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Tragédie à la grecque à la mairie de Madrid ?

20 décembre par Jérôme Duval CADTM 

L’éviction de l’adjoint aux finances à la mairie de la capitale espagnole, coupable d’avoir voulu résister à l’injonction à l’austérité par le pouvoir central, ouvre une nouvelle crise politique.

Balayant le Parti populaire au pouvoir depuis vingt-quatre ans dans la capitale, Ahora Madrid, la coalition dite du changement, avait pris d’assaut la municipalité lors des dernières élections municipales du 24 mai 2015, avec 31,85 % des voix et vingt sièges de conseillers. Le ministre espagnol des Finances et de la Fonction publique, Cristóbal Montoro, qui excelle dans la transposition des règles budgétaires européennes d’austérité au niveau municipal du royaume, obtient la soumission de la ville la plus endettée, jusqu’ici emblème des politiques alternatives au gouvernement central, tout en fissurant le nouveau pouvoir municipal Ahora Madrid, aujourd’hui en pleine crise politique.

Le ministre Montoro déclenche la polémique au sein de la coalition au pouvoir à Madrid

La maire, Manuela Carmena, a décidé lundi 18 décembre de destituer son adjoint aux finances, Carlos Sánchez Mato, quelques heures avant une session plénière d’une cruciale importance, celle devant décider l’approbation ou non du Plan économique et financier (PEF) 2017-2018 fixant les grandes lignes budgétaires de la ville. Or ce PEF inclut des coupes, exigées par le ministre des Finances Montoro, de plus de 533 millions d’euros, dont une grande partie dans les secteurs afférents aux droits sociaux, l’emploi et l’équité, soit 13 % du budget. Refusant de se soumettre, l’adjoint aux finances avait prévu de ne pas assister au vote, refusant de défendre un PEF contraire aux principes de solidarité qu’il défend.

Depuis qu’il est à son poste à la mairie, Sánchez Mato a toujours placé la population madrilène au cœur de sa politique économique, avant les intérêts financiers des créanciers. Voilà sans aucun doute la véritable raison de sa destitution, aboutissement d’une longue querelle avec le ministre Montoro. Pourtant, pendant ses deux années et demie de mandat, Sánchez Mato et son équipe ont démontré qu’une autre politique économique était possible : la municipalité a dégagé un surplus budgétaire de plus d’un milliard d’euros l’année passée et, malgré la gestion libérale calamiteuse du gouvernement précédent du Parti populaire qui avait fait exploser la dette municipale au sommet stratosphérique de 7,7 milliards d’euros en 2012, Sánchez Mato était parvenu à la réduire à 3,5 milliards au deuxième trimestre de cette année 2017, soit moitié moins. Une perspective de genre avait même été introduite dans les budgets. Mais l’augmentation de 73 % des dépenses sociales que Sanchez Mato s’évertuait à placer en priorité, n’était pas du goût du ministre et de son arsenal législatif |1|.

Discipline de vote lors de la session du 18 décembre

Manuela Carmena a été claire envers son équipe municipale, avertissant qu’elle accepterait uniquement les votes en faveur du PEF, les responsables allant contre cette décision devront en assumer les « conséquences ». Lors du vote ce même 18 décembre, le PEF a été approuvé grâce aux votes du Parti populaire (!) et de 14 conseillers de Ahora Madrid (un total de 34 Oui). Le PSOE et Ciudadanos ont voté contre (16 voix contre) et 6 conseillers de Ahora Madrid ont décidé de ne pas prendre part au vote, avec à leur tête Carlos Sánchez Mato. Parmi ces derniers, les conseillers Guillermo Zapata, Celia Mayer et Javier Barbero qui qualifient, dans un communiqué de leur organisation « Madrid 129 » (scission de Ganemos), les derniers événements de grave erreur à même de mettre en danger la confluence qui a porté au pouvoir le gouvernement de Madrid, et laissent entrevoir le possible abandon de leurs responsabilités à la mairie |2|. Car destituer Sánchez Mato revient à se soumettre aux règles illégitimes de Montoro et oblige Carmena à trahir son propre programme, impossible à réaliser dans de telles conditions.

Coup double pour Montoro

Montoro, avec sa gestion intrusive, peut s’enorgueillir de voir approuvé un PEF bien cantonné à sa doctrine libérale qui marquera d’une manière ou d’une autre l’avenir économique de la capitale. Il peut aussi se réjouir d’avoir réussi à ce que la mairie de Madrid, principal moteur du contre-pouvoir municipal avec Barcelone, soit prise dans une crise interne aux conséquences irréversibles à l’approche des prochaines élections municipales de 2019. La victoire est double comme le souligne le journaliste Andres Gil |3|.

Au-delà des résonances de tragédie à la grecque (rappelons-nous l’épisode fatal de la capitulation de Tsipras), la crise au sein du gouvernement municipal de Manuela Carmena, après la destitution de Carlos Sánchez Mato, fait planer la menace d’une rupture au sein de la coalition la plus importante de l’État espagnol, Unidos Podemos, formée en vue des élections générales de 2016 par les partis Podemos et Izquierda Unida au niveau national. En effet, Izquierda Unida n’apprécie guère le soutien du leader de Podemos, Pablo Iglesias, qui affirmait dans une interview à la radio Cadena Ser : « Il y a une loi sur les dépenses, celle de Montoro, à laquelle nous devons nous opposer au Parlement. Cependant, il est logique que les municipalités se conforment à la loi, même si nous ne l’aimons pas » |4|. Ce qui fait dire à Izquierda Unida qu’Iglesias « affirme une chose au Parlement et accepte son contraire à Madrid » |5|.

Réactions en cascade

S’il ne faut pas sous-estimer les dommages collatéraux du séisme politique, il ne faut pas non plus imaginer une soumission aveugle face à la capitulation de Madrid de la part de toutes les forces progressistes arrivées au pouvoir dans nombre de villes d’Espagne en 2015. Aussitôt les réactions ne se sont pas fait attendre : plusieurs adjoints aux finances de plusieurs villes (Cadix, Badalona, Oviedo, Puerto Real et Ripollet) ont publié une tribune « Moi aussi je suis Carlos Sánchez Mato », affichant leur solidarité et leur refus de soumission aux diktats austéritaires. Une rencontre du Réseau des municipalités contre la dette illégitime est prévue à Rivas, près de Madrid, début février et portera le débat sur les enjeux et limites des politiques municipales progressistes face à l’intransigeance d’un gouvernement central qui est prêt à tout pour en découdre avec toute proposition alternative qui émane de ces forces municipales.

Notes

|1| La Loi de rationalisation et soutenabilité de l’Administration locale (« Racionalización y Sostenibilidad de la Administración Local »), connue comme “loi Montoro” plafonne les dépenses des administrations locales et incite prioritairement au remboursement des dettes, fussent-elles illégitimes.

|2| Voir le communiqué de leur organisation « Madrid 129 » : http://madrid129.net/2017/12/18/sobre-el-pef/ et http://administracionpremios.com/zapata-mayer-y-barbero-se-plantean-salir-del-gobierno-de-carmena-tras-el-cese-de-mato/

|3| Andres Gil, « El Ayuntamiento de Madrid se agrieta ; Montoro se frota las manos », eldiario.es, 18 décembre 2017.

|4| « Hay una regla de gasto, la de Montoro, a la que tenemos que hacer oposición nosotros desde el Congreso. Mientras tanto, es lógico que los ayuntamientos tengan que cumplir la ley aunque no nos guste » Pablo Iglesias, Cadena Ser, 18 décembre 2018. http://cadenaser.com/programa/2017/12/18/hoy_por_hoy/1513594510_967705.html

|5| “decir una cosa en el Congreso y aceptar la contraria en Madrid”, citation prise dans « La alianza Podemos-IU salta por los aires tras el cese de Sánchez Mato », El Confidencial, 19 décembre 2017. https://www.elconfidencialdigital.com/politica/alianza-Podemos-IU-salta-Sanchez-Mato_0_3059694024.html

Auteur.e Jérôme Duval est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016 et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet

Sur les recommandations de l’ONU au FMI

par Chiara Filoni CADTM Belgique

CC-Wikimedia commons

En juillet 2017, Alfred-Maurice de Zayas, Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable pour les Nations unies, a publié son sixième rapport qui examine l’incidence des politiques du Fonds monétaire international (FMI) et en particulier de la « conditionnalité » de ses prêts sur l’ordre international et les droits humains. Nous publions ici quelques commentaires sur ses constats et sur les recommandations qu’il adresse au FMI.

Le but de ce rapport, lisons-nous dans l’introduction, n’est pas de produire des analyses ou des prévisions en matière de macroéconomie, mais plutôt d’examiner la situation actuelle en vue de formuler des recommandations au FMI pour que ses politiques soient conformes avec le régime international relatif aux droits humains. Ce régime, qui fait partie de ce que l’on pourrait appeler le droit international coutumier, s’applique tant aux États qu’aux organisations intergouvernementales et aux entreprises multinationales puisque il est au-dessus de toute autre réglementation.

En effet, bien que le FMI soit une organisation internationale indépendante des Nations unies et qu’elle ait signé en 1947 un accord qui stipule que « le Fonds est une organisation internationale indépendante et doit fonctionner comme telle », cela ne veut pas dire qu’elle est dispensée de la responsabilité des conséquences néfastes que peuvent entraîner ses prêts sur les droits humains. De plus, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), en tant qu’agences spécialisées de l’ONU, sont liées aux objectifs et aux principes généraux de la Charte des Nations unies, parmi lesquels figurent le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

Par conséquent, il leur est interdit d’imposer des mesures qui empêchent les États de se conformer à leurs propres obligations nationales et internationales en matière de droits humains. |1|


Conditionnalité fatale

Dans la rédaction de ces recommandations l’expert indépendant se base sur des études empiriques, de rapports d’autres experts et d’ouvrages critiques comme l’excellent livre de Naomi Klein, La stratégie du choc ou celui de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle ou encore des questionnaires complétés par des organisations de la société civile comme Human Rights Watch ou le CETIM.

L’auteure de la Stratégie du choc démontre par exemple que l’« aide » du FMI à des pays en crise économique et sociale a « transformé la crise en catastrophe ». Naomi Klein décrit dans son livre comment la « thérapie » des privatisations instantanées- qui a été imposée par le FMI et le département du Trésor des États-Unis dans les années 1990 à des pays comme l’Argentine, la Bolivie, la Fédération de Russie et le sud-est asiatique souvent pour des raisons d’opportunisme – a eu des conséquences dévastatrices sur l’exercice des droits de l’homme. |2| De plus, cela a été fait parfois, comme dans le cas de Trinité-et-Tobago, par le biais de fraudes statistiques, comme l’augmentation fictive de la dette gouvernemental afin d’exagérer le niveau de la crise économique et d’appliquer des programmes d’austérité.

Malgré la reconnaissance de problèmes liés à l’approfondissement des inégalités et les efforts pour améliorer son image, notamment par des fiches techniques et des déclarations officielles, selon l’expert, le FMI reste accroché à l’idéologie du Consensus de Washington. Pour le fonds en fait, stabilisation, libéralisation et privatisation stimuleraient automatiquement la croissance économique, dont les « effets de ruissellement » devraient améliorer le niveau de vie de toute la population.

Toutefois, comme l’affirme Alfred-Maurice de Zayas dans ce rapport, lorsqu’un pays s’engage dans un resserrement budgétaire excessif afin d’atteindre les objectifs macroéconomiques fixés par le FMI (croissance économique permettant d’honorer le service de la dette), peu de ressources subsistent pour les dépenses sociales. Il a été démontré par exemple que, outre sa capacité à affaiblir les infrastructures du secteur public, la conditionnalité imposée par le FMI menace le droit à la santé : dans la course à la croissance économique à tout prix, les investissements à long terme, tels que ceux requis pour améliorer les soins de santé, sont relégués au second plan.

En outre, il a été observé qu’il existe un lien entre la conditionnalité du FMI, les dépenses réduites dans le secteur de la santé et la flambée d’Ebola en Afrique de l’ouest. Ainsi, en 2013, juste avant la flambée, trois des pays les plus touchés par l’épidémie avaient si bien suivi les prescriptions du FMI en termes de politique macroéconomique qu’ils n’avaient pas atteint les objectifs de dépenses sociales. |3|

Le refus d’un cadre pour les restructurations de dettes et le cas de la Grèce

En 2001 le FMI a refusé une nouvelle approche de la restructuration de la dette souveraine proposée par Anne Krueger, alors directrice générale adjointe du FMI. Cette proposition prévoyait la « création d’un cadre offrant au pays débiteur une protection légale contre les créditeurs qui s’érigent en obstacle contre une restructuration nécessaire. En contrepartie, le débiteur aura l’obligation de négocier de bonne foi avec ses créditeurs et d’adopter des politiques pour éviter la réapparition de problèmes similaires dans le futur ». |4|

Malgré les limites de cette proposition à nos yeux de militant-e-s engagé-e-s dans la lutte pour l’annulation de la dette illégitime, la seule possibilité d’imaginer un cadre permanent pour la restructuration des dettes fait peur au FMI, qui souvent vit sur le dos des pays en défaut de paiement ou en difficulté économique. |5| est exemplaire à cet égard.

Selon le Bureau indépendant d’évaluation, le FMI a violé sa propre règle fondamentale en autorisant le sauvetage financier de 2010 à partir du moment où il ne pouvait pas garantir que le plan de renflouement permettrait de contrôler la dette du pays. Comme l’explique Michel Husson, après l’expérience désastreuse en Argentine, le FMI s’était fixé comme règle de n’accorder de prêts importants qu’à des pays dont la dette était jugée soutenable avec une forte probabilité. Or, dans le document préparatoire du plan de sauvetage on peut lire : « il est difficile d’affirmer catégoriquement que tel est le cas avec une forte probabilité ». Cette constatation finale aurait donc dû conduire à refuser le programme d’aide à la Grèce. |6| L’exception dans le cas de la Grèce a été décidée en raison du risque de « contagion systémique ». En effet, la préoccupation était de sauver l’union monétaire, non d’aider la Grèce à sortir de la crise.

En décembre 2015, l’Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, Juan Pablo Bohoslavsky, alarmé par la situation d’une grande partie de la population grecque, appelait à prendre en compte les facteurs sociaux.

Alfred-Maurice de Zayas encourage le FMI à intégrer les Principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine contenus dans la résolution adoptée le 10 septembre 2015 par l’Assemblée générale de l’ONU, |7| ceci contrairement à ce qui s’est passé lors des différents mémorandums en Grèce, où le FMI a joué le jeu de créanciers et n’a pas du tout cherché à protéger la population, dont les conditions de vie se sont dramatiquement dégradées suite aux conditionnalités appliquées en échange de cette opération. |8|

L’expert va plus loin en affirmant que les politiques de la Troïka face à la crise grecque ne peuvent aboutir qu’à des violations continues des droits de l’homme.

L’expert va plus loin en affirmant que les politiques de la Troïka face à la crise grecque ne peuvent aboutir qu’à des violations continues des droits de l’homme

La mauvaise foi des créanciers est évidente en Grèce – mais aussi dans d’autres pays comme l’Argentine ou la Tunisie : les mesures imposées portent atteinte aux droits fondamentaux des peuples, en violation de la législation nationale et internationale. Il souscrit par conséquent aux conclusions du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique selon lesquelles 85 % la dette grecque est odieuse, illégitime, illégale et insoutenable et doit donc être annulée.


