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Lesbos : «Je veux que le monde m’écoute»

par Maria Malagardis, envoyée spéciale à Lesbos (Grèce) — 11 octobre 2017

 Dans le camp de Moria, près de 5 000 réfugiés s’entassent dans des conditions effroyables, non loin des touristes. Les ONG dénoncent le cynisme des dirigeants européens alors qu’en trois mois, plus de 10 000 personnes sont arrivées dans les îles grecques.
«Je n’en peux plus !» hurle soudain le jeune homme en gesticulant violemment, comme s’il donnait des coups de poing dans la nuit. Aussitôt, d’autres l’entourent et tentent de le calmer, mais ils semblent tout aussi nerveux, tendus, à cran. «Voilà neuf mois que j’ai fait ma demande d’asile. Et depuis ? Rien, aucune réponse ! Je reste ici, prisonnier sur cette île !» gémit encore Mahmoud, venu de Kobané en Syrie, avant de s’effondrer en sanglots.

Des larmes, on en voit souvent dans le camp de Moria, où sont immédiatement conduits tous ceux qui accostent clandestinement sur l’île grecque de Lesbos. Rares sont les conversations qui ne s’achèvent pas par des pleurs, au souvenir des épreuves traversées avant de s’échouer ici, l’un des points d’entrée de la forteresse européenne, où ces candidats à l’asile attendent d’être fixés sur leur sort. Souvent depuis très longtemps, en raison des lenteurs récurrentes dans l’examen des dossiers. Mais aujourd’hui, la situation a atteint un point critique et le désespoir vire à la crise de nerfs.

Vies humaines échouées

Mardi, l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui gère un dispensaire de santé mentale à Lesbos, a tiré la sonnette d’alarme. Elle demande aux autorités grecques de transférer immédiatement tous les réfugiés sur le continent, évoquant une augmentation inquiétante des patients traités, mais aussi celle des tentatives de suicide et d’automutilation. Car à Moria, les conditions de vie, «de survie», soulignent ceux qui s’y trouvent, sont déplorables. Et elles s’aggravent.

En cause, un nouvel afflux que personne n’avait anticipé. Car les arrivées sont reparties à la hausse et rendent la vie suffocante dans des camps désormais surpeuplés. Depuis juillet, pas un jour ne se passe sans que 100 à 200 personnes n’accostent sur l’une de ces îles qui font face à la Turquie. Alors qu’officiellement, les Européens se félicitent toujours d’avoir conclu un accord avec Ankara en mars 2016 pour stopper les traversées, c’est tout de même plus de 10 000 personnes qui sont arrivées sur les îles grecques en seulement trois mois. Rien qu’à Moria, près de 5 000 personnes s’entassent désormais dans un camp conçu pour en accueillir 1 800. Le week-end dernier, une fillette syrienne de 5 ans y est morte, faute de soins. Le médecin qui l’a auscultée, certainement trop débordé, s’était contenté de lui prescrire des antidouleurs.

Pendant ce temps, Bruxelles détourne le regard, la plupart des ONG sont parties, les autorités grecques promettent toujours de mieux gérer ce surplus de vies humaines échouées sur leurs côtes. Mais l’annonce, vendredi, de la construction de nouveaux centres sur place n’a fait que confirmer l’intention de garder les réfugiés sur des îles, peu à peu transformées en prison.

De loin, Moria, c’est une immense trouée au milieu des oliviers : des hangars, des bâtiments préfabriqués entourés de barbelés et gardés par l’armée grecque. L’afflux de nouveaux réfugiés a contraint depuis peu les autorités à déplacer dans de grandes tentes, juste à l’extérieur du camp, les hommes célibataires supposés plus résistants, face à l’absence de chauffage et d’eau courante. En réalité, même dans l’enceinte du centre, l’eau est souvent coupée pendant plusieurs jours. Sans explication. «On va aux toilettes dans le bush», explique Teddy, en désignant les champs d’oliviers. «C’est normal qu’on privilégie les familles et les enfants à l’intérieur du camp. Mais pour tous, le sentiment est le même : on a fui la mort, on se heurte au rejet et à l’indifférence», soupire ce trentenaire arrivé en décembre 2016, après un long périple depuis le Congo-Brazzaville, où l’inamovible président Denis Sassou-Nguesso poursuit impitoyablement les opposants.

Sur les plages de Lesbos, on aperçoit parfois un canot pneumatique dégonflé, plat comme une immense crêpe grise. Un énième bateau qui a accosté dans la nuit avec son nouveau lot de fugitifs en quête d’une vie meilleure.

Certes, ce ne sont plus les arrivées impressionnantes de 5 000 personnes par jour qui avaient marqué l’été 2015, lorsque les rivages de Lesbos étaient noyés sous les gilets de sauvetage orange abandonnés. «De toute façon, les passeurs ne proposent même plus de gilets de sauvetage pour la traversée, constate Hamed, un Iranien arrivé fin septembre avec sa femme et son fils de 8 ans. Et on a pourtant dû débourser 1 000 dollars par personne pour passer en Grèce.»Lui aussi a les yeux humides lorsqu’il évoque les persécutions et brimades subies en tant que chrétien en Iran. Mais l’arrivée à Lesbos n’a rien du soulagement espéré. «Les trois premiers jours, on a dû dormir dehors, par terre, juste là», souligne Somaya, la femme de Hamed, une blonde élégante en jean et sweat-shirt, qui désigne un sentier caillouteux où ruissellent les eaux sales. Depuis, on leur a fourni une minuscule tente où ils s’entassent à trois, plantée entre les conteneurs surpeuplés.

Huis-clos étouffant      

Il suffit d’y entrer pour avoir le souffle coupé : pour faire face à l’afflux actuel, des draps blancs suspendus sur un fil divisent désormais l’espace dévolu à chaque famille. Une vingtaine de personnes s’entassent ainsi sur moins de 10 m2. Mimona, venue de Damas, s’inquiète pour sa fille Dina, 11 ans. La fillette passe la journée à dormir dans ce huis-clos étouffant et refuse de s’alimenter depuis son arrivée dans le camp. Derrière le drap voisin, une femme venue d’Alep pleure silencieusement en regardant le plafond, allongée au milieu de ses six enfants.

«En réalité, rien dans l’accord UE-Turquie n’oblige à maintenir ces gens sur les îles où ils accostent, rappelle Eva Cossé, la responsable de Human Rights Watch en Grèce, présente à Lesbos. Les autorités grecques affirment que c’est à cause de la Turquie qui n’accepterait de reprendre que les déboutés du droit d’asile restés sur les îles où ils ont accosté. Mais des responsables européens nous ont ouvertement expliqué qu’eux aussi souhaitent que les gens restent sur les îles, et justement dans ces conditions. Afin de les inciter à envoyer des messages négatifs aux futurs candidats au départ», explique la chercheuse qui arpente souvent les couloirs de la Commission européenne. Elle se dit «sidérée par le cynisme» de certains décideurs : «Ils ne cachent même plus leur manque de compassion pour le sort de ces gens. Et répètent que seuls leur importe les chiffres.» Ceux des expulsions vers la Turquie. Depuis la mise en place de l’accord UE-Ankara, 1 360 personnes y ont été envoyées depuis la Grèce. Les pays européens souhaiteraient désormais accélérer ce «rendement».

Dans son rapport publié mardi, MSF constate pourtant une augmentation nette des violences subies par les réfugiés en Turquie depuis la signature du deal avec l’Union, régulièrement fustigé par les ONG. «Sans compter qu’il est très difficile de savoir exactement ce que deviennent ceux qui y sont renvoyés», renchérit Eva Cossé.

Pourquoi les arrivées ont-elles augmenté à ce point depuis juillet ? «On ne sait pas trop. Est-ce un afflux lié à la météo, à une baisse du prix des passeurs, à une relâche des contrôles côté turc ?» s’interroge la coordinatrice de MSF à Lesbos, Aria Ntanika, qui s’alarme elle aussi du climat de désespoir psychologique et matériel qui règne à Moria : «D’autant que les nouveaux arrivants sont eux aussi très fragiles. Il y a beaucoup de femmes et d’enfants, de Syrie ou d’Irak. Et on les envoie à Moria, où il n’y a désormais même plus assez de rations alimentaires pour tous, et où ils s’entassent dans la saleté sans savoir ce que sera leur avenir.»

«Dieu, aide-moi à ne pas perdre espoir»

Tenter quand même de fuir l’île ? A Moria, tout le monde peut partir du camp pendant la journée. Certains l’ont même quitté définitivement et dorment dans des bâtiments en ruines à la sortie de Mytilène, la capitale. Comme ces jeunes Algériens et Marocains, tous âgés d’une vingtaine d’années, qui traînent la journée sur les quais du port. Avec l’espoir de s’enfuir. Ils ne s’en cachent même pas. Eux savent qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir l’asile. Alors ils guettent la rotation des ferrys, encore nombreux, même en cette saison.

Les touristes sont revenus à Lesbos. On peut les voir dans le nord, attablés aux terrasses du minuscule petit port de Skala Sikaminia. Là où il y a deux ans, les pêcheurs se relayaient pour sauver les milliers de réfugiés qui arrivaient chaque jour. Désormais, on ne voit plus que des surfeurs blonds et des retraités aisés dans ce décor qui a repris ses couleurs de carte postale. A Lesbos, deux mondes se côtoient : ceux qui ont le droit de circuler librement et les autres, nés du mauvais côté de la planète, et échoués dans ce cul-de-sac.

Mais profiter des ferrys pour tenter de s’enfuir clandestinement est une cause quasi perdue, tant les contrôles sont drastiques. Alors certains se tournent vers le ciel après avoir tant espéré de la mer. Au milieu des oliviers, sur les hauteurs qui dominent Moria, d’étranges cris résonnent parfois couvrant les vibrations des cigales : «Dieu, aide-moi ! Aide-moi à tenir, à ne pas perdre espoir !» implore Jean-Yves en génuflexions devant une grande bible. Venu de Côte-d’Ivoire, son dossier est en attente depuis dix mois. Et désormais, il ne croit plus qu’en Dieu, «pour [le] sauver de cet enfer». Teddy, lui, écrit des poèmes. Comme celui qui démarre par ces mots : «Ecoute ce cri qui cloche du fin fond des îles grecques / Je veux que le monde m’écoute du Vatican jusqu’à La Mecque / Perdu sur cette île, comme égaré dans un désert…» Le titre du poème ? «Un cauchemar officiel».

http://www.liberation.fr/planete/2017/10/11/lesbos-je-veux-que-le-monde-m-ecoute_1602491

 

A bord de l’Aquarius : témoignage

Dix jours à bord de l’Aquarius, un bateau qui sauve les migrants au large de l’enfer libyen par Marie Nennès

Depuis février 2016, l’Aquarius sillonne la mer, au large de la Libye, pour porter secours aux migrants qui tentent la traversée. L’une des routes les plus meurtrières au monde : plus de deux milles personnes s’y sont déjà noyées en 2017. Le bateau est l’un des huit présents sur la zone – et le seul à y patrouiller toute l’année. Son équipage recueille des migrants dévastés par leur passage en Libye. Le journal CQFD, partenaire de Basta !, a pu embarquer à son bord pendant une dizaine de jours.

