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Archives de catégorie Répression-autoritarisme

Grèce : stop à la répression !

En moins de 2 mois au gouvernement, la droite grecque de Mitsotakis a montré une attitude politique contraire à celle de Syriza. En effet, elle a tenu ses promesses électorales. Elle est même allée au-delà, en profitant de l’été pour s’attaquer à ce qui reste de droits pour les travailleurs/ses et les jeunes : suppression du motif de licenciement, baisse des charges sur les entreprises, abrogation de l’asile universitaire…

Et pour accompagner tout cela, une répression spectaculaire, centrée cet été sur le quartier populaire d’Exarcheia à Athènes, insupportable au très bourgeois Mitsotakis comme centre de mobilisations jeunes, antiracistes, d’occupations solidaires. Plusieurs centaines de réfugiéEs étant ainsi logéEs dans des locaux vides. Après plusieurs descentes policières ces dernières semaines, le pouvoir a envoyé lundi matin ses prétoriens “libérer” des bâtiments occupés d’Exarcheia, avec arrestations et contrôle des permis de séjour, et donc risque d’expulsions. On le voit : l’opération policière d’hier -d’autant plus écœurante que dans le même temps le policier assassin en 2008 du jeune Alexis Grigoropoulos a été libéré, pour « bonne conduite »!- est un élément d’une politique anti-ouvrière globale, et c’est tout le mouvement ouvrier qui doit se mobiliser contre la répression à Exarcheia !

Pour sa part, le NPA apporte toute sa solidarité aux mobilisations en cours et à venir contre la répression et toute la politique du gouvernement grec, et réaffirme le devoir de solidarité avec les réfugié-e-s, en Grèce, en France, comme partout en Europe.

Mercredi 28 août 2019

Source https://npa2009.org/communique/grece-stop-la-repression

« Amnesty International : Inquiétude face à l’évacuation de réfugiés d’Exarcheia

….
Le texte intégral de la déclaration d’Amnesty International :
Amnesty International est profondément préoccupée par l’opération de police menée à Athènes le 26 août au matin dans la région de l’Exarcheia. Cette opération a entraîné l’expulsion de 144 réfugiés et migrants en quête de protection, dont 35 mineurs. Des rapports auraient été signalés à l’encontre de 10 personnes trouvées en situation d’immigration irrégulière.
Selon certaines informations, les autorités grecques ont transféré 134 personnes touchées par les expulsions dans des logements officiels existants dans toute la Grèce, dont beaucoup sont surpeuplées et vivent dans des conditions de vie médiocres. De plus, nous sommes préoccupés par la manière dont ces expulsions sont menées, car elles semblent avoir été menées sans avertissement et consultation appropriés avec les personnes impliquées, mais aussi avec leurs implications, car elles pourraient rendre la situation des personnes qui souffrent. expulsion encore plus vulnérable. En outre, en raison de la forte présence de la police, cette opération aurait probablement un effet traumatisant sur les personnes impliquées, dont beaucoup – notamment les mineurs – sont déjà en situation de vulnérabilité.
L’entreprise fait suite à une série d’expulsions d’occupation à Exarcheia en avril 2019 et devrait être évoquée à la suite de la crise générale des réfugiés. En mars 2019, le ministère des Politiques de migration de l’époque avait commencé la suppression progressive du logement et du soutien social pour les réfugiés reconnus en Grèce (programme ESTIA), exposant ainsi des milliers de personnes en grande difficulté. En juin 2019, Amnesty International a fait part de ses préoccupations aux autorités grecques, sans aucune réponse.
Les expulsions surviennent à un moment où la population de réfugiés et de migrants dans les îles grecques atteint un record dramatique, avec 24 000 personnes sur les îles et une forte augmentation des arrivées en provenance de la mer. Alors que la situation sur les îles atteint un seuil critique et que l’accès et le soutien en Grèce continentale deviennent de plus en plus difficiles, Amnesty International exhorte les autorités grecques à prendre des mesures concrètes pour que des logements convenables soient fournis aux personnes expulsées. , et ils recevront l’aide nécessaire à leur situation.
Amnesty International appelle les autorités grecques à veiller à ce que les mineurs ne souffrent pas de difficultés inutiles et à ce qu’une solution viable leur soit immédiatement apportée. Amnesty International exhorte les autorités grecques à veiller à ce que chaque cas individuel soit traité conformément à la loi, à ce que les personnes aient un accès effectif aux procédures d’asile et aux mesures d’inclusion sociale, et qu’en tout état de cause, elles soient protégées contre le retour dans leur pays d’origine. conditions de risque. Cela inclut des plans possibles pour transporter des personnes vers des camps surpeuplés (notamment des hot spots sur les îles), qui ne sont actuellement pas en mesure de fournir des conditions de vie suffisantes ou de répondre aux besoins essentiels des réfugiés et des migrants. »
source : efsyn.gr

Exarcheia sous occupation policière !

Exarcheia sous occupation policière ! par ·

[ALERTE !] Ce que nous vous annoncions depuis un mois et demi vient de commencer ce matin, peu avant l’aube :

EXARCHEIA SOUS OCCUPATION POLICIÈRE

Le célèbre quartier rebelle et solidaire d’Athènes est complètement encerclé par d’énormes forces de police : de nombreux bus de CRS (MAT), des jeeps de la police antiterroriste (OPKE), des voltigeurs (DIAS), des membres de la police secrète (asfalitès), ainsi qu’un hélicoptère et plusieurs drones.

Lieu unique en Europe pour sa forte concentration de squats et d’autres espaces autogérés, mais aussi pour sa résistance contre la répression et sa solidarité avec les précaires et migrants, Exarcheia était dans le collimateur du gouvernement de droite depuis son élection le 7 juillet. Le nouveau premier ministre Kyriakos Mitsotakis en avait fait une affaire personnelle, d’autant plus qu’il avait été raillé début août pour ne pas avoir réussi à atteint son objectif de « nettoyer Exarcheia en un mois » comme il l’avait annoncé en grandes pompes.

Ce matin, 4 squats ont été évacués : Spirou Trikoupi 17, Transito, Rosa de Fon et Gare. L’offensive concerne pour l’instant la partie nord-ouest du quartier, à l’exception notable du squat Notara 26, réputé mieux gardé et très important symboliquement pour le quartier en tant que premier squat historique de la « crise des réfugiés » au centre ville d’Athènes.

On compte pour l’instant une centaine d’arrestations, ainsi que des agressions brutales contre des personnes tentant de filmer. Seuls les médias de masse au service du pouvoir ont l’autorisation de couvrir l’événement.

Au total, il y a 23 squats dans Exarcheia plus 26 autres autour du quartier, soit un total de 49 concentrés sur une zone assez petite. 49 squats auxquels il faut ajouter d’autres types de lieux autogérés, dont certains en location (Espace Social Libre Nosotros, magasin gratuit Skoros, etc.) ainsi que des dizaines de logements particuliers regroupant des groupes de militant.es, souvent près des terrasses pour permettre un accès au-dessus des rues.

Sur les squats qui se trouve précisément à l’intérieur d’Exarcheia, 12 sont des squats d’hébergement pour les réfugié.es et migrant.es et les 11 autres sont des squats de collectifs politiques anarchistes et antiautoritaires (même si la plupart des squats de réfugié.es sont aussi évidemment très politiques, à commencer par le Notara 26 et Spirou Trikoupi 17 avec des assemblées directes et beaucoup de liens avec le reste du mouvement social).

Dans les squats de Spirou Trikoupi 17 et Transito (que les valets du pouvoir sont maintenant en train de murer), plus d’une quinzaine d’enfants ont été arrachés à une existence paisible et heureuse pour être subitement envoyés dans des camps. Ces sinistres camps sont insalubres et surpeuplés, les migrant.es y sont mal nourri.es et souffrent des variations de températures, subissent des humiliations et parfois des tortures, et Mitsotakis exige de surcroît qu’ils soient tous bien fermés et, à l’avenir, complètement coupés du reste du territoire.

Le visage de l’Europe ne cesse de se durcir à l’instar de ce qui se passe également sur les autres continents. Cette évolution toujours plus autoritaire du capitalisme conduit à nous interroger sur ce qu’annonce l’ère actuelle : l’offensive contre les poches d’utopies couplée à l’enfermement des boucs émissaires rappelle des heures sombres de l’Histoire.

Le monde entier devient fasciste et la Grèce en est, une fois de plus, l’un des laboratoires.

Mais rien n’est fini. Septembre arrive bientôt. Les jobs saisonniers se terminent. Le mouvement social se rassemble et s’organise à nouveau. Des lieux comme le Notara 26 et le K*Vox sont sous haute surveillance. Des ripostes se préparent, ainsi que plusieurs grands événements mobilisateurs. L’automne sera chaud à Athènes.

