comme un rat de laboratoire, comme une expérience avec l’objectif de l’appliquer un jour à la France … Voir l’entretien d’1h12mn sur Elucid
Hermann Josef Abs signe l’accord de Londres sur les dettes extérieures allemandes le 27 février 1953.
En juillet 2024, la Banque mondiale et le FMI auront 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d’imposition de politique d’austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d’une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l’occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis jusqu’au mois de juillet une série d’articles revenant en détail sur l’histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.
L’Allemagne a bénéficié à partir du 27 février 1953 d’une annulation de la plus grande partie de sa dette . Depuis cette annulation, qui a permis à l’économie de ce pays de reconquérir la place de principale puissance économique du continent européen, aucun autre pays n’a bénéficié d’un traitement aussi favorable. Il est très important de connaître le pourquoi et le comment de cette annulation de dette. Résumé de manière très concise : les grandes puissances créancières de l’Allemagne occidentale voulaient que l’économie de celle-ci soit réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans la lutte entre le bloc atlantique et le bloc de l’Est.
Une comparaison entre le traitement accordé à l’Allemagne occidentale d’après-guerre et celui imposé aux Pays en développement ou à la Grèce d’aujourd’hui est révélateur de la politique du deux poids deux mesures pratiquée systématiquement par les grandes puissances.
L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique des puissances créancières occidentales qui avaient remporté la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux, la Grande-Bretagne et la France. En octobre 1950, ces trois puissances alliées élaborent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration dans laquelle ils énoncent : « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne » [1]
Il faut savoir que l’Allemagne nazie a suspendu le paiement de sa dette extérieure à partir de 1933 et n’a jamais repris les paiements, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir un soutien financier et de faire des affaires avec de grandes entreprises privées des États-Unis – comme Ford, qui a financé le lancement de la Volkswagen (la voiture du peuple imaginée par le régime hitlérien), General Motors qui possédait la firme Opel, General Electric associée à AEG et IBM qui est accusée d’avoir « fourni la technologie » ayant aidé « à la persécution, à la souffrance et au génocide », avant et pendant la Seconde Guerre mondiale [2]
La dette réclamée à l’Allemagne concernant la période d’avant-guerre s’élevait à 22,6 milliards de marks, si on comptabilise les intérêts.
Une importante réduction des dettes contractées avant et après la guerre par l’Allemagne à des conditions exceptionnelles
La dette contractée dans l’après-guerre (1945-1952) était estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953 [3], ces montants ont été ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde [4]. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6 %.
Les montants cités plus haut ne prennent pas en compte les dettes liées à la politique d’agression et de destruction menée par l’Allemagne nazie durant la deuxième guerre mondiale, ni les réparations que les pays victimes de cette agression sont en droit de réclamer. Ces dettes de guerre ont été mises de côté, ce qui a constitué un énorme cadeau supplémentaire pour l’Allemagne de l’Ouest.
De surcroît, l’accord établissait la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions au cas où surviendrait un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources [5].
Les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes
Pour s’assurer de la bonne relance de l’économie de l’Allemagne occidentale et que ce pays constituera un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. Les grosses entreprises industrielles allemandes comme AEG, Siemens, IG Farben (AGFA, BASF, Bayer et Hoechst), Krupp, Volkswagen, BMW, Opel, Mercedes Benz et également des sociétés financières de tout premier plan comme Deutsche Bank, Commerzbank, la société d’assurance Allianz ont été protégées et renforcées, bien qu’elles aient joué un rôle de premier plan dans le soutien au régime nazi et qu’elles aient été les complices du génocide des peuples juif et tsigane. Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des gouvernements des grandes puissances occidentales.
Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des grandes puissances occidentales.
En ce qui concerne le problème de la dette qui pouvait être réclamée à l’Allemagne, les alliés partent du principe que l’économie du pays doit être en capacité de rembourser, tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Pour que l’Allemagne puisse rembourser sans s’appauvrir, il faut qu’elle bénéficie d’une très forte annulation de dette. Mais cela ne suffit pas. Comme l’histoire l’a montré, il faut que le pays retrouve une véritable marge de manœuvre et d’autonomie. Pour cela, les créanciers acceptent primo que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le deutsche mark, une partie importante de la dette qui lui est réclamée. Á la marge, elle rembourse en devises fortes (dollar, franc suisse, livre sterling…).
Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations : elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41 % des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66 %.
En cas de litige avec les créanciers, les tribunaux allemands sont compétents
Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de l’Allemagne à payer ses débiteurs privés et publics ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements . L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont : 1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3. les conditions de commerce futures probables ; 4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. » [6]
En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).
Le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande
Autre élément très important : le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et de ses revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5 %. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots : monétiser la dette.
Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts, qui oscillent entre 0 et 5 %.
L’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre
Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) que pourraient réclamer à la RFA les pays occupés, annexés ou agressés.
Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 12,5 milliards de dollars de 2019) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars de 2019) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).
Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.
Quelques éléments de comparaison
L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette
Le résultat d’une première comparaison entre l’Allemagne occidentale d’après-guerre et les Pays en développement est éclairant. L’Allemagne, bien que meurtrie par la guerre, était économiquement plus forte que la plupart des PED actuels. Pourtant, on lui a concédé en 1953 ce qu’on refuse aux PED.
Part des revenus d’exportation consacrés au remboursement de la dette
L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette.
En 2017, les PED ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette
En 2017, les pays en développement ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette [7]. Pour les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, ce chiffre a atteint 23,5 % en 2017. Quelques exemples de pays incluant des PED et des économies européennes périphériques : en 2017, ce chiffre atteignait 13 % pour l’Angola, 36 % pour le Brésil, 15 % pour la Bosnie, 21 % pour la Bulgarie, 41,6 % pour la Colombie, 17 % pour la Côte d’Ivoire, 21 % pour l’Ethiopie, 28,6 % pour le Guatemala, 34 % pour l’Indonésie, 70 % pour le Liban, 14 % pour le Mexique, 20 % pour le Nicaragua, 22,8 % pour le Pakistan, 21 % pour le Pérou, 22 % pour la Roumanie et la Serbie, 17 % pour la Tunisie, 40 % pour la Turquie.
Taux d’intérêt sur la dette extérieure
Dans le cas de l’accord de 1953 concernant l’Allemagne, le taux d’intérêt oscille entre 0 et 5 %.
En revanche, dans le cas des PED, les taux d’intérêt ont été beaucoup plus élevés. Une grande majorité des contrats prévoient des taux variables à la hausse.
Pour les PED, une grande majorité des contrats prévoient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés et variables à la hausse
Entre 1980 et 2000, pour l’ensemble des PED, le taux d’intérêt moyen a oscillé entre 4,8 et 9,1 % (entre 5,7 et 11,4 % dans le cas de l’Amérique latine et de la Caraïbe et même entre 6,6 et 11,9 % dans le cas du Brésil, entre 1980 et 2004). Ensuite, le taux d’intérêt a été historiquement bas pendant la période 2004 à 2015. Mais la situation a commencé à se dégrader depuis 2016-2017 car le taux d’intérêt croissant fixé par la FED (le taux directeur de la FED est passé de 0,25 % en 2015 à 2,25 % en novembre 2018) et les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises étatsuniennes par Donald Trump entraînent un rapatriement de capitaux vers les États-Unis. Par ailleurs, les prix des matières premières ont eu une tendance à baisser ce qui diminue les revenus des pays en développement exportateurs de biens primaires et rend plus difficile le remboursement de la dette car celui-ci s’effectue principalement en dollars ou en d’autres monnaies fortes. En 2018, une nouvelle crise de la dette a touché directement des pays comme l’Argentine, le Venezuela, la Turquie, l’Indonésie, le Nigéria, le Mozambique, … De plus en plus de pays en développement doivent accepter des taux d’intérêt supérieurs à 7 %, voire à 10 %, pour pouvoir emprunter en 2019.
L’Allemagne était autorisée à rembourser une partie de sa dette avec sa monnaie nationale.
Monnaie dans laquelle la dette extérieure est remboursée
Aucun pays en développement n’est autorisé à faire de même sauf exception et pour des montants dérisoires. Tous les grands pays endettés doivent réaliser la totalité de leurs remboursements en devises fortes (dollar, euro, yens, franc suisse, livre sterling).
Clause de révision du contrat
Les créanciers ont le droit de réclamer des PED le paiement anticipé des sommes dues dans le futur
Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources.
Dans le cas des contrats de prêts avec les PED, les créanciers imposent qu’il n’y ait pas de clause de ce type. Pire, en cas de difficulté des PED, les créanciers ont le droit de réclamer le paiement anticipé des sommes dues dans le futur.
Politique de substitution d’importation
Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant.
Par contre, la Banque centrale, le FMI et les grandes puissances imposent aux PED de renoncer à produire sur place ce qu’ils pourraient importer.
Dons en devises (en cash)
L’Allemagne, pourtant à l’origine de la deuxième guerre mondiale, a bénéficié de dons importants en devises dans le cadre du Plan Marshall et près celui-ci.
Les PED dans leur ensemble, à qui les pays riches ont promis assistance et coopération, reçoivent une aumône sous forme de dons en devises. Alors que collectivement, ils remboursent plus de 500 milliards de dollars par an, ils reçoivent en cash nettement moins que 100 milliards de dollars.
Les créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal
Incontestablement, le refus d’accorder aux PED endettés le même type de concessions qu’à l’Allemagne indique que les créanciers n’ont pas pour objectif le désendettement de ces pays. Bien au contraire, ces créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal à travers le paiement des intérêts de leur dette, à leur imposer des politiques conformes aux intérêts des prêteurs et à s’assurer de la loyauté de ces pays au sein des institutions internationales.
Allemagne 1953 / Grèce 2010-2019
Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points :
1.- Entre 2010 et 2019, la dette en pourcentage du PIB grec n’a cessé d’augmenter, elle est passée d’environ 110 % à 180 %
La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers
2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à l’intervention de la Troïka depuis 2010 ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors que l’Allemagne a bénéficié de mesures qui ont contribué largement à relancer son économie. Le produit intérieur brut de la Grèce a chuté d’environ 30 % entre 2010 et 2016 en conséquence des mémorandums qui lui ont été imposés. En comparaison la croissance du PIB de l’Allemagne occidentale a été phénoménale entre 1953 et 1960.
3.- La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers principalement alors qu’à l’inverse l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance et de grandes entreprises privées qui restaient sous le contrôle stratégique du capital allemand.
4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan imposé par la Troïka) n’ont pas été réduites alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne (à commencer par celles contractées à l’égard des pays que le Troisième Reich avait agressés, envahis voire annexés) étaient réduites de 60 % ou plus.
5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), alors que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.
Le fait de rembourser une partie importante de sa dette en deutsche marks permettait à l’Allemagne de vendre plus facilement ses marchandises à l’étranger. Prenons l’exemple des importantes dettes de l’Allemagne à l’égard de la Belgique et de la France après la seconde guerre mondiale : l’Allemagne était autorisée à les rembourser en deutsche marks. Or que pouvait faire la Belgique et la France avec ces deutsche marks sinon les dépenser en achetant des produits fabriqués en Allemagne, ce qui a contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.
6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Banque centrale allemande (Bundesbank) prêtait aux autorités de l’Allemagne occidentale et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.
7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.
Les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni sont compétentes pour les titres de la dette grecque
8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent depuis 2012 les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien celles-ci sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.
9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Pourtant, malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des «marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka.
10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.
L’Allemagne a reçu des dons considérables dans le cadre du Plan Marshall
11. – Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).
On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.