Quelles recommandations ?

Pour toutes ces raisons- et pour d’autres encore- l’Expert indépendant formule les recommandations suivantes au FMI et par ailleurs aussi à la Banque mondiale.

- Modifier leurs Statuts afin de promouvoir le développement et les droits de l’Homme à travers des pratiques de prêt « intelligentes » qui bénéficient non seulement aux banques et spéculateurs, mais à des milliards d’êtres humains. L’expert cite à ce propos l’exemple de la Banque mondiale, qui a récemment soutenu l’objectif de couverture sanitaire universelle.
Malgré l’importance de cette recommandation ayant comme but de limiter les dommages causés par la politique de prêt du FMI, deux aspects posent problème.

1. L’Expert reconnaît que les deux institutions de Bretton Woods ont toujours joué le jeu des banques, voire, dans les termes de Karin Lissakers, représentante des États-Unis au Conseil d’administration du FMI dans les années 1990, sont les « exécuteur[s] des contrats de prêt des banques », pourtant il ne va pas jusqu’à exiger du FMI qu’il soit indépendant des banques et octroie des prêts uniquement au bénéfice des populations des pays destinataires.

2. Il ne met pas en cause les promesses de la Banque mondiale quant à l’objectif de couverture sanitaire universelle. Or il nous semble assez naïf de croire que les déclarations de cette institution se transforment nécessairement en réalité. Comme l’affirme l’ONG Bretton Woods Project, |9| la Banque mondiale elle-même a déjà déclaré que l’objectif de couverture sanitaire universelle est loin d’être atteint, surtout dans les pays les plus pauvres où les ressources économiques sont limitées.

Pour cette raison la BM semble s’orienter plutôt vers un système de protection privée financée par les créanciers dans une approche basée, encore et toujours, sur la performance économique. L’objectif final reste en effet toujours la croissance économique ; par conséquent les investissements dans les secteurs de la santé font partie d’un calcul de coûts-avantages au lieu d’être considérés comme des dépenses fondamentales pour la réalisation du droit humain à la santé. La seule dépense financée par le public sera un package d’interventions sanitaires de base (pas encore bien défini). Pour d’autres interventions (hors package) les patient-e-s devront payer de leur poche ou s’en passer !

On voit mal, dès lors, comment ce programme pourra atteindre les objectifs de fin de la pauvreté et d’une plus grande prospérité pour tou-te-s, comme déclaré par l’institution.

À noter que la BM parle également de « système éducatif universel » à atteindre par le biais d’écoles privées, une méthode qui en réalité sape le droit à l’éducation pour tous et toutes. |10|

- Exiger des avis consultatifs de la Cour internationale de Justice au sujet de toute question juridique soulevée dans les limites du champ de ses activités, comme décrit dans l’article VIII de l’accord du FMI et des Nations Unies précédemment cité. L’expert tient à rappeler également qu’aucune institution financière internationale ni aucun accord commercial n’est au dessus du droit international.

- Assujettir ses prêts à l’adoption d’une législation nationale qui garantit que les entreprises nationales et transnationales s’acquittent de leurs impôts ; interdit le transfert de bénéfices et proscrit les paradis fiscaux ; taxe les transactions financières, prévient la corruption et les pots de vin, inclut des règles générales anti-évitement ; assure l’emprunteur qu’aucune partie d’aucun prêt ne sera utilisée pour satisfaire les réclamations de fonds vautours ou de créanciers récalcitrants.

Toutes ces mesures faciliteraient en effet la lutte contre la fraude fiscale, limiteraient les inégalités, éviteraient le gaspillage et la corruption. Pourtant, même si le FMI reconnaît dans ses publications l’importance de la transparence fiscale et de la lutte contre la corruption, selon Human Rights Watch ces normes ne sont guère appliquées en pratique. Le Manuel du FMI sur la transparence des finances publiques, qui fournit des orientations quant à la mise en œuvre de son Code des bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques, reconnaît que ces normes doivent être appliquées sur les dépenses et revenus militaires mais, en pratique, l’institution n’a pas usé de son pouvoir d’influence pour soutenir le progrès dans ce domaine.

- Assujettir ses prêts à la déclaration d’un moratoire sur les dépenses militaires (excluant les salaires et pensions) pendant la durée du prêt.
En réalité le FMI a jusqu’ici refusé cette proposition ; une fiche technique précise d’ailleurs que « La politique du Fonds prohibe l’établissement de conditions requérant des membres la réduction des niveaux de leurs dépenses militaires. Bien que la somme que les autorités d’un pays membre dépensent sur le secteur militaire puisse être de taille par rapport à la situation macroéconomique du pays, le Fonds adopte la position que les dépenses militaires sont d’une nature intrinsèquement politique et qu’il serait inapproprié qu’elles fassent l’objet d’une conditionnalité ». Voilà qui cadre bien avec la partialité politique des institutions de Bretton Woods, illustrée par leur soutien financier aux dictatures qui ont sévi au Chili, au Brésil, au Nicaragua, au Congo-Kinshasa, en Roumanie à partir des années 1950. |11|

- Plus globalement, redéfinir ses priorités et finalement abandonner les conditions obsolètes de privatisation, de déréglementation des marchés et d’ « austérité » dans les services sociaux qui entraînent nécessairement des violations des droits de l’homme.

Abandonner les conditions obsolètes de privatisation, de déréglementation des marchés et d’« austérité » dans les services sociaux

Selon l’expert, l’amélioration de conditions de vie des personnes requerrait que le FMI adopte une approche fondée sur les droits de l’homme en rupture avec le consensus de Washington et inspirée par une philosophie plus « progressiste » du développement.

Le CADTM nourrit peu d’espoir que ce changement puisse arriver un jour au vu de la politique néolibérale promulguée par les deux institutions, leur fonctionnement anti-démocratique et leurs asservissement aux exigences de certaines États du Nord, à commencer par les États-Unis. |12| Raison pour laquelle le CADTM s’est toujours positionné en faveur du remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international (extrait de notre charte politique). Nous constatons d’ailleurs que le FMI utilise l’argument du respect de ses statuts quand cela l’arrange mais que l’interdiction de prendre en compte les considérations « politiques » et « non économiques » est systématiquement contournée. Il est essentiel que l’Assemblée générale de l’ONU et les différent-e-s expert-e-s continuent de tirer la sonnette d’alarme sur la violation de droits humains dont les institutions internationales se rendent complices et de nourrir le débat citoyen sur la nécessité d’inverser radicalement l’ordre économique mondial et les politiques des acteurs institutionnels.


Merci à Christine Pagnoulle pour sa relecture

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Notes

|1| Pour plus d’infos sur le sujet lire Renaud Vivien, Banque mondiale, une zone de non-droit protégée par des juges, disponible sur http://www.cadtm.org/Banque-mondiale-une-zone-de-non

|2| Naomi Klein, La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, coll. « Babel » (Toronto, Léméac/Actes Sud, 2008).

|3| Pour plus d’informations lire l’article par Émilie Paumard, Le FMI et la Banque mondiale ont-ils appris de leurs erreurs ? publié sur : http://www.cadtm.org/Le-FMI-et-la-Banque-mondiale-ont

|4| Pour plus de détails consulter le rapport de l’expert, p.24

|5| Lire l’article de Jubilee Debt Campaign Le FMI a fait 2,5 milliards € de bénéfice sur ses prêts à la Grèce disponible sur http://www.cadtm.org/Le-FMI-a-fait-2-5-milliards-EUR-de Le cas de la Grèce

|6| Pour plus de détails sur les discussions interne au FMI en 2010 voir l’article par Michel Husson, Grèce : Les “erreurs” du FMI disponible sur http://www.cadtm.org/Grece-les-erre…

|7| Ici le texte complet : http://unctad.org/meetings/fr/Sessi… et les réflexions du CADTM à ce sujet : http://www.cadtm.org/Reflexions-initiales-quant-a-la

|8| Eric Toussaint, L’échec de la restructuration de la dette grecque en 2012 : quelques enseignements à tirer par publié le sur http://www.cadtm.org/L-echec-de-la-… et Xavier Dupret, Restructuration de la dette grecque. Bénéfice sur toute la ligne pour les créanciers… disponible sur http://www.cadtm.org/Restructuration-de-la-dette

|9| A healthy step forward ? World Bank outlines vision for healthcare publié en juin 2013 par Bretton Woods projets et disponible sur http://www.brettonwoodsproject.org/…

|10| Education for all ? World Bank emphasises universal education policies publié en juin 2013 par Bretton Woods Project et disponible sur http://www.brettonwoodsproject.org/…

|11| Pour plus d’information sur le sujet lire Eric Toussaint, Le soutien de la Banque mondiale et du FMI aux dictatures publié sur http://www.cadtm.org/Le-soutien-de-la-Banque-mondiale,734

|12| Eric Toussaint Le FMI : une institution antidémocratique qui impose la régression sociale publié sur : http://www.cadtm.org/Le-FMI-une-ins…

Auteur.e

Chiara Filoni Permanente au CADTM Belgique

Quand la dette publique « légitime » la casse du droit du travail

Le CADTM publie ce jour un article à l’occasion du vote « solennel » à l’Assemblée nationale de la réforme du droit du travail en France, mise en miroir avec les politiques d’austérité imposées à la Grèce, et passées au crible du rapport de l’expert de l’ONU sur l’impact de la dette sur les droits du travail : des politiques qui violent les obligations nationales et internationales, et qui sont infondées sur les plans de la théorie et de la pratique économique.

Quand la dette publique « légitime » la casse du droit du travail

27 novembre par Anouk Renaud , Simon Perrin

(CC – Flickr – Jeanne Menjoulet)

Alors que les « débats » sont ouverts à l’Assemblée sur la réforme du droit du travail déjà entrée en vigueur depuis deux mois en France et à laquelle le vote « solennel » du 28 novembre 2017 donnera force de loi, examinons au regard du dernier rapport de l’ONU consacré à l’impact de la dette extérieure sur les droits du travail, ces réformes qui, de la Grèce à la France, visent à rebooster la croissance pour « rembourser la dette ».

De l’ajustement macronien en France…

Comme le rappelait fin septembre l’actuel PDG d’Atos et ancien ministre de l’économie, Thierry Breton, sur le plateau de France Télévision, il aura suffi d’une décennie pour que l’Hexagone passe du peloton de tête au peloton de queue en matière de déficits publics, avec un endettement équivalent aujourd’hui à 98 % du PIB contre 62 % il y a 10 ans |1|. En prévision de l’application des mesures néolibérales décidées par le gouvernement En Marche, le ministre de « l’action et des comptes publics » Gérald Darmanin continue de faire porter aux Français-es la responsabilité de rentrer dans les clous des critères de Maastricht et leur demande d’assumer le paiement des quelques 42 milliards d’euros d’intérêts annuels |2| et le renouvellement des 185 milliards d’euros de titres de dette qui arriveront à échéance en 2018 |3| (car la France fait rouler sa dette en réempruntant chaque année sur le marché des capitaux la même somme qu’elle rembourse pour ses emprunts arrivés à échéance), ajoutés aux 60 milliards d’euros qui permettent de combler le déficit primaire : « votre dette, quand un petit français naît c’est 32 000 euros par habitant, quand il travaille c’est 75 000 euros. […] La vérité c’est que nous devons faire tous collectivement des efforts et nous promettons aux Français qu’ils se feront sur des économies et pas en augmentant les impôts » |4|. Plus que de ne pas augmenter les impôts, le gouvernement promet en fait une baisse de 10 milliards d’euros d’impôts |5| sur les sociétés et le capital (allègement des cotisations patronales, suppression de l’ISF, etc). Et avec en première ligne des « efforts collectifs » qui sont présentés dans le « plan d’action pour l’investissement et la croissance » : la réforme du droit du travail |6|.


Les 36 mesures que comptent les 5 ordonnances Macron, attaquent de front les droits des travailleur-euse-s sur au moins trois axes : elles facilitent et réduisent le coût des licenciements, permettent de casser les normes existantes afin de précariser l’emploi et ses conditions d’exercice, et bouleverse la démocratie au sein de l’entreprise, en confisquant leur pouvoir de représentation aux syndicats.

Ainsi, sous la menace d’un licenciement pour « cause réelle et sérieuse » et sans obligation de reclassement, le contrat de travail sera désormais modifiable dans toutes ses dimensions grâce aux accords de maintien de l’emploi, qui pourront être imposés dans n’importe quelle situation du moment qu’ils permettent de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » |7|.

Prenant exemple sur le Portugal |8|, la réforme prévoit également un plafonnement des indemnités de licenciement, en rupture totale avec le principe de libre appréciation par le juge du préjudice subi par les salarié-e-s au regard de leur situation individuelle : au-delà de 29 ans d’ancienneté, un-e salarié-e recevra au maximum moins de deux ans de salaires |9|.

La création du « CDI de chantier » qui est un CDD déguisé inspiré du Job Act italien, permettra, quant à lui, aux employeur-euse-s d’économiser la prime de précarité en fin de contrat.

Poursuivant la poussée menée avec la loi El Khomri en 2016 visant à briser la « hiérarchie des normes », comme en Espagne, en Irlande ou en Belgique, les ordonnances dites macroniennes élargissent les possibilités de déroger aux accords de branches et conventions collectives, en permettant aux employeur-euse-s de négocier des conditions de travail et de rémunération (en plus du temps de travail depuis 2016) en dessous des standards du secteur professionnel. Affaiblissant considérablement le pouvoir des syndicats dans l’entreprise, l’employeur-euse pourra faire voter l’accord directement par les salarié-e-s dans les entreprises de moins de 20 salarié-e-s, en s’adressant à des représentant-e-s non mandaté-e-s dans les entreprises de moins de 50 salarié-e-s, ou en obtenant seulement 30 % des voix des salarié-e-s avec l’accord de certains syndicats dans les entreprises de plus de 50 salarié-e-s |10|. Dans la même veine, la durée maximale des CDD ne sera désormais plus limitée par la loi, mais négociée au sein des branches : comme en Roumanie |11|, un-e salarié-e pourra voir son CDD renouvelé pendant 5 ans au sein de la même entreprise et sur le même poste.

C’est quoi l’inversion de la hiérarchie des normes ?À l’instar d’autres domaines du droit, le code du travail obéit à une hiérarchie précise qui organise les différentes normes, leur donne plus de valeur que d’autres. La hiérarchie des normes était la suivante : la Constitution est plus forte que la Loi > la Loi est plus forte que les accords de branches et conventions collectives > les accords de branches et conventions collectives sont plus fortes que les accords d’entreprises. Ainsi, les conditions de travail et de rémunération négociées par accord de branche ne pouvaient être moins favorables que la loi et les conditions de travail et de rémunération négociées par accord d’entreprise ne pouvaient être moins favorables que l’accord de branche.

En brisant cette hiérarchie des normes, les dernières réformes du droit du travail mises en place partout en Europe visent à faire disparaître les accords de branches et conventions collectives, et l’ensemble des acquis sociaux qu’ils permettent de défendre au sein de chaque secteur professionnel.

