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Que disent exactement les textes des Memoranda grecs ?

Que disent exactement les textes des Memoranda grecs ? 9 janvier par Ariane G. CADTM

Athènes, Place Syntagma, Grèce, le 30 juin 2011 (CC – Wikimedia)

Cet article est tiré d’un mémoire de fin de master en sciences politiques, dont l’objectif principal était de démontrer les préceptes idéologiques néolibéraux, philosophiques comme socio-économiques, qui ont sous-tendu la réponse apportée par la Troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, Commission européenne) à la crise en Grèce dès 2010.

En octobre 2009, dans un contexte de crise économique mondiale, furent révélés des taux d’endettement et de déficit public de la Grèce bien plus élevés que ceux présentés officiellement jusqu’alors. Cette situation fut immédiatement suivie d’une réaction de méfiance de la part des marchés financiers qui fixèrent les taux d’intérêts vis-à-vis de la Grèce à un niveau extrêmement élevé, sous l’argument de l’insoutenabilité de ses finances publiques, et donc de son incapacité à rembourser ses emprunts. Par conséquent, le gouvernement grec fit appel à la Commission européenne et au FMI en vue de demander une aide financière. Ce fut le déclencheur, dès 2010, d’un important programme d’austérité (contenu dans les Memoranda of Understanding) élaboré par la Troïka et imposé à la Grèce comme condition à l’octroi de prêts. L’objectif officiel était de rendre l’état des finances de la Grèce conforme aux normes budgétaires de l’Europe en vue de garantir ses capacités à rembourser sa dette et de restaurer la « confiance des marchés » afin qu’ils permettent un retour à un taux d’intérêt « normal » pour la Grèce.

À ce sujet, il faut questionner la naissance, dans ce contexte, de la Troïka, alors que le Parlement européen, dans une résolution datant de 2014 [1], rapporte son inexistence juridique ainsi que celle de l’Eurogroupe (un groupe informel rassemblant les Ministres des finances de la zone euro). De fait, le Parlement rappelle l’importance du rôle qu’a joué l’Eurogroupe, malgré une absence de légitimité démocratique, dans les négociations et dans la prise de décisions finales relatives aux conditionnalités de l’assistance financière, adoptées sur la base des recommandations de la Troïka : selon le Parlement, ce groupe « assume donc la responsabilité politique des programmes ». D’ailleurs, la Commission n’a signé les Memoranda qu’au nom des Ministres des finances qui composent cet Eurogroupe. Le Parlement explique par ailleurs que la Troïka forme une entité « ad hoc » ne pouvant se fonder sur aucune base juridique européenne, ce qui le mène à déclarer que la responsabilité politique des activités de la Troïka revient in fine aux Ministres des finances de la zone euro, et donc à leurs gouvernements.

Une analyse lexicométrique des textes des trois Memoranda élaborés respectivement en 2010, 2012 et 2015, qui comportaient les conditions politiques, législatives, économiques, fiscales, budgétaires et sociales aux prêts financiers accordés à la Grèce, a donc été nécessaire aux fins de cette recherche. L’analyse lexicométrique est une analyse quantitative de textes, opérée grâce à un logiciel, qui permet d’étudier les spécificités et tendances lexicales et langagières d’un ou de plusieurs discours. Cette méthodologie a ainsi permis de répondre à la question suivante : comment expliquer le choix des réformes structurelles contenues dans les Memoranda au-delà de leur dimension purement économique ? La réponse était en effet à trouver dans le système idéologique néolibéral prédominant dans les institutions qui ont décidé des politiques à imposer à la Grèce. L’objectif était donc de déceler les rapports de pouvoir qui régissaient l’application de ces réformes en Grèce, et qui expliquent que les objectifs économiques portés par les Memoranda ne formaient pas l’objectif ultime mais constituaient plutôt des instruments permettant l’exportation du modèle socio-économique néolibéral au sein de la société grecque.

L’analyse qui suit a donc été basée sur une étude statistique des textes des trois Memoranda dans leur version anglaise et a permis d’en tirer des indices de la prédominance de la doctrine néolibérale dans les réformes qu’ils prônent.

La neutralisation de la puissance publique : un État grec sous programme

Discipliner et réduire l’incertitude des comportements de l’État grec en interférant dans ses choix

Alors que le mot will (en anglais) apparaît être la forme la plus fréquente au sein des trois textes (1371 apparitions), l’analyse de son environnement lexical immédiat, à savoir les mots qui le précèdent ou le suivent directement, montre qu’au niveau des mots qui le précèdent directement, le mot authorities y apparaît 124 fois, le mot government, 122 fois, et le mot Greece, 47 fois. Par ailleurs, les termes 2015, 2016, by, apply, continue ou encore program figurent parmi ceux qui apparaissent le plus fréquemment dans son réseau lexical, c’est-à-dire les mots qui apparaissent régulièrement dans son environnement lexical plus large, non-immédiat. Ces données laissent penser que l’État grec, détenteur de l’action publique, voit ses décisions politiques dictées à travers ce mot « will », dont l’analyse lexicale montre qu’il s’accompagne de verbes déterminant la direction à suivre ainsi que d’indicateurs temporels qui dictent les délais précis de l’application des mesures. Cette programmation élaborée au niveau européen permet de discipliner et de réduire l’incertitude des comportements de l’État grec en interférant dans ses choix tout en contrôlant ses ressources et leur utilisation (budget, fiscalité, dépenses, entreprises). En effet, l’adjectif public se retrouve en quatrième position d’apparition dans les textes (421 apparitions) : l’analyse de son réseau lexical démontre qu’il se rapporte particulièrement au secteur public, à l’administration publique, aux finances publiques, à l’emploi public, aux entreprises publiques. Les principaux noms communs et les verbes qui accompagnent le mot public démontrent les préférences de la Troïka à leur sujet : ils évoquent la modernisation, la réforme, l’investissement, le management, la réduction. L’objectif est de rétablir l’équilibre des finances publiques grâce à une réduction des dépenses qui sont considérées comme excessives (« overspending ») : cette réduction permet la dépossession de l’État social, c’est-à-dire de la prérogative publique qui vise à intervenir dans la société en vue de diminuer les inégalités. On retrouve ces tendances dans cet extrait :

  • « Le gouvernement devra identifier toutes ces mesures d’ici juin 2012 et les adopter dans ses budgets de 2013 et de 2014 afin d’atteindre les objectifs. Etant donné que les possibilités de réduction horizontale des dépenses ou d’augmentation d’impôts sont épuisées (…), ces économies devront venir de réformes structurelles des dépenses. » (MoU2012)

On note que, paradoxalement, certaines mesures budgétaires précises élaborées par la Troïka et concrètement mises en œuvre par le gouvernement grec sont parfois qualifiées d’« automatiques », tout comme les objectifs qu’elles visent sont parfois évoqués comme s’ils étaient issus de mécanismes automatiques. Par exemple, dans l’accord de 2012 :

  • « L’objectif du solde primaire pour 2012 était fixé à -1,0% du PIB. L’objectif était défini d’une façon qui nécessite un effort budgétaire similaire à celui d’avant, tout en laissant les stabilisateurs automatiques opérer. (…) Afin d’atteindre l’objectif budgétaire révisé pour 2012, le gouvernement s’est engagé à réduire les dépenses de 1,5% du PIB. (…) De plus, le gouvernement met en place un mécanisme de récupération automatique (à savoir une remise qui sera facturée aux entreprises pharmaceutiques sur une base trimestrielle) qui garantira que les dépenses pharmaceutiques ambulatoires pour 2012-2015 n’excéderont pas l’enveloppe budgétaire annuelle disponible. » (MoU2012)

Ce faisant, les décideurs laissent penser qu’ils fondent leurs choix sur des préceptes rationnels et naturels de l’économie réelle, incarnés dans l’idée de l’automaticité.

C’est sur la base de cette opposition entre l’arbitraire et l’objectivité que les Memoranda enjoignent également de réduire la main de l’État sur l’économie. Ils rejettent en théorie toute forme d’intervention étatique dans les domaines économique et social au profit de mécanismes de marché qui seraient neutres et rationnels ; pourtant, chacune des réformes composant ces accords ne peut être mise en œuvre que par la main du gouvernement.

L’adoption, la modification ou la suppression de lois ou de mesures législatives dans le système grec sont prépondérantes dans les conditionnalités

La nature des domaines dans lesquels est exigée une réduction de l’intervention publique appuie l’idée que, en réalité, l’opinion de la Troïka vis-à-vis du principe de l’intervention étatique dépend en fait de l’enjeu. S’il s’agit de redistribution des richesses et d’égalisation des conditions socio-économiques, l’action étatique est contrôlée, sous l’argument du nécessaire équilibre budgétaire et du caractère néfaste de politiques qui seraient « arbitraires ». S’il s’agit de mesures qui permettent d’instituer la norme de la concurrence entre les individus ou entre les pays, alors l’action gouvernementale est indispensable. C’est ce que la Troïka prône quand elle affirme ceci : « Nous examinerons en permanence les effets de ces mesures sur le marché du travail et sur les coûts unitaires du travail (…) afin d’assurer la flexibilité des salaires et l’augmentation de l’emploi. Si à la fin de l’année 2012, les effets sur le marché du travail restent difficiles à atteindre, nous envisagerons des interventions plus directes. » (MoU2012)

La Troïka interfère donc non seulement dans les politiques grecques en matière budgétaire, fiscale, économique et sociale mais également dans le système législatif et constitutionnel de la Grèce, afin d’y insérer des normes indispensables au système que l’on veut exporter dans la société grecque. Sur ce point, il apparaît que les mots law et legislation apparaissent en 14e et 29e position dans les textes. On observe également que la fréquence d’apparition du mot law au fil des textes augmente de manière constante dès la fin du Memorandum de 2010 jusqu’à la fin du Memorandum de 2015. La même tendance est à observer pour la famille de mots qui sont issus de la racine legislati-. On découvre ainsi que l’adoption, la modification ou la suppression de lois ou de mesures législatives dans le système grec sont prépondérantes dans les conditionnalités. En 2012, il est décidé ceci :

  • « Nous sommes déterminés à contrôler plus étroitement toutes les dépenses de l’administration publique et à empêcher l’accumulation d’arriérés. Cela nécessitera d’améliorer chaque étape de notre processus de dépenses : procédures de budgétisation, contrôles des dépenses vis-à-vis des engagements, rapports financiers, surveillances budgétaires. Afin d’améliorer les budgétisations à moyen et court terme, nous (…) adopterons les lois et règlement d’ici octobre 2012 (…). À la fin du mois d’avril 2012, le gouvernement introduira dans la structure légale grecque une disposition garantissant la priorité accordée aux paiements du service de la dette. Cette disposition sera introduite dans la Constitution grecque dès que possible. » (MoU2012)

Ces observations témoignent d’une stratégie de contrôle politique bien précise : les futurs choix étatiques sont ainsi limités à long terme grâce à l’insertion, dans le droit national grec, de règles qui resteront a priori en vigueur après que les programmes de prêts auront pris fin. Ce processus de restriction politique est renforcé par des échéances (« à la fin du mois d’avril 2012 », « d’ici octobre 2012 »…) attachées à presque toutes les réformes, ainsi que par les rapports que la Grèce doit fournir pour prouver leur bonne mise en œuvre (« les autorités fournissent à la Commission et à la BCE des rapports de conformité sur le respect des conditionnalités (…)  »).

