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Réfugiés affamés dans les structures d’accueil

Les autorités grecques laissent délibérément  6 446 réfugiés affamés dans les structures d’accueil.

Dimitris Angelides

 Le moyen de pression le plus extrême sur les réfugiés qui ont achevé la procédure d’asile est choisi par le ministère des migrations, en interrompant la distribution de plateaux repas les concernant. ●  Tollé international sur la « crise de la faim » délibérément provoquée par le gouvernement grec, qui  la nie.

Des portions de nourriture beaucoup moins nombreuses que la population vivant dans les structures pour réfugiés commandées par le ministère de l’Immigration et de l’Asile aux sociétés de restauration qui sont en charge du ravitaillement des structures de la Grèce continentale, du début décembre 21  jusqu’à la fin mars 22, selon les données détaillées et chiffrées par structure publiées aujourd’hui par  le Journal des Rédacteurs..

Comme le montre le bilan mensuel de la situation aux structures, publié par l’Organisation internationale pour les migrations, la population totale vivant dans les 26 structures en Grèce continentale était au 21 novembre  16 659 personnes. Cependant, une semaine plus tard, les décisions d’attribuer le contrat aux deux contractants pour la préparation, le transport et la distribution des repas dans les structures du nord et du sud du pays ont fait que le nombre total de personnes ayant droit à la nourriture n’était que de 10 213.

En d’autres termes, le ministère a choisi de laisser 6 446 personnes vivant dans les structures sans nourriture quotidienne pendant l’hiver, soit un pourcentage de 38,69 %. Elle poursuit ainsi la politique qu’elle a mise en œuvre en octobre, lorsqu’elle a décidé de cesser de pourvoir en nourriture des milliers de personnes au motif qu’elles ont achevé la procédure d’asile et n’ont pas le droit de rester dans les structures. Il s’agit d’une politique sans précédent qui ne tient aucunement compte des besoins fondamentaux de survie des personnes et les spécificités de la situation qu’elle tente de réguler, dans le seul but de forcer les gens à quitter les structures, sans leur offrir de solutions de survie pour la suite.

Cette politique n’a fait que rendre la vie plus difficile aux réfugiés qui ont déjà connu tant des souffrances, et rendre encore plus compliquée la gestion des structures, obligeant les travailleurs sur le terrain et les organisations à improviser pour trouver des solutions afin que des milliers de personnes, dont de nombreux enfants, ne soient pas privées de nourriture.

 Dans chaque structure, le ministère indique un nombre de bénéficiaires de nourriture inférieur à celui de la population de celle-ci, à l’exception de la structure de Kleidi à Sidi, où apparaît le paradoxe d’un nombre de bénéficiaires déclarés supérieur à celui de la population. Certaines structures présentent un écart plus important que d’autres, avec plus de la moitié de la population qui se retrouve sans nourriture. Le plus grand écart se présente à la structure de Eleonas, [près d’Athènes] avec 1 529 personnes sur 2 034 qui ne reçoivent pas de nourriture, vient ensuite Ritsona avec 905 personnes sans nourriture sur un total de 2 194, Katsikas avec 590 personnes sans nourriture sur un total de 1 010 et Polykastro avec 544 personnes sans nourriture sur un total de 934.

Le Ministère a choisi de procéder à la signature de ces contrats de provisionnement, malgré les avertissements répétés de la Commissaire européenne Ylva Johansson, les critiques du Médiateur de la République, et les fortes réactions  qu’a suscitées cette politique tant en Grèce qu’au niveau international.

Le 7 décembre, Mme Johansson, répondant à une lettre de protestation de 28 organisations grecques, a souligné qu’elle avait demandé à plusieurs reprises aux autorités grecques « de veiller à ce que toutes les personnes, en particulier les plus vulnérables, reçoivent de la nourriture, des produits d’hygiène et autres produits de première nécessité ». Elle a également noté que « toutes les personnes, quel que soit leur statut juridique, devraient bénéficier des dispositions du droit de l’UE […] ainsi que des dispositions respectives de la Charte des droits fondamentaux de l’UE ».

« Les réfugiés reconnus en Grèce sont contraints de rester dans des structures d’accueil, car l’absence de soutien adéquat à leur intégration fait qu’ils n’ont aucun autre moyen de joindre les deux bouts ou de louer un logement. Ils n’ont nulle part où aller et la fourniture de nourriture par l’État est le seul moyen dont ils disposent pour se nourrir », note Dimitra Kalogeropoulou, directrice de l’IRC, qui a souligné dans un communiqué le décalage entre les bénéficiaires et la population totale de structures.

Un rapport du journal britannique Guardian fait référence à une crise de la faim, le gouvernement niant le terme et le secrétaire général de l’accueil, Manos Logothetis, déclarant qu’il démissionnerait « si l’on trouvait dans le pays dix réfugiés à qui l’on a refusé de la nourriture ».

  • La distribution de cartes bancaires aux réfugiés ayant droit à une aide financière mensuelle a connu un retard de trois mois en janvier. Le programme avait été suspendu en octobre car le ministère, qui a repris la gestion du programme du Haut-Commissariat, n’était pas en mesure de répondre immédiatement. Des sources au ministère de l’immigration et de l’asile notent que dans les prochains mois, l’argent dont ils ont été privés au cours des mois précédents sera déposé sur les comptes des bénéficiaires de manière rétroactive.

Source en grec  source : www.efsyn.gr/ellada/dikaiomata/329760_afisan-epitides-nistikoys-6446-prosfyges-se-domes

Conférence publique sur les refoulements et la violence aux frontières du 3 fev 2022

La conférence se tenait le  jeudi 3 février 2022, à 13h00 à Association des archéologues grecs, Ermou 134, Athènes et diffusée en direct et accessible en visio.

Stop aux refoulements et à la violence frontalière de l’État grec et de l’UE.
La Τurquie n’est pas un pays sûr !
Liberté de mouvement pour tous !

L’Assemblée ouverte contre les refoulements et la violence aux frontières invite les journalistes, les reporters et tous les membres intéressés du public à participer à notre conférence publique avec des intervenants qui partageront leurs expériences et leurs analyses politiques des refoulements et autres formes de violence d’État contre les personnes en mouvement en Grèce dans le contexte du régime frontalier européen, et qui sont impliqués dans la lutte contre la violence aux frontières.

La conférence comprendra des présentations par des orateurs invités (voir ci-dessous), suivies d’une période de questions de la part des membres de la presse, et enfin d’une discussion ouverte modérée.

Programme :
1) Les migrants racontent leurs expériences des pushbakcs et de la violence aux frontières.
2) Parwana Amiri : La situation dans les camps de réfugiés en Grèce
3) Dimitris Choulis : Situation en mer Égée et dans les îles
4) Centre culturel du Kurdistan d’Athènes : Situation à la frontière de l’Evros et conséquences pour les réfugiés politiques kurdes/turcs de Turquie.
5) Solidarité avec les migrants : La Turquie n’est pas un « pays sûr ».

