Entretien avec le Président de La cimade

Aide aux étrangers: pourquoi la Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France Par Mathilde Mathieu

Chargés d’aider les étrangers enfermés près de Roissy, les salariés de la Cimade viennent de se retirer du centre de rétention. Trop de violences. « Le climat est devenu terrible », explique le président de l’association Christophe Deltombe à Mediapart, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien

 

La Cimade a claqué la porte du plus gros centre de rétention de France, près de l’aéroport de Roissy. Trop de violences. Alors que l’association (sous contrat avec le ministère de l’intérieur) est chargée d’accompagner juridiquement les étrangers enfermés en vue de leur expulsion, ses salariés exercent leur droit de retrait depuis déjà deux semaines.

Pour comprendre, Mediapart a interrogé le président de la Cimade, Christophe Deltombe, qui dénonce « une politique du tout enfermement » généralisée. Entretien.

Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu'il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM Nguipinidji, un Centrafricain, rencontré en avril 2019 au centre du Mesnil-Amelot alors qu’il alignait déjà 87 jours de rétention. © MM

Que se passe-t-il au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, de si grave que vos salariés se sont retirés ?

Christophe Deltombe : Le climat est devenu très difficile. La Cimade s’est retirée après trois tentatives de suicide depuis le toit, dont une personne qui menaçait de se pendre avec un barbelé.

Après avoir avalé des médicaments, une autre avait été placée en cellule d’isolement, menottée et casquée, en guise de « prévention ». Dans ce climat de stress, nos personnels n’étaient plus en situation de continuer à remplir leur mission : accompagner juridiquement cette population en détresse, aider les personnes à faire valoir leurs droits, d’abord celui de savoir si leur enfermement est légitime ou non.

Je rappelle qu’au niveau national, 4 personnes sur 10 sont libérées par un juge : ça donne la mesure du travail accompli par les associations présentes en rétention [la Cimade dans 8 CRA sur 25, mais aussi Forum-Réfugiés Cosi, France Terre d’asile, etc.]. On peut comprendre que la PAF [la police aux frontières], qui a vocation à organiser les expulsions, puisse en être irritée.

Il faut essayer de travailler « harmonieusement ». Mais nos relations se sont dégradées en raison de la politique du « tout enfermement » menée par le gouvernement : nous voyons passer des personnes qui n’ont pas vocation à être expulsées, beaucoup de malades psychiatriques que les préfets n’hésitent pas à placer, nombre de personnes qui ne devraient pas être enfermées, d’une manière générale, en raison de leur état de santé.

Il y a une défaillance du contrôle médical, pour ne pas dire une absence. Les dispositions organisant l’accès aux soins en rétention remontent à 1999, à une époque où la durée d’enfermement était plafonnée à 9 jours. Contre 90 jours aujourd’hui [depuis la loi « asile et immigration » de Gérard Collomb promulguée en septembre dernier] ! Le dispositif est dépassé, le personnel et les horaires de présence complètement insuffisants.

Et puis au Mesnil, les tensions avec la PAF sont renforcées par le comportement de certains policiers : hostilité, brimades, manque de « zèle » à fournir des pièces contenues dans les dossiers des personnes qui viennent consulter, filtrage à l’entrée du couloir qui mène à nos bureaux, etc.

Nos salariés étaient réellement épuisés, la direction de l’association a approuvé ce retrait.

Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d'un marché public passé avec le ministère de l'intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d'asile ou encore l’ordre de Malte). Les retenus ont accès à des consultations juridiques dans les bureaux de la Cimade, présente dans plusieurs CRA au titre d’un marché public passé avec le ministère de l’intérieur (de même que Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d’asile ou encore l’ordre de Malte).

Comment réagit le ministre ?

Des discussions se sont engagées avec l’administration – mais pas le cabinet du ministre, que nous avons pourtant sollicité. On nous promet de réviser la circulaire de 1999 sur les unités médicales, on nous répond que des psychologues vont être prochainement déployés en rétention. Alors qu’il faudrait des psychiatres. Et qu’il ne s’agit pas tant de mettre des « psys » que d’éviter de placer des personnes malades !

La situation est-elle la même dans les autres CRA de France ?

La spécificité du centre du Mesnil, c’est sa taille : 240 places. Le législateur avait bien fixé un plafond à 140 places, mais le ministère a collé deux CRA l’un à côté de l’autre… Sinon, on retrouve les mêmes problèmes partout : des malades « psys », toujours des mineurs (alors que ça ne devrait plus exister !), un désœuvrement anxiogène, etc.

Mais y a-t-il du nouveau par rapport aux « années Sarkozy » notamment ? Une ligne rouge est-elle franchie ?