La même tendance se trouve dans le réseau lexical de la famille de mots issus de la racine sustain-, dont les membres apparaissent 750 fois dans les trois textes. Au sein de ce réseau, les mots long-term, return et restore cadenassent les politiques concernant les finances, la dette et la croissance, et ce à travers l’injonction de la durabilité, de la stabilité et de l’équilibre.

À ce sujet, la debt est renvoyée à la responsabilité de l’État grec : sur 273 apparitions, ce mot est précédé à 72 reprises des adjectifs government, greek, public ou sovereign. De plus, les mots sustainability (soutenabilité/durabilité) et ceiling (plafond) apparaissent régulièrement dans son environnement ; la nécessité d’un contrôle et d’un plafonnement du taux d’endettement public en vue de sa soutenabilité apparait ici comme logique et incontestable.

La crédibilité vis-à-vis des marchés constitue donc un critère essentiel pour considérer une politique publique comme légitime

Par ailleurs, la préoccupation vis-à-vis du « sentiment » des marchés illustre la dépendance financière de l’État grec vis-à-vis du jugement de ces marchés : les marchés jouent en effet un rôle important dans l’évolution de la situation économique grecque selon le « sentiment » que le contexte politique ou budgétaire leur inspire. Par exemple, le lendemain de l’annonce de la tenue des élections anticipées par le Premier ministre grec, en décembre 2014, et alors que Syriza était en tête de tous les sondages, les marchés faisaient grimper les taux d’intérêts sur les obligations grecques, et la Bourse d’Athènes chuta de 13% (et de 9% après les premières déclarations de Tsipras suivant son élection). À quelques jours du référendum grec de 2015, plusieurs Bourses européennes chutaient également. La crédibilité vis-à-vis des marchés constitue donc un critère essentiel pour considérer une politique publique comme valide ou légitime. En 2010, la Troïka décidait ceci :

  • « La crise mondiale de 2008-2009 a révélé les vulnérabilités de la Grèce. En conséquence, le sentiment des marchés vis-à-vis de la Grèce s’est fortement dégradé au début de l’année 2010. La récession économique a eu de lourdes conséquences sur les finances publiques. Des dépenses excessives et une forte baisse des recettes publiques ont porté le déficit des administrations publiques à environ 13,6% du PIB en 2009. La dette publique a atteint 115% du PIB à la fin de l’année 2009. De plus, l’ampleur de la détérioration de la situation budgétaire a été révélée relativement tard à cause de sérieuses déficiences des systèmes comptable et statistique de la Grèce. Cette mise en œuvre tardive des mesures correctives a surpris les marchés, qui se sont préoccupés de la soutenabilité des finances publiques. Les principales agences de notation ont déclassé la dette publique. (…) La priorité immédiate est de contenir les besoins de financement du gouvernement et de rassurer les marchés sur la détermination des autorités à tout mettre en œuvre pour assurer la soutenabilité des finances publiques à moyen et long terme. (…) Il ne fait aucun doute qu’une mise en œuvre disciplinée du programme garantirait la soutenabilité de la dette extérieure et souveraine et contribuerait à restaurer la crédibilité de la Grèce vis-à-vis des investisseurs étrangers, ainsi qu’à aider le pays à avoir à nouveau accès aux marchés internationaux de capitaux. » (MoU2010)

On observe également, dans les Memoranda, une utilisation massive de seuils et d’indicateurs numériques. En effet, % et percent sont respectivement la 3e et la 8e forme à apparaître le plus fréquemment au sein des trois textes. L’environnement de % renvoie principalement au domaine fiscal, ce qui appuie l’idée que cette mobilisation importante d’indicateurs numériques devient un instrument, dans le système néolibéral, de contrôle de l’action de l’État, en particulier ses prérogatives fiscales et budgétaires. Les mesures austéritaires que l’on retrouve dans les Memoranda s’en trouvent, en apparence, dépolitisées et formulées de manière extrêmement technique : elles semblent former des solutions rationnelles et pragmatiques vis-à-vis des diagnostics posés pour la Grèce, tels des remèdes médicaux vis-à-vis d’un diagnostic scientifique, et non de préférences idéologiques et subjectives. Ces indicateurs chiffrés permettent ainsi la délimitation des actions de l’État (prévision de futures conséquences chiffrées et/ou injonction de réformes chiffrées à mener).

La privatisation : contre l’intérêt général, pour la compétitivité

Ajoutons que des finances et un taux d’endettement public qualifiés d’insoutenables peuvent mener à des privatisations de biens publics en même temps qu’au contrôle des dépenses publiques, les deux ayant pour but de rétablir l’équilibre et de rembourser la dette. Ici, la fréquence d’apparition des mots issus de la racine privati- illustre une augmentation régulière de leur utilisation dès le Memorandum de 2012, et jusqu’à la fin du Memorandum de 2015. En l’occurrence, les Memoranda enjoignent l’État grec de privatiser, de manière « irréversible », les secteurs de l’eau, de l’électricité et du gaz, le secteur minier, certains ports, chemins de fer, autoroutes et aéroports, le secteur touristique et des télécommunications, certains biens immobiliers, ou encore, la poste. Le secteur privé est considéré comme la solution efficace par nature :

  • « Les privatisations peuvent contribuer à rendre l’économie plus efficace et à réduire la dette publique. Alors que le processus de privatisations avait été stoppé au début de l’année, le gouvernement s’est désormais engagé à lancer un programme ambitieux de privatisations et d’explorer toutes les possibilités afin de réduire l’enveloppe de financement, grâce à une trajectoire fiscale alternative ou des recettes plus importantes de privatisations. » (MoU2015)

Les privatisations contribuent non seulement à la suppression de l’autorité de l’État grec sur une part croissante des entreprises et des services, mais aussi à l’extension de la norme de la performance compétitive jusque dans les biens d’intérêt général, dès lors qu’ils sont placés sur le marché. Par ailleurs, la privatisation n’est pas toujours présentée comme nécessaire si ces biens publics sont libéralisés de sorte d’être soumis à une logique concurrentielle et rentable.

Si les Memoranda plafonnent précisément les dépenses budgétaires grecques,ce seuil ne concerne pas les dépenses de recapitalisation des banques privées

Prenons l’exemple du secteur de l’énergie grecque : on observe une évolution entre le Memorandum de 2010, qui appelle d’abord à sa libéralisation – et qui n’évoque que très peu l’idée de la privatisation (5 fois sur l’ensemble du texte) :

  • « Améliorer le climat des affaires et renforcer les marchés concurrentiels. (…) Les industries du réseau seront progressivement libéralisées, en particulier dans le secteur de l’énergie et des transports (…) » (MoU2010)

Et le Memorandum de 2015, qui décide définitivement de la privatisation de certaines entreprises énergétiques à moins que l’État grec ne propose une alternative qui engendrerait les mêmes résultats en termes de logique compétitive :

  • « Les marchés grecs de l’énergie ont besoin de vastes réformes afin de les rendre conformes aux politiques et à la législation européennes, de les rendre modernes et compétitifs, de réduire les monopoles et les inefficacités, de promouvoir l’innovation (…). D’ici octobre 2015, les autorités prendront des mesures irréversibles en vue de privatiser l’entreprise de transport d’électricité, ADMIE, à moins qu’un schéma alternatif ne soit fourni avec des résultats équivalents en termes de concurrence et de perspectives d’investissement (…). » (MoU2015)

De plus, le Memorandum de 2015 décide que les recettes engendrées par les privatisations seront destinées au remboursement du dernier prêt du Mécanisme européen de stabilité (un dispositif européen qui accorde des prêts à l’Etat grec), tandis que la moitié de ce prêt sera destiné à la recapitalisation des banques, un quart au remboursement de la dette, et un quart à l’investissement. Si les Memoranda plafonnent précisément les dépenses budgétaires grecques, ils précisent toutefois que ce seuil ne concerne pas les dépenses de recapitalisation des banques privées :

  • « Les dépenses primaires de l’administration centrale (…) excluent tous les paiements en espèces relatifs à la restructuration bancaire, lorsqu’ils sont effectués dans le cadre du programme de la stratégie de restructuration du secteur bancaire. Les coûts qui peuvent être exclus du solde budgétaire incluent les prêts à des institutions financières et les placements dans les fonds des institutions financières (…). » (MoU2010)

Les Memoranda veillent ainsi au bien-être financier d’institutions privées grâce à leur recapitalisation, commencée dès 2009. On observe ici la priorité accordée à la protection d’institutions privées sous couvert de l’argument de la stabilité financière. Tout comme l’injonction de réduire les dépenses publiques et de vendre les biens publics afin d’en transférer les ressources vers le secteur privé, ces mesures font pencher la balance en défaveur du bien-être collectif et en faveur de propriétaires de capital privé. De fait, parmi les objectifs figurent ceci :