Cet article a initialement été publié dans le mensuel CDFD (voir sa présentation en dessous de l’article).À l’Est, les premières lueurs se dessinent. Il est 5 h 30. Depuis la passerelle, Basile scrute l’horizon aux jumelles depuis une bonne heure déjà. En vain. L’Aquarius est de retour dans la « search and rescue zone » – qui commence à 12 miles des côtes libyennes, à la limite des eaux internationales – Après douze jours de cale sèche. Tout le monde est tendu. Pour un peu, on se sentirait coupables d’avoir été absents. Quelque part devant, un point noir perdu dans la nuit attend peut-être désespérément du secours. Un canot pneumatique gris, sans lumière, invisible pour les radars à moins de cinq miles, avec à son bord des centaines de personnes, sans eau, et de plus en plus souvent sans moteur.La mer est mauvaise, le vent souffle du nord. « Il ne se passera rien aujourd’hui, estime Andreas, le second. Les canots ne peuvent pas quitter la côte par ce temps, ils n’arrivent pas à franchir les premières vagues. »

« Je ne pouvais pas rester les bras croisés »

Bénévole pour SOS-Méditerranée, l’association qui affrète le bateau, Basile poursuit tout de même sa veille, bientôt relayé par James, puis Svenja. Et ainsi de suite, toutes les deux heures, jusqu’à la nuit. « Ce qui était encore vrai l’année dernière l’est de moins en moins, explique Alain, solide Martiniquais ayant déjà une dizaine de rotations derrière lui. Avant, les trafiquants attendaient que la mer soit belle pour lancer les bateaux. Certains passagers étaient équipés de gilets de sauvetage. Aujourd’hui, des pneumatiques achetés 130 euros sur Alibaba (équivalent chinois d’Amazon, ndlr) ont remplacé les barques de pêche. Et ils prennent la mer même par mauvais temps. Ceux qui ne veulent pas monter sont flingués dans les broussailles au bord de la plage. Les passeurs disent aux autres : « L’Italie, c’est tout droit, vous y serez dans trois heures ! » Les moteurs pourris calent souvent au bout de quelques heures, faute de carburant. Ou alors, d’autres truands viennent voler le moteur, et laissent les migrants à la dérive. »Pour la dizaine de bénévoles de SOS-Méditerranée, la journée se passe en exercices de sauvetage : il faut roder les nouveaux, créer des automatismes. Les bénévoles de SOS-Méditerranée s’engagent pour trois rotations de trois semaines chacune. Après quoi ils doivent faire une pause. Certains rempilent, d’autres non. Ce ne sont pas des novices, la plupart ont déjà une expérience de marin, mais ce travail est particulier. Face à des gens paniqués et à leurs propres émotions, ils doivent savoir réagir, calmer, rassurer.« Je me souviendrai toujours de mon premier sauvetage, raconte Stéphane Broc’h. J’ai pris une grosse claque. » Ce breton un brin taciturne coordonne les secours sur l’eau. Il est la première main que saisit le naufragé. Il y a plusieurs mois déjà qu’il a quitté son boulot de mécanicien de marine dans le Pacifique pour s’engager avec SOS. « Je ne pouvais pas rester les bras croisés, j’avais besoin d’agir, pour dormir en paix, pouvoir me regarder dans une glace. J’avais les compétences, donc je suis venu. » Plus tard dans l’après-midi, c’est l’équipe de Médecins sans frontières (MSF) qui assurera la formation aux premiers secours, expliquant comment prendre en charge à bord les réfugiés et à quels symptômes porter attention.

Ce qui les hante, c’est la Libye

Midi, le lendemain. Depuis la passerelle, Alexander Moroz, le capitaine biélorusse, prévient : il vient de recevoir un appel du MRCC, le centre de secours maritime italien qui coordonne les actions des navires présents sur zone. Rien ne se fait sans leur aval. Un canot est en perdition à cinq heures de navigation à l’est. L’Aquarius est le bateau de sauvetage le plus proche, il faut y aller. La tension monte : arriverons-nous à temps ? Puis elle retombe un peu : un cargo turc est à proximité, il va recueillir les naufragés, qui seront ensuite transférés sur notre navire.Il fait nuit quand le transbordement commence. Pendant deux heures, le zodiac de sauvetage multiplie les allers-retours d’un bateau à l’autre, transportant quinze personnes à chaque fois. Hagards, les premiers rescapés posent un pied hésitant sur le pont, hissés par les bras et les sourires de Charly et Christina : « Bienvenue, mon frère, welcome, salam aleikoum. » Une seule femme, enceinte, au milieu de 117 hommes. Maliens pour la plupart, mais aussi Ghanéens, Gambiens, Sénégalais : presque toute l’Afrique de l’Ouest est représentée.Tous sont pieds nus, certains même torse nu. Leurs habits empestent le gasoil, la merde, la sueur et la peur. On les fait se déshabiller, se laver, se changer. Tous reçoivent le même kit : des habits propres, une couverture, de l’eau et des biscuits hypercaloriques. Le médecin repère les blessés, organise les premiers soins. Certains s’effondrent de fatigue, d’autres tremblent sur leurs deux jambes. Peu à peu, les visages se détendent. Ce n’est qu’au bout de quelques heures qu’ils commencent à raconter. La peur lors de la traversée, celle de se noyer sur cet esquif surchargé. Mais ce n’est pas elle qui tire les visages, creuse les orbites. Non, ce qui les hante, c’est la Libye.

« Ils m’ont vendu comme une chèvre ! »

Bouba, un Gambien costaud d’une trentaine d’années, bonnet en laine vissé sur la tête et sourire inoxydable, raconte : « Je suis venu en Libye pour travailler. Je pensais y trouver un futur, mais c’était une mauvaise idée. J’y suis resté un an. C’est court, un an, mais là-bas ça m’a semblé très long : la vie était très difficile. » Le sourire s’efface. « J’ai été kidnappé dès mon arrivée à Sabha [1]. Le passeur libyen rencontré à Agadès m’avait vendu à une bande de Bani Walid [2]. Ils m’ont enfermé avec plusieurs centaines de personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Je ne sais pas si c’était une prison officielle, il y avait des prisonniers avec des papiers en règles, permis de travail et tout. On ne m’a donné aucune explication. »Le récit se fait difficile, Bouba a du mal à déglutir : « Leur seule motivation, c’est l’argent. Ils te prennent tout ce que tu as, ils te mettent même à poil pour vérifier que tu ne caches rien. Ensuite, ils te demandent d’appeler ta famille pour qu’elle envoie de l’argent. Si tu n’en as pas, ils te frappent. Si tu en as, ils te frappent aussi, pour que les tiens entendent tes cris au téléphone. Moi, je suis seul, je n’ai personne, alors j’ai dû travailler en esclave. Ils voulaient 3 500 dollars pour ma liberté ! Et puis, un jour, ils m’ont laissé partir, sans que je sache pourquoi. »Omar, jeune Sénégalais de 19 ans, raconte une histoire semblable : « Je voulais aller en Europe, mais ils m’ont vendu. Comme une chèvre ! J’ai retrouvé la liberté contre de l’argent, mais j’ai été de nouveau capturé quelques jours plus tard. Ils me frappaient tous les jours, ne me donnaient pas à manger et m’ont obligé à appeler ma famille. Et même après le versement d’une rançon, ils ne m’ont pas libéré. Une nuit, j’ai gâté la porte et j’ai fui. »

Conditions de détention effroyables.

Les histoires se suivent et se ressemblent, avec plus ou moins de violences, plus ou moins de chance. Beaucoup arborent de vilaines cicatrices, causées par des menottes trop serrées aux poignets et aux chevilles. Certains souffrent de plaies infectées et de brûlures, d’autres de maladies de peau contractées dans la promiscuité des centres de détention. Près de la moitié d’entre eux n’avait aucune intention de passer en Europe au départ, mais ils n’ont eu d’autre choix que d’embarquer pour fuir le chaos libyen et sauver leur peau.D’après MSF, il existe 42 centres de détention officiels en Libye, où sont enfermés les immigrés clandestins. L’ONG n’a accès qu’à huit d’entre eux. « Il n’y a pas de registres d’entrée ni de sortie, raconte une chargée de mission de MSF en Libye [3], en visite sur le bateau. On ne peut pas effectuer de véritable suivi. Un matin, tu te pointes, et il manque 300 personnes par rapport à la veille… Impossible de savoir ce qu’ils sont devenus, s’ils ont été tués, libérés, transférés dans un autre centre ou mis dans des bateaux. Les prisonniers ne se plaignent pas, pour ne pas être battus, mais les conditions de détention sont effroyables. » Personne ne sait combien de prisons clandestines viennent s’ajouter aux 42 officielles.Enroulés dans leurs couvertures, les réfugiés dorment en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Toute la nuit, des bénévoles veillent, discutent avec ceux qui n’ont pas trouvé le sommeil, posent une main bienveillante sur une épaule, offrent un sourire. Demain matin, les réfugiés seront transférés sur le bateau d’une autre ONG qui rentre en Italie.

Ibrahim, deux mètres, 40 kilos

L’Aquarius a repris sa veille à l’ouest de Tripoli, dans les eaux internationales. La majorité des départs se fait depuis cette portion de côte, au large de Sabratha. Cette fois, la radio crachote un appel, mentionnant trois embarcations. Un autre navire est déjà sur place, mais il a besoin de renforts.Sur place, une embarcation manque à l’appel. Les passagers des autres bateaux expliquent que son moteur est tombé en panne et qu’ils l’ont perdue de vue. Ont-ils fait demi-tour, se sont-ils noyés, dérivent-ils encore ? Comment savoir ? Il faut se concentrer sur ceux qui sont là, entassés dans un bateau en bois et un canot pneumatique à moitié dégonflé. La ronde des canots de sauvetage reprend. Cette fois, il y a des femmes, des enfants, un bébé d’un mois. Pakistanais, Bengalis, Éthiopiens, Soudanais, Marocains… Beaucoup de mineurs non accompagnés. En tout, 266 personnes. Et Ibrahim.Quand il monte à bord, le silence se fait. Il est grand, pas loin de deux mètres. Et d’une maigreur irréelle, à peine 40 kilos. On dirait qu’il sort d’un camp de concentration. Il a de la fièvre, peut à peine marcher, parle dans un souffle. Le médecin Craig Spencer l’emmène dans la clinique. Il nous apprendra plus tard que le jeune homme est gambien, qu’il a seize ans, et souffre d’une septicémie. Il est en train de mourir de faim. Détenu pendant sept mois dans une prison clandestine de Sabratha, il est tombé malade après avoir dû cohabiter une semaine avec le cadavre en décomposition d’un compagnon d’infortune. À deux reprises, il a payé pour monter dans un canot. Deux échecs. La troisième, c’est le trafiquant lui-même, voyant qu’il allait mourir, qui l’a jeté dans la barque que l’Aquarius vient de secourir.

