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 Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches

« Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches » pour affronter la crise sanitaire

Eric Toussaint interviewé par Karen Mendez Loffredo

Lorsque l’urgence sanitaire liée au COVID-19 passera, de nombreux pays du monde entier seront confrontés à un autre défi majeur : la crise économique laissée par le coronavirus. Pour l’éviter, de nombreuses propositions sont sur la table : le non-paiement de la dette en fait partie.

Éric Toussaint, historien belge et docteur en sciences politiques de l’Université de Liège (Belgique), a passé une bonne partie de sa vie à auditer les dettes de différents pays du monde et à demander leur annulation/répudiation en raison de leur caractère « illégitime et odieux ».

Aujourd’hui, alors que le monde est confronté à l’une des pires crises sanitaires et économiques depuis la Seconde Guerre mondiale, cette demande commence à résonner dans différentes régions du monde.

Récemment, le pape François, lors de la messe du dimanche de Pâques, a demandé l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres. Un appel qui, peu de temps auparavant, avait déjà été lancé depuis l’Amérique latine par plusieurs anciens présidents et dirigeants politiques mondiaux tels que Rafael Correa, Gustavo Petro, Evo Morales, Álvaro García Linera, Dilma Rousseff, Fernando Lugo, José Luis Rodríguez Zapatero et Ernesto Samper, entre autres https://www.cadtm.org/L-heure-est-v…

Dans cette campagne, menée par le Centre stratégique géopolitique latino-américain (CELAG https://www.celag.org/wp-content/up… ), le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement ont été invités à annuler la dette extérieure.

«Nous ne pouvons pas exiger des pays qu’ils mettent en place des politiques de santé publique efficaces pour faire face à la pandémie actuelle et, en même temps, qu’ils continuent à respecter leurs obligations en matière de dette ; nous ne pouvons pas exiger d’eux qu’ils mettent en œuvre des politiques économiques qui compensent les dommages de cette catastrophe tout en continuant à payer leurs créanciers», ont déclaré ces dirigeants politiques dans une lettre publiée fin mars.

Karen Mendez Loffredo s’entretient avec Éric Toussaint, porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), au sujet de cette nouvelle réalité à laquelle l’humanité est confrontée:

Vous avez récemment déclaré que pour faire face à la crise économique que la pandémie COVID-19 laissera derrière elle, il était «urgent de libérer des moyens financiers, mais de recourir le moins possible à plus de dettes». Comment y parvenir au milieu d’une situation aussi difficile ?

Il existe deux moyens fondamentaux:

1. suspendre le paiement de la dette et utiliser ces fonds pour investir dans l’achat de matériel médical et sanitaire, et faire les dépenses nécessaires pour faire face à la crise sanitaire et économique que le coronavirus va laisser.

2. En appliquant une taxe exceptionnelle sur les personnes les plus riches afin de disposer des fonds nécessaires.

Pour vous donner un exemple: en France, la personne la plus riche s’appelle Bernard Arnault et possède un patrimoine de 110 milliards d’euros, ce qui est exactement le chiffre décidé par le président Emmanuel Macron pour intervenir dans la crise en France. Ainsi, imposer une taxe aux plus riches, une poignée puisqu’ils représentent 1% de la population, qui pourrait être versée dans un fonds de lutte contre la crise.

Il y a bien sûr d’autres mesurespour trouver des financements: la banque centrale peut octroyer des prêts à taux zéro aux pouvoirs publics, prélever des amendes sur les entreprises responsables de la grande fraude fiscale, geler les dépenses militaires, mettre fin aux subsides aux banques et à des grandes entreprises,…

En Espagne, la dette publique représente 96 % du produit intérieur brut (PIB). Depuis plusieurs années, vous soutenez que la dette de ce pays est « illégitime et odieuse ». Pourquoi la classer ainsi ?

Car il faut se rappeler qu’avant la crise de 2010, l’Espagne avait une dette publique qui représentait moins de 40 % du PIB. Avec la crise et le sauvetage des banques, des sociétés financières et immobilières en Espagne, la dette a augmenté, a doublé, a presque atteint 100 % du PIB. Elle est donc illégitime et odieuse car il s’agit d’une dette qui a été accumulée pour sauver les banquiers responsables de la crise précédente, celle de 2008-2010. C’est une dette contractée pour servir les intérêts particuliers d’une minorité sans respecter l’intérêt général de la majorité de la population, donc une dette illégitime.

Le juriste russe Alexander Nahum Sack a introduit le terme de dette odieuse dans le droit international dans les années 1920. Pour lui, une dette est odieuse si elle répond à deux critères : elle a été contractée contre l’intérêt de la population ou de la nation, et deuxièmement, les prêteurs savaient (ou auraient dû savoir) que la dette contractée servait des objectifs contraires aux intérêts de la population. C’est pourquoi je dis que la dette espagnole après 2009-2010 est odieuse, car les prêteurs savaient que le gouvernement renflouait les banquiers qui avaient prêté l’argent à l’État pour être renfloués. C’est le même vieux cercle vicieux dans lequel les banquiers accumulent des richesses tandis que l’État et le peuple s’appauvrissent.

 Que voulez-vous dire par « ils ont prêté l’argent à l’État pour être sauvés » ?

 La situation est scandaleuse en ce qui concerne la Banque centrale européenne. Jusqu’à l’année dernière, la Banque centrale européenne accordait des crédits à des banques privées à des taux d’intérêt de 0 % et ces mêmes banques prêtaient l’argent à des États comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, via l’achat d’obligations souveraines, à des taux d’intérêt de 2, 3 ou 4 %.

Grâce aux aides de la Banque centrale européenne, les banques ont pu bénéficier d’un gain important. La situation est pire aujourd’hui car la Banque centrale européenne accorde des crédits aux banques privées à un taux négatif de – 0,75 %, en d’autres termes, une banque qui emprunte à la Banque centrale européenne gagne de l’argent. C’est scandaleux.

 Et que faut-il faire ?

 Ce qu’il faut faire dans ces circonstances de crise majeure, c’est amener la Banque centrale européenne à accorder des crédits directement aux États, à l’Espagne, au Portugal, à l’Italie et aux autres pays de la zone euro, pour combattre la crise, au lieu d’accorder des crédits à des banques privées. Il faut dénoncer le fait que la Banque centrale européenne accorde un monopole aux banques privées avec des privilèges, conformément au traité de Maastricht de 1992, qui stipule que la BCE ne peut pas accorder de crédit directement aux autorités publiques. C’est une politique totalement néolibérale qui doit être combattue car elle va à l’encontre des intérêts de la population.

 Vous faites partie de ceux qui sont favorables à la suspension du paiement de la dette extérieure, mais pour tout gouvernement, c’est une décision très difficile. Quels arguments juridiques les gouvernements pourraient-ils utiliser pour suspendre le paiement de leur dette extérieure ?

 Dans les circonstances actuelles, en pleine crise sanitaire et économique brutale, il y a trois arguments de droit international :

1. L’état de nécessité : c’est un concept qui établit que lorsqu’un pays, un État, est confronté à une crise dans laquelle la vie de sa population est en danger, cet État n’est pas obligé de respecter ses obligations internationales, par exemple, en termes de paiement de la dette parce qu’il doit répondre à la crise humanitaire ou sanitaire.

2. Changement fondamental de circonstances : ce concept établit que lorsque les conditions sont totalement différentes de celles qui existaient lors de la signature du contrat, l’exécution de ce contrat peut être suspendue.

3. Force majeure : il est déterminé ici que pour des raisons de force majeure, un État ne peut plus être en mesure de respecter ses obligations de paiement de la dette. Dans ce cas, le caractère illégitime ou odieux de la dette n’a aucune importance. La dette peut être tout à fait légale, légitime, mais elle peut être suspendue pour ces raisons de force majeure et pour les autres conditions remplies, c’est-à-dire l’état de nécessité et le changement de circonstances.

 Comment évaluez-vous la position de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, a refusé d’émettre des obligations de reconstruction, de mutualiser la dette et a proposé de recourir au mécanisme européen de stabilité sans conditions de paiement ? Comment évaluez-vous le rôle de l’Union européenne dans cette urgence sanitaire ?

L’Union européenne est un désastre. L’UE n’a même pas une équipe de dix médecins à envoyer dans le nord de l’Italie ou en Espagne. L’Union européenne ne dispose pas d’un stock de masques, de respirateurs.

L’Union européenne est un désastre dans cette crise sanitaire. Nous constatons que d’autres États comme Cuba ont envoyé plus de 100 médecins dans le nord de l’Italie et sont en mesure d’apporter leur aide en cas d’urgence. En d’autres termes, c’est un nouveau signe que l’Union européenne est une construction qui travaille en faveur du grand capital, pour intégrer les marchés en faveur des grandes entreprises qui contrôlent les moyens de production et concurrencent les autres puissances économiques. Mais l’Union européenne n’est pas au service de ses propres peuples.

 Il y a un avertissement selon lequel le monde va traverser une crise économique sans précédent. Elle est comparée à la dévastation économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Quelle réponse apporter à cette crise ?

Cette crise va être la plus importante de ces 70 dernières années. Nous sommes confrontés à une crise comme celle des années 1930.

Nous devons faire face à cette crise en rompant complètement avec la normalité qui nous a amenés ici, c’est-à-dire que nous devons repenser et changer fondamentalement le mode de production, les relations de propriété, la relation des êtres humains avec la Nature, la façon de vivre, en relocalisant la production, en donnant une autre dimension aux relations dans la production. Pour moi, cela s’appelle la révolution. Nous avons besoin d’une véritable révolution, non seulement dans l’esprit des gens, mais aussi dans la société, afin que 99 % des habitants de la planète reprennent les rênes de leur destin des mains de ce 1 % qui, jusqu’à présent, a profité de la situation pour accumuler des richesses.

 La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) vient de déclarer que le coronavirus aura un très grand impact négatif sur l’économie du continent latino-américain.

 Il est clair que l’Amérique latine n’entre que maintenant dans la crise qui touche principalement l’Europe et les États-Unis. L’Amérique latine et l’Afrique entrent dans une situation où elles doivent faire face à une épidémie avec un risque élevé de propagation accélérée. Pour des raisons totalement indépendantes de la volonté des peuples, ceux-ci sont directement victimes de la crise sanitaire et économique.

Les exportations de l’Amérique latine vont être très fortement réduites parce que cette région dépend de ses exportations de matières premières ; celles-ci seront brutalement réduites par la crise économique au nord et en Chine, de sorte que les pays vont entrer dans de plus grandes difficultés de paiement, comme le Venezuela et l’Argentine, qui étaient déjà en suspension partielle de paiement. D’autres pays de la région se trouveront également dans cette situation, comme l’Équateur, qui est déjà au bord de la suspension de paiement. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que nous devons utiliser les trois concepts d’état de nécessité, de force majeure et de changement fondamental de circonstances pour déclarer une suspension totale du paiement de la dette extérieure et utiliser ces fonds pour faire face à une crise qui ne fait que commencer.

 Mais il y a d’anciens présidents, comme Juan Manuel Santos, Fernando Henrique Cardoso, Ricardo Lagos et Ernesto Zedillo, qui ont demandé l’aide du FMI pour faire face à la crise sanitaire. Comment voyez-vous cette demande ?

Je suis contre le fait de demander, une fois de plus, l’aide du Fonds monétaire international. Les aides du FMI sont toujours conditionnées à la mise en œuvre d’un modèle néolibéral.

Comme je l’ai expliqué au début, il existe des sources alternatives de financement pour faire face à la crise et ne pas avoir à recourir au FMI, qui fait partie du problème et non de la solution. On peut rappeler qu’en 2018, l’Argentine, avec le gouvernement de Mauricio Macri, a demandé au FMI un crédit d’environ 57 milliards de dollars et qu’elle est maintenant en pleine crise. C’est le FMI qui a ordonné à Lenin Moreno en Équateur d’augmenter le prix du carburant l’année dernière et qui a provoqué une rébellion populaire totalement justifiée. Il n’est donc pas surprenant que d’anciens présidents néo-libéraux tels que Santos ou Cardoso demandent à nouveau l’aide du FMI. Nous devons dire que les peuples n’ont pas besoin de cette aide empoisonnée.

