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Entretien avec le Président de La cimade

Aide aux étrangers: pourquoi la Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France Par Mathilde Mathieu

Chargés d’aider les étrangers enfermés près de Roissy, les salariés de la Cimade viennent de se retirer du centre de rétention. Trop de violences. « Le climat est devenu terrible », explique le président de l’association Christophe Deltombe à Mediapart, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien

 

La Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France, près de l’aéroport de Roissy. Trop de violences. Alors que l’association (sous contrat avec le ministère de l’intérieur) est chargée d’accompagner juridiquement les étrangers enfermés en vue de leur expulsion, ses salariés exercent leur droit de retrait depuis déjà deux semaines.

Pour comprendre, Mediapart a interrogé le président de la Cimade, Christophe Deltombe, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien.

Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu'il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu’il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM

Que se passe-t-il au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, de si grave que vos salariés se sont retirés ?

Christophe Deltombe : Le climat est devenu très difficile. La Cimade s’est retirée après trois tentatives de suicide depuis le toit, dont une personne qui menaçait de se pendre avec un barbelé.

Après avoir avalé des médicaments, une autre avait été placée en cellule d’isolement, menottée et casquée, en guise de « prévention ». Dans ce climat de stress, nos personnels n’étaient plus en situation de continuer à remplir leur mission : accompagner juridiquement cette population en détresse, aider les personnes à faire valoir leurs droits, d’abord celui de savoir si leur enfermement est légitime ou non.

Je rappelle qu’au niveau national, 4 personnes sur 10 sont libérées par un juge : ça donne la mesure du travail accompli par les associations présentes en rétention [la Cimade dans 8 CRA sur 25, mais aussi Forum-Réfugiés Cosi, France Terre d’asile, etc.]. On peut comprendre que la PAF [la police aux frontières], qui a vocation à organiser les expulsions, puisse en être irritée.

Il faut essayer de travailler « harmonieusement ». Mais nos relations se sont dégradées en raison de la politique du « tout enfermement » menée par le gouvernement : nous voyons passer des personnes qui n’ont pas vocation à être expulsées, beaucoup de malades psychiatriques que les préfets n’hésitent pas à placer, nombre de personnes qui ne devraient pas être enfermées, d’une manière générale, en raison de leur état de santé.

Il y a une défaillance du contrôle médical, pour ne pas dire une absence. Les dispositions organisant l’accès aux soins en rétention remontent à 1999, à une époque où la durée d’enfermement était plafonnée à 9 jours. Contre 90 jours aujourd’hui [depuis la loi « asile et immigration » de Gérard Collomb promulguée en septembre dernier] ! Le dispositif est dépassé, le personnel et les horaires de présence complètement insuffisants.

Et puis au Mesnil, les tensions avec la PAF sont renforcées par le comportement de certains policiers : hostilité, brimades, manque de « zèle » à fournir des pièces contenues dans les dossiers des personnes qui viennent consulter, filtrage à l’entrée du couloir qui mène à nos bureaux, etc.

Nos salariés étaient réellement épuisés, la direction de l’association a approuvé ce retrait.

Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d'un marché public passé avec le ministère de l'intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d'asile ou encore l’ordre de Malte). Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d’un marché public passé avec le ministère de l’intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d’asile ou encore l’ordre de Malte).

Comment réagit le ministre ?

Des discussions se sont engagées avec l’administration – mais pas le cabinet du ministre, que nous avons pourtant sollicité. On nous promet de réviser la circulaire de 1999 sur les unités médicales, on nous répond que des psychologues vont être prochainement déployés en rétention. Alors qu’il faudrait des psychiatres. Et qu’il ne s’agit pas tant de mettre des « psys » que d’éviter de placer des personnes malades !

La situation est-elle la même dans les autres CRA de France ?

La spécificité du centre du Mesnil, c’est sa taille : 240 places. Le législateur avait bien fixé un plafond à 140 places, mais le ministère a collé deux CRA l’un à côté de l’autre… Sinon, on retrouve les mêmes problèmes partout : des malades « psys », toujours des mineurs (alors que ça ne devrait plus exister !), un désœuvrement anxiogène, etc.

Mais y a-t-il du nouveau par rapport aux « années Sarkozy » notamment ? Une ligne rouge est-elle franchie ?

Elle se franchit d’année en année, la politique se fait de plus en plus répressive. Il suffit de regarder la durée légale de rétention, sans cesse allongée. À quoi servent 90 jours ? Alors que le temps moyen à l’issue duquel les gens sont réellement expulsés varie entre 12 et 15 jours selon les années. Au-delà, les « chances » sont maigres pour l’administration d’obtenir les fameux « laissez-passer consulaires » [ces pièces sans lesquelles la France ne peut renvoyer, que les consulats des pays d’origine sont censés délivrer]. Tous les autres sont remis en liberté. Mais parfois au bout de 90 jours désormais… Quelle est la pertinence ?

La loi « asile et immigration » est en fait une loi d’affichage : elle s’est inscrite dans une stratégie électoraliste visant à satisfaire une partie de l’opinion très hostile, en tout cas rétive, à l’accueil des étrangers. Avec ces mesures répressives, il s’agit de donner l’impression que le gouvernement maîtrise les choses.

Le gouvernement revendique toutefois des résultats. Devant les députés, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, s’est réjoui, le 16 juillet, d’une hausse de 10 % des « éloignements forcés » en 2018…

En chiffres bruts, on est à moins de 20 000. Franchement, pousser des cocoricos pour 2 000 ou 3 000 expulsions de plus, c’est dérisoire.

Prenez le cas des « dublinés » [des demandeurs d’asile que la France a le droit de transférer sans examiner leur dossier vers le premier pays de l’Union européenne où ils ont laissé leurs empreintes, d’après le règlement de Dublin] : en 2018, 3 500 transferts ont été effectués de la France vers un autre État de l’UE ; et dans le même temps, 1 800 personnes ont été transférées depuis un pays de l’UE vers la France. On s’échange des personnes ! Et pour ça, on les enferme en CRA. Voilà la cohérence de la politique migratoire européenne.

Au fond, on utilise « Dublin » contre le droit d’asile. On fait même du ping-pong avec l’Italie : la France y renvoie certains demandeurs trois ou quatre fois de suite, que l’Italie juge avoir le droit de nous re-transférer ensuite… Récemment, j’ai ainsi croisé plusieurs Soudanais à Ouistreham (Calvados), qui devraient pouvoir obtenir l’asile dans l’UE compte tenu de la situation dans leur pays (c’était avant le renversement de la dictature), mais qui avaient ainsi plusieurs « allers-retours » derrière eux et voulaient maintenant passer en Grande-Bretagne.

Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM

D’une manière générale, le gouvernement utilise surtout les CRA pour une politique de soi-disant « dissuasion » contre des « appels d’air ». On place en rétention des gens dont on sait qu’ils ne seront pas expulsés, faute de « laissez-passer », etc. Outre que c’est détestable, pas conforme à l’esprit de la loi, ça n’a aucune pertinence : quand les gens veulent venir, ils viennent.

Alors, oui, il y a des phénomènes de « rebond » entre pays d’Europe, de « vases communicants », c’est-à-dire des demandeurs d’asile qui viennent en France après avoir tenté leur chance en Allemagne par exemple. Ça existe, mais ce n’est pas significatif. Je voudrais rappeler que les arrivées « illégales » en Europe, c’est 36 000 personnes sur les six premiers mois de l’année 2019, à rapporter à 1,2 ou 1,3 million en 2015. Alors que la « pression » migratoire a considérablement baissé, on est toujours confronté à un discours hystérique.Vos équipes envisagent-elles de retourner au Mesnil ? Surtout, dans ces conditions, allez-vous renouveler le contrat de la Cimade avec le ministère de l’intérieur, qui arrive à échéance à la fin de l’année ?

La direction du CRA dit aujourd’hui comprendre le stress de nos équipes – une partie de son personnel y est confrontée aussi. Elle doit surtout saisir le fonctionnement de la Cimade : celui d’un contre-pouvoir. C’est institué ainsi. Mais on va réussir à s’entendre, oui ; on y est obligé.

Et l’assemblée générale de l’association a déjà voté la reconduction – nous allons en tout cas répondre au nouvel appel d’offres. C’est l’histoire de la Cimade que d’être présente dans les lieux d’enfermement : l’association est entrée dans les camps dès 1939-1940. C’est sa vocation d’être en solidarité active auprès de personnes retenues ou détenues. Il y a des moments où l’on est obligés de monter le ton, mais il faut trouver des solutions pour que cette mission soit exercée.

Quel regard portez-vous sur des actions plus radicales comme celles menées récemment par le collectif de sans-papiers des « gilets noirs », qui a occupé le Panthéon ? D’une stratégie de confrontation ?

La stratégie de la Cimade, c’est d’être auprès des personnes, d’être en capacité de témoigner, d’interpeller. On peut avoir un discours musclé sans être dans une politique de rupture. La rupture, c’est oublier les personnes concernées.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/250719/aide-aux-etrangers-pourquoi-la-cimade-claque-la-porte-du-plus-gros-centre-de-retention-de-france

 

Entretien Yannis Youlountas

J’ai fait une exception à la règle en parlant pour la première fois à un média mainstream grec (mais pas n’importe lequel), et ce, à la demande de mes compagnons de luttes à Exarcheia. Pourquoi me direz-vous ? L’explication est dans l’article en question : un grand entretien paru hier dans Popaganda. N’hésitez pas à me dire sincèrement votre avis dans les commentaires.

« YANNIS YOULOUNTAS : NOUS N’AVONS PLUS D’AUTRES CHOIX QUE L’UTOPIE OU LA DYSTOPIE

Suite à l’attaque fasciste qu’il a subi il y a un mois au Pirée, l’écrivain, activiste, antifasciste et anarchiste Yannis Youlountas répond à Maria Louka, une invitation à lutter pour un monde meilleur.

Journaliste : Maria Louka / Photographe : Alexandros Katsis / Traduit du grec par Marietta Simegiatou.

[Intro]

Le 13 juin, un groupe de fascistes a attaqué un homme au Pirée. À la nuit tombée, dans un lieu isolé, à quatre contre un. C’est comme ça que les fascistes font leur sale besogne. Dans l’obscurité et en bande, dans le seul but de blesser et de terroriser leurs victimes.

Yannis Youlountas a sans doute eu mal durant l’affrontement, il a aussitôt après été emmené à l’hôpital, mais très rapidement, sans faiblir, il est retourné dans son espace de prédilection : sur la route, parmi ceux qui luttent. Il n’est pas de cette gauche bobo qui circule avec des vestes bien repassées sur les plateaux de télévision, qui mettent en avant leur titres dans la haute société, et qui font des sourires promotionnels. Il n’est pas non plus de ces artistes neutres qui se cachent à l’abri de la forme artistique pour ne pas se mêler de l’incendie qui ravage tout autour d’eux.

Il fait partie de ceux que Kerouac a qualifiés « les fous, les inadaptés, les fauteurs de troubles, les révolutionnaires … qui sont assez fous pour croire qu’ils peuvent changer le monde et qui, à la fin, y parviennent. »

Partageant sa vie entre la France et la Grèce, mais avant tout citoyen d’un monde dont il ne reconnait pas les frontières, réalisateur, écrivain et poète, activiste, antifasciste et anarchiste, Yannis Youlountas a, depuis un très jeune âge, pris position dans les conflits sociaux en faveur des opprimés.

Avec un long parcours dans les mouvements sociaux français et grecs, et toujours en première ligne du front antifasciste, il incarne ces dernières années tout ce que le gouvernement et son discours médiatique diabolise. Il est un fervent participant des collectifs autogérés, telles que les occupations pour les réfugiés que le nouveau ministre de l’intérieur Michalis Chryssochoidis menace de démolir comme il a autrefois démoli la dignité des femmes séropositives. Il est un relais crucial dans la construction d’un mouvement de solidarité international, lié à des personnalités insoumises de notre temps, comme Pia Klemp, la capitaine de navire qui sauve des réfugiés en Méditerranée. Il organise les campagnes internationales de soutien politique et économique à Rouvikonas pour couvrir les frais juridiques supportés par ses membres et croit profondément que la véritable forteresse à anéantir n’est pas Exarcheia mais le capitalisme.

Tout cela et beaucoup d’autres choses encore sont racontées dans son entretien avec Popaganda.

[Entretien]

Maria Louka — Yannis, raconte-nous quelque chose à propos de ton histoire personnelle. Comment la France et la Grèce se croisent dans ta vie ?

Yannis Youlountas — Je suis né en France le 21 septembre 1970, d’une mère française et d’un père grec de Rethymnon en Crète. Ouvrier, issu d’une famille très pauvre de huit enfants, il a quitté l’école dès 11 ans et a reçu sa première paire de chaussures fermées à 13 ans. De l’autre côté, ma mère est issue d’une famille d’enseignants. Elle a étudié la philosophie et a rejoint le mouvement Freinet pour une pédagogie coopérative et libertaire. Ils se sont rencontrés en 1969, pendant la junte des Colonels, et sont ensuite partis pour la France. C’est là que je suis né. Ils se sont ensuite séparés au bout de quelques années. J’ai grandi entre deux logements dont l’un était plein de livres jusque dans les toilettes, et l’autre sans même un dictionnaire. Depuis lors, j’ai compris que les inégalités sont non seulement économiques, mais aussi culturelles. Comme Bourdieu l’a écrit, la lutte n’est pas seulement une affaire de classes sociales, aussi de connaissance.

M.L. — Tu penses donc que les différences dans ta famille ont été le premier stimulant de ta politisation ?