Se faisant, Macron applique à la lettre les recommandations qui ont été faites à la France, en 2016 par la Commission européenne, s’appuyant elle-même sur le programme des Grandes orientations de politiques économiques, élaboré en concertation avec les ministres de l’Économie et les chefs d’État européens |12|, et en 2017 par le Semestre européen, organe de surveillance des politiques économiques et budgétaires créé en 2011 |13|. Pour remplir l’objectif de réduction des déficits publics à 3 % du PIB, la France est ainsi sommée de maintenir la réduction du coût du travail, de faciliter les licenciements et les dérogations aux dispositions juridiques générales, pour flexibiliser les contrats. Fondé sur l’idée que pour rembourser la dette il faut stimuler la croissance, et que pour recouvrer la croissance économique il faut déréglementer le marché du travail, l’ajustement des économies de l’Union européenne s’est accéléré depuis la crise de 2008 |14|, et s’est appliqué avec encore plus de brutalité aux pays du Sud de l’Europe, pour qui les recommandations sont également venues de la Banque centrale européenne.


… À la stratégie du choc en Grèce

En Grèce, comme au Portugal, à Chypre et en Irlande, les réformes du droit du travail de ces dernières années sont intervenues directement suite à la crise de la dette. Le démantèlement du code du travail est devenu ainsi la contrepartie à l’octroi de prêts.

En Grèce, les deux premiers memoranda, conclus respectivement en 2010 et 2012 vont s’atteler notamment à deux chantiers d’importance : la démolition du système de conventions collectives et la baisse du salaire minimum. Pour ce faire, la Troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne) a exigé d’abord la fin du système d’extension des conventions collectives à un secteur tout entier, restreignant ainsi leur périmètre d’application aux seuls employeurs membres d’associations patronales. Tandis que les syndicats se voient supprimer leur capacité à conclure des conventions collectives nationales, une nouvelle instance est créée : les associations de personnes, des groupes ad hoc d’au moins cinq personnes et à qui l’on accorde le droit (traditionnellement réservé aux organisations syndicales) de conclure des accords d’entreprise. Enfin, l’inversion de la hiérarchie des normes, qui fait primer les accords d’entreprises (pouvant donc être conclus par des associations de personnes) sur les accords de secteur et nationaux fera le reste.

Concernant le salaire minimum : pour l’ensemble des travailleur-euse-s grec-que-s, il passera de 751 euros à 586 euros bruts, à l’exception des jeunes de moins de 25 ans pour qui un salaire minimum spécifique de 510 euros est créée. Ce salaire minimum d’exception (et donc illégal) fait partie du « package » du contrat jeune imposé par la Troïka. Il prévoit une période d’essai de deux ans, l’exonération des cotisations patronales et la suppression des allocations chômage pour les travailleur-euse-s de moins de 25 ans.

Parallèlement à cela, d’autres mesures seront imposées comme la mise en place d’une période d’essai pour tous les CDI durant laquelle le licenciement se fait sans préavis, l’extension de la durée maximale des CDD de deux à trois ans, l’abolition des Prud’hommes, ou encore le travail obligatoire dans certains secteur en cas de grève.

Toutes ces réformes ont-elles permis à la Grèce de sortir de la crise ? Non, et le cas de la Grèce a au moins le mérite de fournir un démenti empirique contre le discours macronien.

Si l’on regarde chez nos voisins hellènes, il ne fait aucun doute que les réformes du marché du travail n’améliorent ni l’emploi, ni la compétitivité des entreprises. Entre 2010 et 2016, le PIB grec a chuté de 27 % et le nombre de petites et moyennes entreprises est passé de 900 000 en 2009 à 450 000 aujourd’hui |15|. Les salaires sont aujourd’hui à 75 % de leur niveau de 2010, tandis que le chômage avoisinait les 24% de la population active et les 50 % chez les moins de 25 ans en 2016 |16|.

Quant aux prétendus « gains de compétitivité », on observe que la réduction du « coût » du travail, engendrée par toutes ces réformes, ne s’est pas traduite par une baisse des prix et donc une augmentation des parts de marchés gagnées par les entreprises grecques. En revanche, le taux de marge des entreprises en Grèce a augmenté de 36 % par rapport à la moyenne des autres pays de l’OCDE |17|. Même la Commission européenne le reconnaissait à demi-mot en 2013 : « les taux de marge ont augmenté (…) absorbant ainsi une partie de la réduction des coûts salariaux unitaires » |18|.

En revanche, les conditions de travail et les droits des salarié-e-s se sont vus largement dégradés. L’inspection du travail recensait 6 500 accidents du travail déclarés en 2016 contre 5 721 en 2010 et cela malgré la réduction significative de l’activité des entreprises |19|. Alors qu’en 2009, 83 % des travailleur-euse-s étaient protégé-e-s par une convention collective, ils-elles ne sont plus que 42 % en 2013. Considérant en plus qu’en 2013 et 2014 la majorité des conventions a été conclue par des associations de personnes, parmi ces 42 % beaucoup de travailleur-euse-s sont couvert-e-s par des accords bien moins protecteurs que les conventions de secteur ou nationales |20|. Sur 200 conventions collectives avant l’arrivée de la Troïka, il n’en reste aujourd’hui qu’une petite dizaine… |21|

Un groupe d’experts indépendants invalide les réformes grecques en matière de droit du travailAlors que les mauvais résultats en Grèce mettaient clairement à mal la pertinence des réformes imposées par les Institutions (FMI, BCE, CE et MES), celles-ci ont dû concéder, dans le troisième mémorandum, la mise en place d’un groupe d’experts indépendants pour évaluer le marché du travail grec, composé de quatre experts nommés par le gouvernement grec et de quatre autres (dont le président) désignés par les Institutions. À côté de ce groupe d’experts, le troisième mémorandum demande au gouvernement grec d’aller encore plus loin dans la « flexibilisation » du marché du travail, en libéralisant les procédures de licenciement collectif, en légalisant le lock-out |22| et restreignant le droit de grève. Des exigences dont le FMI se fait le relais le plus zélé.

Pourtant dans son rapport de septembre 2016 |23| ce groupe d’experts fait le constat que le contrat individuel règne dans l’économie grecque au détriment d’une réelle protection des droits des travailleur-euse-s. Parmi ses recommandations |24|, on trouve la nécessité de ne pas toucher au droit de grève, garanti constitutionnellement et déjà bien trop limité ainsi que le maintien de l’interdiction du lock-out, elle aussi garantie constitutionnellement. Ou encore le fait qu’un accord d’entreprise ne peut pas être moins protecteur qu’un accord national ou sectoriel.

Bien évidemment, ce rapport n’a été utilisé ni par les Institutions, ni même d’ailleurs par le gouvernement grec. Des conclusions complètement ignorées, puisque dans le cadre de la troisième revue entamée en juin 2017, le gouvernement Anel-Syriza s’est engagé à mettre en œuvre 95 mesures parmi lesquelles la « simplification » du code du travail, la modification des conditions de vote du droit de grève…


Ou comment revenir sur la distribution de la valeur

Dans un rapport de décembre 2016, l’expert de l’ONU, Juan Pablo Bohoslavsky, traite des effets de la dette extérieure sur les droits du travail |25|. Une large part y est consacrée à la dénonciation des nombreuses violations des droits de l’Homme, à commencer par les droits du travail, commises au nom du remboursement de la dette, avec le soutien sans faille des grandes institutions financières internationales. Pour beaucoup d’entre elles, les réformes du droit du travail de ces dernières années sont frappées d’illégalité, dans la mesure où elles entrent en contradiction avec plusieurs instruments de droit interne et international, voire les nient totalement. Il est évident que les exigences de la Troïka et des États créanciers violent notamment les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail et la Charte sociale européenne. En septembre 2014, la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE) déposait d’ailleurs une plainte auprès du Conseil de l’Europe contre l’État grec pour non-respect de la charte sociale européenne, garantissant notamment un salaire digne, le droit de négociation, le droit de grève, un délai raisonnable de licenciement |26|. Des obligations internationales également violées par les institutions financières internationales, tenues de les respecter elles aussi lorsqu’elles accordent des prêts et imposent des réformes en contrepartie.

Sur le terrain de la théorie économique, le rapport de Juan Pablo Bohoslavsky s’avère également très utile, dans la mesure où il bat en brèche le fondement de ces réformes du droit du travail, dictées au motif qu’elles « générerai[en]t de la croissance et permettrai[en]t ainsi de prévenir ou de contribuer à enrayer les crises de la dette » (Bohoslavsky, p. 1). En effet, voici des décennies que l’OCDE, le FMI, la BM ou encore la Banque centrale européenne défendent l’idée selon laquelle les droits du travail et les lois de protection de l’emploi sont parmi les principaux obstacles à la croissance économique Or, cette idée, « vigoureusement remise en cause par la recherche théorique », ne passe pas l’épreuve des faits (p.16). Ayant minutieusement épluché une trentaine d’ouvrages et de corpus d’études produits sur le sujet, Bohoslavsky nous rappelle tout bonnement qu’aucun élément concret ne permet d’affirmer que les réformes du marché du travail, menées dans le cadre des politiques d’austérité, contribuent à la reprise économique des pays après une crise de la dette. Tout au mieux, les études menées concluent à une absence de lien « consistant, négatif ou positif, entre les lois générales sur le travail et le chômage » (p.17). Une étude de Dean Baker publiée en 2005 sur les données de 20 pays de l’OCDE indiquait ainsi ne parvenir à démontrer aucune relation entre l’affaiblissement des institutions du marché du travail et la baisse du chômage. Une absence de résultats criante, également observable dans les rares études menées dans les pays en développement. En réalité, les chercheur-euse-s ont bien plus de facilité à prouver exactement le contraire, en identifiant les fonctions du droit du travail qui contribuent à « l’efficacité économique » : un meilleur fonctionnement du marché, la stabilisation de la demande dans les périodes de récession (p.18) ou encore leur effet positif sur la répartition du revenu (p.17). Notons ainsi les résultats d’une étude menée en 2013 par Pasquale Tridico qui conclut que les pays de l’Union européenne ayant eu les meilleurs résultats pendant la crise économique de 2007 à 2011 étaient ceux dont les marchés du travail étaient les moins flexibles (p.18).

Ainsi l’experte conclut qu’en absence d’une quelconque utilité économique, l’application de ces réformes, destinées à miner le droit du travail, semblent être motivées par d’autres facteurs « tels que des préjugés idéologiques et la volonté non déclarée de revenir sur les programmes de distribution [de la richesse produite] » (p.21).


Contre l’agenda néolibéral global : auditons les dettes, renforçons les luttes

Qu’elles soient appliquées sur un court terme à la faveur d’une crise de la dette latente comme en Grèce ou bien distillées sur un plus long terme comme le recommandait l’OCDE il y a déjà 20 ans |27|, à l’instar de la France qui agite le spectre d’une crise de la dette imminente ; ces mesures d’ajustement, parmi lesquelles les réformes du travail occupent une place de choix, reposent donc sur des raisonnements fallacieux. Le rapport de l’expert ONUsien, J. Pablo Bohoslavsky vient corroborer cette analyse en fournissant de précieux arguments théoriques et empiriques à charge contre les fondements et les effets de ces ajustements menés partout dans le monde depuis des années au nom de la dette.

Plus que jamais, il ne peut y avoir de lutte anti-austérité sans s’attaquer à la dette, sans l’auditer, sans remettre en question le pouvoir qu’elle produit. Sinon elle restera l’éternel « prétexte » à la destruction des droits des travailleur-euse-s, c’est-à-dire « la raison invoquée pour cacher le vrai motif d’une action » |28| : à savoir l’application d’un agenda néolibéral global. Une lutte anti-austéritaire qui ne peut se limiter aux arènes feutrées ONUsiennes, tant les institutions semblent sourdes aux constats économiques et aux arguments juridiques. L’expert de la dette précise d’ailleurs dans son rapport que « les institutions financières internationales sont plus sensibles qu’on ne le croit aux pressions politiques exercées par les syndicats nationaux et qu’elles feront sans doute des concessions sur les questions liées au marché du travail si elles sont confrontées à un mouvement de protestation important » (p.24).

Gardons espoir que les journées de grève et de manifestations qui se multiplient en France depuis la rentrée, et ciblent maintenant l’ensemble de la « politique libérale » et « antisociale » de Macron et sa clique (fiscalisation des cotisations chômage et maladie |29|, fusion des régimes de retraite |30|, durcissement des contrôles sur les recherches d’emploi |31|, en prélude à la destruction de la protection sociale) puissent venir à bout des velléités du gouvernement En Marche.


Avec l’aimable contribution du CADTM France. Merci à elles et eux ! Marie-Claude Carrel, Pascal Franchet, Yvette Krolikowski, et Nicolas Sersiron, du CADTM France.

Notes

|1| Thierry Breton était l’invité « inattendu » de l’Émission politique consacrée au Premier ministre du gouvernement En Marche Édouard Philippe, sur France 2, le 28 septembre 2017. La vidéo est accessible sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=_XWyMYm1B70

|2| Les dernières prévisions du montant de la charge de la dette pour 2017 sont disponibles sur le site internet de l’Agence France Trésor, et accessibles sur ce lien : http://www.aft.gouv.fr/rubriques/charge-de-la-dette_93.html

|3| Les prévisions de financement de l’État par émissions de dette à moyen et long terme nettes des rachats sont disponibles sur le site internet de l’Agence France Trésor, et accessibles sur ce lien : http://www.aft.gouv.fr/articles/besoins-et-ressources-de-financement-de-l-etat-en-2018-et-point-sur-l-annee-2017_13044.html

|4| Gérald Darmanin était l’invité de Jean-Jacques Bourdin dans son émission de radio sur RMC le 30 juin 2017. La vidéo est accessible sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=Sri7pmJMKbE

|5| Henri Wilno économiste membre de la Fondation Copernic, « Budget : les inégalités pour programme », Le Chiffon Rouge Morlaix. Article accessible sur ce lien : http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/2017/10/fondation-copernic-budget-les-inegalites-pour-programme-henri-wilno-economiste.html

|6| Le plan d’actions pour l’investissement et la croissance, présenté par le premier ministre en déplacement à Niort le 11 septembre 2017 est disponible sur ce lien : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/09/dossier_de_presse_-_plan_dactions_pour_linvestissement_et_la_croissance_-_11.09.2017.pdf

|7| Dan Israel, « Ordonnances : le contrat de travail n’est plus une protection », Notre dossier : Loi travail saison 2, Mediapart, 22 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/notre-dossier-loi-travail-saison-2

|8| Rachel Knaebel, « Les réformes du droit du travail généralisent la précarité partout en Europe », Bastamag, 22 mars 2016. Article accessible sur ce lien : https://www.bastamag.net/Partout-en-Europe-les-reformes-du-travail-facilitent-les-licenciements-et

|9| Dan Israel, op. cit.

|10| Dan Israel et Manuel Jardinaud, « Loi travail : ce que le gouvernement fait aux salariés », Notre dossier : Loi travail saison 2, Mediapart, 31 août 2017. Article accessible sur ce lien : https://www.mediapart.fr/journal/france/310817/ce-que-le-gouvernement-fait-aux-salaries?page_article=3

|11| Rachel Knaebel, op. cit.