 Nous voyons que la pandémie COVID-19 a accentué la lutte, la confrontation entre les modèles politiques, sociaux et de production. Nous voyons plus que jamais le capitalisme confronté aux propositions socialistes. Comment se présente le monde post-coronavirus ?

 Elle dépendra entièrement de la capacité des citoyens du monde à reprendre leur destin en main. Nous constatons que dans la plupart des cas, les gouvernements sont incapables de faire réellement face à la situation, comme le président brésilien J. Bolsonaro, qui est totalement fou dans le gestion de la crise sanitaire, ou le gouvernement de D. Trump. L’autoorganisation, la participation politique et citoyenne des majorités sont fondamentales pour construire de nouvelles perspectives et de nouvelles expériences.

Traduit par Éric Toussaint avec l’aide de www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
Source :https://mundo.sputniknews.com/entre…

Auteur.e Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Source http://www.cadtm.org/Suspendre-le-paiement-des-dettes-et-taxer-les-riches-pour-affronter-la-crise

Nous ne paierons plus leurs crises !

CADTM Europe . En pleine crise du Covid 19, Mario Draghi déclarait dans les pages du Financial Times  : il faut tout faire pour garantir l’avenir de la zone euro. Il entérinait là un principe déjà appliqué de longue date par les dirigeants européens : absorber les pertes du secteur privé quitte à augmenter de façon permanente les dettes publiques.

Début avril, la Commission européenne reprenait les annonces de la BCE, en déclarant que les règles budgétaires ne seraient plus d’application pendant la crise. Ainsi la règle d’or s’appliquerait contre les populations pour imposer l’austérité, mais l’on y dérogerait volontiers pour secourir le secteur privé.

A l’instar de la crise de la dette grecque en 2015, aucune forme de solidarité financière n’a pourtant été mise en œuvre pour les pays les plus en difficultés. A la place, on organise l’endettement croissant et permanent des États, Italie et Espagne en première ligne, au bénéfice des banques et des marchés.

Le plan « d’urgence » de 750 milliards d’euros, annoncé par la BCE le 18 mars dernier, consiste en réalité en un programme de rachat des titres de dette publique et privée exclusivement auprès des banques privées, qui s’ajoute aux interventions précédentes pour s’élever à un total de 1050 milliards d’euros d’intervention, soit près de 117 milliards d’euros engagés chaque mois.

Ce plan ne sera d’aucun secours ni pour l’économie réelle et le secteur de la santé, éprouvés par plusieurs décennies d’austérité et de privatisations, ni pour celles et ceux qui ont perdu leurs revenus suite aux mesures de confinement.

La BCE rejoue la politique du Quantitative Easing qui à partir de mars 2015 avait pris la forme d’un plan massif d’aide aux grands actionnaires des grandes banques, ceux-là mêmes qui étaient les responsables de la crise de la dette.

Non assorti de conditionnalités quant au comportement de ses bénéficiaires, ce plan a permis aux banques de racheter leurs propres actions aux grands actionnaires, de leur distribuer des dividendes faramineux, et de reprendre librement leurs activités spéculatives.

De cette nouvelle vague d’investissements spéculatifs a découlé une nouvelle augmentation rapide de l’endettement en Europe et dans le monde, qui atteignait fin 2019, le niveau record de 322 % du PIB global.

Or, dès la fin 2018, plusieurs chocs boursiers et financiers ont été les annonciateurs d’une nouvelle crise dont le Covid 19 a été le détonateur. En témoigne la récession du secteur de la production industrielle entamée dès le second semestre 2019 en Allemagne, en Italie, au Japon, en Afrique du Sud, en Argentine et aux États-Unis.

C’est pourquoi nous n’accepterons pas de payer une fois de plus pour leur crise. Nous exigeons une rupture radicale avec la politique de sauvetages inconditionnel des banques et du secteur privé.

Nous exigeons l’annulation des traités européens et leur remplacement par des traités qui priorisent le bien-être des populations sur le bien avoir des investisseurs et spéculateurs.

De la même manière nous exigeons l’annulation de toutes les dettes illégitimes qui participent à l’asservissement des peuples par la finance.

Nous exigeons également la mise en œuvre de politiques sociales et d’investissement public assorties d’un véritable plan d’aide pour les populations européennes.

L’urgence n’est pas de sauver les grands actionnaires des banques et des grandes entreprises privées : l’urgence est de répondre aux besoins de financement du secteur de la santé et aux besoins de protection de toute personne qui aujourd’hui ne dispose pas de logement, d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’alimentation ou à des revenus permettant de se les procurer.

Pour répondre à ces besoins et libérer les fonds nécessaires pour garantir un revenu à qui ne l’a pas, le CADTM exige un moratoire sur le remboursement des intérêts sur la dette y compris pour les dettes privées des couches populaires et la mise en place d’un impôt de crise sur les entreprises dont les bénéfices sont les plus élevés et sur les 10 % des patrimoines les plus riches.

La suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit être combinée à un audit à participation citoyenne afin d’en identifier la partie illégitime et de l’annuler.

Aussi, le CADTM exige que les entreprises et/ou l’État prenne en charge les salaires des travailleurs-ses en suspension d’activité, ainsi que ceux des personnes précaires, des intérimaires, des indépendants et des saisonniers, sans aucune récupération des heures chômées ni consommation des droits aux congés payés.

L’État doit assurer le versement des salaires en lieu et place des employeurs qui refuseraient de payer, et leur imposer des amendes en retour. Ainsi, au niveau européen, l’Union doit obliger les actionnaires à renoncer à leur dividendes de 2020. Un revenu décent doit également être versé aux chômeurs-ses, aux stagiaires et aux personnes sans droit aux allocations.

Dans l’urgence, ces mesures doivent être combinées à la mise à l’arrêt complet de toutes les activités non essentielles ; l’interdiction des licenciements et la réintégration des salarié-e-s licencié-e-s depuis le début de la crise ; la fourniture gratuite de moyens de protection à tou-te-s les salarié-e-s encore en activité ; la garantie du droit de retrait en cas de non-respect des conditions de sécurité ; l’arrêt de toutes les expulsions de locataires et la suspension des loyers, des crédits personnels et des factures d’eau et d’énergie ; la mise à disposition de logements corrects pour toutes les familles vivant dans des logements précaires ou sans abris ; la mise en place immédiate de mesures de protection pour les femmes victimes de violences conjugales, pour les enfants victimes de violence, impliquant des décisions rapides d’éloignement des conjoints violents ; l’arrêt des expulsions et la régularisation immédiate de tou-te-s les sans-papiers et réfugié-e-s avec accès immédiat à tous les systèmes de protection sociale.

A plus long terme, d’autres mesures permettraient de répondre aux besoins de financement des États : le financement public par la banque centrale à taux 0 % pour rompre avec le chantage des marchés ; la socialisation sous contrôle citoyen du secteur bancaire et des assurances ; une réforme radicale de la fiscalité sur les patrimoines et les revenus ; la mise à l’arrêt des réseaux d’évasion fiscale des grandes entreprises ; la taxation des transactions financières au-dessus d’un certain plafond ; l’annulation des dépenses militaires et la reconversion des travailleurs·ses du secteur ; l’expropriation et la mise sous contrôle citoyen des secteurs essentiels
 [1].

Par ailleurs, cette crise a montré à quel point nos sociétés reposent sur le travail de soin aux autres, qui est, dans son écrasante majorité, exercé par des femmes. Il faut reconnaître cette réalité pourtant trop souvent invisibilisée et pousser pour qu’elle soit prise en charge par le secteur public.

Cette crise représente l’occasion d’obtenir un vrai changement des règles du jeu pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production et son rapport à la Nature, en donnant la priorité aux biens communs, à la souveraineté alimentaire et à la relocalisation de la production matérielle et des services, en adaptant une manière de travailler et de produire qui soit compatible avec la lutte contre la crise écologique.

Il nous faut planifier la décroissance tout en améliorant les conditions de vie, élargir la sphère des services publics, le contrôle citoyen, et la démocratisation, pour rompre avec la société du 1 % des plus riches et réaliser la société du 100 % écologiste, socialiste, autogestionnaire, féministe et antiraciste.


CADTM Europe

Le CADTM Europe rassemble des organisations dans 5 pays, Belgique, France, Italie, Suisse, Luxembourg et des militant-e-s en Grèce, au Portugal, en Pologne et dans l’Etat espagnol. Le site www.cadtm.org publie des articles en français, anglais, espagnol, portugais, grec, italien et allemand. Le réseau mondial du CADTM est présent dans plus de 30 pays sur 4 continents.

Notes

[1D’autres mesures à entreprendre pour faire face au coronavirus ont été listées ici : https://www.cadtm.org/Serie-Covid-19-3-4-Propositions-de-mesures-a-prendre

Gus Massiah: Grèce 2015 une alternative était possible

Réflexions suite à la lecture du livre d’Éric Toussaint Capitulation entre Adultes Grèce 2015 : une alternative était possible

25 mars par Gustave Massiah

Gus Massiah, membre du Conseil scientifique de Attac-France et du Conseil international du Forum social mondial, auteur de nombreux ouvrages, nous partage ici ses réflexions autour du nouveau livre d’Eric Toussaint, Capitulation entre adultes, Grèce 2015 : une alternative était possible qui vient de paraître en français aux éditions Syllepse à Paris et en grec aux éditions Red Marks à Athènes. Sa publication est également prévue en espagnol au mois d’avril chez Viejo Topo. Eric Toussaint, à travers cet ouvrage essentiel, nous offre une lecture alternative de la crise de la dette grecque de celle racontée par Yanis Varoufakis dans Conversations entre adultes. Il montre à travers différents arguments et un long travail d’analyse que le premier gouvernement Syriza avait ignoré les demandes du peuple grec, maintes fois exprimées, et avait adopté une position sur la dette qui était vouée à l’échec. Une alternative était possible ! Gus Massiah met en évidence dans ses réflexions une série de points essentiels qui, nous l’espérons, susciteront votre curiosité et vous amèneront à découvrir cet ouvrage.

J’ai lu avec beaucoup d’attention, d’intérêt et de plaisir le manuscrit. Le titre qui me paraît le mieux correspondre au manuscrit est : Grèce 2015 : une alternative était possible.

Je distinguerai trois parties dans mes réactions : l’introduction, les neuf chapitres suivants, le chapitre 10 qui élargit et sert de conclusion.
Je n’ai pas de divergences, quelquefois des questionnements. Je réagis en séquence sur le manuscrit en mettant en évidence la manière de valoriser le livre.

L’introduction met bien en évidence l’apport essentiel de ce livre et caractérise son actualité et son exemplarité. Elle rappelle ce que beaucoup n’ont pas noté : que la victoire électorale d’un parti de la gauche radicale était une première en Europe dans la période récente et que, en moins de six mois, ce gouvernement cédait aux exigences des créanciers. Éric Toussaint identifie bien les questions posées : Comment comprendre les échecs ? Quelles étaient les alternatives pour gagner ? Quel programme la gauche radicale peut défendre de manière crédible ?

L’auteur rappelle que le gouvernement n’est pas le pouvoir et qu’on ne peut sous-estimer le rôle dans la situation du bloc économique et de la classe capitaliste.

L’introduction interroge déjà sur ce que peut faire un gouvernement de gauche quand il gagne des élections. L’auteur rappelle que le gouvernement n’est pas le pouvoir et qu’on ne peut sous-estimer le rôle dans la situation du bloc économique et de la classe capitaliste.