Les mensonges concernant l’aide à la Grèce
Hans-Werner Sinn [8], un des économistes influents en Allemagne, conseiller du gouvernement d’Angela Merkel, n’hésitait pas en 2012 à mentir en affirmant : « La Grèce a bénéficié d’une aide extérieure de 460 milliards d’euros au travers de diverses dispositions. L’aide apportée jusqu’ici à la Grèce représente donc l’équivalent de 214 % de son PIB, soit environ dix fois plus que ce dont l’Allemagne a bénéficié grâce au plan Marshall. Berlin a apporté environ un quart de l’aide fournie à la Grèce, soit 115 milliards d’euros, ce qui représente au moins dix plans Marshall ou deux fois et demi un Accord de Londres. » [9]
Tout ce calcul est faux. La Grèce n’a pas du tout reçu un tel montant de financement et ce qu’elle a reçu ne peut pas être sérieusement considéré comme de l’aide, au contraire.
L’Allemagne n’a payé à la Grèce que le soixantième de ce qu’elle lui doit en réparation pour les dévastations de l’occupation
Hans-Werner Sinn met de manière scandaleuse sur le même pied l’Allemagne au sortir de la seconde guerre mondiale que les dirigeants nazis avaient provoquée et la Grèce des années 2000. En outre, il fait l’impasse sur les sommes réclamées à juste titre par la Grèce à l’Allemagne suite aux dommages subis pendant l’occupation nazie [10] ainsi que l’emprunt forcé que l’Allemagne nazie a imposé à la Grèce. Selon la commission du parlement grec qui a travaillé sur ces questions en 2015, la dette de l’Allemagne à l’égard de la Grèce s’élève à plus de 270 milliards d’euros [11]. Comme l’écrit le site A l’encontre sur la base des travaux de Karl Heinz Roth, historien du pillage de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie [12] : « L’Allemagne n’a payé à la Grèce que la soixantième partie (soit 1,67 %) de ce qu’elle lui doit comme réparation des dévastations de l’occupation entre 1941 et 1944. ». [13]
1. Les plans d’« aide » à la Grèce ont servi les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec
Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro, principalement les grandes banques allemandes et françaises, qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes.
2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !
Les prêts accordés à la Grèce sous la houlette de la Troïka rapportent des intérêts conséquents aux prêteurs. Les différents pays qui participent à ces prêts ont gagné de l’argent sur le dos du peuple grec. Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France [14], a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5 % alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.
La situation était tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce devait être réduit [15].
Les bénéfices tirés par la France du sauvetage de la Grèce représentent une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !
Sous les protestations du gouvernement grec et face au profond mécontentement populaire qui s’est exprimé par de fortes mobilisations sociales en Grèce, les pays prêteurs ont fini par décider de ristourner à la Grèce une partie des revenus qu’ils tirent des crédits octroyés à Athènes [16]. Mais il faut préciser que les revenus sont ristournés au compte-gouttes et une partie importante d’entre eux ne seront jamais rendus. Pascal Franchet et Anouk Renaud, du CADTM, ont calculé les bénéfices tirés par la France du soi-disant Sauvetage de la Grèce. Ils considèrent qu’il s’agit d’une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !
3. La crise de la zone euro a fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro, due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs, entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.
Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait garantir un taux d’intérêt de 3,4 % pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %. Cela correspond à une diminution de 60 % du coût du financement [17]. Selon le quotidien financier français Les Échos, « un calcul approximatif montre que les économies générées grâce à la baisse des taux du coût de financement depuis 3 ans s’élèvent à 63 milliards d’euros » [18]. Somme à comparer aux 15 milliards (sur 110 répartis entre les différents créanciers) effectivement prêtés (avec intérêt – voir plus haut) par l’Allemagne entre mai 2010 et décembre 2011 à la Grèce dans le cadre de sa contribution au premier plan d’« aide » de la Troïka.
La Grèce permet à l’Allemagne et aux pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables
Nous avons évoqué les taux à 10 ans et à 6 ans payés par l’Allemagne pour emprunter. Si on prend le taux à 2 ans, l’Allemagne a émis des titres de cette maturité le 23 mai 2012 à un taux d’intérêt nul [19]. Début 2012, l’Allemagne a emprunté à 6 mois la somme de 3,9 milliards d’euros à un taux d’intérêt négatif. A ce propos, Le Soir écrivait le 23 mai 2012 : « les investisseurs vont recevoir au terme de ces six mois un tout petit peu moins (0,0112 %) que ce qu’ils ont prêté » [20].
S’il y avait une once de vérité de vérité dans le flot de mensonges à propos de la Grèce (du Portugal, de l’Espagne…), on pourrait lire que la Grèce permet à l’Allemagne et aux autres pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables. La liste des avantages tirés par l’Allemagne et les autres pays du Centre doit être complétée par les éléments suivants.
4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre
Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations [21] dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, tirent profit car les biens publics sont vendus à des prix bradés.
5. Les sacrifices imposés aux travailleurs permettent de contenir une poussée revendicative dans les pays du Centre
Les reculs sociaux infligés aux travailleurs grecs (mais aussi portugais, irlandais, espagnols…) mettent sur la défensive les travailleurs d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de France, de Belgique… Leurs directions syndicales craignent de monter au combat. Elles se demandent comment revendiquer des augmentations salariales si dans un pays comme la Grèce, membre de la zone euro, on diminue le salaire minimum légal de 20 % ou plus. Du côté des directions syndicales des pays nordiques (Finlande notamment), on constate même avec consternation qu’elles considèrent qu’il y a du bon dans le TSCG et les politiques d’austérité car ils sont censés renforcer la saine gestion du budget des États.
Un accord du type de celui de Londres de 1953 ne pourra être obtenu que suite à des batailles
En octobre 2014, j’ai été interviewé par un important quotidien grecLe Journal des Rédacteurs concernant l’accord de Londres de 1953. Le journaliste m’a posé la question suivante : « Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ? »
Il faut désobéir aux créanciers qui réclament une dette illégitime et imposent des politiques violant les droits humains fondamentaux
Je lui ai donné cette réponse : « C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953.Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale. »
Comme on le sait, Alexis Tsipras a choisi de mettre en pratique une autre orientation qui a abouti au désastre.
Conclusion
Ne nous berçons pas d’illusions, les raisons qui ont poussé les puissances occidentales à traiter l’Allemagne de l’Ouest comme elles l’ont fait après la seconde guerre mondiale ne sont pas de mise dans le cas de la Grèce ou d’autres pays endettés.
La réalisation de processus citoyens d’audit de la dette jouera un rôle décisif dans cette bataille contre la dette et l’austérité
Pour maintenir leur pouvoir de domination à l’égard des pays endettés, ou tout au moins la capacité de leur imposer des politiques conformes aux intérêts des créanciers, les grandes puissances et les institutions financières internationales ne sont pas du tout disposées à annuler leurs dettes et à permettre un véritable développement économique.
Pour obtenir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales dans les pays endettés afin que des gouvernements aient le courage d’affronter les créanciers en leur imposant des annulations unilatérales de dettes. La réalisation de processus citoyen d’audit de la dette jouera un rôle positif décisif dans cette bataille
[3] Texte intégral en français de l’Accord de Londres du 27 février 1953 en bas de cette page. Ont signé l’accord le 27 février 1953 : La République fédérale d’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Belgique, le Canada, Ceylan, le Danemark, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Grèce, l’Irlande, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, le Pakistan, la Suède, la Suisse, l’Union d’Afrique du Sud et la Yougoslavie.
[4] 1 US dollar valait à l’époque 4,2 marks. La dette de l’Allemagne occidentale après réduction (soit 14,5 milliards de marks) équivalait donc à 3,45 milliards de dollars.
[5] Les créanciers refusent toujours d’inscrire ce type de clause dans les contrats à l’égard des pays en développement ou des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Europe centrale et orientale…
[16] Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, table 18, p. 45, “Interest rates and interest payments charged to Greece” by the euro area Member States”, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm
[17] Financial Times, “Investors rush for the safety of German Bunds”, 24 Mai 2012, p. 29
[18] Les Échos, Isabelle Couet, « L’aide à la Grèce ne coûte rien à l’Allemagne », 21 juin 2012. La journaliste précise : « Les taux à 6 ans –ceux qui correspondent à la maturité moyenne de la dette allemande- sont en effet passés de 2,6 % en 2009 à 0,95 % en 2012. »
[19] Le Soir, Dominique Berns et Pierre Henri Thomas, « L’Allemagne se finance à 0 % », 23 mai 2012, p. 21
Eric Toussaint Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
L’économie grecque était dans une impasse avant même la pandémie, ce que confirme son tableau statistique. La pandémie, comme elle était inévitable, a aggravé sa situation chronique et désespérée, car elle.. :
* a ajouté plusieurs points négatifs supplémentaires, à l’énorme déclin du PIB causé par les Mémorandums.
* Elle a fait exploser la dette publique et privée.
* renforcé les prévisions pessimistes des entrepreneurs et des consommateurs et
* exacerbé une inégalité de revenus sans précédent.
Dans cette réalité consolidée de l’économie grecque, il n’y a malheureusement pas de place pour la croissance. La conclusion s’impose d’elle-même, si l’on tient compte du fait que le PIB de la Grèce en 2022 est inférieur au PIB correspondant avant les Mémorandums, d’au moins 32%, que la croissance du PIB d’ici 2060 sera d’environ 1%, et que les spécifications des Mémorandums qui nous sont imposés manquent de tout souffle de développement.
Les gouvernants actuels, malgré leurs fréquentes annonces enthousiastes sur l’évolution supposée positive de l’économie, semblent néanmoins conscients du marécage dans lequel nous nous enfonçons. C’est pourquoi, même si l’on exclut les références scandaleuses au Fonds de relance, qui, je le rappelle, ne servent que les intérêts du Nord de l’Europe, et non nos propres besoins urgents, ces dernières années, notre pays a été dépourvu de toute forme de préoccupation sérieuse pour la croissance économique. Au contraire, l’anxiété constante des responsables est monopolisée par la question de savoir comment, d’où et à quel prix l’argent sera obtenu pour faire face à nos charges mémorielles qui montent en flèche.
L’invasion de la pandémie a conduit au renversement complet des règles strictes de la politique monétaire et, en même temps, a encouragé certains espoirs, concernant la possibilité pour la Grèce d’exiger enfin ce qui lui est dû. En particulier, la panique liée à la nécessité immédiate de faire face au coronavirus a justifié l’allocation de milliers de milliards de dollars, par le biais de méthodes connues sous le nom de « helicopter money », a ravivé la prise de conscience des dangers de l’incontrôlable dette publique et privée qui a atteint 425% du PIB en Occident et 356% dans les pays en développement, a encouragé les discussions sur la nécessité d’en supprimer un pourcentage significatif et a ouvert la voie à de nouvelles théories qui minimisent l’importance primordiale de l’équilibre budgétaire.
Cet assouplissement monétaire, qui a prévalu pendant la pandémie, a dû être perçu par la Grèce comme une chance inespérée d’assurer sa survie. Au milieu de cette rupture, dont les conditions favorables ne seront probablement pas maintenues après la fin de la pandémie, la Grèce devrait donc s’empresser de renoncer à son statut d' »élève le plus docile de l’UE », comme le projetait un récent numéro de The Economist, puis rassembler un par un tous ses droits illimités, qui constituent des arguments très forts pour défendre son sauvetage, les poursuivre jusqu’au bout du monde, rechercher des alliances sincères et, surtout, engager le peuple grec autour de la terre dans une lutte pour la survie.