  • « Nous visons à accomplir un transfert fondamental des actifs publics vers le secteur privé. Transférer des actifs des secteurs clés de l’économie (tels que les ports, les aéroports, les autoroutes, l’énergie et l’immobilier) vers des utilisations plus productives à travers des privatisations et des concessions (…). » (MoU2012)
  • « Il est nécessaire de préparer et de mettre en œuvre un ambitieux agenda de réformes structurelles afin de renforcer la compétitivité externe, d’accélérer la réaffectation des ressources du secteur non-marchand vers le secteur marchand (…). Des réductions de dépenses équivalent à 7% du PIB seront mises en œuvre. (…) Ces réductions et le déblocage conséquent de ressources pour le secteur privé devraient également contribuer à restaurer la compétitivité. » (MoU2010)


La réforme du marché du travail : une main d’œuvre grecque précarisée

Ensuite, la recherche de compétitivité des entreprises mais aussi des individus s’impose en vue de relancer la croissance. Cela se traduit dans une politique visant à flexibiliser le marché du travail et à réduire les coûts de production (salariaux ou non). Selon le texte de 2012, cette compétitivité :

  • « ne se matérialisera que si la réforme du marché du travail s’accompagne d’une action visant à promouvoir la compétitivité sur le marché des biens et des services afin de permettre de répercuter la réduction des coûts du travail sur les prix à la consommation. » (MoU 2012)

À ce sujet, le mot competitiveness (76 apparitions dans les textes) est précédé 21 fois des verbes boost, enhance, improve, promote, recover, restore/ing. De plus, son réseau lexical dépeint une nécessité (need) urgente (accelerate, quickly) de restaurer une compétitivité perdue (gap, weak) des entreprises nationales (external) et des travailleurs (employment, labour), et ce, à travers une politique de désinflation compétitive (price, deflation, policies). Quant au mot competitive, une partie de son environnement lexical renvoie plus particulièrement au processus de privatisation (privatisation et privatised), ce qui appuie l’idée de privatisations comme moyen de renforcer toujours plus la compétitivité des entreprises.

En ce qui concerne la politique de la réduction des salaires, on observe que le travail (labour, 155 apparitions) renvoie la plupart du temps à son marché, à son coût ou à sa réserve. En effet, le travail étant désormais considéré comme un bien marchand comme un autre, son « coût » (les salaires) est ajusté en fonction de son niveau d’offre et de demande. D’ailleurs, les mots référant à la réduction (reduc-) trouvent dans leur environnement les mots costs, pensions, employment, wage(s) et expenditure (coûts, pensions, emploi, salaire(s) et dépenses). De plus, l’analyse de l’environnement des mots issus de la racine flexib- montre que les mots more, facilitate, impediments ainsi que wage et price y sont parmi les plus fréquents. Cette politique se concrétise ainsi :

  • « Le gouvernement a légiféré une réduction des salaires minimums. Les seuils salariaux dans la Convention Collective Générale Nationale (NGCA) ont été réduit de 22%, ou même de 32% pour les moins de 25 ans. Ceci est important car le niveau des salaires minimums et des autres salaires réglementés par la NGCA est devenu plus contraignant alors que le salaire moyen décline. Par conséquent, la réduction du salaire minimum crée une marge supplémentaire pour qu’un ajustement à la baisse des salaires soit décidé par les employeurs et les employés dans chaque entreprise ou secteur. (…) Les mesures décidées par le gouvernement reposent sur deux piliers : un ajustement des niveaux de salaire et une révision du système de négociation collective (…). Une action anticipée est justifiée au vu des rigidités dans les systèmes de fixation des salaires, qui ont empêché l’ajustement des salaires du secteur privé et ont contribué à une forte augmentation du chômage, en particulier chez les travailleurs peu qualifiés et les jeunes. (…) La flexibilité à la baisse des salaires aide les entreprises viables à réduire leurs coûts de production, créant ainsi un gain potentiel des parts de marché extérieur, favorisant les investissements et accélérant le changement indispensable de la structure de l’économie. La mission a noté, cependant, que les réformes des marchés du travail et des produits nécessitent d’être menées en parallèle afin d’éviter que les réductions de salaires ne résultent en une augmentation des marges de profits, ce qui serait socialement préjudiciable. » (MoU2012)

En réalité, la réduction de 24% des « coûts salariaux » opérée entre 2009 et 2014 n’a pas été répercutée sur les prix à l’exportation, alors que c’est l’objectif officiel de cette réduction salariale ; en revanche, les bénéfices à l’exportation ont augmenté [2]. Le dernier extrait montre que la discipline salariale s’accompagne d’une certaine culpabilisation des travailleurs, avec l’idée de la « préférence collective pour le chômage » selon laquelle le chômage serait dû à des salaires trop élevés ou trop rigides, et que par conséquent, le seul moyen de sauver ou créer des emplois serait d’accepter une réduction des salaires. En 2012, la Troïka affirmait ainsi que
« des réformes supplémentaires du marché du travail sont nécessaires pour permettre aux salaires et aux heures de s’ajuster plus rapidement et en fonction des besoins des entreprises et de l’activité économique au sens large, contribuant ainsi à sauver des emplois et à créer de nouvelles opportunités d’emplois. » (MoU2012)

En ce qui concerne les « coûts du travail non-salariaux », leur diminution passe par la baisse de contributions sociales des entreprises ; et afin de compenser cette perte budgétaire, les textes enjoignent de réduire davantage les dépenses sociales « non-essentielles » (sans préciser quelles dépenses sont visées) :

  • « Des réductions des coûts du travail non-salariaux contribueront également à rendre l’économie plus compétitive. Au cours des prochains trimestres, les taux des cotisations sociales devraient être réduits de 5%. Compte tenu des besoins d’assainissement budgétaire, cela devra se faire de manière neutre pour le budget, via une réduction parallèle des avantages sociaux non-essentiels. » (MoU2012)

Dans le même temps, les travailleurs grecs font face à une individualisation de leurs droits, de leurs rémunérations et des contrats de travail, non seulement sur la base de leur situation économique individuelle mais également en fonction du degré de leur performance individuelle et de responsabilité au travail. Une tendance à la responsabilisation des travailleurs se met ainsi en place :

  • « Les autorités, d’ici octobre 2015, légiféreront des réformes supplémentaires qui prendront effet à partir du 1er janvier 2016 : améliorations spécifiques en termes de conception et de paramètres afin d’établir un lien plus étroit entre les cotisations et les allocations (…). Le gouvernement adoptera d’ici mars 2016 une série supplémentaire de régimes de soutien à l’emploi pour 150 000 personnes (…) avec des mesures individualisées du marché du travail actif pour les participants (…). D’ici octobre 2015, les autorités réformeront la grille salariale unifiée, qui sera mise en œuvre dès le 1er janvier 2016 (…) avec une application complète dans le secteur public, y compris en décompressant la répartition des salaires sur tous les salaires en fonction de la compétence, de la performance, de la responsabilité et de la position du personnel. (…) La réforme basera le recrutement des cadres sur le mérite et la compétence (…) ; les autorités (…), d’ici novembre 2015, légiféreront le nouveau cadre d’évaluation des performances de tous les employés, afin de construire une culture orientée vers les résultats. » (MoU2015)

Cette institution de la concurrence sociale, c’est-à-dire entre les individus, résulte de l’application du critère de la performativité vis-à-vis des individus. C’est à partir de cette conception que sont élaborées certaines politiques publiques pour la Grèce, notamment dans le domaine de l’éducation et des formations : elles sont pensées comme des investissements dans la rentabilité potentielle des travailleurs, eux-mêmes désormais considérés comme « capitaux humains » :

  • « La stratégie de croissance, qui pourrait notamment viser à créer un environnement des affaires plus attractif, à améliorer le système éducatif aussi bien que la formation du capital humain grâce à la formation et l’enseignement professionnels, au développement de la recherche et du développement, et à l’innovation. » (MoU2015)

Par ailleurs, la réduction des salaires a été rendue possible grâce, notamment, à l’affaiblissement des institutions de négociations collectives et de protection sociale. Les extraits suivants tirés des Memoranda montrent que ces mécanismes sont mis en œuvre en Grèce à travers diverses mesures législatives de déconstruction du droit du travail grec : procédures de licenciement facilitées, emplois partiels ou temporaires favorisés, négociations des salaires décentralisées, tranche de salaires au-dessous du salaire minimum légal instituée, ou encore, salaires globalement réduits ou gelés. De plus, et particulièrement dans les Memoranda de 2010 et de 2012, la comparaison avec des concurrents voisins de la Grèce est souvent utilisée afin de préconiser des réformes d’ajustement à la baisse (« alignement ») :

  • « Premièrement, le gouvernement lancera un pacte social avec les partenaires sociaux afin de parvenir à un consensus sur la décentralisation des négociations salariales (afin de permettre, au niveau local, de déroger aux accords d’augmentation des salaires au niveau sectoriel), l’introduction de salaires en dessous du seuil de salaire minimum pour les jeunes et les chômeurs de longue durée, la révision d’aspects importants des règles et des coûts de licenciement, et la révision des réglementations du travail à temps partiel et temporaire. (…) Le gouvernement modifie la législation sur la protection de l’emploi afin d’étendre la période probatoire pour les nouveaux emplois à un an, de réduire le niveau général des indemnités de licenciement (…), de relever le seuil minimal d’activation des règles en matière de licenciement collectif, en particulier pour les grandes entreprises, et de faciliter une plus grande utilisation de contrats temporaires et travail à temps partiel. » (MoU2010)

« L’ensemble des mesures en matière de marché du travail qui seront mises en œuvre comprend :