Y.Y. — Oui, les inégalités entre mes parents ont été déterminantes dans ma prise de conscience. Mon père a passé de longues périodes de chômage durant lesquelles j’ai cherché avec lui des champignons, des escargots et des asperges sauvages par nécessité, pour avoir assez à manger. Bien avant de lire des ouvrages analysant les rapports de classes, j’avais déjà développé ma propre représentation.

L’éducation a également joué un rôle important dans ma vie. J’ai étudié de trois façons différentes. Tout d’abord dans une école autoritaire où régnait la violence et compétition. Ensuite, j’ai vécu deux années sans aller du tout à l’école aux côtés de mon grand-père français, durant la séparation entre mes parents. Puis, je me suis familiarisé avec la pédagogie Freinet, coopérative et libertaire, d’abord en tant qu’enfant, puis en tant qu’adulte. Des expériences passionnantes.

La vie est faite de temps et de mouvement. Et c’est précisément ce que confisque le système éducatif aux enfants : la vie elle-même. Alors que les parents ont appris aux enfants à parler et à se tenir debout, le système éducatif leur apprend aussitôt après à se taire et à s’asseoir. C’est pourquoi je participe aux mouvements d’éducation coopérative et libertaire en France et en Grèce, notamment au sein du réseau École Buissonnière-Pédagogie Freinet en Grèce. Je trouve ça très important. Pour changer la société, la lutte contre le gouvernement et l’État ne suffit pas. Les dés idéologiques sont jetés très tôt dans l’existence. La libération des enfants de l’éducation autoritaire est donc une étape indispensable vers un autre futur.

M.L. — Sur cette base, ton identité politique est donc antiautoritaire ?

Y.Y. — Oui. J’aime beaucoup les textes de Marx quant à son analyse du capitalisme, mais je suis convaincu avec Bakounine qu’il faut dissoudre l’État et basculer dans l’autogestion, car le pouvoir finit toujours par corrompre ceux qui le détiennent. Les travaux de Foucault sur la normalité, la surveillance, les prisons et la technologie m’ont également influencé. Tout ce qu’il a écrit se confirme : car chaque jour, nous cédons une partie de notre liberté à la technologie et nous acceptons de mettre notre vie quotidienne sous contrôle. Imaginons un instant si Hitler et sa Gestapo avaient disposé de pouvoirs technologiques de surveillance aussi sophistiqués : un cauchemar !

En France, je suis membre d’un groupe libertaire près de Toulouse, dans le département du Tarn, un groupe composite avec des membres venus de divers horizons, dont la plupart sont fédérés à la fédération anarchiste, Son nom, groupe ELAFF, signifie : écologistes, libertaires, antifascistes et féministes. Je fréquente aussi les mouvements libertaires catalans, en particulier à Barcelone.

M.L. — Tu as réalisé plusieurs films documentaires en Grèce. Cette activité a-t-elle une vocation historique, est-ce une sorte d’enregistrement de choses vues et vécues pour rétablir des faits historiques occultés ou déformés ?

Y.Y. — Depuis sept ans, j’ai réalisé trois documentaires : Ne vivons plus comme des esclaves, Je lutte donc je suis et L’Amour et la Révolution. Et j’ai commencé le tournage d’un quatrième. Je ne fais pas des films pour faire œuvre ou me faire connaître. Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser les outils de l’art pour bâtir de quoi comprendre et, peut-être, changer la société. Je me fiche de l’art pour l’art. Ce qui m’importe, c’est la vie elle-même. Nous pourrions aisément obtenir des subventions de l’État pour produire nos films, les uns après les autres, vu qu’ils ont toujours bien circulé dans les cinémas et qu’ils nous donnent donc le droit de le faire. Mais, avec mes proches, nous avons choisi de refuser toute collaboration avec l’État de même qu’avec les chaînes de télévision auxquelles nous avons systématiquement refusé les rares propositions de passer nos films. En agissant ainsi, nous nous rendons bien sûr la tâche plus difficile, mais nous restons authentiquement indépendants. Nous avons choisi, contre vents et marées, de rester modestes et à bonne distance du pouvoir et de la société spectaculaire. Nos films sont disponibles gratuitement sur Internet et tout le monde peut les voir et, par exemple, organiser des projections dans des lieux de luttes. C’est la même chose pour tous les livres que j’ai publiés. Je n’ai jamais utilisé le copyright, mais le creative commons, donnant la liberté de reproduire à des fins non commerciales. Je ne suis pas non plus rémunéré pour les films, uniquement défrayé. Mon travail professionnel est différent. Je travaille un peu partout pour des structures qui aident des groupes sociaux très vulnérables : sans-abris, prisonniers, élèves renvoyés de leur collège (dans le cadre d’ateliers relais), personnes souffrant de tendances suicidaires ou de dépendance à des drogues, et surtout je travaille dans des médiathèques et des écoles sous forme d’ateliers de philosophie qu’on appelle aussi goûters philo. Voilà pourquoi je ne veux pas gagner d’argent avec ce que je fais pour aider le mouvement. Mais je ne critique pas ceux qui se font payer ou reçoivent des subventions, c’est leur choix et souvent une nécessité. Je suis radical mais je ne veux pas être sectaire.

M.L. — Dans cette vie quotidienne partagée entre la France et la Grèce, tu soutiens beaucoup les squats de réfugiés. Qu’est-ce qu’ils représentent pour toi ?

Y.Y. — Je suis membre de l’assemblée du premier squat ouvert durant la crise des réfugiés, le Notara 26. Je le soutiens politiquement, financièrement et, bien sûr, en matière de communication. En effet, il y a un énorme fossé au niveau de l’information, car les médias du pouvoir déforment la vérité. Ils présentent une image d’Exarcheia qui se concentre uniquement sur la drogue et la mafia. Je ne dis pas qu’il n’y aucun problème à Exarcheia, le jeu obscur de l’État aux côtés de la mafia dans le quartier nous complique souvent la tâche, mais Exarcheia c’est beaucoup plus que tout ça. Les squats de réfugiés, par exemple, sont une grande cause, car ils montrent à la fois notre réponse immédiate à un besoin vital et la société solidaire que nous voulons construire tous ensemble. Lorsque vous ouvrez un squat pour accueillir des réfugiés, vous ne soulagez pas seulement des êtres humains en souffrance, vous apportez aussi un supplément d’égalité et de liberté dans cette société profondément injuste. La société que nous désirons ne peut pas être uniquement décrite dans des textes. Les gens sont fatigués des paroles non suivies d’actes. Nous devons montrer des exemples concrets de la société que nous désirons. Les squats de réfugiés en Grèce en sont un parfait exemple.

M.L. — Dans ce contexte, tu as été la principale personne qui a organisé des convois solidaires internationaux à destinations des structures autogérées en Grèce. Est-ce que ce fut l’une des expériences les plus intenses de ces quatre années ?

Y.Y. — J’ai noté tous les besoins dans les différents squats, dispensaires médicaux, cuisine sociale, etc., autant de lieux que je connais bien, parfois même en tant que membre, puis nous avons apporté, avec mes camarades de l’autre bout de l’Europe, de plus en plus de choses transmises par des personnes solidaires en France et dans d’autres pays alentours. Nous avons toujours pris soin d’amener uniquement des choses correspondant aux besoins précis des lieux, bien rangées dans chaque fourgon, et à ne jamais livrer du débarras. Ce point est très important. Nous agissons comme des égaux, des solidaires, respectueux de nos camarades grecs et réfugiés, et nous n’avons rien à voir avec des initiatives de charité. Je comprends, bien sûr, que chacun participe à sa manière et apprenne progressivement, mais le fond est aussi dans la forme. Nos convois, bâtis en grande partie sur les moyens de communication et financiers de nos films, sont politiques, solidaires, internationalistes.

Parmi ce que nous avons apporté, il y a du matériel médical, des couches pour bébés, ou encore du lait en poudre car les mamans allaitantes étaient épuisées par le long voyage, la peur et la violence, et n’avaient souvent plus de lait pour nourrir leurs enfants. Le premier grand convoi s’est déroulé en mars 2017 avec 26 fourgons en provenance de France, de Belgique, de Suisse et d’Espagne. Dès la première fois, les médias de masse ont beaucoup parlé de nous en diffusant toutes sortes de mensonges, par exemple que nous n’amenions que des choses pour les réfugiés et rien pour les grecs, alors que, outre les squats, nous avons toujours également soutenu les dispensaires médicaux autogérés, la cuisine sociale L’Autre Humain, divers groupes de résistance, des luttes environnementales et une bonne quinzaine de lieux autogérés hautement politiques, comme le K*Vox, Favela, Nosotros, Evangelismo ou Mikropolis. Les chaînes de télé ont également raconté que nous amenions des armes.

Nous avons toujours été au cœur d’une énorme désinformation à cause du danger que nous représentions dans l’imaginaire social. Durant le deuxième grand convoi, en novembre 2017, nous avons été arrêtés par la police au péage de Megara, entre Corinthe et Athènes. Les policiers ont demandé les pièces d’identité à tous les membres du convoi (sauf à moi), mais ils ne sont pas allés jusqu’à ouvrir les cartons. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils savaient très bien que nous ne transportions pas d’armes. Notre arme, c’est la solidarité. Ils n’ont pas ouvert le moindre carton, car sinon, ils auraient été contraints de cesser de nous calomnier et de nous harceler, notamment en nous suivant un peu partout avec des véhicules banalisés de façon très grossière. Au total, nous avons effectué 12 convois, dont 4 grands convois avec plus de 10 fourgons. À chacune de nos arrivées, une bonne moitié de mes compagnons de voyage ont, tôt ou tard, essuyé quelques larmes d’émotion. Ce sont des moments très intenses et inoubliables, de part et d’autre, qui nous rappellent que les frontières ne sont rien. Le pouvoir les utilise pour nous diviser et nous contrôler.

M.L. — Le nouveau gouvernement du parti Nouvelle Démocratie a annoncé une grande opération d’évacuation et de « nettoyage » à Exarcheia. Cette éventualité t’inquiète ?

Y.Y. — Nous allons être les témoins d’un véritable totalitarisme politique. Mais ce ne sera pas aussi facile que le pouvoir l’imagine. Le nouveau premier ministre grec est un descendant de la dynastie Mitsotakis et plusieurs membres de son gouvernement sont issus de l’extrême-droite. Ils ont promis de détruire tout ce qui faisait la substance et la réputation d’Exarcheia et vont tout faire pour y parvenir. Il y a une trentaine d’années, les flics avaient déjà occupé la place centrale du quartier durant des mois, avant de renoncer.

Depuis, les choses ont changé. Nous avons construit des relations internationales plus fortes que jamais, un puissant réseau de solidarité par-delà les frontières, des échanges d’informations rapides sur un plan horizontal, à l’écart des médias dominants et de leurs mensonges le plus souvent par omission, de fréquents convois et tournées dans un sens et dans l’autre pour mieux nous connaître et présenter ce que nous faisons. Nous sommes avons commencé à construire quelque chose ensemble. Quelque chose d’historique peut-être.

C’est pourquoi, si j’ai accepté pour la première fois de parler à un média de masse qui n’est ni autogéré ni membre de notre réseau, c’est parce que nous avons décidé d’interpeller la société, d’avancer d’un pas vers elle, de faire un effort d’ouverture en direction de gens qui, par exemple, ne nous lisent pas ailleurs. Qu’est-ce que nous voulons dire avec tout ça ? Qu’il y a un monde qui va réagir devant l’attaque et que « nous n’avons pas peur des ruines ». C’est le titre que nous avons choisi à l’unanimité pour le nouveau documentaire que je prépare avec mes compagnons d’Exarcheia et ailleurs en Grèce. Ce titre-slogan est tiré d’une phrase célèbre de Durruti. Pourquoi nous n’avons pas peur des ruines ? Tout simplement parce que c’est nous qui avons tout construit et que, si tout venait à être détruit, nous saurions tout reconstruire en mieux.

M.L. — Tu veux dire que la société capitaliste n’est pas la seule possible ?

Y.Y. — Le capitalisme prétend que l’Histoire est terminée. Autrement dit : chaussez vos pantoufles, asseyez-vous confortablement dans votre canapé, allumez la télévision, gavez vous de chips et soyez heureux que ce que vous voyez aux infos du JT ne vous arrive pas à vous, personnellement. Sauf que ça ne se passera pas comme ça. Rien n’est fini. Il existe des poches et des modèles proposant d’autres façons de vivre dans de multiples régions du monde, du Rojava au Chiapas. Le pouvoir sent de plus en plus qu’il y a quelque chose de puissant et d’insaisissable qui commence à se dessiner en face de lui, c’est pourquoi il se durcit et glisse un peu partout vers le fascisme. Le fascisme est le stade ultime du capitalisme quand il se sent menacé, quant ses illusions perdent en efficacité, quand il éprouve la nécessité de démasquer son vrai visage profondément autoritaire. Partout dans le monde, les pouvoirs se durcissent et le fascisme gagne du terrain. Au Brésil, aux États-Unis, en Hongrie, en Italie, dans trois ans en France…

Pourtant, comble de la réthorique des médias, c’est nous qui sommes traités d’extrémistes. En réalité, en réfléchissant un peu, en ouvrant les yeux sur les actes des uns et des autres, il est clair que ce qui est extrémiste c’est de détruire la Terre, saccager la vie et faire le malheur des gens. La liberté que le pouvoir propose est une liberté de pacotille. Être libre ne signifie pas choisir ce qu’on va acheter dans un rayon de supermarché, mais inventer sa vie, sans opprimer autrui ni détruire la nature, et contribuer réellement à la construction d’un espace commun de réflexion et d’action à commencer par l’entraide. Je ne parle pas seulement d’anarchie, je parle de respect, de dignité, d’humanité, d’amour de la vie et du droit irrépressible de choisir comment nous désirons traverser ce court moment qu’est l’existence.