La Grèce est en effet dans une situation misérable, surtout au cours des 11 dernières années. Les menaces et les coups contre sa souveraineté nationale, qu’elle reçoit quotidiennement, sont traités avec indifférence par ses partenaires, à la seule exception de la France. Les mémorandums, avec leurs exigences souvent criminelles, l’ont appauvrie.
Il est certain, cependant, que la Grèce n’aurait jamais atteint cette dernière étape de son existence, si elle n’avait pas accepté avec une incroyable soumission, des péchés d’un autre monde et des humiliations inacceptables, abandonnant ses droits souverains d’une manière mortellement dangereuse, consentant à son asservissement pour des dettes qui étaient parfaitement viables au début de la crise, bradant ses biens publics et inactivant toute sorte d’argument défensif.
L’espoir de la fin de la pandémie coexiste malheureusement avec le risque d’un retour du statut monétaire qui était en vigueur avant le virus, grevé par la résurgence de l’inflation, après 40 ans d’absence. On parle déjà d’une hausse des taux d’intérêt qui, en plus de freiner une reprise très incertaine, alourdira la dette grecque. La prédiction du 4ème Mémorandum est, aujourd’hui, plus valable que jamais, même si elle sera certainement présentée sous un nom convaincant.
Dès le début de la crise, nous disposions de nombreux arguments importants pour éviter la tragédie de ces 11 dernières années, mais nous les avons tous rejetés. Nous sommes peut-être aujourd’hui face à notre dernière chance de salut.
Les arguments
Il n’existe aucun pays européen moderne qui ait été la cible d’autant d’attaques sauvages, de comportements impitoyables, d’accusations injustes, de sentiments punitifs de la part de ses partenaires, de violation de ses droits souverains, d’imposition d’un plan dangereusement erroné, de saisie de sa richesse publique. Il convient de préciser à ce stade que les constatations ci-dessus n’impliquent nullement qu’il n’y ait pas eu de dette, ni même que cette dette ne doive pas être remboursée. Un Mémorandum était clairement nécessaire ; mais, Mémorandum, au contenu totalement différent de celui qui a été imposé à notre pays. Principalement un Mémorandum avec des spécifications qui assureraient le service de la dette par la croissance et non par la décroissance, comme la France l’avait insisté dès le début, tandis que l’Allemagne faisait la sourde oreille. Alors, avant que le 4ème Mémorandum (ou quel que soit le nom qu’on lui donne) n’envahisse nos vies, revoyons certains de nos arguments de sauvetage, en espérant qu’ils ne continueront pas à hiberner.
Commençons par le chapitre 22 des mémoires de Barack Obama, qui est une preuve indiscutable des positions grecques, car son contenu confirme de la manière la plus officielle ce qui a été largement diffusé depuis le début du drame du mémorandum. C’est-à-dire que l’UE et l’euro n’ont pas été « mis en danger » par la dette grecque, après tout absolument viable (environ 120% du PIB de l’époque), et l’UE et le FMI n’ont pas non plus décidé d’intervenir pour « sauver la Grèce », comme cela a été généralement soutenu au début de la crise. Au contraire, il devient clair que la panique de l’UE à l’époque, qui a conduit à demander l’aide du FMI pour l’atténuer, était liée au risque encouru par les banques franco-allemandes, qui avaient accumulé beaucoup d’obligations grecques. Il a été jugé que le salut des banques ne serait possible qu’en enjambant le cadavre du peuple grec. Donc, maintenant que les banques ont été sauvées, il est impératif d’atténuer, au moins, la condamnation à mort de la Grèce. En même temps, ce serait le bon moment pour clarifier le résultat final de la déclaration souvent répétée de l’UE selon laquelle son désir était de « sauver la Grèce ». Comme les chiffres le montrent strictement, cette intention de l’UE de nous sauver, a abouti après 11 ans, à ce qui suit :
* un quasi-doublement de la dette grecque, en pourcentage du PIB,
* une réduction de notre PIB d’au moins 25 % (afin de ne pas faire peser sur l’UE les effets négatifs supplémentaires de la pandémie),
* une prévision du FMI selon laquelle, d’ici 2060, notre taux de croissance moyen sera d’environ l’unité,
* actuellement, seul le revenu par habitant de la Bulgarie est inférieur au nôtre, alors qu’au début de la crise, nous étions au sommet des Balkans,
* ne nous étendons pas en invoquant un tas de preuves inébranlables, qui témoignent de la destruction à long terme de notre développement potentiel, sur plusieurs générations.
Poursuivons avec le gonflement inexplicable du déficit, au début de la crise, qui ne peut pas entrer dans la catégorie des « théories du complot », car c’est un cas qui préoccupe la justice grecque depuis de nombreuses années. Concernant cette étrange affaire, aucune conclusion arbitraire ne peut évidemment être tirée avant son jugement définitif. Cependant, les responsables devraient accélérer, par tous les moyens légaux, la décision finale du tribunal. Car, s’il est réellement prouvé que le gonflement du déficit a été induit, puisque c’est quelque chose qui s’est apparemment produit « du jour au lendemain », la Grèce sera sauvée, et sera en droit d’exiger une énorme compensation, pour les souffrances qu’elle a endurées jusqu’à présent (une compensation qui ne pourra toutefois pas éliminer les horreurs qui ont eu lieu pendant ces 11 années). Quoi qu’il en soit, on peut espérer qu’une telle décision est susceptible de faire la lumière sur les raisons pour lesquelles les dirigeants actuels de l’UE, à la veille du prononcé de chacune des nombreuses décisions de justice relatives à cette affaire, ont été excessivement sensibles au sort de l’ancien président d’ELSTAT.
La Grèce aurait encore la possibilité de remonter le temps, jusqu’en 2013, afin de corriger ce qui a été passé sous silence à l’époque. Je vous rappelle que l’économiste en chef du FMI de l’époque, Olivier Blanchard, a admis en 2013, que le programme du Mémorandum « était une erreur ». Et cette erreur, comme l’a souligné Olivier Blanchard, a entraîné un degré de contraction de l’économie grecque beaucoup plus important que prévu à l’origine, avec toutes ses conséquences négatives. Étant donné que cette erreur, bien que discutée dans les médias internationaux, a été traitée comme une « discussion interdite » en Grèce, il serait impératif aujourd’hui de la relancer.
Un autre groupe d’arguments en faveur de l’annulation de la dette, bien que perdu dans un passé lointain, concerne le traitement vraiment incroyable, par les gouvernements grecs respectifs, du prêt d’occupation, des atrocités nazies, qui ont rasé l’économie grecque de l’époque, ainsi que de l’enlèvement. valeur des antiquités. Il y a 81 ans de cela, l’Allemagne refuse de payer ses dettes à la Grèce, et notre pays s’en souvient environ une fois tous les 10 ans, mais même alors, il ne « prend pas de gants » pour soulever cette question épineuse. Un autre groupe d’arguments en faveur de l’annulation de la dette, bien que perdu dans un passé lointain, concerne le traitement vraiment incroyable, par les gouvernements grecs respectifs, du prêt d’occupation, des atrocités nazies, qui ont anéanti l’économie grecque, ainsi que de l’enlèvement d’antiquités de grande valeur. Cela fait 81 ans, mais l’Allemagne refuse de payer ses dettes à la Grèce, et notre pays s’en souvient environ une fois tous les 10 ans, mais même alors, il est assez réticent à aborder cette question épineuse. Au cours de ces huit décennies, pendant lesquelles l’Allemagne refuse de payer ses dettes, la Grèce a été confrontée à de grandes difficultés, qui auraient été moins dévastatrices si la dette avait été remboursée. Notre pays aurait eu un taux de croissance plus rapide que celui qu’il a enregistré, et n’aurait probablement pas été conduit à l’emprise des Mémorandums. En calculant le taux d’intérêt sur toutes ces années, la dette allemande est estimée à environ 1 000 milliards. Or, l’Allemagne continue de refuser d’honorer ses obligations. Mais si un pays comme la Grèce, qui est mis à rude épreuve, cherche des solutions, des solutions peuvent être trouvées. Le Comité, qui vient d’être mis en place et qui a succédé à plusieurs autres, avec la participation de l’IHA, de la Fondation Delivanis et du Congrès gréco-canadien, a discuté de la suspension du remboursement des dettes grecques envers l’Allemagne, comme mesure de pression possible, jusqu’à ce qu’elle rembourse ses dettes beaucoup plus importantes. La confiscation éventuelle des biens allemands en Grèce a également été discutée, ainsi qu’un effort coordonné pour faire largement connaître ce problème en Europe et dans le monde. Si, dans le cas d’une économie aussi riche que l’Allemagne, qui est à la tête de l’UE, le refus de rembourser ses dettes, qui trouvent leur origine dans l’occupation nazie, est si simple, il est raisonnable de se demander pourquoi il n’en va pas de même pour sa victime, la Grèce.
Afin d’éviter, si possible, le 4ème Mémorandum.
(*) Docteur d’Etat ès Sciences Economiques (Sorbonne), ancien Doyen de l’Université de Macédoine, Thessalonique
[Video] Eric Coquerel : « Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne mettra pas en danger le pays »
24 novembre par Eric Coquerel , regards.fr
La dette sera sans doute l’un des grands débats de la campagne présidentielle. À qui appartient la dette ? Faut-il la supprimer ? Éric Coquerel, député de la France insoumise, auteur de Lâchez-nous la dette aux Éditions de l’Atelier, est l’invité de #LaMidinale. Interview et vidéo réalisées par regards.fr
Sur la dette : grave ou pas grave ?