  • Des mesures structurelles visant à uniformiser les règles du jeu en matière de négociations collectives (…) : la durée des contrats collectifs et révisions des ‘conséquences’ des contrats collectifs (…) ; la suppression de la ‘titularisation’ de tous les contrats existants dans toutes les entreprises (…) ; le gel de ‘l’échéance’ garantie par la loi et/ou les accords collectifs (référant à toutes les augmentations automatiques des salaires en fonction du temps) (…) ; l’élimination du recours unilatéral à l’arbitrage, et l’autorisation des demandes d’arbitrage uniquement si les deux parties y consentent (…)
  • Adaptation des niveaux de salaire (…) : Nous légiférerons : (i) un réalignement immédiat du niveau de salaire minimum déterminé par la Convention Collective Générale Nationale de 22 % à tous les niveaux (…) ; ii) son gel jusqu’à la fin de la période du programme ; et (iii) une nouvelle baisse de 10 % pour les jeunes, qui s’appliquera généralement sans conditions restrictives (pour les moins de 25 ans). Ces mesures permettront de réduire l’écart entre le niveau du salaire minimum et celui des pairs (Portugal, Europe centrale et du Sud-est). (…) De concert avec les partenaires sociaux, nous préparerons d’ici fin juillet 2012 un calendrier clair pour la révision de la Convention Collective Générale Nationale. Cela alignera le cadre de salaire minimum de la Grèce sur celui des pays de comparaison et lui permettra de remplir sa fonction de base consistant à assurer un filet de sécurité uniforme pour tous les employés.
  • Travail de suivi. Nous examinerons en permanence les effets de ces mesures sur le marché du travail et sur les coûts unitaires de main-d’œuvre et, le cas échéant, (…) adopterons des mesures correctives supplémentaires pour faciliter la négociation collective, afin de garantir la flexibilité des salaires et la création d’emplois. Si, à la fin de l’année 2012, les effets sur le marché du travail restent difficiles à atteindre, nous envisagerons des interventions plus directes. » (MoU2012)


L’imposition de l’universel : quand l’idéologique prend la forme du logique

Quand l’idéologique prend la forme du logique

Dans certains extraits, on observe l’utilisation des expressions « dialogue social », « forger le consensus », et « partenaires sociaux ». Ainsi, le « dialogue constructif entre les partenaires sociaux », selon les termes du texte de 2015, remplace le véritable débat politique, neutralisant le conflit démocratique et social au sein de la communauté européenne. La philosophie individualiste de l’idéologie néolibérale a pour conséquence l’impossibilité de considérer l’institutionnalisation du conflit social et le compromis qui en découle. En effet, en 2012, il est décidé qu’en cas d’échec du dialogue social, le gouvernement grec utiliserait tout de même le système législatif national en vue de l’ajustement des salaires et des coûts de production :

  • « Si le dialogue social en cours ne permet pas d’identifier des solutions concrètes, alors, pour atteindre l’objectif, le gouvernement prendra des mesures législatives dans l’intérêt public urgent afin de permettre aux coûts salariaux et non-salariaux de s’ajuster en fonction des besoins ». (MoU2012)

L’objectif de compétitivité ne tolèrerait donc pas d’opposition : tout le monde devrait convenir de son caractère primordial et supérieur. Dans une telle optique, le fait que certains s’opposent encore à cet objectif s’expliquerait par leur méconnaissance de cette supériorité : il y aurait donc lieu de la leur imposer. On retrouve cette idée de l’incontestabilité des politiques décidées par le Troïka dans cette formulation de 2010 : « Il y avait une compréhension similaire (…) du nombre limité d’options de politiques disponibles ». Plus précisément, « d’importantes réductions des pensions et des salaires publics sont inévitables. »

Par conséquent, les décisions économiques sont formulées, dans les Memoranda, en termes techniques, occultant ainsi leur nature idéologique : cette dépolitisation des décisions se justifierait par le rejet de l’arbitraire et est présenté, dans le discours néolibéral, comme une mise en œuvre de solutions objectives et universelles, voire mathématiques – les très nombreux graphiques et indicateurs chiffrés que l’on retrouve dans les Memoranda illustrent ce fait.

  • « Les autorités entendent moderniser et renforcer significativement l’administration grecque (…) en dépolitisant l’administration grecque. (…) La réforme basera le recrutement de cadres sur le mérite et la compétence, en dissociant la mise en œuvre technique de la décision politique (…), en vue de permettre une dépolitisation et une meilleure mémoire institutionnelle. » (MoU2015)

On retrouve également cette stratégie dans le discours de la Troïka lorsqu’elle affirme :

  • « les conditionnalités politiques structurelles pour la Grèce reposent sur une analyse fondée sur des preuves. L’analyse comparative des politiques structurelles, basée sur des méthodologies développées par le comité de politique économique européen, révèle que la Grèce est moins performante (…). » (MoU2010)

Enfin, on peut déceler, dans les trois Memoranda, une appropriation d’une partie du vocabulaire contestataire de la politique néolibérale imposée à la Grèce – contestation qui cible particulièrement ses effets sociaux désastreux : l’objectif est d’absorber les idées qui critiquent les décisions de la Troïka, ce qui rend le caractère idéologique de ces décisions encore plus difficile à distinguer. Aussi, lorsque la Troïka aborde la lutte contre l’évasion fiscale, elle précise son utilité comme permettant une meilleure acceptation sociale du programme : cette mesure laisserait en effet penser à un juste partage des efforts et à une certaine justice sociale, ce qui permettrait d’apaiser les contestations :

  • « Ce n’est pas seulement à cause de la nécessité d’augmenter les recettes et de réduire le déficit budgétaire (…). C’est aussi important pour l’acceptabilité sociale du programme d’ajustement, car la réduction de l’évasion fiscale permettra un partage plus équitable de l’effort d’ajustement. » (MoU2012)

Les réformes pour les programmes sociaux grecs ne sont accompagnées d’aucune donnée chiffrée ni d’aucune date d’échéance

On notera ici que, contrairement à toutes les autres réformes fiscales, budgétaires, économiques ou législatives, les réformes préconisées par la Troïka pour les programmes sociaux grecs ne sont accompagnées d’aucune donnée chiffrée ni d’aucune date d’échéance. Ceci illustre bien les priorités politiques de la Troïka. Qui plus est, les déficiences grecques en matière de politiques sociales mènent la Troïka à conclure, paradoxalement, que c’est un secteur qui doit réduire ses dépenses et faire des économies, tout en assurant la justice sociale :

  • « Etant donné le mauvais ciblage des programmes sociaux, il y a une possibilité de générer des économies supplémentaires dans ce domaine, tout en protégeant de manière plus efficace les plus vulnérables. Jusqu’ici, les politiques sociales en Grèce semblent manquer d’une stratégie claire en matière de ciblage des parties de la société qui ont vraiment besoin de l’aide publique. (…) L’examen de l’OCDE, en cours de préparation, devrait mettre en évidence les domaines dans lesquels il y a des possibilités de réaliser des gains d’efficacité importants et de générer des économies, tout en améliorant l’équité sociale des politiques respectives. » (MoU2012)

Ici, alors que le véritable objectif des mesures tirées de cet extrait est de réduire les budgets des programmes sociaux, la Troïka y a attaché la finalité de l’équité sociale afin de légitimer cette réduction. Pourtant, cette finalité est incompatible avec l’objectif principal, puisque celui-ci vise clairement l’affaiblissement des ressources qui auraient justement permis plus d’équité sociale, en tendant à la réduction des inégalités socio-économiques des diverses classes sociales grecques.



Notes

[1Résolution du Parlement européen du 13 mars 2014 sur le rapport d’enquête sur le rôle et les activités de la troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays sous programme de la zone euro : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2014-0239+0+DOC+XML+V0//FR

[2Comité pour la vérité sur la dette publique, « Rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque », 2015 : http://www.cadtm.org/Rapport-Preliminaire-de-la

Prostitution politique La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Prostitution politique

Nous arrivons à un tel point grave, à un point de rupture. La parodie SYRIZA s’ajoute à la parodie méta-démocratique pour enfin poignarder le pays prétendument paisible, et ceci jusqu’à l’os, et ceci manifestement de manière irréversible. Sans majorité conforme à la lettre et encore moins à l’esprit de la Constitution après le départ programmé du gouvernement des opportunistes de Kamménos et entre le soir du 15 et celui du 16 janvier, SYRIZA se maintiendrait-il sollicitant la confiance de la Chambre par un vote de confiance, uniquement grâce à ces arrivistes apostats élus de Kamménos, comme autant, grâce aux élus itinérants d’autres partis politiques. Un “Parlement” et une Chambre d’enregistrement de décisions prises partout ailleurs sauf en Grèce, Chambre devenue autant celle de la prostitution politique, des Syrizístes et des autres. La politique, le plus vieux métier du monde.

Pays prétendument paisible. Ville de Tríkala, Thessalie, janvier 2019

Les moments sont dramatiques car ensuite, très probablement vers la fin de la semaine ou durant la semaine prochaine, SYRIZA et les itinérants… essaieront de faire passer l’accord Macédonien de Tsípras, ce qui équivaut à offrir à terme du territoire national sans guerre, en tout cas classique, aux voisins Slaves de l’ex République Yougoslave de Macédoine et en réalité aux Puissances ouvertement intervenues dans le processus du pseudo-accord. Essentiellement il faut dire l’Allemagne avec son dessein balkanique, d’où le voyage de la Chancelière à Athènes il y a quelques jours… ordonnant l’accélération du processus pour la ratification de l’accord, comme il se dit ouvertement à Athènes dans la rue et dans les médias, et ensuite les États-Unis, via la… finalisation de l’élargissement de l’OTAN aux pays des Balkans, toujours et encore, contre l’influence historique et culturelle de la Russie slave et orthodoxe dans cette même région.

Notons que ce mercredi 16 janvier, l’administrateur colonial Moscovici est en visite à Athènes, hasard du calendrier ? La balkanisation est comme on sait ce plat traditionnel que les antagonismes intra-européens ont parfois et d’abord fait chauffer, avant que leur coin cuisine ne prenne alors feu. Et c’est exactement ce que fait l’européisme actuel alors sous un Kominterm il faut dire berlinois. Donc, il y a feu.

Désormais à Athènes, c’est la lutte finale… contre cette gauche avariée du para-culturalisme et de l’ultra libéralisme, en somme, contre l’ensemble du système politique grec, car “eh bien sinon, c’est notre fin” comme on entend dire un peu partout en Grèce en ce moment. Le Putsch permanent comme mode de gouvernance austéritaire a pleinement tourné en Occupation avec ses traîtres plus obligeants que jamais, pour enfin livrer l’essentiel de la souveraineté, de l’histoire et de l’identité hellénique, autrement-dit, le noyau dur de notre essence, tel est en tout cas le ressenti des Grecs à plus de 80%, ce que les Ambassades impliquées n’ignorent pas, d’où finalement cette accélération dans le crime très organisé que Tsípras et sa bande voudront ainsi parachever avant de disparaître de l’histoire.