Séquestrations, viols, rackets.

À bord, les femmes sont regroupées dans un abri spécifique. Elles peuvent sortir sur le pont, mais aucun homme n’a le droit d’entrer dans leur refuge. C’est le royaume d’Alice, la sage-femme. Comme souvent, la majeure partie de ces femmes sont nigérianes, destinées aux réseaux de prostitution européens. Parfois, la « madame » – mère maquerelle – voyage avec elles. Certaines savent ce qui les attend, d’autres croyaient qu’elles seraient coiffeuses ou stylistes en Italie. Aucune n’a plus de vingt-cinq ans.Ce qui arrive aux femmes africaines en Libye, c’est Koubra, une Togolaise voyageant avec son mari, qui le raconte : « Il suffit qu’un Libyen te repère dans la rue, qu’il t’attrape, te mette dans sa voiture, puis te ramène chez lui et t’enferme. Il appelle alors ses copains et leur dit : « J’ai gagné une femme ». Que tu sois enceinte ou non, seule ou avec ton enfant dans le dos, ils s’en moquent. Ils viennent à cinq ou six, te menacent avec un fusil, puis te violent un à un. Quand ils ont fini, ils te demandent d’appeler ton mari pour qu’il paye la rançon. S’il manque quelques dinars ou que le mari n’est pas à l’heure, ils te gardent encore. »Elle décrit un enfer sur terre. « Tu ne peux te fier à personne. Certains chauffeurs de taxi t’obligent à les sucer, puis t’abandonnent dans la rue. Et les Libyennes ne se comportent pas mieux. J’ai travaillé pour une mère de famille qui, après m’avoir payé ce qu’elle me devait, a envoyé son fils me couper la route. Il m’a tout repris. » Après ce qu’elle a vécu, comment demander à Koubra de faire dans la nuance ? « Un bon Libyen, ça n’existe pas. Un bon Libyen, c’est celui qui te laisse la vie sauve, qui se contente de te torturer. »

Souffler, reprendre des forces.

L’Aquarius a reçu l’ordre de déposer ses naufragés à Pozzalo, en Sicile. Deux jours de navigation, avec seulement 267 réfugiés à bord – aberrant en terme de coût, mais c’est le MRCC qui décide. L’Italie veut garder la main sur la gestion de cette vague ininterrompue de réfugiés.Sur le pont arrière, Alice a mis de la musique. Une battle de danse s’improvise entre un jeune bengali et un marocain, tout à leur joie d’être en sécurité. Nombreux sont qui rient, tapent dans leurs mains, esquissent quelques pas. Mais beaucoup d’autres ont le regard perdu et se taisent, le visage fermé. Dans quelques heures, ils seront en Europe.Comment vont-ils être accueillis ? « On les prévient que ça ne va pas être facile, mais on ne brise pas tous leurs espoirs. Les trois jours qu’ils passent sur le bateau doivent constituer un répit : ils peuvent souffler, reprendre des forces. On ne peut pas leur dire crûment ce qui les attend », explique Marcella Kraay, chef de mission pour MSF.

« Les pays européens piétinent les droits de l’homme »

Tous sur le bateau, bénévoles de MSF et de SOS-Méditerrannée, ont bien conscience qu’ils combattent les symptômes, et non les causes. Que la solution est entre les mains des politiques, qui détournent la tête. Combien de noyés faudra-t-il encore ? « Je ne comprends pas que les États européens ne prennent pas la mesure de ce qui se passe en Méditerranée et qu’ils s’obstinent à financer un soi-disant État libyen [4], s’énerve Stéphane. Comme cet État libyen n’existe pas, ils financent peut-être les passeurs, peut-être les milices qui organisent ce trafic humain. Pourquoi est-ce que cela s’arrêterait ? C’est trop rentable. Les gens payent entre 500 et 2 500 euros leur passage sur des bateaux de la mort. »Le bénévole ne décolère pas : « Nous, ONG, sommes financés à 99 % par la société civile. Nous faisons le boulot des gouvernements et ils nous crachent à la gueule en nous accusant d’être de mèche avec les passeurs. Les pays européens prétendent se soucier des droits de l’homme, porter des valeurs humanistes, mais ils les piétinent allègrement. »Enfin les côtes siciliennes. Presque plus personne ne parle. Les formalités de débarquement prendront plusieurs heures, sous un soleil de plomb. Accueillis sur le quai par des silhouettes en combinaisons blanches, masquées, les réfugiés seront triés, numérotés, passés au détecteur de métaux, puis convoyés en bus vers des centres de rétention. Sur le bateau, tout le monde leur serrera une dernière fois la main. Alice se cachera pour pleurer. Les jointures de James blanchiront sur le bastingage. Les dents d’Anton grinceront d’impuissance. Puis ils se remettront au travail, nettoieront le bateau, prendront une cuite et repartiront le lendemain matin. Avec en tête cette phrase d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »Marie Nennès CQFD est un mensuel de critique et d’expérimentation sociale, disponible en kiosque le premier vendredi du mois. Pour découvrir quelques-uns de ses articles, rendez-vous sur son site Internet.

Notes

[1Oasis située à 600 kilomètres au sud de Tripoli, porte d’entrée pour ceux qui arrivent par le désert et plaque tournante du trafic humain.
[2Ville libyenne tenue par la tribu des Warfalla, souvent associée au régime du colonel Kadhafi, tombé en 2011.
[3Pour des raisons de sécurité, nous ne mentionnons pas son nom.
[4Trois gouvernements se disputent le pouvoir en Libye. S’y ajoutent un certain nombre de milices plus ou moins indépendantes.

 

Jugement des conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme va juger les conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme vient d’annoncer qu’elle allait examiner la requête déposée voici plus d’un an par 51 personnes, demandeuses d’asile, de nationalités afghane, syrienne et irakienne (parmi lesquelles de nombreux mineurs) alors qu’elles étaient maintenues de force dans une situation de détresse extrême dans le hotspot de l’île de Chios, en mer Egée. [1]

Dans leur requête, ces personnes ont mis en évidence l’insuffisance et le caractère inadapté de la nourriture, les conditions matérielles inhumaines et dégradantes, voire dangereuses auxquelles elles étaient soumises, les grandes difficultés d’accès aux soins, la non prise en compte de situations de particulière vulnérabilité – femmes enceintes, enfants en bas âge, mineurs isolés -, mais aussi l’arbitraire administratif et le maintien dans un état d’incertitude angoissante dont elles étaient victimes. Et cela, alors qu’elles étaient interdites de quitter l’île de Chios, devenue prison à ciel ouvert.Tous ces éléments sont documentés dans le rapport rendu public par le Gisti après la mission qu’il a effectuée dans les hotspots de Chios et de Lesbos, au mois de mai 2016, au cours de laquelle il a rencontré les 51 plaignants : Accord UE-Turquie : la grande imposture.

Cette annonce de la Cour intervient au moment même où, dans un rapport du 26 septembre 2017, dont les observations convergent avec celles du rapport du Gisti, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe critique sévèrement la façon dont sont traités les ressortissants étrangers dans les hotspots sur les îles de la mer Egée, pointant notamment la « surpopulation combinée à un niveau accru de violence entre personnes retenues, à des soins de santé de base insuffisants, à une aide aux personnes vulnérables non appropriée et à des garanties juridiques déficientes », qui, selon le CPT, « a créé une situation hautement explosive ».

Elle coïncide également avec le terme de l’opération de « relocalisation », dans les différents États membres de l’Union européenne (UE), des demandeurs d’asile arrivés dans les hotspots de Grèce et d’Italie depuis le mois de septembre 2015. Une opération dont l’échec patent (moins du quart de l’objectif fixé a été atteint), faute de volonté politique et de solidarité au sein de l’UE, renvoie la Grèce et l’Italie, qu’elle était censée soulager, à leur rôle de gardes-frontières de l’Europe, avec toutes les conséquences dramatiques que cette situation entraîne pour les personnes qui se trouvent bloquées dans ces deux pays.

Dans sa communication sur le cas des 51 demandeurs d’asile de Chios, la Cour européenne des droits de l’homme interroge les conditions matérielles de leur détention et leur conformité avec les règles posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) (pas de détention arbitraire, droit d’être informé des raisons de sa détention, droit de former un recours pour qu’il y soit mis fin). Elle a en revanche écarté les risques invoqués par les requérants pour leur droit à la vie, également protégé par la CEDH. On peut certes considérer que dans leur cas, ce droit n’était pas violé à la date de la requête. Cependant, le caractère chronique des très mauvaises conditions d’« accueil » des personnes confinées dans les hotspots grecs, qui s’est confirmé au fil des mois, a entraîné le décès de plusieurs d’entre elles, soit de froid, soit de maladie, soit par suicide. Des morts qu’on ne saurait imputer à la fatalité ou la malchance, mais bien aux effets directs, bien que discrets, d’une politique inhumaine.

Voir le rapport de mission du Gisti dans les hotspots de Lesbos et Chios « Accord UE-Turquie, la grande imposture », juillet 2016

Version en anglais : mission report in the Greek hotspots in Lesvos and Chios « EU-Turkey statement : the great deception », july 2016

[1Requête n° 34215/16, AK et autres contre la Grèce

27 septembre 2017 http://www.gisti.org/spip.php?article5739

Sur les réfugiés semaine 39

29/9/17 État d’urgence en Turquie : menaces sur les réfugiés :La Turquie est de moins en moins sûre pour les réfugiés et les demandeurs d’asile depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. /Reportage.

https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/etat-durgence-en-turquie-menaces-sur-les-refugies

26/9/17 Deux ans après, quel bilan pour « les quotas » de migrants dans l’UE ?   Alors que la question migratoire reste l’une des plus actuelles, quel pays a respecté ses engagements européens ? Jade Toussay Journaliste

RÉFUGIÉS – Deux ans de mise en application, de menaces et d’encouragements. Ce mardi 26 septembre marque l’échéance du plan voté par la Commission Européenne pour la relocalisation de 120.000 réfugiés dans les 28 pays membre de l’Union Européenne. Prévu sur deux ans, l’heure est maintenant au bilan. Et il n’est vraiment pas glorieux.

En septembre 2015, le plan a été établi comme suit: 120.000 réfugiés hébergés dans les centres d’accueil de Grèce et d’Italie devaient être transférés dans les pays membres de l’UE. Cette répartition, dite des « quotas d’accueil », se fait en fonction de la taille de la population et du PIB du pays (à hauteur de 40%), moins le nombre de demandes d’asiles au cours des quatre dernières années et le taux de chômage (à hauteur de 10%).