« La dette n’est pas grave. »
« De manière absolue, la dette globale par rapport à un Etat aussi riche que la France – si on veut bien voir le patrimoine global de la France – est quelque chose que l’on peut très bien assumer. »
« Les libéraux nous présentent toujours la dette comme un stock. »
« Si vous achetez un appartement sur 30 ans, personne n’aura l’idée de comparer le prix que ça va vous coûter sur 30 ans sur un an de revenus. C’est ce que font les libéraux en permanence. »
Sur la dette Covid
« La dette Covid est une bonne méthode. Une méthode que je propose d’appliquer pour la dette globale. »
« La dette Covid qui pèse pour 20% de la dette globale, soit environ 700 milliards d’euros et qui n’a pas été utilisée entièrement par le gouvernement, on pourrait l’annuler sans trop de douleur, si ce n’est au prix d’un peu d’inflation. »
Sur les dettes illégitimes
« Les dettes illégitimes sont des dettes qui ont été créées non pas pour servir l’intérêt général mais plutôt pour venir au secours de l’économie capitaliste. »
« En 2009, après la crise des subprimes, Nicolas Sarkozy décide de venir au secours des banques. L’État prête de l’argent aux banques et on a augmenté le déficit des près de 400 milliards. On a socialisé les pertes des banques sans contraintes. On peut estimer que cette dette-là est illégitime. »
« Les dettes causées par la baisse des recettes et des impôts, notamment des impôts des plus riches. On paye avec nos déficits et la dette, les cadeaux aux plus riches. C’est un autre type de dette illégitime. »
Sur la dette privée
« Si on parlait de la dette privée en permanence – comme on le fait sur la dette publique – comme un peu dans un roman policier, on dévoilerait le coupable c’est-à-dire le système capitaliste financiarisé. »
« Pour continuer à consommer, on contraint les ménages à prendre des crédits de plus en plus dangereux. C’est typiquement la crise des subprimes aux États-Unis. »
« La dette privée est le révélateur du rapport de force entre le capital et le travail. »
Sur l’annulation de la dette
« Il y a deux façons d’annuler la dette : il y a une façon indolore et qui pourrait presque passer inaperçu. C’est l’idée qu’on laisse rouler la dette de manière éternelle. Elle va s’éteindre d’elle-même (…). Il y a une autre manière qui consiste à créer de la masse monétaire. On va racheter la dette, ça va créer un peu d’inflation mais dans la période, ça sera quelque chose de très faible. »
« Si le politique reprend le pouvoir sur la question de la dette – c’est-à-dire la souveraineté du peuple et non celle des marchés – on peut décider d’annuler la dette ou de la prolonger. »
« Dans l’histoire, il y a eu des annulations de dette, ne serait-ce qu’en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale. »
Sur les États et la dette
« Un État c’est solide. Les investisseurs ne rêvent que d’une chose : c’est de prêter aux États. »
« La France ne peut pas être en faillite. Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne peut pas mettre en danger le pays. »
« Il faut arrêter avec l’indépendance des banques centrales. »
« Jusque dans les années 80, la dette n’était pas placée sur les marchés financiers. C’est quelque chose de très nouveau. »
Sur les plans de relance et le quoi qu’il en coûte
« Les libéraux ont rompu avec les traités européens. »
« Quand les choses vont mal, les libéraux trouvent l’État bien utile pour aider. »
« En France, on a très peu utilisé la dette Covid, celle qui a été mise à la disposition de chaque État par la BCE. »
Sur l’utilité de la dette
« Il faut définanciariser la dette. On doit pouvoir avoir une maîtrise de notre dette. »
« Si la dette sert à faire des cadeaux au capital et à la rente, aux entreprises sans conditions et sans garanties, elle ne sert à rien. Une grande partie du quoi qu’il en coûte a consisté à prêter de l’argent aux entreprises sans contrepartie. En 2021, les entreprises du CAC40 ont fait 51 milliards de dividendes en supprimant dans le même temps 60.000 postes. »
Sur les marges de manœuvre
« Revenir à l’ISF, en finir avec la flat tax, revenir sur des niches fiscales, taper sur l’évasion fiscale à travers un impôt sur les entreprises : on peut récupérer facilement 120 milliards d’euros par an. Ça fait des marges de manœuvre pour financer la transition écologique. »
Sur le qui va payer la dette
« Pour les cinq ans à venir, les libéraux proposent une baisse historique des dépenses publiques. Et pour être sûr de faire ça, ils proposent une loi pluriannuelle. »
LETTRE DES ASSOCIATIONS GRECQUES DE LA DIASPORA AUX AUTORITÉS ALLEMANDES SUR LA DETTE DE GUERRE ALLEMANDE ENVERS LA GRÈCE
Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis que l’Allemagne hitlérienne a envahi la Grèce le 6 avril 1941. De nombreux massacres ont eu lieu en Grèce jusqu’à la fin de 1944 et la réduction totale de la population du pays pendant la Seconde Guerre mondiale a été de 13,5 %. La Wehrmacht a détruit environ 1770 villes et villages pendant l’occupation, avec 131 holocaustes reconnus jusqu’à présent. En cette année de commémoration, la question de la dette allemande envers la Grèce devient encore plus importante.
Parmi les communautés qui ont souffert des atrocités nazies figurent Distomo, Giannitsa, les villages de la région de Viannos, Kontomari, Kandanos, Alikianos, Anogeia, Damasta, Hortiatis, Kommeno, Kleisoura, Pirogi, Mesobouno, Kerdyllia, Kaisariani, Mousiotitsa, Paramythia, Ypati et Ligkiades. Le pire massacre a eu lieu à Kalavrita et dans les villages voisins où 1 436 personnes ont été exécutées le 13 décembre 1943.
Le catalogue officiel des vols et pillages commis par l’armée allemande pendant l’occupation a été publié par l’État grec en 1946. Il comprend 8500 objets mobiliers anciens qui ont été volés. Ces objets n’ont jamais été restitués et figurent dans certains musées, dans des ventes aux enchères et dans des collections privées.
La Conférence alliée de Paris (novembre 1945-janvier 1946) a convenu d’un montant de 7,181 milliards de dollars (à la valeur d’achat de 1938) pour les réparations de la République fédérale d’Allemagne à la Grèce (ce montant ne comprend pas l’argent dû pour le prêt d’occupation et pour les biens archéologiques et culturels qui ont été pillés). Alors que l’Italie et la Bulgarie ont payé leurs dettes envers la Grèce, l’Allemagne n’a pas remboursé sa dette et a constamment rejeté les demandes grecques d’entamer des négociations entre les deux parties, en utilisant diverses excuses. Plus récemment, l’Allemagne a invoqué le traité 2+4 (Moscou 1990) en prétendant que ce traité avait réglé toutes les questions de réparations de manière complète et totale.
Cependant, le Comité scientifique du Parlement fédéral n’est pas d’accord avec le gouvernement fédéral et admet, dans un rapport publié en 2019, que la Grèce n’a jamais renoncé à ses exigences vis-à-vis de l’Allemagne. En ce qui concerne le traité 2+4 (que l’Allemagne utilise pour soutenir sa position selon laquelle elle a résolu la question des demandes grecques), le Comité scientifique écrit : « Les réparations ne sont pas mentionnées dans le texte du traité. La Grèce, en tant que pays tiers qui n’a pas participé à la formulation du traité, aurait dû accepter explicitement les inconvénients qui la concernent ». En tout état de cause, la Grèce n’est pas liée par un accord auquel elle n’a pas participé, qu’elle n’a pas signé ou ratifié. Au contraire, l’Allemagne est liée par le traité de Londres de 1953 qui contient des dispositions favorables pour elle et qui a permis la reconstruction du pays. L’Allemagne doit honorer sa signature.
Les revendications de la Grèce à l’égard de l’Allemagne concernent les dommages causés au pays et aux citoyens grecs pendant la deuxième guerre mondiale, la perte de vies humaines de citoyens grecs, le remboursement du prêt obligatoire de la Banque de Grèce au troisième Reich, y compris les intérêts, et les réparations restantes de la première guerre mondiale qui n’ont pas été payées. Nous exigeons également le retour des objets archéologiques et autres biens culturels qui ont été volés à la Grèce.
Athènes a soumis au moins trois notes verbales à l’Allemagne pour demander le règlement des dettes envers la Grèce. En novembre 1966, 14 novembre 1995 et 4 juin 2019, par lesquelles l’ouverture de négociations était demandée afin de payer les indemnités de guerre et les indemnisations de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, le remboursement des paiements du prêt et la restitution des biens culturels.
Après quatre-vingts ans, nous demandons au gouvernement allemand, aux partis politiques et aux membres du Parlement fédéral d’ouvrir des négociations avec la Grèce afin de résoudre une question aussi grave. Si la justice prévaut, les relations bilatérales entre la Grèce et l’Allemagne seront renforcées et l’âme des personnes tuées reposera enfin en paix. Cela enverra également un message fort et permanent contre le fascisme.
M. Vasilios Mataragas, président du Conseil national helléno-américain.
Dr Theodore Halatsis, président du Congrès hellénique canadien
Capitaine Evagelos Rigos, Président de l’Association Hellénique Internationale –
Mme Maria Negreponti-Delivanis, ancienne rectrice, présidente de la Fondation Delivani.
M. Ioannis Gekas, Président de l’Association Pan-Macédonienne d’Allemagne.
« Penser les migrations sous le prisme de leur contexte politique, c’est en refuser les explications qui reposent sur des causes conjoncturelles et qui invisibilisent les responsabilités des pays dominants. La majorité des personnes migrantes viennent de pays qui se situent dans des régions du Sud lourdement fragilisées par des siècles de colonialisme, puis de politiques néolibérales imposées par les pays du Nord. Les personnes migrantes se déplacent donc bien souvent pour tenter d’échapper à la misère engendrée dans leur pays d’origine par les politiques d’ajustement liées au remboursement de la dette imposées par principaux créanciers : les Institutions financières internationales (IFIs), banques et gouvernements du Nord. Ces mesures reposent sur l’extractivisme, l’accaparement des terres, sur la perturbation des économies locales et le détricotage des mécanisme de protection sociale. »
Dans l’introduction, Dettes et déplacements, les auteurs et autrices rappellent que « La dette est ainsi un outil de domination et de transfert des richesses qui provoque des déplacements importants de population, au Sud comme au Nord ». Elles et ils abordent l’endettement des personnes qui « compense » le fait que les Etats ne s’acquittent pas de l’obligation de « de promouvoir et de réaliser les droits humains », le recours croissant à l’endettement pour financer les coûts de la migration, la servitude pour dettes, les migrant·es qualifié·es d’illégaux et qui forment une main d’œuvre sous-payée, les politiques migratoires très restrictives des pays du Nord, Frontex (en complément possible, Abolissez Frontex, mettez fin au régime frontalier de l’Union Européenne et Claire Rodier : Frontex, Plateforme européenne du business migratoire, les instruments de répressions des migrations, l’externalisation des frontières, « Les politiques contemporaines, véritables nécropolitiques, liées à la défense et à la gestion des frontières, restent profondément imbriquées à la mort ».
« À travers ce nouveau numéro des Autres voix de la planète, c’est un portrait de ce lien, depuis les pays du Sud, et pas uniquement sur les pays du Sud, qui est dressé. Un premier ensemble de textes évoque les facteurs historiques et structurels des migrations. Ces articles rappellent comment l’ampleur des destructions de la colonisation et le maintien des dépendances économiques et politiques après les indépendances causent des migrations. Le deuxième ensemble de textes évoque les fonctions économiques systémiques qu’exercent les immigrations contemporaines, dont la sécurisation et l’externalisation des frontières en sont une des facettes. La troisième partie montre comment les crises économiques et les migrations sont éminemment imbriquées. Elle souligne également que ce lien de cause à effet se déplace car, désormais, certains chemins migratoires fuient les réformes structurelles qui touchent également les pays du Nord. La quatrième partie éclaire sur ce que la dette et les politiques migratoires « font », aux personnes migrantes, souvent poussées à s’endetter dans leurs parcours migratoires. Pour finir, nous proposons de faire état de pistes d’actions, de mobilisations solidaires, qui montrent la possibilité d’autres manières de réellement accueillir, de faire hospitalité. Repenser l’hospitalité prend ici la forme d’une réparation a minima que les pays riches, les pays du Nord, les pays (néo) colonisateurs doivent à l’égard des peuples et territoires exploités ».
Une remarque préalable. L’article 13 de La Déclaration universelle des Droits des êtres humains précise que Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat et que Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Cet article n’est pas réservé aux habitant·es des pays du Nord global nommé·es expatrié·es lorsqu’iels sont migrant·es. Les êtres humains expatriés ou migrants ne peuvent-être considérés comme illégaux.
Quelques éléments choisi subjectivement parmi les différents textes.
Les causes historiques et structurelles des migrations sont analysées dans un premier chapitre.
Saïd Bouamama aborde les facteurs – généralement oubliés – systémiques et structurels des migrations contemporaines, l’ampleur des destructions des périodes coloniales, « Le but de la colonisation occidentale est la destruction totale des logiques économiques [et en conséquence également politiques, culturelles, etc.] dominantes auparavant dans ces pays pour imposer une logique économique correspondant aux intérêts de l’économie du pays colonisateur et de sa classe dominante », l’unification hiérarchisée du monde, les dépendances structurelles des économies dites de la périphérie, l’engendrement d’une « surpopulation permanente » par la destruction de l’agriculture paysanne, les effets des plans d’ajustements structurels, les zones de et les « statuts » de non-droit, la dépendance comme forme systémique « prenant le relais de la colonisation d’avant-hier et du néocolonialisme d’hier »…
Ndongo Samba Sylla discute de la libre circulation des biens et des capitaux mais pas des femmes et des hommes, de la Méditerranée transformée en cimetière, du caractère non-soutenable du système capitaliste, de la concentration des revenus et des patrimoines, des écarts entre niveaux de vie, de « prime de classe » et de « prime de résidence » (« Nous ne naissons donc pas égaux/égales »), des barrières mises en place pour entraver la circulation des personnes, de la création « d’une classe globale de surnuméraires »…
Virginie de Romanet« s’intéresse à l’impact de la Banque mondiale et de l’évolution du contexte économique sur la dégradation des conditions de vie qui s’en est suivie et au manque d’opportunités économiques pour les populations fragilisées ». Elle aborde aussi les dettes coloniales, les migrations, « une part très conséquente de l’immigration a lieu entre pays du Sud », la fuite des cerveaux dont les médecin·es, les impacts du changement climatique.