Résistance !

Yannis Youlountas

PS : nous comptons sur vos communiqués, photos, actions en direction des lieux représentant l’état grec à l’étranger. La solidarité est notre arme.

PJ : quelques photos de ce matin :

Source http://blogyy.net/2019/08/26/exarcheia-sous-occupation-policiere/

France : Le recours à la violence de l’Etat

“L’État a recours à des répertoires de violence qui montent en intensité jusqu’à ce qu’il ait réussi à écraser ou discipliner ce qui gêne les classes dominantes” 

Le corps du jeune Steve récemment retrouvé dans la Loire, Zineb Redouane morte après le tir d’une grenade lacrymogène, 24 gilets jaunes éborgnés et cinq mains arrachées, des supporters algériens matés pendant la Coupe d’Afrique des nations (CAN) jusqu’à en perdre un oeil, des militants écolos gazés … non non, on n’est pas à Hong-Kong ou dans l’abominable Russie, mais bien en France, ce qu’ont d’ailleurs parfois tendance à oublier certains de nos médias mainstreams préférés. Depuis le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes, notre police, en roue libre, se lâche complètement : elle cogne, éborgne et provoque, protégée par le gouvernement, et se fait la garante du maintien de l’ordre économique, social et politique en France. A un point tel que même la presse étrangère tendance conservatrice comme le quotidien britannique The Independent pointe du doigt le “maintien de l’ordre” à la française. Comme nous le rappelle la marche organisée à Beaumont-sur-Oise il y a maintenant plus d’une semaine en hommage à Adama Traoré et à d’autres victimes de brutalités policières, cette répression systémique en toute impunité existe depuis très longtemps dans les quartiers populaires. Avec le sociologue Mathieu Rigouste, auteur du livre La domination policière, une violence industrielle en 2014 aux éditions La Fabrique, nous avons souhaité en savoir plus et y voir un peu plus clair sur notre État policier, dans un contexte d’une ampleur telle que l’expression “tout le monde déteste la police” n’aura jamais été aussi pertinente. 

Peux-tu te présenter et expliquer d’où tu parles ? Qu’est ce qui t’a amené à effectuer des recherches indépendantes sur la police française ?

Chercheur indépendant en sciences sociales, je travaille sur la construction du système sécuritaire et de ce que font les institutions policières et militaires françaises. Au départ, je travaillais sur leurs actions en Afrique puis dans les quartiers populaires. J’ai par la suite élargi mes recherches à l’ensemble des classes populaires. Cela m’intéresse de fabriquer des outils pour permettre aux luttes sociales de s’armer elles-mêmes. Cela doit avoir un lien avec le fait d’avoir grandi en quartier populaire et de s’être construit face à la multiplicité des violences d’Etat et en observant, au quotidien, le système des oppressions et des injustices.

Entretiens-tu des rapports plutôt conflictuels avec la police d’une manière générale ?

J’ai grandi en banlieue parisienne, je ne suis jamais sorti de la précarité mais j’ai une gueule et un nom considérés comme blancs par le système raciste. Dans ces quartiers, si tu traînes dehors, tu subis le contrôle policier aussi mais ce n’est jamais la même violence selon que tu sois considéré comme blanc ou non. Si t’as une capuche et que tu traînes avec des Noirs et des Arabes, tu es traité pareil, jusqu’à ce qu’ils découvrent ou reconnaissent ta gueule ou ton nom. Leur regard change et leur comportement aussi. J’ai vu fonctionner la configuration raciste et systémique de la violence d’Etat au quotidien.

D’un autre côté, je participe à différentes luttes sociales qui ont toutes en commun de subir des pratiques de contrôle, de surveillance et de répression de plus en plus féroces. Je me suis fait tabasser à l’intérieur du commissariat central de Toulouse en 2013, des flics m’ont mis la tête dans les murs, menotté, puis m’ont laissé étalé par terre dans le couloir des gardes à vue, au vu et au su de tous les fonctionnaires en poste cette nuit-là. On ne saura jamais s’ils m’ont tabassé en tant que militant ou parce qu’ils m’ont attrapé dans un quartier populaire où ils ont l’habitude d’aller chasser. Il y a peut-être eu un mélange de tout cela. Cette histoire n’a pas l’air de déranger l’institution judiciaire, justement parce que, comme mes travaux le montrent, c’est le travail normal de la police de distribuer la férocité des classes dominantes. C’est ce que le pouvoir attend d’elle.

Pourquoi le mouvement social des gilets jaunes est-il autant réprimé selon toi ? Est-ce du jamais vu ?

Ce mouvement social est, de base, du jamais vu, de part sa composition sociale et son intensité, sa durée, etc. Des gens ont l’air d’oublier que, depuis le début, c’est un mouvement investi et porté par les différentes strates des classes populaires, des habitant.e.s des quartiers populaires sont présent.e.s et impliqué.e.s, depuis l’origine, et selon les endroits, assez massivement et en première ligne. A Paris et à Toulouse, de décembre 2018 à aujourd’hui, j’ai vu des cortèges propulsés par toutes ces colères associées. C’est un mouvement qui s’est donné des formes ingouvernables et incontrôlables, qui a conçu des capacités d’auto-défense, de contre-attaque, et qui a mis en place des formes de démocratie directe. Il a également critiqué de manière de plus en plus radicale le pouvoir et la société et commencé à imaginer d’autres formes de vie sociale.

Sur ce sujet, je crois que l’État ajuste le niveau de violence précisément, rationnellement et techniquement, face à ce qu’il considère comme menaçant pour lui. Quand il est face à des manifestations auto-encadrées par des bureaucraties syndicales qui ont complètement pacifié et rendue inoffensive la prise de la rue, il n’y a pas besoin d’user de la violence. Dès que l’Etat est confronté à des formes de lutte qu’il n’arrive pas à maîtriser ou à soumettre, il a recours à des répertoires de violence qui montent en intensité jusqu’à ce qu’il ait réussi à écrasé ou discipliner ce qui gêne les classes dominantes.

“’Il y a une utilisation de pratiques militaro-policières dans les quartiers populaires, mais les institutions expérimentent en fait partout leur déploiement : aux frontières, dans les prisons, dans les stades, au sein des gilets jaunes, même dans les quartiers chics.”

La police s’en prend de plus en plus à des personnes non racisées, au moins depuis les manifestations contre la loi travail en 2016. Depuis le mouvement des gilets jaunes, on a le sentiment que ces problématiques sortent enfin des quartiers populaires. Penses-tu qu’il y ait une prise de conscience générale sur l’état de notre police ? 

Cela a obligé les gens qui niaient les faits dénoncés par les luttes contre les violences d’Etat à constater le fonctionnement et la production de la violence policière. Mais il y a eu aussi automatiquement des réactions des strates privilégiées des classes populaires et des classes moyennes blanches afin de rendre inoffensive cette critique systémique. Ils ont fait émerger un nouveau discours, affirmant que les violences policières sont expérimentées dans les quartiers pour ensuite être appliquées à la “vraie population” ou aux “vrais mouvements sociaux”. Or, la vie dans les quartiers populaires est traversée de mouvements sociaux, tout le temps. Il y a certes une utilisation de pratiques militaro-policières dans les quartiers populaires – c’est en partie l’objet de mon travail – mais les institutions expérimentent en fait partout leur déploiement. Tous les terrains d’exercice des forces de l’ordre servent à faire des retours d’expérience pour restructurer le pouvoir sécuritaire : aux frontières, dans les prisons, dans les quartiers populaires, dans les stades, au sein des gilets jaunes, même dans les quartiers chics. 

Le discours qui consiste à dire que les violences policières sont passées des quartiers au « reste de la population » est très problématique. Il y a une différence fondamentale entre le système de violences d’Etat déployé dans les quartiers populaires et contre le mouvement des gilets jaunes par exemple. Dans les quartiers, c’est un système quotidien, local, permanent, avec de nombreux dispositifs : quadrillage du quartier, surveillance et contrôle du quotidien, humiliations, chantages et provocations répétitives, parechocages [plaquer quelqu’un contre un pare-choc], étranglements, tirs à balles réelles, mises à mort, etc. Il y a effectivement des dispositifs qui ont été transférés d’un champ vers l’autre, comme l’utilisation du LBD (lanceur de balle de défense) en tir tendu ciblé haut du torse ou visage, qui existe de façon industrielle dans les quartiers populaires et qui a été employée contre le mouvement des gilets jaunes. Même chose pour le gazage systématique ou l’emploi des grenades de désencerclement pour mutiler… on retrouve ces dispositifs contre les supporters, dans les contre-sommets internationaux, contre certaines mobilisations comme les luttes des migrant.e.s, etc.