Je voudrais revenir sur une des propositions de l’auteur, qui mériterait d’être nuancée, quand il indique : « La répétition par le peuple de l’ascension progressive vers le pouvoir qu’ont réalisé les bourgeois dans le cadre de la société féodale ou de la petite production marchande est impossible. » Ce qui renforce l’importance de l’étape du passage par un gouvernement. Je suis d’accord avec l’affirmation de la non répétition. Mais je pense que la caractérisation, forcément brève, peut donner matière à des interprétations contestables. La bourgeoisie a réussi une transition maîtrisée du féodalisme au capitalisme relativement rapide mais qui a quand même pris quelques siècles. Et elle a passé des alliances de classes différenciées avec des couches populaires ; plus avec la paysannerie en France, et plus avec les artisans en Grande Bretagne. Si je reviens là-dessus c’est pour indiquer que la question de la transition dans la sortie du capitalisme reste à inventer et implique des étapes et des alliances qui ne sont pas déterminées. Sans négliger que la sortie du capitalisme ne conduit pas automatiquement au socialisme. Ce n’est pas le gouvernement qui peut les déterminer tout seul, ce qui renforce l’affirmation sur l’importance du rapport entre le gouvernement et les mouvements.

La question de la transition dans la sortie du capitalisme reste à inventer et implique des étapes et des alliances qui ne sont pas déterminées.

Dans l’introduction, on retrouve l’importance du rapport de forces par rapport à l’Union européenne qui est redéveloppée dans la conclusion. Il est fait mention de la situation spécifique de la Grèce par rapport à l’Europe et des rapports de forces internes à l’Europe. La partie sur la situation électorale actuelle de Syriza est très intéressante. Elle montre peut-être l’ambiguïté de l’opinion populaire par rapport à l’Europe et son évolution. Il serait peut-être important de le préciser dès ce moment et de ne pas attendre la conclusion pour en montrer l’importance.

Une précision de l’introduction qui me paraît très importante c’est l’affirmation que l’enjeu n’est pas de tout ramener aux responsabilités de Tsipras et de Varouflakis. Ainsi, même si la critique est vive, la raison de l’échec ne se résume pas à l’idée d’une simple trahison ou d’un complot mais met en avant la nécessité de comprendre les orientations et l’enchaînement des déterminations et des décisions dans les politiques suivies ainsi que la nature des liens et des rapports politiques aux mouvements sociaux et citoyens. En fait, assez justement, l’auteur ne parle de trahison que par rapport au référendum, il met en cause des renoncements et des capitulations dont il faut comprendre les ressorts.

Les neuf chapitres suivants entrent dans l’histoire détaillée de ce qui s’est passé et de ce qui aurait pu être fait. Chacun des chapitres fait progresser la compréhension et le dernier chapitre reprend l’ensemble autour d’une question fondamentale et d’une affirmation : Oui, on pouvait faire autrement.

Ce décryptage corrige la présentation des faits et donne une interprétation précise et cohérente, avec, comme l’auteur le dit, l’exercice périlleux de se mouiller sur ce qui aurait pu être fait.

Je n’ai pas beaucoup d’interrogations sur les neuf chapitres. J’ai surtout beaucoup appris de choses dans la longue narration et dans le décryptage qui remet les choses dans l’ordre. Ce décryptage corrige la présentation des faits et donne une interprétation précise et cohérente, avec, comme l’auteur le dit, l’exercice périlleux de se mouiller sur ce qui aurait pu être fait.

Le choix d’organiser la démonstration en contrepoint du récit de Varoufakis est très astucieux. Il rend vivant la présentation. Comme sa démonstration est auto-justificative, celle d’Éric Toussaint aurait pu être uniquement accusatrice. Ce qui n’est pas le cas, il arrive à réfléchir à sa position de manière plutôt équilibrée même si les contradictions du personnage sont un peu gommées par rapport à ses certitudes.

Les propositions de Varoufakis menaient à l’échec. L’analyse des six mesures prioritaires est très éclairante. Il s’agit d’un plan d’urgence autour de la restructuration de la dette publique, de la recherche d’un excédent primaire en contradiction avec le rejet de l’austérité, de l’impôt sur les grandes sociétés, des privatisations, d’une banque de développement, de la gestion des banques privées transférées à l’UE.

Du point de vue de la réflexion sur un projet de gouvernement, on peut admettre qu’il ne faut pas négliger la défensive en situation. Certaines des mesures, au-delà des gages donnés aux créditeurs, s’inscrivent dans la logique néolibérale présentée comme une évidence. Sans aller jusqu’à un rappel des ruptures nécessaires il n’y a pas d’ouverture vers des alternatives et donc pas de stratégie articulant les mesures d’urgence et la préparation de la transformation. Éric Toussaint explique plus loin le rejet du programme de Thessalonique de 2014 qui pèse sur les mobilisations et les rapports entre le gouvernement et les mouvements (concernant le programme de Thessalonique, voir http://www.cadtm.org/Ce-que-Tsipras-s-etait-engage-a-realiser-et-ce-que-son-gouvernement-a-mis-en).

La critique qu’adresse Éric Toussaint à la proposition de Varoufakis de restructuration de la dette part de l’hypothèse que tout le monde a bien compris l’importance du refus de la dette illégitime, ce qui malheureusement n’est pas le cas.

Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses relations avec la classe politique. Ce chapitre est très intéressant même si les éléments qu’il donne sur les raisons de cette évolution sont présentées à partir d’une critique, par ailleurs assez équilibrée, des positions de Varoufakis. La critique faite sur le discours de la corruption des classes dirigeantes grecques est juste, non que cette responsabilité n’existe pas et qu’elle n’ait pas joué un rôle dans la crise mais parce qu’il permet de réduire les responsabilités des créanciers et de l’Europe qui les protège en dernière instance.

La discussion sur le contrôle des banques privées pose une autre question, celle de l’appréciation du risque dans une politique radicale de rupture.

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza. On arrive au nœud de la situation. Ce qui différencie un programme révolutionnaire d’un simple programme de gauche c’est l’engagement du peuple qui dépasse la mobilisation des mouvements et l’affrontement électoral. Éric Toussaint le souligne à plusieurs reprises. Il faudrait essayer de comprendre comment Tsipras construit un rapport de transfert avec une partie du peuple qui lui permet de surmonter la déception du référendum, de rester au pouvoir et de ne pas sombrer aujourd’hui. Il a réussi à surfer sur une volonté d’éviter le pire qui ne se nourrit pas d’illusions.

La question qui nous est posée est comment des mots d’ordre, et notamment l’annulation de la dette illégitime, peuvent devenir mobilisateurs pour des ruptures possibles dans des périodes d’affrontement.

Les conseillers de Varoufakis. Ce chapitre montre l’importance de la technostructure et son ralliement au néolibéralisme. Il pose la question de l’expertise citoyenne et de l’importance de cette bataille stratégique. Elle ne se résume pas à la technostructure, elle s’est beaucoup imposée avec la double offensive de l’alliance du marché et du numérique, d’une part, et de la remise en cause du socialisme après 1989. D’où l’importance des initiatives telles que celle du CADTM ou de l’Aitec.

Une stratégie de négociation vouée à l’échec. Ce n’est pas le gouvernement grec qui ouvre les hostilités. La Troïka se lance dans une agression brutale. Elle le fait pour l’exemple. Trois questions illustrent la situation dans la période : l’annulation de la dette se retrouve au centre de l’affrontement, il faut donc s’y préparer au préalable ; le débat sur l’Europe est au centre de la définition d’une stratégie, la position ne se résume pas au choix de sortir ou non de l’Europe ; la crise grecque démontre la dérive des gouvernements socio-démocrates et l’effondrement de la social-démocratie en tant qu’alternative réformiste.

Vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015. Le bras de fer est clairement engagé. Il n’y a pas d’espace de négociation. Éric Toussaint énumère clairement les conditions de la capitulation : les réformes structurelles néolibérales ; le contrôle par le FMI ; une soutenabilité de la dette définie par les pays dominants ; la primauté absolue aux créanciers. La victoire de la Troïka est totale.

Éric Toussaint énumère clairement les conditions de la capitulation : les réformes structurelles néolibérales ; le contrôle par le FMI ; une soutenabilité de la dette définie par les pays dominants ; la primauté absolue aux créanciers. La victoire de la Troïka est totale.

Fin février 2015 : la première capitulation. C’est dans ce chapitre que vous énoncez le plus clairement la politique alternative qui revient à appliquer le programme de Thessalonique. A l’appui de cette proposition, il faut rappeler que c’était le mandat demandé et obtenu pour la victoire de Syrisa, il était donc légitime. La question qui est posée est celle du risque existant compte tenu du rapport de forces. Comme le dit Éric Toussaint, il fallait « se préparer aux nouvelles représailles des autorités européennes et donc à une possible sortie de la zone euro ». Là-dessus, il précise « Syriza n’avait certes pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, … » et un peu plus loin, il ajoute « de mon côté, mon analyse de la Grèce et de la zone euro avait évolué. Je suis devenu convaincu à partir de l’été 2013 que la sortie de la zone euro était une option sérieuse à envisager pour les pays de la périphérie européenne, notamment la Grèce. » Cette question n’était donc pas acquise dans le débat public, elle a dû peser dans l’évaluation des risques. Pour l’avenir, elle fait partie des questions qu’il faut poser publiquement dans le débat démocratique.

Diplomatie secrète et espoirs déçus. Dans ce chapitre il est intéressant de préciser qu’il ne s’agit pas de dire qu’une diplomatie ne doit pas comporter de secrets mais que la diplomatie secrète ne peut pas remplacer les mobilisations et les mouvements populaires. C’est donc le manque de stratégie appuyée sur les mobilisations qui apparaît et qui laisse l’exécutif sans moyens face aux coups de boutoirs de l’ennemi.

Dans les facteurs qui ont conduit au désastre, je retiendrai surtout : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, et le refus d’appeler à la mobilisation nationale et internationale.

Vers le dénouement. Dans les facteurs qui ont conduit au désastre, je retiendrai surtout : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, et le refus d’appeler à la mobilisation nationale et internationale. Admettons que pour accepter une confrontation grosse de dangers importants, il faut tenir compte des rapports de forces et des risques et qu’il ne suffit pas d’engager une confrontation pour définir une ligne alternative. Mais, refuser de prendre le risque sans l’expliquer et sans appel à la mobilisation populaire c’est capituler sans préparer une nouvelle situation qui permettrait d’avancer vers une alternative.

Le dixième chapitre sert de conclusion : Oui, il y avait une alternative pour réussir.
Ce chapitre reprend et présente les conclusions des chapitres précédents en différenciant : la caractérisation de la politique de la Troïka ; ce que le gouvernement grec a fait et ce qu’il aurait pu faire ; les leçons pour les luttes en Europe et ailleurs.

La caractérisation de la politique de la Troïka est claire ; elle a été d’une extrême brutalité se considérant en terrain conquis. La Troïka a fait capituler le gouvernement grec. Mais, même si la Troïka a gagné, elle n’en est pas sortie intacte. Elle a dévoilé la nature de l’Europe et jusqu’où elle était capable d’aller pour imposer sa ligne et sa doctrine. Elle a encore affaibli l’acceptation de l’Union européenne par les peuples. En refusant toute possibilité de répondre à la crise grecque, elle a rendu plus grave et plus visible la crise européenne.

La réponse à ce que le gouvernement grec aurait pu faire renvoie à la discussion sur les conditions de l’affrontement. Aucune stratégie ne peut éliminer la confrontation et les risques de l’affrontement. Ne pas être prêt à l’affrontement, c’est donner la main à l’adversaire. Mais il ne suffit pas d’accepter l’affrontement, il faut le préparer et le mener ; des tactiques sont nécessaires. Des étapes sont possibles et mêmes nécessaires en fonction des situations et des rapports de forces. La question difficile est d’apprécier et d’assumer les risques au niveau d’un peuple. Comment expliquer les réponses de la direction de Syriza ? Quelle est la part du recul devant les risques par rapport à leur adhésion à une option d’accord qui conduisait à la subordination ? Éric Toussaint privilégie une explication sociologique ; elle est probable, mais elle n’est peut-être pas suffisante pour rendre compte des contradictions dans une période d’affrontement.

Par rapport à l’affrontement avec le bloc capitaliste, ce qui fait la différence c‘est la mobilisation et la confiance populaire et la capacité de passer des alliances. Éric Toussaint insiste sur l’importance de la démocratie et de l’auto-organisation et il a tout à fait raison.

