Avec la session de l’Eurogroupe du 24 mai s’est achevée la reddition du Syriza d’autrefois, le Syriza radical, à la commission et au FMI. L’accord rapproche toujours plus la Grèce de la récession.
Pour faire bref, l’Eurogroupe a décidé de lâcher 10,3 milliards d’Euros à la Grèce en deux tranches, la première en juin pour un montant de 7,5 milliards, la seconde après l’été à hauteur de 2,8 milliards. L’Etat grec aura les fonds suffisants pour couvrir les obligations de sa dette extérieure en 2016 et sera en mesure de régler une partie de ses dettes arrivées à échéance. L’Eurogroupe a décidé également d’offrir à la Grèce un allègement à court terme de sa dette, d’importance mineure, comme la normalisation des remboursements immédiats de la dette vis-à-vis du FESF. En même temps, il repoussait à 2018 la discussion sur un allègement à moyen terme plus substantiel de la dette, c’est-à-dire après les prochaines élections parlementaires en Allemagne.
Pour bénéficier des largesses de l’UE, Monsieur Tsipras et son gouvernement ont été contraints de légiférer sur les points suivants :
1 Contraction budgétaire pour un montant de 5,4 milliards, qui correspond à 3% du PIB, pour la période 2016-2018. Cela comprend les diminutions des retraites ainsi que des augmentations des impôts directs et indirects.
2 Cession par les banques des créances douteuses et, plus généralement, des actifs qui posent problème à des fonds d’investissement privés.
3 Privatisations massives de la richesse publique, qui se dérouleront sous l’égide des créanciers. Les recettes seront affectées pour l’essentiel au remboursement de la dette publique.
4 Un mécanisme d’« ajustement budgétaire automatique », qui opèrera des coupes dans les dépenses publiques au cas où la Grèce ne remplirait pas les objectifs fixés pour l’excédent primaire.
Cet accord se fonde sur un non-sens économique. La Grèce se trouve à nouveau dans une situation de récession qui a commencé au dernier trimestre de 2015. L’estimation initiale de l’ELSTAT (l’INSEE grecque NdT) pour le PIB du premier trimestre de 2016 présente une contraction de 1,3 % depuis le dernier trimestre de 2015. Tous les sous-indicateurs pour 2016 témoignent d’une augmentation des tendances récessives.
En mars la production industrielle a chuté de 4 % sur une base annuelle, à partir d’une base initiale très basse qui résultait de la diminution de 35 % de la production industrielle depuis 2008.
Au premier trimestre 2016, le commerce de gros a chuté de 8 % par rapport au dernier trimestre de 2015
En février les ventes de détail ont diminué de plus de 7,3 % sur une base annuelle.
En février, le chômage s’établissait à 24,2 %, inversant la légère tendance à la baisse de 2015.
En mars, les exportations ont chuté de 11,4 % (produits pétroliers inclus) ou de 0,3 % (sans les produits pétroliers).
Et ainsi de suite.,
Les pressions récessionnistes reflètent l’exceptionnelle faiblesse de la demande et l’effondrement du crédit, en partie en raison de l’incertitude provoquée par les vaines politiques de Syriza, qui ont abouti à la capitulation sans conditions. Avec l’accord de l’Eurogroupe le gouvernement continuera à appliquer des mesures récessionnistes dans une économie déjà ruinée. Il est quasi certain que la Grèce connaîtra en 2016 une importante récession. Le pays pourrait éventuellement revenir à la croissance en 2017, mais les perspectives à long terme sont extrêmement pauvres.
Les politiques de « sauvetage » mises en œuvre depuis 2010 ont eu pour objectif principal la stabilisation du solde primaire et de la balance courante. En application de la méthode classique du FMI, les gouvernements grecs et les institutions ou autre troïka ou quartet imposèrent une gigantesque contraction des dépenses publiques, de monstrueuses augmentations de la fiscalité et une chute brutale des salaires. Malheureusement pour la Grèce, il ne pouvait y avoir de dévaluation monétaire, puisque les dirigeants du pays ont obstinément tenu à le maintenir dans la zone euro. Toute croissance devait résulter des fameuses « réformes », c’est-à-dire les mesures de libéralisation des marchés et les privatisations.