Vue d’Athènes, janvier 2019
Terrasses à Athènes, janvier 2019

“Ces gens de SYRIZA, ils ont ainsi vendu leur mère, et ils en sont fiers, car cette gauche est mondialiste, apatride et accessoirement vendue”, peut-on entendre depuis les ondes de la radio 90.1 FM au soir du 15 janvier, par le journaliste Mazarákis, et par les analystes Karambélias et Aposkítis, tous trois pourtant issus de la trop vielle gauche. “Nous arrivons à un tel point de rupture, où il va falloir nous battre pour notre liberté comme à chaque fois que nous étions en guerre, car nous sommes en guerre. Et il faut dire que notre arme pacifique, à savoir le Référendum sur la question macédonienne n’est visiblement réclamé par aucune force politique, ni de gauche, ni de droite, à l’exception du petit parti centriste de Levéntis. Donc nous savons à qui nous avons à faire.”

“Et admettre ainsi ce Mal alors absolu, voilà ce qui nous rend encore mieux déterminés, tous nos sens en alerte, nous devenons des fauves à notre tour, voilà ce que nous sommes devenus dans les turbulences des mutations actuelles. Les paroles doivent cesser et les actes doivent prendre le pas. Face à nous, il y a un régime déterminé à livrer le pays et pour ce faire, il a autant assassiné la démocratie. Donc c’est le peuple qui se doit agir alors seul pour prendre les choses en main, pour défendre à la fois la démocratie, la patrie et sa liberté, devant les nains politiques et les marionnettes du système des partis dont le fascisme reste alors la seule et unique pratique”

Le Maire de Meneméni de Thessalonique est intervenu lors de l’émission pour dire “qu’au niveau régional à travers tout le Nord de Grèce, on s’organise pour descendre à Athènes et manifester déjà durant les prochains jours, pour que cet accord ne puisse pas passer, et qui constitue une défaite diplomatique et nationale, ouvrant la porte toute grande à l’irrédentisme des voisins. Et après tout, ce gouvernement n’a pas aucunement négocié, j’ai posé directement a question à deux collaborateurs de Kotziás le ministre des Affaire Étrangères au moment de la signature, collaborateurs ayant pris part aux prétendues négociations, et ils nous ont dit qu’ils avaient exprimé de nombreuses réserves et que Kotziás leur a aussitôt répondu ‘laissez tomber les arguments diplomatiques et scientifiques et suivez ma ligne’. J’ai également posé la question à un député SYRIZA de Thessalonique, ‘pourquoi n’avez-vous pas organisé un référendum’ et il m’a cyniquement répondu qu’il était hors de question car un tel référendum nous allons bien entendu le perdre, voilà pour ces gens.”

Désolation et paupérisation, Athènes, janvier 2019
Désolation et paupérisation, Athènes, janvier 2019

Rappelons ici ce que les médias internationaux n’évoquent jamais, à savoir l’irrédentisme et le nationalisme alors officiels et autant agressifs, très ouvertement affichés par les représentants de l’ex République Yougoslave de Macédoine (FYROM), lorsque par exemple son Ambassadeur au Canada s’affiche et alors prononce des discours devant la carte de la Macédoine géographie… unifiée, au détriment des pays voisins, comme au Canada et en 2017, c’est triste et ce n’est pas constructif.

Ambassadeur FYROM au Canada. Presse gréco-américaine, mars 2017

Non, les Grecs ne sont pas devenus fous subitement, et il n’y a aucune velléité de changement des frontières du côté grec, comme d’ailleurs du côté bulgare. Aux yeux des Grecs, le nom historique de la Macédoine grecque ne peut pas être ainsi offert aux voisins Slaves, arrivés dans la région plusieurs siècles après Alexandre le Grand mais se réclamant de ce personnage historique, en réalité pour donner prétexte à leur irrédentisme. Reconnaitre ainsi ce pays sous le nom de Macédoine du Nord est alors fort dangereux er préjudiciable pour les relations bilatérales à terme, et c’est tout le contraire de l’apaisement dont se réclame Tsípras par exemple. Nos voisins Bulgares et Serbes le savent autant, et ils font part de leur inquiétude. Sauf que les Puissances ont sans doute décidé la modification les frontières dans la région, c’est plus violent dans les Balkans, et c’est plus sournois à travers le système néocolonial de la dite Union Européenne, joli monde.

Pour le maire de Meneméni il n’y a plus de doute. “Le système politique grec n’a plus cette légitimé, même relative comme en 2015, pour décider quoi que ce soit, sauf que tout est préparé pour que leur décision, autrement-dit, la décision imposée par les Puissances étrangères puisse être cautionnée même par 150 ou 151 élus (sur un total de 300). De notre côté, nous réfléchissons en tant qu’élus locaux de la manière, la nôtre pour par exemple, pour ne plus laisser fonctionner l’État grec, une sorte de grève politique, accompagnée de la fermeture des entreprises et des écoles, voilà pour certaines idées. Toute la Grèce doit déjà converger à Athènes pour le rassemblement du 20 janvier. Cette fois, tout le monde doit sortir et manifester, car c’est notre futur et le futur des générations qui nous suivront qui est en jeu.”

“Après tout, ce gouvernent n’a jamais annoncé une telle politique et en plus, il n’a pas voulu consulter le peuple sur une question si cruciale, existentielle même. Notre droit d’exprimer notre position a été ainsi bafoué, donc nous sommes considérés aux yeux des SYRIZA et de Tsípras, dont la baby-sitter n’est autre que Merkel, que comme esclaves pour le dire ainsi. Oui, et il s’en réjouit, car rien que par amour du pouvoir et par vanité, Tsípras et les autres doivent ainsi lécher les bottes des chefs étrangers, plutôt que de défendre, si ce n’est qu’au minimum, les intérêts du pays et de son peuple. De ce fait nous tous ici, nous nous retrouverons pour livrer ainsi notre bataille, dans les tranchées comme on dit. Et nous pouvons affirmer que le peuple, celui ayant déjà prononcé le NON au referendum de 2015 que Tsípras a trahi, c’est pratiquement le même peuple largement majoritaire qui descend dans les rues actuellement partout en Grèce, pour s’opposer à cet accord comme à ce gouvernement.”

Mouvement des enseignants, Athènes, janvier 2019
Mouvement des enseignants, Athènes, janvier 2019 (presse grecque)

Moments ainsi graves, immenses. Sans masques, sans démocratie, et au final comme seul dominant l’instinct de survie pour agir. Beau… résultat ! Plus explicite, le représentant de la diaspora grecque des États-Unis, joint par téléphone sur le même thème lors de l‘émission de Lámbros Kalarrýtis sur les ondes de 90.1 FM, a rappelé cette évidence alors historique: “Au besoin, il faut risquer et même donner sa vie pour arrêter ce crime”, émission du 15 janvier 2019.

C’est vrai que quelque chose dans l’air du temps est en train de changer. Et tous les grands médias font tout pour endormir les Grecs mais en vain, car ceux qui nous gouvernent sont des marionnettes d’intérêts nationaux ou mondialistes des puissances étrangères, et cela se voit. Par exemple, les médias grecs “autorisés”, ne disent presque rien des déclarations officielles de la part de la Bulgarie, “mettant en garde contre cet accord qui ne devrait pas modifier à terme les frontières de la région, et que si il est ratifié, il laisse la porte ouverte à ceux de l’ex-République Yougoslave de Macédoine pour poursuivre dans l’usurpation de la culture, de l’identité et la langue des pays voisins”, déclarations cités lors de l’émission, 90.1 FM au soir du 15 janvier.

Comprendre… l’Histoire. Athènes, janvier 2019

Les masques sont tombés et les autres voisins Slaves le savent. La Serbie aussi a émis ses réserves, ainsi que de manière également officielle aussi la Russie. Le gouvernement “grec” a répliqué en déclarant “que de telles positions constituent une ingérence aux affaires internes de la Grèce”, au matin du 16 janvier, on ironisait sur les ondes de 90.1 FM, “les positions analogues, voire beaucoup plus radicales des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis ne le sont pas autant aux yeux du gouvernement grec ? Étrange conception alors de l’ingérence, et manifestement orientée.”

Ce régime de la Junte de Tsípras comme des autres… Munichois de notre siècle, avait organisé cette semaine une fiesta politique, soi-disant scientifique dans une grande salle musicale à Athènes au sujet de l’accord Macédonien. Aux entrées de cette salle, des hommes de la Sécurité policière interdisaient l’accès aux contradicteurs politiques, et fait relativement nouveau, des potentiels opposants ont été interpelés, menacés et poussés de force sans d’ailleurs le moindre acte de résistance physique de leur part. Devant par exemple des avocats interpelés de la sorte, les policiers ne déclinaient pas leur noms, et n’offraient aucune explication quant à ces interpellation car aucune acte ne les motivait, témoignage direct à la radio 90.1 FM, le 15 janvier.

Mouvement des enseignants, Athènes, janvier 2019 (presse grecque)

Ce sont des pratiques légalisées via un nouveau service dit “de la Défense du régime démocratique”, et c’est aussi par cette forme de service de Police politique, que par exemple, le chef de l’Unité Populaire Lafazánis, avait été interpellé et interrogé au sein des locaux de la Police Centrale à Athènes, pour avoir manifesté devant les instances opérant les saisies immobilières de la priorité privée populaire et de la classe moyenne, saisies initiées par les banques, les fonds rapaces, ces derniers sont d’ailleurs représentés en Grèce par une société appartenant à un cousin du ministrion des Finances Tsakalótos, presse grecque en 2017. Travail, famille, mondialisation ! Comme dans toute dictature, le pouvoir abuse, falsifie, terrorise, pratique l’arbitraire et alors il hait le peuple. De l’autre côté, devant les menaces proférées d’abord à l’encontre de députés et autres néo-ministrables volants et autant volatiles, offrant la dernière pseudo-majorité à SYRIZA, ainsi qu’à l’encontre de l’ensemble de députés SYRIZA de la Macédoine grecque, Katerina Papakósta transfuge à SYRIZA depuis la Nouvelle Démocratie, a proposé sa démission du poste ministériel qu’elle occupe à l’Intérieur, toutefois, Tsípras n’a pas accepté sa démission.