S’en remettre à des dirigeants est toujours risqué, surtout si ceux-ci privilégient la diplomatie secrète. La référence au programme de Thessalonique est bonne mais il ne suffit pas de dire : il suffit de l’appliquer ; elle laisse ouverte la question de comment l’appliquer en situation de crise. L’explication qu’Éric Toussaint donne dans le chapitre 3 (Comment Tsipras et Varoufakis tournent le dos au programme de Syriza) me paraît convaincante. Mais Tsipras avait conservé des capacités de manœuvre si on tient compte du faible impact électoral de la Plateforme de gauche.

Dans une situation révolutionnaire, la mobilisation populaire trouve d’autres formes d’intervention qui permettent de dépasser les limites des victoires électorales. Dans cette partie sur ce qui aurait pu être fait, se pose la question de ce que le mouvement populaire aurait pu faire pour pousser les dirigeants de Syriza à être fidèles à leurs engagements. Le référendum a permis de le canaliser, mais après la victoire du non, qu’est-ce qui aurait été possible, qu’est-ce que les mouvements grecs auraient pu faire ?

Les leçons pour les luttes en Europe et ailleurs, au-delà des spécificités de la situation grecque, nécessitent un changement d’échelle. La définition d’une alternative est nécessaire. Elle est urgente mais elle sera longue ce qui implique d’y travailler activement. La sortie et le dépassement du capitalisme doivent être rappelés et poursuivis à travers les luttes et les mobilisations, le travail d’élaboration intellectuel, les initiatives alternatives immédiates. La définition d’un nouveau projet socialiste s’inscrit dans la transition sociale, écologique, démocratique et géopolitique.

La sortie et le dépassement du capitalisme doivent être rappelés et poursuivis à travers les luttes et les mobilisations, le travail d’élaboration intellectuel, les initiatives alternatives immédiates.

Je retiens à partir de l’analyse d’Éric Toussaint six propositions pour contribuer aux mobilisations et aux luttes et préparer la définition des programmes de gouvernements pour des périodes de victoires électorales populaires (sans aller jusqu’à « la critique du programme du Gotha » ou « le programme de transition » pour oser un petit clin d’œil entre nous).

  1. Préparer l’affrontement sur l’annulation de la dette publique
    C’est un point central de toute confrontation dans les situations de crise. Il faut s’y préparer par des campagnes internationales. L’annulation des dettes illégitimes et odieuses a progressé mais est loin d’être accepté. C’est un des reproches à Varoufakis, mais je pense que ce n’était pas une évidence pour lui et que pour beaucoup d’autres ce n’est pas un descripteur d’une position de gauche. Les commissions d’audit ont fait progresser mais pas encore assez. Le travail du CADTM est exemplaire, il faudrait l’amplifier à travers une coalition internationale.
  2. Préparer l’affrontement sur les banques
    Le contrôle des banques nécessite une double action. Un débat public sur la nécessité de contrôler les banques et de la nature de ces contrôles. Une préparation technique et professionnelle sur les différents outils de contrôle du système bancaire pour limiter les campagnes de dénigrement et l’organisation des paniques.
  3. Préparer l’abandon des plans d’austérité
    Discuter du programme économique, des mesures fiscales et du contrôle de l’inflation
  4. Approfondir le débat sur l’Europe (pour les pays européens)
    Ce débat très conflictuel doit être mené le plus tôt possible. Éric Toussaint l’aborde à plusieurs reprises. Ce n’est pas toujours très clair, même si ce n’est pas contradictoire. Il rappelle que Syriza n’avait pas prévu de quitter l’Europe et que le débat ne portait pas sur l’Europe. Ailleurs, Éric Toussaint dit qu’il a changé de position sur l’Europe. Ailleurs encore il développe la thèse de la désobéissance (avec laquelle je suis d’accord)
  5. Affirmer l’autonomie des mouvements
    Le rapport de forces dépend de la mobilisation populaire et de l’action des mouvements sociaux et citoyens. Un succès électoral est surtout consolidé par le surgissement populaire. L’autonomie des mouvements par rapport au gouvernement et aux partis politiques est une des conditions de la réussite.
  6. Affirmer l’actualité du dépassement du néolibéralisme et du capitalisme
    La bataille de l’hégémonie culturelle est centrale. La résistance contre les idéologies racistes, sécuritaires et xénophobes est prioritaire. Elle implique la construction d’un projet de dépassement du capitalisme et de réinvention du socialisme.

Auteur.e

Gustave Massiah est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.

Source http://www.cadtm.org/Reflexions-suite-a-la-lecture-du-livre-d-Eric-Toussaint-Capitulation-entre

Coronavirus et plan de sauvetage des banques

Le plan de sauvetage bancaire massif qui se cache derrière les mesures contre le Coronavirus 20 mars par Aline Fares 

Les réponses gouvernementales et populaires face à la pandémie se mettent en place. Pendant ce temps, une crise financière s’est déployée sans que nous soyons convié.e.s à la discussion. Banques centrales et gouvernements empilent les annonces de soutien par dizaines de milliards, pour nous rassurer et nous permettre de passer la tempête. Elles sont aussi là pour éviter la faillite du système bancaire, et éviter trop de pertes aux « investisseurs ».

  Sommaire
  • Un plan de sauvetage des banques camouflé
  • Ceux qui sont vraiment touchés par la crise financière
  • Ne pas répéter les mêmes erreurs qu’en 2008

Un plan de sauvetage des banques camouflé

Alors que les gouvernements nous communiquaient les mesures visant à cantonner l’expansion du Coronavirus et que, chacun.e, nous prenions progressivement la mesure de ce qui allait nous arriver, les mêmes gouvernements, la Commission européenne et les banques centrales annonçaient des plans massifs de « soutien à l’économie » :

25 milliards en Italie, des dizaines de milliards, sans plafond, « quel qu’en soit le coût » en France, 50 milliards de dollars dans le cadre du plan d’urgence aux USA, 37 milliards alloués par les institutions européennes…

Tout cela arrive sur fond de « crise financière », ou plutôt de panique majeure des investisseurs qui constatent bien que, non, ils ne feront pas les bénéfices escomptés cette année. Quoique. Parce que ces plans de sauvetage, quelles visées ont-ils ? Certes, les annonces peuvent nous apaiser, apaiser les entrepreneurs et entrepreneuses, les employé.e.s des petites entreprises et autres structures : une allocation leur sera payée en remplacement de leurs revenus.

Mais ces mesures ressemblent aussi diablement à un massif plan de sauvetage des banques qui ne porte pas son nom.

Valeur du Dow Jones entre décembre 2019 et mars 2020, montrant le plus haut historique de février et le crash de février et mars lors de la pandémie de COVID-19. Crédit : Renerpho
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Ceux qui sont vraiment touchés par la crise financière

Des semaines que les bourses paniquent, que les investisseurs et autres détenteurs de capitaux courent comme des poulets sans tête, vendant ce qui pourrait ne plus rapporter autant que prévu à cause des arrêts de production, de la chute de la consommation, et donc des moindres profits à venir ; achetant ce qu’ils espèrent pouvoir être un meilleur pari.

Pendant ces semaines, presque rien dans les journaux papier grand public sur les krachs boursiers en cours. Quelques lignes ici et là. Quelques minutes aux journaux des radios et des télévisions. Comme une anecdote, un vague fait divers.

Pourtant, les journaux économiques en font leur une depuis le tout début de la propagation du virus. Et cela occupait très certainement le premier rang des préoccupations de la minorité d’individus dont le patrimoine est très lié aux cours de bourse et autres valeurs financières. Les banquiers et conseillers financiers à leur service devaient être sur la balle depuis quelques temps.

« On » n’en a pas parlé au-delà des cercles avertis parce que le virus, au fur et à mesure de son avancée, avait un impact beaucoup plus immédiat sur les populations que les tribulations boursières. Qui a un compte titre, qui détient des actions, des obligations ? Pour prendre l’exemple de la Belgique, 40 % de la population n’a pas 1000€ devant soi une fois les dépenses courantes réalisées, alors que 10 % de la population détient 85 % des titres financiers.

En France, moins de 9 % de la population a un patrimoine lié à la bourse.

A bien des égards, ce qui agite les marchés financiers est différent de ce qui provoquait la crise de 2008, mais finalement, on en revient au même :

lorsque après des années de délire spéculatif, après des années de soutien à la « croissance » grâce à l’argent facile des banques centrales, après des années d’un endettement impossible à soutenir et pourtant bien là, après des années de complaisance des États envers le secteur financier, lorsque – après tout cela et plus encore – la valeur des titres financiers s’effondre, ce sont les banques, au cœur de la machine à fabriquer des dettes et des produits financiers, qui risquent l’explosion.

Et lorsque dans le même temps, les ménages et les entreprises rencontrent des difficultés telles qu’ils ne pourront rembourser leurs crédits, cela ne fait qu’ajouter aux risques de faillites bancaires. Alors oui nous sommes bien dans une situation similaire à celle de 2008.

Selon les calculs des experts d’Attac et Basta !, le coût du sauvetage des établissements de l’Hexagone s’est élevé à 30 milliards d’euros en France en 2008/2009

Ne pas répéter les mêmes erreurs qu’en 2008

Je détaillais les mécanismes d’une crise financière et le rôle central des banques, et comment leur possible faillite nous ‘tient’, dans un article publié en décembre 2019 et intitulé « Prochaine crise financière : faire dérailler le scénario du désastre ».

Mais cette fois, comme on n’oublie pas de nous le répéter, ce serait une « crise d’offre » à laquelle nous ferions face : l’appareil de production est partiellement arrêté, les bars et restaurants, les lieux de loisirs, les lieux culturels, et les commerces et activités qui ne fournissent pas des biens et services essentiels (c’est-à-dire : soins de santé, eau, alimentation, énergie, transport…) sont fermés ou limités dans leurs ouvertures.

Alors, qui va payer tou.te.s ces employé.e.s, déclaré.e.s ou pas, bénéficiaires d’allocations ou pas, laissé.e.s sur le carreau mais qui devront pourtant bien payer le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, les courses… et le remboursement des crédits ? C’est une question importante.

Pourtant, la simplicité et l’énormité de la réponse des États et des banques centrales mélange la prise en charge de tout cela avec un autre sauvetage qui serait absolument inacceptable pour la population : celui des banques et du système financier, sans remise en question profonde de leur fonctionnement, de ce qu’elles sont occupées à faire, de qui les possède.

Des mesures qui incluent des garanties sur les crédits des entreprises (pour éviter des pertes dans le chef des banques), des échelonnements de paiement, des suspensions de paiement – mais pas d’annulation de créances par les banques. Des plans « au bazooka » par des gouvernements qui sortent les gros bras, des milliards d’argent public, et puis c’est tout.

Alors bien sûr, cela pose de multiples questions :

  • Que signifie ce soutien à l’économie ? Si l’on « sauve » les « petit.e.s » que nous sommes, est-ce uniquement pour notre bien, ou est-ce pour s’assurer que nous payons bien notre loyer au propriétaire, et nos traites à la banque ?
  • Les États « sauvent » avec les mêmes moyens qu’en 2008 : en s’endettant. Comment pourrait être remboursée cette dette sinon par des politiques d’austérité encore plus drastiques que les précédentes ?
  • Les banques centrales enchaînent depuis des années les mesures ‘non-conventionnelles’ qui ne signifient rien d’autre qu’un déversement de moyens dans le système financier pour éviter à tout prix qu’il ne vacille et que les créanciers, les détenteurs de capitaux ne perdent leur mise. A quoi cela sert-il de maintenir un appareil qui a prouvé et re-prouvé sa dangerosité, son caractère prédateur, son inanité sinon à éviter de se confronter à la question des pertes que devront bien prendre un jour ou l’autre ceux qui accumulent depuis si longtemps ?