L’autrice souligne deux points :
« Tout être humain devrait pouvoir choisir l’endroit où il souhaite s’installer et vivre et il devrait s’agir d’un vrai choix et non d’un choix contraint par des conditions économiques ou politiques défavorables »
« Seule l’annulation de la dette, des réparations pour l’exploitation et le pillage colonial et néocolonial, et d’autres transformations fondamentales nécessaires, pourront mettre fin à cette situation »
Nicolas Sersiron discute de la part des facteurs environnementaux dans la croissance des migrations ; les cause visibles, les causes profondes (pauvreté publique, absence de filet social), les destructions de territoires de vie par des multinationales extractives, les accaparements de terres. L’auteur analyse les effets du colonialisme et du néocolonialisme, les techniques d’endettement, la corruption, la concurrence « déloyale » des produits des multinationales, les transferts du Sud au Nord…
Il souligne qu’« il y a peu de migrations environnementales là où il existe des revenus dignes ». Il aborde la non prise en compte des « externalités négatives », les déchets de la consommation effrénée dans les pays industrialisés, la dette écologique envers les populations du Sud…
« Le patriarcat au centre des migrations : Une analyse structurelle et imbricationiste ». Des extraits d’un texte de Jules Falquet sont proposés à la lecture. Je rappelle son important livre, Imbrication. Femmes, race et classe dans les mouvements sociaux. Une citation : « Les nouvelles modalités du travail requièrent des « qualités typiquement féminines » : acceptation du temps partiel et infiniment extensible à la fois, polyvalence et implication « totale », notamment émotionnelle, qui dessinent des formes de servilité normalisées et généralisées ».
L’autrice aborde les « femmes de services » et les « hommes en armes », les effets délétères pour les femmes de la mondialisation néolibérale, les nouveaux emplois féminins et les migrations, l’état de guerre et de contrôle généralisé, les complexes militaro-industriel…
Le second chapitre est consacré aux fonctions économiques et politiques des migrations.
Claire Rodier analyse ce qu’est et ce que fait Frontex. Elle discute de celles et ceux qui doivent fuir leurs pays, des liens entre Frontex et l’industrie militaro-sécuritaire, la surveillance, « Ce choix d’investir dans la surveillance plutôt que dans le sauvetage des vies humaines explique qu’en 2019, la proportion de boat people qui ont perdu la vie en tentant la traversée de la Méditerranée pour rejoindre l’Europe a atteint le seuil historique de 14% (contre en moyenne 2% au cours des années précédentes) », les violations des droits des personnes migrantes…
Il faut s’interroger sur qui profite de la « gestion » des migrations. Jérome Duval, Benoît Coumont et Ludivine Faniel reviennent sur le droit fondamental de liberté de circulation et les politiques sécuritaires qui bafouent ce droit. Iels discutent des moyens militaires mis en place, la délégation de tâches à des entreprises privées, la chaine de sous-traitance, le business florissant du contrôle des frontières, la gestion des centres de détention, « en définitive, la politique anti-migratoire mise en œuvre par l’UE tue »…
Un article est consacré aux politiques migratoires et sécuritaires européennes au Niger, l’association des « enjeux migratoires » aux questions de « l’aide au développement et de la sécurité », les contraintes d’adaptation que cela fait peser sur le Niger et limite les capacités à « décider et agir », le (non) respect des conventions internationales de protection des droits des personnes migrantes….
Stathis Kouvelakis aborde l’histoire récente de la Grèce, la logique des mémorandums, « la logique de ces mémorandums est similaire à celle des programmes d’ajustement structurel », la réduction du rôle des organisations représentatives, le bradage du « patrimoine public », le saccage des ressources naturelles et de l’environnement… Je regrette que l’auteur parle de « souveraineté nationale de l’Etat grec » et non de souveraineté populaire (l’Etat grec, un rouage du fonctionnement du capitalisme, ne pouvant être considéré comme organe de cette souveraineté).
Cet article est complété par une analyse des pratiques de la police anti-émeute grecque, de la « gestion » de la frontière entre Grèce et Turquie, « Un nuage néofasciste plane au-dessus des frontières entre la Grèce et la Turquie »,la montée de partis néofascistes en Europe…
Le troisième chapitre aborde plus précisément« Crises économiques, dettes et migrations ».
« Les dérives autoritaires et répressives – policières et militaires, voire paramilitaires – particulièrement à l’œuvre au Honduras, au Nicaragua, au Salvador et au Guatemala à l’encontre de toute dynamique de contestation ou à la faveur des politiques de confinements… aggravent encore le panorama ». Bernard Duterme analyse la situation en Amérique centrale, « Une crise de trop », les effets de la pandémie sur la pauvreté et les inégalités, l’aggravation de la « crise » migratoire, « environ 400 000 Centro-Américain·es tentent chaque année de passer aux Etats-Unis », la fuite face aux violences, les espoirs de réunification familiale, les possibles inversions de tendance du coté de la démocratisation et de l’émancipation…
Je souligne le très intéressant article de Fatima Martin et Jérome Duval, « L’Espagne a basculé de l’immigration à l’émigration en cinq ans de crise de 2008 à 2013 », la chute de la population depuis 2012, le basculement démographique, « L’Espagne était l’un des pays les plus jeunes en 1960. En 2060, il sera l’un des plus vieux, avec un âge moyen de 49,7 ans », le solde migratoire négatif…
Lucile Daumas aborde les « Les politiques migratoires européennes vues du Maroc », le slogan « la mort plutôt que l’humiliation » de certain·es rifain·es lors de leurs mobilisations, le détroit de Gibraltar, les grilles et les murs érigés pour empêcher la sortie des personnes du Maroc, la coopération et la sous-traitance dans la gestion des frontières, les migrant·es d’« Afrique noire » et leurs parcours stoppés au Maroc, les visions sécuritaires de la migration, les migrations circulaires (exemple des travailleuses de la fraise)…
Christine Vanden Daelen analyse « La dette, mécanisme infernal au cœur de la féminisation des migrations », l’imbrication des rapports sociaux, « Ainsi, capitalisme, patriarcat et racisme s’imbriquent et renforcent mutuellement leurs oppressions », les impacts sexospécifiques du système dette, les effets du démantèlement de l’« Etat social », « Les privatisations et coupes budgétaires imposés aux services publics et sociaux les affectent spécifiquement comme travailleuses, usagères et bénéficiaires majoritaires de ces secteurs mais également comme mères, compagnes, filles… », l’accaparement de terre et l’extractivisme qui prive « les femmes de leurs moyens de subsistance et territoires », les effets du « tout à l’exportation », le microcrédit, les chemins de l’émigration « cadenassés par la dette », les femmes de services et la « reproduction sociale »… « La spirale infernale de la dette atteint ainsi son paroxysme et démontre combien toute stratégie d’émancipation gagne à inclure dans les revendications l’abolition des dettes illégitimes ».
Dans le quatrième chapitre sont examinées« Ce que les politiques migratoires font aux personnes migrantes ».
Anaïs Carton analyse la situation de « travailleuses domestiques migrantes au Liban, le parcours de la dette » n’est pas propre au Nord global. L’autrice parle de ces femmes « non-arabes » étrangères au Liban, « Les travailleuses domestiques subissent donc trois formes de domination : en tant que migrantes, en tant que femmes, et en tant que travailleuses. Au Liban, cette division sexuelle, sociale et internationale du travail produit des rapports de domination entretenus par le système qui organise cette migration, la kafala », l’absence de protection sociale, « la relation de service qui lie ces femmes à un kafil est donc éminemment marquée par le joug d’une domination », les réseaux de recrutement, la servitude pour dette, la division sexuelle du travail…
Sushovan Dhar aborde les « différentes formes de dettes envers une diversité d’acteurs », les conditions de travail de femmes indiennes dans le pays du golfe, le développement de la prostitution, le système de la « kalafa », l’esclavage moderne, les pièges de la dette et de l’exploitation, « La migration ouvrière et le piège de la dette qui y est associé ont comme conséquence de graves restrictions des libertés des travailleurs/euses en les fixant dans des relations de pouvoir et de dépendance très asymétriques »…
Dans un entretien Richecarde Célestin, revient sur indépendance de Haïti, la continuité entre société coloniale et société d’exploitation et d’exclusion, le boulet de la dette, les formes d’esclavage sous les Duvallier, la violence de l’oligarchie en défense de ses privilèges, la problématique de l’identification, « L’arrêt 168-13 de 2013, pris par la Cour constitutionnelle dominicaine, faisait partie d’une politique migratoire pour contrôler le nombre de ressortissant·es haïtien·nes sur son territoire. Il dénationalise des personnes qui sont nées en République dominicaine alors que la constitution prévoit la nationalité pour toutes les personnes qui sont nées sur le territoire. C’est là que l’État haïtien a réagi avec le Programme d’identification et de documentation des immigrés haïtiens en République dominicaine (PIDIH) », les violations des droits humains…
Laurenne Makubikua K, « L’Europe à tout prix », parle du cout humain et financier de la traversée des océans, de sa vie à Kinshasa et de son parcours, de l’asile refusé, « On ne te frappe pas physiquement, mais tu es abattue à l’intérieur de toi », de la situation d’endettement, des réseaux de solidarité…
Le dernier chapitre est consacré à quelques pistes d’action.
Lucile Daumas fait une lecture critique du « pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière », l’absence de référence à « la liberté de circulation des personnes et au droit de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat et de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays », la légitimation de la criminalisation de la migration et de l’aide apportée aux personnes migrantes, le choix de la migration dite sélective, la distinction entre migrant·es et réfugié·es, les boites à outils « légitimant les pratiques actuelles en matière d’obstacles à la liberté de circulation », l’autorisation des camps de rétention, l’instauration de zones de non-droits, l’internement administratif, le refus « d’égalité de droits des personnes vivant sur un même territoire ». Il convient d’opposer à cela le droit international et la régularisation des personnes migrantes…
« Seules la démilitarisation du monde, la lutte effective contre le réchauffement climatique et l’annulation de l’ensemble des mécanismes qui maintiennent les pays du Sud dans la dépendance et le mal-développement permettront de bannir les migrations forcées et d’aller dans le sens de migrations réellement volontaires »
Les enjeux des uns sont de « contrôler les frontières, de construire des centres fermés, d’y enfermer des personnes innocentes » en dépensant allégrement les deniers publics, d’entraver « le droit de vivre tout simplement là où on se sent en sécurité », de créer la misère pour le bénéfice de quelques-uns. Ils construisent un monde d’inégalités, de murs, de frontières sauf pour les marchandises. Ils ne respectent ni les droits fondamentaux ni les traités internationaux. Leurs politiques ont fait de la Méditerranée un cimetière.
Un numéro très riche pour comprendre ce que la division internationale du travail et le dette font aux femmes et aux hommes.