Comment interprètes-tu le comportement des policiers envers les supporters d’origine algérienne, issus majoritairement des quartiers populaires, lors de la CAN ? Beaucoup ont, par exemple, écopé de grosses amendes, et l’un d’eux a eu un œil éborgné. 

Bien entendu, le traitement policier de supporters considérés comme algériens n’est pas le même que lorsqu’il s’agit d’encadrer la victoire de la France en Coupe du monde. Le racisme d’Etat structure le pouvoir policier, depuis les état-majors politiques jusque dans les gestes des agents sur le terrain. Il y a eu une préparation idéologique intense dans les médias dominants. On a semé l’idée que des hordes sauvages allaient tout brûler pour mieux légitimer un schéma répressif conçu pour taper fort. La représentation de ceux qu’on a prévu d’écraser comme des corps à la fois barbares et sacrifiables est une technique fondamentale dans l’histoire des sociétés impérialistes.

« Aussi incroyable que cela puisse sembler, la police française a le droit d’utiliser des substances qui brûlent les yeux, la bouche et les poumons de leur population civile, que les traités internationaux interdisent en revanche aux militaires », nous explique The Independent. Comment est-ce possible ?

Les journalistes de The Independent ont une mauvaise analyse de ce qu’est l’Etat et semblent mal connaître l’histoire de l’impérialisme français. Les Etats ne respectent que les lois qu’ils veulent et la base d’une loi, c’est que ceux qui la produisent n’aient pas à s’y soumettre. Ce qu’on appelle la « raison d’Etat » permet aux classes dominantes, dans ou en dehors du droit, de justifier, selon les époques, l’emploi de la torture, l’esclavage, la colonisation, le commerce des armes, l’enfermement, le génocide… La société impérialiste française s’est constituée en déployant des fictions universalistes pour mieux répandre le carnage, le pillage et l’oppression partout autour de la planète. La capacité de ces armes à asphyxier, mutiler et terroriser, c’est exactement ce pourquoi le ministère de l’intérieur dépense des millions d’euros. Je crois que tous les Etats menacés d’être renversés par les classes dominées en viennent tôt ou tard à employer la coercition de masse puis des violences extrêmes et finalement la guerre contre le peuple, s’ils ne sont pas destitués avant par ce peuple.

“Il y a une impunité policière réelle, programmée par les hiérarchies politiques et mise en œuvre par l’institution judiciaire.”

Après un long silence, les grands médias français ont essentiellement mis la focale sur l’usage des LBD. Pour quelles raisons ? 

A partir du moment où cela a commencé à toucher les corps de personnes plus proches de la classe des journalistes, on a commencé à parler des « violences policières » dans les médias dominants. D’autre part, le rapport de force établi par les luttes des gilets jaunes ont forcé les directions de rédaction à évoquer le sujet. Puis lorsqu’un média a vu que ça buzzait, les autres se sont jetés dessus. La thématique « violences policières » est devenu une marchandise en soi.

Mais se pose aussi la question de comment les médias dominants vont se servir du sujet. Avoir réussi à faire surgir le terme « violences policières » dans les médias mainstream, c’est une véritable victoire obtenue par la lutte, mais il faut voir comment le sujet est traité. Et ce qu’on observe évidemment, c’est que les institutions le recodent pour servir les intérêts et les objectifs de leurs états-majors. La « violence policière » est alors décrite comme accidentelle, résiduelle, elle serait le fruit d’un dysfonctionnement, une anomalie, alors qu’elle est la norme. Et on la replie sur le seul sujet du LBD. L’étape suivante a été, pour une partie de la gauche institutionnelle, de proposer l’interdiction du LBD seulement dans ce qu’ils appellent les « mouvements sociaux », donc d’en conserver l’emploi dans les quartiers populaires, les lieux d’enfermement et aux frontières

Tu évoques l’expression “violence policière”, mais la police détient le monopole de la violence légitime. L’expression est-elle donc si pertinente ?

En fait, la thèse du sociologue Max Weber, c’est que l’État revendique le monopole de la violence légitime, justement parce qu’il n’en dispose jamais complètement. Les classes dominées ne se laissent jamais gouverner sans résistances et sont indisciplinées. La police est une institution chargée d’employer la coercition pour maintenir l’ordre social, économique et politique. Elle est violente par principe. Si on te crie « Police ! » dans la rue, ton corps se raidit. Le seul mot de « police » fait violence. L’idée même de pouvoir être contrôlé est un régime de pouvoir particulièrement violent. Perso, quand je dis “violence policière”, c’est pour qualifier ce type de violence d’État, la distinguer de violences judiciaires, militaires… mais pas pour faire comme s’il pouvait exister une police non-violente.

Qu’est-ce qui légitime la manière de se comporter de la police, sa violence exercée avec un tel sentiment d’impunité : le ministère de l’intérieur, la justice ou l’administration ?

Il y a une impunité réelle, programmée par les hiérarchies politiques et mise en œuvre par l’institution judiciaire. Mais toute l’idéologie policière est construite sur une posture victimaire selon laquelle les flics seraient maltraités par l’État. Dans l’ère sécuritaire, cette posture leur permet de réclamer sans cesse plus de moyens, d’argent, d’armes et d’impunité, tout en dissimulant leur statut de milices privilégiées par l’État.

L’interpellation des lycéens de Mantes-la-Jolie le 6 décembre 2018 a finalement donné lieu à un classement sans suite de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). Pour Steve, leur enquête “n’établit aucun lien entre l’intervention de la police et les chutes de personnes dont Steve, dans la Loire.” Mais à quoi sert l’IGPN ?

L’IGPN et les services internes de la police ne travaillent pas à lutter contre les violences policières, qui sont le produit du travail policier pour lequel l’État dépense beaucoup d’argent. Ces structures travaillent à encadrer et discipliner le corps policier pour qu’il produise ce qu’on attend de lui. Comme la violence fait structurellement partie de ce travail, la plupart du temps, ces structures récompensent les policiers impliqués dans des affaires de violences. Ils obtiennent les mutations attendues, des avancements de carrière… Ces institutions sont elles-mêmes composées et dirigées par des policiers qui renforcent encore l’esprit de corps très puissant dans ce milieu.

C’est plutôt l’institution judiciaire qui pourrait théoriquement contrôler ces pratiques policières. Mais pour les mêmes raisons, elle les valide la plupart du temps, chaque fois que ces pratiques n’entrent pas en contradiction avec les intérêts du pouvoir et des classes dominantes. Quand on rend un non-lieu sur l’affaire des lycéens, on valide des pratiques d’humiliations et de punition collectives – dont on connaît pour certaines la généalogie coloniale et militaire. Pour tous les policiers de France, il est désormais autorisé de faire ces choses-là, c’est validé. Pour Steve, c’est “homicide involontaire” qui a été retenu, ce qui revient à construire sa mort comme un accident, un dysfonctionnement. Alors que la socio-histoire de la police montre justement que ce sont des pratiques rationnellement et techniquement organisées par l’État qui produisent toutes ces violences.

Plusieurs figures des gilets jaunes ont été arrêtées lors du 14 juillet, et il y a eu des milliers d’arrestations préventives pendant tout le mouvement des gilets jaunes. Cela illustre t-il la symbiose parfaite entre les pouvoirs policier et judiciaire ?

La chaîne de commandement théorique part du politique, passe par le judiciaire et aboutit au policier. Mais chacun de ces champs dispose aussi d’une autonomie relative et dans l’ère sécuritaire, le pouvoir policier tend de plus en plus à vouloir ordonner les pouvoirs judiciaires et politiques. Je ne crois pas qu’il y ait une symbiose parfaite mais plutôt une collaboration constante entre des institutions dont les fractions dirigeantes peuvent aussi s’opposer et se concurrencer. D’autre part, il y a toujours une différence majeure entre le mythe de la séparation des pouvoirs et le fonctionnement réel du champ judiciaro-politique.

Sur l’affaire de Jérôme Rodriguez [figure des gilets jaunes qui a perdu un oeil lors d’une manifestation], il peut sembler évident qu’une fraction politique demande à une fraction judiciaire de se saisir du dossier pour criminaliser le personnage. Mais au fond, il n’y a même pas vraiment besoin de demander. Les agents des pouvoirs politiques, judiciaires et policières appartiennent à une même classe sociale. Il y a de nombreuses situations dans lesquelles ils n’ont même pas besoin de se coordonner, dans la mesure où ils pensent de la même manière et ont des intérêts convergents. Et là, de toute évidence, ils pensent qu’ils peuvent en finir avec le mouvement de cette façon.