|12| Coralie Delaume, « Ce que la loi El Khomri doit à l’Union européenne », Figaro Vox, Le Figaro, 17 mai 2016. Article accessible sur ce lien : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php

|13| Isabelle Schömann de l’Institut syndical européen, citée dans Rachel Knaebel, op. cit.

|14| Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherche au CNRS, « Réforme du code du travail : Un mouvement d’ampleur en Europe depuis la crise de 2008 », Le Monde, 22 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/22/reforme-du-code-du-travail-un-mouvement-d-ampleur-en-europe-depuis-la-crise-de-2008_5189903_823448.html

|15| Fabien Perrier, « En Grèce, les lois Macron avant l’heure… », Regards, septembre 2017. Accessible à : http://www.regards.fr/web/article/en-grece-les-lois-macron-avant-l-heure

|16| Wolfgang Däubler, “On the other side, you have only crocodiles : Greece under the Troika”, International Union Rights, Vol. 24, No. 1, World Bank & IMF (2017), pp. 11-13

|17| Michel Husson, « Grèce : une économie dépendante et rentière », ATTAC, avril 2015. Accessible à : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/dossier-monnaie-et-finance/article/1-michel-husson-grece-pourquoi-une#t3-Les-baisses-de-salaires-n-ont-pas-ete-repercutees-dans-les-prix-a-nbsp

|18| Commission européenne, « Labour Costs Pass-through, Profits and Rebalancing in Vulnerable Member States », Quarterly Report on the Euro Area, vol. 12, n°3, 2013 ; cité par Michel Husson, op.cit.

|19| Fabien Perrier, op. cit.

|20| Wolfgang Däubler, op.cit.

|21| Amélie Poinssot, « Yorgos Katrougalos : ce qu’a produit la réforme du marché du travail en Grèce », Mediapart, septembre 2017. Accessible à : https://www.mediapart.fr/journal/economie/070917/yorgos-katrougalos-ce-qu-produit-la-reforme-du-marche-du-travail-en-grece?onglet=full

|22| Le lock-out est une procédure qui permet de fermer temporairement une entreprise, non pas pour des motifs économiques mais pour appuyer des revendications patronales lors d’un conflit. Le lock-out peut ainsi être utilisé pour « casser » une grève.

|23| Voir le rapport en question : http://www.capital.gr/content/relatedfiles/68/6898c2f55b6f4348828383f331261304.pdf

|24| Sur 12 recommandations, 8 ont été décidées à l’unanimité tandis que 4 à la majorité.

|25| Juan Pablo Bohoslavsky, Rapport de l’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, présenté au cours de la 34e session du Conseil des droits de l’Homme, Haut-commissariat aux droits de l’Homme, 27 décembre 2016. Le rapport en six langues sur ce site : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_f.aspx?s=40 ; ainsi qu’en langue française sur ce lien : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G16/441/39/PDF/G1644139.pdf?OpenElement

|26| Greek general Confederation of Labour (GSEE) v. Greece, Case No. 111/2014

|27| Chistian Morisson, « La faisabilité politique de l’ajustement », Cahier de politique économiques, OCDE, 1996, cité dans, Éric Toussaint, La Bourse ou la Vie. La Finance contre les peuples, 1998.

|28| Définition du dictionnaire Larousse.

|29| Ivan Best, « Suppression des cotisations chômage et maladie : ce que veut dire la proposition Macron », La Tribune, 08 décembre 2016. Article accessible sur ce lien : http://www.latribune.fr/economie/france/suppression-des-cotisations-chomage-et-maladie-ce-que-veut-dire-la-proposition-macron-623310.html

|30| Philippe Pihet, « Retraites : chronique d’une réforme annoncée », Miroir Social, 27 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : http://www.miroirsocial.com/actualite/15059/retraites-chronique-d-une-reforme-annoncee

|31| Emmanuel Macron était l’invité de l’émission Grand entretien diffusé sur TF1 le 15 octobre 2017. La vidéo est accessible sur ce lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=orKQ_A5MFZQ

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Grèce : le bal des vautours

Les fonds vautours volent aussi en Europe

4 novembre par Anouk Renaud CADTM

Première partie : Sucer la Grèce jusqu’à la moelle

Où se passe une restructuration d’une dette publique, des fonds vautours ne sont jamais bien loin. Ces charognards qui prennent pour proie des pays en crise ne chassent pas uniquement dans les pays du Sud – bien que ces derniers restent leurs cibles privilégiées- mais s’en prennent aussi aux pays du Nord. En témoigne, le cas de la Grèce et l’importante |1| restructuration, que le pays a réalisé en 2012 sous la pression de ses créanciers.

C’est quoi une restructuration de dette ?

Une restructuration de dette c’est un échange de dettes via lequel des anciens titres sont échangés contre des nouveaux, comprenant des conditions différentes. C’est-à-dire une baisse des taux d’intérêt et/ou un allongement du calendrier de remboursement et/ou une diminution du capital, de la valeur de la dette.

Exemple : j’avais un titre de la dette belge de 1 000 euros arrivant à échéance en 2019, avec un intérêt de 2,3 %. Après restructuration, je renonce à ce titre en échange d’un nouveau qui me donne droit à 850 euros, arrivant à échéance en 2030 avec un intérêt de 1,7%.

Comment se passe les restructurations ? Généralement par une négociation entre créanciers et pays débiteur.

Pourquoi fait-on des restructurations de dettes ? Généralement, parce que c’est la crise et que le pays est en situation de surendettement.

À savoir : dans de rares cas, les anciens titres sont échangés contre des liquidités, de l’argent quoi.

Autopsie d’une restructuration

Bien qu’annoncé, l’échec du premier « plan de sauvetage » de la Grèce de mai 2010 devient patent dès 2011. Le taux d’endettement public atteint alors 172,1 % du PIB, quand il était à 126,7 % à la veille de l’intervention de la Troïka. C’est dans ce contexte que s’ouvrent les pourparlers pour un deuxième « plan de sauvetage ». Alors qu’en 2010, l’Union européenne et le FMI ont tout fait pour éviter une restructuration de la dette grecque, elle apparaît cette fois-ci à l’ordre du jour.

Dès le départ, le cadre des discussions se limite à la mise en œuvre d’un PSI, Private Sector Involment. Autrement dit, pas question de toucher aux créances détenues par les pays européens, le FMI et la BCE, mais uniquement à celles des créanciers privés (ceux qui n’ont pas été remboursés intégralement grâce au « plan de sauvetage » de 2010).

À partir de l’été 2011, les négociations, dans un cadre plus ou moins formel, débutent. Qui participent à ces discussions ? Des représentants des États de la zone euro, d’abord. Les représentants de la Troïka (FMI et BCE) ainsi que le président du comité économique et financier de l’époque, M. Grilli, ensuite. Et enfin, les grandes banques privées via l’Institute of International Finance (IIF), qui est ni plus ni moins le plus gros lobby du secteur financier et un incontournable des négociations de restructuration de dettes souveraines |2|. Dans le cas de la Grèce l’IIF a mis sur pied un groupe ad hoc, le Private Creditor/Investor Committee, composé d’une trentaine d’institutions bancaires et de compagnies d’assurance, afin d’aboutir à une position collective protégeant les intérêts des créanciers et investisseurs privés |3|. Les banques privées s’avèrent non seulement conviées aux discussions ayant lieu « avant, pendant et après » les sommets européens officiels, mais en plus celles-ci se font sur base de leurs propositions élaborées au sein de ce Private Creditor/Investor Committee |4|. Et tandis que les banques imposent leurs doléances, il faut noter une absence remarquée autour de la table : aucun représentant de la Grèce lors de ces rencontres. La Grèce sera de la partie uniquement pour les détails techniques, les modalités d’application d’une décision prise sans elle. C’est au sommet d’octobre 2011 que la décision d’alléger la dette est officialisée.

Le processus de restructuration en tant que tel peut alors commencer. Le 23 février 2012 une loi qui modifie les clauses des titres souverains soumis au droit grec est votée. Cette modification rétroactive permet d’inclure dans ces contrats des clauses d’action collective (CAC). Ces clauses stipulent qu’en cas de renégociation de la dette, si deux tiers des créanciers acceptent le deal proposé, celui-ci s’impose à l’entièreté des créanciers. Après les négociations et à l’aide de ces CAC, le gouvernement grec obtient un accord avec un peu plus de 95 % des détenteurs de ces titres de la dette souveraine.

Le 24 février un acte du conseil des ministres (loi 4050/2012) entérine donc quels titres seront concernés par l’échange et surtout les conditions de celui-ci. En échange de chaque obligation grecque d’une valeur initiale de 100 euros, les créanciers obtiennent :

  • vingt nouvelles obligations grecques d’une valeur totale de 31,5 euros. Ces obligations arrivent à échéance entre 2023 et 2042 et leurs taux d’intérêt augmentent progressivement (2 % entre 2012 et 2015, puis 3 % entre 2016 et 2020, puis 3,65 % en 2021 et 4,30 % de 2022 à 2042). Ces obligations sont émises par l’État grec mais sont régies désormais par le droit britannique.
  • deux obligations d’une valeur de 15 euros. Ces obligations sont émises par le Fond européen de stabilité financière (le FESF) et régies elles aussi par le droit britannique. Leur durée est de respectivement un et deux ans.
  • un titre de garantie, arrivant à échéance en 2042 et régi lui aussi par le droit britannique. Son rendement est lié au PIB grec : ce titre est activé dès lors que la Grèce enregistre 12 mois consécutifs de croissance économique |5|.

Sur le papier, c’est finalement une décote de 53,5 % à laquelle ont consenti les créanciers privés de la Grèce. Sur le papier, car ce chiffre et surtout la perte réelle sont à fortement relativiser à la lumière de plusieurs éléments.

Qui perd, qui gagne ?

En réalité, les banques privées qui détenaient encore des titres grecs s’en sont très (très) bien tirées avec cette restructuration. Déjà, pour faire passer la pilule, elles ont reçu ce qu’on appelle « des sweeteners » (des édulcorants en français) c’est-à-dire de l’argent directement en cash. Comme visiblement il est d’usage de faire dans ce genre de négociations avec les créanciers… |6|

Ensuite, les obligations émises par FESF obtenues ont trois caractéristiques très avantageuses par rapport aux anciennes créances de l’État grec : elles sont à court terme et donnent donc droit rapidement au remboursement du capital, elles sont plus sûres (elles sont alors notées AAA |7|) et elles s’échangent bien plus facilement. Il est important d’apprécier ces nouvelles conditions à la lumière du contexte de l’époque, puisqu’à ce moment-là les titres grecs ne valent plus rien et sont ainsi difficiles à revendre. Avec cette restructuration les créanciers obtiennent (en apparence) 46,5 % de la valeur de leurs anciens titres mais pour des titres qui n’en valaient plus que 36 % sur le marché. La garantie donc pour les créanciers privés de se voir remboursés ou de pouvoir les revendre plus aisément. Sans compter que l’octroi de ces obligations du FESF prenait aussi en compte les intérêts courus. Autrement dit, les intérêts qu’auraient dû toucher les créanciers sur leurs anciens titres ont été intégrés dans le capital de leurs nouveaux titres. Cette pratique consistant à transformer des intérêts en capital (et donc à payer de nouveaux intérêts sur les intérêts) se nomme « anatocisme » et elle est interdite par principe dans plusieurs législations nationales comme en Italie, en Suisse et en Équateur. Cette pratique est largement abusive vu que le créancier fait payer de nouveaux intérêts sur les anciens intérêts qui se sont ajoutés au capital prêté et donc à rembourser.

Afin de pallier aux effets de cette restructuration, un plan de recapitalisation des quatre grandes banques privées grecques |8| a également été imposé par le deuxième accord de prêt et donc financé par de l’argent public. C’est 37,3 milliards d’euros sur une enveloppe prévue de 48 milliards qui ont été injectés alors dans les banques compensant ainsi leurs pertes |9|. Enfin, le petit bonus des titres de garanties indexés sur la croissance peut paraître anecdotique étant donné la situation économique désastreuse de la Grèce, mais ils donneraient droit à des profits juteux s’ils venaient à être activés.

À la lumière de ces éléments et en y ajoutant d’autres, bien en deçà des 53,5 % de décote officielle, la perte effective des créanciers est estimée à seulement de 3,84 % |10|.

Ceci étant dit tout le monde ne peut pas en dire autant. Si les banques ont bénéficié d’un confortable matelas fourni pas les institutions publiques pour amortir la chute, elle fut bien plus douloureuse pour d’autres créanciers.
Ce fut le cas pour les petits porteurs, les fonds de pensions, les organismes de sécurité sociale et certaines entreprises publiques grecques, qui, s’ils ont bien obtenu des titres en échanges, ne furent ni indemnisés, ni dédommagés de leurs pertes.

D’autant qu’en amont de la restructuration nombre d’administrations publiques grecques (hôpitaux, caisse d’assurance maladie, caisse de retraites…) avaient été contraintes via décret ministériel de transformer une partie de leur budget de fonctionnement en titres publics grecs |11|. On estime les pertes à 16,2 milliards d’euros dont 14,5 milliards rien que pour les caisses d’assurance maladie et retraites |12|. Un coup énorme porté à la viabilité du système de sécurité sociale déjà largement malmené par les mesures d’austérité et leurs conséquences1 |13|.

Même retour de bâton pour des fonctionnaires licenciés en 2010 sur ordre de la Troïka et qui s’étaient vus dédommagés avec des obligations d’État. Au total on compte 15 000 familles qui avaient placé leurs économies dans la dette grecque |14|.

En septembre 2014, 6 230 particuliers grecs ont d’ailleurs déposé plainte |15| contre l’État grec devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Parmi les arguments invoqués, on retrouve bien entendu l’inégalité de traitement entre petits porteurs et gros investisseurs. Une différence à la fois dans les conditions mêmes de l’échange mais aussi lors des négociations. Contrairement aux banques complètement parties prenantes de l’élaboration de la restructuration, les petits porteurs n’ont pas été consultés ni même informés des négociations en cours. Pour justifier cette mise à l’écart, les autorités grecques comme européennes affirment en 2012 que les personnes physiques ne seraient pas concernées par l’accord. C’est du moins ce qu’avait proposé le ministre grec : exempter les petits porteurs de la restructuration, notamment ceux qui avaient acheté les titres au moment de leur émission. Une proposition retoquée par le président de l’Eurogroupe, et qui avait conduit le ministre grec à promettre à défaut des « mécanismes de compensation » pour les petits porteurs, qui sont restés lettre morte1 |16|.