Nous devons et nous pouvons nous opposer à cette Europe forteresse…
AVP 80 – Les autres voix de la planète : Dettes & migrations : Divisions internationales au service du capital
Refusons l’instrumentalisation de la dette pour imposer de nouvelles politiques d’austérité ! par Attac France.
La Commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, ancien ministre des finances de Jacques Chirac, vient de rendre son rapport. Sans surprise, malgré une prudence de forme, il ressasse les vieilles rengaines libérales et vise à préparer l’opinion publique à une future politique d’austérité. Présentée dans la presse comme censée « faire de la pédagogie auprès de l’opinion sur la nécessité de reprendre le contrôle de la dette », la Commission Arthuis mène en réalité un véritable travail d’enfumage de l’opinion.
Ainsi la commission ose écrire qu’ « il faut être clair sur ce point : il n’y a pas d’argent magique ». Quand on sait que son mandat excluait toute hausse d’impôt, on comprend mieux cette affirmation. En effet, s’il n’est pas possible de faire payer leur juste part d’impôt aux plus riches et aux grandes entreprises qui échappent aujourd’hui massivement à l’impôt, s’il n’est pas possible de rétablir un impôt sur la fortune ou la progressivité de l’imposition des revenus financiers, s’il n’est pas possible de taxer les entreprises là où elles réalisent leurs activités plutôt que là où elles déclarent artificiellement leurs profits, et si on exclut toute possibilité d’annulation de la dette ou de dette perpétuelle, alors en effet il ne reste comme seule solution que les politiques d’austérité, la poursuite de la casse des services publics et de la protection sociale.
Si la Commission « se défend de préparer le terrain à l’austérité », elle propose d’instaurer une « règle d’or sur la dépense publique », reposant sur l’idée que « l’évolution des dépenses soit inférieure à l’évolution des recettes », ce qui revient de fait à imposer une politique d’austérité et à réduire les choix démocratiques en matière de budget.
On se souvient par ailleurs que l’argument de l’absence d’ « argent magique » avait été utilisé par Emmanuel Macron pour refuser aux personnels hospitaliers de leur donner les moyens de travailler. De l’argent magique, il y en a pourtant quand il s’agit de distribuer « quoiqu’il en coûte » des aides massives aux grandes entreprises, sans aucune contrepartie sociale, fiscale ou environnementale.
Mystérieusement, la Commission oublie de présenter la lutte contre l’évasion fiscale comme un moyen de réduire les déficits publics. Elle omet également de « faire de la pédagogie » pour expliquer à l’opinion que le gouvernement a décidé de prolonger la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale), qui prélève tous les revenus aux taux de 0,5 %, sans aucun souci de justice fiscale.
De plus, elle prône une nouvelle « gouvernance » en proposant de séparer le Haut conseil des finances publiques de la Cour des comptes, à laquelle il est actuellement rattaché. Alors que la Cour des comptes est remise en question dans ses missions juridictionnelles de juge des comptes publics, une telle séparation a de quoi interroger sur le mode de gouvernance envisagé discrètement par la Commission. Va-t-on vers une entité dont le statut n’est pas clarifié et donc la légitimité serait questionnée, et ayant pour objectif de procéder à des injonctions au gouvernement sans éclairage de la Cour des comptes ?
Face à l’enfumage orchestré par la Commission Arthuis, Attac :
rejette la logique néolibérale de cette « remise en ordre » qui entraînera un retour à l’austérité budgétaire dont la crise sanitaire a démontré les effets tragiques sur les inégalités, sur l’hôpital public et notre système de santé.
affirme son refus de voir la dette publique instrumentalisée pour imposer une nouvelle cure d’austérité
considère que l’objectif doit être de réduire l’emprise des marchés financiers sur les politiques publiques par : 1. un audit citoyen sur la dette 2. une restructuration et une annulation partielle de la dette détenue par la BCE en fonction d’objectifs écologiques 3. le financement monétaire des dépenses publiques prioritaires 4. la réduction de la dette détenue par les créanciers étrangers.
propose de remplacer l’injuste CRDS par une CRDC (Contribution au remboursement de la dette Covid) payée par les plus riches et les grandes entreprises dans un souci de justice fiscale.
Ces revendications ont été détaillées dans la note « Qui doit payer la dette Covid ? »
Attac publiera ce vendredi une tribune dans Libération, signée par de nombreux économistes, artistes, responsables associatifs et syndicaux.
Par Gilles Grégoire Permanent au CADTM Belgique et membre d’ACiDe
Alors qu’elle fait partie de notre quotidien depuis toujours, la dette est devenue un concept abstrait, inaccessible, purement technique et, par conséquent, totalement dépolitisé. Qu’on parle de dette publique ou de dette privée, il semble établit que « une dette ça se rembourse » et point à la ligne. Or, les dettes ont aujourd’hui colonisé chaque recoin de l’économie mondiale. Elles servent de prétexte à des pratiques qui génèrent d’importants bénéfices pour certaines personnes et ont des conséquences dramatiques pour beaucoup d’autres. Il est dès lors fondamental de repolitiser l’enjeu de la dette, d’en questionner la légitimité et de mettre en place des outils qui permettent d’exercer sur elle, ainsi que sur l’ensemble des finances publiques, un réel contrôle citoyen.
Sommaire
Les deux faces de la dette
La dette comme outil de domination et de transfert des richesses
Le règne de la dette
L’institution imaginaire de la dette
Au-delà de la dette, la nécessité d’une réappropriation collective des finances (…)
Les deux faces de la dette
Dans l’imaginaire collectif, la dette fait partie des concepts qui appartiennent, à la fois, à la réalité concrète et immédiatement tangible du quotidien et à la nébuleuse de notions qui peuple le langage des « experts ». Ceux-ci nous répètent régulièrement son importance fondamentale dans notre économie mais n’en rendent pas pour autant son lien avec nos vies plus évident. D’un côté, il y a les dettes auxquelles nous devons faire face tous les jours : les emprunts pour la maison, la voiture, et pour certain·e·s de plus en plus nombreuses/eux, pour pouvoir faire les courses, pour le minerval à payer en plusieurs mensualités, la facture d’abonnement téléphonique, la tournée de bière due après celle offerte par les autres, etc. De l’autre, il y a les dettes dont il est question dans les médias- la dette publique (grecque, belge, ou autre), la « bulle de dettes privées », les titres (actions, obligations et produits dérivés) en circulation sur « les marchés » et détenus par les hedges funds, banques d’investissement, banques centrales et fonds vautours– et qui semblent au centre des préoccupations des décideurs politiques mais dont personne, en ce compris ces mêmes décideurs politiques, ne semble pouvoir/vouloir expliquer d’où elles viennent, qui les détient ni pourquoi elles sont dues.
L’utilisation de la dette comme outil de transfert de richesses et de soumission des classes laborieuses n’est pas une pratique récente
Si, dans son premier aspect, la dette nous apparaît comme un concept évident, c’est parce qu’elle fait partie des sociétés humaines depuis aussi longtemps qu’elles existent. Elle précède de très loin la naissance du capitalisme et même l’invention de la monnaie et du commerce. « Si je te donne quelque chose, tu me dois quelque chose en retour » résume le concept de la dette mais aussi de l’échange lui-même. On pourrait donc dire que la dette peut [1] se retrouver à la base même du fait social. Si elle est également devenue un sujet aussi abstrait qu’inaccessible, c’est pour deux raisons :
Parce que d’une pratique quotidienne ancestrale, banale et impliquant clairement un esprit de réciprocité, elle s’est transformée en un outil de domination sociale et de transfert des richesses globalisé,
Parce qu’elle a colonisé en profondeur chaque recoin de l’économie mondiale.
La dette comme outil de domination et de transfert des richesses
L’utilisation de la dette comme outil de transfert de richesses et de soumission des classes laborieuses n’est pas une pratique récente. Depuis des siècles, les soubresauts de la démocratie ont régulièrement été liés au niveau d’endettement des populations. Quand celui-ci devenait trop élevé et qu’une partie importante du peuple était réduite à la servitude au profit de quelques créanciers, cela débouchait sur des révoltes et, au final, sur des annulations de dettes, parfois accompagnées de la chute de la hiérarchie sociale en place. Ainsi, ces annulations de dettes périodiques sont inscrites dans de nombreuses cultures comme condition de l’équilibre social, et pendant 4000 ans, en Europe également [2]. L’Histoire raconte par exemple que la démocratie athénienne (quelle qu’imparfaite qu’elle fut) naquit, en -594, de manière concomitante à la révolte du peuple de la cité (les « demos ») très largement endetté, contres ses créanciers et à l’interdiction de l’esclavage pour dette (qui réapparut bien sûr par la suite). Les révoltes populaires en cours au Liban, au Chili, au Honduras, en Haïti, au Soudan, en Équateur mais aussi en France et en Belgique avec les Gilets jaunes, et qui se cristallisent autour du « coût de la vie » trop élevé et le rejet de la classe dominante, s’inscrivent manifestement dans cette même lignée.
Quand il commença à s’imposer il y a cinq siècles, le capitalisme sut s’appuyer efficacement sur le système de domination par la dette, au point que ce dernier devint l’un de ses rouages fondamentaux. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la dette permit le maintien de l’exploitation des populations du Sud par les ex-puissances coloniales. Les dettes contractées par les colonisateurs auprès de la Banque mondiale dès 1950, indispensables aux métropoles européennes pour maximiser l’exploitation de leurs colonies, ont ensuite été transférées aux peuples colonisés au moment de leur accession à l’indépendance. Les nouveaux dirigeants étaient priés d’obtempérer, sous peine de disparition violente (pensons à Patrice Lumumba et à Thomas Sankara). Une indépendance de façade donc, concédée tel un cadeau empoisonné accompagné d’un transfert de la dette coloniale, opéré sans le consentement des pays concernés [3]. Aujourd’hui encore, les grands pays créanciers s’assurent de la sauvegarde de leurs intérêts dans le Sud au sein du « Club de Paris » [4] et avec l’appui de la Banque mondiale et du FMI. Les réformes qu’ils imposent aux pays du Sud, en échange de quelques ajustements sur leur dette, contraignent ces derniers à libéraliser au maximum leurs économies et à construire celles-ci sur la base d’exportations massives de matières premières, mettant ainsi en péril le cadre de vie et la souveraineté alimentaire des populations locales.
La dette publique est devenue le prétexte n°1 pour imposer la réduction des dépenses publiques (via les privatisations et les partenariats publics-privés), ainsi que la dérégulation des marchés et la « flexibilisation » des normes du travail
Comme en témoigne l’exemple de la Grèce, ce chantage ne s’applique plus uniquement aux populations du Sud mais également à celles du Nord. Partout, la dette publique est devenue le prétexte n°1 pour imposer la réduction des dépenses publiques (via les privatisations et les partenariats publics-privés), ainsi que la dérégulation des marchés et la « flexibilisation » des normes du travail qui ne bénéficient in fine qu’aux grandes entreprises, au mépris de toute notion d’intérêt général. Les banques elles aussi, sont parmi les grandes gagnantes de ce mécanisme. En effet, après avoir vu leurs bilans s’effondrer lors de la crise financière de 2008, leurs dettes ont été transférées aux États, via les différentes phases des sauvetages bancaires et ce sont à nouveau elles qui, aujourd’hui, conditionnent le financement des États aux efforts budgétaires qu’ils fournissent. On assiste donc à une « socialisation des pertes » suivie d’une « privatisation des profits » en trois étapes :
La dette privée créée par la spéculation des institutions financières et des grandes entreprises forme une bulle qui finit par leur éclater à la figure.
Les ménages et les PME sont les premières victimes alors que les États s’endettent pour sauver les responsables.