“Une société capitaliste sans police, cela n’existe pas. Une société égalitaire n’a pas besoin de police.

Le corps de Steve vient d’être retrouvé dans la Loire et l’enquête sur Zineb Redouane n’avance pas. Dans les deux cas, de nombreuses zones d’ombre demeurent. Avons-nous affaire ici à des mensonges d’État ?

Oui, mais je cherche en vain des contextes dans lesquels l’État dirait la vérité au « peuple », disons une vérité appuyée sur de l’enquête sincère, honnête et rigoureuse qui servirait à rendre la justice sociale… Il semble que dans l’ère néolibérale-sécuritaire, le prince n’a plus le temps de faire semblant. Mais à chaque époque, les politiques publiques sont structurées par des fictions et des discours mystificateurs. De la politique énergétique à la politique étrangère, dans les domaines économiques, juridiques ou militaires, en fait dans tous les domaines, l’État ment, ça fait partie de sa mission auprès des classes dominantes. Il n’est sans doute pas possible de gouverner une société inégalitaire sans produire des imaginaires chargés de légitimer les injustices. Les classes dominantes racontent ce qu’elles veulent aux classes dominées, c’est la base. L’idéologie dominante, c’est l’idéologie des dominants et donc l’idéologie de leur domination, expliquait Marx.

Est-ce que, selon toi, une police juste, garante de la sécurité des citoyens, serait possible en France et pourrait trouver grâce à tes yeux ? Comme la police de proximité, supprimée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur du gouvernement Jean-Pierre Raffarin, en 2003, par exemple ?

Il y a dans l’histoire beaucoup d’exemples de « polices de proximité ». Ce sont des dispositifs d’occupation des territoires populaires, de contrôle local et intime des classes pauvres. C’est encore une fiction de croire que ce serait la gentille police avec qui on joue au foot. Ces polices ont pour objectif de pénétrer la vie quotidienne de tout le monde dans un quartier. Ces dispositifs servent à alimenter les tribunaux en comparution immédiate, et donc les prisons et le néo-servage carcéral. Historiquement, la police émerge avec l’esclavage, le capitalisme et le colonialisme. Ce sont des systèmes qui se sont construits et ont toujours fonctionné ensemble. Une société capitaliste sans police, cela n’est pas possible parce que les misérables ne se laissent pas faire. Et une société égalitaire n’a pas besoin de police. Peut-être que dans une société d’émancipation, on peut admettre des manières de faire respecter les règles que les habitant.e.s se sont donné.e.s eux-mêmes, mais ce n’est, justement, plus une police.

Interview réalisé par Selim Derkaoui

https://www.frustrationlarevue.fr/letat-a-recours-a-des-repertoires-de-violence-qui-montent-en-intensite-jusqua-ce-quil-ait-reussi-a-ecraser-ou-discipliner-ce-qui-gene-les-classes-dominantes/?fbclid=IwAR0x03LYBOHZncGE2rIil2BKW1gPIa88L_FxHdh6Sr3MTI4q9dE2WIEMWh8

Grèce : Offensive contre le mouvement anarchiste et autogestionnaire

Le nouveau gouvernement est en train de mettre en place une offensive sans précédent contre le mouvement libertaire et autogestionnaire, devenu gênant et réputé au fil des années.

GRÈCE : LA CHASSE AUX ANARCHISTES EST OUVERTE !

Le premier ministre fraichement élu et chef de la droite, Kyriakos Mitsotakis, a promis de « nettoyer Exarcheia » durant l’été et d’ « en finir avec Rouvikonas ». Au-delà du célèbre quartier libertaire et de l’insaisissable groupe anarchiste, c’est toute la nébuleuse révolutionnaire et le réseau squat qui sont visés, au moyen de divers outils et procédés répressifs.

Une fois de plus, ce qui se passe en Grèce donne à réfléchir sur ce qui se prépare également ailleurs en Europe, tant l’exemple grec a clairement montré la voie, par le passé, du nouveau durcissement du capitalisme sur le continent et d’une société toujours plus autoritaire.

Le gouvernement va commencer par réactiver des lois scélérates déjà mises en place durant les années 20, qui visaient alors tout autant le parti communiste grec que les anti-autoritaires.

Cette fois, le but est, tout d’abord, d’entraver la propagande anarchiste en considérant littéralement son projet politique révolutionnaire comme une menace immédiate, donc passible en ces termes de poursuites judiciaires. Bref, une censure, non pas de la propagande anarchiste en tant que telle, mais en tant que « parole menaçante » à chaque fois qu’elle représentera un « danger pour l’ordre social et la paix civile ».

Il s’agit également, notamment dans le cas précis de Rouvikonas, de classer ses actions directes pourtant sans effusion de sang dans la catégorie des « actions terroristes » (article 187A du code pénal en Grèce), avec de graves conséquences juridiques pour tous les membres du groupe.

Pire encore, l’État grec va systématiquement considérer tous les membres de Rouvikonas responsables de la moindre action effectuée ne serait-ce que par un seul des membres du groupe. Autrement dit, si demain matin, le bureau rassemblant les fichiers des personnes surendettées (Tirésias) était à nouveau détruit, par exemple, par cinq membres du groupe, la centaine d’autres membres seraient également poursuivie, remettant en question la subtile stratégie juridique du groupe qui, jusqu’ici, procédait habilement par rotation.

Non seulement le code pénal est en train de changer pour durcir cette offensive imminente, annoncée depuis un mois, mais les moyens de l’État sont également en train de se renforcer pour frapper Exarcheia puis tout le milieu squat et anti-autoritaire en Grèce.

2000 voltigeurs sont en train d’être recrutés (1500) ou réaffectés depuis une autre fonction dans la police (500) pour participer à des opérations de répression puis de surveillance des fameuses zones à reconquérir par l’État, à commencer par le célèbre quartier rebelle et solidaire d’Athènes.

Du matériel de renseignement made in France serait également en train d’être mis à disposition des services grecs (merci Macron), comme souvent ces dernières années dans tout le bassin méditerranéen. On se souvient, entre autres, du soutien des dirigeants politiques et économiques français au régime tunisien à la fin des années 2000, ce qui n’avait pas empêché la chute de Ben Ali début 2011, malgré l’arrivée d’un matériel important. Michèle Alliot-Marie avait même proposé par la suite, le 12 janvier 2011* d’envoyer les CRS et gardes-mobiles français aider la police tunisienne à mater les manifestants, alors même qu’elle commençait à tirer à balles réelles sur les opposants.

La zone de repli qu’est l’École Polytechnique, à l’ouest d’Exarcheia, connue pour son rôle historique dans l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973 et à plusieurs reprises depuis (notamment en 2008 et 2014) va passer sous contrôle policier avec la promulgation de la fin de l’asile universitaire et le début de travaux pharaoniques pour transformer les lieux en musée antique, en annexe du musée voisin.

Un signal fort vient également d’être envoyé par l’État en direction de sa police, un véritable encouragement à frapper violemment dans les jours qui viennent : Epaminondas Korkoneas, le policier qui avait assassiné froidement avec son arme de service Alexis Grigoropoulos, un jeune anarchiste âgé de 15 ans, le 6 décembre 2008 dans le quartier d’Exarcheia, vient d’être libéré hier soir (alors qu’il était condamné à la prison à perpétuité). Ce meurtre avait provoqué trois semaines d’émeutes retentissantes en décembre 2008, frôlant l’insurrection sociale, et des affrontements chaque année depuis, tous les 6 décembre. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de cautionner le système carcéral, mais pleine promulgation de lois scélérates anti-anarchistes et de lourdes menaces contre Exarcheia et Rouvikonas, cette libération est perçue en Grèce comme une provocation et un message d’impunité diffusé à tous les policiers qui se préparent à frapper.

Ce soir, les libertaires encore présents à Athènes malgré la période (l’une des rares qui procure un peu de travail, notamment dans le tourisme et souvent dans les îles), et au-delà tout le mouvement social révolutionnaire, vont se rassembler à 20 heures à Exarcheia, à l’endroit précis où a été assassiné le jeune anarchiste le 6 décembre 2008.

Après le crépuscule, la nuit sera chaude au centre d’Athènes, de Charilaou Trikoupi à Stournari et tout autour d’Exarcheia, des affrontements auront certainement lieu. Et encore, Athènes est à trois-quart vide, comme chaque année en cette saison. Mais l’automne sera sans doute plus chaud encore que l’été, si les rebelles parviennent à tenir bon face à cette nouvelle attaque historique de l’État.

Alors que le monde entier devient fasciste, en Grèce comme en France, les pseudo démocraties surfent sur la vague mondiale d’extrême-droite en durcissant tout autant le capitalisme que son dispositif d’autoconservation.