M.L. — Il y a quelque temps, un groupe de fascistes t’a attaqué au Pirée. Veux-tu nous parler un peu de cette expérience et de l’empreinte qu’elle t’a laissée ?

Y.Y. — C’était il y a un mois. J’étais allé aider le centre social Favela qui avait déjà été la cible d’attaques fascistes par le passé. En sortant du lieu en portant un tee-shirt qu’on venait de m’offrir, j’ai vu quatre fascistes fondre sur moi. Trois ont tenté de me rouer de coups pendant que le quatrième surveillait la seule issue. Heureusement, j’ai tenu bon jusqu’à ce que des témoins arrivent et me viennent en aide. Cela m’est aussi arrivé en France, mais de façon un peu moins violente. Depuis deux ans, je suis également en procès avec les fascistes qui ont organisé l’opération Defend Europe à bord du navire C-Star pour tenter d’empêcher le sauvetage en mer des migrants. Ils n’ont pas supporté notre campagne antifasciste sur toutes les rives de la Méditerranée pour les empêcher d’arriver à leurs fins. D’échec en échec, notamment à Chypre puis en Crète, grâce à la mobilisation de mes camarades de Ierapetra et d’Héraklion, ils ont été forcés de rentrer chez eux en avion. Ensuite, ils m’ont presque aussitôt poursuivi devant les tribunaux parce que j’étais le seul membre visible du collectif Defend Mediterranea qui s’opposait à eux, étant donné que je publiais nos communiqués. L’affaire est en cours. J’attends une éventuelle cassation.

Qu’importe les attaques, les insultes, les menaces, les procès, et peut-être même la mort, s’ils mettent leurs menaces à exécution. Pour chacun d’entre nous, participer au mouvement social est un risque et je l’accepte. Après l’attaque des fascistes, j’ai répondu à mes camarades et amis venus me voir à l’hôpital puis dans mon lieu de convalescence à Exarcheia que j’allais bien et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Non seulement parce que nous avons librement choisi d’être des cibles potentielles, mais aussi parce qu’en ayant l’habitude d’aider des personnes affamées, malades, sans-papiers ou dormant dans la rue, nos problèmes à nous paraissent vraiment très petits par rapport aux leurs.

M.L. — Tu as des relations étroites avec Rouvikonas pour lequel tu as organisé des actions de soutien. Pourquoi penses-tu que ce groupe est décrit comme le mal absolu dans le discours dominant ?

Y.Y. — Rouvikonas a été diabolisé parce qu’il est la voie à suivre. Si des centaines, des milliers de Rouvikonas agissaient un peu partout, le pouvoir tremblerait sur son piédestal et finirait par tomber. Malgré la propagande immense contre ce groupe, en Grèce comme ailleurs, il y a beaucoup de gens et de collectifs qui aiment Rouvikonas et qui sont diversement inspirés par son action. Ces dernières années, les différentes formes de résistances en Grèce ont joué un rôle très important dans le développement d’un nouveau mouvement international anticapitaliste et, de plus en plus, antiautoritaire. Nous avons créé énormément de liens d’un bout à l’autre de la Grèce et de l’Europe, parfois même au-delà. Rouvikonas en est le parfait exemple. Avec sa façon particulière de remettre au goût du jour l’action directe, le groupe montre tout simplement que le pouvoir n’est pas invincible. En conséquence, il est constamment l’objet de poursuites et de l’ire des médias. D’un bout à l’autre du continent, nous sommes nombreux à le soutenir financièrement pour l’aider à couvrir ses frais de Justice. Nous avons récemment contribué au dépôt de garantie énorme exigé suite à l’attaque du parlement : 60 000 euros réunis en moins d’un mois pour empêcher l’emprisonnement de nos camarades.

Personne parmi nous ne rêve d’être un martyr. Personne ne veut aller en prison. Mais si l’État grec choisit d’envoyer des membres du Rouvikonas en prison, il en assumera les conséquences. Il montrera, une fois de plus, son vrai visage, en privant de liberté des personnes qui luttent contre les inégalités, les accidents du travail, la tyrannie des employeurs, les ventes aux enchères des logements des familles surendettées, les exploitations minières et pétrolières dévastatrices pour l’environnement et tant d’autres causes éminemment justes.

M.L. — Dernière question, quel est selon toi le dilemme de notre temps ?

Y.Y. — Utopie ou dystopie. Nous n’avons plus d’autres choix que l’utopie ou la dystopie dans l’impasse où nous nous trouvons. Et je suis convaincu que nous sommes capables de faire ce grand pas en avant : choisir l’utopie et vivre mieux. »

[Sur le site de Popaganda, l’entretien se termine avec les films Ne vivons plus comme des esclaves, Je lutte donc je suis et L’Amour et la Révolution, en version grecque, intégrés tour à tour dans la page]

Version grecque de l’entretien :
https://popaganda.gr/people/o-giannis-gioulountas-pistevi-oti-to-dilimma-tis-epochis-mas-ine-outopia-i-distopia-ki-epilegi-to-proto

Source http://blogyy.net/2019/07/25/un-entretien-pas-comme-les-autres/

Serments et serpents La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Serments et serpents

La perturbation météorologique de la semaine nommée Antinoüs n’a duré que trois jours. Grisaille dans une bonne partie du pays continental, vents et orages, y compris près d’Athènes. Antínoos, en grec signifie “le contradicteur”. Antínoos de la mythologie, fils d’Eupithès et l’un des prétendants de Pénélope, il fut surtout le premier à mourir d’une flèche par Ulysse. Antinoüs encore, celui de l’histoire, le jeune homme originaire de Bithynie, favori et amant de l’empereur romain Hadrien lequel meurt âgé de 20 ans environ, noyé dans le Nil et divinisé par Hadrien. Plus terre à terre, à Athènes c’est le moment du serment officiel des nouveaux députés au “Parlement” issu comme on dit des urnes du 7 juillet, effet de mode !

La perturbation météorologique de la semaine. En Attique, juillet 2019

Les parlementaires se sont donc montrés heureux, hilares et visiblement ravis, leurs familles étaient bien entendu de la fête, comme pour un défilé de mode… surtout et d’abord life et style. L’intonation a été donnée à sa juste… valeur par les médias, “les belles présences et leurs choix vestimentaires”. Pour une telle… chambre d’enregistrement c’est sans doute essentiel. La coquille est vide… seulement, elle est bien belle.

Et pour les deux tiers des élus, ils sont alors avocats, médecins, ingénieurs, universitaires et bien entendu journalistes. On y ajoutera les quelques actrices et acteurs, les chanteurs, puis les mannequins ayant vaillamment intégré le casting des défilés de prêt-à-porter femme, ainsi que certains présentateurs télévisuels de la météo du jour, la méta-démocratie est ainsi au complet et… pour la nuit des temps à venir.

Dans Athènes, place Sýntagma, c’est-à-dire place de la Constitution sous le “Parlement”, des employés d’un grand magasin, peu nombreux mais fort courageux, manifestaient alors toute leur colère provoquée par la généralisation de l’ouverture des enseignes bientôt chaque dimanche. Cette fois, le prétexte fut celui du début des soldes d’été. Comme en métapolitique dirait-on.

Serment des nouveaux députés. Athènes, le 17 juillet – presse grecque – photo de Pandelís Saítas
Des employés peu nombreux mais courageux. Athènes, juillet 2019
Des employés peu nombreux mais courageux. Athènes, juillet 2019

Des attroupements à Athènes, il y en a autant parfois devant les logements désormais voués au… culte Airbnb, signe des temps. Puis on y découvre encore au centre-ville ces photos de taille de Varoufákis, elles ont été disons oubliées depuis la campagne électorale. D’ailleurs, Varoufákis en a rajouté à son égocentrisme, lorsqu’il a fait tant part de son altercation avec un policier français ayant contrôlé son passeport à l’aéroport de Roissy. Suite logique, le policier de la PAF porte plainte contre le passager Yanis Varoufákis, presse française de la semaine.

Mais au pays réel du… Petit Prince Yanis, on se moque volontiers des théâtralisations de Varoufákis. “Il a joué son personnage pour faire encore une fois de la publicité”, pense-t-il mon cousin Kóstas au village et en Thessalie alors bien profonde. L’essentiel est ailleurs, comme il l’a souvent été. Par exemple, certains Ministres, certains Secrétaires d’État sous Mitsotákis, sont aussi ceux de la Rivière, le parti jetable mis en place depuis Bruxelles et Berlin et qui ne figure plus parmi les… équipes de défilé au “Parlement” en ce juillet 2019.

Dont Geórgios Mavrotás, ancien député Riviériste, promu Secrétaire d’État chargé des Sports, certes ancien athlète de haut niveau, mais également figure des Apostats des autres partis, ayant sauvé le gouvernement Tsípras il y a seulement quelques mois, en violation caractérisée, une de plus, de la Constitution, méta-démocratie oblige. C’est d’ailleurs ce même Mavrotás, qui persiste et signe de son approbation enthousiaste de l’accord macédonien de Tsípras de 2018, rejeté comme on sait par la grande majorité des Grecs, mais imposé sans referendum par la nébuleuse de la gouvernance mondiale, à la grande satisfaction du financier géopoliticien Sóros, ayant tant financé les siens, en Grèce comme ailleurs dans les Balkans.

Signe toujours des temps. Sous une grisaille météorologique qui n’a certes pas duré, les habitants des lieux non loin d’Athènes, ils commentent plutôt volontiers les nouvelles fouilles archéologiques sur leur plage, ainsi que la désolation du tiers des petits hôtels et tavernes réduits en ruines, plutôt que le cas Mavrotás il faut dire. Effet… de mode dirions-nous.

Attroupement Airbnbiste. Athènes, juillet 2019
Varoufákis en image. Athènes, juillet 2019
Vestiges sur la plage. En Attique, juillet 2019
Fouilles sur la plage. En Attique, juillet 2019

Notre si bonne presse nous apprendra également que… bien obligeamment, les représentants des dites “Institutions”, à savoir, ceux du FMI, de la Banque Centrale Européenne, du mécanisme européen de stabilité (MES) et de la Commission Européenne, rencontrent déjà les membres du gouvernement Mitsotákis à Athènes, ceci à la marge du colloque organisé par la revue “The Economist”, presse du 18 juillet 2019. Les “Institutions”, euphémisme de la novlangue impériale, cette fois inventé sous SYRIZA pour designer la Troïka désormais élargie, lorsque le terme Troïka pesait déjà bien lourd sur la conscience… du peuple.

Effet disons de mode, en face du “Parlement” des stars et des starlettes, cette place de la Constitution perd alors son deuxième et dernier café historique. Tôt un matin de cette semaine, ses gérants ont-ils chargé ce qui en restait en matériel et en bouteilles de soda et de vin. J’ai tenté d’en savoir davantage: “Oui Monsieur, nous fermons, et nous ne pouvons pas dire que l’établissement rouvrira bientôt.” C’est pourtant intriguant, au cœur de la ville et en pleine saison touristique.

Images furtives, comme autant celles des animaux adespotes, toujours sans maître, en tout cas eux, mais que les passants ignorent parfois. Devant les petites entreprises en faillite ou… prêtes de l’être, on y accroche parfois ces petites boîtes où l’on signale au stylo-feutre: “Factures ici.” Les statistiques ont déjà indiqué que près du 40% du petit commerce avait été littéralement liquidé depuis l’arrivée des… Institutions, il y a déjà 9 ans et cinq gouvernements largement interchangeables et complémentaires entre temps.

La fin du café place Sýntagma. Athènes, juillet 2019
Factures ici. Athènes, juillet 2019
Animal adespote. En Attique, juillet 2019

On apprendra aussi dans la foulée… des défilés de mode au “Parlement”, et je remercie l’amie du blog Evelyne pour m’avoir communiqué le lien Internet, que par arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, la taxe qui frappe la distillation de la Tsikoudiá, l’alcool traditionnel en Crète comme son équivalant partout ailleurs, passe alors de 0,59 à 6 euros par litre, par une décision qui peut encore permettre d’atteindre une taxation à hauteur de 12 euros par litre, soit 100% d’augmentation pour cette taxe sur les boissons alcoolisées. Cela signifie qu’au niveau du producteur, au lieu de payer une taxe de 102€ par journée de distillation, il en acquittera désormais… 600 euros. Ainsi, le verre de tsikoudiá servi dans les établissements de restauration collective pour 5 euros aujourd’hui, il dépassera alors même les 15 euros bientôt, presse locale de Crète, 15 juillet 2019.

Cette même presse locale remarque également la baisse de la fréquentation touristique en Grèce d’environ 8% cette année déjà, ceci en dépit de la déferlante Airbnb paraît-il. Une baisse que j’ai également pu ressentir via ma pauvre et pourtant bien appréciée Greece Terra Incognita. Non, le tourisme ne résumera jamais toute l’économie vigoureuse d’un pays, et en attendant, sur certaines plages d’Attique le lustre côtoie alors la désolation, tout comme au centre-ville d’Athènes.