L’Assemblée ouverte contre les refoulements et la violence aux frontières est une assemblée de collectifs et d’individus qui sont solidaires de toutes les personnes qui luttent pour la liberté, les droits et la dignité dans un monde dévasté par la guerre, l’exploitation et l’oppression. Nous organisons une lutte collective à Athènes contre les refoulements violents et systémiques effectués par l’État grec, et contre d’autres formes de violence aux frontières et de violence d’État visant les personnes en mouvement.

Il y aura une manifestation contre les refoulements et la violence aux frontières le 6 février, au départ de la place Omonia à Athènes à 13h00. Nous invitons tout le monde à y participer et à élever la voix contre la violence, les atrocités et les violations des droits qui se produisent aux frontières entre la Grèce et l’Union européenne. Le 6 février est une journée mondiale de lutte contre le régime frontalier meurtrier, exigeant la vérité, la justice et des réparations pour les victimes de la migration et leurs familles. Ce jour-là, des manifestations et des « Actions de commémoration » auront lieu dans toute l’Europe et au-delà.
Événement Facebook pour la manifestation : https://fb.me/e/1tH8zJGFC

Résumés de la conférence :

Expériences des migrants en matière de violence frontalière

Il existe peu d’espaces où les expériences des personnes en mouvement, qui subissent des violences physiques et psychologiques, des humiliations et l’attitude raciste des autorités grecques, peuvent être exprimées et entendues. Ces dernières années, les refoulements, qui incluent la torture et placent les personnes dans des situations dangereuses, voire mortelles, sont devenus une pratique courante aux frontières de la Grèce et de l’UE. En outre, le traitement des migrants en Grèce est devenu de plus en plus violent, les exposant à un harcèlement quotidien et à l’incarcération alors qu’aucun crime n’a été commis, dans des conditions horribles. Malgré la guerre européenne contre les migrants, les personnes qui migrent continuent de lutter pour la sécurité, la liberté et la dignité. Nous ouvrirons cette conférence en donnant l’espace à certaines de ces personnes pour parler de leurs expériences.

Parwana Amiri, réfugiée afghane révolutionnaire, auteur et journaliste.

L’impact des frontières et des politiques migratoires discriminatoires ne se limite pas aux limites physiques d’un État, mais continue d’affecter la vie des personnes en mouvement, des migrants et des réfugiés sur l’ensemble du territoire. Cette intervention se concentrera sur l’impact des frontières sur la vie quotidienne des migrants en Grèce, avec un accent particulier sur la vie dans les camps.

Dimitris Choulis, avocat de Samos

Cette intervention sera un aperçu des refoulements depuis les îles de la mer Égée après l’arrivée d’un navire. L’orateur expliquera comment les autorités agissent et quels sont les risques pour les réfugiés, avec des exemples de cas spécifiques. Dans la pratique, les refoulements sont un usage de la force, non pas pour arrêter les réfugiés mais pour les dissuader à l’avenir. Ceci sera illustré par des exemples de cas qui ont été ou seront rendus publics. En outre, les refoulements entraînent souvent des décès, directement ou indirectement. Des cas spécifiques de décès suite à des pushbacks seront discutés. Enfin, l’orateur parlera de la criminalisation de la solidarité et de l’assistance comme moyen d’intimidation des actions anti-pushbacks, et discutera des moyens d’y faire face.

Centre culturel du Kurdistan d’Athènes

De plus en plus de citoyens kurdes et socialistes de Turquie qui fuient les persécutions politiques et cherchent la sécurité en Grèce sont repoussés vers la Turquie. Nos camarades ont témoigné de l’horreur de la situation dans la région d’Evros : refus du droit de demander l’asile, vol d’argent et d’effets personnels, détention non officielle pendant des jours sans nourriture ni eau, coups et humiliations, implication de bandes armées recrutées par la police grecque, et expulsion de grands groupes de personnes à travers la rivière Evros vers la Turquie dans des canots pneumatiques sous la menace des armes. Persécutés en tant qu’ennemis de l’État turc, nos camarades qui sont repoussés sont exposés au meurtre, à la torture et à l’emprisonnement à long terme ou à vie en Turquie. Des centaines de politiciens, d’activistes et de journalistes kurdes et turcs se sont retrouvés dans des prisons politiques après avoir été repoussés de Grèce.

Solidarité avec les migrants : La Turquie n’est pas un « pays sûr ».

En juin 2021, l’État grec a déclaré la Turquie « pays tiers sûr » pour les demandeurs d’asile originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh et de Somalie. La reconnaissance de la Turquie comme « pays sûr » alors qu’elle est au sommet de l’autoritarisme, de la violence politique et de l’effondrement économique est cynique et politiquement motivée. Les personnes originaires des pays susmentionnés n’ont aucune chance d’obtenir un statut légal sûr en Turquie. En outre, elles sont exposées quotidiennement à l’exploitation du travail, au travail des enfants, aux abus sexuels, aux mariages forcés, à la traite des êtres humains, aux attaques racistes et aux meurtres. Alors que le racisme, la misogynie et les attaques organisées contre les minorités ont une longue histoire en Turquie, plusieurs attaques brutales contre des réfugiés ont eu lieu au cours des deux derniers mois seulement, ce qui prouve que la Turquie est de moins en moins sûre pour les réfugiés (tout comme elle l’est pour beaucoup de ses citoyens).

Migrants bloqués sur une île entre la Turquie et la Grèce

Depuis le 19 janvier, 25 Syriens et quatre Turcs sont bloqués sur une petite île au milieu du fleuve Evros, frontière naturelle entre la Turquie et la Grèce. Ils souhaitaient entrer sur le sol hellénique mais ont été refoulés par les autorités. Ankara refuse pour l’heure de les reprendre. Transis de froid, les migrants se retrouvent piégés entre les deux pays.

Cinq jours sur un minuscule bout de terre de moins de 150 m2. Depuis le 19 janvier, 29 personnes, 25 Syriens et quatre Turcs, sont bloqués sur une petite île au milieu du fleuve Evros, frontière naturelle entre la Turquie et la Grèce. Sans eau, ni nourriture, le groupe survit tant bien que mal, sans aide extérieure, alors que les températures sont négatives. Depuis Google map, l’endroit est visible. Il se trouve non loin d’Erdine, côté turc, et tout près de Kastanies, côté grec. « C’est un banc de sable avec quelques arbres. Et cette nuit, il fera -9 degrés », décrit Natalie Gruber, porte-parole de l’association Josoor, basée en Turquie, et qui recense les incidents à la frontière.

Selon la presse grecque, Athènes refuse d’organiser leur sauvetage, leur demandant à la place de retourner par leurs propres moyens en Turquie – en traversant l’Evros. L’association Josoor s’indigne d’une telle réaction et craint pour la vie de ces migrants. « Les courants du fleuve sont forts en hiver. Il est impensable de laisser des personnes entrer dans l’eau », s’offusque la porte-parole de l’association, contactée par InfoMigrants. « En plus, il a neigé ces derniers jours, le niveau de l’eau a peut-être monté ».