Rien d’étonnant que les pires ennemis du monde autoritaire soient les premiers sur la liste. Face à cela, deux choix sont possibles : soit laisser faire et ne rien dire, en espérant ne pas faire partie des suivants, soit réagir et le faire savoir. Par exemple, Rouvikonas propose à celles et ceux qui souhaitent nous soutenir de faire diversement pression sur les ambassades, consulats et instituts officiels grecs dans le pays où vous vous trouvez, parmi les nombreuses formes d’actions possibles. D’autres informations ou suggestions suivront dans les prochains jours, notamment de la part des nombreux squats d’Exarcheia (en cours de discussion).

Merci de votre soutien, par delà les frontières et nos différences politiques.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2019/07/31/grece-la-chasse-aux-anarchistes-est-ouverte/

N’hésitez pas à consulter régulièrement son blog : http://blogyy.net pour suivre les derniers événements en Grèce.

« Black Panthers »à Athènes

« Black Panthers » : Des équipes de police  lourdement armées en patrouille au centre-ville d’Athènes

Vêtus de noir et lourdement armés d’armes automatiques, de jumelles de nuit, de fusées éclairantes sonores et lumineuses et de gaz lacrymogènes, les commandos spéciaux seront déployés dans des stations de métro et d’autres lieux très fréquentés d’Athènes afin de localiser… des voleurs de portefeuille. La police grecque a nommé les impressionnantes équipes de police «Black Panthers».

Black Panthers ? Epic Fail pour un nom qui associe directement les super commandos contre les voleurs de rue à l’organisation politique révolutionnaire américaine réputée pour ses échanges de tirs avec la police.

Selon le quotidien Eleftheros Typos, quatre équipes de cinq policiers ont déjà été mises en place, chacune dotée d’armes lourdes, de gilets pare-balles, de jumelles de vision nocturne, de grenades d’encerclement et assourdissantes.

Le nombre d’officiers de police qui feront partie des escouades devrait bientôt augmenter.

Les officiers «seront constamment à l’écart des véhicules de la police, dans le but de dissuader leur présence et d’instaurer un sentiment de sécurité pour ceux qui les verront».

Les équipes spéciales seront déployées dans des zones comme la rue Dionysiou Areopagitou sous l’Acropole, autour du musée de l’Acropole, la colline Philopappou, le stade Panathenaic, les temples de Zeus Olympien, la place Syntagma, le monument au soldat inconnu, Ermou-Kapnikarea et la place Monastiraki , bref dans des zones très touristiques.

Selon le quotidien, les Black Panthers patrouilleront dans les gares de transports publics ainsi que dans les stations de métro. Les responsables de la sécurité développeront un réseau d’information avec accès aux caméras des centres de contrôle du métro afin de «localiser les actions des groupes criminels» opérant dans ces zones.

Les Black Panthers ont déjà fait leur apparition au centre-ville d’Athènes.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2019/07/31/black-panthers-greece-police-patrol-athens/

Entretien avec le Président de La cimade

Aide aux étrangers: pourquoi la Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France Par Mathilde Mathieu

Chargés d’aider les étrangers enfermés près de Roissy, les salariés de la Cimade viennent de se retirer du centre de rétention. Trop de violences. « Le climat est devenu terrible », explique le président de l’association Christophe Deltombe à Mediapart, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien

 

La Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France, près de l’aéroport de Roissy. Trop de violences. Alors que l’association (sous contrat avec le ministère de l’intérieur) est chargée d’accompagner juridiquement les étrangers enfermés en vue de leur expulsion, ses salariés exercent leur droit de retrait depuis déjà deux semaines.

Pour comprendre, Mediapart a interrogé le président de la Cimade, Christophe Deltombe, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien.

Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu'il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu’il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM

Que se passe-t-il au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, de si grave que vos salariés se sont retirés ?

Christophe Deltombe : Le climat est devenu très difficile. La Cimade s’est retirée après trois tentatives de suicide depuis le toit, dont une personne qui menaçait de se pendre avec un barbelé.

Après avoir avalé des médicaments, une autre avait été placée en cellule d’isolement, menottée et casquée, en guise de « prévention ». Dans ce climat de stress, nos personnels n’étaient plus en situation de continuer à remplir leur mission : accompagner juridiquement cette population en détresse, aider les personnes à faire valoir leurs droits, d’abord celui de savoir si leur enfermement est légitime ou non.

Je rappelle qu’au niveau national, 4 personnes sur 10 sont libérées par un juge : ça donne la mesure du travail accompli par les associations présentes en rétention [la Cimade dans 8 CRA sur 25, mais aussi Forum-Réfugiés Cosi, France Terre d’asile, etc.]. On peut comprendre que la PAF [la police aux frontières], qui a vocation à organiser les expulsions, puisse en être irritée.

Il faut essayer de travailler « harmonieusement ». Mais nos relations se sont dégradées en raison de la politique du « tout enfermement » menée par le gouvernement : nous voyons passer des personnes qui n’ont pas vocation à être expulsées, beaucoup de malades psychiatriques que les préfets n’hésitent pas à placer, nombre de personnes qui ne devraient pas être enfermées, d’une manière générale, en raison de leur état de santé.

Il y a une défaillance du contrôle médical, pour ne pas dire une absence. Les dispositions organisant l’accès aux soins en rétention remontent à 1999, à une époque où la durée d’enfermement était plafonnée à 9 jours. Contre 90 jours aujourd’hui [depuis la loi « asile et immigration » de Gérard Collomb promulguée en septembre dernier] ! Le dispositif est dépassé, le personnel et les horaires de présence complètement insuffisants.

Et puis au Mesnil, les tensions avec la PAF sont renforcées par le comportement de certains policiers : hostilité, brimades, manque de « zèle » à fournir des pièces contenues dans les dossiers des personnes qui viennent consulter, filtrage à l’entrée du couloir qui mène à nos bureaux, etc.

Nos salariés étaient réellement épuisés, la direction de l’association a approuvé ce retrait.

Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d'un marché public passé avec le ministère de l'intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d'asile ou encore l’ordre de Malte). Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d’un marché public passé avec le ministère de l’intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d’asile ou encore l’ordre de Malte).

Comment réagit le ministre ?

Des discussions se sont engagées avec l’administration – mais pas le cabinet du ministre, que nous avons pourtant sollicité. On nous promet de réviser la circulaire de 1999 sur les unités médicales, on nous répond que des psychologues vont être prochainement déployés en rétention. Alors qu’il faudrait des psychiatres. Et qu’il ne s’agit pas tant de mettre des « psys » que d’éviter de placer des personnes malades !

La situation est-elle la même dans les autres CRA de France ?

La spécificité du centre du Mesnil, c’est sa taille : 240 places. Le législateur avait bien fixé un plafond à 140 places, mais le ministère a collé deux CRA l’un à côté de l’autre… Sinon, on retrouve les mêmes problèmes partout : des malades « psys », toujours des mineurs (alors que ça ne devrait plus exister !), un désœuvrement anxiogène, etc.

Mais y a-t-il du nouveau par rapport aux « années Sarkozy » notamment ? Une ligne rouge est-elle franchie ?

Elle se franchit d’année en année, la politique se fait de plus en plus répressive. Il suffit de regarder la durée légale de rétention, sans cesse allongée. À quoi servent 90 jours ? Alors que le temps moyen à l’issue duquel les gens sont réellement expulsés varie entre 12 et 15 jours selon les années. Au-delà, les « chances » sont maigres pour l’administration d’obtenir les fameux « laissez-passer consulaires » [ces pièces sans lesquelles la France ne peut renvoyer, que les consulats des pays d’origine sont censés délivrer]. Tous les autres sont remis en liberté. Mais parfois au bout de 90 jours désormais… Quelle est la pertinence ?

La loi « asile et immigration » est en fait une loi d’affichage : elle s’est inscrite dans une stratégie électoraliste visant à satisfaire une partie de l’opinion très hostile, en tout cas rétive, à l’accueil des étrangers. Avec ces mesures répressives, il s’agit de donner l’impression que le gouvernement maîtrise les choses.

Le gouvernement revendique toutefois des résultats. Devant les députés, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, s’est réjoui, le 16 juillet, d’une hausse de 10 % des « éloignements forcés » en 2018…

En chiffres bruts, on est à moins de 20 000. Franchement, pousser des cocoricos pour 2 000 ou 3 000 expulsions de plus, c’est dérisoire.