Les médias font aussi état “de la politique économique que le nouveau gouvernement appliquera après avoir rencontré ceux des Institutions. Allégements fiscaux en vue, car c’est la croissance qui doit alors reprendre”, presse du jour. Mais à travers l’autre, la grande histoire parallèle, c’est aussi la Turquie qui multiplie ses provocations en mer Égée et à Chypre, entre ses plateformes de forage en mer, ses navires de guerre et ses avions. Toutefois, la Grèce officielle, et en tout cas celle qui est apparente n’a pas l’air d’être encore une fois à la hauteur de la géopolitique actuelle de la région. Juillet obligeant aussi au souvenir et à la mémoire historique, cependant, nous sommes peu nombreux à évoquer notre souvenir historique de cet autre 15 juillet de 1974, lorsque Chypre avait été trahie à la fois par les Colonels d’Athènes sous la programmation géopolitique il faut dire de Kissinger, et par la préjugée démocratie de retour sous Konstantin Karamanlis.

Sous les Colonels co-auteurs du Putsch à Chypre, l’armée turque de l’opération d’invasion “Attila-I” avait à peine arraché 4% du territoire de la République de Chypre, tandis qu’en août 1974 sous la gestion Karamanlis… l’opération “Attila-II” lui permit d’occuper près du 40% du territoire de l’île. “Chypre c’est loin” avait-il déclaré Karamanlis, mais à Athènes on fête toujours le… retour de la Démocratie au Palais présidentiel chaque année au 20 juillet. Défilé de mode en plus au Parlement cette année… mais alors du sang et du mensonge après tant de luttes forcément populaires pour cette démocratie.

La presse du jour rappellera aussi à l’occasion, photos à l’appui, combien un an tout juste après l’incendie ayant ôté la vie à plus de cent personnes, presque rien n’a été fait pour améliorer les conditions sur place à Mati, près d’Athènes. Les plages portant les stigmates de l’incendie sont désertées, le deuil domine encore les âmes et les lieux, et les politiciens y sont passés… en avions alors furtifs, autant que la perturbation météorologique de la semaine.

Effet de mode. Athènes, juillet 2019
Désolation et déclin. Plage d’Attique, juillet 2019
Animaux adespotes. Athènes, juillet 2019
Animaux adespotes figurés. Athènes, juillet 2019

Derrière les défilés de mode au “Parlement” les affaires tournent, le pays réel en sait quelque chose, comme il en est même parfois complice ou sinon le plus souvent dégoûté mais alors impuissant. En Thessalie bien profonde où les rocades sont vides et inachevées par certains endroits, les élus très frais du… grand cru 2019 ne sont pas toujours tombés du ciel des idées.

Mon ami S. qui est bien informé sur les vérités locales, croit savoir qu’un des élus, nouvel élu Nouvelle Démocratie ayant eu des démêlés avec la Justice et après avoir longtemps bénéficié de tant de financements européens dans ses affaires, le voilà enfin élu de Mitsotákis, fier de l’être et surtout désormais couvert par son immunité parlementaire. Les mauvaises langues du coin racontent “qu’il aurait même financé son parti à hauteur de quelques centaines de milliers d’euros pour ainsi cadenasser sa candidature, en réalité pour l’acheter”, les baronnies ce n’est pas que de l’histoire passéiste bien entendu. Il ne s’agit certes que du domaine des ragots comme on dit communément et rien de plus, mais en bon ethnographe des mentalités actuelles et des dires des habitants, je les remarque autant que les faits que l’on croit parfois si avérés. L’histoire me donnera ainsi tort ou alors raison, dans la mesure où l’histoire qui est la nôtre puisse encore donner quelque chose, car nous en sommes bien là !

Par la suite “notre” député aurait introduit dans le jeu ses influences locales, “entre achat direct de certains votes, et le bon souvenir de sa gestion d’une entreprise locale et coopérative, où ils travaillent trois fois plus d’employés que de nécessaire. Histoire de donner du travail aux serfs, autant fiers de l’être, voilà pour ce qui ne serait guère étranger à sa réussite”.

Il y a même près de deux ans, les rues de la ville thessalienne avaient été remplies d’affichettes où un citoyen et présumé connaisseur du dossier avait ouvertement défié le Procureur de République pour qu’il enquête sur les comptes et les aides européennes au sujet du futur élu, les affichettes avaient été signées, et le Procureur a condamné… l’inventeur des affichettes pour diffamation sans entrer dans le fond des allégations, bien entendu l’homme politique et gestionnaire si local avait porté plainte. Et avec plus de 40% d’abstention dans la contrée, faute de choix et par dégout, les électeurs restants car tant d’autres ont déjà quitté le pays pour trouver du travail dans le difficile et vaste monde, voilà qu’ils feront enter au “Parlement” les starlettes et les padischahs locaux. Temps des Empires. Ailleurs en Europe, on se contera certes que de déguster homards et caviars, c’est aussi de saison on dirait.

Rocades vides. Thessalie, juillet 2019
Rocades inachevées. Thessalie, juillet 2019
Athènes des rénovations. Juillet 2019
Athènes en peinture. Juillet 2019

Le pays s’enfonce, le temps presse. Quelques jours seulement avant les élections législatives du 7 juillet, les Quisling à la Tsípras ont-ils paraphé avec l’administration impériale de Berlin, l’accord prévoyant depuis 2018 la création de la dite Fondation Gréco-allemande pour la Jeunesse, basé à Leipzig. “C’est pour mieux se comprendre” d’après la propagande trop habituelle, en somme, c’est un outil de formatage de plus dans le but entre autres que de faire oublier côté grec l’obligation toujours non tenue côté allemand à verser les réparations de guerre que le pays maître de l’UE doit toujours à la Grèce.

Bien entendu les germanocrates de Mitsotákis apprécieront le travail déjà effectué pour l’approfondir. Déjà, ministres et cadres de la gouvernance des Mitsotakiéns ils expriment tout le bien qu’ils pensent désormais au sujet de l’accord macédonien de Tsípras, c’est pour dire. Donc continuité.

Soleil encore dans une bonne partie du pays continental. Antínoos, “le contradicteur”, celui de la seule météorologie comme de la mythologie s’est dissipé. Nos adespotes en profitent pour se monter, le pays réel se baignera comme il peut là où il le peut, bien loin des commodités acquises des parlementaires heureux, hilares et visiblement ravis.

Nos adespotes qui ressortent. En Attique, juillet 2019
Baignade populaire. En Attique, juillet 2019

Chez Greek Crisis, on tient le coup en… observation si possible participante. Je tiens aussi à remercier de tout cœur toutes les amies et tous les amis pour leur émouvant et essentiel soutien durant notre campagne urgente, lancée en juin. Plus spécialement, je dirais à Anne, à Michèle, à Cali, à Mijo, à Jean-François et à Canzio que le pays de leur cœur et de leurs périples n’est plus, et pourtant, rien n’est jamais perdu.

Enfin et pour compléter cette chronique, Mimi de Greek Crisis va mieux après avoir subi un AVC peu avant les élections, et elle aura bientôt 16 ans. C’est alors notre fête à nous !

Mimi de Greek Crisis. Athènes, juillet 2019
* Photo de couverture: Grisaille dans une bonne partie du pays. En Attique, juillet 2019
19 juillet 2019

Dette grecque

Dette grecque : Alexis Tsipras aurait-il pu agir différemment ? 16 juillet par Eric Toussaint , Sandro Calderon

L’expérience Syriza est terminée en Grèce. Dimanche dernier, Alexis Tsipras a perdu les élections législatives après un peu moins de quatre années au pouvoir. Un mandat difficile, passé sous tutelle des créanciers du pays.

Éric Toussaint interviewé par la RTBF http://rtbf-pod.l3.freecaster.net/pod/rtbf/geo/open/H/HoRD5d9klj.mp3

 

« Alexis Tsipras s’est soumis aux diktats »

Après deux défaites récentes, l’une aux élections européennes, l’autre aux élections locales, Alexis Tsipras avait décidé d’organiser des élections législatives anticipées le week-end dernier. Elles ont débouché sur une troisième défaite consécutive. Le parti conservateur, Nouvelle Démocratie de Kiriakos Mitsotakis, le nouveau Premier ministre grec, a remporté 40% des voix.

Eric Toussaint, historien belge et porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, résume en quelques mots le bilan de l’ère Tsipras : « Elle a commencé par un énorme espoir. Des dizaines de millions de personnes en Europe pensaient que cela allait permettre de rompre avec les politiques d’austérité. Puis, une énorme déception est venue, assez rapidement, au cours des six premiers mois parce que finalement, Alexis Tsipras s’est soumis aux diktats. Il avait promis de prendre le tournant avec son peuple et, finalement, il a capitulé. », déplore l’historien belge.

Aurait-il pu agir différemment ?

En 2015, le Premier ministre, Alexis Tsipras demande une restructuration de la dette grecque. Mais, après des mois de tractations avec les Européens, il est isolé sur la scène européenne. Il n’obtient aucune concession. Au contraire, la menace d’un Grexit, une sortie de la zone euro, est brandie.

Dos au mur, le 5 juillet 2015, il organise un référendum surprise. Plus de 61% des Grecs rejettent un troisième plan d’aide européen, synonyme de nouvelles mesures d’austérité. Pourtant, quelques jours plus tard, le 13 juillet, Alexis Tsipras capitule. Il accepte une aide de 85 milliards moyennant un nouveau programme de réformes douloureuses.

Selon l’historien belge, Eric Toussaint, l’ancien Premier ministre aurait pu agir différemment : « Je pense que le problème vient, dès le début, de l’attitude d’Alexis Tsipras. Il a pensé qu’en faisant des concessions aux dirigeants européens, il allait obtenir une contrepartie, c’est-à-dire, un allègement de la dette et une possibilité de faire des dépenses publiques pour répondre à la crise humanitaire. Or, l’attitude des dirigeants européens et, d’une série de gouvernements, comme le gouvernement d’Angela Merkel, le gouvernement de François Hollande, le gouvernement de Mariano Rajoy en Espagne et, d’autres, a été d’être dans l’opposition. »

Eric Toussaint voit dans cette inflexibilité européenne une claire volonté de faire de la Grèce un exemple d’intransigeance pour d’autres mouvements de gauche radicale ailleurs en Europe : « Il n’était pas question de donner à un nouveau type d’organisation, qu’on a appelé »populiste de gauche« , la possibilité de démontrer qu’il y avait moyen de faire autre chose que de l’austérité en Europe. Et, l’erreur de Tsipras, c’est de ne pas avoir pris en compte le contexte défavorable et, d’avoir continué à faire des concessions et, d’avoir obéi aux injonctions de la Commission européenne pendant des mois. », estime le porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, Eric Toussaint.


 

City Plaza c’est terminé

[Migreurop] City Plaza, Athènes : la fin de l’occupation

Après 39 mois de fonctionnement  l’occupation City Plaza, un hôtel athénien transformé en lieu de vie et d’hébergement pour réfugiés a fermé. City Plaza avait accueilli 2.500 réfugiés dans un espace exemplaire, géré collectivement par les solidaires et par les réfugiés eux-mêmes.  L’évacuation a été programmée par le collectif Solidarity 2 refugees qui a été à l’origine de l’occupation. La décision de ne plus continuer l’occupation fut prise en mai 2018 et depuis juin de la même année City Plaza n’acceptait plus de nouveaux arrivants. D’après le communiqué mise en ligne sur FB, la décision fut prise pour trois raisons :

A) le refus de normaliser/légaliser une occupation qui s’est voulue un acte militant tandis que deux ordres successives d’évacuation du procureur restaient en attente.

B) Un manque grandissant des moyens et de forces vives ; il fallait que chaque nuit un service de sécurité de huit personnes soit de garde afin d’assurer la sécurité des réfugiés qui pouvaient à n’importe quel moment devenir la cible d’une attaque de l’Aube Dorée ou d’autres groupuscules d’extrême droite, la possibilité d’une intrusion de la propriétaire accompagnée de ses sbires étant toujours en ligne de mire.

C) Les élections et la formation d’un gouvernent de droite qui a déjà annoncé son intention d’y envoyer les CRS pour évacuer de force l’hôtel et en finir avec la soi-disant « anomie » de l’occupation ; ont  précipité l’évacuation : il fallait protéger les migrants sans-papiers d’une arrestation qui pourrait être suivi d’un internement et d’une expulsion.

Tous les résidents de City Plaza ont été relogés dans des bonnes conditions, soit à d’autres occupations, soit à des appartements.

Le collectif remercie tous ceux et celles ont soutenu d’une façon ou d’une autre et leur donne rendez-vous pour des nouveaux combats en commun

Voir leur communiqué en anglais

https://www.facebook.com/sol2refugeesen/posts/2117692658523066?__tn__=K-R

 

SOS Méditerranée de retour en mer

Chers amis,

A l’heure où nous vous écrivons, nous annonçons notre retour en mer avec un nouveau bateau. C’est une nouvelle importante que nous souhaitions, sans plus attendre, partager avec vous.

Ce navire est déjà en mer et il fait route vers la Méditerranée.

Pour des raisons de sécurité, nous avons été contraints de garder la plus grande confidentialité autour de nos préparatifs afin de ne pas courir le risque de blocages administratifs avant même de repartir en Méditerranée où l’urgence reste entière.

Cette année encore, des hommes, des femmes et des enfants continuent à prendre la mer, « entassés » sur des embarcations de fortune pour fuir la Libye où règnent les exactions, la torture et une guerre civile qui s’intensifie ces derniers mois. Ces personnes en détresse sont le plus souvent interceptées par les garde-côtes libyens et ramenées vers l’enfer qu’elles cherchent justement à fuir ou – en l’absence de moyens de sauvetage suffisants – disparaissent en mer, sans témoin. En 2019, le taux de mortalité n’a jamais été aussi élevé en Méditerranée centrale. Selon l’OIM, au moins 20 000 personnes sont mortes noyées en Méditerranée ces cinq dernières années.