Les Etats devaient recevoir 6000 euros par personne accueillie, tandis que que l’Italie et la Grèce recevaient 500 euros par personne relocalisée pour couvrir les frais de transport. Le profil des personnes à relocaliser avait également été défini: en grande majorité, des Erythréens, des Irakiens et des Syriens, pour qui le taux moyen de reconnaissance à la protection internationale dépasse les 75%.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, ça s’est avéré (beaucoup) plus délicat.

Pas facile tout d’abord de faire accepter à l’ensemble des pays membres de l’UE l’idée d’un quota de réfugiés sur son sol. Ainsi, il a fallu recourir au vote à la majorité pour faire passer le texte. La Finlande s’est abstenue, tandis que la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque et la Roumanie ont voté contre. Un recours en justice a même été déposé par la Hongrie et la Slovaquie, sans succès. Le 6 septembre dernier, la Cour de Justice a rejeté les recours « dans leur intégralité ».

Selon les chiffres publiés par la Commission Européenne, l’objectif de 120.000 réfugiés a finalement été revu à la baisse, pour ne concerner que 98.255 réfugiés. Mais le résultat n’est pas meilleur pour autant: au 6 septembre 2017, date du dernier rapport de la Commission sur le sujet, seulement 27.695 réfugiés avaient été relocalisés (19.244 arrivaient de Grèce et 8451 d’Italie), soit 28% des objectifs totaux. Et si certains pays ont tenu leurs promesses, d’autres ont brillé par leur absence.

Fin du programme, fin de la relocalisation?  Dans son quinzième rapport, publié le 6 septembre dernier, la Commission Européenne a souligné la tendance positive enregistrée en 2017, par rapport à 2016.

Après deux ans de mise en pratique certains pays ont réussi (ou presque) à atteindre les objectifs fixés: c’est le cas de Malte (+12% par rapport aux quotas de l’UE) et de la Finlande ou l’Irlande qui sont en passe d’y parvenir. Cependant, les prises en charge sont inégales: la plupart des migrants relocalisés arrivent de Grèce, alors que l’Italie doit parallèlement faire face à des arrivées toujours plus importantes.

De même, la Commission s’est également félicitée des premiers balbutiements de pays jusqu’alors peu enclins à accueillir les réfugiés: c’est par exemple le cas de l’Autriche et de la Slovaquie, qui ont relancé leur processus de relocalisation.

Quid des pays qui refusent d’appliquer l’accord? Après moult rappels à l’ordre, la Commission Européenne a engagé mi-juin une procédure d’infraction à l’encontre de la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne et saisi la Cour de Justice de l’UE, qui a débouté les pays réfractaires. Le 8 septembre, le premier ministre hongrois Viktor Orban a reconnu que la Hongrie « doit respecter les traités et reconnaître les décisions de la Cour », sans pour autant s’engager à respecter son quota d’accueil, toujours à 0.

Que se passera-t-il à compter de ce mardi 26, où le programme touche à son terme? Dans son rapport, la Commission précise que ses décisions « s’appliquent à toutes les personnes admissibles qui arriveront en Grèce ou en Italie jusqu’au 26 septembre 2017, ce qui signifie que les demandeurs admissibles devront encore être relocalisés après cette date. » Elle encourage donc tous les états membres à redoubler d’efforts.

Malgré tout, espérer que les quotas de 98.255 relocalisés seront atteints dans des délais raisonnables reste illusoire.

http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/25/deux-ans-apres-quel-bilan-pour-les-quotas-de-migrants-dans-lue_a_23214522/

26/9/17 Revue de presse hellénique : Sous le titre « les demandeurs d’asile resteront en Grèce » Kathimerini relève que dans le cadre de nouvelles corrélations politiques au sein de l’UE la solidarité européenne envers la Grèce au sujet de la crise des réfugiés prend fin alors que les flux de réfugiés vers les îles grecques augmentent. Le journal souligne que le programme de relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie vers d’autres pays
européens s’achève officiellement aujourd’hui sans aucune décision de l’UE concernant ses prochaines initiatives dans ce domaine. Sans nouveau programme de relocalisation et sans réforme du règlement Dublin II tous les demandeurs d’asile arrivant en Grèce resteront dans le pays, souligne le journal.

22/9/17 Feu vert du Conseil d’État grec au renvoi de réfugiés syriens en Turquie

 Le Conseil d’État grec a débouté deux réfugiés syriens qui contestaient leur renvoi en Turquie en vertu du pacte migratoire UE-Ankara, ce qui ouvre la voie aux premiers renvois forcés de réfugiés dans le cadre de cet accord, a indiqué vendredi une source judiciaire.

Les deux Syriens avaient déposé un recours en dernière instance devant le Conseil d’État contre la décision de commissions grecques d’asile de les renvoyer en Turquie au motif qu’ils seraient en sécurité dans ce pays puisqu’ils y ont développé des liens lors de précédents séjours. 

En les déboutant, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative grecque, établit une jurisprudence en faveur des renvois forcés en Turquie de demandeurs d’asile notamment syriens arrivés sur les îles grecques depuis le 20 mars 2016.

« C’est une décision qui viole le droit des réfugiés, et qui tombe à pic pour servir l’accord conclu entre les Etats de l’UE et la Turquie », a commenté pour l’AFP Dimitris Christopoulos, président de la Fédération internationale des droits de l’homme.

Plus de 750 exilés syriens en attente d’une décision sur leur sort sur les îles grecques sont concernés dans l’immédiat par la perspective de tels renvois forcés, selon une source proche du dossier.

Ces renvois, prévus par le pacte UE-Ankara dans les cas où la Turquie est jugée « sûre » pour les requérants, avaient été gelés en pratique dans l’attente de la décision du Conseil d’État, saisi en plénière de l’affaire vu son importance.

Les avocats et ONG soutenant les requérants, dont la grecque Metadrasi et l’allemande Pro Asyl, avaient prévenu dès avant l’annonce de la décisdion qu’ils déposeraient un recours si nécessaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants déboutés sont deux jeunes hommes de 29 et 22 ans. Ils ont plaidé l’absence de garanties concernant leur sécurité en Turquie, affirmant y avoir notamment dans un premier temps été victimes de refoulements.

Fortement contesté par les humanitaires, le pacte UE-Turquie a considérablement réduit le flux migratoire en Méditerranée orientale après le pic de 2015.

Les arrivées sur les îles grecques en provenance des côtes turques toutes proches sont toutefois reparties à la hausse depuis le mois d’août, à plus d’une centaine par jours.

Selon une autre source judiciaire, les juges du Conseil d’Etat avaient débattu lors de l’examen de l’affaire de la possibilité de demander une interprétation du cadre légal s’appliquant à la Cour de justice de l’UE, mais cette option a été rejetée par 13 juges contre 12.

https://www.lorientlejour.com/article/1074106/feu-vert-du-conseil-detat-grec-au-renvoi-de-refugies-syriens-en-turquie.html

SOS Méditerranée : Nous sommes les yeux d’une Europe qui ne veut pas voir

Chaque jour, un membre de SOS MEDITERRANEE vous donne sa vision des opérations de sauvetage et des événements depuis l’Aquarius

« Nous sommes les yeux d’une Europe qui ne veut pas voir »

Alessandro Porro, membre italien de la SAR Team de SOS MEDITERRANEE raconte son expérience à bord de l’Aquarius dans un texte publié le 22 août par le Corriere della Sera. (Traduction: Benedetta Collini)

« A bord de l’Aquarius, Méditerranée Centrale. Malte à l’horizon. Nous accompagnons en Italie 112 personnes secourues le jour de l’Assomption par nos collègues de l’ONG MOAS. 112 personnes dans un seul bateau pneumatique. Comme d’habitude : il y a des femmes, des enfants, des blessés, mais pour la plupart des jeunes hommes, quelques-uns plus âgés. Sur le pont, crayons de couleurs et feutres en main, ils racontent en dessin leur voyage de l’Afrique au « fleuve Méditerranée ». Ils l’appellent comme ça. Avant de partir on leur dit qu’ils vont traverser un fleuve, qu’il n’y a pas de danger.

Moi aussi je suis un migrant. Du Piémont, transplanté en Ombrie puis en Toscane, par amour et pour le travail. Quelques années passées à goûter à l’Europe, comme étudiant et saisonnier. J’ai passé la moitié de ma vie à bord des ambulances de la Croix Rouge, bénévole d’abord, salarié ensuite. Accidents de voiture, blessures par arme à feu, personnes âgées en détresse, violences familiales. C’était le quotidien. Mais pas seulement. Aussi les secours en mer, et sur le lac Transimeno, sur le fleuve Arno avec les collègues OPSA (operatori polivalenti di salvataggio in acqua – ouvriers polyvalents du sauvetage aquatique). Je suis secouriste, c’est ce qui me réussit dans la vie. Cela ne relève pas du courage, juste de l’entraînement et de la pratique.

L’an dernier, alors qu’en Italie on ne parlait pas encore des ONG de sauvetage en mer, j’ai vu dans le magazine « Internazionale » la photo d’un sauvetage de migrants en Méditerranée. Rien à voir avec les baigneurs fatigués sur les plages de Toscane, là des personnes étaient littéralement extraites des avagues. J’ai envoyé une candidature, SOS Méditerranée m’a fait confiance, j’ai embarqué sur l’Aquarius. Ma première mission : six semaines au mois de juillet, au large de Tripoli, dans les eaux internationales. Trente équipiers, parmi lesquels l’équipage maritime, l’équipe médicale et le SAR team, l’équipe de recherche et sauvetage. Plus de mille-quatre-cents personnes sauvées et accompagnées en Italie, avec dignité.

Nous sommes les yeux d’une Europe qui ne veut pas voir. On nous a appelés des « extrémistes humanitaires », mais être humanitaires n’est pas un choix, pas un métier, pas un chef d’accusation. Extrémiste est un terme exagéré, un raccourci. Un mensonge même, dans ce cas précis. Nous sommes, nous et nos collègues des autres ONG, des techniciens du sauvetage, nous faisons la différence entre les naufragés et les rescapés. En mer, nous recueillons des vies et des histoires. Parfois des cadavres (3 août), parfois des enfants encore attachés par le cordon ombilical (11 juillet). Dès qu’ils se sentent en sécurité, nos passagers nous racontent leur voyage. Ils parlent des réseaux très puissants de passeurs qui les ont achetés puis revendus. De prisons légales et illégales en Lybie, d’enlèvements et de violences. Plusieurs d’entre eux ont été séquestrés sur la route, forcés à travailler. Payée la rançon, revendus aux passeurs. Une autre rançon à payer pour la fuite en mer. Nous avons vu des hommes avec des balles dans l’abdomen, des marques de fouet sur leur dos, des brûlures sur la peau.