Les requérants ont également mis en avant leur spécificité en tant que personnes physiques n’ayant aucune activité professionnelle dans le domaine de l’investissement. À ce titre ils auraient dû bénéficier de mesures volontairement distinctes et plus avantageuses que les banques ou autres fonds d’investissement. Une différence reconnue pourtant par le Conseil d’État grec, saisi sur cette affaire en 2012. Celui-ci justifiait notamment le rejet du recours par des catégories juridiques différentes légitimant donc des réglementations différentes. Les avantages octroyés aux banques et autres investisseurs se justifiant alors par « des objectifs d’intérêt public » |17|. Ce à quoi les requérants répondent qu’il est difficile de voir en quoi inclure les petits porteurs dans l’échange de titres servait l’intérêt public, dans la mesure où les obligations détenues par ces derniers représentaient seulement 1 % de la dette publique grecque. Restructurer ces titres-là n’a ainsi représenté qu’un allègement de la dette publique grecque de 0,7 à 0,8 %. Une goutte d’eau donc pour la Grèce, mais un véritable raz-de-marée pour certains ménages, comme en témoignent les 17 suicides recensés parmi eux |18|. Ce même raisonnement est encore plus troublant concernant les administrations publiques dont les pertes ne peuvent pas contribuer à améliorer l’endettement public, puisque leurs déficits sont précisément une composante de cette dette publique.

À la lecture du jugement rendu par la CEDH, qui déboute les requérants, on apprend qu’en plus de toutes les mesures citées précédemment, les banques ont bénéficié aussi d’exonérations fiscales pour « limiter leur préjudice résulté de l’échange » et « préserver la viabilité et la crédibilité des établissements financiers dont la fragilité aurait constitué une menace grave pour l’économie nationale » |19|.

Bref, l’étendard du « too big, too fail » de nouveau brandi pour justifier des politiques publiques plus qu’avantageuses pour les banques privées. Des banques privées qui sont toutefois loin d’être les seules à avoir tiré leur épingle du jeu…

Qui sont les fonds vautours qui en profitent ?

C’est une véritable nuée de fonds vautours qui s’est déployée autour de la restructuration de la dette grecque. Des vautours aux stratégies plurielles et usant de différents outils à leur disposition pour profiter au maximum de ce juteux commerce : la crise des dettes souveraines.

Euh… c’est quoi un fonds vautours déjà ?

Un fond vautour c’est une entreprise financière, dont la spécialité est de racheter des dettes à prix cassé, et ensuite tout faire pour obtenir le remboursement de cette dette à 100 % de sa valeur, celle inscrite sur le contrat (que l’on appelle dans le jargon valeur nominale ou faciale) majorée d’intérêts et de pénalités.

Comment s’y prennent-ils ? Primo, ils attendent qu’un pays rencontre des difficultés financières pour racheter sa dette sur le marché secondaire (c’est-à-dire le marché de seconde-main des titres de la dette), qui ne vaut alors plus grand-chose.

Ensuite, ils refusent toute négociation, restructuration de la dette. Ils font pression sur les gouvernements pour toucher 100 % du remboursement (majoré des intérêts voire des pénalités de retard) même s’ils ont dépensé bien moins pour acquérir ces dettes. Et souvent pour ce faire ils poursuivre les États en justice.

Avec cette petite combine, ils arrivent à obtenir en moyenne 3 à 20 fois leurs sommes de départ.

Une petite précision, toutefois, certains fonds d’investissement ont fait de ces pratiques une véritable spécialité. Pour autant, de tels agissement ne se limitent pas uniquement à ces fonds-ci, mais peuvent être accomplis par d’autres entreprises en apparence plus respectables… Ce fut par exemple, le cas de BNP Paribas, dans le cas de l’Argentine.

Pour plus d’infos, voir cette brochure

L’octroi en mai 2010 d’un premier prêt du FMI et de l’Union européenne sans restructuration de la dette va donner le top départ pour l’action des fonds vautours. En effet, ce premier mémorandum garantissait le remboursement des titres grecs (au moins ceux à court terme) et repoussait l’allègement de la dette grecque à plus tard. Des conditions idéales donc pour les fonds vautours qui vont opérer via deux biais |20|.

Premièrement, à partir de 2011 certains vont se mettre à racheter de la dette grecque, qui ne vaut alors plus grand-chose sur les marchés financiers. En attendant la restructuration qu’ils savaient inévitable comme les autres gros investisseurs privés….

Bien que d’ordinaire les fonds vautours n’acceptent pas les restructurations de dettes et espèrent le remboursement à 100 %, ceux-ci vont réaliser tout de même une forte plus-value, car les titres qu’ils ont obtenu grâce à la restructuration donnaient droit à des remboursements supérieurs au prix d’achat. Avant la restructuration, le fonds états-unien Third Point possédait 1 milliard d’euros de dette grecque qu’il avait racheté seulement 170 millions. Avec la restructuration il a obtenu des titres rémunérés à 34 centimes l’euro, enregistrant ainsi un profit net de 500 millions d’euros |21|.

Deuxièmement, certains fonds vont cibler spécifiquement les titres de la dette grecque soumis au droit étranger (majoritairement le droit anglais) dans leurs rachats |22|. Un double intérêt pour ces fonds : ne pas être contraints par les CAC insérées par la loi du 23 février 2012 dans les contrats régis par le droit grec et pouvoir poursuivre la Grèce devant des juridictions étrangères le cas échéant. Évidemment, ces fonds ont refusé le deal proposé en 2012 relatif à l’échange de titres et ont réclamé à la Grèce l’entièreté de leur créance. Ce comportement leur vaut également le nom de « hold out ».

Les hold out en quelques chiffres

Sur 205 milliards d’euros de créances grecques détenues par des créanciers privés :

  • 177 milliards d’euros étaient soumis au droit interne, c’est-à-dire le droit grec.
  • 28 milliards d’euros étaient soumis à des droits étrangers : anglais, italien, japonais, suisse… (20 milliards rien que pour le droit anglais).
    Parmi ces 28 milliards, les hold out (ceux refusant le deal proposé) pesaient 6,4 milliards d’euros.

Au total, sur 205 milliards, la décote s’est appliquée à 199,2 milliards d’euros de titres et 6,4 milliards détenus par des fonds vautours y ont échappé.

Face au refus des hold out d’accepter l’échange, le gouvernement grec a, dans certains cas, tenté d’obtenir un compromis retoqué par les fonds en question. Dans d’autres, il ne s’est même pas donné cette peine. Au final, le gouvernement grec décide, sans esclandre ou pugnacité, et avec la bénédiction des Institutions qui ont pourtant exigé la restructuration, de rembourser à taux plein ces hold out |23|.

Le premier paiement, de 436 millions d’euros a été fait à un groupe d’investisseur mené par Dart Management (un fonds vautours qui n’est pas à son coup d’essai). Le deuxième de 790 millions en juin 2013, puis 540 millions en juillet 2013. Fin 2015, c’est 3,6 milliard d’euros qui ont été payés, ponctionnant donc une partie des sommes empruntées2 |24|. On estime que ces fonds ont acheté les obligations grecques entre 60 % et 70 % de leur valeur |25|.

Alors que la plupart des fonds vautours n’ont même pas eu à entamer d’action en justice pour se voir payés, la banque slovaque Postová Bank a, quant à elle, déposé une plainte en mai 2013 contre la Grèce devant le CIRDI en s’appuyant sur un traité bilatéral d’investissement (TBI) conclu entre la Grèce et la Slovaquie. Idem pour l’un des actionnaires chyprïotes de la banque, Istrokapital, qui a déposé une plainte supplémentaire sur base cette fois-ci d’un TBI entre la Grèce et Chypre |26|.

Bien que les poursuites n’aient pas abouti, puisque le tribunal arbitral du CIRDI s’est déclaré incompétent, il est intéressant de ne pas omettre cette voie qui pourrait être utilisée à l’avenir par les fonds vautours et d’autres créanciers suite à des restructurations de dettes souveraines. Notons tout de même que la Grèce a dépensé 4,6 millions d’euros en frais de justice et est redevable de la moitié des frais administratifs liés à cette procédure d’arbitrage s’élevant à 600 000 dollars US |27|.

Il serait trop facile de penser que les fonds vautours ne sont que des fonds privés spéculatifs faisant du dépeçage des États et donc de leurs populations, leur spécialité. Car en Grèce on trouve des vautours tout à fait spéciaux, à l’apparence bien plus respectable mais aux pratiques tout aussi scandaleuses. Rappelons que si les créanciers publics de la Grèce (le FMI, les pays européens et la BCE) ont imposé l’allègement de la dette grecque, comme condition du deuxième mémorandum, elles ne l’ont pas appliqué à leurs propres créances, dont la valeur est restée intacte. L’impact est encore plus fort dans le cas de la BCE qui a racheté des obligations grecques à prix cassé sur le marché secondaire via le Securities Market Program (SMP). Ces rachats massifs entre 2010 et 2012 vont non seulement permettre aux grandes banques privées européennes de se dégager du risque grec en revendant leur titres mais en plus à un prix bien plus intéressant que celui du marché. En effet, sans l’intervention de la BCE on estime que la valeur de la dette grecque aurait atteint le prix plancher de 20 % de sa valeur faciale, alors que la BCE l’a rachetée à 70 % |28|. Exemptée de la restructuration, la BCE obtiendra 100 % de leur valeur. Grâce à cette différence entre le prix de rachat et de remboursement ainsi que des intérêts élevés, la BCE réalise de juteux bénéfices, qui s’élèvent à 7,8 milliards d’euros rien qu’entre 2012 et 2016 |29|.

Une deuxième danse

C’est une réduction de 107 milliards d’euros qu’a permis la restructuration. Mais une réduction qui fut de courte durée, car dès 2013 le niveau d’endettement grec repart de plus belle pour atteindre aujourd’hui 180 % du PIB dans une économie laminée par l’austérité. La meilleure démonstration sans doute que cette restructuration n’a en réalité été qu’un mécanisme supplémentaire pour dégager « en douceur » les créanciers privés d’un défaut grec. Mais la restructuration a un coût : celui d’un deuxième prêt octroyé par le FESF, qui a émis les nouvelles obligations. Aujourd’hui la Grèce doit rembourser 131 milliards d’euros à cette institution européenne. À l’image du premier mémorandum l’argent emprunté par la Grèce ne lui a pas permis de se remettre sur pied mais de financer un allègement tout en douceur pour les banques privées, une recapitalisation des grandes banques grecques et rémunérer les fonds vautours. Et s’il est nécessaire de le rappeler cette dette est payée par la population grecque via une austérité meurtrière.

Les fonds vautours risquent en plus bien de s’offrir une deuxième danse avec la restructuration de la dette grecque à venir. En effet, déjà insoutenable en 2010, la dette publique grecque n’est toujours pas payable comme chacun le sait et une deuxième restructuration n’est plus qu’une question de temps, lorsque le FMI et l’Eurogroupe auront cessé leurs désaccords feints.

D’ailleurs en mai dernier, la Commission européenne annonce que « l’accord » conclu avec Athènes sur une nouvelle vague de mesures d’austérité, marque également le début des discussions sur la restructuration de la dette grecque. Des discussions qui auraient même déjà débuté et qui, à l’instar de celles de 2011, sont tenues secrètes et se déroulent sans la Grèce |30|.

Sachant qu’aujourd’hui les investisseurs privés possèdent pour 34 milliards d’euros d’obligations grecques suite à l’échange de 2012 et que depuis la restructuration les fonds d’investissement ont acquis pour 15 milliards de dette grecque, en attendant une restructuration ou un défaut |31|.

Bref, une nouvelle opportunité pour que les vautours continuent de réaliser d’importants bénéfices au détriment de la vie, tout simplement, des Grecques et Grecs.


(Re)Voir la première partie :
Sucer la Grèce jusqu’à la moelle

Notes

|1| Selon Miranda Xafa – ancienne conseillère économique du FMI et du premier ministre grec C. Mitsotakis, il s’agit de l’opération de restructuration la plus importante de l’histoire des restructurations des dettes souveraines dans la mesure où elle comprenait des titres de créances d’une valeur (nominale) de 205 milliards d’euros. Cité par Daniel Munevar, « Grèce : la restructuration de la dette grecque de 2012 et la recapitalisation bancaire jusqu’à 2016 », CADTM, janvier 2017.

|2| CEO, « What are Bankers doing inside EU Summits ? », janvier 2012. Accessible à : https://corporateeurope.org/financi…

|3| Kenneth Dyson, Sates, Debt and Power. “Saints” and “Sinners” in European History and integration, Oxford University Press, 2014, p. 396

|4| Dans le groupe de pilotage de ce comité on retrouve notamment BNP Paribas, Deutsche Bank, ING, Intesa Sanpaolo et National Bank of Greece. Kenneth Dyson, ibid., p.396

|5| Xavier Dupret, « Restructuration de la dette grecque. Bénéfice sur toute la ligne pour les créanciers », ACJJ, mars 2015. Accessible à : http://acjj.be/ancien/publications/…

|6| Jeromin Zettelmeyer, Christoph Trebesch et Mitu Gulati, « The Greek Debt Restructuring : An Autopsy », juillet 2013, Peterson Institute for International Economics, Working Paper No. 2013-13-8., p.26, cité par Xavier Dupret, op.cit.

|7| CEO, op.cit.

|8| Il s’agissait d’Ethniki Trapezatis Ellados, Piraeus Bank, Alpha Bank et Eurobank. Voir Xavier Dupret, op. cit.

|9| Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, La vérité sur la dette grecque, Les Liens qui libèrent, 2015, p. 64 et 87

|10| Xavier Dupret, op.cit.

|11| Marie-Laure Coulmin Koutsaftis (dir.), Les Grecs contre l’austérité, Le Temps des Cerises, 2015, p.50

|12| Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, op. cit., p. 65

|13| Pour en savoir plus voir : Michel Husson, « Pourquoi les réformes des retraites ne sont pas soutenables ? », CADTM, novembre 2016.

|14| Ibid., p.65

|15| Plus exactement il y avait trois requêtes contre la Grèce : n° 63066/14, 64297/14 et 66106/14, traitées ensemble via un seul jugement.

|16| Affaire Mamatas et autres c. Grèce, juillet 2016, CEDH, p.6. Accessible à : http://www.tovima.gr/files/1/2016/0…

|17| Affaire Mamatas et autres c. Grèce, op.cit.

|18| Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, op. cit. p.65

|19| Affaire Mamatas et autres c. Grèce, op.cit., p.11

|20| Daniel Munevar, « Fonds vautours : les leçons de la Grèce », CADTM, février 2017.

|21| Daniel Munevar, Ibid.

|22| Daniel Munevar, Ibid.

|23| Daniel Munevar, Ibid.

|24| Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, op. cit. p.88

|25| Daniel Munevar, Ibid.

|26| TNI/CEO, Greece and Cyprus : falling into the debt trap, Profiting from crisis, page 18

|27| Poštová banka, a.s. and ISTROKAPITAL SE v. Hellenic Republic, Ibid.

|28| Éric Toussaint, « La BCE se comporte comme un fonds vautour à l’égard de la Grèce », Le Soir, octobre 2017. Accessible à : http://plus.lesoir.be/121092/articl…

|29| Letter from the ECB to Mr Nikolaos Chountis (QZ064), octobre 2017, European Central Bank. Accessible à
https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/o…

|30| Jurek Kuczkiewicz, « La dette grecque revient sur la table », Le Soir, mai 2017.

|31| Daniel Munevar, « Fonds vautours : les leçons de la Grèce », op. cit.