Côté turc, les autorités font également la sourde oreille. « Ils n’iront pas les chercher », continue Natalie Gruber. Il n’est pas rare que les forces de l’ordre se placent sur le rivage armes à la main pour intimider les exilés. « Ils sont donc souvent interdits de passage d’un côté et de l’autre », détaille la porte-parole de Josoor qui déplore l’absurdité de la situation. Chaque pays refuse en effet d’assumer la prise en charge de ces exilés en se renvoyant la balle question souveraineté de ces mini-îles.

Une zone militarisée

« Nous n’avons pas de contact direct avec les migrants bloqués », continue Natalie Gruber qui suit néanmoins la situation de près. La zone de l’Evros est militarisée et interdite aux civils (ONG et journalistes compris) côté grec et côté turc. « Les taxis, les seuls autorisés à entrer dans la zone militaire côté turc, nous ont dit que de nombreux soldats s’étaient massés non loin de la zone » où se trouvent les migrants.

Toujours selon la presse grecque, des mineurs se trouveraient parmi les exilés ainsi qu’une personne souffrant d’une maladie des reins.

Ce n’est pas la première fois que des migrants se retrouvent bloqués sur ces petits bouts de terre entre les deux pays. Au mois d’août 2021, une cinquantaine de personnes avaient déjà été piégées sur une île à la frontière terrestre gréco-turque sans abri, nourriture, ni eau potable. Les images envoyées à des associations montraient des membres du groupe sans chaussures, d’autres avec des ecchymoses et des blessures.

En mai 2021, un mineur non accompagné a été porté disparu après avoir contacté une dernière fois sa mère depuis une de ces petites îles, écrit encore Josoor sur son site. Au mois de mars, c’est cette fois-ci un autre groupe de 70 migrants dont une femme enceinte qui a été bloqué sur une île.

Une traversée risquée

Généralement, les autorités grecques repoussent les migrants non désirés directement vers les rives turques. « Mais depuis 2020, craignant des représailles [et suite à une détérioration des relations diplomatiques entre la Grèce et la Turquie, ndlr], les Grecs ne déposent plus toujours les migrants côté turc, ils ne s’approchent plus des rives voisines, ils laissent les exilés sur ces îles entre les deux pays », explique Natalie Gruber. « Ils leur disent ensuite de traverser l’Evros pour rejoindre la Turquie ».

L’été, la traversée peut être envisageable, le niveau de l’eau est plus bas à certains endroits de la rivière. Mais en hiver quand les courants sont forts, les risques de noyades sont élevés.

Cette année, côté grec, une quarantaine de corps ont été retrouvés dans la région de l’Evros, selon l’hôpital d’Alexandropoulis, à la frontière gréco-turque. La majorité des victimes sont des migrants qui se sont noyés dans le fleuve.

« Souvent, les Turcs finissent par céder », continue la porte-parole de l’association Josoor. « Ils autorisent les migrants à revenir en Turquie, mais ils cèdent au bout de plusieurs jours horribles pour les exilés ». 

 

 

Grèce, l’impasse aux portes de l’Europe

« Au sens figuré, la migration est pour moi comme un grand arbre. Les racines de l’arbre symbolisent les raisons et les motivations communes ou partagées… Les gens partent vers d’autres pays en rêvant d’un avenir meilleur pour leurs enfants, en fuyant la guerre, l’oppression et la violence, en vivant au-delà de la misère et des conflits – tout en emportant avec eux leurs drames et leurs peurs, leurs traumatismes et leurs espoirs. »

— Enri Canaj, photographe Magnum Photos, présent sur les îles grecques de Samos et Lesbos entre juillet et septembre 2020
Le camp de Moria en Grèce
A Moria, le centre d’accueil, conçu pour 2 757 personnes, héberge aujourd’hui environ 15 000 femmes, hommes et enfants. Le camp est devenu un lieu de violence, de privation, de souffrance et de désespoir. Lesbos, Grèce, en juillet 2020.

© Enri Canaj/Magnum Photos

En Grèce, sur les îles de Lesbos et de Samos, des dizaines de milliers de réfugiés et demandeurs d’asile sont bloqués dans les camps, vivant les uns sur les autres dans des conditions extrêmement précaires et indignes. Ces derniers 18 mois, à cause de la pandémie, la situation s’est encore détériorée.

Les conditions de vie insalubres et les camps surpeuplés sont propices à la propagation de l’épidémie de Covid-19. Compte tenu du manque de services sanitaires adéquats et des soins médicaux très limités, le risque de propagation du virus parmi les habitants des camps a été, et reste un facteur d’inquiétude. Comment réussir à faire respecter des mesures de prévention telles que la distanciation sociale ou le lavage des mains dans un tel contexte ? Des familles de cinq ou six personnes doivent dormir dans des espaces ne dépassant pas 3m2. Depuis le mois de mars 2020, les couvre-feux liés à l’épidémie de coronavirus et les restrictions de mouvements des demandeurs d’asile à Moria ont été prolongés sept fois pour une période totale de plus de 150 jours.

Enri Canaj était aussi sur place le 9 septembre 2020 lorsque plusieurs incendies se déclarent dans le camp pour réfugiés de Moria, sur l’île de Lesbos, détruisant la totalité des infrastructures et forçant les 12 000 hommes, femmes et enfants à fuir.

Incendie dans le camp de Moria
Plusieurs incendies se sont déclarés coup sur coup, détruisant la totalité du camp et forçant les habitants à fuir.

© Enri Canaj/Magnum Photos

Le lendemain d’un incendie qui a détruit une grande partie du camp de réfugiés, un autre incendie majeur a éclaté et la totalité du camp a été brûlée. Les réfugiés et les demandeurs d’asile sont évacués du camp mais n’ont pas été autorisés à entrer dans la ville voisine. © Enri Canaj/ Magnum Photos
A la suite de l’évacuation du camp de Moria, des milliers de réfugiés et demandeurs d’asile se sont retrouvés sans abri, obligés de dormir là où ils pouvaient. © Enri Canaj/ Magnum Photos

« Nos équipes ont vu l’incendie se propager à travers le camp toute la nuit. Tout était en feu. Nous avons vu les personnes fuir massivement les flammes, sans savoir où aller. Les enfants sont effrayés et les parents en état de choc. »

— Marco Sandrone, coordinateur de projet MSF à Lesbos
Une femme exprimant sa douleur suite au nettoyage de ses brûlures causées par les gaz lacrymogènes lancés par la police.
Île de Lesbos, 12 septembre 2020. Une femme exprime sa douleur après le nettoyage à l’eau de ses brûlures causées par les gaz lacrymogènes lancés par la police lors d’affrontements près de la ville de Mytilène.