Cette « thérapie » classique a effectivement entraîné une certaine stabilisation de l’économie grecque, par le biais d’une profonde récession, de la destruction du tissu productif et de l’augmentation de la pauvreté du peuple grec. Comme pouvaient s’y attendre tous ceux qui ont étudié les succès du FMI ailleurs dans le monde, ce genre de stabilisation a laissé le pays avec des perspectives de développement misérables.
La population grecque diminue, et la jeunesse qualifiée abandonne le pays pour travailler à l’étranger.
Les investissements se sont complètement effondrés, chutant à 12 % du PIB. Par rapport au point haut de 2007-2008, la diminution des investissements a été d’environ 30 milliards par an.
Les dépenses de recherche et de technologie sont insignifiantes.
L’efficacité et les compétences du service public, qui n’ont jamais été élevées, se trouvent diminuées.
Last but not least, les banques privées grecques ont totalement échoué à soutenir la demande et continuent à fonctionner comme un frein à la croissance.
Même selon le FMI, la dynamique de croissance de la Grèce sur le long terme est à peine supérieure à 1 %. Par conséquent, il est inconcevable que le chômage passe en-dessous des 20 % pour les 4-5 années à venir. Il est évident également que même cette stabilisation relative du solde primaire et de la balance courante est extrêmement incertaine et pourrait facilement disparaître.
La Grèce est sur la voie de l’insignifiance historique. Le déclin économique a inévitablement réduit sa souveraineté nationale, tout en restreignant à l’intérieur la démocratie. Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des preuves : l’accord conclu par le gouvernement Syriza avec les créanciers constitue un exemple flagrant de dépendance, une forme de néo-colonialisme.
Le pays a besoin d’un changement complet de direction. Tout d’abord il faut une profonde restructuration de la dette : même le FMI parle de mesures radicales pour ramener la dette à des niveaux gérables. Il faut également abandonner les politiques d’austérité et s’engager dans des politiques budgétaires pour le traitement du chômage. L’objectif des excédents primaires pour une durée indéterminée est totalement déraisonnable pour un pays dans la situation de la Grèce. Elle a aussi besoin que soit recréé un système bancaire public pour soutenir les investissements. Il faut, enfin, que soit élaborée une stratégie industrielle à moyen terme qui tire parti des crédits et des incitations fiscales.
Aucun de ces changements n’est possible à l’intérieur de l’Eurozone. Tous les observateurs de bonne foi s’accordent sur l’intérêt pour la Grèce, à moyen et long terme, d’un retrait de l’Union Economique et Monétaire et d’une récupération de la souveraineté monétaire. La sortie de l’étau étouffant de l’euro, est la seule chance pour le pays d’inverser à long terme les taux de croissance, en se donnant ainsi la possibilité d’éviter de sombrer davantage dans la pauvreté et l’insignifiance.
La tragédie, c’est que le système politique grec s’est révélé totalement incapable de conduire le pays sur le chemin de la raison. SYRIZA rugissait comme un lion lorsqu’il était dans l’opposition, il a miaulé comme un chat une fois passé au gouvernement. Cela fait des décennies qu’il n’y a eu pire politique de duplicité dans la politique européenne. Le pays a besoin d’urgence d’un soulèvement démocratique, d’un choc venu d’en bas s’il veut éviter le déclin historique.
* Economiste, député de Syriza jusqu’au tournant de juillet 2015, membre fondateur de Laïki Enotita (Unité populaire)
Article original sur le site de Iskra.gr : Ένα ακόμη βήμα στο δρόμο της ανοησίας
Traduction Jean Marie Reveillon