Prenez le cas des « dublinés » [des demandeurs d’asile que la France a le droit de transférer sans examiner leur dossier vers le premier pays de l’Union européenne où ils ont laissé leurs empreintes, d’après le règlement de Dublin] : en 2018, 3 500 transferts ont été effectués de la France vers un autre État de l’UE ; et dans le même temps, 1 800 personnes ont été transférées depuis un pays de l’UE vers la France. On s’échange des personnes ! Et pour ça, on les enferme en CRA. Voilà la cohérence de la politique migratoire européenne.

Au fond, on utilise « Dublin » contre le droit d’asile. On fait même du ping-pong avec l’Italie : la France y renvoie certains demandeurs trois ou quatre fois de suite, que l’Italie juge avoir le droit de nous re-transférer ensuite… Récemment, j’ai ainsi croisé plusieurs Soudanais à Ouistreham (Calvados), qui devraient pouvoir obtenir l’asile dans l’UE compte tenu de la situation dans leur pays (c’était avant le renversement de la dictature), mais qui avaient ainsi plusieurs « allers-retours » derrière eux et voulaient maintenant passer en Grande-Bretagne.

Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM

D’une manière générale, le gouvernement utilise surtout les CRA pour une politique de soi-disant « dissuasion » contre des « appels d’air ». On place en rétention des gens dont on sait qu’ils ne seront pas expulsés, faute de « laissez-passer », etc. Outre que c’est détestable, pas conforme à l’esprit de la loi, ça n’a aucune pertinence : quand les gens veulent venir, ils viennent.

Alors, oui, il y a des phénomènes de « rebond » entre pays d’Europe, de « vases communicants », c’est-à-dire des demandeurs d’asile qui viennent en France après avoir tenté leur chance en Allemagne par exemple. Ça existe, mais ce n’est pas significatif. Je voudrais rappeler que les arrivées « illégales » en Europe, c’est 36 000 personnes sur les six premiers mois de l’année 2019, à rapporter à 1,2 ou 1,3 million en 2015. Alors que la « pression » migratoire a considérablement baissé, on est toujours confronté à un discours hystérique.Vos équipes envisagent-elles de retourner au Mesnil ? Surtout, dans ces conditions, allez-vous renouveler le contrat de la Cimade avec le ministère de l’intérieur, qui arrive à échéance à la fin de l’année ?

La direction du CRA dit aujourd’hui comprendre le stress de nos équipes – une partie de son personnel y est confrontée aussi. Elle doit surtout saisir le fonctionnement de la Cimade : celui d’un contre-pouvoir. C’est institué ainsi. Mais on va réussir à s’entendre, oui ; on y est obligé.

Et l’assemblée générale de l’association a déjà voté la reconduction – nous allons en tout cas répondre au nouvel appel d’offres. C’est l’histoire de la Cimade que d’être présente dans les lieux d’enfermement : l’association est entrée dans les camps dès 1939-1940. C’est sa vocation d’être en solidarité active auprès de personnes retenues ou détenues. Il y a des moments où l’on est obligés de monter le ton, mais il faut trouver des solutions pour que cette mission soit exercée.

Quel regard portez-vous sur des actions plus radicales comme celles menées récemment par le collectif de sans-papiers des « gilets noirs », qui a occupé le Panthéon ? D’une stratégie de confrontation ?

La stratégie de la Cimade, c’est d’être auprès des personnes, d’être en capacité de témoigner, d’interpeller. On peut avoir un discours musclé sans être dans une politique de rupture. La rupture, c’est oublier les personnes concernées.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/250719/aide-aux-etrangers-pourquoi-la-cimade-claque-la-porte-du-plus-gros-centre-de-retention-de-france

 

Liberté d’informer

 Taha Bouhafs : « Je ne suis pas plus militant qu’un journaliste du “Point” ou de BFM TV »  14 juin 2019 / Entretien avec Taha Bouhafs

Mardi 11 juin, le journaliste Taha Bouhafs a été placé en garde à vue pendant 24 heures alors qu’il couvrait une manifestation de travailleurs sans papiers. Pour Reporterre, il raconte ce qu’il a vécu – une nouvelle atteinte à la liberté d’informer. Et défend le journalisme de terrain.

En avril dernier, le journaliste Gaspard Glanz avait subi deux jours de garde à vue, interpellé alors qu’il couvrait une manifestation. Cette semaine, le pouvoir s’est de nouveau attaqué à un journaliste : Taha Bouhafs, journaliste à Là-bas si j’y suis et qui avait révélé les images d’Alexandre Benalla frappant un manifestant, a subi une garde à vue d’une journée alors qu’il couvrait une manifestation de travailleurs sans-papiers.

Reporterre — Que vous est-il arrivé mardi 11 juin ?

Taha Bouhafs — Je suis parti en fin d’après-midi faire un reportage sur les travailleurs sans papiers de Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne). Ils occupent leur lieu de travail afin d’être régularisés. La police était déjà sur place. Je n’ai pas pu entrer à l’intérieur du bâtiment. Le portail était fermé. Je me suis joint à un groupe qui les soutenait à l’extérieur et j’ai commencé à recueillir des témoignages.

La situation s’est tendue lorsque un responsable du site est sorti du bâtiment et a commencé à enlever, depuis l’intérieur, les drapeaux syndicaux accrochés aux grillages. Les manifestants ont voulu les remettre. J’ai sorti mon téléphone pour filmer la scène et c’est à ce moment qu’un policier en uniforme s’est placé devant moi, et m’a poussé.

Un homme est ensuite arrivé. Il n’était pas reconnaissable, il portait un sweat. Je lui ai demandé où se trouvait son matricule. Il m’a fait reculer et a répondu : « J’ai pas de matricule, et alors ? » Il a continué à avancer vers moi, je reculais, il m’a repoussé sur une quinzaine de mètres avant de me mettre un coup de poing au torse.

Comment avez-vous réagi ? L’avez-vous repoussé ?

Non, mais je me suis énervé, je lui ai dit : « Vous avez pas à faire ça ! » À mes yeux, ce n’était pas un policier, il ne portait aucun signe distinctif, ni brassard ni matricule. Il se permettait d’être au-dessus de la loi. Il y avait juste un homme en sweat qui me frappait et me provoquait. Autour, d’autres policiers se sont regroupés pour m’interpeller. L’homme à sweat m’a alors pris le bras et l’a retourné. Je hurlais de douleur. Il m’a déboité l’épaule gauche puis m’a menotté et plaqué à terre, posant un genou sur ma tête, qui cognait le sol. J’ai encore des hématomes sur le visage. Les policiers m’ont traîné jusqu’à la voiture alors que je leur répétais que je suis journaliste. Un militant, Christian, a tenté de s’interposer, il a été aussitôt interpellé et embarqué.

Quand la voiture de police dans laquelle j’étais a commencé à rouler, l’homme à sweat — je suppose que c’était un policier de la BAC [brigade anticriminalité] — a commencé à me frapper au visage en m’insultant : « Alors, petite salope, tu fais moins le malin quand tu es toute seule ? » « Quand on va arriver au commissariat, je vais te défoncer. »

À aucun moment, je n’ai frappé un policier, ni eu un geste qui pourrait s’apparenter à un coup. Pourtant, au début de la garde à vue, ils ont écrit ce motif dans les chefs d’inculpation. Il a plus tard disparu et il n’est resté que le motif d’« outrage et rébellion » pour lequel je suis convoqué au tribunal en 2020.

« Je faisais juste mon travail de journaliste »

Dans un article du « Parisien », il est écrit que vous vous êtes interposé ?

C’est faux. Je faisais juste mon travail de journaliste. On m’a empêché de filmer et on m’a interpellé.

Comment la garde à vue s’est-elle passée ?

Quand je suis arrivé au commissariat d’Alfortville, des policières ont dit qu’il fallait m’envoyer aux urgences. À l’hôpital Henri-Mondor, les médecins ont constaté mes blessures et m’ont prescrit trois semaines d’arrêt de travail. Les policiers étaient dans la même salle que nous, sans respecter le secret médical. Ils écoutaient ce que les médecins disaient, et transmettaient ce qu’ils entendaient au commissariat.

J’ai ensuite été ramené dans une cellule. Elle était minuscule. J’ai essayé de dormir par terre, mais il faisait froid. Un autre médecin, plus tard au cours de la garde à vue, a constaté mes hématomes au visage et m’a prescrit 10 jours d’arrêt de travail.

Comment s’est passée l’audition devant l’officier de police judiciaire ?