© Enri Canaj/ Magnum Photos

« Ce que les gens affrontent chaque jour sur l’île est honteux », souligne Enri Canaj. Ces incendies ne sont que la partie visible de l’iceberg. En Grèce, des dizaines de milliers de réfugiés et demandeurs d’asile sont bloqués dans des camps à la suite des accords entre l’Union européenne et la Turquie, entrés en vigueur en mars 2016. Ces accords, dénoncés par de nombreuses organisations non-gouvernementales dont MSF, ont piégé des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivant dans des conditions insalubres, dégradantes et dangereuses.

Ces camps surpeuplés aux conditions de vies délétères engendrent des tensions parmi les habitants. « A Vathy, sur Samos, plus de la moitié de la population vivant dans le camp dort dans des tentes ou sous des bâches plastiques, entourée de détritus et d’excréments humains », dénonçait déjà Vasilis Stravaridis, directeur général de MSF Grèce, en 2019.

Une femme marche dans le camp de Moria.

Magulah et son mari Mohammad sont dans le camp de Moria depuis juillet 2019. Originaires d’Afghanistan, ils ont six enfants, mais tous ne sont pas à Moria. Elle explique: « Lors d’une tentative ratée pour rejoindre la Grèce depuis la Turquie, en 2018, nous avons été séparés de nos enfants. L’un d’eux est maintenant en Allemagne dans un camp de réfugiés, tandis que nous avons aussi un fils de 14 ans dans un hôpital en France. Nous avons repris contact avec lui il y a deux jours, pour la première fois après deux ans. Il souffre d’attaques de panique et a des problèmes de santé mentale. Tout le monde souffre ici. Les journées passent à vide et tout ce que nous faisons, c’est faire la queue. Il y a la queue pour la nourriture, pour l’eau, et nous devons attendre plus d’une heure pour aller aux toilettes. Nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps », dit Magula.

© Enri Canaj/ Magnum Photos

Des conséquences néfastes sur la santé

Said Abbasi, réfugié à Lesbos
« Depuis que la quarantaine a commencé, nous avons l’impression d’être en prison. Je dois demander la permission au camp pour aller chercher les médicaments de mon enfant et ils ne me permettent pas de partir. Je veux seulement pleurer et crier fort la douleur que j’ai dans mon âme. Je n’ai pas d’espace sûr où le faire. » Said Abbasi, réfugié à Lesbos.

© Enri Canaj/ Magnum Photos

Pour accéder aux soins médicaux, tous se heurtent à des obstacles. Les équipes de psychologues MSF travaillent pour apporter un soutien mental notamment aux personnes souffrant de dépression, d’anxiété ou de psychose. Elles accompagnent également les victimes de torture. Entre 2019 et 2020, les cliniques de santé mentale sur les îles de Chios, Lesbos et Samos ont pris en charge 1 369 patients, dont beaucoup souffraient de graves troubles en santé mentale, notamment de stress post-traumatique et de dépression. Plus de 180 personnes soignées par MSF s’étaient automutilées ou avaient tenté de se suicider. Deux tiers d’entre elles étaient des enfants. La plus jeune n’avait que six ans.

Un dessin d'enfant représentant des personnes se battant dans le camp.
Yasin vit dans un abri de fortune dans l’oliveraie de Lesbos avec son frère de 3 ans et leurs parents. Son dessin représente des personnes se battant dans le camp.

© Enri Canaj/Magnum Photos

Yasin a 9 ans et est originaire d’Afghanistan. Une fois par semaine, il se rend à la clinique pédiatrique MSF avec son père Mohtar, pour consulter un psychologue pour enfants. Il souffre de cauchemars et a constamment peur que quelque chose de grave ne lui arrive à Moria. Quand il sera grand, il veut «aider les enfants comme son psychologue» dans la clinique pédiatrique de MSF qui se trouve juste en face de Moria. Yasin vit dans un abri de fortune dans l’oliveraie, avec son frère de 3 ans et leurs parents. © Enri Canaj/ Magnum Photos
Golnegar est mère de six enfants. Sa dernière fille, âgée de 2 mois, est née à Samos. Golnegar et son mari ont pris la difficile décision de demander l’asile en Europe après avoir été pris pour cible par des groupes armés en Afghanistan et après avoir mis la vie de leurs enfants en danger. Ils se trouvent dans le camp de Vathy sur Samos, depuis plus de sept mois et, malgré la grossesse et l’état de santé de Golnegar, on ne leur a toujours pas proposé d’endroit sûr où résider. © Enri Canaj/ Magnum Photos

« Il y a un problème avec mon rein, explique Golnegar, réfugiée afghane à Samos. Je souffre et j’ai des maux de tête tous les jours, mais malgré mes efforts pour voir un médecin dans le camp ou à l’hôpital local, cela n’a pas été possible jusqu’à présent. Tous mes enfants ont des piqûres d’insectes sur le corps et ils se plaignent souvent de se sentir malades, mais je ne peux rien faire pour eux. Son mari ajoute : « Nous voulons seulement un endroit sûr pour nos enfants. Nous sommes venus ici pour les sauver de la guerre et les emmener à l’école, mais au lieu de cela, nous nous sommes retrouvés dans ce camp à attendre dans les limbes pendant presque un an. »

« Nous voulons simplement commencer une vie paisible et emmener nos enfants à l’école, et cela n’est possible que sur le continent ou dans d’autres pays européens. Combien de temps devrons-nous rester dans ce camp de fortune ? »

— Mari de Goldnegar, demandeur d’asile à Samos
L'équipe de promotion de la santé assure une partie essentielle du travail de Médecins Sans Frontières dans le centre d’accueil de Vathy, à Samos.
L’équipe de promotion de la santé assure une partie essentielle du travail de Médecins Sans Frontières dans le centre d’accueil de Vathy, à Samos. L’activité consiste à éduquer à la santé afin de prévenir les maladies et s’assurer que les projets MSF soient accessibles à la population du camp.

© Enri Canaj/Magnum Photos

Source https://50years.msf.org/topic/2/fr/grece-l-impasse-aux-portes-de-l-europe?fbclid=IwAR2kssTL2YijIrzB49t6wtR6RoF3-iGgMYMvlT_LvcaHARDiSh1WJVldkN0

L’horreur des refoulements des réfugiés

25 personnes dont 17 enfants de bas âge ont été arrêtées à Lesvos, battues, dépouillées de leur bien et laissées à dériver en pleine mer sur un radeau de sauvetage (life raft). la nuit du 10 janvier. Cette opération de refoulement d’une violence extrême qui  par miracle n’a pas coûté la vie à un bébé jeté en mer et qui a eu comme résultat l’hospitalisation en Turquie de deux bébés et d’une jeune fille avec une jambe cassée, est décrite d’une façon très documentée, photos, vidéos et archives sonores à l’appui par Aegean Boat Report. Voir ci-dessous la traduction du texte d’origine aaegeanboatreport.com/2022/01/13/17-children-left-drifting-at-sea/   17 Children Left Drifting At Se

et se reporter au blog de l’organisation pour avoir accès aux documents.