À bord de l’Aquarius, j’ai découvert une Université autogérée du sauvetage. Des professionnels – médecins, infirmiers, plongeurs, sapeurs-pompiers, marins – tous concentrés à perfectionner les différentes techniques de secours, chronomètre en main. Neuf secondes pour ramener de la mer à la clinique une personne en arrêt cardiaque. Sur le navire, même les journalistes doivent mettre de côté leur caméra pour aider si besoin. Et il y a souvent besoin. Nous venons de toute l’Europe, d’Amérique, d’Australie. A nos côtés, il y a le personnel médical de Médecins sans Frontières. Calmes, pragmatiques, diplomates. Pas des héros, juste des grands professionnels, préparés, méticuleux.

Prendre la mer est dangereux. Porter secours à un bateau fait d’une planche de bois et d’une bâche gonflée, avec 200 personnes à bord, comporte des risques. Mais nous sommes équipés et formés. Notre priorité est toujours notre propre sécurité. Parfois il y a un silence surréel quand on approche un bateau en détresse. 400 yeux nous regardent, et pas un mot. Ils ne savent pas si notre arrivée est signe de salut ou de retour en enfer. Le premier à briser ce silence, c’est le médiateur culturel à bord de nos zodiacs. Le sauvetage est un art zen, il faut qu’une idée précise passe : « vous êtes en sécurité ». Nous avons avec nous des sacs pleins de gilets de sauvetage qui sont distribués à tout le monde. Puis, lentement, douze par douze, on amène les gens vers l’Aquarius. Un kit avec de l’eau, de la nourriture, des couvertures, des habits propres. Premier triage sanitaire, changement de vêtements. Les cas les plus graves sont amenés à la clinique, souvent les violences physiques sont récentes. Puis commence la première nuit sur le pont, ils s’endorment tous, épuisés. Avec le temps, les corps reprennent des forces. La vue des côtes italiennes déchaîne des danses et des chants : c’est l’allégresse du naufragé.

Mes amis me demandent si ce qu’on dit à la télé est vrai, si nous sommes les taxis de la mer. Non, nous sommes les ambulances de la mer. Et comme des ambulances, nous sommes coordonnés par un SAMU (le MRCC à Rome) qui reçoit des appels de détresse et décide qui envoyer pour le sauvetage : nous, ou les Garde-Côtes italiens, ou la Marine, ou des navires marchands, ou d’autres ONG. Nos routes sont suivies à la trace, nos appels enregistrés. Sur l’Aquarius, comme sur les autres navires, nous avons conscience de ne pas être la solution au problème, un grand problème. Nous sommes un pansement provisoire qui tamponne l’absence d’un plan européen de recherche et sauvetage en mer depuis la suspension de l’opération Mare Nostrum de la Marine Nationale italienne. Un pansement qui pourtant sauve des vies, qui fait la différence. En tant que piémontais, j’ai vu des oliviers commencer à pousser sur des terres et sous des climats autrefois hostiles. Le changement climatique déplace les arbres, comment imaginer empêcher les gens de migrer ? En ce moment l’Italie est rongée par l’inquiétude. Il sera intéressant, dans dix ans, de relire les évènements qui ont marqué cette période. Moi, à bord l’Aquarius, je suis déjà certain d’avoir été du bon côté de l’Histoire. »

Texte : Alessandro Porro

Traduction : Benedetta Collini

http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/alessandro-porro-290817

 

Sur les réfugiés migrants semaine 36

7/9/17 https://alencontre.org/europe/union-europeenne-migration-la-cour-de-justice-deboute-le-recours-de-la-hongrie-et-de-la-slovaquie.html

1/9/17 https://alarmphone.org/fr/2017/09/01/38-personnes-en-situation-de-detresse-urgente-laissees-pres-de-24-heures-en-mer-les-gardes-cotes-nont-pas-reagi/

31/8/17  Orban veut que l’UE règle 50% de ses clôtures frontalières BUDAPEST (Reuters) – Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, va demander à l’Union européenne de financer la moitié du coût des mesures de protection des frontières prises par Budapest pour empêcher l’arrivée de migrants, a déclaré jeudi un de ses collaborateurs.

Le chef du gouvernement comptait écrire ce jeudi au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour demander à l’exécutif européen de contribuer à hauteur de 400 millions d’euros, a déclaré le secrétaire général du gouvernement hongrois, Janos Lazar.

La Hongrie, qui a érigé des clôtures à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, « protège tous les Européens d’un flux de migrants illégaux » et il est temps que l’UE aide la Hongrie comme elle l’a fait avec l’Italie, la Grèce et la Bulgarie, a ajouté Janos Lazar.

« On ne peut pas faire deux poids deux mesures », a dit Lazar au cours d’une conférence de presse.

Ces revendications sont formulées quelques jours avant la décision attendue de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le rejet par la Hongrie des quotas de répartition des migrants décidés par l’UE.

Il y a actuellement moins de 700 migrants en Hongrie, dont 430 sont maintenus dans deux camps de rétention étroitement surveillés à la frontière serbe.

(Krisztina Than; Eric Faye pour le service français)

https://www.challenges.fr/monde/orban-veut-que-l-ue-regle-50-de-ses-clotures-frontalieres_496407

29/8/17 De l’Europe aux Etats-Unis, ces villes qui s’opposent à leurs gouvernements pour mieux accueillir les migrants

Aux Etats-Unis, des centaines de municipalités ont fait le choix de ne pas contribuer à la chasse aux sans-papiers lancée par Donald Trump. En Europe, des communes s’engagent pour un accueil digne des migrants. « Villes sanctuaires », « villes refuges »… De l’Italie à la Grande-Bretagne, de Barcelone à Grande-Synthe, ces communes tentent de se constituer en véritables contre-pouvoirs face aux politiques indignes et xénophobes.

A peine élu président des États-Unis, Donald Trump adoptait un décret pour couper les fonds fédéraux aux centaines de municipalités qui ont critiqué sa politique anti-migrants. Face au programme de Trump, à sa volonté d’expulser manu militari les sans-papiers quel que soit le nombre d’années de résidence, et à son souhait d’ériger un mur à la frontière mexicaine, de nombreuses villes se sont rapidement déclarées « villes sanctuaires ». Ces municipalités « ont adopté des politiques qui promettent de protéger et de servir tous leurs résidents, quel que soit leur statut migratoire »explique la puissante association American Civil Liberties Union (l’Union américaine pour les libertés civiles, ACLU).

Dans les faits, ces villes refusent de coopérer avec les forces de l’ordre fédérales, lorsque celles-ci leur demandent de mettre des sans-papier en détention. Elles n’exigent pas forcément de leurs habitants de produire un certificat de naissance ou de séjourner légalement pour accéder aux services publics locaux. Certaines municipalités sanctuaires décident même de reconnaître comme valables sur leur territoire des papiers d’identité non états-uniens ou de distribuer leurs propres papiers d’identité municipaux à tous leurs résidents, quelle que soit leur nationalité.

De New York à Milan, en passant par Barcelone

Les métropoles parmi les plus importantes des États-Unis, comme New York, Los Angeles, Chicago, Boston ou Washington, ont adopté cette position. Et n’ont pas perdu la bataille face à Donald Trump, puisqu’un juge fédéral a bloqué en avril dernier le décret du président qui voulait leur couper les vivres [1].

En Europe aussi, confrontée à une crise historique de la gestion des migrations, des collectivités locales prennent le contrepied de la politique de fermeture menées par les États de l’Union européenne. Quand la plupart des gouvernements européens misent sur une gestion sécuritaire et des accords avec des pays aussi peu démocratiques que la Libye et la Turquie, (lire notre article Les envoyer en détention ou les livrer à une dictature : voilà comment l’Europe « délocalise » ses réfugiés), à Milan, le 20 mai dernier, 100 000 personnes ont manifesté à l’initiative du maire de gauche de la ville pour promouvoir l’accueil des migrants.

En février, c’était la maire de Barcelone Ada Colau, alliée du parti Podemos, qui appelait à une manifestation pour l’accueil des migrants. Là aussi, plus de 100 000 personnes ont répondu présentes. La capitale catalane a aussi initié un réseau international de villes engagées dans l’aide et l’accueil des migrants, Solidarity Cities(villes solidaires). Une impulsion également destinée à pousser le gouvernement espagnol à accélérer l’accueil des réfugiés arrivés en Europe, et qui devaient être relocalisés vers l’Espagne.

Crise du modèle d’accueil italien

« Il faut faire la différence entre les réseaux de villes solidaires en Europe et le mouvement de villes sanctuaires aux États-Unis, souligne cependant Filippo Furri, cherchceur membre du réseau Migreurop et doctorant à l’université de Montréal. En Europe, les municipalités se constituent en ville-refuge sur la question de l’asile. Aux États-Unis, le mouvement s’est plutôt construit pour protéger des personnes qui retombent dans l’irrégularité administrative après avoir déjà vécu un moment dans le pays. »

Filippo Furri connaît bien le cas italien, en particulier celui de Venise : « Avec les guerre des Balkans dans les années 1990, il y a eu une vague de réfugiés. À Venise, un élan de solidarité citoyenne et associative s’est joint à une volonté politique pour organiser un accueil digne. Un système d’accueil organisé s’y est mis en place dans la foulée, au début des années 2000. Venise est devenue une sorte de prototype du système d’asile qui s’est développé ensuite en Italie, et qui est en train de péricliter avec la situation d’urgence actuelle. »

Aux côtés de la Grèce, l’Italie est l’un des deux principaux pays d’arrivée pour des centaines de milliers de personnes qui débarquent chaque année en Europe par la mer, pour y chercher l’asile et la sécurité. Plus de 360 000 personnes sont arrivées par la mer Méditerranée en Europe en 2016. Plus de 98 000 depuis le début de l’année 2017 (plus de 2000 personnes migrantes sont déjà mortes en mer Méditerranée cette année [2]). L’Italie est donc l’un des pays qui doit gérer en urgence et en grand nombre l’accueil des migrants, en plus des sauvetages en mer. Début juillet, son gouvernement a appelé à l’aide les autres pays européens pour faire face aux nécessité de prise en charge des nouveaux arrivants. Mais loin de prendre le parti de l’hospitalité, Rome a aussi menacé dans le même temps de fermer ses ports aux migrants.

Aide au développement face à des États défaillants

« L’Italie, comme la Grèce, est en train de devenir un véritable territoire de rétention, déplore Filippo Furri. Il y existe des formes d’hospitalité et d’accueil dans la société civile. C’est une réponse face à une gestion de la part des États qui vise avant tout à contrôler les flux, à trier les gens, et à disperser les centres d’accueil en les imposant aux collectivités locales. Il y a conflit entre l’accueil local des municipalités, et le contrôle étatique. » De la même manière que des ONG prennent le relais des États et des autorités européennes pour sauver des vies en mer Méditerranée, des communes italiennes s’organisent pour faire ce que l’État italien refuse : organiser un accueil digne, et favoriser les échanges entre la population locale et les nouveaux arrivants.

