Ce matin, les dernières personnes rescapées à bord de l’Ocean Viking ont enfin posé le pied dans le port de Pozzallo, en Sicile.
Depuis 10 jours, elles étaient 294 à bord de notre navire à attendre que les autorités compétentes désignent un lieu sûr où débarquer. Pour ces femmes, enfants et hommes fragilisé.e.s physiquement et psychologiquement par leur périple, cette incertitude devenait insupportable.
« Plus l’attente est longue, plus le désespoir s’installe et plus l’espoir s’éloigne », nous confiait Inoussa*, secouru le 25 avril. Quelques heures avant son sauvetage, il assistait impuissant à la noyade de l’un de ses amis, tombé à l’eau avec onze autres personnes de son embarcation.
Lundi, la météo s’est rapidement dégradée et les trois quarts des rescapé.e.s ont souffert de mal de mer. Une personne a dû être évacuée par les autorités italiennes pour raisons médicales. « Retenir sur un navire de sauvetage des rescapé.e.s ayant frôlé la mort en mer est indigne », déclarait Luisa, coordinatrice de nos opérations de recherche et de sauvetage à bord.
Ce soir, 294 personnes dont 127 mineurs non accompagnés et un bébé d’un an dormiront enfin sur la terre ferme. Si nous avons pu les sauver et les protéger, c’est grâce à vous.
Aidez-nous à continuer notre mission de sauvetage : faites un don! « Retenir sur un navire de sauvetage des rescapé.e.s ayant frôlé la mort en mer est indigne. » – Luisa Albera, coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking
Témoignage de Luisa Albera, coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking
« Après jusqu’à dix jours en mer dans des conditions météorologiques difficiles, les 294 femmes, enfants et hommes encore à bord, secourus en Méditerranée centrale par l’Ocean Viking au cours de quatre opérations difficiles, sont épuisé.e.s. Retenir sur un navire de sauvetage des rescapé.e.s qui ont frôlé la mort en mer est indigne. Les équipes de SOS MEDITERRANEE et de la FICR font tout leur possible pour les soigner et soulager leurs souffrances, mais un navire n’est qu’un abri temporaire. Ces personnes ont besoin d’urgence de débarquer en toute sécurité et de recevoir l’aide dont elles ont tant besoin. »
Photo ci-dessus: Claire Juchat / SOS MEDITERRANEE
Lundi dernier, une forte houle a provoqué le mal de mer chez plus des trois-quarts des rescapé.e.s. La plupart ont eu besoin de médicaments pour atténuer leur épuisement. Cette épreuve a encore plus contribué à détériorer l’état de santé physique et mentale d’une population déjà vulnérable… Dans l’après-midi, un des patients a dû être référé d’urgence aux autorités italiennes pour une évacuation sanitaire.
Après douze demandes de lieu sûr de débarquement, nous sommes toujours sans solution. Nous constatons que ce retard injustifié exacerbe de jour en jour la souffrance et la détresse psychologique de personnes qui ont déjà traversé des événements extrêmement traumatisants.
Des femmes et des enfants, dont le plus jeune n’a qu’un an, figurent parmi les rescapé.e.s. Il y a 127 mineurs à bord qui voyagent seuls parmi les 294 rescapé.e.s ; ils ont dû faire face à des épreuves qu’aucun enfant ne devrait jamais avoir à subir.
Plusieurs des personnes secourues par l’équipe de SOS MEDITERRANEE le 25 avril nous ont raconté le récit déchirant de la perte de douze de leurs compagnons, qui sont tombés à l’eau et se sont noyés en tentant la traversée de nuit. Un jeune homme, que nous appellerons Inoussa pour protéger son identité, a raconté à nos équipes qu’il a perdu un ami dans ce tragique événement. Ce dernier rassurait tous ceux qui se trouvaient à bord de l’embarcation surpeuplée pendant leur voyage nocturne en mer, leur conseillant de « rester calme » et « d’éviter la panique ». « Nous avons trois options », a dit l’ami d’Inoussa à tous ceux qui étaient en détresse juste avant l’événement tragique, « mourir, être ramené en Libye, ou finalement atteindre la sécurité ». Inoussa conclut : « Mon ami a été emporté par la première option, il est mort en mer ».
Les équipes de SOS MEDITERRANEE et de la Fédération Internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (FICR) fournissent une assistance médicale et psychologique aux survivant.e.s 24 heures sur 24. Cependant, un navire n’est pas le lieu approprié pour prendre en charge de manière prolongée des personnes extrêmement vulnérables et traumatisées. De nombreux rescapé.e.s ont décrit avoir été soumis à des violences et des abus extrêmes en Libye et lors de leur parcours migratoire, en plus de leurs souffrances en mer. Inoussa, secouru le 25 avril par l’Ocean Viking, a partagé son désespoir hier matin : « Je me sens malade de voir mon ami vomir à cause du mal de mer, de voir les femmes et les enfants souffrir de cette attente prolongée en mer. Les vagues, la même nourriture d’urgence tous les jours, dormir sur le pont… » Tous les rescapé.e.s à bord ressentent le besoin urgent de débarquer. « Plus l’attente est longue, plus le désespoir s’installe et plus l’espoir s’éloigne », a déclaré Inoussa.
Nous demandons expressément aux autorités compétentes de mettre fin à cette impasse et de s’acquitter de leur obligation légale de désigner un lieu sûr sans plus tarder.
Le droit maritime, tel que stipulé dans le règlement SOLAS, impose « aux gouvernements l’obligation de coordonner [les sauvetages] et de coopérer afin que les capitaines de navires qui prêtent assistance en embarquant des personnes en détresse en mer soient libérés de leurs obligations » et de veiller à ce que « dans tous les cas, un lieu sûr soit fourni dans un délai raisonnable. » Les survivant.e.s ont attendu en mer pendant plus d’une semaine après leur sauvetage, cela ne peut être considéré comme raisonnable. Une fois de plus, les États européens ne parviennent pas à garantir un mécanisme régulier et coordonné de débarquement pour aider les personnes en détresse en mer. »
Luisa Albera, coordinatrice de recherche et de sauvetage de SOS MEDITERRANEE
Source https://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/CP-04-05-2022