Et elles en amènent d’autres :

  • Est-ce dans tous les cas nécessaire de faire appel à l’État pour éponger les pertes liées aux réductions et arrêts d’activité ?
  • Vu les fortunes qui se cachent derrière les créanciers des banques et des entreprises, derrière les actions qui dévissent, pourquoi est-ce qu’on ne regarde pas plutôt par là ? Sommes-nous d’accord pour que ce soutien public bénéficie encore une fois aux mêmes, ceux qui nous coûtent si cher, nous font si mal et mettent la planète à sac ?

Les grandes entreprises ont publié leurs résultats 2019 il y a peu ou sont en train de le faire. Elles ont déjà annoncé les dividendes qui seront versés à leurs actionnaires au titre de leur formidable année 2019 : pourquoi ne pas imposer qu’elles abandonnent le paiement des dividendes pour prendre en charge elles-mêmes les pertes liées au non-paiement des factures et autres créances par leurs client.e.s en difficulté – allocataires sociaux, petits revenus, petites entreprises… ?

Il est important que l’on discute de tout cela, confiné ou pas, et elles en amèneront certainement encore bien d’autres. Elles sont importantes dès aujourd’hui. Car au-delà des dépenses immédiates liées au Coronavirus (notamment pour l’hôpital public et tout le personnel soignant), au-delà du soutien immédiat qu’il serait nécessaire d’apporter aux personnes faisant face à des difficultés matérielles et donc sanitaires immédiates (accès à un logement sain, sûr et suffisamment spacieux, accès à l’eau, la nourriture, l’énergie), il nous faut nous demander ce qui mérite d’être sauvé.

Qui doit payer le grand sauvetage de l’économie, et de quelle économie parle-t-on, de qui parle-t-on ? Arrêtons de croire que des pertes importantes dans la finance et dans les banques seraient une catastrophe pour tout le monde. Imposer les pertes à ceux qui ont accumulé sur notre dos et au prix de destructions incommensurables depuis toutes ces années, est une nécessité – et ne nous inquiétons pas : ils en ont très largement les moyens. [A suivre…]

Auteur.e Aline Fares

Conférencière, auteure et militante. Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »

Non, le coronavirus n’est pas le responsable de la chute des cours boursiers

4 mars par Eric Toussaint

On assiste à une grosse crise des bourses de Wall Street, d’Europe, du Japon et de Shanghai, et certains en attribuent la responsabilité au coronavirus. Au cours de la dernière semaine de février 2020, la pire semaine depuis octobre 2008, le Dow Jones a baissé de 12,4 %, le S&P 500 a baissé de 11,5 % et le Nasdaq Composite a baissé de 10,5 %. Même scénario en Europe et en Asie pendant la dernière semaine de février. À la bourse de Londres, le FTSE-100 a baissé de 11,32 %, à Paris le CAC40 a chuté de 12 %, à Francfort le DAX a perdu 12,44 %, à la bourse de Tokyo, le Nikkei a baissé de 9,6 %, les bourses chinoises (Shanghai, Shenzhen et Hong-Kong) ont également baissé. Lundi 2 mars suite à des (promesses d’) interventions massives des banques centrales pour soutenir les bourses, les indices sont repartis à la hausse sauf à Londres. Le mardi 3 mars, la banque centrale des États-Unis, la Fed, paniquée, a baissé de 0,50 % son taux directeur, ce qui constitue une baisse considérable. Le nouveau taux directeur de la Fed se situe désormais dans une fourchette de 1 à 1,25 %. Il faut savoir que le taux d’inflation aux États-Unis entre février 2019 et janvier 2020 a atteint 2,5 %, cela veut dire que le taux d’intérêt réel de la FED est négatif. La grande presse écrit que cette mesure vise à soutenir l’économie américaine menacée par l’épidémie de COVID-19. Le quotidien français Le Figaro titre « Le coronavirus précipite une forte baisse du taux directeur de la Fed » (https://www.lefigaro.fr/conjoncture/coronavirus-la-fed-baisse-ses-taux-de-0-5-point-a-la-surprise-generale-20200303 voir aussi en anglais https://edition.cnn.com/2020/03/03/investing/federal-reserve-interest-rate-cut-coronavirus-emergency/index.html ). Or la mauvaise santé de l’économie américaine date de bien avant les premiers cas de coronavirus en Chine et ces effets sur l’économie mondiale (voir https://www.cadtm.org/Panique-a-la-Reserve-Federale-et-retour-du-Credit-Crunch-sur-un-ocean-de-dettes). En résumé, la Fed et la grande presse, à sa suite, ne disent pas la vérité quand elles expliquent que la mesure est destinée à faire face au coronavirus. Malgré la décision de la Fed, le mardi 3 mars, le S&P 500 a à nouveau baissé de 2,81 %, le Dow Jones a baissé de 2,9 % (https://edition.cnn.com/2020/03/03/investing/dow-stock-market-today/index.html ). Les 3 et 4 mars, plusieurs bourses asiatiques ont connu également une baisse. Il ne faut pas exclure une remontée de la bourse à New York le 4 mars pour saluer le retour de Joe Biden dans la course à la présidentielle aux États-Unis lors des primaires démocrates du 3 mars car cela représente pour eux un soulagement face à Bernie Sanders qui reste néanmoins en tête. Joe Biden est clairement le candidat de l’Establishment démocrate et des milliardaires qui soutiennent ce parti. A noter également que Donald Trump a dans un tweet la semaine passée lié son sort à celle de la bourse à Wall Street. Le 26 février, il a appelé ses collègues du 1 % le plus riche à ne pas vendre leurs actions et à soutenir la bourse. Il a en plus affirmé que s’il était réélu à la présidence des États-Unis en octobre 2020 la bourse grimpera énormément tandis que s’il perd on assistera à un crash boursier d’une ampleur jamais vue (selon le Financial Times, Trump a annoncé que « The market will “jump thousands and thousands of points if I win,” … “and if I don’t, you’re going to see a crash like you’ve never seen before . . . I really mean it.” https://www.ft.com/content/399783e2-57e9-11ea-a528-dd0f971febbc ). Ce qui va se passer précisément sur les marchés boursiers dans les jours et les semaines qui viennent est imprévisible mais il est très important d’analyser les véritables causes de la crise financière en cours.

Les grands médias affirment de manière ultra simplificatrice que cette chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus et cette explication est reprise largement sur les réseaux sociaux. Or ce n’est pas le coronavirus et son expansion qui constituent la cause de la crise, l’épidémie n’est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis depuis plusieurs années, au moins depuis 2017-2018 (voir https://www.cadtm.org/Tout-va-tres-bien-madame-la datant de novembre 2017 ; https://www.cadtm.org/Tot-ou-tard-il-y-aura-une-nouvelle-crise-financiere datant d’avril 2018 ; voir plus récemment Source : https://pour.press/les-conditions-sont-reunies-pour-une-nouvelle-crise-financiere-eric-toussaint/). Quand l’atmosphère est saturée de matières inflammables, à tout moment, une étincelle peut provoquer l’explosion financière. Il était difficile de prévoir d’où l’étincelle allait partir. L’étincelle joue le rôle de détonateur mais ce n’est pas elle qui est la cause profonde de la crise. Nous ne savons pas encore si la forte chute boursière de la fin février 2020 va « dégénérer » en une énorme crise financière. C’est une possibilité réelle. Le fait que la chute boursière coïncide avec les effets de l’épidémie du coronavirus sur l’économie productive n’est pas fortuit, mais dire que le coronavirus est la cause de la crise est une contrevérité. Il est important de voir d’où vient réellement la crise et de ne pas être berné par les explications qui dressent un rideau de fumée devant les causes réelles.

Les grands médias affirment de manière ultra simplificatrice que la chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus […] Or, l’épidémie n’est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis au moins depuis 2017-2018

Le Grand Capital, les gouvernants et les médias à son service ont tout intérêt à mettre sur le dos d’un virus le développement d’une grande crise financière puis économique, cela leur permet de s’en laver les mains (excusez-moi l’expression).

La chute des cours boursiers était prévue bien avant que le coronavirus fasse son apparition.

Le cours des actions et le prix des titres de la dette (appelés aussi obligations) ont augmenté d’une manière totalement exagérée par rapport à l’évolution de la production au cours des dix dernières années, avec une accélération au cours des deux ou trois dernières années. La richesse du 1 % le plus riche a aussi fortement crû car elle est largement basée sur la croissance des actifs financiers.

Il faut souligner que le moment où intervient la chute des cours boursiers est le résultat d’un choix (je ne parle pas de complot) : une partie des très riches (le 1 %, le Grand Capital) a décidé de commencer à vendre les actions qu’il a acquises car il considère que toute fête financière a une fin, et plutôt que la subir il préfère prendre les devants. Ces grands actionnaires préfèrent être les premiers à vendre afin d’obtenir le meilleur prix possible avant que le cours des actions ne baisse très fortement. De grandes sociétés d’investissements, de grandes banques, de grandes entreprises industrielles et des milliardaires donnent l’ordre à des traders de vendre une partie des actions ou des titres de dettes privées (c’est-à-dire des obligations) qu’ils possèdent afin d’empocher les 15 % ou 20 % de hausse des dernières années. Ils se disent que c’est le moment de le faire : ils appellent cela prendre « leurs bénéfices ». Selon eux, tant pis si cela entraîne un effet moutonnier de vente. L’important à leurs yeux est de vendre avant les autres. Cela peut provoquer un effet domino et dégénérer en une crise généralisée. Ils le savent et se disent qu’ils finiront par s’en tirer sans trop de mal comme cela s’est passé pour un grand nombre d’entre eux en 2007-2009. C’est le cas notamment aux États-Unis, des deux principaux fonds d’investissement et de gestion d’actifs BlackRock et Vanguard qui s’en sont très bien tirés, de même que Goldman Sachs, Bank of America, Citigroup ou les Google, Apple, Amazon, Facebook, etc.

Un autre élément important est à souligner : le 1 % vend des actions d’entreprises privées, ce qui provoque une chute de leur cours et entraîne la chute des bourses. Or dans le même temps, ils achètent des titres de la dette publique considérés comme des valeurs sûres. C’est notamment le cas aux États-Unis où le prix des titres du trésor étatsunien a augmenté suite à une demande très forte. À noter qu’une augmentation du prix des titres du trésor qui se vendent sur le marché secondaire a pour conséquence de baisser le rendement de ces titres. Les riches qui achètent ces titres du Trésor sont disposés à un faible rendement, car ce qu’ils cherchent, c’est la sécurité à un moment où le cours des actions des entreprises est en baisse. En conséquence, il faut souligner qu’une fois de plus c’est bien les titres des États qui sont considérés par les plus riches comme les plus sûrs. Gardons cela en tête et soyons prêts à le dire publiquement car il faut s’attendre à ce que revienne bientôt le refrain bien connu de la crise des dettes publiques et des craintes des marchés à l’égard des titres publics.

Le Grand Capital (le 1 %) a réduit la part qu’il investit dans la production et a augmenté la part qu’il met en circulation dans la sphère financière

Mais revenons à ce qui se passe à répétition depuis un peu plus d’une trentaine d’années, c’est-à-dire depuis l’approfondissement de l’offensive néolibérale et de la grande dérèglementation des marchés financiers [1] : le Grand Capital (le 1 %) a réduit la part qu’il investit dans la production et a augmenté la part qu’il met en circulation dans la sphère financière (c’est y compris le cas d’une firme « industrielle » emblématique comme Apple). Il a fait cela au cours des années 1980 et cela a produit la crise du marché obligataire de 1987. Il a refait cela à la fin des années 1990 et cela a produit la crise des dot-com et d’Enron en 2001. Il a remis cela entre 2004 et 2007 et cela a produit la crise des subprimes, des produits structurés et une série de faillites retentissantes dont celle de Lehman Brothers en 2008. Cette fois-ci, le Grand Capital a principalement spéculé à la hausse sur le prix des actions en bourse et sur le prix des titres de la dette sur le marché obligataire (c’est-à-dire le marché où se vendent les actions des entreprises privées et les titres de dettes émis par les États et d’autres pouvoirs publics). Parmi les facteurs qui ont entraîné la montée extravagante des prix des actifs financiers (actions en bourses et titres des dettes privées et publiques), il faut prendre en compte l’action néfaste des grandes banques centrales depuis la crise financière et économique de 2007-2009. J’ai analysé cela notamment dans https://www.cadtm.org/La-crise-de-la-politique-des-banques-centrales-dans-la-crise-globale

Ce phénomène ne date donc pas du lendemain de la crise de 2008-2009, il est récurrent dans le cadre de la financiarisation de l’économie capitaliste. Et avant cela, le système capitaliste avait aussi connu des phases importantes de financiarisation tant au 19e siècle que dans les années 1920, ce qui avait abouti à la grande crise boursière de 1929 et la période prolongée de récession des années 1930. Puis le phénomène de financiarisation et de dérèglementation a été en partie muselé pendant 40 ans suite à la grande dépression des années 1930, à la Seconde Guerre mondiale et à la radicalisation de la lutte des classes qui s’en est suivi. Jusqu’à la fin des années 1970 il n’y a plus eu de grandes crises bancaires ou boursières. Les crises bancaires et boursières ont fait leur réapparition quand les gouvernements ont donné toutes libertés au Grand Capital pour faire ce qu’il voulait dans le secteur financier.