La Tour Blanche, Thessalonique, 2018
Trésor Macédonien. Musée Archéologique de Thessalonique, 2018

Il faut dire que Papakósta a aussi reçu une enveloppe contenant certaines photographies fort horribles… aux têtes de femmes massacrées, accompagnées du message “Tu connaîtras la même fin si tu votes en faveur de l’accord” http://www.topontiki.gr/article/305071/ypevale-paraitisi-i-papakosta-logo-ton-apeilon-den-egine-dekti, le député Zouráris (ANEL) a reçu des menaces de mort, tandis que… l’apostat issu du parti “To Potámi” (“Rivière”), Danélis, celui que la presse grecque a déjà surnommé “le 151ème Apostat” a été menacé d’être tué, lui, tout comme son épouse et leur fille, peut-être que la politique devrait être finalement réservée aux seuls célibataires, presse grecque du 15 janvier 2019.

Dans toutes les villes du Nord de la Grèce, Thessalonique comprise, au soir du 15 janvier, des affiches ont fait leur apparition, et on y découvre les photographies des élus SYRIZA et pro-accord, accompagnées de la question: “Tu vas alors trahir notre Macédoine ?”, presse grecque du 15 et du 16 janvier. La Police a déjà arrêté un petit nombre parmi ces colleurs d’affiches, bien entendu ces affiches sont jugées illégales.

Café du coin. Athènes, janvier 2019

Le système et ses médias dont évidemment SYRIZA s’en insurgent, “de telles pratiques tiennent du fascisme”, l’argument ne prend plus lorsque ceux qui l’utilisent usent en abusent de l’essence du totalitarisme mondialisateur entre autres péchés minables, en dépit finalement des efforts de la presse mainstream à l’instar de “Kathimeriní” du 16 janvier.

Tu vas alors trahir notre Macédoine ? Nord de la Grèce, janvier 2019 (presse grecque)
Tu vas alors trahir notre Macédoine ? Nord de la Grèce, janvier 2019 (presse grecque)

Oui, les Grecs sont outrés, et le mot est même faible, car leur colère vient désormais tout droit du fond de leurs tripes. Tout le monde ressent l’hybris de cet ultime théâtre méta-démocratique, dont la fabrication de la nouvelle “majorité”, en dysharmonie flagrante avec les résultats électoraux comme avec les rapports supposés de force entre les partis prétendument distants au Parlement. Pratiques faisant même suite à la violation permanente de la Constitution, sans oublier le referendum que les salopards politiques dont d’abord Aléxis Tsipras.et Pános Kamménos ont ignoré, avec l’aimable collaboration de tout le système politique. “Aucun respect pour Aléxis Tsípras en huit raisons”, c’est le titre de l’article du jour chez les gens de gauche du “Plan B” et d’Alavános au 16 janvier.

Enfin, ces arguments ne prennent plus, autant parce que de bien nombreux Grecs comptent parmi leurs proches ces morts attribués à la crise, en réalité à la guerre que la Grèce est en train de subir et tel avait été un des arguments de ce blog dès 2011. Il y a ces pertes des 600.000 Grecs ayant quitté le pays, puis tous ces autres morts… mieux palpables, comme cet ouvrier âgé de 60 ans et père de deux enfants qui s’est suicidé sur le lieu de son travail au chantier du stade de l’AEK d’Athènes en construction. Il avait appris que son contrat de travail ne serait plus reconduit, et c’est alors grâce à la presse sportive que la nouvelle de ce nouveau suicide a pu être connue et par la suite diffusée, puisque dans un premier temps, la… grande presse avait alors évoqué un accident de travail, presse grecque de la semaine. .

Pays brûlé depuis 2012. Athènes, janvier 2019

Et dans ma famille, nous comptons deux par exemple deux morts, mon cousin Kóstas qui s’est suicidé en janvier 2014 à Athènes, suite à la faillite de sa petite entreprise, puis, mon cousin Sotíris, il est décède à l’hôpital de Rhodes par manque de soins et de médecins spécialistes pour cause de mesures d’austérité. Inutile de dire que les parents très proches des cousins ayant ainsi quitté ce bas monde de manière si… politique, à chaque discussion politique justement, ils souhaitent ouvertement la mort… physique des dirigeants du pays, tout autre argument “logique”, leur semble alors complètement dénué de sens.

“Après tout, dans une guerre, il y a des morts des deux côtés non ?”, me disait-elle l’autre jour ma cousine, et voilà ce qui pourrait un jour motiver en Grèce… le changement, ou bien le bain de sang, c’est comme on dit, un constat anthropologique quand les derniers arguments des politologues s’effaceront des réalités qui nous restent encore à vivre.

Plus politiquement corrects en tout cas, ceux du “Plan B”, ils rappellent combien et comment SYRIZA et Tsípras en personne, ont bradé les avoirs de l’État et ainsi les biens du peuple grec, les offrant en gage comme garantie de remboursement de la dette aux dits “créanciers internationaux”, et ceci, pour une période de cession de 99 ans, notamment près de 80.000 biens immobiliers de l’État relevant du bâti, ainsi qu’une superficie en terrains publics d’environ 52.000 ha, ce n’est pas rien. Hasard du calendrier ou presque, en ce 16 janvier 2019, l’hyper-caisse des privatisations et agence fiduciaire calquée sur le modère de la Treuhand dans la liquidation des biens de la Grèce au profit des fonds et de autres rapaces institutionnels de l’UE, gouvernance de l’Allemagne en tête, vient de saisir la Haute Cour de Justice à Athènes pour confirmer le contrôle de la Caisse des 2.329 biens grecs à caractère archéologique, sites, Musées, voire des îles entières comme Spinalonga, Makrónissos, voire Délos.

Les salopards politiques du gouvernement Tsípras, le ministrion aux Finances Tsakalótos en tête, avaient une fois de plus menti il y a quatre mois, en prétendant que c’était par erreur que les 2.329 biens à caractère archéologique avaient été inclus dans la liste des 10.119 biens supplémentaires dont la propriété est transférée aux gangsters de la mondialisation.

Trésor Macédonien. Musée Archéologique de Thessalonique, 2018

D’après le reportage du jour, “les archéologues grecs soulignent ce double langage du gouvernement, étant donné qu’au cours de ces quatre derniers mois, le gouvernement a continuellement assuré que le problème était ‘résolu’, qu’il n’y avait aucune intention de transférer la propriété enter autres de Cnossos en Crète, de l’ile de Spinalonga, du Musée archéologique de Thessalonique, ainsi que de la Tour Blanche, toujours à Thessalonique, pourtant c’est la vérité”, presse grecque du 16 janvier et communiqué de l’Ordre des Archéologues Grecs.

Mouvement des enseignants, Athènes, janvier 2019 (presse grecque)
Tombe Macédonienne. Musée Archéologique de Thessalonique, 2018

Et si j’écris que comme par hasard, cette trahison de la Macédoine grecque coïncide étrangement avec la mise à disposition au profit des seules Puissances étrangères via l’Occupation par la dette (en plus dette non prouvée et largement illégale) du Musée Archéologique de Thessalonique, là où une partie des Trésors Macédoniens antiques y sont exposés, des journalistes mainstream, iront peut-être prétendre que je pratique par exemple le populisme et que l’Europe existe pour promouvoir la Paix et les échanges culturels.

Et au pays très réel de la Grèce actuelle, c’est en attendant la prochaine accalmie de plus en plus incertaine et improbable, que les mesures policières se renforcent pour protéger ces élus caméléons, et que les bâtiments gouvernementaux sont plus que jamais gardés, beaucoup mieux même que du temps des funestes Colonels d’après les souvenirs des plus anciens. L’histoire n’a jamais peur des mutations et visiblement même, elle en a rajoute. Donc c’est un Putsch et c’est alors le Putsch permanent qui est en cours. Pour faire face à une telle guerre hybride et totale à sa manière, la question ce n’est pas pour qui voter, mais comment se débarrasser de cette pègre, tout en balayant d’un coup tous les partis politiques… au moyen d’un gouvernement de salut national mais qui n’incarnera pas une réponse autoritaire pour ainsi répondre à une question désormais totalitaire. Ce n’est pas évident du tout, sauf pour ce qui est de la haine qu’une telle situation ne fait qu’attiser.

Musée de Delphes, 2018
Musée de Delphes, 2018

Ainsi c’est un Putsch et c’est alors le craquement permanent du dossier Macédonien, aux manifestations des enseignants dans les rues d’Athènes. En cette même semaine, la violence des prétoriens a également trouvé toute son application repoussant les enseignants, et surtout les vacataires qui manifestaient et qui avaient même occupé dès dimanche en partie l’édifice de l’Université d’Athènes. Oui, le Putsch permanent. De manière récurrente la question des suites à donner à la situation actuelle revient sans cesse, et elle reviendra de plus en plus souvent. L’universitaire Chrístos Yannáras, dans son éditorial publié au quotidien “Kathimeriní”, et qui est plutôt un grand quotidien mainstream, il estime que tous les partis politiques devraient cesser de gouverner et qu’un gouvernent composé de sages devrait alors prendre les commandes pour deux ans, sous le contrôle toutefois du Parlement, édition datée du 30 décembre 2018.

Donc on sait. Aux bistrots d’Athènes ou de Thessalonique on évoque alors directement “ce grand besoin d’un Putsch militaire et salvateur et qui fusillera voyons les politiciens, à commencer par ceux de SYRIZA”. Parfois, ce propos est moins extrême, “il suffit de les juger et les mettre en prison comme dans l’immédiat de l’après-Colonels”. Athènes, autant ville aux bâtiments néoclassiques brûlés, aux sans-abri désormais perpétuels, comme ville aux avenues ou aux cafétérias parfois peu remplies. Cependant, les cafés on dirait, ils sont moins sensibles aux variations de la dite crise. Finalement, en lieu et place des “tchats” des réseaux considérés comme sociaux (et non pas des chats qui miaulent) dont il faudrait paraît-il effacer l’historique, c’est l’histoire du pays qui est effacée, sauf que la Résistance, la persistance et la résilience, caractérisent encore quelque part les peuples et les ethnies du monde contemporain.