Il est donc primordial que ce navire soit en mer pour tendre la main à ceux qui se noient.

Ce nouveau bateau s’appelle Ocean Viking. Il est rouge et blanc, c’est un bateau conçu pour le sauvetage en mer, et qui bat pavillon norvégien. Il fait 69m de long, est robuste, plus rapide et plus récent que l’Aquarius. Il peut accueillir les rescapés dans de bonnes conditions. Nous l’avons aménagé pendant plusieurs semaines pour y installer plusieurs abris pour les rescapés, la clinique de notre partenaire médical, Médecins Sans Frontières et nos équipements de sauvetage.

Alors qu’il n’existe plus, depuis juin 2018, de mécanisme de débarquement en Méditerranée centrale, nous sommes bien conscients que chaque sauvetage peut être suivi de journées éprouvantes de recherche d’un port sûr et de négociations avant de pouvoir débarquer les rescapés. Ce navire a donc été spécialement équipé pour affronter de plus longs séjours en mer.

Ce nouveau bateau, c’est le vôtre.

C’est grâce à votre soutien et à celui de milliers de citoyens européens que nous sommes en mer aujourd’hui et que nous pourrons poursuivre notre mission en toute indépendance.

Ensemble nous pouvons agir pour sauver des vies en mer !

http://www.sosmediterranee.fr/

Grèce Retour au bipartisme ?

Grèce : L’introuvable « retour à la normalité » sur fond de faillite historique de ses gauches ! …  11 juillet par Yorgos Mitralias (CADTM)

Presque unanimement, tant les médias grecs et internationaux que les leaders des principaux partis grecs ont commenté les résultats des élections du 7 juillet 2019 en célébrant “le retour à la normalité” du pays dont la crise a défrayé la chronique européenne pendant la dernière décennie. Retour donc à la normalité car l’addition des scores de Nouvelle Démocratie (39.9 %) et de Syriza (31,4 %) donne un écrasant 71,3 % en faveur du bipartisme qui semble revenir en force après un intermède chaotique qui a vu des masses de citoyens abandonner les partis de leur vieux bipartisme traditionnel et se déplacer pratiquement d’une extrémité à l’autre du paysage politique en des temps record ! Et aussi, quelle meilleure preuve de la réalité de ce retour à la normalité que l’absence des députés de la très néonazie Aube Dorée des bancs du nouveau Parlement hellénique, ce qui annoncerait (?) la fin de ce pur produit d’une période agitée, mais désormais révolue…

Alors, “retour à la normalité” ? Oui, sûrement, mais seulement en apparence. Et tout d’abord, parce que la crise historique (économique, mais aussi sociale et politique) qui a fait naître une Grèce qui ressemblait à l’Allemagne de Weimar comme deux gouttes d’eau, est toujours ici, indifférente aux exorcismes et autres vœux pieux que lui adressent quotidiennement ceux exactement des Grecs et des étrangers qui l’ont provoquée et nourrie. Car, par exemple et surtout, la dette publique grecque, que tous ont appelé – et avec raison – “mère de tous les maux”, n’a pas disparue et continue à étrangler, à gangrener et à faire chanter le pays tant que ceux qui le dirigent (de droite ou de gauche) ne font rien de concret pour affronter le problème à sa racine et refusent obstinément d’auditer cette dette afin d’annuler sa plus grande partie manifestement illégitime.

Mais, pourrait-on rétorquer, la plupart des conséquences politiques de cette crise historique semblent avoir disparu ou tout au moins, rendues inoffensives, Aube Dorée en tête. Oui, effectivement la menace de l’Aube Dorée semble s’éloigner pour de bon et son concurrent direct dans le milieu ultra-raciste et néo-fasciste qui est la Solution Grecque (déjà en crise) parait bien minable et clownesque pour qu’on la prenne au sérieux. Cependant, bien naïf celui qui tirerait de tout ça la conclusion que l’extrême droite grecque a disparu comme par un coup de baguette. En réalité, elle est toujours ici, bien présente et dangereuse, mais peut-être moins visible que par le passé récent car cachée à l’intérieur du parti de la Nouvelle Démocratie dont elle constitue une aile très importante.

En effet, cette aile extrémiste de droite à l’intérieur de ND ne se limite pas à des personnalités comme Adonis Georgiadis ou Makis Voridis, déjà ministres importants du nouveau gouvernement Mitsotakis, dont le passé fasciste violent et raciste dur les rendrait imprésentables même chez Salvini, Le Pen ou Orban. Malheureusement, elle est bien plus large englobant des milliers de cadres et de militants de ce parti, qui ont eu déjà l’occasion de manifester des positions et des attitudes qui feraient d’eux de bons membres même d’Aube Dorée ! La question (cruciale) qui se pose est donc si, quand et comment cette « sensibilité » extrémiste de droite pourra et voudra se manifester ouvertement pour peser de façon autonome sur la vie politique du pays. Un début de réponse nous la donne le précédent du Parti Populaire espagnol, lequel a « hébergé » depuis la fin du franquisme la majeure partie de l’extrême droite espagnole. Tant que régnait la « normalité » dans la vie politique de l’État espagnol, cet « hébergement » pouvait continuer presque sans problème. Mais, tout changea quand le PP vieillissant se montra incapable d’affronter des crises importantes comme par exemple celle provoquée par la lutte du peuple catalan pour son indépendance : La « sensibilité » néo-franquiste et ultra-droitière qui jusqu’à alors se tenait plus ou moins tranquille à l’intérieur du PP, s’autonomisa faisant le bonheur d’un petit parti comme Vox, qui en un temps record voyait ses résultats électoraux passer de 0,4 % ou 0,5 % à plus de 10 % !

Alors, est-ce possible un Vox a la grecque ? Étant donné la profondeur de la crise historique qui persiste, le peu d’enthousiasme populaire que provoque le nouveau gouvernement de droite, les problèmes pratiquement insolubles (problèmes dits « nationaux » des rapports avec les pays voisins, la question des migrants, etc.) qu’il affronte et qui mettront sûrement à dure épreuve l’unité – déjà fragile – du parti, l’existence d’un fort courant extrémiste de droite a l’intérieur de ND représente une véritable bombe à retardement. Et cela d’autant plus que le contexte européen et mondial marqué par la montée en flèche d’une extrême droite agressive, favorise l’autonomisation de ce genre de courants et leur constitution en partis à la droite de la droite traditionnelle. Donc, un Vox à la grecque est non seulement possible mais aussi probable

Évidemment, beaucoup dépendra du principal parti d’opposition, mais Syriza (Coalition de la Gauche Radicale) qui n’a plus rien de radical, se prépare, selon les premières déclarations post-électorales de son président Alexis Tsipras, à se réorganiser de fond en comble pour répondre à deux exigences de sa direction : d’abord, combler l’écart abyssal qui sépare le nombre de ses électeurs, qui sont des millions, du nombre de ses membres, qui ne dépassent pas les quelques milliers. Et ensuite, graver dans le marbre son virage déjà effectué et annoncé vers la social-démocratie [1].

On n’a aucun doute que M. Tsipras entreprendra très bientôt la transformation de Syriza, ou plutôt la fondation d’un nouveau parti, mais la tâche est de taille et son succès prendra du temps et n’est pas garanti d’avance. En attendant, Syriza restera donc un parti électoral, sans base organisée et dépourvu des moyens matériels pour contrôler les masses des Grecs qui ne croient plus à rien et à personne, et qui pourraient transformer à tout moment leur résignation (fruit des défaites historiques successives de ces 8-9 derniers années) en colère violente qui explose de façon chaotique ! Ceci ne veut pas dire que Syriza n’est pas aujourd’hui en bien meilleure posture qu’il y a un, deux ou trois ans, après avoir accompli un vrai exploit électoral, améliorant en quelques semaines son score des élections européennes de 8 points (!) et obtenant seulement 3 % moins que son résultat triomphal de 2015.

Alors, cet exploit électoral suffira-t-il pour que Syriza nouvelle mouture assume avec succès sa part de responsabilités dans ce bipartisme retrouvé, qui garantit le tant désiré « retour à la normalité », que M. Tsipras lui-même s’est empressé de célébrer le lendemain du jour des élections ? La réponse ne peut être que négative dès que l’on tient compte du fait que l’exploit électoral de Syriza cache mal ses énormes faiblesses : L’incroyable bric-à-brac politique de son groupe parlementaire où coexistent eurocommunistes, socialistes, sociaux-démocrates, conservateurs, libéraux et même nationalistes chauvins et racistes d’extrême droite, le manque cruel des cadres expérimentés, ainsi que l’inexistence des liens affectifs et organisationnels de la grande majorité de ses électeurs avec le parti et son programme. Et surtout, ce succès cache mal le fait qu’il est dû en très grande partie à l’absence d’une alternative politique tant soit peu crédible et préparée à sa gauche

En effet, on peut désormais légitimement considérer que les élections du 7 juillet ont scellé la faillite définitive des formations créées il y a quatre ans, pour se démarquer du virage à droite de Tsipras et offrir une alternative de gauche à Syriza. Leurs résultats électoraux – en chute libre – sont plus qu’éloquents : 0,28 % pour l’Unité Populaire (UP) des ministres du premier gouvernement de Syriza (Lafazanis, Stratoulis et Issihos), 1,4 % pour le parti de l’ancienne présidente du Parlement grec Zoé Konstantopoulou. Et aussi, seulement 0,41 % pour la Coalition de la gauche anticapitaliste « Antarsya », qui elle existe depuis 2009 et n’a jamais nourrit la moindre sympathie pour Syriza. A l’exception (partielle) de Antarsya, toutes les autres formations ont vraisemblablement payé cher le fait qu’elles n’ont pas résisté aux tentations chauvines et même xénophobes et racistes qui balayaient le pays. Alors, tandis que Mme Zoé Konstantopoulou prétendait se mettre à la tête de ceux qui promettaient l’échafaud « aux traîtres qui vendent notre Macédoine au bâtards de Skopje, notre Thrace et la mer Égée aux Turcs et – même – l’Épire du Nord aux Albanais » et allait jusqu’au bout de sa « logique » refusant désormais de se situer à gauche (son mot d’ordre est « ni à droite, ni à gauche, en avant »), UP – comme d’ailleurs le PC grec – cherchait le salut dans l’alliance privilégiée « de notre nation avec la Russie » de Poutine. Ce qui l’amenait à descendre dans la rue pour soutenir… Assad ou à qualifier la catastrophe climatique de « plus grande escroquerie de l’impérialisme » ! Et tout ça pendant que le mouvement anarchiste, particulièrement fort en Grèce surtout parmi la jeunesse, passait son temps en vase clos, inventant des insurrections populaires qui existaient seulement dans son imagination… [2]

Le bilan de la gauche grecque, toutes sensibilités et courants confondus, au lendemain des élections du 7 juillet et surtout, 10 ans après l’éclatement d’une crise qui a vu le peuple grec se révolter en masse et abandonner ses partis traditionnels avant d’installer au pouvoir « le premier gouvernement de gauche de l’histoire du pays », peut se résumer en deux mots : QUEL GÂCHIS !

Quel gâchis tout d’abord de cette expérience mondialement unique de l’alliance durable d’une douzaine d’organisations d’extrême gauche avec un petit parti eurocommuniste pour fonder ensemble Syriza. Et quel gâchis de ce « premier gouvernement de gauche » dont la direction a trahi non seulement le résultat du referendum du 5 juillet 2015, transformant le non puissant du peuple grec aux memoranda des créanciers à un oui combien servile, mais aussi et surtout la confiance des millions de gens en Europe et de par le monde qui avaient investi leurs espoirs d’un monde meilleur et plus humain, sans austérité, racistes et fascistes, aux Grecs de Syriza. Bien que l’on ait déjà vu se répéter mille fois depuis un siècle – en Grèce et partout ailleurs – la tragédie de ces directions de gauche qui s’empressent de courber l’échine et de se rendre à l’adversaire de classe, on ne peut pas maintenant s’empêcher de se sentir profondément indignés, blessés mais aussi révoltés devant l’ampleur du désastre

Notes

[1Voir aussi l’article que nous avons écrit à chaud, seulement quelques heures après le volte-face de Tsipras, le 13 juillet 2015 : http://www.cadtm.org/Journees-funestes-du-4-aout-1914

[2KINAL, le parti construit avec ce qui restait de PASOK, a fait le score honorable de 8,1 %, mais le succès de Syriza le condamne à un rôle subalterne de comparse, ce qui provoque déjà des remous en son sein et la défection de certains de ses dirigeants.

Quant au MeRA25 de M. Varoufakis, il a célébré à juste titre son entrée au Parlement, mais il faudra beaucoup plus que le triomphalisme, le flou programmatique et l’inconsistance de son leader pour jouer le rôle d’arbitre qu’il ambitionne.

Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.

Source http://www.cadtm.org/Grece-L-introuvable-retour-a-la-normalite-sur-fond-de-faillite-historique-de

« L’Europe préfère laisser mourir les migrants et ne l’assume pas »

Entretien avec Patrick Chaumette Professeur émérite de droit à l’Université de Nantes.

« L’Europe préfère laisser mourir les migrants et ne l’assume pas »

Patrick Chaumette Professeur émérite de droit à l’Université de Nantes.