Les crises bancaires et boursières ont fait leur réapparition quand les gouvernements ont donné toutes libertés au Grand Capital pour faire ce qu’il voulait dans le secteur financier

Revenons à la situation des dernières années. Le Grand Capital, qui considère que le taux de rentabilité qu’il tire dans la production n’est pas suffisant, développe les activités financières non directement liées à la production. Cela ne veut pas dire qu’il abandonne la production, mais qu’il développe proportionnellement plus ses placements dans la sphère financière que ses investissements dans la sphère productive. C’est ce qu’on appelle aussi la financiarisation ou la mondialisation financiarisée. Le capital « fait du profit » à partir du capital fictif par des activités largement spéculatives. Ce développement de la sphère financière augmente le recours à l’endettement massif des grandes entreprises, y compris de firmes comme Apple (j’ai écrit une série d’articles là-dessus https://www.cadtm.org/La-montagne-de-dettes-privees-des-entreprises-sera-au-coeur-de-la-prochaine).

Le capital fictif est une forme du capital, il se développe exclusivement dans la sphère financière sans véritable lien avec la production (voir encadré : Qu’est-ce que le capital fictif ?). Il est fictif au sens où il ne repose pas directement sur la production matérielle et sur l’exploitation directe du travail humain et de la nature. Je parle bien d’exploitation directe car évidemment le capital fictif spécule sur le travail humain et sur la nature, ce qui généralement dégrade les conditions de vie des travailleurs·ses et la Nature elle-même.

Qu’est-ce que le capital fictif ?

« Le capital fictif est une forme de capital (des titres de la dette publique, des actions, des créances) qui circule alors que les revenus de la production auxquels il donne droit ne sont que des promesses, dont le dénouement est par définition incertain ».Entretien avec Cédric Durand réalisé par Florian Gulli, « Le capital fictif, Cédric Durand », La Revue du projet : http://projet.pcf.fr/70923.

Selon Michel Husson, « le cadre théorique de Marx lui permet l’analyse du « capital fictif », qui peut être défini comme l’ensemble des actifs financiers dont la valeur repose sur la capitalisation d’un flux de revenus futurs : « On appelle capitalisation la constitution du capital fictif » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Si une action procure un revenu annuel de 100 £ et que le taux d’intérêt est de 5 %, sa valeur capitalisée sera de 2000 £. Mais ce capital est fictif, dans la mesure où « il ne reste absolument plus trace d’un rapport quelconque avec le procès réel de mise en valeur du capital » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Michel Husson, « Marx et la finance : une approche actuelle », À l’Encontre, décembre 2011, https://alencontre.org/economie/marx-et-la-finance-une-approche-actuelle.html

Le capital fictif est une forme du capital, il se développe exclusivement dans la sphère financière sans véritable lien avec la production. Il est fictif au sens où il ne repose pas directement sur la production matérielle et sur l’exploitation directe du travail humain et de la nature

Pour Jean-Marie Harribey : « Les bulles éclatent quand le décalage entre valeur réalisée et valeur promise devient trop grand et que certains spéculateurs comprennent que les promesses de liquidation profitable ne pourront être honorées pour tous, en d’autres termes, quand les plus-values financières ne pourront jamais être réalisées faute de plus-value suffisante dans la production. » Jean-Marie Harribey, « La baudruche du capital fictif, lecture du Capital fictif de Cédric Durand », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/la-baudruche-du-capital-fictif.
Lire également François Chesnais, « Capital fictif, dictature des actionnaires et des créanciers : enjeux du moment présent », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/capital-fictif-dictature-des

Je suis d’accord avec Cédric Durand quand il affirme : « Une des conséquences politiques majeures de cette analyse est que la gauche sociale et politique doit prendre conscience du contenu de classe de la notion de stabilité financière. Préserver la stabilité financière, c’est faire en sorte que les prétentions du capital fictif se réalisent. Pour libérer nos économies de l’emprise du capital fictif, il nous faut engager une désaccumulation financière. Concrètement, cela renvoie bien sûr à la question de l’annulation des dettes publiques et de la dette privée des ménages modestes, mais aussi à la diminution des rendements actionnariaux, ce qui se traduit mécaniquement par une diminution de la capitalisation boursière. Ne nous y trompons pas, de tels objectifs sont très ambitieux : ils impliquent inéluctablement de socialiser le système financier et de rompre avec la liberté de circulation du capital. Mais ils permettent de saisir précisément certaines conditions indispensables pour tourner la page du néolibéralisme. » Cédric Durand, « Sur le capital fictif, Réponse à Jean-Marie Harribey », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/sur-le-capital-

Le capital fictif souhaite capter une partie de la richesse produite dans la production (les marxistes disent une partie de la plus-value produite par les travailleurs·ses dans la sphère de la production) sans mettre les mains dans le cambouis c’est-à-dire sans passer par le fait d’être investi directement dans la production (sous la forme d’achat de machines, de matières premières, de paiement de la force de travail humaine sous la forme de salaires, etc.). Le capital fictif, c’est une action dont le possesseur attend qu’elle donne un dividende. Il achètera une action Renault si celle-ci promet un bon dividende mais il pourra aussi revendre cette action pour acheter une action General Electric ou Glaxo Smith Kline ou Nestlé ou Google si celle-ci promet un meilleur dividende. Le capital fictif, c’est aussi une obligation de dette émise par une entreprise ou un titre de la dette publique. C’est aussi un dérivé, un produit structuré… Le capital fictif peut donner l’illusion qu’il génère par lui-même des profits tout en s’étant détaché de la production. Les traders, les brokers ou les dirigeants des grandes entreprises sont convaincus qu’ils « produisent ». Mais à un moment donné, une crise brutale éclate et une masse de capitaux fictifs repart en fumée (chute des cours boursiers, chute des prix sur le marché obligataire, chute des prix de l’immobilier…).

Les traders, les brokers ou les dirigeants des grandes entreprises sont convaincus qu’ils « produisent ». Mais à un moment donné, une crise brutale éclate et une masse de capitaux fictifs repart en fumée

Le Grand Capital, de manière répétée, veut croire ou faire croire qu’il est capable de transformer le plomb en or dans la sphère financière, mais de manière périodique la réalité le rappelle à l’ordre et la crise éclate.

Lorsque la crise éclate il faut faire la distinction entre l’élément détonateur d’une part (aujourd’hui, la pandémie du coronavirus peut constituer le détonateur) et les causes profondes, d’autre part.

Au cours des deux dernières années, il y a eu un ralentissement très important de la production matérielle. Dans plusieurs grandes économies comme celles de l’Allemagne, du Japon (dernier trimestre 2019), de la France (dernier trimestre 2019) et de l’Italie, la production industrielle a reculé ou a fortement ralenti (Chine et États-Unis). Certains secteurs industriels qui avaient connu un redémarrage après la crise de 2007-2009 comme l’industrie de l’automobile sont rentrés dans une très forte crise au cours des années 2018-2019 avec une chute très importante des ventes et de la production. La production en Allemagne, le principal constructeur automobile mondial, a baissé de 14 % entre octobre 2018 et octobre 2019 [2]. La production automobile aux États-Unis et en Chine a également chuté en 2019, de même en Inde. La production automobile chute fortement en France en 2020. La production d’un autre fleuron de l’économie allemande, le secteur qui produit les machines et les équipements, a baissé de 4,4 % rien qu’au mois d’octobre 2019. C’est le cas également du secteur de la production des machines-outils et d’autres équipements industriels. Le commerce international a stagné. Sur une période plus longue, le taux de profit a baissé ou a stagné dans la production matérielle, les gains de productivité ont aussi baissé.

En 2018-2019, ces différents phénomènes de crise économique dans la production se sont manifestés très clairement, mais comme la sphère financière continuait de fonctionner à plein régime, les grands médias et les gouvernements faisaient tout pour affirmer que la situation était globalement positive et que ceux et celles qui annonçaient une prochaine grande crise financière s’ajoutant au ralentissement marqué dans la production, n’étaient que des oiseaux de malheur.

Le point de vue de classe sociale est aussi très important : pour le Grand Capital, tant que la roue de la fortune dans la sphère financière continue de tourner, les joueurs restent en piste et se félicitent de la situation. Il en va de même pour tous les gouvernants car ils sont présentement liés au Grand Capital, tant dans les vieilles économies industrialisées comme l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale ou le Japon, qu’en Chine, en Russie ou dans les autres grandes économies dites émergentes.

Malgré le fait que la production réelle a cessé en 2019 de croître de manière significative ou a commencé à stagner ou à baisser, la sphère financière a continué son expansion

Malgré le fait que la production réelle a cessé en 2019 de croître de manière significative ou a commencé à stagner ou à baisser, la sphère financière a continué son expansion : les cours en bourse ont continué d’augmenter, ils ont même atteint des sommets, le prix des titres des dettes privées et publiques a continué sa progression vers le haut, le prix de l’immobilier a recommencé à croître dans une série d’économies, etc.

En 2019, la production a ralenti (Chine et Inde), a stagné (une bonne partie de l’Europe) ou a commencé à baisser dans la deuxième moitié de l’année (Allemagne, Italie, Japon, France) notamment parce que la demande globale a baissé : la plupart des gouvernements et le patronat interviennent pour faire baisser les salaires, les retraites, ce qui réduit la consommation car l’endettement des familles, en augmentation, ne suffit pas à pallier à la baisse de revenus. De même, les gouvernements prolongent une politique d’austérité qui entraîne une réduction des dépenses publiques et des investissements publics. La conjonction de la chute du pouvoir d’achat de la majorité de la population et la baisse des dépenses publiques entraînent une chute de la demande globale et donc une partie de la production ne trouve pas de débouchés suffisants, ce qui entraîne une baisse de l’activité économique [3].

Il est important de préciser de quel point de vue on se situe : je parle de crise de la production non pas parce que je suis un adepte de la croissance de la production. Je suis pour l’organisation (la planification) de la décroissance afin de répondre notamment à la crise écologique en cours. Donc, personnellement, la chute ou la stagnation de la production au niveau mondial ne me chagrine pas, au contraire. C’est très bien si l’on produit moins de voitures individuelles et si leurs ventes chutent. Par contre pour le système capitaliste, il n’en va pas de même : le système capitaliste a besoin de développer sans cesse la production et de conquérir sans cesse de nouveaux marchés. Quand il n’y arrive pas ou quand cela commence à coincer, il répond à la situation en développant la sphère de la spéculation financière et en émettant de plus en plus de capitaux fictifs non reliés directement à la sphère productive. Cela semble fonctionner pendant des années, et puis à un moment donné des bulles spéculatives éclatent. À plusieurs moments de l’histoire du capitalisme, la logique d’expansion permanente du système capitaliste et de la production s’est exprimée par des guerres commerciales (et c’est de nouveau le cas aujourd’hui notamment entre les États-Unis et ses principaux partenaires) ou bien par de véritables guerres, et cette issue n’est pas tout à fait exclue aujourd’hui.