Le réseau des « Communes de la terre pour le monde », fondé en 2003 en Italie, réunit aujourd’hui plus de 300 municipalités de tout le pays. L’association organise par exemple un festival interculturel à Riace, village de Calabre devenu l’un des points d’entrée de nombreux migrants dans l’UE (voir notre article Ces villages qui choisissent tant bien que mal d’accueillir les migrants). L’association de communes mène aussi des projets de solidarité internationale, comme un projet de développement de l’énergie solaire au Sahel. « Le réseau Recosol est organisé sur une logique de solidarité qui dépasse la question des migrations, précise Filippo Furri. C’est un réseau d’entraide entre communautés locales. »

Se constituer en associations de solidarité, au delà du seul objectif de gérer l’urgence, voilà ce qui fait sûrement la spécificité des réseaux des villes-refuges face aux politiques migratoire des États. « L’État laisse en partie seules les municipalités italiennes pour l’organisation de l’accueil des migrants. Ce sont les municipalités qui organisent le logement, les cours de langue et l’intégration locale, expliquent les coordinateurs du réseau de communes Recosol. La politique du gouvernement italien souffre de l’absence d’une vision globale et d’un plan national pour l’accueil et l’intégration des migrants. Ce sont donc les associations et les citoyens, sur le territoire, qui font la différence. »

City of Sanctuary au Royaume-Uni

En Grande-Bretagne aussi, des citoyens et des communes prennent le contrepied de la politique xénophobe du gouvernement conservateur. « Le réseau City of Sanctuarya été créé à Sheffield, en 2005, par un petit groupe de personnes qui voulaient mieux accueillir les réfugiés », explique Forward Maisokwadzo, porte-parole de ce réseau britannique. Le maire de cette ville de 500 000 habitants du nord de l’Angleterre avait pleinement soutenu l’initiative, et pris l’engagement public d’accueillir les demandeurs d’asile et réfugiés dans sa ville. « Puis le mouvement est devenu très important, en terme de nombre de personnes et de communes impliquées. Il compte aujourd’hui une centaine de municipalités. L’idée est de travailler avec tout le monde : les citoyens, les associations, les autorités locales. »

Pour le mouvement City of Sanctuary, la clé de l’accueil est dans ce travail collectif. « Les actions menées par le mouvement varient selon les endroits. Elles peuvent par exemple consister à sensibiliser les gens à la question de l’accueil des demandeurs d’asile, précise Forward Maisokwadzo. À Bristol, la ville s’est attaquée au problème du dénuement des demandeurs d’asile, qui reçoivent très peu de soutien financier et n’ont pas le droit de travailler pendant l’étude de leur demande. Une douzaine d’autres villes se sont engagées sur la question. Leur travail est aussi de pousser le gouvernement à se pencher sur ce problème. »

« La France n’est pas dans une démarche d’accueil »

Et en France ? Il y a bien l’exemple de Grande-Synthe, une ville du Nord de 20 000 habitants, où la municipalité a pris le parti de l’accueil des migrants en route vers l’Angleterre (voir notre article Conjuguer accueil des migrants, écologie et émancipation sociale : l’étonnant exemple de Grande-Synthe), notamment en construisant avec Médecin sans frontières un centre d’accueil permettant des conditions de vie décentes (repris en main par la préfecture, le centre a été détruit par un incendie en avril dernier). Des citoyens s’engagent aussi évidemment, de Calais à la frontière italienne, et se trouvent parfois traîné en justice pour « délit de solidarité » (lire notre article À la frontière franco-italienne, les habitants de la vallée de la Roya risquent la prison pour avoir aidé les migrants).

À Paris, où des milliers de migrants débarqués dans la capitale se retrouvent à la rue sans aucune prise en charge et harcelés par la police, la maire Anne Hidalgo a annoncé l’ouverture d’un premier centre d’accueil en mai. Le centre a ouvert six mois plus tard. Prévu pour 500 personnes, il est pourtant sous-dimensionné et saturé en permanence. Selon l’association France Terre d’asile, plus de 1000 personnes migrantes dormaient encore à la rue début juillet à proximité du centre d’accueil. L’association Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigrés) a aussi dénoncéles violences policières dont sont victimes les migrants dans les files d’attentes du centre. Malgré des initiatives bien réelles mais dispersées (lire ici notre article), « la France n’est pas dans une démarche d’accueil », regrette Filippo Furri. Les villes française prendront-elles le relais d’un État défaillant ?

Rachel Knaebel

https://www.bastamag.net/De-l-Europe-aux-Etats-Unis-ces-villes-qui-s-opposent-a-leurs-gouvernements-pour

Sur les réfugiés-migrants semaine 33-34

24/8/17 En vidéo. À Rome, la police chasse des réfugiés à coups de canon à eau http://www.courrierinternational.com/video/en-video-rome-la-police-chasse-des-refugies-coups-de-canon-eau

24/8/17 En Libye, la guerre aux migrants et la compétition entre l’Italie et la France par Salvadore Palidda Professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie) https://blogs.mediapart.fr/salvatore-palidda/blog/240817/en-libye-la-guerre-aux-migrants-et-la-competition-entre-l-italie-et-la-france

23/8/17 Des réfugiés à l’épreuve de l’intégration en Bulgarie https://www.ladepeche.fr/article/2017/08/23/2632449-des-refugies-a-l-epreuve-de-l-integration-en-bulgarie.html

19/8/17 Un total de 9.000 migrants et réfugiés rejoignent l’Espagne par la Méditerranée depuis début 2017, selon l’OIM : Au total 9.000 migrants et réfugiés sont arrivés en Espagne en traversant la mer Méditerranée depuis le début de l’année, a déclaré vendredi le porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Joel Millman, lors d’un point de presse à Genève.

Le porte-parole a précisé qu’en prenant compte des quelque 600 migrants secourus en début de semaine dans les eaux du détroit de Gibraltar et la mer d’Alboran, « le nombre d’arrivées en Espagne a atteint 9.000 personnes » , un chiffre qui dépasse déjà le nombre total d’arrivées (8.162 personnes) enregistrées sur le territoire espagnol sur toute l’année 2016.

Si les chiffres notés en Espagne restent loin de ceux enregistrés en Italie, l’OIM estime toutefois que les autorités de Madrid pourraient faire face à davantage d’arrivées de migrants et de réfugiés que celles d’Athènes.

« L’Espagne est actuellement dans la situation qu’a connue la Grèce en 2015, avec des arrivées quotidiennes importantes » , a indiqué M. Millman, soulignant que les personnes arrivent en Espagne dans des navires plus petits et dans des canots pneumatiques qui sont vraiment difficiles à repérer en mer.

Le porte-parole a souligné que les autorités espagnoles agissaient seules et de manière responsable face à ces nouvelles arrivées de migrants et réfugiés. « Si le nombre d’arrivées augmente, l’Espagne aura besoin d’un soutien supplémentaire » , a-t-il toutefois prévenu.

Au 16 août, l’OIM a enregistré l’arrivée par mer de 119.069 personnes en Italie, en Grèce, en Espagne et à Chypre, quatre pays méditerranéens membres de l’Union européenne.

Avec près de 83% des arrivés, l’Italie à elle seule continue de recevoir la très grande majorité des réfugiés et migrants. Elle est suivie de la Grèce, de l’Espagne et de Chypre.

http://news.abidjan.net/h/620827.html

19/8/17 Bucarest propose d’accueillir près de 2.000 réfugiés :  Le ministre des Affaires étrangères roumain a annoncé samedi que son pays était prêt à accueillir près de 2.000 migrants. @ ATTILA KISBENEDEK / AFP

La Roumanie a proposé d’accueillir près de 2.000 nouveaux réfugiés de Grèce et d’Italie, a annoncé le ministre roumain des Affaires étrangères Teodor Melescanu cité samedi par les médias locaux. « Nous avons fait récemment une offre pour 1.942 réfugiés de Grèce et d’Italie, que nous pouvons relocaliser en Roumanie. Nous avons déjà sur notre territoire environ 700 réfugiés » arrivés de ces pays, a précisé le ministre dans une interview à la chaîne d’information en continu Realitatea TV.

La Roumanie prête à accueillir hors quotas. « Nous avons affirmé qu’il n’est pas normal d’avoir des quotas fixes mais nous avons dans le même temps montré notre disponibilité à accueillir un certain nombre de réfugiés », a souligné Teodor Melescanu. Par ailleurs, le ministère roumain des Affaires étrangères a signalé samedi que Bucarest allouait en 2017 un total de 5,3 millions d’euros en assistance humanitaire aux Syriens réfugiés dans la région avoisinante de leur pays.

Le pays épargné pas l’afflux migratoire. Deuxième pays le plus pauvre du bloc européen, la Roumanie s’était opposée dans un premier temps aux quotas obligatoires de migrants répartis entre les membres de l’UE mais avait fini par accepter ce mécanisme européen. Seuls quelques centaines de migrants ont jusqu’ici accepté d’être transférés dans ce pays. Située aux frontières de l’Union européenne, la Roumanie a été épargnée par la crise migratoire, car contournée par les principaux itinéraires des demandeurs d’asile vers l’Europe.

18/08/2017 Situation explosive en mer Egée du nord avec 10 327 personnes en attente, alors que 1421 sont arrivés en 17 jours : Au total, 1421 réfugiés et les migrants ont traversé les îles de la mer Égée du 1er Août au jeudi 17 Août matin. Parmi ceux-ci, 394 sont allés à Lesbos, 458 à Chios et 569 passés à Samos.
Selon les données de la Garde côtière turque publié sur son site officiel, elle est intervenue dans 32 incidents et 1265 personnes sont revenues sur la côte turque alors qu’elles se dirigeaient vers les îles grecques.
Selon le Centre national de contrôle de la politique frontalière , de l’immigration et de la coordination de l’asile du ministère de l’Intérieur, et selon la Direction générale de la police de la mer Égée du Nord au jour du 17 août, et selon leurs données concernant les réfugiés et les immigrants pour l’ensemble des îles de la mer Egée du Nord,( Centre d’accueils, les centres d’identification et autres structures) , il y aurait au total 10 327 personnes en attente d’examen de leur demande d’asile, dont 4780 à Lesbos, 2,924 à Chios et 2,623 à Samos.
Les autorités s’inquiètent de la situation explosive ainsi créée notamment au camp de Moria ( Lesbos) et à Samos: Pour Moria on compte 3502 personnes pour une capacité de 2330; et à Samos, 1984 personnes pour une capacité de 700 places ! Au centre de Halkios de Chios, qui peut accueillir 1100 personnes, one compte que 838 résidents.
Par ailleurs, dans le camp municipal de Kara Tepe à Mytilène il reste 742 personnes , alors que celui de Souda est en instance de fermeture, et que vivent maintenant officiellement 330 personnes dans les douves du château de la ville, pendant le démantèlement a commencé.