Merci de penser à relayer le plus largement possible La « normalisation » de cette horreur va finir par nous déshumaniser complètement toutes et tous.   


17 enfants laissés à la dérive en mer

Vingt-cinq personnes, dont 17 jeunes enfants, ont été arrêtées à Lesvos, battues et maltraitées avant d’être abandonnées à la dérive en pleine mer, dans le cadre du dernier outrage commis par des agents grecs en uniforme. Et le « crime » commis par ces 25 personnes, pour justifier leur expérience horrible aux mains de personnes qui sont payées pour sauver et protéger des vies humaines ? Rien du tout. Elles tentaient simplement de trouver un endroit sûr pour vivre, apprendre et travailler.

Dans l’après-midi du dimanche 9 janvier, un bateau transportant 25 personnes a accosté au sud de Tsonia, au nord-est de Lesvos. Immédiatement après leur arrivée, le groupe s’est caché dans les bois des environs, craignant d’être renvoyé illégalement en Turquie s’il était découvert par la police. À 17 heures, ils ont contacté Aegean Boat Report pour demander de l’aide.

Dans les heures qui ont suivi, ils ont fourni des photos, des vidéos, des messages vocaux et des données de localisation, afin de documenter leur présence sur Lesvos : il ne faisait aucun doute qu’ils étaient sur l’île.

Le groupe avait désespérément besoin d’aide, mais malgré mes efforts pour trouver quelqu’un, je n’ai pu localiser personne qui puisse les aider sur Lesvos. Aegean Boat Report a publié un message public sur les médias sociaux, avec un appel à l’aide urgent, mais aucune organisation ne s’est manifestée, personne ne pouvait protéger ces personnes, pas même les 17 enfants.

De nombreuses organisations s’empressent de critiquer lorsque des personnes se noient dans la mer Égée, pointant du doigt les responsables. Mais lorsqu’elles ont la possibilité d’intervenir, avant que les gens ne soient mis dans des situations potentiellement dangereuses, elles ne disent et ne font rien.

La prochaine fois que des personnes se noieront dans la mer Égée, ces mêmes organisations profiteront de l’occasion pour « montrer leur sympathie » aux victimes, car cela correspond à leur « profil humanitaire », il est financièrement rentable de sembler être du côté de l’humanité. Le mot hypocrisie vient à l’esprit.

Mais il y a aussi des raisons.

À Lesvos, ou sur n’importe quelle autre île d’ailleurs, il n’y a personne capable d’aider, même s’il le voulait, aucune organisation locale, aucune ONG, aucun bénévole, aucun journaliste ou avocat, qui se rendrait sur place pour aider des personnes qui viennent d’arriver, pas même pour documenter leur présence. Parce que s’ils le font, et que la police les trouve, ils risquent d’être arrêtés sur place, accusés d’avoir facilité l’entrée illégale en Grèce, d’entrave aux enquêtes de police et de tout autre chef d’accusation qu’ils pourraient trouver, ceci juste parce qu’ils ont essayé d’aider des personnes vulnérables cherchant la sécurité en Europe.

Telle est, malheureusement, la réalité aux frontières de l’Europe. Les politiciens européens ne défendent plus « nos valeurs européennes » : ces valeurs ont disparu. Ce ne sont que des mots sans substance, utilisés dans des discours pour donner l’impression qu’ils font quelque chose. Ce n’est pas le cas.

Le groupe de 25 personnes est resté caché dans les bois toute la nuit, attendant la lumière du jour. Il faisait froid, ils n’avaient ni vêtements secs, ni nourriture, ni eau. C’était particulièrement difficile pour les nombreux petits enfants.

Aux premières lueurs du jour le lundi 10 janvier, ils ont commencé à se diriger vers le village le plus proche, Tsonia, afin d’être vus par les habitants, dans l’espoir que la sensibilisation du public empêcherait la police de les repousser.

À 8 heures le 10 janvier, Aegean Boat Report a envoyé un courriel aux organisations, ONG, autorités et au médiateur grec, pour leur dire que le groupe souhaitait demander l’asile en Grèce et avait besoin d’une protection internationale. Nous n’avons reçu aucune réponse. La lettre a également été publiée sur Facebook et Twitter pour sensibiliser le public :

« 25 réfugiés sont arrivés à Lesvos hier et ont été annoncés aux autorités, au médiateur grec et au HCR Grèce par Aegean Boat Report ce matin. Nous avons exhorté le HCR et le médiateur à jouer un rôle de médiateur direct pour s’assurer que leurs droits humains seront respectés. 17 des 25 personnes du groupe sont des enfants ».

À 10 h 20, ils sont arrivés à la périphérie du village, mais ils avaient trop peur pour continuer à marcher. Ils ont vu plusieurs voitures et des habitants du village.

Une heure plus tard, à 11 h 20, ils ont informé Aegean Boat Report que la police les avait trouvés. Tout contact a alors été perdu avec le groupe, tous les téléphones sont tombés en panne, tout ce que nous pouvions faire était d’attendre et d’espérer qu’ils soient emmenés dans un camp. Cela ne s’est pas produit. Aucun nouvel arrivant n’a été enregistré par les autorités de Lesvos ce jour-là, ni les jours suivants.

Nous avons appris plus tard par des résidents locaux que la police circulait dans la région dans des voitures civiles – un minivan gris avec quatre hommes en uniformes sombres a particulièrement attiré leur attention. Cette voiture s’est arrêtée à la périphérie du village, et quatre hommes en sont sortis. Tous portaient des cagoules, que les habitants de la région n’utilisent pas pendant la récolte.

La voiture a été filmée, et on peut clairement voir la plaque d’immatriculation IZH:1548 à l’arrière, ainsi qu’un homme debout derrière elle.

Les réfugiés ont ensuite expliqué que ceux qui les avaient trouvés c’étaient quatre hommes cagoulés, en uniforme de couleur foncée et tous armés. Après avoir vu des photos de la voiture, ils ont confirmé qu’il s’agissait de la même que celle utilisée par les « commandos » qui les ont trouvés.

Lorsque les personnes ont été repérées dans la banlieue de Tsonia par ces « commandos », certaines d’entre elles ont tenté de s’enfuir, a déclaré l’un des réfugiés. Quatre coups de feu ont été tirés pour les forcer à rentrer dans le rang. Tout le monde avait très peur, les enfants pleuraient, c’était une épreuve horrible.

Les gens ont été tenus en joue dans cet endroit pendant plus d’une heure. Tout le monde a été fouillé de force, et tous leurs effets personnels, sacs, papiers, argent et téléphones leur ont été arrachés.

