Grèce. Experts européens, banquiers, privatisations et brigandage

Rosa Moussaoui
Mardi, 7 Juin, 2016
L’Humanité

Stergios Pitsiorlas, le président du Taiped, signe la cession du port du Pirée, au géant chinois Cosco !
Photo : Marios Lolos/XINHUA-REA

Six experts du Taiped, le fonds chargé de liquider les biens publics, ont été relaxés, vendredi. Ils étaient poursuivis dans l’affaire de la cession litigieuse de 28 bâtiments publics. L’ingérence de la Commission européenne n’est pas étrangère à cette décision de justice.

Pas de levée des poursuites, pas de déblocage d’une nouvelle tranche de prêt de 7,5 milliards d’euros. C’est en substance le chantage que laisse deviner la relaxe de six « experts » du Taiped, le fonds de privatisation chargé de la liquidation des biens publics grecs, après leur comparution, vendredi, devant la justice. Comme trois membres du conseil d’administration du fonds, ils étaient poursuivis pour « abus criminel de biens sociaux ».

L’affaire remonte à 2011, lorsque le gouvernement Papandréou transfère au Taiped 28 propriétés et bâtiments publics en vue de leur cession. Ces biens appartiennent aux ministères de la Culture, de l’Intérieur, de la Justice, de la Santé, de l’Éducation, mais aussi à l’administration fiscale, au secrétariat général des systèmes informatiques, à l’Agence statistique nationale et à la police d’Athènes.

Grande braderie de biens publics

En 2013, le conseil d’administration du Taiped approuve, sur proposition unanime du conseil des experts, et sous l’oeil bienveillant du gouvernement Samaras-Venizelos, la vente de ces biens, répartis en deux portefeuilles de 14 lots chacun, à deux établissements financiers, Ethniki Pangaia, filiale de la Banque nationale (rachetée depuis par le fonds d’investissement néerlandais Invel Real Estate), et Eurobank Property, filiale de la banque grecque Eurobank, propriété du milliardaire Spiro Latsis. Montant total de la transaction : 261 millions d’euros. Problème, les deux contrats de vente sont assortis de 28 contrats de location sur vingt ans : les institutions publiques concernées restent dans les murs, en contrepartie de loyers annuels qui s’élèvent, pour la première année, à 25,5 millions d’euros. Pour les banques acquéreuses, c’est une affaire en or : elles sont assurées d’amortir l’investissement en dix ans et de doubler leur mise en vingt ans. Mais pour l’État grec, c’est une perte sèche, propre à creuser encore un déficit public abyssal. Qu’importe, les créanciers de la Grèce, FMI en tête, pressent le pays de mettre en gage tous ses actifs publics pour éponger sa dette et l’affaire est conclue au mois de mai 2014. Au passage, les nouveaux propriétaires sont exemptés de tout impôt, taxe ou droit, et une clause du contrat les prémunit contre toute réduction des loyers. Pour bétonner l’arnaque, la Cour des comptes donne sa bénédiction à la transaction. Mieux encore, la somme perçue dans le cadre de cette vente n’est pas créditée sur un compte spécial du Trésor dans un délai de dix jours, comme le prévoit la loi. Et l’État grec ne verra jamais la couleur des 100 000 euros d’intérêts qui auraient dû lui être versés pour le retard.

Scandalisés par ce braquage, des avocats du Pirée portent plainte. Une enquête est ouverte, elle est confiée au parquet anticorruption. Lequel conclut, en 2015, dans un rapport de 200 pages, à la sous-estimation de la valeur raisonnable des immeubles et de leur plus-value future. La justice évalue le préjudice, pour l’État grec, à 580 millions d’euros. Couverts par l’avis de la Cour des comptes, les experts et membres du conseil d’administration du Taiped ne peuvent, pourtant, être poursuivis pour malversation et détournement de fonds. Qu’à cela ne tienne, les suspects sont mis en examen pour « abus criminel de biens sociaux ».

Une relaxe contre toute attente

Parmi les six experts relaxés vendredi contre toute attente, il y a trois Grecs et trois technocrates étrangers : un Slovaque, un Espagnol et un Italien, désignés par le groupe de travail de l’Eurogroupe. Tous ont minimisé leur rôle dans la transaction litigieuse, se présentant comme de simples « consultants ». Surtout, cette décision de justice n’est pas sans rapport avec les pressions extérieures, à commencer par celle de l’Eurogroupe qui aurait menacé, selon le quotidien grec Kathimerini, de bloquer le versement d’une tranche de prêt de 7,5 milliards d’euros déjà conditionnée à l’adoption, le 22 mai, d’un nouveau mémorandum d’austérité.

En fait, il semblerait même que Bruxelles ait exercé un chantage à l’immunité de ses « experts » intervenant en Grèce pour mettre en œuvre les programmes d’austérité. Le porte-parole de la Commission européenne, Margaritis Schinas, l’a confirmé vendredi, en des termes à peine voilés : « Des marges de manœuvre satisfaisantes devraient être garanties à tous les experts européens qui aident la Grèce à redresser son économie et à retrouver le chemin de la croissance. »

rédaction

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