Une fois que les banques sont sauvées et recommencent à générer du profit, elles sont remises dans les mains des actionnaires privés (les plans qui concernent Belfius en sont un parfait exemple [5]) et le reste de la population est prié de se serrer la ceinture pour espérer relancer la croissance (c’est-à-dire la productivité des entreprises) au prétexte de sauver l’emploi.
Le règne de la dette
Ce schéma de transfert de richesses de la population vers les détenteurs de capitaux via l’endettement n’est donc ni récent ni accidentel mais la financiarisation de l’économie l’a fortement étendu et renforcé.
La financiarisation du capitalisme implique, par rapport à la phase industrielle qui la précédait [6], un recours généralisé de la part des entreprises mondialisées et des États à l’endettement pour assurer leur financement. Ces dettes -et les produits financiers qui peuvent en être dérivés– étant ensuite massivement achetées et revendues sur ce qu’on appelle « les marchés ». Ce système est hautement instable puisque basé sur des spéculations -parfois contradictoires- et à l’avantage unique et manifeste des détenteurs de capitaux. Les capitaux émis par les très grandes entreprises (leurs actions) sont donc généralement davantage considérés par leurs propriétaires comme des valeurs mobilières (échangeables et valorisables) assorties d’un droit de créance, plutôt que comme des titres de propriété, comme c’était le cas avec le capitalisme industriel. Cela signifie entre autres qu’ils ne sont pas utilisés pour augmenter la valeur réelle de l’entreprise mais pour augmenter à (très) court terme la valeur fictive du titre en tant que tel pour espérer engranger un maximum de profits en le revendant. Bien entendu, cela n’empêche pas les actionnaires d’exiger dans le même temps les plus hauts rendements pour leurs dividendes. À l’évidence, ce type de gestion des grandes entreprises se moque allègrement de son impact sur la société et l’environnement et va totalement à l’encontre de la pérennité même des entreprises, en les conduisant invariablement à mener de nombreuses phases de « restructuration » jusqu’à finalement déposer le bilan, être absorbées par une entreprise plus grande et plus pérenne, ou à être emportées par le prochain choc boursier.
Non, une dette ne se rembourse pas par principe et sous n’importe quelle condition
Le droit de propriété étant forcément inexistant sur les biens publics, ces derniers sont dès lors, soit purement et simplement détruits pour laisser la place aux grandes entreprises privées [7], soit privatisés pour permettre aux détenteurs de capitaux, en plus de retirer les bénéfices réels que pourraient générer ces biens, d’influer sur leur valeur spéculative et ainsi augmenter les profits qu’ils en retireront. Au bout du compte, la privatisation des services publics et leur marchandisation conduisent à une réduction importante de l’accès à ces services et contraignent les ménages à recourir eux-mêmes davantage à l’endettement pour subvenir à leurs besoins fondamentaux ou pour rembourser les dettes qu’ils avaient déjà (tels leurs emprunts hypothécaires). Ces nouvelles dettes (et leurs produits dérivés) gonflent encore le transfert de richesses vers les créanciers et sont, elles aussi, sujettes à leurs jeux spéculatifs. Cette véritable « accumulation par expropriation » [8] est bien entendu également alimentée par les injustices fiscales. Enfin, comme dit plus haut, lors des éclatements inévitables et répétés de ces gigantesques bulles de crédits (tel qu’en 2007-2008 et, de plus en plus probablement, dans un futur proche [9]), la charge des pertes colossales enregistrées par les créanciers est reportée sur les débiteur/trice·s, c’est à dire sur les États et in fine, sur la population. Ce système d’accaparement massif basé sur la spéculation et la vampirisation des ressources et des produits de l’économie par le capital est par essence anti-démocratique et destructeur des droits sociaux et de l’environnement.
L’institution imaginaire de la dette
C’est précisément parce la dette constitue à ce point un pilier de l’économie capitaliste financiarisée qu’elle est si peu abordée en terme concrets. La dette, comme d’autres institutions sur lesquelles le système politique et économique base sa légitimité, est aujourd’hui instituée comme un état de fait, dépolitisé dont on ne débat qu’à propos d’aspects techniques sans aborder son bien-fondé, sa légitimité en tant que telle. « Une dette ça se rembourse » et point à la ligne. Or, lorsque le mantra a remplacé la réflexion, lorsque l’objet de discussion est devenu un symbole inerte qui se suffit à lui-même et sert à justifier l’injustifiable, le bon sens oblige de le destituer pour le requestionner, le politiser à nouveau et évaluer son fondement. Non, une dette ne se rembourse pas par principe et sous n’importe quelle condition. Encore faut-il, au minimum, prouver qu’elle est effectivement due. Et, ensuite, évaluer ce qu’implique son remboursement. Si cela semble couler de source, c’est pourtant au discours inverse auquel la population est confrontée par les créanciers et les États.
La dette n’est pas une question strictement technique ou budgétaire, c’est un enjeu éminemment politique
Le fait qu’il y ait aujourd’hui une montagne de dettes privées et publiques ne peut rationnellement s’expliquer par le seul fait que « nous » aurions « vécu au-dessus de nos moyens » . Ces dettes ont des origines définies, sont détenues par des personnes physiques ou morales identifiables qui en retirent un profit chiffrable, ont été contractées dans des conditions et à des fins dont la légitimité peut être débattue et, qui plus est, servent globalement une fonction précise. Et dès lors, une fois ces paramètres questionnés, le bien-fondé de leur remboursement peut et doit également être évalué. La dette n’est pas une question strictement technique ou budgétaire, c’est un enjeu éminemment politique.
Au-delà de la dette, la nécessité d’une réappropriation collective des finances publiques
Quelle prise alors avons-nous sur cet enjeu pour le ramener au centre du débat et en questionner la légitimité ? Et, quand bien même parviendrions-nous à faire entamer ce débat et à destituer symboliquement l’enjeu de la dette, comment pourrions-nous réellement venir à bout de ce système de domination ? Car si la dette est un pilier fondamental du capitalisme financiarisé, c’est bien de ce dernier dans son ensemble qu’il faut venir à bout et dont la résistance, quand on s’attaque à l’un de ses fondements, n’est pas à démontrer.
Bien sûr, il n’y a pas de formule magique, ni d’alternative qui tienne d’un bloc. Il y a par contre des outils modestes, souvent fragiles mais toutefois efficaces et qui se basent sur les principes clés que sont notamment la reconstruction de communautés locales actives et porteuses de débats, la revendication d’accès direct au pouvoir politique et de son contrôle et la construction de contre-discours. L’audit citoyen de la dette en fait partie. Celui-ci consiste à rassembler, principalement à l’échelle locale mais parfois aussi à des niveaux plus larges, des citoyennes et citoyens qui décident de se réapproprier les comptes publics. Elles et ils exigent des autorités politiques qu’elles leur délivrent les informations nécessaires (et rendues intelligibles) pour analyser l’origine des dettes réclamées à leur commune (ou région, ou État), les conditions dans lesquelles elles ont été contractées, qui les détient et si elles ont profité à l’intérêt général ou non. Il s’agit d’un réel combat vu d’une part la réticence des autorités à délivrer les informations nécessaires à ce travail (bien que, en Belgique, la loi les y oblige) et d’autre part, la difficulté à mobiliser autour de la question de la dette. Mais lorsqu’ils y parviennent, ces groupes produisent des recherches qui sont parfois en mesure de réellement mettre à mal l’argumentaire défendant la légitimité du remboursement de la dette [10].
Mais puisqu’il ne s’agit pas seulement de susciter le débat mais de mettre en place de réelles pratiques démocratiques à l’encontre du pouvoir financier et de ne pas se limiter à la dette mais d’initier une réelle réappropriation collective de l’enjeu du financement du bien commun, il importe de considérer cet outil qu’est l’audit citoyen dans une fonction plus large. Celle d’un réel contrôle citoyen permanent sur les finances publiques dans leur ensemble [11]. En ce sens, il s’agit de construire des communautés locales de personnes et d’associations (allant des groupes militants au club de foot local en passant par les maisons de jeunes) s’alliant pour exercer ce contrôle et pour faire poids ensemble sur les autorités publiques pour rendre ce contrôle effectif. La mise en place d’un système réellement démocratique, instaurant une égalité effective entre les individus et leur garantissant une réelle liberté passe nécessairement par une refonte radicale du système économique et de son paradigme productif. L’échelon local est à la base de tout changement profond de société qui puisse être réellement démocratique. De plus, en Belgique, 40 % des investissements publics sont portés par les communes. Bien que le niveau de pouvoir soit « à la base », sa réappropriation aurait des effets conséquents. Si d’autres alternatives sont bien entendu nécessaires aux niveaux de pouvoir supérieurs, pour s’attaquer à l’enjeu de la dette dans une perspective de réappropriation démocratique des finances, c’est par l’échelon local qu’il faut commencer. Le chantier est ouvert.
Pour plus d’informations sur les audits citoyens en Belgique : www.auditcitoyen.be
Cet article a été initialement publié dans la revue Bruxelles Laïque Echos n°107 – L’économie de la critique. La version numérique de cette revue est disponible à cette adresse : https://issuu.com/bxllaique/docs/ble107
Notes
[1] « Peut » se retrouver car, bien entendu, l’acte de donner indépendamment de toute réciprocité constitue lui aussi la base de l’acte social.
[2] Voir la présentation « À qui profite la dette » du collectif ACiDe Liège et le livre d’Éric Toussaint, Le Système dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, français, Les Liens qui libèrent, 2017.
[3] « Dettes coloniales et réparations », Trimestriel Les Autres Voix de la Planète, n°76, CADTM, 1er trimestre 2019.
[4] Maud Bailly, « Quel est le rôle du Club de Paris ? », CADTM, 2017.
[5] Voir le manifeste de la plateforme Belfius est à nous sur http://www.belfiusestanous.be/manifeste/
[6] La phase de financiarisation n’étant que la suite logique du même système une fois qu’il se mondialise et qu’il ne rencontre plus d’obstacles à sa circulation.
[7] Souvent progressivement, en réduisant de plus en plus leur financement, et donc leur efficacité, pour au final justifier leur remplacement par des services privés au prétexte que ces derniers seraient plus performants.
[8] Selon l’expression de l’économiste David Harvey.
[9] Lire les deux articles d’Eric Toussaint, « Panique à la Réserve Fédérale et retour du Credit Crunch sur un océan de dettes », CADTM, septembre 2019 et « Retour sur la panique à la Réserve fédérale en septembre 2019 et les solutions à la crise », CADTM, octobre 2019
[10] Le travail du Réseau municipaliste contre la dette illégitime et les coupes budgétaires en est un bon exemple. En Belgique, le travail du groupe local de Liège de la plateforme ACiDe (Audit Citoyen de la Dette) le démontre aussi. Voir la brochure 15 choses que vous devriez savoir sur la dette de Liège sur http://www.auditcitoyen.be
[11] Si le mot « réel » est ici utilisé, c’est pour souligner que le modèle « participatif » proposé par certains partis à l’heure actuelle est hautement insuffisant pour prétendre à l’exercice d’une réelle démocratie et pour garantir la sauvegarde de l’intérêt public dans les choix politiques.
Auteur.e Gilles Grégoire Permanent au CADTM Belgique et membre d’ACiDe
Les banques ont non seulement bénéficié des effets indirects des plans de soutien à l’économie mais également de garanties publiques qui leur sont directement adressées. Les revenus de remplacement – qui n’ont pas nécessairement atteint les plus précaires et n’ont bien souvent pas été suffisants. Les moyens publics bénéficient donc aux grandes entreprises, banques incluses, et aux propriétaires – in fine, donc, à des personnes dont on ne fait que conforter et renforcer une position déjà dominante.