Il faut entamer immédiatement et planifier de manière urgente la décroissance pour combattre la crise écologique. Il faut produire moins et mieux

Si l’on se situe du point de vue des classes sociales exploitées et spoliées qui constituent l’écrasante majorité de la population (d’où l’image des 99 % opposés au 1 %), il est clair que la conclusion est qu’il faut rompre radicalement avec la logique d’accumulation du capital qu’il soit productif ou financier, ou productif financiarisé, peu importe les appellations. Il faut entamer immédiatement et planifier de manière urgente la décroissance pour combattre la crise écologique. Il faut produire moins et mieux. La fabrication de certains produits vitaux pour le bien-être de la population doit croître (constructions et rénovations de logements décents, transports collectifs, centres de santé et hôpitaux, distribution d’eau potable et épuration d’eaux usées, écoles, etc.) et d’autres productions doivent radicalement baisser (voitures individuelles) ou disparaître (fabrication d’armes). Il faut réduire radicalement et brutalement les émissions de gaz à effet de serre. Il faut reconvertir toute une série d’industries et d’activités agricoles. Il faut annuler une grande partie des dettes publiques, et dans certains cas l’entièreté de celles-ci. Il faut exproprier sans indemnité et transférer dans le service public les banques, les assurances, le secteur de l’énergie et d’autres secteurs stratégiques. Il faut donner d’autres missions et d’autres structures aux banques centrales. Il existe d’autres mesures telles la mise en œuvre d’une réforme fiscale globale avec une forte taxation du capital, une réduction globale du temps de travail avec des embauches compensatoires et le maintien des niveaux de salaire, la gratuité des services de santé publique, de l’éducation, des transports publics, des mesures effectives pour garantir l’égalité entre les sexes. Il faut répartir les richesses en respectant la justice sociale et en faisant primer les droits humains et le respect des fragiles équilibres écologiques.

La grande masse de la population qui voit ses revenus réels diminuer ou stagner (c’est-à-dire son pouvoir d’achat réel) compense cette baisse ou cette stagnation par le recours à l’endettement pour maintenir son niveau de consommation, y compris sur des questions vitales (comment remplir son frigo, comment assurer la scolarité des enfants, comment se déplacer pour aller au travail s’il faut acheter une voiture car il n’y a pas de transports en communs, comment payer certains soins de santé, etc.). Il faut apporter des solutions radicales à cet endettement croissant d’une majorité de la population aux quatre coins de la planète et recourir à des annulations de dette. Il faut donc annuler une grande partie des dettes privées des ménages (notamment les dettes étudiantes, les dettes hypothécaires abusives, les dettes abusives de consommation, les dettes liées au microcrédit abusif…). Il faut augmenter les revenus de la majorité de la population et améliorer fortement la qualité des services publics dans la santé, l’éducation, les transport collectifs, en pratiquant la gratuité.

Nous devons mener la lutte contre la crise multi-dimensionnelle du système capitaliste et nous engager résolument sur la voie d’une sortie écologiste-féministe-socialiste. Il s’agit d’une nécessité absolue et immédiate

Nous sommes confrontés à une crise multidimensionnelle du système capitaliste mondial : crise économique, crise commerciale, crise écologique, crise de plusieurs institutions internationales qui font partie du système de domination capitaliste de la planète (OMC, OTAN, G7, crise dans la Fed – la banque centrale des États-Unis –, crise dans la Banque centrale européenne), crise politique dans des pays importants (notamment aux États-Unis entre les deux grands partis du grand capital), crise de santé publique, guerres… Dans l’esprit d’un grand nombre de personnes dans de nombreux pays, le rejet du système capitaliste est plus élevé qu’il ne l’a jamais été au cours des cinq dernières décennies, depuis le début de l’offensive néolibérale sous Pinochet (1973), Thatcher (1979) et Reagan (1980).

L’abolition des dettes illégitimes, cette forme de capital fictif, doit s’inscrire dans un programme beaucoup plus large de mesures supplémentaires. L’écosocialisme doit être mis au cœur des solutions et non laissé de côté. Nous devons mener la lutte contre la crise multidimensionnelle du système capitaliste et nous engager résolument sur la voie d’une sortie écologiste-féministe-socialiste. Il s’agit d’une nécessité absolue et immédiate.

Notes

[1Voir Éric Toussaint, Bancocratie, 2014, chapitre 3 « De la financiarisation/dérèglementation des années 1980 à la crise de 2007-2008 ».

[2L’industrie automobile allemande emploie 830 000 travailleurs et 2 000 000 d’emplois connexes en dépendent directement (Source : Financial Times, « German industrial output hit by downturn », 7-8 décembre 2019).

[3Concernant l’explication des crises, parmi les économistes marxistes, « deux grandes « écoles » se font face : celle qui explique les crises par la sous-consommation des masses (la surproduction de biens de consommation) ; et celle qui les explique par la « suraccumulation » (l’insuffisance du profit pour poursuivre l’expansion de la production des biens d’équipement). Cette querelle n’est qu’une variante du vieux débat entre les partisans de l’explication des crises par « l’insuffisance de la demande globale » et ceux de l’explication par la « disproportionnalité ». » Ernest Mandel. La crise 1974-1982. Les faits. Leur interprétation marxiste, 1982, Paris, Flammarion, 302 p. À la suite d’Ernest Mandel, je considère que l’explication de la crise actuelle doit prendre en compte plusieurs facteurs qu’on ne peut pas la réduire à une crise produite par la surproduction de biens de consommation (et donc une insuffisance de la demande) ou bien par la suraccumulation de capitaux (et donc l’insuffisance du profit).

Auteur.e Eric Toussaint :  Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.

Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

Source www.cadtm.org/Non-le-coronavirus-n-est-pas-le-responsable-de-la-chute-des-cours-boursiers

BCE et aéroport de Kastelli (Grèce)

La BCE se prend les pieds dans le tarmac !!! par Yannis Youlountas

Petite visite provocatrice à la Banque Centrale Européenne à Francfort, en bonne compagnie…

LA BCE SE PREND LES PIEDS DANS LE TARMAC !!! 😁😅🤣

Pourquoi sommes-nous allés là-bas, profitant de ma tournée de projections en Allemagne ? Tout simplement pour nous moquer de l’énorme maladresse de la BCE dans sa récente communication concernant le financement de l’aéroport de Kastelli en Crète. Une boulette qui complique les affaires des menteurs au pouvoir en Grèce.

Que s’est-il donc passé ? Alors que les gouvernements grecs successifs prétendaient depuis des années que le site de l’actuel aéroport d’Héraklion, idéalement placé en bord de mer, serait transformé en lieu de loisirs populaires, la BCE a permis de comprendre que c’était un énorme mensonge. En effet, la BCE a rappelé à l’État grec que son prêt de 180 millions d’euros, élément majeur du dossier de financement, était conditionné par l’hypothèque du vaste terrain en sa faveur. Autrement dit, la BCE s’apprête à faire, une fois de plus, du fric sur le dos de la Grèce.

Car la valeur réelle de ce site est bien supérieure à celle du prêt s’il s’agit d’y construire une riviera luxueuse comme c’est déjà le cas dans un projet analogue à Athènes (sur le site de l’ancien aéroport d’Ellenikon et des infrastructures olympiques à l’abandon).

Non seulement la Banque Centrale Européenne prête de l’argent pour un projet de nouvel aéroport en Crète totalement inutile et nuisible*, mais en plus c’est pour faire du business sur l’ancien site !

Côté autorités grecques, personne n’ose commenter la boulette de la BCE : pas question de reconnaître que la promesse d’un grand espace de loisirs populaire était complètement bidon. Un nouveau site qui devait, de surcroît, être conçu en lien étroit avec la population de la quatrième ville de Grèce.

Oui, mais voilà : le masque est tombé ! Il ne s’agissait que d’un mensonge de plus dans le but de faire avaler la couleuvre du nouvel aéroport.

Jour après jour, semaine après semaine, de plus en plus de gens commencent à comprendre la supercherie et l’énorme affaire de gros sous que dissimulait cette histoire. Malgré les affirmations du premier ministre Mitsotakis en visite à Kastelli le 8 février dernier, le nouvel aéroport est loin d’être fait. Diverses actions se poursuivent (action auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, pression des archéologues, colère chez certains paysans et militants écologistes et anticapitalistes) ou se préparent.

Même si la situation est compliquée, rien n’est décidément terminé pour la deuxième vallée fertile de Crète. Et pour une fois, un grand merci à la BCE

Yannis Youlountas

* Projet et lutte à Kastelli en Crète présentés dans le film L’Amour et la Révolution, de la 43ème minute à la 50ème minute et de la 68ème à la 70ème minute :

Source http://blogyy.net/2020/02/18/la-bce-se-prend-les-pieds-dans-le-tarmac/

À propos des retraites et de notre force collective en cas de crise financière

par Aline Fares 

Pourquoi le gouvernement français s’acharne-il à imposer cette transformation radicale du système de retraite alors que personne n’en veut ? La journaliste Martine Bulard dans un récent article [1] et le philosophe Jacques Rancière dans une déclaration aux cheminots grévistes [2] donnent une même réponse : “ils veulent qu’il n’y ait plus que des individus”, en d’autres termes, il s’agit principalement de pousser chacun.e à penser sa retraite comme un choix individuel, et de « briser le collectif ». Il y a bien sûr aussi (surtout ?) “les financiers en embuscade” (on a nommé Black Rock qui est emblématique, mais c’est tout l’appareil financier qui se lèche les babines). C’est d’ailleurs dans ces moments où l’on prend le point de vue des puissants et des financiers que tout devient plus clair, que tout ce qui semblait incompréhensible devient logique. Mais il y a autre chose : ces nouvelles avancées du pouvoir vers une destruction du système de retraite par répartition pourraient rendre encore plus difficiles nos choix collectifs en cas de crise financière.

  Sommaire
  • Refuser la construction d’une nouvelle “alternative infernale”
  • Se garder une marge de manœuvre pour le jour où les marchés s’effondreront

 Refuser la construction d’une nouvelle “alternative infernale”

Dans leur ouvrage “La sorcellerie capitaliste”, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre nomment “alternatives infernales” “l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autre choix que la résignation (…)” [3]. Une opération de “capture sorcière”.

Comme l’a dit F. Fillon (pas exactement notre allié dans l’affaire, mais bon, pour une fois …), “la retraite par point permet une chose (…) : de baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions”. Voilà qui est clair. Et voici ce que cela produit : la perspective d’une retraite insuffisante nous pousse à être toujours plus prévoyant.e.s, individuellement, chacun.e depuis notre place… et si on le peut. Constituer un petit pactole, sous la forme d’un plan d’épargne-pension, comme on les nomme en Belgique. Cela devient un moyen (légitime, ce n’est pas la question) de se rassurer, de se dire que non, ces années qui suivront de longues années d’emploi ne seront pas juste une peine.

Les plans d’épargne-pension ainsi constitués font les choux gras des compagnies d’assurances et des banques qui les vendent, et on peut dire que le secteur financier doit une fière chandelle aux états : en Belgique, par exemple, l’épargne-pension, qui peut paraître incontournable dans bon nombre de situations faute de mieux (travailleur.euse.s indépendant.e.s, artistes, etc.), est aussi allègrement promue par une fiscalité avantageuse. Une petite visite sur des sites des lobbys du secteur permet de constater que ceux-ci ne s’en cachent pas : sans cette fiscalité, la rentabilité de leur activité prendrait un sérieux coup. En somme, les profits de ces banques et assurances sont pleins d’argent public – et c’est loin d’être le seul cas…

Mais il n’y a pas que des revenus de ces banques, assurances et autres fonds dont il faut se préoccuper. Car que se passe-t-il avec cet argent que nous mettrions dans un tel fond chaque mois, chacun.e de notre côté ? Que se passe-t-il avec cet argent qui – contrairement à la cotisation – ne sert pas à payer simultanément les retraites de ceux et celles qui ont cotisé pendant toutes leurs années de travail mais sert à alimenter les fonds et assurances-retraite qui sont ensuite gérés en notre nom ? On connaît la réponse : ils se baladent sur les marchés financiers.