Les habitants de la région ont vu une grande camionnette blanche arriver dans le secteur vers midi, puis repartir environ une heure plus tard, précédée d’un minibus gris. Tous les réfugiés qu’ils avaient vus plus tôt avaient disparu, et ils ont donc supposé que la camionnette les avait emmenés. La même camionnette blanche a été utilisée pour transporter des réfugiés lors de plusieurs débarquements précédents, et dans tous ces cas, les personnes ont été évacuées de force de l’île et refoulées vers la Turquie.

Les habitants de Lesvos savent que ces véhicules « civils » sont utilisés par la « police secrète » pour se fondre dans la masse, mais tout le monde sait que les hommes qui s’y trouvent sont des militaires chargés par les autorités grecques de « chasser » les réfugiés.

Lundi 10 janvier, en fin d’après-midi, Aegean Boat Report a reçu un message vocal désespéré de l’une des personnes du groupe auquel nous avions parlé à Lesvos plus tôt dans la matinée. Ils avaient réussi à cacher un téléphone à la police de Lesvos, et avaient juste assez de batterie sur le téléphone pour passer un appel d’urgence aux garde-côtes turcs, et envoyer un message vocal à Aegean Boat Report. Aucune localisation n’a été reçue, et le téléphone était à nouveau hors ligne.

Nous avons immédiatement contacté les garde-côtes turcs (TCG), mais sans localisation, ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Le TCG a déclaré qu’il n’avait trouvé personne dans la région de Lesvos, mais qu’il venait de recevoir des informations sur un groupe de personnes en détresse à l’extérieur de Seferihisar.

Nous avons écarté la possibilité qu’il s’agisse du même groupe, en raison de la distance de Lesvos ; nous pensions qu’ils ne transporteraient pas des personnes sur plus de 200 km pour effectuer un repli.

Mais après minuit, les garde-côtes turcs ont informé Aegean Boat Report qu’ils avaient localisé et secouru le groupe pour lequel nous les avions contactés plus tôt : 25 personnes avaient été trouvées à la dérive dans un radeau de sauvetage près de Seferihisar, en Turquie, dont 17 enfants.

Les garde-côtes helléniques avaient transporté ce groupe sur plus de 200 km pour pouvoir les refouler, ce qui montre la détermination des autorités grecques à éloigner quiconque par tous les moyens possibles. Alors, pourquoi ne les ont-ils pas simplement refoulés à la proximité de Lesbos, comme ils le font habituellement dans ces cas-là ? L’explication est assez simple, la direction du vent à ce moment-là était le nord-ouest, et s’ils avaient placé le radeau de sauvetage dans la mer, il aurait dérivé vers les eaux grecques.

Hier, nous avons repris contact avec le groupe, qui se trouve désormais dans une installation de quarantaine à Seferihisar, en Turquie, et ils nous ont expliqué ce qui leur était réellement arrivé.

Leur expérience est tout simplement horrible.

La police les a trouvés à la périphérie du village, où ils ont été fouillés, et tous leurs biens ont été confisqués. Après une heure, une camionnette blanche est arrivée et tout le monde a été forcé de monter à l’arrière : « Ils nous ont traités comme des ordures », nous a dit une femme. « Ils nous ont donné des coups de pied et nous ont battus, même certains enfants ont été battus ».

Il est difficile d’en être sûr, mais ils pensent que la voiture a roulé pendant plus d’une heure. Lorsqu’elle s’est finalement arrêtée, ils se trouvaient dans une sorte de port, où un petit bateau gris à deux moteurs attendait sur un quai en bois. Lorsqu’ils sont sortis de la camionnette, il y avait 10 à 15 hommes masqués, tous en uniforme  foncée, portant des armes. Les gens ont reçu l’ordre de baisser les yeux et de rester silencieux, et il y a eu beaucoup de cris. Les enfants pleuraient, terrifiés par les hommes masqués. Le bateau pneumatique semi-rigide gris à deux moteurs emmène les gens par petits groupes vers un plus grand navire. Dans le  bateau pneumatique, il y avait trois hommes masqués et armés.

Le grand bateau était gris, avec des rayures bleues et blanches à l’avant. Après avoir regardé des photos de navires des garde-côtes helléniques (HCG), ils ont identifié le bateau comme étant un navire de patrouille offshore de classe Sa’ar 4 appartenant aux garde-côtes helléniques.

Tout le monde a été placé à l’extérieur, au milieu du bateau, ont-ils expliqué : « Ils nous ont mis sous une bâche en plastique blanc, pour que personne ne puisse nous voir, et nous ont dit qu’ils allaient nous emmener à Athènes ».

C’était bien sûr un mensonge, mais les gens voulaient désespérément croire que c’était vrai.

Après 7-8 heures, le bateau s’est arrêté. Il faisait nuit dehors et il y avait beaucoup de vent, et le bateau de patrouille HCG était déplacé d’avant en arrière par les vagues. Un étrange bateau a été mis à la mer, ont-ils dit : « Tout le monde a été forcé de descendre dans ce bateau, le bateau n’avait pas de moteur, ceux qui refusaient ou ne bougeaient pas assez vite étaient jetés dans le bateau« .

Vingt-cinq personnes, dont 17 enfants, ont été embarquées de force dans un radeau de sauvetage par les garde-côtes grecs.

Une femme explique qu’un petit bébé a fini dans la mer : « La police grecque a jeté le bébé en bas du bateau grec, mais a manqué le radeau de sauvetage, heureusement nous avons réussi à remettre le bébé dans le radeau.  Une autre fille a été poussée du navire grec et s’est cassé la jambe, c’était barbare, ils y prenaient plaisir, comme si nous n’étions pas des humains. »

Vers 22 heures le 10 janvier, le groupe a été laissé à la dérive dans un radeau de sauvetage à l’extérieur de Seferihisar par les garde-côtes grecs. Ils ont réussi à appeler à l’aide et, une heure plus tard, à 23 h 15, ils ont été retrouvés et secourus par les garde-côtes turcs.

Lorsqu’ils sont arrivés au port de Seferihisar, deux bébés et une fille de 13 ans, Harir, ont été emmenés à l’hôpital. Les bébés souffraient de problèmes respiratoires, de vomissements et de fièvre, et Harir avait une jambe cassée après avoir été jeté du navire des garde-côtes grecs.

Plusieurs autres personnes avaient des bleus et des blessures. Un garçon de 16 ans a été battu au visage et a subi des coupures aux yeux et à la bouche, un autre avait des bleus sur tout le dos après avoir été battu. Une petite fille a montré son bras, plein d’ecchymoses après avoir été piétinée par l’un des hommes masqués à bord du navire des garde-côtes grecs.

Après avoir entendu leurs témoignages, vu les photos et les vidéos, je ne peux m’empêcher d’avoir honte.

Comment pouvons-nous expliquer cela à qui que ce soit, alors que nous ne faisons rien pour l’empêcher : nous laissons faire.

Il n’y a absolument aucun doute sur l’identité des responsables de ces refoulements illégaux, ni sur le fait que la Commission européenne et ses représentants ne lèvent pas et ne lèveront pas le petit doigt pour tenter de mettre fin à ces violations.