Pia Klemp, Carola Rackete : ces deux noms symbolisent aujourd’hui le courage et la solidarité avec les migrants en Méditerranée. La première, ancienne capitaine du navire Sea-Watch 3 puis du Luventa, est actuellement poursuivie par la justice italienne pour « suspicion d’aide et de complicité à l’immigration illégale ». Elle encourt vingt ans de prison et 15 000 euros d’amende par personne sauvée. La deuxième, arrêtée après avoir forcé le blocus italien pour débarquer les 43 passagers qu’elle transportait sur le Sea-Watch 3, dont elle était la capitaine, a vu son assignation à résidence levée par une juge italienne mardi soir. L’été dernier déjà, l’Italie refusait à l’Aquarius de débarquer dans ses ports, obligeant le navire, aujourd’hui à quai, à se rendre à Valence, en Espagne. Le droit de la mer et les conventions que l’Italie a signées et ratifiées sont pourtant clairs et, en agissant ainsi, le gouvernement italien y contrevient. Entretien avec Patrick Chaumette, professeur émérite de droit à l’université de Nantes.

La capitaine Carola Rackete a été libérée par une juge italienne. Le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, est-il dans l’illégalité en refusant l’accostage et le débarquement des navires des ONG ?

En vertu de la coutume internationale et de conventions signées dès 1914, il y a une obligation de solidarité et de sauvetage des vies humaines en mer. Cette obligation s’impose à tous les navires, qu’il s’agisse de bateaux de pêcheurs, de navires marchands, de voiliers, de marine militaire ou de bateaux d’ONG. Le premier opérateur mondial de containers, l’entreprise d’origine danoise Maersk, a plusieurs fois affirmé que cela faisait partie des obligations de ses capitaines. Alors même que pour ce type de navire, avec des francs-bords extrêmement hauts, et pas de grue en mer, aller chercher 60 naufragés est très compliqué.

l’Italie est signataire de la convention Search and Rescue de 1969 ainsi que des amendements introduits en 2004 qui imposent l’obligation de débarquement dans le port sûr le plus proche

Les Etats côtiers ont eux aussi des obligations, dans le cadre d’une convention de 1969, la convention SAR, pour Search and Rescue, qui leur impose d’organiser la recherche et le sauvetage de naufragés dans un certain périmètre – les zones SAR – au large de leurs côtes. Cette convention impose d’avoir des centres de coordination des secours, une surveillance radar et aérienne, et des moyens matériels de sauvetage (navires, hélitreuillage, etc.).

L’Italie est signataire de la convention SAR de 1969 ainsi que des amendements introduits en 2004 qui imposent l’obligation de débarquement dans le port sûr le plus proche. Elle est à cet égard dans une situation distincte de Malte qui, elle, a été prudente et n’a pas ratifié les amendements de 2004. Juridiquement, Malte peut dire aux autres Etats : « J’accueille un navire avec des naufragés à condition que vous me promettiez une répartition. » Le but était d’éviter un camp de regroupement de 5 000-10 000 personnes sur une petite île. La position politique de Malte est juridiquement très solide. Ce n’est pas le cas de l’Italie, en dépit du décret signé par Matteo Salvini qui ordonne aux forces de l’ordre italiennes de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le transit du Sea-Watch 3 dans les eaux territoriales italiennes.

La convention SAR impose des obligations. Mais les Etats sont aussi souverains sur leurs côtes et aux abords immédiats de ces côtes. Avec quelles implications ?

Une convention des Nations unies de 1982 organise différents statuts pour les espaces marins et prévoit les prérogatives et obligations des Etats côtiers : elle distingue, à partir de la côte, les eaux intérieures et la mer territoriale sur lesquelles l’Etat côtier dispose d’une souveraineté et peut exercer des contrôles, par exemple en matière de lutte contre les trafics illicites. Les navires étrangers ne peuvent entrer dans la mer territoriale d’un Etat côtier qu’à condition d’effectuer un passage inoffensif.

Vient ensuite la zone économique exclusive où l’Etat côtier a une obligation de protection de l’environnement marin et des prérogatives en matière de pêche. Mais dans cet espace prévaut la liberté de navigation. Enfin, à un troisième niveau plus au large, on trouve la haute mer : elle est régie par un principe de liberté de navigation, et le navire est rattaché juridiquement à l’Etat dont il bat pavillon.

La question qui se pose pour le débarquement des migrants sur les côtes italiennes est celle du passage inoffensif dans la mer territoriale

Précisons que les zones SAR ne recoupent pas ces délimitations. En général, une zone SAR s’étend sur la mer territoriale et tout ou partie de la zone économique exclusive, parfois sur une partie de la haute

La question qui se pose pour le débarquement des migrants sur les côtes italiennes est celle du passage inoffensif dans la mer territoriale. Car même dans la mer territoriale, il y a une liberté de navigation à condition d’avoir un passage inoffensif : pêcheurs, voiliers, navires marchands, bateaux de croisière ont a priori une navigation inoffensive. Seuls les navires militaires d’un autre Etat doivent demander l’autorisation. La question est donc : à partir de quand un passage cesse-t-il d’être inoffensif ?

A partir de quand justement ?

Deux hypothèses existent. Dans la première, il y a une instrumentalisation du droit de la mer et des obligations de sauvetage. On prend un navire marchand, on le remplit de passagers qu’on fait payer si on est un passeur, et l’objectif est que ce cargo aille s’échouer sur une plage (on ne cherche pas à entrer dans un port), l’équipage s’empressant de fuir sur un zodiac pour échapper aux poursuites. Le but de la manœuvre est de contraindre l’Etat côtier à accueillir les gens au motif que ce sont des naufragés. C’est ce qui s’est passé au début des migrations maritimes entre la Turquie et la Grèce, ce que les Canadiens ont connu dans les années 1980 avec des navires venus du Sri Lanka. Il y a également eu des cas de navires avec des Sri Lankais arrivés à la Réunion. Ce n’est pas l’exercice d’un droit de passage inoffensif. L’Etat concerné peut bloquer le navire à proximité des côtes et interdire l’accès au port.

On est aujourd’hui proche de 35 % de noyades pour cause de chavirement à partir du moment où il n’y a plus d’essence ou d’eau

Ce cas de figure ne correspond pas aux esquifs qui quittent aujourd’hui la Libye. Les gens naviguent 48 heures avec des réserves pour trois jours d’eau au plus, et meurent ensuite de soif. S’ils paniquent, l’esquif se renverse et ils se noient. Il y a proportionnellement aux passages en Méditerranée plus de morts en mer par noyade qu’il y a quelques années : selon SOS Méditerranée, qui fait un travail remarquable sur le sujet, la proportion de noyades était de 15-18 % lorsqu’on comptait beaucoup de navires de sauvetage en mer, dans les années 2015-2016. On est aujourd’hui proche de 35 % de noyades pour cause de chavirement à partir du moment où il n’y a plus d’essence ou d’eau. Autrement dit, on arrive à sauver et à transborder les deux tiers des passagers, le tiers restant est des cadavres qui arriveront un jour ou l’autre sur les plages méditerranéennes.

Quel est le rôle des bateaux des ONG ?

L’obligation de sauvetage s’impose à tous les navires. La partie qui a longtemps été invisible et pourtant essentielle est celle du transbordement. Pour un navire cargo, recueillir une soixantaine de migrants déshydratés peut rapidement conduire à consommer des rations de nourriture prévues pour quatre jours ou les réserves d’eau potable. De même, les bateaux de pêcheurs ne sont pas équipés pour faire face à l’accueil d’une cinquantaine de passagers supplémentaires. Pour ces bateaux, secourir un voilier de quatre personnes ou un esquif de 40 naufragés en détresse est très différent. C’est pourquoi ils doivent le plus rapidement possible transborder ces passagers. C’est là qu’interviennent les navires des ONG.

La partie qui a longtemps été invisible et pourtant essentielle est celle du transbordement

Ce sont elles qui sont aujourd’hui la cible de responsables politiques comme Matteo Salvini. L’Italie a également par le passé condamné des pêcheurs tunisiens ayant accosté dans ses ports après avoir secouru des migrants. Au moment où Carola Rackete était arrêtée, un navire militaire débarquait à Lampedusa avec une cinquantaine de migrants à bord.

Qu’est-ce que cela signifie ?

D’une part, que Matteo Salvini criminalise les ONG et bafoue ses obligations internationales en matière de droit de la mer et de droit des réfugiés en leur interdisant de débarquer. Mais l’Italie n’a pas complètement renoncé à respecter ses obligations. La justice italienne reste jusqu’à présent indépendante. Les navires sont détenus, mais personne n’a été condamné pour complicité de trafic d’êtres humains.

Les pays européens n’assument pas le fait qu’ils préfèrent laisser mourir les migrants, mais en refusant l’accostage, en engageant des poursuites, en refusant de donner un pavillon, ils sont hypocrites

La pression mise au niveau politique sur les pêcheurs tunisiens et les ONG est néanmoins problématique. Il n’y a presque plus de navire de sauvetage en Méditerranée : les pays européens n’assument pas le fait qu’ils préfèrent laisser mourir les migrants, mais dans les faits, en refusant l’accostage, en engageant des poursuites, en refusant de donner un pavillon comme dans le cas de l’Aquarius, à qui la France ne l’a jamais accordé, ils sont hypocrites.

L’hypocrisie ne consiste-t-elle pas aussi à équiper la Libye en prétendant qu’elle va secourir des naufragés qui sont justement des personnes qui fuient ce pays ?

La convention SAR découpe les zones en mer selon des obligations de surveillance et d’opérations de sauvetage. Ce sont des obligations qui s’imposent aux Etats côtiers. En Méditerranée, Malte a une zone SAR importante. L’Italie aussi, ainsi que la Tunisie, dont la zone SAR est plus petite. Historiquement, il y avait un ventre mou au large des côtes libyennes [voir la carte].

Le colonel Kadhafi ne voyait pas l’intérêt d’avoir des obligations internationales, il n’avait pas déclaré de zone SAR à l’ONU ni mis en place de MRCC (pour maritime rescue coordination centres), de centre de coordination et de sauvetage en mer. Il ne mettait pas non plus ses moyens militaires au service d’une zone SAR.

L’Italie et l’Union européenne ont choisi d’équiper, de former et de renforcer les garde-côtes libyens pour qu’ils ramènent en Libye les gens qui voudraient s’échapper

L’Italie, avant l’arrivée de Salvini au pouvoir, et l’Union européenne ont choisi d’équiper, de former et de renforcer les garde-côtes libyens pour qu’ils surveillent leurs zones et ramènent en Libye les gens qui voudraient s’échapper. C’est cela qui a conduit depuis 2017 à une très forte diminution des flux. La France a participé à l’équipement des garde-côtes avec de navires rapides de surveillance.

Mais il y a deux problèmes au moins : la Libye a déclaré un MRCC à l’Organisation maritime internationale à Londres, mais personne ne répond lorsqu’on appelle. C’est un MRCC qui n’est pas opérationnel. Deuxième point : le conseil de sécurité des Nations unies a publié en 2015 au terme d’une enquête une liste de passeurs en Méditerranée. Parmi eux se trouvaient deux Libyens responsables des garde-côtes de ce pays. On est dans l’ambiguïté absolue.

Dès que les 12 miles qui séparent la mer territoriale de la zone économique exclusive sont franchis, on quitte le droit de la mer et la sauvegarde de la vie humaine en mer pour le droit des étrangers et d’asile

Sans compter que l’ensemble des institutions des Nations unies affirment que la Libye n’est pas un pays sûr. Or la Libye – et les Etats européens laissent faire – confond le découpage des espaces maritimes en trois niveaux aux abords des Etats côtiers, et la convention SAR, une zone où l’Etat côtier a des obligations. Or, on ne peut pas déduire de cette convention que les garde-côtes doivent ramener les gens en Libye. Dès que les 12 miles qui séparent la mer territoriale de la zone économique exclusive sont franchis, la question du statut des personnes se pose. L’Etat n’est plus souverain. On quitte le droit de la mer et la sauvegarde de la vie humaine en mer pour le droit des étrangers et d’asile (dans le cas des migrants).

L’Union européenne a-t-elle des obligations de sauvetage en mer ?

Au niveau européen, le sauvetage en mer ne fait pas partie des priorités. Frontex est une force de surveillance et de protection des frontières.

En 2016, l’Union européenne a bien mis en place une opération EuroNavFor Med (dite aussi Sophia), qui prolongeait l’opération italienne Mare Nostrum, avec une surveillance aérienne et des forces navales. Mais depuis avril dernier, il n’y a plus de force navale. L’opération Sophia a de fait été progressivement démantelée : devant la diminution des flux migratoires, les pays ont repris leurs navires. Seule subsiste la surveillance aérienne.

Quels recours sont possibles contre l’Italie ?

Il faudra bien un jour qu’elle soit condamnée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour non-respect de la convention de Genève sur le statut des réfugiés et de la Convention européenne des droits de l’homme pour le droit à la vie. Elle l’avait déjà été en 2012 après avoir refoulé massivement des personnes sans examen individuel de leurs demandes d’asile.

La situation actuelle est beaucoup plus grave. L’association Sea-Watch a déposé un référé devant la CEDH, qui a rendu une décision très molle : elle a refusé d’imposer à l’Italie le débarquement au motif que les passagers les plus vulnérables avaient déjà été transbordés, tout en rappelant à l’Italie qu’il était de son devoir de fournir assistance à toute personne en situation de vulnérabilité sur le Sea-Watch 3. C’est à la suite de cette décision que Carola Rackete a pris la décision de forcer le blocus italien.

Une condamnation de l’Italie par la CEDH aurait pourtant une portée symbolique forte et obligerait peut-être la Commission européenne à se positionner. Les autres recours sont le Tribunal international du droit de la mer et la Cour internationale de justice. Mais là, il faudrait que ce soit d’autres Etats qui poursuivent l’Italie.

Que faire alors ?