Là où la retraite par répartition créé de la solidarité entre générations, entre actifs et inactifs, les fonds de pension créent un nouveau type de rapport social organisé autour d’une alternative infernale produite de toutes pièces (I.Stengers & P. Pignarre)

Les entreprises et individus en charge de la gestion de ces fonds prennent des décisions, chaque jour, pour “placer” ces masses colossales d’argent récolté. Ils les investissent dans des produits financiers divers : actions (part de capital d’une entreprise), obligations (part de dette d’une entreprise, d’un état, de particuliers), et autres fantaisies financières diverses et variées. Que se passera-t-il alors le jour où les marchés flancheront ?

C’est à cet endroit que l’on constate cette “emprise sorcière” que Stengers & Pignarre tentent de nous rendre visible dans leur livre : on sait que les marchés financiers nous font mal (licenciements boursiers, investissements dans les fossiles et autres pratiques destructrices, coût des crises financière, pour ne prendre que ces quelques exemples) et on peut se prendre à rêver à leur disparition, et pourtant “nous” pourrions bien en devenir une partie dès lors qu’une partie de notre retraite s’y trouve embarquée. Nous voilà coincé.e.s.

En cas de crise financière et donc de risque de dévalorisation des fonds et autres produits d’assurances investis sur les marchés financiers, les personnes qui auront souscrit à ces produits censés leur “garantir une retraite” convenable se retrouveront devant un terrible dilemme – une alternative infernale :

  • soit maintenir leurs “droits” et au passage, défendre des intérêts qui ne sont pas les leurs en maintenant en place un système financier qui profite à une minorité, nourrit les inégalités et détruit le vivant ;
  • soit abandonner ces “droits” et se retrouver avec le minimum garanti par ce qu’il resterait alors du système de retraite par répartition.

Et que se passerait-il alors ?

 Se garder une marge de manœuvre pour le jour où les marchés s’effondreront

Les questions que je me pose aujourd’hui peuvent se résumer ainsi : nos parents nous trahiront-ils le jour où les marchés flancheront de nouveau ? La “classe moyenne” dont on ne sait plus bien ce qu’elle comprend abandonnera-t-elle tou.te.s les autres ? Ceux et celles qui auront pu se constituer un petit pactole via les institutions financières soutiendront-ils un sauvetage massif du système bancaire et financier au nom de leurs retraites, et au prix de l’avenir des générations qui les suivent ? Se désolidariseront-ils de nous lorsque nous nous battrons pour que le coût de ces sauvetages bancaires ne nous soit pas imposé via de nouveaux plans d’austérité destructeurs, et pour que ces coûts soient imposées aux plus riches qui en ont largement les moyens ? Nous soutiendront-ils lorsque nous nous battrons pour restaurer une sécurité sociale digne de ce nom, qui nous permette d’abandonner ceux qui ont tout, et que nous voudrons enfin leur faire porter le coût de leurs violences ? Seront-ils prêts à courir le risque d’un inconfort passager, se mettront-ils à nos côtés, pour eux et elles aussi retourner dans ce système solidaire que constitue la retraite par répartition et dans les communs que nous reconquerrons ? Est-ce qu’ils y croiront, ou est-ce qu’ils se laisseront prendre par le discours du chaos qui ne manquera pas de tenter son retour : “si on ne sauve pas le système financier, TOUT va s’effondrer et il ne vous restera plus rien” ?

S’opposer au démantèlement des systèmes solidaires de retraite et de soins de santé, en France et ailleurs, empêcher coûte que coûte ce démantèlement, c’est se donner la possibilité de résister au discours du chaos et au gouvernement par la peur.

Alors oui l’heure est grave, et l’heure est à la grève, et il nous faut soutenir et amplifier, de là où nous sommes, le magnifique mouvement qui persiste en France.

Source : Chroniques d’une ex-banquière

[Le sujet des crises financières et d’une possible résolution socialement juste de ces crises est détaillé dans un précédent article intitulé “Prochaine crise financière: faire dérailler le scénario du désastre”, daté de Décembre 2019]
Notes

[1Article « Briser le collectif » paru dans Le Monde diplomatique de janvier 2020. Martine Bulard a aussi été interviewée par Là-bas si j’y suis suite à cet article, émission à écouter ici.

[3Citation complète, dans La sorcellerie capitaliste : pratiques de désenvoutement d’Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, éditions La Découverte : Les alternatives infernales regroupent “l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autre choix que la résignation (…) ou une dénonciation qui sonne un peu creux, comme marquée d’impuissance, parce qu’elle ne donne aucune prise, parce qu’elle revient toujours au même : c’est tout le système qui devrait être détruit”

Aline Fares 

Conférencière, auteure et militante.
Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »

2019, année record pour les marchés financiers mais pas d’argent pour les retraites

2019 aura tutoyé les sommets en matière de valorisation financière, le CAC 40 terminant l’année aux alentours des 6000 points soit à peu de choses près, autour des valeurs d’avant la crise de 2008. En contrepartie de ces résultats éclatants pour les investisseurs et les actionnaires, pour les travailleurs, c’est l’exploitation accrue, la précarité du travail et finalement l’appauvrissement qui sont promis, à moins qu’ils ne soient capables d’inverser la tendance, comme le mouvement de révolte à l’échelle mondiale le laisse présager.

Jean Beide

Malgré la guerre commerciale et les incertitudes, les marchés financiers battent leurs records

Malgré les remous, 2019 aura été une année faste pour le marché des actions, dans un contexte de fortes turbulences commerciales. Les grandes facilités de crédits, accordées par les banques centrales, ont surtout conduit les investisseurs à injecter d’énormes quantités de capitaux dans les actions, portées par les bénéfices records des grandes multinationales et une croissance mondiale assez solide. Pour autant, tous les observateurs s’accordent à dire que la santé de l’économie mondiale ne saurait justifier de telles envolées. Sur un an, le CAC 40 aura progressé de 28%, le Dow Jones de 23% et le Nasdaq de 36% alors même que leurs valeurs respectives étaient déjà aux niveaux des records historiques il y a un an.

Une année 2020 qui pourraient voire éclater ces contradictions

L’extraordinaire solidité du marché des actions qui se base pour l’essentiel sur des prévisions de croissance pourrait être confronté à une série de « corrections » d’importance si ce n’est à des avaries plus profondes encore. Alors que la croissance mondiale pourrait continuer à ralentir, de nombreux marchés hautement spéculatifs comme celui des starts-up pourraient s’effondrer. La faillite de Wework à l’automne dernier pourrait d’ailleurs à ce titre présager une tempête de plus grande envergure sur ce front des entreprises à fort potentiel qui aspirent d’immenses quantités de capitaux pour des résultats plus qu’incertains.

Vent de révolte à l’échelle mondiale et lutte des classes en France

Cette frénésie spéculative est le symbole d’un capitalisme dont l’essor ne correspond à aucun progrès réel pour les populations et les travailleurs qu’il exploite. Alors que les cartels industriels se sont relevés de la crise, les inégalités ont explosé et les conditions de travail se sont massivement détériorées dans les pays capitalistes avancés. Les résultats économiques ne sauraient masquer le vent de révolte qui souffle sur le monde entier, comme en France depuis un an ou au Chili depuis deux mois. Alors que Macron et ses alliés essayent de faire admettre aux travailleurs qu’il n’existe aucune richesse dans un pays comme la France pour financer des retraites ou des salaires, et plus généralement que tout travailleur est un « coût » pour le patronat qui pourtant n’existerait pas sans lui, 2020 s’annonce pour notre camp social, comme une excellente année pour repartir à l’offensive. La fortune du grand capital est une misère pour le plus grand nombre et le fameux « ruissellement » un mirage. Contre la réforme des retraites et son monde, il est temps de passer à l’attaque.

Source https://www.revolutionpermanente.fr/2019-annee-record-pour-les-marches-financiers-mais-pas-d-argent-pour-les-retraites

France La fraude fiscale vue par Solidaire Finances publiques

Dans la bagarre sur la fraude fiscale, la question de l’estimation des pertes fiscales est centrale. Face à ceux qui tentent de la minimiser pour mieux « laisser faire, laisser passer », le syndicat Solidaires Finances Publiques maintient son estimation…

Un petit résumé ci-dessous et le rapport complet.

Évitement de l’impôt

Définir l’évitement illégal de l’impôt

Le périmètre qui sert à estimer les pertes fiscales : Optimisation, évasion, exil, expatriation, planification et fraude.

La France considère que l’évasion fiscale est à la fois légale (dans le cas de l’optimisation agressive) et illégale (avec la fraude). L’OCDE définit pour sa part l’évasion fiscale comme des « arrangements illégaux dans lesquels une obligation fiscale est cachée ou ignorée, c’est-à-dire que le contribuable paie moins d’impôt que ce qu’il est légalement obligé de payer en dissimulant un revenu ou des informations aux autorités fiscales ».

Estimation des pertes fiscales

En janvier 2013, elles s’élèvent selon Solidaires-finances publiques à 60 à 80 milliards d’euros par an. Cette estimation s’appuyait sur une extrapolation des résultats du contrôle fiscal et sur l’utilisation de données « macro » permettant de corriger certains biais de cette extrapolation.

En septembre 2018, l’actualisation de cette estimation nous conduisait à retenir sa fourchette haute, soit 80 milliards d’euros environ.

Ce chiffrage a été contesté par quelques personnalités, dont le ministre de l’action et des comptes publics. Malheureusement, ils n’ont pas produit d’autres travaux qui auraient pu permettre d’engager un débat pourtant utile.

D’autres travaux en revanche corroborent l’ordre de grandeur découlant de notre estimation. À titre d’exemple, un travail de l’Université de Londres estime à plus de 800 milliards d’euros le manque à gagner au sein de l’Union européenne dû à la fraude aux prélèvements obligatoires. Ramené à la France, cela correspondrait à près de 118 milliards d’euros le total de l’évitement illégal fiscal et social, soit un montant comparable à notre estimation haute et à celle de la Cour des comptes en matière de recettes sociales.

Analyse de l’évolution des résultats du contrôle fiscal

Les « redressements fiscaux » permettent de recouvrer environ 15 % du montant total des pertes fiscales graĉe à des moyens juridiques nouveaux. Sans eux, la hausse de la fraude fiscale eut été plus importante. Mais ils ne suffisent pas. Il faut aussi des agents, des moyens humains : moins d’agents = moins de contrôles et par conséquent des résultats en baisse avec 16,15 milliards d’euros (droits et pénalités) contre 21,19 milliards d’euros en 2015. La fin du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) n’explique pas tout. Les 1733 suppressions d’emplois que les services de contrôle ont subi entre 2012 et 2016 (plus de 3000 depuis le milieu des années 2000) constituent la principale explication de cette baisse.

Une entreprise soumise à la TVA a une chance de faire l’objet d’une vérification sur place tous les 154 ans et une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés a une chance de faire l’objet d’une vérification sur place tous les 60 ans environ.

Le « redressement fiscal moyen » exprimé en droits et pénalités demeure élevé : alors qu’il était de 192 482 euros en 2009, 223 883 euros en 2017 en baisse sensible à 188 532 euros en 2018, un niveau inférieur aux dix dernières années.

Cette situation est d’autant plus inquiétante que le pouvoir considère le contrôle fiscal comme une mission exercée au service de l’entreprise ou du contribuable vérifié avec la loi « Essoc » et que le Président de la République participe à la déconsidération des agents en charge du contrôle.

Que faire ?

Refaire du contrôle fiscal la véritable contre-partie du système fiscal, améliorer le mode de management du contrôle et de la DGFiP, favoriser la formation, la mutualisation et l’expertise, redonner des moyens juridiques utiles, renforcer les effectifs, offrir des droits et de la visibilité aux agents, utiliser intelligemment les outils numériques et intensifier la coopération entre administrations et États.

Lire le rapport complet 191107_rapport_lutte_contre_la_fraude_fiscale

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