18/8/17 Le ministre bulgare de la défense appelle à l’utilisation de la force contre les migrants aux frontières : Sur le site Keep Talking Greece , on peut lire :
« Krasimir Karakachanov, Ministre bulgare de la Défense incite l’union européenne à utiliser des moyens militaires pour défendre ses frontières extérieures face aux migrants… Dans une interview au quotidien allemand Die Welt traduit par Politico, Kasimir Karakachanov, dont le parti d’ extrême droite Patriots Unis est un partenaire junior de la coalition dans le gouvernement du Premier ministre bulgare Boyko Borisov, a déclaré: « Nous ne pouvons pas permettre aux immigrants clandestins de venir en Europe comme un ensemble, » …« Nous devons déployer des forces de l’OTAN ou de l’UE en Italie et en Grèce et défendre les frontières extérieures de l’Union européenne par la force des armes si nécessaire. » Karakachanov a dit qu’il voulait tripler le nombre de troupes stationnées sur sa frontière bulgare avec la Turquie, de 140 à 600 soldats pour réduire l’immigration. « Nous avons pas résolu le problème des migrations », a t-il ajouté. « Les grands réseaux de contrebande bien organisés tentent toujours d’amener les gens dans notre pays. » Il a affirmé que « la majorité de ceux qui traversent la Méditerranée ne sont pas en besoin de protection, ne sont pas persécutés, ils veulent juste vivre dans le riche Occident. »
La Bulgarie partage une frontière avec la Turquie. Au cours de la crise des réfugiés européens ces dernières années, un nombre important de demandeurs d’asile et de migrants sont passé dans le pays.
Mais les chiffres ont chuté de manière spectaculaire; le nombre d’arrestations pour les migrations illégales en Bulgarie dans la première moitié de 2017 a chuté de 80 % par rapport aux six premiers mois de 2016, selon le Globe Sofia .
Mais alors que certaines politiques pan-européennes, comme l’accord entre Bruxelles et la Turquie pour contenir les migrants dans les pays du Moyen-Orient, ont diminué le nombre de personnes qui viennent en Europe sur certaines routes, beaucoup de gens font encore le voyage.
L’Organisation internationale pour les migrations dénombre 119,047 personnes qui sont arrivées en Europe par voie maritime jusqu’à présent en 2017. Mais l’organisation, comme la plupart des experts en migration, recommande plutôt que de chercher à dissuader de force les réfugiés et les migrants, que l’Europe se concentre sur la création de systèmes faciles à gérer et efficaces pour les déplacer à travers le continent et les intégrer dans leurs nouvelles sociétés. En Janvier, elle a appelé à « un système de relocalisation solide, le soutien aux retours volontaires et le renforcement de voies alternatives aux déplacements juridiques dangereux, y compris la réinstallation et le regroupement familial. » (Selon Politico & Newsweek) »

 

Le risque d’esclavage moderne en Europe

Le risque d’esclavage moderne est au plus haut en Europe, selon une étude par Cécile Andrzejewski sur Médiapart

Le risque d’esclavage moderne augmente dans l’Union européenne. C’est le constat d’une étude publiée par une société d’analyse de risque américaine. En cause, la vulnérabilité des migrants qui arrivent sur les côtes européennes et leur exploitation par des trafiquants.

De toutes les régions du monde, c’est l’Union européenne qui a enregistré la plus forte hausse de recours à l’esclavage moderne en 2017. D’après une étude parue le 10 août, le risque d’esclavage moderne concernerait désormais 20 pays de l’Union européenne. « Il a augmenté dans les trois quarts des 28 pays membres de l’UE l’année dernière », affirme cette enquête publiée par l’agence Verisk Maplecroft, principale société américaine d’analyse de risques.

Définissant l’esclavage moderne comme « un terme parapluie recouvrant l’esclavage, la servitude, la traite des personnes et le travail forcé ou obligatoire », l’index publié par l’organisation compare la situation de 198 pays.

L’index de l’esclavage moderne en 2017. En orange
                les pays où les risques augmentent, en rouge les cinq
                pires pays de l’UE © Verisk Maplecroft L’index de l’esclavage moderne en 2017. En orange les pays où les risques augmentent, en rouge les cinq pires pays de l’UE © Verisk Maplecroft

La hausse constatée en Europe serait due à l’arrivée de plus de 100 000 migrants, « dont la plupart sont extrêmement vulnérables face au risque d’exploitation », insiste la Fondation Thomson Reuters. Selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations, sur près de 115 000 migrants et réfugiés arrivés en Europe par la mer en 2017, plus de 80 % ont accosté en Italie. Et si les entrées en Grèce ont diminué à la suite de l’accord de 2016 entre l’UE et la Turquie, le pays accueille toujours un nombre important de migrants et reste donc une destination clé pour le trafic d’êtres humains. L’étude de Verisk Mapecroft révèle que la présence de ces personnes vulnérables participe à l’augmentation de l’esclavage dans de nombreux secteurs de la région, et notamment l’agriculture, la construction et les services.

« La crise des migrants a augmenté le risque d’esclavage dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises en Europe, a commenté Sam Haynes, analyste spécialiste des droits de l’homme pour l’organisation. Lorsqu’elles évaluent leurs fournisseurs et leurs produits, les sociétés ne doivent plus seulement faire attention aux points d’approvisionnement dans les économies émergentes. » L’étude pointe notamment la Roumanie, la Grèce, l’Italie, Chypre et la Bulgarie comme les pays avec le plus grand taux de travail forcé de l’UE. « Tous sont des points d’entrée pour les migrants dans la région. »

Alexandra Channer, analyste chez Verisk Maplecroft, a également réagi auprès de CNN : « Les migrants sont déjà vulnérables lorsqu’ils se lancent dans leur traversée – ils fuient généralement des pays violents ou dans une extrême pauvreté. La plupart du temps, ils sont entre les mains de passeurs et sont ensuite rapidement piégés entre celles de trafiquants. Il est probable qu’avant même de pénétrer sur leur lieu de travail, ils sont déjà dans des conditions d’esclavage moderne. »

Le Guardian explique que la plus forte hausse du risque d’esclavage concerne la Roumanie, seul pays de l’UE classé comme « à haut risque ». La Turquie est également devenue un État à « haut risque ». « L’afflux de centaines de milliers de Syriens fuyant la guerre, combiné avec le système de permis de travail restrictif de la Turquie, a conduit des milliers de réfugiés à devenir une main-d’œuvre informelle. Le gouvernement, qui se concentre sur la répression politique, ne donne pas la priorité aux violations du droit du travail, ce qui augmente les risques. Au cours de la dernière année, plusieurs grandes marques des usines textiles turques ont été associées au travail des enfants et à l’esclavage. »

L’agence Verisk Maplecroft travaille à partir d’informations en sources ouvertes et de renseignements obtenus auprès du Département d’État américain et d’ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International. Cependant, Alexandra Channer reconnaît que l’accès aux preuves peut être compliqué. « L’énorme problème, pour quiconque essaie d’évaluer le risque d’esclavage moderne, est que cela constitue une activité criminelle. C’est caché, bien qu’il s’agisse d’un business de milliards de dollars. »

En tête de ce triste classement des pays extrêmement exposés à l’esclavage moderne : la Corée du Nord, la Syrie, le Soudan du Sud, le Yémen, la République démocratique du Congo, le Soudan, l’Iran, la Libye, l’Érythrée et le Turkménistan.

Médiapart : Entretien avec le président de SOS Méditerranée

Migrants en mer: «A un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez»

Par Cécile Andrzejewski Mediapart

En Méditerranée, plusieurs ONG interviennent pour sauver de la noyade des migrants embarqués à bord de rafiots de fortune. Ce que leur reprochent les autorités italiennes et européennes : par leurs actions, les associations favoriseraient l’immigration illégale. Une « erreur d’analyse », répond Francis Vallat, président de SOS Méditerranée.

Accusées de favoriser le travail des passeurs et de créer un « appel d’air » migratoire, les ONG intervenant en mer Méditerranée se sont vu imposer un code de conduite par le gouvernement italien. La plupart des associations refusent pour le moment de le signer. Et si les négociations continuent, les sauvetages ne s’arrêtent pas non plus, loin s’en faut.

Francis Vallat, ancien armateur, est le président de SOS Méditerranée, qui intervient en mer pour secourir les naufragés à l’aide de son bateau, L’Aquarius. Créée au printemps 2015, l’association, financée à 76 % par les dons de particuliers, est directement confrontée à l’ampleur de la crise migratoire et à la détresse des réfugiés, comme le raconte son président.

Quelle est la situation en mer Méditerranée en ce moment ?

Francis Vallat : Elle n’a malheureusement pas changé par rapport aux autres années. On devrait même avoir environ 20 % de passages en plus sur l’axe Libye-Italie. Au total, 200 000 personnes devraient passer par cette route sur l’exercice 2017. Il y a toujours un certain nombre de morts, probablement 5 000 cette année, ou un peu plus. Depuis le début, nous avons pu sauver 23 000 personnes. Selon les périodes de l’année, les ONG réalisent autour de 25 % des passages, le reste étant fait par la garde-côte italienne, les navires italiens, les bateaux de commerce…Comment opère SOS Méditerranée en mer ? 

Nous avons un bateau, L’Aquarius, qui mesure un peu moins de 80 mètres de long. Il dispose d’une partie d’accueil des réfugiés, avec, d’un côté, les hommes et, de l’autre, les femmes. Quand on peut les répartir, bien sûr, car les interventions sont intenses. Une autre partie est aménagée en petit hôpital avec des médecins et des infirmiers, sur laquelle on travaille avec Médecins sans frontières (MSF). Au total, on tourne autour de 26 personnes sur L’Aquarius, entre l’équipage de conduite du bateau, les sauveteurs, le personnel médical, les responsables communication et les journalistes qui suivent les opérations. Toutes les trois semaines, on fait escale à Catane, en Sicile, et on repart.

Pour les sauvetages, quand un bateau coule, nous sommes informés par le MRCC, le Centre de coordination des sauvetages en mer, dont le quartier général est à Rome. Nous sommes en liaison permanente avec eux, ils nous donnent l’ordre d’aller sauver les bateaux. Enfin, si on peut appeler ça des bateaux… Ils se dégonflent, des bouts de planche sortent, c’est une catastrophe. Dès qu’on arrive, on récupère les personnes. C’est très difficile parce que les réfugiés sont terrorisés, ils paniquent, la plupart ne savent pas nager. Il y a des gens parmi eux qui ont été torturés, des femmes souvent violées, parfois des enfants sont à bord. La semaine dernière, on a trouvé huit personnes mortes au fond du bateau parce qu’ils étaient trop nombreux, elles ont été asphyxiées avec les vapeurs d’essence. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais même les cas « normaux » demandent beaucoup de compétences. Il faut calmer les réfugiés, les rassurer, certains se jettent à l’eau.

Et ensuite ?