C’est un embarras, non seulement pour la Commission européenne, mais pour toute l’Europe.

Cela dure depuis plus de 22 mois. Plus de 25 000 personnes ont été repoussées illégalement dans la mer Égée, 485 radeaux de sauvetage ont été retrouvés à la dérive, transportant 8 400 personnes, tout cela aux mains du gouvernement grec, béni et soutenu par la Commission européenne.

Il s’agit de violations du droit international et des droits de l’homme financées par les contribuables européens.

La commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a dit un jour : « Les refoulements ne devraient jamais être normalisés, les refoulements ne devraient jamais être légalisés. »

Mais les refoulements sont normalisés, et se produisent tous les jours en Grèce, en Italie, en Espagne, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie, en Pologne, en fait sur toute la route des Balkans et à la frontière extérieure de l’UE. C’est illégal. C’est immoral. C’est de la barbarie, et nous – le peuple de Grèce, le peuple d’Europe et le peuple du monde – méritons beaucoup, beaucoup mieux.

Posted byTommy OlsenJanuary 13, 2022Posted inBlog

L’Italie abandonne les poursuites contre Carola Rackete

Le tribunal d’Agrigente, en Sicile, a abandonné toutes les poursuites contre la capitaine du Sea-Watch 3. Carola Rackete était poursuivie pour avoir, en 2019, forcé l’entrée dans le port de Lampedusa avec 42 migrants secourus au large de la Libye. « Dans notre histoire moderne, les violations des droits les plus graves n’ont pas été perpétrées par des individus mais par des États », a réagi la militante.

C’est une victoire pour les associations d’aide aux migrants en mer. Le tribunal d’Agrigente, en Sicile, a définitivement abandonné les poursuites contre Carola Rackete, a-t-on appris jeudi 23 décembre. La capitaine du Sea-Watch 3 était poursuivie pour avoir forcé en juin 2019 l’entrée dans le port de Lampedusa avec 42 migrants secourus au large de la Libye. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Matteo Salvini, avait refusé de laisser accoster le navire humanitaire dans le cadre de sa politique des ports fermés.

Carola Rackete a agi dans l’accomplissement du devoir de sauvetage prévu par le droit international de la mer

Plus de deux ans plus tard, le tribunal a estimé que Carola Rackete avait fait son devoir en protégeant les personnes à bord de son bateau, et que la décision de Matteo Salvini était « contre les normes ». « Carola Rackete a agi dans l’accomplissement du devoir de sauvetage prévu par le droit national et international de la mer », note la juge en charge de l’affaire Micaela Raimondo.

Selon cette dernière, « un navire en mer ne peut être considéré comme un lieu sûr : en plus d’être à la merci d’évènements météorologiques défavorables, il ne permet pas le respect des droits fondamentaux des personnes secourues ». Idem pour la Libye, dont les ports ne sont pas des lieux de sécurité, en raison des conditions de vie des migrants dans le pays où « des milliers de [personnes] sont en détention arbitraire et sont soumis à la torture », signale encore la juge, en se basant sur un rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR).

Matteo Salvini encourt quant à lui toujours 15 ans de prison

Dans un communiqué, la capitaine a salué cette décision, critiquant par la même occasion la politique migratoire des États membres de l’Union européenne (UE). « Dans notre histoire moderne, les violations des droits les plus graves n’ont pas été perpétrées par des individus mais par des États », estime Carola Rackete. « Au cours des dernières années l’UE et ses États membres ont dépenser des millions pour militariser la frontière (…) L’agence européenne de protection des frontières Frontex est complice du retour forcé de milliers de personnes victimes de graves violations des droits humains en Libye. Des refoulements illégaux sont perpétrés en Grèce, en Croatie et en Pologne« , rappelle la militante.

>> À (re)lire : Carola Rackete, la capitaine du Sea Watch 3 devenue icône de la défense des migrants

Ce n’est pas la première fois que Carola Rackete obtient gain de cause. En mai dernier, la justice italienne avait rejeté une plainte déposée par le parquet sicilien d’Agrigente à l’encontre de la capitaine. Elle était accusée, dans la même affaire, de « violences contre un navire de guerre » pour avoir tenté une manœuvre dangereuse contre une vedette des douanes italiennes qui voulait l’empêcher d’accéder au port.

De son côté Matteo Salvini n’en a revanche pas fini avec la justice. Le leader de l’extrême-droite italienne est accusé de séquestration et d’abus de pouvoir, et encourt jusqu’à 15 ans de prison. Il avait interdit en août 2019 le débarquement de 147 migrants secourus en mer par l’ONG Open Arms et refusé pendant six jours de le laisser accoster à Lampedusa.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/37446/litalie-abandonne-les-poursuites-contre-carola-rackete-la-capitaine-du-seawatch-3

Grèce : face aux restrictions, les migrants cherchent d’autres routes

Face à la politique migratoire restrictive mise en place par le gouvernement conservateur grec, les migrants et les passeurs cherchent d’autres routes pour entrer en Europe. Un phénomène qui s’observe particulièrement à travers les accidents.

Avec notre correspondant à Athènes, Joël Bronner

En Grèce, des dizaines de migrants ont été portés disparus à la suite du naufrage de leur canot au large de l’île de Folegandros, dans l’archipel des Cyclades. Les garde-côtes grecs ont précisé avoir pour l’instant porté secours à douze personnes, dont des enfants, tandis que trois personnes au moins sont décédées.

Trois corps sans vie ont été retrouvés mercredi 22 décembre près de l'île grecque de Folegandros.
Trois corps sans vie ont été retrouvés mercredi 22 décembre près de l’île grecque de Folegandros.

Cet accident, relativement éloigné des îles de la mer Égée où se situent les camps de réfugiés, semble témoigner des tentatives de la part des migrants et demandeurs d’asile de trouver des routes alternatives, à l’heure où la Grèce durcit continuellement sa politique migratoire.

Les autorités l’ont maintes fois répété depuis cet été, le pays ne veut pas redevenir « la porte d’entrée de l’Europe ». Un statut que la Grèce avait acquis à l’occasion de la crise migratoire de 2015 et 2016, lorsque plus d’un million de personnes étaient arrivées sur le continent européen, en provenance en particulier de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan.

Éviter les îles de la mer Égée comme Lesbos et Samos

Au pouvoir depuis 2019, le gouvernement conservateur grec ne cesse de durcir la politique migratoire du pays, avec notamment la multiplication des rejets de demandes d’asile, des camps de plus en plus fermés, ou encore des refoulements très fréquents.

Face à ce durcissement, passeurs et migrants cherchent des routes alternatives, qui évitent les îles de la mer Égée, telles que Lesbos et Samos. Un phénomène, qui s’observe particulièrement au moment des accidents.