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http://www.cadtm.org/Les-fonds-vautours-volent-aussi-en

La BCE se comporte comme un fonds vautour à l’égard de la Grèce

La BCE se comporte comme un fonds vautour à l’égard de la Grèce par Eric Toussaint Le Soir du 26 octobre 2017

Une carte blanche d’Eric Toussaint. La crise grecque a permis à la Banque centrale européenne de réaliser de plantureux profits, par la mise en place de toute une série de mécanismes financiers. Une rétrocession au peuple grec ne serait que justice.

Mario Draghi vient de reconnaître que les banques centrales membres de la zone euro avaient accumulé 7,8 milliards d’euros de profits grâce aux titres grecs que la BCE a achetés au cours des années 2010-2012 dans le cadre du programme SMP (Securities Markets Programme). A cela s’ajoutent d’autres sommes, dont ne parle pas le président de la BCE : les profits réalisés par ces mêmes banques centrales dans le cadre des achats dits « ANFA » (Agreement on Net Financial Assets). Il faut également ajouter les profits réalisés par les 14 pays de la zone euro qui ont octroyé un prêt bilatéral à la Grèce en 2010 à un taux d’intérêt abusif d’environ 5 %. Il est aussi nécessaire de comptabiliser les économies réalisées par les pays dominants de la zone euro dans le refinancement de leurs dettes publiques : la crise qui a frappé la Grèce et les autres pays de la périphérie a entraîné une fuite des prêteurs privilégiant les pays les plus riches de la zone euro qui, en conséquence, ont bénéficié d’une baisse du coût de leurs emprunts. Enfin, la BCE a acheté dans le cadre du Quantative easing (QE) pour 400 milliards d’euros de titres souverains allemands, le plus souvent avec un rendement nul ou négatif. La BCE a également acheté des titres souverains belges pour environ 70 milliards d’euros. Ces achats de titres allemands ou belges ne lui rapportent quasiment rien tandis que les titres grecs qu’elle détient pour un montant dix fois inférieur lui ont rapporté 7,8 milliards d’euros. Chacun sait donc à qui profite cette politique de la BCE.

On peut résumer en 4 actes l’intervention de la BCE dans la tragédie grecque.

Acte 1

Le rôle de la BCE dans le premier Mémorandum de 2010. Dès 2010, la BCE est intervenue avec comme principale préoccupation de limiter au maximum les pertes des banques privées françaises, allemandes, italiennes et du Benelux (dont Dexia et KBC), très exposées tant auprès du secteur privé que du secteur public en Grèce.

Contrairement à ce que développe le discours dominant, le problème principal était posé par les banques privées grecques, au bord de l’insolvabilité, dont la possible faillite constituait une sérieuse menace pour leurs prêteurs.

Au cours de la préparation du Mémorandum de mai 2010, la BCE a refusé de réduire la dette publique grecque alors que, généralement, le lancement d’un plan dit « de sauvetage » est accompagné d’une restructuration de la dette.

Acte 2

La BCE permet aux grandes banques privées de se dégager avantageusement de la Grèce. Afin d’aider les banques étrangères à réduire substantiellement leur exposition à la dette grecque, la BCE lance alors le programme SMP par lequel elle achète massivement sur le marché secondaire des titres grecs. Que se serait-il passé si la BCE n’avait pas lancé le programme SMP ? Les prix des titres grecs auraient atteint un taux plancher de l’ordre de 20 % de leur valeur faciale. Or les achats massifs de la BCE ont maintenu le prix à un taux anormalement élevé (de l’ordre de 70 %). En conséquence, grâce à la BCE, les banques privées ont limité leurs pertes au moment de la revente des titres.

Acte 3

La BCE profite de la restructuration de la dette grecque de mars 2012 et se comporte comme un fonds vautour. En mars 2012, la restructuration que la BCE orchestre implique un haircut de 53 % de la valeur des titres, à charge des créanciers privés. Qui sont, à ce moment-là, les créanciers privés ? D’une part, les banques grecques, qui, bien qu’elles aient réduit leur exposition, gardent une quantité significative de titres grecs dans leurs actifs. Ceux-ci sont soumis à un haircut mais les banques reçoivent une compensation de plusieurs milliards appelée un sweetener (édulcorant) et se voient garantir une nouvelle injection financière pour les recapitaliser. Les principales victimes sont les fonds de pension publics grecs qui ont été forcés par les autorités du pays et la Troïka à convertir leurs actifs en titres grecs quelque temps avant la restructuration (qui était dûment planifiée, mais maintenue secrète).

Les banques françaises, allemandes, italiennes et du Benelux s’étaient dégagées en revendant les titres grecs à la BCE, à des banques chypriotes et à des fonds vautours. Pour faire simple, les banques chypriotes ont pris de plein fouet le haircut et cela a contribué à la crise chypriote qui a suivi quelques mois plus tard et qui a trouvé son dénouement en mars 2013. Quant aux fonds vautours qui avaient acheté avec une décote, ils ont refusé de participer à la restructuration et ont obtenu un remboursement à 100 %. La BCE s’est comportée comme un authentique fonds vautour et obtient également un remboursement à 100 %.

Acte 4

La BCE fait du chantage permanent. Après la restructuration, la BCE met fin au programme d’achats SMP et lance le programme OMT (Opérations Monétaires sur Titres, ou en anglais, Outright Monetary Transactions).

La BCE se fait rembourser les titres grecs à 100 % de leur valeur et à des taux d’intérêt qui peuvent atteindre 6,5 %. Vu le caractère clairement abusif de sa position, dénoncée y compris par le gouvernement grec, la BCE s’engage à rétrocéder à la Grèce les intérêts perçus. Effectivement, elle effectue au bénéfice du gouvernement Samaras un remboursement de 3,3 milliards d’euros en 2013 et 2014 pour soutenir sa politique néolibérale. En revanche, pendant les six premiers mois du gouvernement de Tsipras, elle refuse d’effectuer une quelconque rétrocession. Depuis lors, la BCE et les banques nationales de la zone euro n’ont rien reversé à la Grèce.

La mécanique est implacable : chaque fois qu’une partie des profits de la BCE sur les titres grecs a été transférée à Athènes, la somme est immédiatement repartie vers les créanciers pour rembourser la dette. Il faut mettre fin à ce pillage. Les profits de la BCE réalisés sur le dos du peuple grec doivent être rétrocédés à la Grèce et être intégralement utilisés pour financer des dépenses sociales afin de remédier aux effets dramatiques des politiques dictées par la Troïka et relancer l’emploi. La dette réclamée à la Grèce doit être annulée car elle est illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. C’est ce qu’a démontré la Commission pour la vérité sur la dette grecque mise en place par la présidente du Parlement grec en 2015.

Source : Le Soir

Les compilateurs de la Réforme politique par Kostas Lapavitsas

Les compilateurs de la Réforme politique

Le nécessaire et faisable

La situation de la Grèce neuf ans après le déclenchement de la crise et sept ans après le début des mémorandums est sombre. Les conditions économiques ne favorisent pas la croissance rapide nécessaire pour guérir les blessures. La réalité sociale pousse à aggraver l’inégalité et le malheur social. Les développements politiques ont conduit à une dépréciation totale du système politique, à un durcissement de la corruption et de la non-religion, et au déclin de la démocratie.

Les mémorandums ont stabilisé l’économie en supprimant l’énorme déficit budgétaire et le déficit tout aussi énorme du commerce extérieur, qui ont été les principaux moteurs de la crise en 2010. Mais la stabilisation a été réalisée par la pauvreté et le démantèlement du tissu productif. du pays. Tant que la Grèce restera dans le contexte des mémoires, qu’ils soient typiques ou non, elle ira vers un rétrécissement et un déclin historiques.

Tout aussi profond est le problème de l’inertie et de la frustration de la classe ouvrière et des laïcs. Il n’y a plus de réaction et de mobilisation contre les mesures mémorisées qui ont été scellées les années précédentes, pas même par les forces syndicales organisées. La principale responsabilité pour cela est SYRIZA et personnellement son chef, Alexis Tsipras, parce qu’il a nié les espoirs populaires de la pire façon. Mais le reste du système politique est responsable car il n’a rien de nouveau et de convaincant à proposer. Néanmoins, les couches touchées par la crise ne sont pas convaincues que la trajectoire suivie par le pays aura un effet positif, elles veulent entendre de nouvelles propositions et rejeter le système politique défaillant. Quand il y a un ciblage spécifique et persuasif, ils ont le pouvoir d’agir, comme le montre le mouvement anti-enchères.

L’attitude du système politique est caractéristique de la lâcheté et de son incapacité absolue à mener le pays dans une direction différente de celle des créanciers. La route qui peut fournir l’optimisme et le progrès social est bien connue et documentée. Les problèmes immédiats et cruciaux de la société grecque, surtout l’énorme chômage et la dystocie du développement, peuvent vraiment être résolus, tant que le pays est libéré de l’étreinte suffocante de ses prêteurs. Il n’y a pas de mystère technique sur la politique économique dont la Grèce a besoin aujourd’hui, qui a été élaborée depuis longtemps. Ce qui manque, c’est le courage politique de faire les profondes percées sociales nécessaires, de réprimer la réalité sociale morbide actuelle et de faire avancer la reconstruction nationale.

Malheureusement, ce qui est urgent n’est pas automatiquement réalisable dans la vie politique. Il s’agit donc de provoquer le redéveloppement des forces politiques qui cherchent véritablement à faire revivre un pays qui a été remis aux prêteurs et à leurs soutiens locaux. Le sol est instable, les conditions difficiles et les responsabilités très importantes. Les termes de la politique de refonte doivent être débattus avec honnêteté. C’est la seule façon de commencer à faire de petits pas.

Le texte suivant est destiné à contribuer à l’effort de redéploiement politique et est divisé en trois parties. Le premier analyse la politique économique requise et qui est à la base de tout développement politique. La seconde se penche sur le domaine politique après sept années de mémorandums. La troisième énonce quelques conditions de base pour une compréhension politique sincère des forces qui peuvent sortir le pays du bourbier.

Partie I Politique économique

Demande totale, politique industrielle, secteur public et privé

L’économie grecque n’a pas besoin des «réformes» notoires des prêteurs, pour lesquelles le gouvernement et l’opposition sont coupés. La Grèce a adopté un certain nombre de ces «réformes» depuis 2010, réduisant les revenus, vendant des biens publics, déréglementer les relations de travail et frapper les petites entreprises au profit des plus grandes. Malgré les «réformes» en cours, la structure problématique de l’économie grecque n’a pas changé, la corruption n’a pas diminué, la productivité a baissé et la compétitivité internationale ne s’est pas améliorée de façon dynamique.

Ce dont l’économie grecque a vraiment besoin aujourd’hui, c’est deux étapes décisives. Le premier est la stimulation immédiate de la demande globale qui permettra aux petites et moyennes entreprises de créer de nouveaux emplois – permanents et avec des salaires suffisants. La locomotive doit être le secteur public parce que le privé est lourdement blessé par les mémorandums et ne peut pas donner l’élan dont il a besoin.

Ceux qui pensent que le rôle de la machine à vapeur peut être joué par l’investissement privé ne voient tout simplement pas l’ampleur du problème. A titre indicatif, en 2009, l’investissement total en Grèce était d’environ 60 milliards, alors qu’en 2016 il était d’environ 20 milliards. Il n’est pas nécessaire que le secteur privé couvre cet écart, compte tenu notamment de la faiblesse du système bancaire. En ce qui concerne l’investissement étranger, en 2016, une année marquée par une performance «élevée», glorifiée par les responsables gouvernementaux, n’a été que de 3,1 milliards. En effet, plus de 90% était l’acquisition d’actifs grecs, souvent par des «investisseurs» de nature douteuse. Il est complètement irréaliste d’attendre de cette source une solution au problème du pays.

La locomotive ne peut être que le secteur public, réduisant les impôts et augmentant les investissements publics. L’effet sera également bénéfique dans le secteur privé, car la consommation privée et l’investissement privé seront stimulés. Un cercle vertueux sera créé, car le chômage sera réduit, surtout si le secteur bancaire a été réorganisé avec la création de banques publiques. Il y a la réponse au problème de la demande et la réduction du chômage. Il y aura donc place pour la redistribution du revenu et de la richesse, mais sur la base de la croissance plutôt que du partage de la pauvreté.

La deuxième étape est la politique industrielle et agraire ciblée, en renforçant de manière décisive les secteurs primaire et secondaire tout en réduisant la dépendance aux importations. C’est le moyen de changer la structure de l’économie grecque en stimulant le tissu productif et en réduisant le recours aux services. De là, il y aura une augmentation systématique de la productivité qui changera la position du pays dans l’économie mondiale. De là, il y aura aussi la stimulation et la transformation du secteur privé de l’économie grecque.

Cette perspective de développement est tout à fait faisable, mais en même temps laborieuse et longue, nécessitant une coordination du système de crédit, des mécanismes de contrôle public, et de l’éducation et de la justice sur une plus longue période de temps. Surtout, il exige une profonde coupure dans l’administration publique, avec rationalisation, renouvellement et un nouvel esprit d’offre sociale. Sur cette base, il y aura une nouvelle relation dans les secteurs public et privé dans notre pays.

Dette, UEM et UE

La simple citation des étapes nécessaires soulève la question urgente : est-il possible pour une telle politique économique, sans une suppression profonde de la dette publique, tant que le pays reste dans le contexte de l’UEM et sans conflit direct avec l’UE. ceux-ci sont également nécessaires. Au cours des sept années des mémorandums, les questions de la dette, de l’UEM et de l’UE ont fait l’objet de débats depuis longtemps, et l’on sait maintenant très bien comment les traiter. Cependant, il faut comprendre que l’annulation de la dette et le recouvrement de la souveraineté monétaire ne sont pas la solution au problème du pays, mais les moyens de passer à la solution comme discuté ci-dessus.

Il convient également de souligner que la situation actuelle de la Grèce n’a rien à voir avec 2010-12. Ensuite, la position des paiements de la dette et la sortie de l’euro, avec ce qu’elle signifiait pour l’UE, auraient dû être les principales demandes des puissances anti-monopoles car elles pouvaient empêcher la destruction monumentale et mettre rapidement le pays sur la voie du développement. . Aujourd’hui, le Mémorandum est devenu un statut, la catastrophe a été faite et le pays est confronté à un grave problème de croissance et à une structure déformée de l’économie. C’est là que la réponse doit commencer.

De plus, la situation actuelle de la zone euro a peu à voir avec 2010-12. La crise s’est calmée et une Europe dominée par l’Allemagne est apparue. Les mécanismes de l’UEM sont devenus encore plus stricts et la rigidité budgétaire est devenue un statut dans l’UE Dans l’Europe actuelle, il y a au moins deux régions: le sud, où notre économie est faible, et l’Europe centrale avec des économies. sur la machine d’exportation allemande. Le problème de la Grèce, mais aussi d’autres pays, est de faire face à la division en un centre et une région, ce qui crée de très mauvaises perspectives de croissance pour les pays du Sud. De là, la réponse devrait également commencer.

Il ne fait aucun doute que les problèmes de la dette, de l’UEM et de l’UE sont cruciaux et que leur traitement est nécessaire pour l’adoption de la politique économique nécessaire pour sortir le pays du bourbier. Cela ne signifie en aucun cas que la Grèce sera isolée. Au contraire, la Grèce est et restera un pays et une société européens ouverts. Mais ses problèmes actuels appellent une proposition de développement convaincante avec un profond changement social qui redéfinira sa place dans le monde. Cela devrait devenir le favori de la politique de réforme.