Elle se franchit d’année en année, la politique se fait de plus en plus répressive. Il suffit de regarder la durée légale de rétention, sans cesse allongée. À quoi servent 90 jours ? Alors que le temps moyen à l’issue duquel les gens sont réellement expulsés varie entre 12 et 15 jours selon les années. Au-delà, les « chances » sont maigres pour l’administration d’obtenir les fameux « laissez-passer consulaires » [ces pièces sans lesquelles la France ne peut renvoyer, que les consulats des pays d’origine sont censés délivrer]. Tous les autres sont remis en liberté. Mais parfois au bout de 90 jours désormais… Quelle est la pertinence ?

La loi « asile et immigration » est en fait une loi d’affichage : elle s’est inscrite dans une stratégie électoraliste visant à satisfaire une partie de l’opinion très hostile, en tout cas rétive, à l’accueil des étrangers. Avec ces mesures répressives, il s’agit de donner l’impression que le gouvernement maîtrise les choses.

Le gouvernement revendique toutefois des résultats. Devant les députés, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, s’est réjoui, le 16 juillet, d’une hausse de 10 % des « éloignements forcés » en 2018…

En chiffres bruts, on est à moins de 20 000. Franchement, pousser des cocoricos pour 2 000 ou 3 000 expulsions de plus, c’est dérisoire.

Prenez le cas des « dublinés » [des demandeurs d’asile que la France a le droit de transférer sans examiner leur dossier vers le premier pays de l’Union européenne où ils ont laissé leurs empreintes, d’après le règlement de Dublin] : en 2018, 3 500 transferts ont été effectués de la France vers un autre État de l’UE ; et dans le même temps, 1 800 personnes ont été transférées depuis un pays de l’UE vers la France. On s’échange des personnes ! Et pour ça, on les enferme en CRA. Voilà la cohérence de la politique migratoire européenne.

Au fond, on utilise « Dublin » contre le droit d’asile. On fait même du ping-pong avec l’Italie : la France y renvoie certains demandeurs trois ou quatre fois de suite, que l’Italie juge avoir le droit de nous re-transférer ensuite… Récemment, j’ai ainsi croisé plusieurs Soudanais à Ouistreham (Calvados), qui devraient pouvoir obtenir l’asile dans l’UE compte tenu de la situation dans leur pays (c’était avant le renversement de la dictature), mais qui avaient ainsi plusieurs « allers-retours » derrière eux et voulaient maintenant passer en Grande-Bretagne.

Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM Au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en avril 2019. © MM

D’une manière générale, le gouvernement utilise surtout les CRA pour une politique de soi-disant « dissuasion » contre des « appels d’air ». On place en rétention des gens dont on sait qu’ils ne seront pas expulsés, faute de « laissez-passer », etc. Outre que c’est détestable, pas conforme à l’esprit de la loi, ça n’a aucune pertinence : quand les gens veulent venir, ils viennent.

Alors, oui, il y a des phénomènes de « rebond » entre pays d’Europe, de « vases communicants », c’est-à-dire des demandeurs d’asile qui viennent en France après avoir tenté leur chance en Allemagne par exemple. Ça existe, mais ce n’est pas significatif. Je voudrais rappeler que les arrivées « illégales » en Europe, c’est 36 000 personnes sur les six premiers mois de l’année 2019, à rapporter à 1,2 ou 1,3 million en 2015. Alors que la « pression » migratoire a considérablement baissé, on est toujours confronté à un discours hystérique.Vos équipes envisagent-elles de retourner au Mesnil ? Surtout, dans ces conditions, allez-vous renouveler le contrat de la Cimade avec le ministère de l’intérieur, qui arrive à échéance à la fin de l’année ?

La direction du CRA dit aujourd’hui comprendre le stress de nos équipes – une partie de son personnel y est confrontée aussi. Elle doit surtout saisir le fonctionnement de la Cimade : celui d’un contre-pouvoir. C’est institué ainsi. Mais on va réussir à s’entendre, oui ; on y est obligé.

Et l’assemblée générale de l’association a déjà voté la reconduction – nous allons en tout cas répondre au nouvel appel d’offres. C’est l’histoire de la Cimade que d’être présente dans les lieux d’enfermement : l’association est entrée dans les camps dès 1939-1940. C’est sa vocation d’être en solidarité active auprès de personnes retenues ou détenues. Il y a des moments où l’on est obligés de monter le ton, mais il faut trouver des solutions pour que cette mission soit exercée.

Quel regard portez-vous sur des actions plus radicales comme celles menées récemment par le collectif de sans-papiers des « gilets noirs », qui a occupé le Panthéon ? D’une stratégie de confrontation ?

La stratégie de la Cimade, c’est d’être auprès des personnes, d’être en capacité de témoigner, d’interpeller. On peut avoir un discours musclé sans être dans une politique de rupture. La rupture, c’est oublier les personnes concernées.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/250719/aide-aux-etrangers-pourquoi-la-cimade-claque-la-porte-du-plus-gros-centre-de-retention-de-france

 

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