En octobre, une embarcation de 400 migrants a ainsi dérivé plus à l’ouest, entre Rhodes et la Crète, avant d’être secourue. Sur l’ensemble de la Méditerranée, la dangerosité des routes migratoires a causé officiellement la mort, cette année, de plus de 1 300 personnes. Un « cimetière froid sans pierre tombale », dont s’est ému le pape, à Lesbos, au début du mois.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/37402/grece–face-aux-restrictions-les-migrants-cherchent-dautres-routes

Demandeurs d’asile détenus illégalement en Grèce

Grèce. Des demandeurs·euses d’asile sont détenus illégalement dans un nouveau camp financé par l’UE

Les demandeuses et demandeurs d’asile hébergés dans le nouveau camp de réfugiés financé par l’Union européenne (UE) sur l’île de Samos sont détenus illégalement par les autorités grecques en application d’une décision du ministre grec des Migrations et de l’Asile qui n’a pas encore été publiée, d’après les informations reçues par Amnesty International.

Conformément à cette décision, depuis le 17 novembre, les personnes qui n’ont pas de documents d’identité valides délivrés par le gouvernement (cartes d’asile) ne sont pas autorisées à quitter le camp, et ce pour une durée indéterminée. Cette décision s’applique aux personnes à qui on a retiré leur carte du fait du rejet de leur demande d’asile ou aux nouveaux arrivants qui n’ont pas encore reçu la leur. Selon des estimations non officielles, sur environ 450 personnes habitant dans le camp, une centaine s’est vu interdire de quitter ce site aux airs de prison depuis plus de deux semaines, en violation de leur droit à la liberté.

Ce camp ressemble davantage à une prison qu’à un lieu d’hébergement pour des personnes en quête de sécurité. Il illustre la mauvaise utilisation des fonds de l’UE et constitue une violation flagrante des droits des personnes qui y séjournent

Adriana Tidona, chercheuse sur les questions migratoires à Amnesty International

Le nouveau « centre fermé à l’accès contrôlé » (KEDN) de Samos, financé par l’UE, a été bâti sur un site isolé, à 6 km de la ville principale, Vathi. Il peut accueillir jusqu’à 3 000 personnes et est équipé d’un système strict de confinement et de surveillance, notamment d’une double clôture barbelée, d’un système de vidéosurveillance couvrant tout le camp et de la présence sept jours sur sept et 24 heures sur 24 de patrouilles de policiers et d’agents de sécurité privés.

Les déplacements des résident·e·s à l’intérieur et à l’extérieur du camp ne sont autorisés qu’entre 8 heures et 20 heures et sont soumis à des contrôles de sécurité par le biais de portes magnétiques.

Les personnes et les familles touchées par la décision du 17 novembre ne peuvent pas quitter le camp pour vaquer à leurs tâches quotidiennes, assister à des cours ou à des activités organisés par l’ONG locale Alpha land située non loin, ni pour se rendre dans le centre-ville.

A., un Afghan originaire de Kaboul qui réside dans le camp avec sa femme et ses enfants, est arrivé en Grèce en janvier 2020. Sa demande d’asile a été rejetée à de multiples reprises et sa carte d’asile retirée, ce qui l’empêche de quitter le camp. Avant d’être transféré au « centre fermé à l’accès contrôlé », il vivait avec sa famille dans la « jungle », un campement sauvage autour de l’ancien camp de Samos, tristement célèbre pour ses terribles conditions de vie.

Depuis le conteneur où il vit avec sa famille, il a déclaré à Amnesty International que la sécurité est bien meilleure dans le nouveau camp, tout en regrettant : « Ils nous traitent comme des prisonniers… On devient vraiment fou dans cet endroit. On ne peut pas revenir en arrière. Ni avancer. J’ai du mal à dormir… Notre vie n’a pas de but, nous vivons dans l’angoisse permanente. » Depuis cinq jours, seuls ses enfants sont autorisés à sortir du camp pour aller à l’école.

Un autre Afghan, H., en Grèce depuis février 2020, a vu sa demande d’asile rejetée à deux reprises et n’a pas quitté le camp depuis cinq jours. Avant la décision du 17 novembre, il était actif à l’extérieur du camp : « J’étudiais l’anglais et je faisais du bénévolat. Depuis cinq jours, j’ai l’impression d’être un prisonnier. Dans l’ancien camp, au moins, j’étais libre. »

Amnesty International a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations au sujet du remplacement par la Grèce des camps ouverts par ces « centres fermés à l’accès contrôlé », s’interrogeant sur la possibilité de concilier cette politique avec les normes relatives aux droits humains en matière de privation de liberté. En vertu du droit international et du droit européen, les demandeurs·euses d’asile ne doivent être placés en détention qu’en dernier ressort, après un examen détaillé de leur situation personnelle, pour une durée aussi brève que possible et dans le cadre d’une procédure prévue par la loi qui leur permet de contester la décision.

Or, à Samos, ils sont systématiquement et massivement privés de leur liberté pour une durée indéterminée, sur la base de motifs juridiques non transparents ou illégitimes, sans possibilité de contester leur enfermement.

« Comme nous le craignions, les autorités grecques se cachent derrière le concept juridiquement ambigu des centres dits fermés et surveillés pour priver illégalement les demandeurs·euses d’asile de leur liberté. Nous invitons la Grèce à lever cette décision sans attendre, ainsi que les restrictions imposées aux personnes qui vivent dans le camp de Samos. Enfin, la Commission européenne doit veiller au respect des droits fondamentaux dans les structures financées par l’UE », a déclaré Adriana Tidona.

Complément d’information

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue sur le site du « centre fermé à l’accès contrôlé » de Samos (en grec Κλειστή Ελεγχόμενη Δομή Νήσων, KEDN) le 22 novembre 2021, le 5e jour des restrictions, et a rencontré des personnes concernées.

Ce centre a été bâti sur l’île de Samos avec la contribution des 276 millions d’euros alloués par la Commission européenne à la construction de nouvelles structures d’accueil pour les demandeurs·euses d’asile sur les îles de la mer Égée, dans le but de remplacer les camps ouverts gérés par le gouvernement.

Le 27 novembre, les autorités grecques ont inauguré des centres fermés à l’accès contrôlé sur les îles de Leros et Kos. D’autres suivront à Lesbos et Chios.

Outre les restrictions imposées aux déplacements à Samos, les demandeurs·euses d’asile en Grèce n’ont pas reçu d’aide financière depuis deux mois, les aides perçues s’étant brutalement arrêtées lorsque la gestion du programme d’allocations en espèces financé par l’UE a été transférée du HCR aux autorités grecques. Selon des ONG en Grèce, quelque 34 000 demandeurs·euses d’asile sont actuellement concernés.

Selon certaines ONG, depuis octobre 2021, les autorités grecques ont également cessé de fournir de la nourriture et de l’eau aux réfugiés reconnus en tant que tels et aux demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée.

Source https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/12/greece-asylum-seekers-being-illegally-detained-in-new-eu-funded-camp/

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