Il faut des mobilisations de l’opinion publique et des relais médiatiques. Les voies de recours en justice, même si elles sont symboliques et soumises à la lenteur des procédures, sont utiles. Cela veut dire : « Quand on est un Etat membre de l’Union européenne, on n’a pas le droit de pratiquer cela. »

Les juristes savent que lorsqu’on laisse un pays ne plus respecter ses obligations internationales, cela se termine par des conflits ouverts

Les juristes savent que lorsqu’on laisse un pays ne plus respecter ses obligations internationales, cela signifie que les tensions internationales augmentent considérablement et que cela se termine par des conflits ouverts. Si on laisse faire, on terminera avec un petit caporal Adolf. L’actuelle décision de la juge italienne qui a estimé que Carola Rackete n’avait fait « qu’accomplir son devoir de sauver des vies en mer » est, à cet égard, une excellente nouvelle.

En Grèce, “Tsípras a tué l’espoir”

Par Mathieu Dejean

Les élections législatives en Grèce de ce week-end ont conduit le parti de droite Nouvelle démocratie à la victoire. Son leader, Kyriakos Mitsotakis, succède au poste de Premier ministre à Alexis Tsípras, dont le mouvement de gauche, Syriza, avait suscité une vague d’espoir il y a quatre ans. Retour sur une défaite cuisante.

Le résultat des élections législatives en Grèce, ce 7 juillet, a fait l’effet d’une douche froide pour le mouvement de gauche Syriza, et son leader, le Premier ministre sortant Alexis Tsípras, qui n’a obtenu que 31,5 % des voix (contre 39,8 % pour le parti de droite Nouvelle démocratie). Quatre ans après son accession au pouvoir sur une ligne de rupture avec les politiques d’austérité, Tsípras a été sanctionné pour avoir baissé les bras face à la pression de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fond monétaire international). Stathis Kouvélakis, professeur de philosophie politique au King’s College de Londres et membre du parti de gauche radicale grec Unité populaire (né d’une scission avec Syriza), analyse ces résultats.

Comment expliquez-vous le fait majeur de ces élections législatives en Grèce : la défaite cinglante de Syriza, quatre ans après son arrivée au pouvoir ?

Stathis Kouvélakis – L’explication est très simple : Syriza a accédé au pouvoir en promettant d’être le parti qui romprait avec les politiques d’austérité ; il a essayé de résister pendant les six premiers mois de son premier gouvernement ; ensuite il a capitulé et mis en œuvre à la lettre les politiques d’austérité qu’il condamnait auparavant. Ces politiques d’austérité ont produit des résultats prévisibles en termes de dégâts sociaux et économiques. Syriza a été sanctionné, comme tous les partis de gauche qui, une fois au pouvoir, font l’inverse de ce qu’ils avaient promis de faire. Il a ainsi ouvert la voie au retour d’une droite qui était pourtant particulièrement discréditée en Grèce.

Quel bilan tirez-vous de ces quatre années d’exercice de l’Etat par un parti au départ étiqueté de “gauche radicale”, et qui avait soulevé un espoir en Europe pour ce camp politique ?

Le seul mot qui convienne est celui de désastre. Syriza a continué la politique des gouvernements précédents, avec des écarts à la marge qui ne changent rien à l’essentiel. Les chiffres indiquent une petite reprise économique, mais la réalité c’est que le pays a perdu un quart de sa richesse depuis le début de la crise, le chômage est de près de 20 %, la Grèce est troisième en matière d’exposition de sa population à la pauvreté – seules la Roumanie et la Bulgarie font pire. Près d’un demi-million de Grecs (pour leur très grande majorité des jeunes très diplômés) ont quitté la Grèce depuis le début de la crise, et le rythme s’est accéléré, ce qui explique d’ailleurs la petite baisse du chômage.

Concédez-vous quelques succès à Tsípras, comme la naturalisation des enfants d’immigrés, la hausse du salaire minimum, l’accès à la sécurité sociale ?

Tsípras a pris quelques mesures populaires avant les élections. Le rétablissement de l’accès universel aux soins est une mesure de type “filet de sécurité”, préconisée par les institutions internationales qui exercent leur tutelle sur la Grèce. Ces cadeaux électoraux n’ont pas trompé grand monde : la politique mise en œuvre auparavant a drastiquement coupé les budgets sociaux, notamment dans la santé et l’éducation. Il faut ajouter qu’au moment où les mémorandums avec les créanciers sont venus à échéance, à l’été 2018, Tsípras a signé un accord de sortie qui engage le pays jusqu’en 2060 sur une politique d’austérité – c’est-à-dire d’excédent budgétaire de 3,5 % jusqu’en 2022, et de 2,5 % jusqu’en 2060, tout ça pour payer une dette qui ne sera jamais payée. Il a enfermé la Grèce dans un carcan austéritaire pour les années à venir. La droite qui revient au pouvoir a un boulevard devant elle pour appliquer ses mesures.

Avant janvier 2015, vous pensiez qu’une victoire électorale de Syriza “servirait de locomotive à la gauche radicale en Europe”. Qu’en est-il aujourd’hui de cette gauche radicale européenne ?

C’est là que le désastre est peut-être le plus grand, sans minimiser ce que le peuple grec subit. En capitulant à l’été 2015 devant les institutions européennes, une semaine après un référendum où 62 % des électeurs avaient rejeté un plan d’austérité moins lourd que celui qu’il a fini par accepter, Tsípras a donné le signal que la gauche radicale, une fois au pouvoir, faisait comme ses prédécesseurs. C’est le dégât le plus grave et le plus durable : il a tué l’espoir à l’intérieur du pays, mais a aussi envoyé le message à l’échelle européenne que la gauche, sociale-démocrate ou radicale, c’est la même chose que les partis du système. Après ça, c’est l’extrême droite qui apparaît à l’échelle européenne comme la seule alternative. Jusqu’à l’été 2015, la tendance était d’ailleurs favorable à des nouvelles formations de gauche radicales telles que Podemos, alors qu’après la capitulation de Tsípras, il y a eu une inversion. Par la suite, en dehors de la Grèce, c’est l’extrême droite qui apparaît comme la force qui capte l’essentiel de la colère populaire.

En l’occurrence en Grèce, le parti néonazi Aube Dorée n’a plus de députés suite à ces élections. C’est la droite traditionnelle qui a gagné. Qui est le nouveau Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis ? Qu’incarne-t-il ?

La seule nouvelle positive de ces élections réside effectivement dans l’éviction d’Aube dorée du parlement. Le procès des assassins de Pávlos Fýssas [rappeur et militant antifasciste grec tué en 2013 par un membre du parti grec d’extrême droite Aube dorée, ndlr] a joué un rôle pédagogique auprès de l’électorat. Mais un autre parti d’extrême droite a fait son entrée au Parlement, même s’il n’est pas néonazi ni violent : Solution grecque. Mitsotakis est l’héritier d’une dynastie politique qui a régné et gouverné à plusieurs occasions dans les années 1960 puis 1990. Il représente une droite néolibérale de choc. Il s’est par exemple enorgueilli d’avoir licencié plusieurs milliers de fonctionnaires lorsqu’il était ministre de la fonction publique. Traditionnellement son clan est associé à une politique atlantiste liée à l’Allemagne, et extrêmement néolibérale. Mitsotakis a annoncé la suppression de toute limitation du temps de travail, la privatisation du système de retraite et de santé au cours de sa campagne. Son parti, Nouvelle démocratie, a cependant intégré des cadres politiques issus de l’extrême droite, qui occupent des postes clés et qui feront sans doute parti du prochain gouvernement, comme Ádonis Georgiádis, et Makis Voridis, qui sont issus de l’extrême droite grecque dure.

Diem, le parti de l’ancien ministre de Finances, en rupture avec Tsípras, Yanis Varoufakis, a remporté neuf sièges. Est-ce que cela signifie que certains électeurs croient encore à une solution électorale de gauche ?

Varoufakis a réussi à occuper partiellement un champ électoral stable depuis septembre 2015, où l’ensemble des formations à gauche de Syriza ont obtenu à peu près 10 % des voix. La principale formation de ce groupe est le Parti communiste grec, très sectaire et stalinien, qui stagne à un étiage de 5,5 % des voix. Le parti de Varoufakis, qui n’existait pas en 2015, peut devenir un pôle qui rassemble des petites forces en présence. Mais je voudrais mettre l’accent sur le fait que c’est un parti qui n’existe que par la personnalité et la présence médiatique de son dirigeant. Et qu’il est dépourvu d’ancrage dans la société. C’est une métapolitique qui se joue sur les médias et les réseaux sociaux. Pour la gauche radicale, on entre dans un cycle de reconstruction long. Celle-ci sera appelée à inventer des formes nouvelles.

Y a-t-il un mouvement populaire en recherche d’alternative antilibérale en Grèce, ou l’abattement a-t-il pris le dessus ?

C’est une société traumatisée et démoralisée, où les gens sont complètement absorbés par des impératifs de survie individuelle. Syriza a fait mieux que prévu à ces élections – plus de 30 % – car il y a eu une logique de moindre mal face à la perspective du retour d’une droite néolibérale. Mais Tsípras a tué l’espoir. La passivité de la société a dominé pendant ces quatre années. Je n’ai jamais connu la société grecque dans cet état, à la fois en termes de situation sociale très dure, mais aussi d’anesthésie culturelle et morale.

Propos recueillis par Mathieu Dejean

Source https://www.lesinrocks.com/2019/07/08/actualite/politique/en-grece-tsipras-a-tue-lespoir/

Reportage dans Bastamag sur les VioMe

En Grèce, dans une usine autogérée, le travail devient un « lieu de solidarité et de liberté » par Andrea Fuori, Raphaël Goument

 

Ils ont repris leur usine en faillite suite à la crise financière, réorienté la production, plus « écologique », sauvegardé une vingtaine d’emplois, créé un réseau de distribution pour vendre leurs produits. Et décliné concrètement le credo « Occuper, résister, produire ». Peu soutenus par le gouvernement de gauche, qui vient d’être battu aux élections législatives, les ouvriers grecs de l’usine Vio Me, à Thessalonique, ne sont pas au bout de leur peine. Reportage.

« On n’est pas assez pour défendre notre usine demain matin ! Qui peut venir nous aider ? » Makis lève les bras au ciel. Face au quinquagénaire à la barbe poivre et sel, une assemblée d’une quinzaine de personnes assises à l’ombre des platanes, sur la place de l’Agora à Thessalonique, deuxième ville du pays. Trois d’entre-elles travaillent à Vio Me, l’usine autogérée de savons écolos devenue un symbole du mouvement autogestionnaire grec. Les autres sont des soutiens. « Nous avons besoin de gens qui n’ont pas déjà des soucis judiciaires ! On a lancé des appels depuis des semaines, mais on ne sait toujours pas sur qui on peut compter ! »

Le crépuscule tombe, les rues bruissent de passants et la ville sort lentement des lourdes chaleurs de la mi-juin. La réunion reste étrangement calme. Si Makis est inquiet, il ne le montre pas. Pourtant, les ouvriers jouent gros : le lendemain matin, le 20 juin, leur usine sera mise aux enchères, vendue au plus offrant – une banque ou un investisseur. À force, ils ont fini par s’y habituer : ils occupent illégalement leur site depuis pas moins de huit ans, et bloquent sa revente depuis quatre ans.

« S’ils ne peuvent pas, nous pouvons ! »

Tout commence en 2011. La maison-mère de Vio Me, Philkeram Johnson, une entreprise grecque de fabrication de carrelages fondée en 1961, autrefois florissante, dépose le bilan. Les 70 salariés de Vio Me, qui fabriquent de la colle pour carrelages, sont privés de salaires ou licenciés. L’usine fait faillite dans la foulée. Une histoire banale, dans un pays plombé par les politiques d’austérité. Mais cette fois, les travailleurs refusent le clap de fin et décident d’écrire de nouveaux chapitres.

 À l’assemblée de Thessalonique (© Raphaël Goument)

Organisés depuis 2006 dans un syndicat très déterminé, l’Union des travailleurs de Vio Me, 45 d’entre eux occupent le site à partir l’été 2011. « À cette époque, on exigeait seulement le paiement de nos de salaires ! », se souvient l’un d’eux, Dimitris, un gaillard aux yeux bleus éduqué dans une famille syndiquée. Il a commencé à travailler à 14 ans dans l’industrie textile, avant de rejoindre Vio Me. La première année, les occupants tiennent seulement grâce à leurs maigres indemnités chômage. Bientôt cela ne suffit plus : « On a multiplié les assemblées, les événements de soutien et les actions en justice. Sans résultat. On a décidé d’arrêter de revendiquer pour aller plus loin et agir nous-mêmes », poursuit l’ouvrier avec des gestes énergiques. La suite ? Elle est résumée sur son tee-shirt, aux couleurs de l’usine – rouge, noir, gris. On y lit leur credo, devenu incontournable : « Occuper, Résister, Produire ».

En 2012, les travailleurs rencontrent de lointains collègues des coopératives argentines autogérées depuis le début des années 2000, notamment Zanon, une fabrique de tuile tenue par 400 personnes. C’est le déclic. Fin 2012, une nouvelle assemblée décide de relancer l’activité sans patron, sous contrôle ouvrier. Le mot d’ordre ? « S’ils ne peuvent pas, nous pouvons ! »

Des savons et des lessives « écologiques »

Impossible de redémarrer l’ancienne production. La demande dans le secteur du BTP s’est effondrée avec la crise, et les coûts de production sont trop élevés. Des savons et des lessives « écologiques » remplacent ainsi la colle pour carrelage : la demande est forte, la production plus simple. « Ça nous permettait aussi d’utiliser la matière première la plus proche de nous : l’huile d’olive. On se fournit chez une dizaine de producteurs locaux, justifie Dimitris. On a commencé avec une première recette, puis on a continué à chercher sur Internet, à se former en étant aidé par le mouvement de soutien. » Chez eux, pas de direction « recherche et développement », mais l’expérimentation, au risque des ratés. « Au début, leurs produits étaient vraiment de mauvaise qualité. Impossible de laver les vêtements avec ! », sourit Marcellina, soutien de la première heure.