Il était avec d’autres policiers. J’étais avec mon avocat, Me Arié Alimi. Les policiers m’ont posé plus de 70 questions. La plupart n’avaient rien à voir avec l’affaire : « Qu’avez-vous fait comme étude pour devenir journaliste ? », « Comment définiriez-vous votre pratique du journalisme ? » Je leur ai dit que je n’avais aucun compte à leur rendre là-dessus. Ils étaient très agacés et répétaient leur questions : « Avez-vous une animosité contre les forces de l’ordre, si oui pourquoi ? », « Avez-vous quelque chose contre l’État ? », « Où habitez-vous ? « Êtes-vous inscrit sur le bail ? », « Combien payez-vous de loyer ? », « Avez-vous le bac ? », etc. J’ai répondu que je souhaitais garder le silence.

Combien de temps avez-vous passé en garde à vue ?

Environ 24 heures, je suis entré vers 18 h le mardi et suis sorti à 17 h 35 le lendemain. Une heure avant de sortir, on m’a fait monter dans le bureau de l’officier de police judiciaire, où l’on m’a dit que mon téléphone allait être mis sous scellé et envoyé au parquet pour être exploité.

C’est le plus grave pour moi. Ce téléphone est mon outil de travail. C’est celui qui m’a servi à filmer Alexandre Benalla le 1er mai 2018. J’y ai toutes mes correspondances relatives aux sujets sur lesquels je travaille, avec les sources, les interviews de personnes, mes courriels, contacts, images privées. Cela peut mettre en danger beaucoup de sources.

Allez-vous porter plainte ?

On va lancer un recours pour récupérer mon téléphone. Mon avocat a aussi porté plainte pour violence en réunion par des personnes dépositaires de l’autorité publique. On va faire un signalement à l’IGPN [Inspection générale de la police nationale].

Avez-vous reçu des soutiens de la profession et des journalistes ?

Quand je suis sorti de la garde à vue, les seuls journalistes venus par solidarité devant le commissariat étaient des indépendants, l’équipe de Street Press, Gaspard Glanz de Taranis News, les médias des Gilets jaunes, David Dufresne, la rédaction de Là-bas si j’y suis. Mais je n’ai vu aucun média mainstream. Sur les réseaux sociaux, il y a eu quelques communiqués de soutien, notamment du Syndicat national des journalistes et de Hervé Kempf.

J’ai aussi constaté la différence de traitement entre les journaux. L’Humanité a fait un papier et a titré « un journaliste victime de violences policières ». Le Monde, lui, a simplement repris une dépêche de l’AFP avec pour titre « Taha Bouhafs, le journaliste militant convoqué pour outrage et rébellion ».

Êtes-vous journaliste militant ?

Je suis journaliste, pas journaliste militant. Je peux être militant dans ma vie de tous les jours, ailleurs que dans mon boulot, mais quand je suis journaliste, je suis journaliste.

Je sais ce que cache l’utilisation du mot « militant » dans ce contexte. Ça veut dire que je suis journaliste, mais pas trop quand même… D’ailleurs, je ne vois pas en quoi je serais plus militant qu’un journaliste du Point ou de BFM TV, ou que Christophe Barbier !

                                                         _______________________

Une vingtaine de rédactions expriment leur solidarité avec le journaliste Taha Bouhafs, du site d’informations Là-bas si j’y suis, interpellé lors d’un reportage. Nous dénonçons une nouvelle atteinte à la liberté d’informer. Nous ne pouvons tolérer d’être régulièrement pris pour cibles par les forces de l’ordre dans le cadre de l’exercice de notre métier.

Le texte est signé par les sociétés des journalistes, sociétés des rédacteurs et du personnel de :  Les sociétés des journalistes, des rédacteurs et/ou des personnels de l’AFP, Arte, BFM-TV, Courrier international, Les Échos, L’Express, France Culture, Franceinfo.fr, France 24, L’Humanité, Le Journal du dimancheLibération, Mediapart, Le Média, Le Monde, L’Obs, Paris Match, Reporterre, Sud OuestTélérama, TV5 Monde et la rédaction des Jours.

Source https://reporterre.net/Taha-Bouhafs-Je-ne-suis-pas-plus-militant-qu-un-journaliste-du-Point-ou-de-BFM

Criminalisation italienne des sauvetages en mer ?

Sauvetages de migrants en Méditerranée : la capitaine Pia Klemp risque 20 ans de prison en Italie

Pia Klemp, l’ancienne capitaine allemande des navires de sauvetage de migrants Iuventa, puis Sea Watch-3, est accusée par la justice italienne de « suspicion d’aide et de complicité à l’immigration illégale ». Alors que son procès a lieu en ce moment en Italie, se pose la question de la judiciarisation du sauvetage des migrants.

Pia Klemp, ancienne capitaine des navires Iuventa et Sea Watch-3 est jugée en Italie pour des soupçons d’aide et complicité d’immigration illégale. Cette ancienne « matelot de pont » a commencé sa carrière il y a six ans à bord du navire Iuventa (appartenant à une autre ONG humanitaire de sauvetage de migrants, Jugend Rettet), et gravi les échelons pour en devenir capitaine.

C’est d’ailleurs en août 2017 que les autorités italiennes confisquent le navire Iuventa commandé par cette humanitaire de 35 ans, au large de Lampedusa. Les ordinateurs et les téléphones portables qui étaient à bord sont saisis. Une enquête était en cours depuis 2016. 

Les droits de l’homme ne sont pas seulement pour notre bénéfice personnel. C’est une obligation. Si les droits de l’homme ne s’appliquent pas à tous, ils ne s’appliquent à personne.Déclaration de Pia Klemp, capitaine du Iuventa et du Sea Watch, humanitaire allemande jugée en Italie, sur le journal en ligne ze.tt

La décision de justice de pouvoir lire les contenus des appareils du Iuventa — repoussée plusieurs fois — est finalement prise en mai 2018 par le procureur sicilien ayant ordonné la saisie, Ambrogio Cartosio.

D’après les dossiers auxquels Pia Klemp a eu accès par son avocat (comme le relate le journal en ligne ze.tt le 30 mars 2019), ce sont au moins quatre autorités d’enquête italiennes différentes qui ont travaillé contre elle et son équipage, dont les services secrets italiens. Le plus inquiétant reste que son navire a été mis sur écoute, tout comme les téléphones et les ordinateurs portables de l’équipage, le tout doublé d’une surveillance opérée par des informateurs présents sur d’autres navires.

Le gouvernement ayant autorisé ces surveillances est celui de Paolo Gentiloni, le successeur de Matteo Renzi du Parti démocrate, deux ans avant l’arrivée au pouvoir de l’alliance entre la Ligue et le parti 5 étoiles.

L’enquête qui a mené au procès actuel doit donc déterminer si la capitaine Pia Klemp aurait « collaboré » avec des passeurs libyens afin de sauver les migrants perdus en mer grâce à son bateau : cette « complicité », si elle était démontrée par la justice italienne, transformerait le statut de l’ex-capitaine du Sea Watch « d’humanitaire sauveteuse de milliers de personnes en mer » à « complice d’immigration illégale ». L’avocat italien de Pia Klemp a prévenu sa cliente qu’elle risquait 20 ans de prison. Les soutiens à Pia Klemp fleurissent sur les réseaux, à l’instar de ce tweet : 

Criminalisation italienne des sauvetages en mer ?

Le Sea Watch-3 — que Pia Klemp ne peut plus commander par crainte d’une arrestation préventive — a été immobilisé en Italie  le 20 mai dernier pour avoir secouru des migrants au large de la Libye.

Il a pu néanmoins repartir une nouvelle fois en mer, sur ordre de la justice italienne ce 1er juin 2019. L’ONG allemande qui possède le navire a tweeté sa satisfaction à propos de cette décision, plus qu’inattendue dans le contexte actuel : 

« Le Sea-Watch 3 est libre ! Nous avons reçu une notification formelle sur la libération du navire saisi et son retour aux opérations.« 

Ce nouveau « blocage » puis « déblocage » judiciaire du Sea Watch-3 est la continuation d’une politique italienne tendant à criminaliser les sauvetages de migrants par les ONG au large de la Libye, en les accusant de complicité avec les passeurs et dont Pia Klemp fait les frais aujourd’hui.

Cette dernière opération du Sea Watch-3 a permis de sauver 67 migrants en détresse, ramenés par le navire sur l’île de Lampedusa, contournant ainsi la politique de Matteo Salvini de « fermeture des ports ». Le ministre de l’Intérieur italien n’a d’ailleurs pas mâché ses mots sur cette opération au moment du débarquement des migrants, après avoir demandé la saisie du navire et l’arrestation du capitaine :  

Salvini : « Un navire a été saisi, alors j’avais peut-être raison. Ils ont aidé des trafiquants d’êtres humains et j’espère que le capitaine de ce navire sera arrêté.« 

Les propos de Matteo Salvini souhaitant l’arrestation du capitaine du Sea Watch-3, font écho à ceux sur la complicité des ONG avec les passeurs « dans certains cas » de Christophe Castaner qui avaient fait polémique en France, et dont il s’était expliqué sur Twitter :  

Dix jours avant le blocage du Sea Watch-3, Matteo Salvini avait quant à lui présenté un nouveau projet de loi anti-immigration . Parmi les mesures de cette loi, la possibilité de sanctionner financièrement les navires qui portent assistance aux migrants par une amende de 3 500 à 5 500 euros avait été mise en avant.