Partie II Le domaine politique

Un résumé de la politique économique nécessaire est suffisant pour mettre en évidence les problèmes sociaux et politiques qui ressortiront de sa mise en œuvre. En substance, c’est un tournant social et politique profond qui crée une marge de renversement social en faveur des couches populaires, ouvrières et petites et moyennes. Le discours politique programmatique désormais nécessaire à la réforme politique devrait placer ces questions sociales au premier plan.

Souveraineté populaire et nationale

En particulier, la classe moyenne urbaine et supérieure de la société grecque soutenait clairement la politique des mémorandums, pesait très peu proportionnellement à leurs revenus et, en pleine coopération avec les prêteurs étrangers, tentait d’exploiter les conditions engendrées par la stabilisation. Afin d’imposer la politique des mémorandums, ils n’ont pas hésité à contourner les processus démocratiques en créant virtuellement un régime d ‘«exception» avec l’imposition de changements politiques plutôt que la volonté du peuple grec. Des exemples typiques ont été le gouvernement non élu de Papadimos en 2011 et, bien sûr, la conversion de Non à Oui après le référendum de 2015.

Le programme économique alternatif frappe les intérêts des couches dominantes et modifie l’équilibre pour les populations, la classe ouvrière et les petites et moyennes couches. Le bouleversement social qui va inévitablement se produire nécessitera le renforcement de la démocratie et de la souveraineté populaire pour sa défense. Le moins nécessaire dans le domaine politique est la formation d’une Assemblée nationale constituante dans le but de consolider la souveraineté populaire. Cela ouvrira la voie à un changement structurel dans les relations sociales et endommagera le noyau du capitalisme grec, en créant la perspective d’une transformation socialiste avec la démocratie et la liberté.

En même temps, le programme économique affecte aussi les intérêts des prêteurs et pose la question de l’implication du pays dans plusieurs organisations supranationales, comme l’UEM et l’UE, ce qui pose directement la question de la souveraineté nationale et de la restructuration des relations internationales en Grèce. Dans les conditions européennes actuelles, avec une division consolidée en centre et périphérie, le durcissement de l’UE, la souveraineté de l’Allemagne et la sortie de l’UE de l’UE, le rétablissement de la souveraineté nationale est une question de survie pour un petit pays du Sud. comme la Grèce. Cela ne signifie pas du tout l’isolement de la Grèce mais, au contraire, sa participation dynamique, avec ses propres forces, dans le processus de réforme de l’Europe sur la base de la solidarité et du contrôle économique entre les peuples d’Europe.

Les options de politique pour le redéploiement

La question clé est donc: quelles forces politiques peuvent mettre le pays sur le chemin économique, social et national qui est nécessaire? Le peuple grec est bien conscient que rien de nouveau ou de différent ne doit attendre le système politique existant. SYRIZA, la Nouvelle Démocratie, le Compatriement Démocratique et le Fleuve ont pleinement accepté le cours actuel et sont en faveur de sa gestion. Le KKE a été transformé en une boîte de votes de protestation et un groupe de discussions interactives de nature marxiste. L’Aube dorée prend aussi un vote de protestation en spéculant sur des arguments radicaux et en les habillant de vulgarité nationaliste et sociale, comme le font habituellement les fascistes. Le parti de M. Leventis complète l’image de la politique de désintégration.

Il existe un énorme vide politique qui laisse la place à de nouvelles forces pour jouer un rôle dans l’éveil du facteur populaire et inverser le cours actuel désastreux. Malheureusement, les organisations individuelles de la gauche extraparlementaire ne peuvent combler ce fossé, bien que leurs suggestions individuelles soient souvent perspicaces. LAE, ANTARSYA, Fleece of Freedom ont été testés dans la période suivant le référendum de 2015 et leurs limites ont été observées. En agissant seul, la seule chose qu’ils vont réaliser est l’usure continue. La même chose s’applique à EPPM, qui n’appartient pas à la gauche. Tout le monde, indépendamment de ces organisations, n’a ni la crédibilité ni la classe et la radiation nationale requises pour combler le vide politique.

Le pays a besoin d’un nouvel organe collectif, basé sur des couches populaires, de travail et à petite échelle, et contribuera à l’éveil du mouvement syndical, en impliquant la société civile. L’organisme requis ne peut pas provenir de la simple élection des organisations qui existent déjà pour se joindre à la Chambre. Il ne sera pas non plus formé à travers les négociations connues et le battement des réunions « au sommet ».

Le corps collectif dans la pratique ne peut émerger qu’à travers des consultations sincères des partis, des organisations et des unités qui ont maintenu une attitude antimonieuse cohérente, et aujourd’hui ils perçoivent l’importance de l’action collective. Sa construction prendra du temps, compte tenu de la profonde faiblesse des couches populaires et des organisations de travailleurs. Afin d’aller de l’avant, certaines questions clés devront être abordées dans la partie suivante dans l’attente d’une discussion plus approfondie.

Partie III Conditions pour une compréhension politique honnête

Le nouveau corps collectif devrait être large et n’exclure pas les forces pour des raisons de pureté politique. Les partis et les organisations de la gauche extra-parlementaire qui ont joué un rôle majeur dans l’effort de l’antimonopole joueront un rôle clé. Mais il n’y a absolument aucune raison de poursuivre une «identification programmatique» sur des questions plus larges du capitalisme mondial ou grec, et les exclusions précédentes des organisations et des individus ne devraient pas être faites.

La question est de s’entendre sur une solution au problème grec qui cherchera le soulèvement social, le rétablissement de la souveraineté nationale et la renaissance du pays. Les étapes de base sont connues et se réfèrent aux questions de structure sociale, de souveraineté populaire et nationale, de l’UEM et de l’UE Dans ce contexte, les collectifs et les individus peuvent coexister et travailler ensemble bien au-delà des frontières étroites des partis politiques organisés.

Pour un fonctionnement efficace, la nouvelle entité devrait en principe avoir une structure différente des modèles politiques actuels qui repoussent les couches populaires. Il n’y a pas de détaillants ni de sagesse sur ce sujet et il faut aborder de manière réaliste des problèmes spécifiques, étape par étape. Cependant, il n’est pas difficile d’établir initialement un corps collégial simple grâce à un processus consultatif ouvert, qui aura son propre secrétariat et créera un cadre de coexistence et d’action commune. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique, d’abord de la part des organisations de la gauche extraparlementaire, et rien de plus.

Deux points sur la structure organisationnelle sont d’une grande importance, à la suite de l’expérience de ces dernières années, et ils veulent une discussion et une analyse.

Le premier est la leçon de l’échec et de la mutation de SYRIZA. En particulier, la création d’une organisation bureaucratique composée de départements essentiellement indépendants et accompagnée d’une discussion perpétuelle au nom de la parité des acteurs n’est qu’une méthode d’échec. Cela a peut-être permis le lancement des élections, mais a finalement conduit à un déni de démocratie interne, de leadership et à un manque de principes.

La pratique bureaucratique traditionnelle des partis grecs et même de gauche a épuisé son rôle historique. Cependant, le rôle historique de l’association d’organisations indépendantes au sein d’une coquille frontale bureaucratique a été épuisé. Le fonctionnement interne de la nouvelle entité devrait être fondé sur des structures organisationnelles démocratiques cohérentes qui permettent une participation libre et favoriseront l’expression d’opinions et l’action collective avec un ciblage commun.

La seconde est que la route de Melanchon n’existe pas pour la Grèce. La France est au début d’un changement économique et social imposé par sa participation à l’UEM, alors que son poids spécifique est beaucoup plus important que celui de la Grèce. Melanchon et «l’Inconcevable France» ont toujours l’occasion de mettre en avant un rejet général de l’austérité et du capitalisme sans s’engager dans des politiques spécifiques et sans créer des structures organisationnelles cohérentes.

Les choix centrés sur la personne de Melanchon, malgré son grand succès aux élections, sont extrêmement dangereux et les problèmes ne seront pas loin. En Grèce, cependant, après la mutation phare de SYRIZA, il n’y a aucune trace d’une telle possibilité. Il n’y a pas non plus de personnalité correspondante qui puisse parler directement avec les gens. La nouvelle organisation devrait travailler collectivement et s’appuyer sur des décennies de politique organisationnelle.

Sur cette base, l’objectif politique principal ne peut être que l’approche méthodique des couches populaires et rebelles. L’organisation devrait être liée organiquement aux couches travailleuses, locales et à petite échelle de la société grecque en exploitant sa proposition programmatique pour le pays et en apportant des réponses à leurs problèmes. De même, l’effort électoral devrait également être pris en compte. L’admission de la Chambre, ce qui est absolument possible dans les conditions actuelles, n’est pas une fin en soi, mais un outil de rapprochement entre les couches populaires et une intervention politique efficace au niveau national.

L’émergence des problèmes qui concernent les jeunes revêt une importance particulière dans cet effort. La nouvelle entité devra faire passer le message de l’avancée en démontrant qu’elle gère avec créativité et imagination les nouvelles technologies de communication dans le domaine politique. L’élément clé, comme l’ont montré Corbin et Sanders, n’est pas la jeunesse, mais l’honnêteté, la rectitude et la simplicité. La jeunesse grecque regarde avec méfiance tout le monde, sans perdre son envie de changement. Elle est beaucoup plus informée et confiante sur son caractère européen que ses parents.

Pour les mêmes raisons, il devrait y avoir un renouvellement des personnes, et je ne parle pas de l’âge. Le jeune âge d’Alexis Tsipras s’est révélé être une garantie de radicalité, de militantisme et de sincérité. Le but est d’amener les gens qui ont les connaissances nécessaires pour mettre en œuvre le programme et ont été testés dans les années des mémorandums. Aussi les gens du domaine de la solidarité sociale et les mouvements qui ont aidé la société à faire face au flot de mesures . Ce n’est que sur cette base que la peur qui est continuellement cultivée par le Mémorandum et qui surmonte la confiance peut être surmontée.

La reformulation politique est entièrement réalisable. Le fardeau de prendre l’initiative requise incombe à la gauche extra-parlementaire, flanquée de corps et d’individus plus larges. Il est essentiel que les objectifs ne soient pas seulement électoraux. Le peuple grec a soif de bonnes nouvelles et de perspectives politiques optimistes. Laissez-nous compter toutes nos responsabilités.

La crise grecque a rapporté 7,8 Milliards d’euros à la BCE

Les quelque 7,8 milliards d’euros d’intérêts perçus par la BCE sur la dette grecque devaient être reversés à Athènes, mais les versements ont cessé en 2015.

Débat entre Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, et Constantin Stephanou, professeur en droit économique international et européen à l’Université Panteion d’Athènes.

https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/la-crise-grecque-a-rapporte-78-milliards-deuros-a-la-banque-centrale-europeenne?id=8974454&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

5ème sommet du Plan B les 21 et 22 octobre 2017 à Lisbonne

Sommet du Plan B à Lisbonne.Appel pour une Europe de la coopération démocratique et de la solidarité

 POUR UNE EUROPE DE LA COOPÉRATION DÉMOCRATIQUE ET DE LA SOLIDARITÉ

Grèce : En finir avec les dettes illégitimes

Véronique Laurent 

C’est un cheval de Troie juridique. Le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM ) fournit une arme pour tenir tête aux créanciers : le concept de « dette odieuse ». Qui pourrait servir à la Grèce à genoux. Le Belge Éric Toussaint, historien et docteur en sciences politiques, et Zoé Konstantopoulou, juriste et ancienne présidente du Parlement grec, en décortiquaient l’historique et les enjeux durant la dernière Université d’été du CADTM, à Namur, en juillet dernier. axelle (http://www.axellemag.be/) y était.

La plupart des États s’endettent pour financer leurs dépenses : ils émettent des « bons du trésor » ou des « obligations souveraines » pour équilibrer leur budget – les États-Unis, la Belgique le font. La Grèce le faisait. Ces bons sont achetés par des organismes sur des marchés financiers : ces acheteurs touchent alors les intérêts de ces emprunts.

Retour sur la dette grecque

Fin 2009, le gouvernement grec fraîchement élu annonce que le déficit du pays est en fait deux fois plus élevé que ce qui avait été présenté auparavant. L’origine de ce déficit est par ailleurs au cœur d’un débat politique. À la suite de cette annonce fracassante, c’est l’engrenage infernal. Les agences qui notent la « fiabilité financière » d’un pays dévalorisent la Grèce. Tout le monde essaie de revendre ses bons du trésor grecs dont le prix a dégringolé ; plus personne ne veut prêter d’argent au pays, ou alors à des taux totalement démesurés. Bref, la Grèce n’arrive pas à boucler son budget et, en avril 2010, demande une aide internationale.

Une dette pourrait être répudiée si elle va à l’encontre de l’intérêt général et si ses créanciers sont conscients de son impact néfaste au moment du prêt.

Se sentant encore fragiles après la crise de 2008, les États de la zone euro et le FMI (Fonds Monétaire International) craignent de nouvelles faillites bancaires ; des pays comme l’Italie, le Portugal ou l’Espagne sont également touchés par une hausse des taux d’intérêt que leur imposent les marchés financiers, échaudés par l’exemple grec. Les États de la zone euro et le FMI se mettent à racheter les titres grecs afin d’arrêter l’effondrement de leur prix, faisant ainsi passer la dette grecque dans les mains publiques (alors qu’auparavant, elle était détenue sur des marchés financiers privés). La « Troïka » (FMI + Commission européenne + Banque centrale européenne) impose alors à la Grèce de prendre toujours plus de mesures d’austérité afin de rembourser sa dette ; mais depuis sept ans, la dette a explosé, forçant la Grèce à rembourser toujours plus et plongeant les citoyen-nes dans une terrible crise économique et sociale (voir les portraits dans ce dossier). À l’image de pays qui ont refusé de payer leur dette financière envers leurs ex-colonisateurs, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une « dette odieuse », et la remettre en question.

« Répudier » la dette, un concept politique

Au 19e siècle, le nouvel État mexicain « répudie » sa dette envers le Portugal, parce qu’il estime que cette dette ne respecte ni le bien commun ni l’intérêt du peuple. Cuba, avec le soutien financier et militaire des États-Unis, fera de même vis-à-vis de l’Espagne. Avec l’argument supplémentaire selon lequel la dette était d’autant plus injuste que les banquiers prêteurs savaient bien que le remboursement était impossible.

En 1917 en Russie, le règne des tsars se termine dans le sang. Le gouvernement provisoire répudie les dettes du tsar Nicolas II. Alexander Nahum Sack, ancien ministre tsariste, théorise en 1927 cette répudiation. Il la soumet à deux premières conditions principales : une dette pourrait être répudiée si elle va à l’encontre de l’intérêt général et si ses créanciers sont conscients de son impact néfaste au moment du prêt. C’est la naissance du concept de « dette odieuse » : la « doctrine » de Sack sort ainsi la dette du domaine purement économique. Une troisième condition est encore théorisée au niveau du droit international : le caractère despotique du régime en place.
Et quand on veut, on peut : en 2004, par exemple, suite à la défaite de Saddam Hussein, la dette de l’Irak se voit réduite de 80 %. Mais, aux yeux des États-Unis, qui ont mené les négociations financières, il s’agissait d’un pays hautement stratégique… Contrairement aux pays pauvres très endettés (dits « PPTE »), dont le remboursement de la dette contribue à plomber le développement et qui bénéficient d’allègements de dette bien moindres.