En six ans de production, les apprentis savonniers ont progressé. Ils commercialisent aujourd’hui une quinzaine de produits ménagers au sein des réseaux militants de centres sociaux, squats et épiceries coopératives : savons à base de lavande, lessive, détartrant, produit lave-vitre, ou encore crème pour le visage.

« Au début, ça a été un choc culturel. On n’avait plus à prendre les ordres de personne ! »

Pour mieux comprendre leur histoire, il faut aller rendre visite aux travailleurs, et s’armer de patience. La zone est éloignée du centre-ville, coincée entre l’aéroport international et les enseignes tapageuses d’une immense zone commerciale. Au bout d’un chemin bordé d’arbres et de buissons, il faut se signaler à l’interphone afin d’espérer voir s’ouvrir le large portail métallique. Menacé d’expulsion à tout moment, le lieu est gardé jour et nuit depuis huit ans. Sur la friche de treize hectares trônent d’immenses hangars en apparence vides et décrépis. Sur l’un d’eux, un graffiti : « Les usines appartiennent à ceux qui y travaillent ». Ce dimanche, Dimitris est là pour nous accueillir, tandis que deux de ses collègues déchargent de l’huile d’olive d’un vieux camion.

L’ouvrier est intarissable sur leur histoire, qu’il est visiblement habitué à partager. « Au début, ça a été un choc culturel. On n’avait plus à prendre les ordres de personne ! », se souvient-il dans le petit bureau étroit, tapissé d’affiches de soutien, où lui et ses collègues se réunissent tous les matins pour se répartir les tâches. « C’était difficile de s’adapter à cette nouvelle organisation collective. Aujourd’hui encore, ça n’est pas toujours évident de se mettre d’accord, mais on y travaille. » Au-delà de la prise de décision en assemblées, les ouvriers mettent un point d’honneur à ce que « tout le monde tourne » aux postes de production. Sauf pour certaines missions plus pointues comme la gestion de l’électricité ou la comptabilité.

« Notre usine, c’est un outil de lutte »

Dimitris nous embarque pour une visite au pas de course. Sur une porte blanche, l’écriteau « No entry » a été remplacé par un « No boss » rageur, doublé d’un doigt d’honneur. Derrière la porte, l’atelier où la plupart des produits ménagers sont préparés. Dans un recoin, une bétonnière un peu rouillée, « pour préparer les lessives ». Plus loin, deux vieilles machines à laver données par des soutiens pour les tester. Les postes de travail sont rangés à la va vite, dans un fouillis de bassines, de cuillères et de lessive, et le sol est collant. Le chaudron et le mélangeur, que les ouvriers ont dû racheter aux enchères, sont eux immaculés.

Ici, aucun standard n’est imposé de l’extérieur. Les ouvriers ont transformé l’outil de production à leur mesure : un mélange d’atelier de bricolage et de petite industrie, où chacun a voix au chapitre et reçoit la même rémunération. « On n’a plus besoin des cadres ni des patrons ! », assène le quadragénaire. Et pour cause : leurs anciens bureaux ont été transformés en séchoirs pour des milliers de savons parfumés – ils en produisent 1600 par semaine et en conservent 3000 en stocks.

  En bas : Dimitris, au sein de l’usine (© Raphaël Goument)

« Pour nous, ici, c’est bien plus qu’une usine : c’est un espace social, un lieu de solidarité et de liberté. » À l’entrée, de grandes tables et d’imposants barbecues accueillent des banquets réguliers. Juste à côté, une « clinique sociale et solidaire » a ouvert en 2015 dans un ancien bureau. Le matériel a été donné par des soutiens en France et en Allemagne, et une dizaine de médecins bénévoles s’y relaient pour des consultations gratuites tous les mercredis à destination des ouvriers et de quelques personnes du mouvement de solidarité. Un peu plus loin, une scène de palette attend son heure. Une compagnie de Thessalonique y jouait sa dernière pièce la semaine précédente. « Des rappeurs ont aussi tourné un clip il y a quelques mois », ajoute fièrement le travailleur. Au fond du hangar, à côté d’immenses sacs de colle et de vieilles machines assoupies, des vêtements et du matériel de soutien pour les réfugiés attendent de partir vers les « points chauds ». « Notre usine, c’est un outil de lutte. »

« Aujourd’hui pour toucher 1000 euros, il faut avoir deux diplômes et parler cinq langues ! »

Avant 2011, l’usine employait soixante-dix personnes. Au début de l’aventure autogestionnaire, en 2013, les ouvriers n’étaient plus que 14. Depuis, cinq personnes ont été embauchées et ils sont maintenant 19 sur le site. Vio Me grandit lentement, avec prudence. Car les travailleurs gèrent leur affaire loin des critères habituels. Les fournisseurs, publics ou privés, sont payés d’avance pour éviter tout endettement. La plus grande partie des bénéfices sert aux éventuelles réparations du matériel, et une petite fraction seulement à l’investissement.

« Quand on a commencé, on dégageait l’équivalent de 5 euros par personne par jour travaillé. Aujourd’hui, on est monté à 20 euros, et ça augmente chaque année », calcule Dimitris. Ils gagnent chacun environ 400 euros par mois – pas plus que la maigre indemnité chômage qu’ils touchaient en 2011. « Ça nous permet de vivre avec dignité. C’est dans la moyenne des salaires depuis la crise. Du temps de l’ancien propriétaire, on touchait autour de 1000 euros. Mais les conditions de travail avec les produits chimiques étaient beaucoup plus dures et tout le monde ne bénéficiait pas de la même paie. Et aujourd’hui, pour toucher 1000 euros il faut avoir deux diplômes et parler cinq langues ! »

Un système de distribution militant, au-delà de la Grèce

Empaquetés en grandes piles sur des dizaines de palettes, des produits attendent d’être expédiés. Mais pas n’importe où. Les supermarchés classiques n’ont jamais été une option. L’illégalité de l’usine ne le permet pas, et de toutes manières les travailleurs le refusent en bloc. Vio Me a dû développer pour survivre un fort réseau de solidarité pour commercialiser ses produits en Grèce et à l’étranger. Une boutique en ligne a été ouverte, renforcée par une forte présence sur le terrain. À Thessalonique et Athènes, deux « assemblées de solidarité » se réunissent toutes les semaines depuis 2013, et se coordonnent une fois par mois avec les travailleurs via Skype. À la demande des travailleurs, elles chapeautent une partie de la diffusion dans le réseau militant. À chaque festival, concert, les mêmes scènes : une petite table installée pour y déposer les produits avec soin, un sac plastique pour faire office de caisse, la compta griffonnée à la va-vite sur un calepin.

« Aujourd’hui, quand on va dans les cuisines ou les toilettes des centres sociaux, on trouve toujours nos produits, fanfaronne Yorgios. Sans ce mouvement de solidarité, nous ne pourrions rien faire. Ce sont comme des minis Vio Me », raconte-t-il. Cinq personnes, parmi les soutiens les plus impliqués sont même employées par la coopérative pour gérer les entrepôts et la logistique commerciale à Athènes et Thessalonique.

Force est de constater que cela fonctionne. Le mouvement de solidarité dépasse aujourd’hui largement la Grèce. Les travailleurs ont organisé en 2017 les « Rencontres euro-méditerranéennes des travailleurs des coopératives », et participé à des rencontres équivalentes en Argentine. Du bout du pied, Dimitris désigne une palette de cartons en partance vers l’Allemagne : « Là, c’est pour une école et là, pour un journal. » Le pays est le plus gros importateur, suivi de près par la France où le supermarché alternatif parisien « La Louve » distribue notamment leurs produits. Vio Me exporte aussi en Italie, en Espagne, en Suisse et jusqu’en Roumanie ou en Bulgarie. « On voudrait exporter vers l’Amérique Latine, mais c’est impossible sans cadre légal. L’absence de statut freine notre développement. »

« Sur le papier, nous sommes toujours considérés comme les employés d’une entreprise en faillite »

Après huit ans de lutte, les ouvriers de Vio Me sont toujours dans l’illégalité. En 2014, ils ont créé une société coopérative qui s’est dotée d’un compte en banque. Mais elle n’est ni propriétaire ni locataire des actifs. « Sur le papier, on est toujours considérés comme les employés d’une entreprise en faillite. Depuis six ans, notre travail n’est pas reconnu », peste Makis. « J’ai 52 ans. Si l’usine fonctionnait normalement, j’aurais pu partir en retraite à 59 ans. Là, c’est l’inconnu. » Depuis 2013, les avocats mènent une bataille juridique avec l’ancienne propriétaire pour obtenir le paiement des salaires. Cette dernière a bien été condamnée, en 2014, à plusieurs années de prison, mais n’a toujours pas vu la couleur des barreaux. Ni les ouvriers celle de leur fiche de paie. La procédure traîne toujours.

 En haut : Makis (© Raphaël Goument)

Ils craignent également les coupures d’électricité par le fournisseur public. « C’est déjà arrivé quatre fois, la dernière en 2016. Depuis, on a réussi à faire pression sur le gouvernement. Pour l’eau on est obligé de pomper sur la citerne d’un voisin. Tous ces obstacles nous freinent pour augmenter la production. »

Les promesses trahies du gouvernement Tsipras

Au mur du petit bureau, Dimitris pointe une photo jaunie d’Alexis Tsipras, premier ministre depuis 2015, et qui vient d’être battu aux élections législatives du 7 juillet. Le patron de Syriza avait visité l’usine lors de sa campagne électorale en 2014. « Il nous a promis de légaliser notre statut. Il nous a assuré qu’on était des travailleurs modèles, sur qui ils s’appuieraient pour leur projet économique. Cinq ans plus tard, rien n’a changé. » Il n’a pas l’air de s’en offusquer. « On n’attendait rien du gouvernement de Syriza, ni du précédent. On sait très bien qu’ils privilégient toujours les propriétaires. » Inutile d’ajouter que les ouvriers n’attendent rien des élections législatives anticipées du 7 juillet, remportées par le parti de droite Nouvelle Démocratie, avec 40% des voix, contre 31 % pour Syriza, le parti de Tsipras.

« Ils n’ont pas la volonté politique de légaliser une exception. Ça aurait pu créer un précédent pour tous les autres travailleurs d’entreprises en faillite dans le pays », analyse-t-il. Semé d’embûches, le chemin choisi par Vio Me n’a d’ailleurs pas ouvert la voie à d’autres coopératives ouvrières. Les milliers de structures autogérées qui ont fleuri en Grèce après le mouvement des places de 2011 se concentraient surtout dans le secteur des services. Selon les ouvriers interrogés elles ont, pour beaucoup d’entre elles, disparu. Les tentatives de réappropriation industrielle se comptent sur les doigts d’une main. Parmi elles, seule Vio Me serait encore debout.

« Même s’ils arrivent à vendre l’usine, ça ne va pas stopper la lutte »

Pour l’heure, la principale menace est judiciaire. En 2014, une vingtaine d’anciens salariés ont réclamé la liquidation rapide des actifs de la maison-mère pour toucher les sommes dues. Depuis 2015, l’État organise chaque année une session de vente aux enchères des terres et bâtiments, pour rembourser les millions de dettes de l’entreprise. Les travailleurs ont essayé d’éviter la vente à un investisseur privé. « On a proposé une autre solution simple aux différents gouvernements : les services publics (sécurité sociale, eau, électricité) envers qui Vio Me était endettée pourraient reprendre une propriété correspondant au montant, et nous louer les locaux. Quant à nos arriérés de salaires de 2,5 millions, on pourrait les échanger contre les machines », explique Makis. Sans succès.

Alors, inlassablement, les ouvriers publient des appels à soutien, bloquent les tribunaux, envahissent les salles d’audience, campent devant le ministère du travail en essuyant les coups de la police. « Mais le prix de rachat est plus bas chaque année : ils ont commencé en 2015 à 32 millions d’euros, puis 25 en 2016, 18 en 2018. Cette fois, ils sont descendu à 12,5 millions », s’alarme Makis. Ce 20 juin, à nouveau, 200 personnes se sont rassemblées devant le tribunal. Sans réussir à bloquer les enchères. Heureusement, aucun acquéreur n’a proposé d’offre. Jusqu’à quand ? La prochaine session aura lieu en septembre.

Les ouvriers se préparent au pire, mais restent déterminés. « Même s’ils arrivent à vendre l’usine, ça ne va pas stopper la lutte. Ce qui est important, c’est de continuer le combat. Seule la lutte nous fera gagner ! », assène Makis. À ses côtés, confiant, Dimitris glisse, poings serrés : « Avec toutes les heures de notre combat depuis des années, c’est comme si on avait déjà racheté l’usine ! »

Andrea Fuori et Raphaël Goument

- Photos : © Raphaël Goument

Source https://www.bastamag.net/Grece-Vio-Me-cooperative-usine-autogeree-savons-ecologiques-legislatives-Tsipras-Syriza

Pour rappel : le collectif de Grenoble soutient les VioMe depuis 3 ans en organisant une commande groupée de leurs produits une fois par an. La prochaine commande se fera à l’automne 2019. Les informations pratiques seront données courant septembre.

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