22 décembre 2020 – Aline Fares
Le niveau d’anxiété général augmente. Notre santé mentale collective se dégrade. Les faillites s’accélèrent, à commencer par les petits commerces et les petites entreprises. Les conditions d’existence sont de plus en plus difficiles et la misère se répand dans les pays les plus riches telle une gangrène. Les soignant.e.s sont toujours aussi méprisé.e.s et pourtant on n’est pas au bout de la pandémie. La violence d’État, elle, est à son comble. Alors on se dit « 2020, vivement la fin ».
Au début de cette terrible année, les investisseurs aussi plongeaient dans les tréfonds du désespoir. Mais cela n’a pas duré, car il y a eu beaucoup d’aide, de soin et de soutien à l’égard des banques et des marchés financiers, et ce depuis les premiers signes de la pandémie. Alors forcément, la bourse, elle, se porte plutôt bien. Décryptage d’un phénomène de captation des richesses.
En mars, les banques centrales sortaient le « bazooka »
Après 2019 qui fut l’une de leurs meilleures années, les marchés ont commencé 2020 par une plongée dans l’angoisse. En janvier, la production chinoise s’arrête net, et c’est bientôt le monde entier qui suit. On ne sait pas combien de temps cela va durer, alors qu’en sera-t-il des profits des entreprises et des dividendes ?
C’est trop de suspense et les investisseurs n’aiment pas le suspense : ils aiment les événements prévisibles (et des règles du jeu favorables et stables). Or l’arrêt de la machine, c’est l’entrée dans l’inconnu. La panique monte. « Le virus chinois fait vaciller les marchés » : dans le doute, et de peur de voir leurs actions perdre trop de valeur, les investisseurs vendent et enclenchent leur prophétie auto-réalisatrice : les ventes en masse font baisser le cours des actions, on vend encore, les cours baissent encore.
Gouvernants et banques centrales prennent rapidement la mesure des choses : dès la mi-mars, « la Banque centrale européenne blinde son bazooka monétaire » . Il est vrai que le dispositif est impressionnant : 750 milliards de « liquidités », suivis quelques temps plus tard de 600 milliards de plus car cela ne suffisait pas à rassurer les marchés.
Ce que cela signifie, c’est que les banques centrales rachètent les titres financiers (dettes des États, dettes et actions des entreprises) dont les banques ne voudraient plus, et ce avant que ces titres ne perdent de la valeur. C’est ce qu’on appelle un sauvetage bancaire.
Mais en pleine pandémie, annoncer un sauvetage bancaire ferait mauvais genre. Car dans le même temps, alors que la population est largement confinée, les travailleur.euse.s des secteurs dits essentiels, et toutes les personnes déjà dans la précarité ou plongées droit dedans, sont laissées à l’abandon, sans ressources concrètes, si ce n’est parfois quelques mots d’encouragement et des applaudissements. .
Ensuite, les banques ont non seulement bénéficié des effets indirects des plans de soutien à l’économie mais également de garanties publiques qui leur sont directement adressées.
Les revenus de remplacement – qui n’ont pas nécessairement atteint les plus précaires et n’ont bien souvent pas été suffisants – ont permis de limiter les impayés : loyers, remboursement de crédits, factures. Mais cet argent a principalement soutenu les propriétaires des immeubles loués (qui ont continué de percevoir leurs loyers, et sont en majorité des personnes qui ont les moyens de supporter quelques mois d’impayés), les banques (qui ont continué de percevoir des remboursements) et les grandes entreprises (qui ont continué d’être payées, notamment pour l’eau, l’électricité, le gaz, la téléphonie, l’accès à internet).
Et pour ce qui est des dépenses telles que l’alimentation et autres dépenses courantes, les fermetures des petits commerces et le maintien des supermarchés et de la vente en ligne, ont là encore largement dirigé les flux d’argent vers les multinationales plutôt que les petites entreprises, pourtant premières pourvoyeuses d’emploi.
Les moyens publics bénéficient donc aux grandes entreprises, banques incluses, et aux propriétaires – in fine, donc, à des personnes dont on ne fait que conforter et renforcer une position déjà dominante.
Mais ces mesures ne suffisant pas à maintenir les marchés à flot, il a été décidé de les compléter en ouvrant grand les vannes du crédit : les États ont soutenu les banques afin qu’elles octroient de nouveaux crédits aux entreprises et aux ménages, une manière certes de limiter la casse à court terme, mais aussi de faire en sorte que ces mêmes loyers et factures soient payées.
Les États ont ainsi offert des centaines de milliards de garanties aux banques : lorsque les emprunteurs se trouveront dans l’impossibilité de rembourser, ce qui arrivera immanquablement, c’est encore avec les finances publiques que sont censées être épongées les pertes, pas avec les réserves des banques, de leurs créanciers et de leurs actionnaires, et pourtant, des réserves, il y en a, il suffit de regarder les dividendes qui seront versées en Janvier 2021.
La voie est encore celle de l’endettement de l’État – et la dette publique de gonfler.
Dans l’ensemble donc, le mode de fonctionnement du système n’est pas du tout remis en question, et les privilèges économiques et sociaux existants sont préservés et même renforcés, alors que les plus privilégiés, justement, auraient pu être mis à contribution.
Les efforts et l’attention auraient dû être concentrés sur les soins de santé (personnel, matériel, logistique…), le logement (puisqu’il y a confinement et qu’un bon logement est la base d’une bonne santé), l’alimentation, les conditions de travail pour qu’elles permettent de respecter les mesures sanitaires, une prise en compte des réalités écologiques (déterminantes dans la survenue de pandémies), etc. Mais rien de tout cela n’a vraiment eu la priorité, entraînant une précarisation générale pourtant évitable – pour autant que l’on touche à ces privilèges.
Est ensuite arrivée l’annonce de “la relance”
Le 12 mars déjà, en France, un journal, citant le président français, titrait « Relancer l’économie, quel qu’en soit le prix ». En France ou en Belgique, on n’était alors même pas encore confiné.e.s. A ce stade, une telle annonce n’avait pour effet que de rassurer les acteurs économiques sur le soutien financier dont ils bénéficieraient une fois qu’on verrait le bout de cette crise sanitaire, mais les annonces se sont vite concrétisées.
Ainsi, dès le mois de juin, l’Allemagne lançait son plan à 130 milliards. En septembre c’était le tour de la France avec ses 100 milliards. En novembre, c’était le très attendu plan de relance européen à 750 milliards. Et il y en a eu d’autres à travers l’Europe et au-delà. De tels montants, de tels dispositifs, c’est du jamais vu.
Mais la deuxième vague de pandémie était déjà en route, et les vaccins pas encore prêts. De quoi rendre fragiles les espoirs de relance et les perspectives de profits. L’incertitude encore. Malgré les centaines de milliards cumulés de la banque centrale, des garanties publiques et des plans de relance, les marchés sont encore inquiets et les banques sont fébriles.
Tout cela n’est pas encore assez et de nouvelles décisions viennent soutenir les banques et donc tout le système financier.
Les crédits, on le voit, font office de palliatif aux revenus absents, ils permettent de maintenir un semblant de prospérité économique : on continue de produire, d’acheter, de payer… à crédit. « Il faut » donc encourager les banques à continuer à prêter, en attendant qu’un jour revenus et salaires soient rétablis. Or les revenus des entreprises et des particuliers, et donc leur capacité de remboursement, sont trop incertains. Les banques limitent donc leurs prêts. Sauf que sans ces prêts, l’édifice ne tient plus.
Les institutions européennes, qui définissent les règles en matière bancaire et financière, avaient déjà relâché certaines règles prudentielles dès le mois d’Avril. Pour soutenir encore le crédit, elles ont donc décidé, quelques mois plus tard, de se débarrasser d’une des rares mesures qui permettait de pousser les banques à assumer (un peu…) les risques qu’elles prennent : le « cap sur l’effet de levier ».
Du jargon, certes, mais qui correspond à une réalité simple : les grandes banques ne détiennent que très peu de capital, elles empruntent énormément. Du coup, en cas de coup dur (par exemple : une pandémie, un confinement, du chômage, des faillites), elles n’ont que peu de réserves propres pour absorber les pertes. Très vite, on se retrouve à « devoir » les sauver avec de l’argent public pour éviter qu’elles n’emportent épargne et moyens de paiement dans leur chute.
Lever le cap sur l’effet de levier, c’est les autoriser à prêter encore plus avec un même montant de capital et ainsi les rendre plus fragiles encore – et nous mettre plus encore sous la menace de leur possible faillite.
Les centaines de milliards n’ont pas suffit. Ils ne règlent en rien la situation dans les hôpitaux, ils n’améliorent pas les conditions de logement, la qualité de l’alimentation, les conditions de travail et de revenus, pourtant essentiels pour faire face à la pandémie et à la crise économique que nous vivons. Ils tendent à les empirer. Alors la gestion par le confinement continue, les chiffres des faillites à venir deviennent effrayants et les pertes des banques pourraient les faire vaciller.
Une nouvelle crise financière ? Ce serait quand même le pompon. Régulateurs et gouvernants viennent de sortir deux nouvelles trouvailles pour repousser encore cette possibilité : d’abord la création de « bad banks », autrement dit des banques poubelles.
L’idée, discutée depuis le début de l’automne, est de créer une entité séparée, détenue par d’autres actionnaires (a priori l’État) et d’y mettre tous les crédits qui risquent de ne jamais être remboursés. Il fallait y penser… Ensuite, l’annonce par la Banque centrale européenne, le 15 décembre, que les banques pourraient de nouveau verser des dividendes dès le 1er janvier.
Les bourses vont donc plutôt bien, et les investisseurs encaissent des profits colossaux pour grand nombre d’entre eux, mais ça ne sort pas de nulle part: les gouvernements les gâtent, les banques centrales les choient, les régulateurs les cajolent.
Non seulement les mesures décrites ici sont inacceptables, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle invention qui pousserait les limites un peu plus loin. La nouvelle version du virus découverte en Grande-Bretagne a entraîné une légère baisse des marchés, que vont-ils encore inventer si elle se prolonge ?
Dès le début de la pandémie, on aurait pu écrire une histoire de solidarité, dans laquelle les plus riches et les multinationales auraient été mises à contribution. Par exemple, on aurait pu annuler les loyers, en partant du constat que les propriétaires, dans leur majorité, ont un patrimoine suffisant pour qu’une perte de loyer n’affecte pas leur capacité à se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner ou se vêtir. On aurait aussi pu annuler des factures dues par des petits commerces à des multinationales des télécommunications, des paiements ou de l’énergie. On aurait pu rendre supportables les pertes de revenus en allégeant le poids des dépenses. On aurait pu diriger les flux d’argent vers le système de santé. Tout cela est encore possible. Alors arrêtons de nous tenir sages.
17 décembre par Eva Betavatzi , Milan Rivié , Fréquence Paris Plurielle
(Crédits : Yakana)
Cette semaine, Les Oreilles ont aussi interviewé deux membres du CADTM, le Comité de lutte pour l’abolition des dettes illégitimes : Eva Betavatzi et Milan Rivié. 30 ans que ce comité lutte contre les dérives capitalistes du système de la dette, auquel les gouvernements continuent pourtant d’avoir massivement recours, en particulier durant cette pandémie. Ils expliquent les mécanismes à l’œuvre, les mythes qui entourent le sujet et les agissements des grandes institutions bancaires…et défendent des alternatives pour rompre avec cette logique qui ne bénéficie en réalité qu’aux plus riches.