Musée de Delphes, 2018

Nous ne connaissons bien entendu guère les suites dans l’histoire grecque comme européenne, car tout est lié d’un bout à l’autre de la pétaudière européiste, si ce n’est qu’en Grèce par exemple, le climat peut virer à l’affrontement et à la Guerre Civile, entre le plus grand nombre du peuple et alors… le plus petit nombril des politiciens et de leur clientèle immédiate. Le processus est en cours, sans que l’on sache trop avec quel il peut se déclencher ou pas. Nous arrivons à un point grave, à un point de rupture. La parodie méta-démocratique aurait ainsi épuisé son dernier stock connu d’apparences. Sur un mur d’Athènes, près du Musée de la Guerre un nouveau slogan, plutôt Syrizíste et subversif a été aperçu en ce janvier 2019: “Tsípras ou les chars”. En réalité, Tsípras et les chars. Les chars et non pas les chats, animaux comme on sait adespotes par excellence !

Chat, animal adespote. En Attique, janvier 2019

* Photo de couverture: Mouvement des enseignants, Athènes, janvier 2019

Convoi solidaire pour la Grèce de février 2019

RAPPEL  : COLLECTE JUSQU’AU 12 FÉVRIER 2019 POUR REMPLIR LES 27 FOURGONS

Nicolas conduira le camion de Savoie. Le collectif de Grenoble ne pourra assurer comme pour les  précédents convois la coordination, la récupération et l’acheminement des fournitures auprès de Nicolas. En revanche nous publions la liste des besoins et des points de collectes provisoires pour ce convoi qui sera actualisé au fur et à mesure des confirmations par les lieux.

Rappel des besoins

Les besoins sont urgents en :

Fournitures bébés : lait infantile en poudre (tous âges) petits pots, mixers , soins bébés, sérum, vitamines, couches ( surtout 3, 4 et 5), lit parapluie, poussettes,

Jouets : tels que figurines, ballons, cordes à sauter, legos, stylo, feutres, ( pas de peluches),

Produits d’hygiène et paramédicaux : gels douches, shampoings, savons, protections périodiques, dentifrice, brosses à dents, lessives, pansements, produits ménagers, pansements, désinfectant, chevillères/genouillères, ( ni attelles, ni médicaments) Biafine, Cicatryl, fournitures dentistes (pour dispensaires autogérés),

Matériel : bouilloires, frigos, fours, machine à laver ( en état de marche), marmites, louches,

Base alimentaire : légumes secs, fruits secs, biscuits, céréales, pâtes,riz, lentilles, thé, café, autres. La date de péremption minimale recommandée est mars 2019.

Matériel spécifique pour la résistance :  ramettes papiers, photocopieuses ( en état de marche) ordinateurs, écrans, disques durs clés USB, carte SD, appareils photos/vidéos, téléphones…

n’oubliez pas des messages de soutien : avec éventuellement dessins, photos, affiches,autocollants, infos sur vos luttes…. Des confiseries fermées et non fragiles peuvent être ajoutées.

Important : la place dans les fourgons n’étant pas extensible, merci de vous en tenir à cette liste. Suite à des collectes sur place plus besoin de couvertures et de vêtements.

Soutien financier : chèque à l’ordre d’ANEPOS à envoyer à ANEPOS « Action Solidarité Grèce » BP10 81540 Sorèze . Cela permet aux collectifs sur place de compléter eux mêmes. Virement et Paypal possibles sur le site www.lamouretlarevolution.net dans la rubrique  » prochain convoi solidaire ».

Si vous voulez partir avec le collectif Anepos, avec votre véhicule, ou aider en créant un point collecte dans votre secteur géographique : solidarite@anepos.net.

Les lieux de collecte confirmés  à ce jour ( liste en cours)

En Haute-Savoie (74) 

Attac 74 Chablais à contacter par Facebook, https://www.facebook.com/attac74chablaishttps://www.facebook.com/attac74chablais/?tn-str=k*F  ils répondent dans la journée

La ronde du bio, 307 route de Thones, 74 210 Faverges, https://larondedubio.com/ tous les jours sauf dimanche

En Savoie (73)

Caroline à Lescheraines 73 340 , en fin de journée 06 89 13 40 51

6 février à partir de 18h à ARCHIMALT 95 Rue de Bolliet, 73230 Saint-Alban-Leysse suivie à 20h d’un concert  organisé par des individu-es, des membres du Collectif Sans Frontières

En Isère ( 38) A ce jour pas de lieu. Si un lieu solidaire ou un particulier souhaite être point de collecte pour une ou 2 soirées merci de se faire connaitre à cette adresse greceausterite@hotmail.com et il sera mis en contact avec Nicolas pour organiser la récupération.

 

Géopolitique tombale La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Géopolitique tombale

Athènes, sous un soleil hésitant et une bonne partie du pays toujours sous la neige. Ombre et lumière comme évidemment pour les affaires humaines. Semaine grecque largement crépusculaire, marquée par la démission théâtralisée de Pános Kamménos de son poste de Ministre de la Défense dimanche 13 janvier, une démission accompagnée du retrait du gouvernement. Semaine autant marquée par la visite de la Chancelière Angela Merkel deux jours auparavant, histoire d’inspecter… la bonne marche de la colonie. Les habituels valets politiques se sont exécutés comme d’habitude. Le pays… sous la neige

Un temps de chien. Grèce Centrale, janvier 2019

C’est surtout l’accord Macédonien celui que Kamménos fait semblant de ne pas accepter, accord comme on sait, imposé par Berlin, Bruxelles et Washington et qui doit être ratifié par la simple chambre d’enregistrement, autrement-dit le “Parlement”, lorsque les Grecs lui sont opposés à près de 80% d’après les sondages, bien entendu sans referendum… mais réclamé depuis sa démission par la marionnette Kamménos. Jeu de rôle nous sommes nombreux en Grèce à considérer que tout cela n’est qu’un scenario imposé, et pour tout dire, mal interprété. Notons que les voisins Slavomacédoniens avaient invalidé leur référendum sur la question par le boycott. Rien n’y fait, la géopolitique est une marmite où les peuples ont rarement l’usage de la louche. Un temps de chien, ou simplement… “histoires de la Grèce et des Balkans” comme dirait mon ami Olivier Delorme.

Rien n’y fait donc, et pour ce qui est du “Parlement” à Skopje, certains journalistes de ce pays, mais également d’autres journalistes depuis Athènes alors prétendent, “que le tarif très convaincant pour faire passer l’accord auprès des députés récalcitrants s’élèverait entre cinq et huit millions de dollars par tête, et pour le même résultat probable et prochain en Grèce, on ignore quel serait l’équivalent en euros de cette… realpolitik alors très germanique”, émissions de la zone matinale et du soir sur la radio 90.1 FM, journalistes Trángas et Kalarrýtis, semaine du 7 janvier 2019, cité de mémoire.

Déjà, au “Parlement” à Athènes, la partie visible des tractations en cours, tiennent de la volatilité et autant excitation dont font preuve les députés des petits partis. De celui dit de la Rivière et du journaliste Stávros Theodorákis, une création à notre humble avis bruxelloise et berlinoise, ceux du parti des Centristes de Vassílis Levéntis propulsé comme on sait par les medias depuis 2012, enfin et surtout, des élus plus opportunistes que jamais du parti des Grecs (prétendument) Indépendants de Pános Kamménos qui se dit opposé à l’accord Macédonien de Tsípras, allié de SYRIZA au pseudo-pouvoir jusqu’à cette semaine et dont la moitié des élus sont passés du côté SYRIZA, à la fois pour voter la confiance au gouvernement, vote prévu jeudi prochain, et surtout ensuite le terrible accord macédonien de Tsípras.

Hiver grec. Grèce Centrale, janvier 2019
Garde Evzone en tenue d’hiver. Athènes, janvier 2019 (presse grecque)
‘La Division Merkel’ à Athènes. Presse grecque, le 9 janvier 2019

Toute cette agitation des “mouches scatophages” du dernier fumier politique grec n’est d’ailleurs pas sans lien avec la visite d’Angela Merkel à Athènes cette semaine. Et comme tous les journalistes de la colonie grecque ne sont pas encore totalement muselés, Státhis Stavrópoulos issu de la vielle gauche, écrit dans “To Pontíki” sous un ton très moqueur, “que Tsípras aurait déjà dicté son agenda à Madame Merkel, ainsi l’obergruppenfuhrer allemande exercera ses pressions à Mitsotákis de la Nouvelle Démocratie pour que ce dernier puisse se monter complaisant au sujet toujours de l’affaire Macédonienne. Puis, Tsípras toujours, il fera sans doute preuve de courage lorsqu’il évoquera devant la Chancelière la double question du prêt forcé et des réparations de guerre que l’Allemagne n’a jamais voulu régler, faisant suite aux années 1940 et à son autre Occupation de la Grèce.” Obergruppenfuhrer, était un grade de général dans l’Allgemeine SS et dans la Waffen-SS, du temps de l’autre Reich, celui des années 1940.

“Allez, Madame Merkel et toi Monsieur Trump, mangez encore plus de Grèce, encore plus de Croatie ou de Serbie, mangez du Kurdistan, de la Syrie et de l’Irak, dévorez les pensions, les salaires, les ressources, les humains, mangez même votre mère, privatisez vos enfants et régurgitez tout jusqu’à la pétarade. De même, vous autres qui êtes leurs domestiques, fermez vos gueules, cessez de parler, car vous alignez mensonge sur mensonge, et donc tant de grossièretés et d’inepties morbides. Rassasiez-vous des restes et taisez-vous par-dessus les maigres pensions des veuves comme par-dessus la perte de la patrie”, “To Pontíki” du 9 janvier 2019.

Et aux yeux de… l’autre presse, et je remercie l’ami du blog Jean-Marie N. de m’avoir signalé cet article: “L’Allemagne ‘assume complètement la responsabilité des crimes’ commis par les nazis en Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale. ‘Nous sommes conscients de notre responsabilité historique. Nous savons aussi quelle souffrance nous avons infligée à la Grèce (…) durant la période du national-socialisme’, a admis vendredi Angela Merkel lors de sa première visite à Athènes depuis 2014, avant de s’entretenir avec le président de la République hellénique, Prokópis Pavlópoulos et le Premier ministre, Aléxis Tsípras. Une repentance pour tenter d’apaiser le climat tendu entre les deux pays au pic de la crise grecque (2010-2014), et qui persiste depuis: l’Allemagne reste associée dans l’esprit des Grecs aux politiques strictes de rigueur imposées au pays pour éviter le risque d’un défaut de paiement et une implosion de la zone euro.”