Que dit le droit en matière de secours en mer ?

Le droit maritime international est très précis : La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer prévoit qu’un capitaine de navire qui reçoit un message de détresse doit porter secours aux personnes concernées. « Par personne en détresse, on entend toute personne qui risque la noyade et nécessite en urgence un sauvetage en mer », explique Patrick Chaumette, professeur de droit à l’Université de Nantes.

Europe : renvoyer les migrant(e)s au viol et à la torture en Libye

La bataille judiciaire à l’encontre de Pia Klemp est parallèle au changement de politique européenne face au drame des traversées clandestines de Libye vers l’Italie, faites d’embarcations pleines à craquer de femmes, d’enfants et d’hommes en détresse. Désormais le Conseil de l’Europe prône une collaboration avec les autorités libyennes. L’Union européenne a annoncé il y a trois mois qu’elle mènerait désormais l’opération navale « Sophia » (EUNAVFOR Med, lancée en 2015)… sans navires et qu’elle « n’observerait la mer que depuis les airs ». L’Allemagne a d’ailleurs stoppé la mise à disposition de navires pour cette opération.

L’objectif affiché de l’UE en 2019 est de « démanteler le modèle économique des passeurs et des trafiquants d’êtres humains dans la partie sud de la Méditerranée centrale. L’opération remplit également des tâches de soutien. Elle forme la marine et les garde-côtes libyens et contrôle l’efficacité de la formation sur le long terme; elle contribue à la mise en œuvre, en haute mer, au large des côtes libyennes, de l’embargo des Nations unies sur les armes. » 

Aujourd’hui, les gardes-côtes libyens patrouillent donc en Méditerranée et ramènent les bateaux de migrants en Libye, soutenus dans cette action par l’opération « Sophia », ce que dénonce Pia Klemp, qui n’accepte pas que les droits de l’Homme soient devenus des droits « à sens unique ». « Les droits de l’Homme ne sont pas seulement pour notre bénéfice personnel. C’est une obligation. Si les droits de l’Homme ne s’appliquent pas à tous, ils ne s’appliquent à personne.« 

Il est en effet avéré que s’il y a moins de traversées depuis la mise en place de cette nouvelle politique de retour en Libye, les agressions brutales, la torture et les violences sexuelles contre les migrants ont augmenté dans une proportion dramatique dans ce pays, comme le souligne une étude publiée par une ONG basée à New York, la Women’s Refugee Commission (WRC, Commission des femmes réfugiées).

L’étude a révélé que les violences sexuelles perpétrées contre des migrants et des réfugiés le long de la route méditerranéenne incluent la torture sexuelle, la violence génitale et la castration, et contraignent des hommes et des garçons à violer autrui – y compris des membres de la famille et des cadavres – ainsi que des violences sexuelles meurtrières.

Humanitaires contre politique migratoire

Pia Klemp a témoigné il y a peu à une réunion d’ONG au Parlement européen. L’humanitaire a alors raconté une expérience en mer où elle a dû naviguer pendant des jours dans les eaux internationales avec un petit garçon de deux ans, mort et « entreposé » dans la chambre froide du navire, parce qu’aucun pays européen n’avait accepté de laisser entrer son bateau.
La mère du garçon était aussi à bord, vivante. Pia Klemp a alors posé cette question à la fin de son témoignage : « Que dois-je dire à une femme traumatisée dont l’enfant mort gît dans mon réfrigérateur, au sujet de l’UE, lauréate du prix Nobel de la paix ? ». Cette question pourrait être reposée par l’humanitaire, lors de son procès en Italie.

Les accusations de « trafic humain » à l’encontre des ONG en Méditerranée ont débuté avant même la judiciarisation du cas de Pia Klemp, par la voix d’un autre magistrat, le procureur italien Carmelo Zuccaro. Celui-ci avait en effet lancé le premier dans le quotidien La Stampa début 2017 des interrogations sur une « concentration anormale de navires en Méditerranée » et soupçonné certaines ONG de nouer des contacts avec des « trafiquants d’êtres humains », après avoir ouvert une enquête sur les activités des ONG en mer « pour comprendre comment elles se financent et dans quel but. »

Le procureur Ambrogio Cartosi,  à l’époque de la saisie du Iuventa, avait quant à lui expliqué que des membres d’équipage du Iuventa étaient soupçonnés d’avoir « pris à bord à plusieurs reprises des migrants sur des canots pneumatiques amenés directement par des trafiquants« , et que « dans un cas, les passeurs étaient même arrivés à la rencontre du Iuventa avec une vedette des gardes-côtes libyens« . Mais il avait confessé ensuite que cette pratique, bien que « fréquente », l’était pour « des motifs purement humanitaires ».  L’ONG avait malgré tout nié ces accusations

Une pétition pour soutenir Pia Klemp a été ouverte en ligne il y a une semaine, des récoltes de fonds sont en cours pour l’aider à payer des frais de justice pour son procès, qui pourrait durer des années et coûter des centaines de milliers d’euros.
Des accusations aux preuves, le pas n’est pas encore franchi, mais si Pia Klemp est condamnée, une question importante se pose : quelle image donnerait alors l’Europe au reste du monde dans le cadre de sa politique de défense des droits de l’Homme ? 

Publication vidéo de Pia Klemp pour la promotion de l’ONG Iuventa le 24 mai 2019 :

https://www.facebook.com/iuventa10/videos/597284144079176/

Source https://information.tv5monde.com/info/sauvetages-de-migrants-en-mediterranee-la-capitaine-pia-klemp-risque-20-ans-de-prison-en-italie

Médias et gilets jaunes : pour une information indépendante !

Médias et gilets jaunes : pour une information indépendante ! par Acrimed,

Nous organisons le jeudi 6 juin une réunion publique sur le thème « Médias et gilets jaunes : pour une information indépendante » afin d’aborder différents thèmes, comme la médiatisation des violences policières ou le rôle des médias indépendants, avec des gilets jaunes et des journalistes ; mais aussi de discuter la question des initiatives à mener sur le terrain des médias.

Nous l’affirmions dans notre déclaration commune [1] : le mouvement des gilets jaunes bouleverse l’agenda politique, et porte une remise en cause profonde des institutions et notamment des grands médias.

La défiance qui s’est exprimée à leur égard est profonde et sans précédent, et fait écho à un traitement caricatural des mobilisations des gilets jaunes : surenchère sécuritaire sur les plateaux télévisés et dans certains quotidiens ; confiscation de la parole par les éditorialistes ; disqualification de certaines revendications jugées « irréalistes » et appels à la démobilisation ; ou encore dénonciations des violences des manifestants – alors que les violences policières ont été trop longtemps passées sous silence.

Cette défiance peut être une opportunité pour bouleverser l’ordre médiatique : dans les rédactions, elle est l’occasion de remettre en cause les orientations délétères imposées par les directions éditoriales, et de replacer le reportage et l’enquête au cœur du travail journalistique. Et dans les médias indépendants, de faire la démonstration par l’exemple qu’un autre journalisme, plus exigeant et plus libre vis-à-vis des pouvoirs, est possible et largement plébiscité.

Pour aborder ces différents aspects, nous vous invitons à une réunion publique « Médias et gilets jaunes : pour une information indépendante » qui se tiendra le 6 juin à la Bourse du travail de Paris en présence de gilets jaunes et de journalistes.

Elle sera aussi l’occasion d’aborder les nombreuses entraves qui pèsent aujourd’hui sur le droit à l’information : la mainmise de quelques milliardaires sur la plupart des médias, les plans de suppressions d’emploi dans l’audiovisuel public comme dans les groupes privés, la précarisation des journalistes statutaires ou pigistes y compris dans certains médias indépendants, la répression policière et la criminalisation qui frappent de plein fouet certains reporters et leurs sources, ou encore les lois liberticides qui visent à contrôler l’information – loi sur le secret des affaires et sur les « fake news ».

Ces menaces rendent plus que jamais nécessaire une mobilisation collective sur le terrain des médias !

Rendez-vous jeudi 6 juin à 19h,
à la Bourse du travail de Paris
(3 rue du Château-d’Eau)

L’entrée est libre, dans la limite des places disponibles, et cette rencontre devrait être filmée et retransmise.

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