Ensuite ils viennent sur le bateau. On peut normalement accueillir jusqu’à 500 personnes, mais il nous est arrivé d’en avoir près de 1 000 à bord. Les premières 24 heures sont terribles. C’est là où on les calme, on les soigne, on les rassure. On parle avec eux de leurs vies, de ce par quoi ils sont passés. Ces échanges-là sont plus humains, à la fois très touchants, mais aussi très durs. L’atmosphère à bord du bateau s’avère absolument formidable. C’est indispensable car la pression morale reste très forte, il a pu arriver que nos propres sauveteurs soient traumatisés par ce qu’ils ont vu. Puis on va en Italie, à Lampedusa ou à Trapani. Comme on a un gros bateau, parfois, sur ordre du MRCC, on transborde sur L’Aquarius des gens sauvés par d’autres, pour les amener en Italie. C’est-à-dire qu’on embarque à bord des réfugiés qui ont été sauvés par d’autres bateaux.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

© Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Ces derniers temps, on entend beaucoup parler « d’appel d’air », une théorie selon laquelle, en intervenant en Méditerranée, les ONG encourageraient finalement les migrants à prendre la mer sur des rafiots de fortune et favoriseraient donc l’immigration illégale…

D’abord, en Libye, beaucoup de personnes sont extraordinairement maltraitées [lire à ce sujet les récits de migrants rescapés de l’horreur libyenne publiés en avril dernier sur Mediapart – ndlr]. Ces gens vivent un véritable enfer en Libye. Selon les périodes, nous sauvons 20 % à 25 % d’enfants. 80 % d’entre eux sont sans leurs parents. Ce qui signifie que la désespérance est telle qu’en dépit de tout, les parents se sont sacrifiés, ils ont économisé pour payer un passage, pour qu’au moins leur enfant soit sauvé. Le désespoir reste absolu, donc ils partiront.

Cette histoire d’« appel d’air » est une erreur d’analyse : lorsqu’en 2014, l’opération Mare Nostrum a été arrêtée, lorsque cette force a été enlevée d’un seul coup, ça n’a absolument pas tari le flux de départs en mer. La seule chose qui a augmenté, c’est le nombre de morts. La théorie de l’« appel d’air » constitue une sorte de fausse excuse qui camoufle la crainte ou le refus des sauvetages. On dépasse le cap des 50 000 morts depuis le début de la crise des migrants. Ces chiffres sont certainement sous-évalués car ils sont calculés uniquement sur la base des morts qu’on peut constater. Mais ils disent tout : ce drame se déroule à nos portes.

La Méditerranée, on peut s’y baigner, pêcher, y passer du bon temps, mais on ne peut pas non plus regarder ailleurs, on ne peut pas laisser mourir ces gens sans les aider. On peut discuter pendant des heures de la politique migratoire, le problème n’est pas celui-là, il est de dire qu’on ne peut pas laisser des gens mourir à nos portes, que le sauvetage ne se discute pas.

Cet argument de « l’appel d’air » est utilisé par l’extrême droite, les populistes, qui ne vont pas assez loin dans l’analyse. Ils se servent d’un rapport de Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’UE – ndlr] qui aurait pointé cet effet. Mais on a rencontré le directeur général de Frontex. D’après lui, les responsables de l’agence ne sont pas dans cette conviction. Il nous a paru sincère. Après, il y a les pressions politiques… La meilleure des preuves : Frontex [qui coordonne désormais l’opération Triton, laquelle a pris le relais de Mare Nostrum, mais dont l’objectif premier est le contrôle des frontières – ndlr] participe aux opérations de sauvetage. Si les ONG sont coupables d’un appel d’air, alors c’est le cas de tous ceux qui sont là, y compris les navires étatiques ou européens. À un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez.

« Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe »

Y a-t-il une réelle volonté politique face à cette crise ?

Nous, on s’occupe exclusivement de sauvetage. Notre seule action politique consiste à dire aux responsables nationaux et européens : votre boulot, c’est de travailler sur les solutions. Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe. À l’heure actuelle, il n’existe aucune stratégie. Que fait-on à court terme, à moyen terme, à long terme ? On sait que trouver des solutions va prendre du temps, mais c’est essentiel. Où est en France le groupe de travail qui réfléchit à ces problèmes ? Il y a un refus de voir le problème en face. Ce refus est irresponsable vis-à-vis des réfugiés et aussi vis-à-vis de nos enfants. On n’a pas le choix, il faut y réfléchir. On ne peut pas dire que rien n’est fait, mais les solutions sont loin d’être à la dimension du problème.

L’objectif final n’est-il pas que les garde-côtes libyens prennent le relais ?

Ça fait partie des choses discutées, des solutions proposées. Si ça peut permettre de les rendre plus responsables… Parce qu’aujourd’hui, quand on croise des gens en uniforme, on ne sait pas à qui on a affaire. Mais si ça consiste à prendre les réfugiés et à les ramener dans l’enfer qu’ils viennent de quitter, là on est clairement contre, ce n’est pas acceptable. Pour l’instant, tout ça n’est pas encore très clair, mais on se méfie beaucoup de cette histoire.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Le 25 juillet dernier, le gouvernement italien a présenté un code de conduite destiné aux ONG qui interviennent en Méditerranée. Cinq des huit ONG l’ont refusé, dont SOS Méditerranée ?

Nous sommes en discussion. Cette histoire est sortie il y a deux semaines. Il a d’abord fallu comprendre ce code. Nous avons eu, comme d’autres ONG, des discussions avec le gouvernement italien. Elles se poursuivent encore, avec une nouvelle rencontre à la fin de la semaine. Nous ne sommes pas contre un code de conduite en soi. Il y a déjà des règles extrêmement strictes : notre bateau a interdiction de se rendre dans les eaux territoriales libyennes ; il ne peut agir qu’à la demande du MRCC ; si L’Aquarius croise un bateau en difficulté, l’équipage doit prévenir le centre de coordination ; nous avons interdiction de tout contact avec les passeurs. Mais pour ce nouveau code de conduite, nous voulons discuter de certains points.

Lesquels ?

Premièrement, il faut qu’il soit clair que les transbordements entre navires seront autorisés. C’est-à-dire qu’on doit pouvoir accueillir des personnes sauvées par d’autres bateaux pour qu’ils puissent continuer les recherches, on ne doit pas être obligés de retourner au port entre chaque sauvetage. À l’heure actuelle, on a sauvé autant de gens car on a pu en recueillir en transbordement, ce qui a permis à d’autres de continuer les sauvetages. C’est essentiel, si on ne le fait pas, on perd des vies. S’il faut effectuer l’aller-retour sur les côtes, on perd une trentaine d’heures. On refuse également que toute action soit réalisée vis-à-vis des réfugiés dans les premières 24 heures. Parce que les gens sont dans un état de choc incroyable durant cette période, ils ont besoin de temps.

Enfin, il est hors de question qu’il y ait des personnes armées à bord [le code de conduite impose en effet la présence d’officiers de police dans les bateaux – ndlr]. La présence de gens armés constitue un facteur de tension et un facteur de risque. Dans ce cas précis, ça ne nous paraît pas justifié. Cette disposition nous inquiète. Il ne faut pas oublier que les réfugiés viennent de pays où ils ont vécu des événements violents.

Nous discutons de ces trois points, qui représentent des points de blocage pour nous, avec les autorités italiennes. Notre position est très claire mais nous avons bon espoir d’ouvrir un dialogue. Nous sommes très fermes, mais très équilibrés. Simplement, nous restons intransigeants sur le sauvetage, car c’est de ça qu’on s’occupe. La garde-côte italienne travaille très efficacement au sauvetage, c’est d’ailleurs le gouvernement italien qui assure la majeure partie du sauvetage, à hauteur de 40 % ces dernières années. Mais la pression des populistes reste très forte.

[Cet entretien a été réalisé par téléphone le jeudi 10 août. Le lendemain, vendredi 11 août, SOS Méditerranée a signé une version modifiée du code de conduite au cours d’une rencontre avec le ministère à Rome, ses demandes ayant été prises en compte. Voir Boîte noire – ndlr]

D’où viennent les réfugiés que vous secourez ?

Ils viennent de partout. De pays en guerre ou dans une crise politique qui ressemble à une guerre. Dans le nord du Nigeria, avec Boko Haram, à la place des habitants, vous fileriez aussi. Ils viennent de l’Érythrée, du Soudan, du nord du Nigeria donc, du Niger, de la Syrie. Par ailleurs, oui, il y a des réfugiés économiques, en particulier d’Afrique de l’Ouest, mais qui sommes-nous pour dire « toi, tu es politique, je te ramasse, toi non parce que tu es économique » ? Si vous n’avez aucune solution, c’est normal que vous partiez chercher un avenir ailleurs. Au sud du Sahara, dans la zone sahélienne, les conditions économiques sont très difficiles, les habitants cherchent des solutions. Pour la plupart, ce ne sont pas des gens qui arrivent en Libye et d’un seul coup vont chercher un bateau. Le pays employait énormément de ces gens, mais il est depuis tombé dans le chaos, des gangs les traitent de manière épouvantable.

Un bateau financé par des militants d’extrême droite s’est récemment lancé dans une tentative de navigation en Méditerranée pour empêcher les ONG d’agir…

Leur épopée a surtout consisté en une opération de communication. Ils ont été empêchés d’entrer dans des ports. Ces gens sont totalement marginaux. Ils tiennent du groupuscule. En parler, c’est leur donner une importance qu’ils n’ont pas du tout. Voilà pourquoi SOS Méditerranée s’est très peu exprimé à leur sujet. Il s’agit d’un épiphénomène qui est, à certains égards, ridicule. D’abord, ils ont imité notre modèle, en réalisant une levée de fonds. Or, ça demande un travail énorme : notre bateau coûte entre 11 000 et 12 000 euros par jour, nous devons lever 4 millions d’euros par an. Eux ont à peu près réuni 80 000 euros [76 000 exactement – ndlr], ils ne vont pas tenir très longtemps.

Il faut qu’on soit très vigilants parce qu’on ne peut pas se permettre de mettre en danger notre équipage et les réfugiés à bord. Ils nous ont suivis au début. Ils sont venus nous trouver et nous ont dit : « Nous vous sommons de quitter cette zone, vous mettez en danger l’Europe ! » Nous n’avons pas réagi et au bout d’un moment ils ont changé de route pour aller dire la même chose à un autre… Ce que l’on craignait, ce n’était pas qu’ils reprennent les réfugiés et les ramènent en Libye, ce n’est pas possible, on craignait surtout qu’ils leur fassent peur et que ceux-ci paniquent sur le bateau. Parce qu’eux sont réellement en état de choc.

Sur les réfugiés semaine 32

10/8/17 L’Espagne pourrait dépasser la Grèce en arrivées de migrants par mer http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-espagne-pourrait-depasser-la-grece-en-arrivees-de-migrants-par-mer_1934562.html

9/8/17  Les réfugiés afghans en Allemagne ne seront plus renvoyés dans leur pays pour des raisons de sécurité http://french.china.org.cn/foreign/txt/2017-08/09/content_41381158.htm

9/8/17 Les regroupements familiaux des réfugiés freinés en Grèce https://www.euractiv.fr/section/migrations/news/les-regroupements-familiaux-des-refugies-freines-en-grece/

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