La Grèce sous tutelle ?

En 2010, afin de rembourser la dette publique, le gouvernement grec signe donc un accord avec la Troïka qui l’oblige à instaurer de sévères politiques d’austérité. Selon le CADTM et de nombreux-ses économistes |1|, ces mesures n’ont pas aidé au redressement de l’économie. « Le programme d’ajustement auquel la Grèce a été soumise était, et reste dans son intégralité, un programme politiquement orienté », dénonce en juin 2015 la Commission pour la vérité sur la dette grecque, créée par le Parlement grec et sa présidente d’alors, Zoé Konstantopoulou, et coordonnée par Éric Toussaint. Au contraire, les mesures qui se sont succédé depuis 2010 ont porté atteinte aux droits fondamentaux des citoyen-nes, détruisant les droits sociaux et vendant les biens publics à des sociétés privées (acier, eau, électricité, aéroports, infrastructures…). Du vol pur et simple, dénonce Zoé Konstantopoulou.

Les mesures qui se sont succédées depuis 2010 ont porté atteinte aux droits fondamentaux des citoyen-nes, détruisant les droits sociaux et vendant les biens publics à des sociétés privées.

Des millions de chômeurs/euses, 300.000 entreprises fermées, 300.000 scientifiques envolé-es vers l’étranger, un taux de suicide élevé, des milliers de foyers sans électricité, la pauvreté généralisée allant jusqu’à la famine… « L’austérité tue », assène encore Zoé Konstantopoulou.

Peut-on parler d’une stratégie d’oppression systématiquement appliquée ? Zoé Konstantopoulou en est persuadée, en particulier depuis que la Commission pour la vérité sur la dette grecque a révélé des documents confidentiels du FMI, prouvant que l’instance connaissait l’impact que les mesures d’austérité allaient provoquer. Et depuis juillet 2015, le doute n’est plus possible ; la volonté populaire, exprimée lors du référendum – une majorité pour le « non » aux « mémorandums », c’est-à-dire aux plans d’austérité successifs –, n’a pas été respectée.

Les Nations Unies mobilisées

Le CADTM demande, avec d’autres instances et associations, la création d’un Tribunal international de la dette, à même de juger ce type de conflits, et où la doctrine de la dette odieuse pourrait s’appliquer. Ce combat avance. En septembre 2015, à l’Assemblée générale des Nations Unies, une majorité de pays a voté une résolution visant à établir neuf principes applicables aux questions de dette souveraine. Vous savez quoi ? La Grèce s’est abstenue, suivant le mot d’ordre des pays de l’Union européenne… Sauf l’Allemagne et le Royaume-Uni qui ont fait cavaliers seuls (avec les États-Unis, Israël, le Canada et le Japon) en votant contre, sous prétexte que les Nations Unies n’étaient pas le bon endroit pour discuter de dettes : ces pays aimeraient le faire hors instance régulatrice démocratique !

Les Nations Unies, avec le principe d’une voix par pays (ce qui donne du poids aux plus petites puissances), instaurent un rapport de force un peu plus équilibré. Et même si les neuf recommandations ne vont pas encore assez loin pour le CADTM (qui propose que les pays débiteurs puissent prendre certaines mesures d’autodéfense minimums face à des créanciers abusifs), leur adoption prouve, dans cette lutte aux intérêts politiques et économiques immenses, que la démocratie existe encore et qu’il faut continuer à l’activer.


Cet article est extrait du magazine Axelle n°202 qui consacre un dossier spécial « La Grèce sous l’austérité ».

Notes

|1| Relire notamment cette tribune de 300 économistes de tous les continents appelant les gouvernements grec et européens à « engager des négociations de bonne foi avec le nouveau gouvernement grec pour résoudre la question de la dette », dans « Nous sommes avec la Grèce et l’Europe », www.blogs.mediapart.fr, 5 février 2015.

Grèce : 3eme mémorandum un programme de ruine et de punition

Grèce : Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement  par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis 4/10/17

Députée depuis mai 2012, réélue en juin 2012 et en janvier 2015, Nadia Valavani était vice-ministre du budget lors du premier gouvernement Syriza-Anel. Elle a démissionné de son poste de ministre le 13 juillet 2015, au lendemain de la signature par le Premier Ministre Tsipras de l’accord menant à un troisième mémorandum, ces listes de mesures d’austérité qui conditionnent les emprunts ou plans de « sauvetage »gérés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Mécanisme européen de stabilité et, jusqu’en 2015, le Fonds monétaire international. Après qu’elle ait été calomniée suite à sa démission, comme tous les anciens députés et ministres qui ont quitté Syriza à ce moment-là, N. Valavani a choisi d’écrire un livre pour rétablir sa version des faits. Son titre donne le ton : Troisième mémorandum : Le renversement d’un renversement. Preuves personnelles d’un démenti collectif. Elle y détaille la loi qu’elle a fait adopter en mars 2015, aménageant les principales mesures contre la pauvreté prises pendant les six premiers mois du gouvernement de Syriza, et elle commente les grandes mesures du 3e Mémorandum.

Les « 100 versements », mesure vitale pour la population grecque

En effet, N. Valavani a mis en place un dispositif dit des 100 versements, dont l’objectif était de régler, en partie, les dettes des particuliers et des entreprises vis-à-vis du secteur public. Et cela en permettant, d’étaler le paiement des dettes en 100 versements de 20 € minimum combiné à un effacement des pénalités pour ceux qui y souscrivaient. Il s’agissait de régler ainsi des situations fiscales que la baisse des revenus, le chômage et les hausses d’impôts avaient rendu désespérées |1|. Les enjeux étaient énormes, puisque de nombreuses démarches administratives rendent obligatoire en Grèce le « certificat fiscal » un certificat qui indique le statut fiscal quant au paiement des impôts : tous les achats et ventes mais aussi, avant 2015, l’accès aux bons de santé pour les démunis. La dette des particuliers et entreprises envers le Secrétariat général des recettes publiques représentait en février 2015 près de 74 milliards d’Euros, soit 40 % du PNB, dus par environ 3,9 millions de contribuables (dont 400 000 entreprises) |2|. En fait, un tiers de la population grecque était endetté auprès des impôts pour moins de 3 000€ majorations comprises. À l’autre bout, 60 milliards étaient dus par 6 500 contribuables, dont 4 000 entreprises (certaines fermées depuis longtemps) avec une dette supérieure à 1 million d’€, datant parfois des années 70 ou 80.

Malgré l’hostilité des Institutions, ce dispositif des 100 versements est resté en place 3 mois, de mi-avril à mi-juillet 2015, concernant plus d’un million de débiteurs à hauteur de 7,5 milliards de dettes. Entre le 28 juin et le 15 juillet 2015, malgré la fermeture des banques et le contrôle des capitaux, 600 millions d’euros de dettes ont encore pu être arrangés. Mais de nombreux contribuables n’ont pas pu en bénéficier dans ce court laps de temps. Le 3e mémorandum a interrompu les 100 versements et les conditions générales de maintien dans le dispositif ont été durcies au point qu’en juin 2016, 250 000 personnes en avaient été éjectées.

Le premier avantage de cette mesure était le soulagement social apporté. Le deuxième était l’apport régulier d’argent frais dans les caisses de l’État, à un moment où le gouvernement était confronté au blocage des liquidités par la Banque centrale européenne. « Tsipras s’en est vanté lors de sa campagne de septembre 2015, sans avouer qu’il avait lui-même signé leur annulation le 13 juillet 2015. »

Les mémorandums ont créé un énorme endettement fiscal

« Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer, tels les condamnés d’une colonie de la dette ». En fait une grosse part de la dette fiscale, 47 milliards sur 74 milliards, a été créée après 2010, début des mémorandums. Par exemple si en 2013 la dette fiscale s’élevait à 8 milliards, en 2014 elle pesait 14 milliards, soit une augmentation de 60 % de la dette fiscale annuelle.

Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer.

Or le FMI s’est farouchement opposé à cet aménagement en 100 versements, d’abord parce qu’il contredit le principe de « super-seniority » qui donne la priorité aux banques privées dans l’ordre des remboursements. Ensuite le FMI considérait que ces versements s’opposaient à la « pédagogie fiscale » censée réduire la fameuse « culture du non-paiement » attribuée aux Grecs. « En 2000, la dette des contribuables grecs envers les impôts était seulement de 3,5 %, c’était le bon moment pour faire de la pédagogie et encourager la culture du paiement de l’impôt. Mais avec 40 % du PNB fin 2014, il y avait d’autres urgences et priorités que la « pédagogie fiscale » prônée par le FMI » proteste Nadia Valavani. Alors que 20 milliards d’euros et 500 000 endettés fiscaux supplémentaires ont été créés pendant ces deux années par les nouvelles mesures d’austérité du troisième mémorandum, Tsipras et les chiffres officiels annoncent en janvier 2017 que les objectifs fiscaux ont été atteints pour 2015 et en 2016. Où mèneront les mesures annoncées de nouvelle hausse des taxes, qui menacent retraités et salariés ?

L’Agence Indépendante des Recettes Publiques

Parmi les nouvelles atteintes à la souveraineté grecque imposées par le 3e mémorandum, Nadia Valavani dénonce l’abandon de la fonction régalienne de recettes et d’attribution budgétaire. Obligation mémorandaire, une « Agence autonome des recettes publiques |3| » s’empare depuis le 1er janvier 2017 de la collecte des impôts et des recettes publiques. Désormais géré par cet organisme affilié directement aux créanciers étrangers, les institutions européennes, tout le mécanisme des recettes publiques sort ainsi de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif. Spécialement créé pour exercer un contrôle accru sur l’exécutif grec et visiblement testé en Grèce en vue d’imposer ce type d’Agence indépendante dans tous les pays de l’Union, ce néoplasme néolibéral confisque la fonction régalienne des recettes et du budget de l’État. Le ministère n’aura plus aucun pouvoir, ni même celui de peser sur l’interprétation de lois importées. Il ne sera renseigné que mensuellement sur une base statistique. En outre, 36 000 affaires fiscales qui allaient arriver à expiration, concernant l’argent noir des partis politiques, les bakchichs, les pots de vin de l’armement, d’énormes fraudes, etc. sont prescrites d’office à cause de la suppression des instances de poursuites fiscales. Ces dispositions ont été instituées par une loi votée en mai 2016 par l’ensemble mémorandaire de l’assemblée. Le portefeuille de secrétaire aux recettes devient inutile, puisque toutes les lois sont rédigées à l’étranger.

Le super-fonds de privatisation

Le 3e Mémorandum a aussi supprimé l’article 24 de la loi Valavani qui attribuait tous les bénéfices du Fonds de privatisation TAIPED aux caisses publiques d’assurance sociale. Le TAIPED est remplacé par un Super-fonds de privatisation sous contrôle des créanciers, qui brade irréversiblement toute la Grèce pour 99 ans. De plus ce super-fonds a été adopté par un article dont le contenu n’a été publié – en allemand et dans la presse – que plusieurs semaines après le vote et l’adoption de la loi. Le super-fonds inclut aussi le Fonds de stabilité financière hellénique, chargé de la recapitalisation des banques grecques. « Privé de toute velléité de souveraineté nationale, le gouvernement va vendre les îles rocheuses, comme prévu depuis 2013, et toutes les marinas, ce qui remet en question la sécurité même du pays. Nous n’avons pas réussi à protéger nos lignes côtières. »

Désormais en Grèce, le mécanisme des recettes publiques sort de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif.

La recapitalisation des banques

À cause des recapitalisations successives, en 2015 le Fonds de stabilité financière hellénique possédait l’essentiel des actions des banques grecques, réduites à quatre, mais en novembre 2015 elles ont été rachetées par des fonds étrangers pour 5 milliards d’euros à un prix ridicule : trois actions de la Piraeus Bank valaient alors moins d’un cent d’euro. Pourtant cette banque détient les hypothèques de 75 % des terres agricoles du pays.

La Task force et ses tentatives de vendre « des petits produits » à la ministre

Depuis 2012, tous les étages du ministère des Finances sont occupés par la task-force, constituée d’experts de l’Union européenne, nommés pour « aider l’administration grecque ». Les employés de la task-force insistaient pour rencontrer la ministre pendant sa fonction, en lui proposant l’achat de logiciels de gestion des impôts et taxes.

Un programme de ruine et de punition

Indépendamment de toute logique économique qui viserait à réellement rembourser des créanciers, le 3e mémorandum semble dicté par une volonté de dépecer la Grèce, au bénéfice des intérêts privés liés directement aux représentants des « Institutions » créancières. La formulation bienveillante des articles ajoute à la cruauté paradoxale des mesures. C’est particulièrement sensible avec le Super-fonds qui permet la liquidation à très bas prix de tous les actifs publics, dans des conditions qui vont encore appauvrir ce qui reste de l’État grec (entretien des installations à sa charge pendant 40 ans, exemptions de TVA et autres taxes pour les investisseurs, etc.). Le 1er janvier 2017, le Gouverneur de l’Agence autonome des recettes qui représente la Commission Européenne a pris ses fonctions et il a tout pouvoir, dont celui de saisir et liquider les biens hypothéqués, accélérant ainsi la précarité des ménages grecs.

« Les créanciers savent que la dette grecque est impossible à rembourser. Ils s’occupent d’abord de brader les propriétés publiques ; désormais, ils visent aussi la liquidation de la petite propriété privée en Grèce, avec la suppression de la protection des résidences principales depuis janvier 2017. Quand il ne restera qu’un pays à l’économie exsangue avec une dette ingérable, ils s’occuperont d’aménager la dette grecque. »

Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement
Nadia Valavani, Éditions Livani,
Athènes, 2016.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète

Notes

|1| Rappelons qu’en Grèce, 80 % de la population, retraités et employés du privé et du public se voient ponctionner leurs impôts à la source.

|2| Parmi eux, correspondant à 3 % de la dette fiscale totale, 3,7 millions de contribuables devaient moins de 5 .000€, majorations et pénalités comprises, dont 3,3 millions devaient moins de 3 000€ (dont 357.000 PME).

|3| Cette agence récupère la majorité des compétences du ministère du budget et de l’économie : politique fiscale, gestion des ressources, moyens fiscaux et instruments d’investigation, émission et application des mesures fiscales, douanières et budgétaires, mais aussi « l’élaboration et la mise en place des mesures de protection de la santé publique, de l’environnement, des intérêts des consommateurs, son soutien au bon fonctionnement du marché, à la compétitivité de l’industrie chimique (sic) et le soutien aux services juridiques, policiers et autres autorités, … l’élaboration et la gestion du budget de l’État… ». Cette agence disposera aussi, selon le nouveau Code pénal, des compétences pour mettre en vente les habitations principales des débiteurs en suspension de paiement. Outre les biens publics, ce sont désormais les biens privés grecs qui sont dans le collimateur des créanciers.

http://www.cadtm.org/Grece-Troisieme-memorandum-Le

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