Angela Merkel et Aléxis Tsípras. Athènes, le 10 janvier 2019 (presse grecque)
L’Occupation allemande et son image chez les autres. Presse allemande en 2015
Vision grecque de la… nouvelle Occupation allemande. Presse grecque, janvier 2019

“Aussitôt élu en 2015, Aléxis Tsípras, le leader de la gauche radicale Sýriza s’était rendu à Kaisarianí où 200 résistants ont été exécutés en 1944. Une façon de rappeler à la chancelière l’histoire les traces indélébiles laissées par les nazis en Grèce, qui ont occupé ce bout d’Europe d’avril 1941 à octobre 1944 (et même jusqu’à l’armistice en 1945 pour certaines régions de Crète). Environ 800 villages furent entièrement décimés et 70 000 personnes assassinées. Privations, famines (on estime à 300 000 le nombre de personnes mortes uniquement de la faim: la Grèce perdit environ 8% de sa population. Hitler obligea aussi le pays à ‘participer à l’effort de guerre nazi’: 476 millions de reichsmarks furent empruntés à la Banque de Grèce, l’équivalent de 10 milliards d’euros, considérés comme un prêt forcé”, rapporte Fabien Perrier, correspondant de “Libération” à Athènes.

Le reportage est suffisamment juste, sauf que la presse française, surtout autorisée n’écrira jamais que les crimes commis par les nazis en Grèce ou ailleurs, sont les crimes commis par les forces très exactement allemandes, liées à une histoire et à une vision géopolitique d’avant comme d’après, et que le nazisme n’est pas né à Tombouctou. La presse mainstream, elle ne dira surtout pas que la continuité entre l’avant et l’après Hitler, dont d’ailleurs le projet européiste final, n’est pas qu’une légende propagée par les… populistes. Pour mieux comprendre cette continuité, il suffit de consulter par exemple les travaux de l’historien britannique Mark Mazower, et notamment son ouvrage: “Hitler’s Empire. Nazi Rule in Occupied Europe”. Il me semble que ce livre d’analyse et d’histoire n’a pas été traduit en français, tandis qu’il a été traduit en grec et publié à Athènes dès 2009. Simple hasard ?

Ce même reportage ne nous dit pas non plus que la couronne de fleurs déposée par la Chancelière devant la Tombe du Soldat Inconnu à Athènes, elle a été aussitôt piétinée et détruite par des manifestants instituteurs, proches du PC grec quelques heures après, et que ces manifestants ont été il faut dire très violemment “aménagés” par les forces de l’ordre. Un élu communiste a perdu l’usage d’une oreille, tandis qu’une institutrice et syndicaliste a été blessée à la tête. “Nous sommes conscients de notre responsabilité historique. Nous savons aussi quelle souffrance nous avons infligée à la Grèce”, comme dirait la Chancelière. L’histoire ne se répète pas, la géopolitique si.

Imagerie populaire. Athènes, janvier 2019
L’institutrice blessée Theodora Drimala. Athènes, le 11 janvier 2019, presse grecque
La couronne déposée par Angela Merkel piétinée. Athènes, le 11 janvier 2019, presse grecque

Et pour compléter les funestes réalités de l’Occupation, celle des années 1940, il faut rappeler certaines données historiques que les spécialistes de la période, dont Thános Verémis, et Nikos Maratzídis avaient rappelé lors d’une très longue émission, d’une durée de près de huit heures, en rediffusion samedi 12 janvier sur la radio d’ailleurs très systémique, Skáï 100.1 FM. D’abord, et concernant l’emprunt obligatoire durant l’Occupation, l’Allemagne avait obligé la Grèce à fournir aux forces occupantes, vivres, travail, matériel, produits et services contre de bons de reconnaissance de cette dette sur… papier simple mais officiel, dont d’ailleurs une infime partie, environ 1% du total, ayant été remboursé peu avant le départ des troupes allemandes de la Grèce continentale en 1944.

D’après même l’historien Hagen Fleischer, cet emprunt obligatoire lequel équivalait au PIB annuel grec, avait autant servi pour une part non négligeable, à financer les besoins de l’Armée Rommel en Afrique du Nord, ainsi que l’essentiel des… frais générés par la logistique de l’extermination des communautés juives de Grèce et des Balkans. Rappelons que l’importante communauté juive de Thessalonique, elle a été quasi-complètement exterminée lors de l’Holocauste.

Pour les autres chiffres, l’Occupation Allemande, entre avril 1941 et octobre 1944, a laissé derrière elle un pays largement broyé, 26% des habitations étaient détruites, 1.200.000 Grecs sans-abri, 97% des infrastructures de transport détruites dont le Canal de Corinthe, 70% des installations des ports comme le Pirée, Patras ou Vólos devenues inutilisables, 90% du matériel roulant des trains et des lignes détruits, et aussi près du tiers des équipements hydrauliques. Donc et en dépit de la propagande, une certaine Grèce n’est pas prête à oublier et encore moins à passer outre… de cette dette allemande, sauf on dirait “nos” politiciens.

Rue d’Athènes, janvier 2019
Tsípras menteur. Athènes, janvier 2019
Angela Merkel et Prokópis Pavlópoulos. Athènes, le 10 janvier 2019, presse grecque

Notons aussi que la Grèce a été dépecée en trois zones d’Occupation, allemande, italienne et bulgare, et que suite aux événements italiens de l’été et de l’automne 1943 et notamment l’armistice de Cassibile , la zone italienne a été réunie avec la zone allemande, et il faut ici préciser, que la Macédoine orientale et la Thrace, régions alors grecques sous Occupation bulgare, elles ont été annexées de fait par la Bulgarie, et leurs habitants grecs déportés, massivement, voire exécutés, le tout, avec une amorce de remplacement de la population grecque par des une population arrivée de manière organisée de la Bulgarie.

Notons aussi que la géopolitique de l’Allemagne dans les Balkans autant que celle du Kominterm d’ailleurs, elles visaient à promouvoir le Macédonisme slave et/ou bulgare, pour ainsi à terme, amputer la Grèce des régions de la Macédoine et de la Thrace, un Macédonisme agressif, et ouvertement affiché toujours actuellement depuis Skopje et l’ex-République Yougoslave de Macédoine, y compris à travers son irrédentisme inscrit dans la Constitution de ce pays.

D’où tout le danger du projet germano-occidental imposé en l’absence des peuples intéressés et qui consiste à baptiser ce pays en “République de Macédoine du Nord”. Les autres habitants de la planète qui ne sont pas obligés que de connaître l’histoire des Balkans, penseront qu’il y a une Macédoine du Sud, en réalité la région historique grecque avec laquelle les voisins Slaves n’ont aucun rapport, ni culturel, ni linguistique, à unifier un jour avec la… “République de Macédoine du Nord”. Notons encore l’exemple de la Bulgarie, actuellement et d’après les déclarations officielles, y compris de son Président Roumen Radev, elle ne reconnaît pas la langue dite “Macédonienne” (langue appartenant au groupe slave méridional et d’ailleurs considérée comme faisant partie du bulgare), et encore moins l’ethnicité homonyme, considérant qu’il s’agit en réalité de frères un peu marginalisés, vivant de l’autre côté de la frontière, reportage de la presse grecque, décembre 2018. Ainsi, le rejet de cet accord déjà néfaste par l’immense majorité des Grecs n’est pas le fait d’un nationalisme exacerbé comme le prétend la propagande Syrizo-mondialiste, mais une réaction attendue face à une agression, une usurpation de l’identité culturelle, et surtout face à un putsch géopolitique et même politique.

Car à non humble avis, le but ce n’est pas d’imposer un accord dangereux, voire humiliant les Grecs ou les voisins Slaves, mais d’arriver un jour, à un compromis sincère et surtout prometteur de paix et d’amitié. Tel a été le cas d’ailleurs entre la Grèce et la Bulgarie, lorsque dans les années 1960, Sofia a officiellement abandonné toute visée territoriale sur la Macédoine et la Thrace grecques. Depuis, et indépendamment des gouvernements en place, régime des Colonels compris, les relations entre les deux pays n’ont cessé de s’améliorer.

Semaine ainsi très crépusculaire, marquée par la visite de la Chancelière, histoire de vérifier la bonne tenue de la colonie grecque. L’histoire qui ne se répète pas… et pourtant. On se balade non loin de la demeure du célèbre en son temps Ioánnis Kolétis, chef du parti… français, et homme politique du siècle bien d’avant. Comme l’écrit mon ami Olivier Delorme dans “La Grèce et les Balkans”, au sujet du Congrès de Berlin , c’était en cette année 1878… disons si lointaine:

“Le Congrès de Berlin apparaît comme l’acmé de cette diplomatie du ‘concert européen’ dans lequel certains veulent vois aujourd’hui une instance irénique ayant évité à l’Europe un conflit majeur. Mais outre que ce concert ne fut longtemps qu’un syndicat de gouvernements réactionnaires surtout préoccupé d’éviter la propagation des idées libérales et de faire régner la paix des cimetières – en Espagne, en Pologne, en Italie, en Grèce -, cette instance qui, dans l’ordre international, s’apparente à ce qu’est l’oligarchie dans l’ordre politique interne, ne sut jamais, de Laybach en 1821 à Berlin en 1878, dégager les solutions susceptibles d’assurer à l’Europe du Sud-Est un minimum de stabilité et de paix. Elle ne sut créer les conditions du conflit suivant. Ce que son but ne fut jamais que la recherche du compromis entre des impérialismes contradictoires (…) dans ce jeu, les États nés des luttes nationales de libération cruelles, voire tragiques, furent toujours traités en pions, non en acteurs.”

Délabrement. Athènes, janvier 2019
Un temps de chien ! Athènes, janvier 2019
La maison de Kolétis. Athènes, janvier 2019

“Le Congrès de Berlin évite certes un conflit entre Russes, Autrichiens et Anglais. Mais en faisant la paix sur le dos des peuples de la région, en les tenant à l’écart d’une négociation dont le résultats leur est ensuite imposé sans qu’on ait le moins du monde sollicité leur consentement, il met en place la logique qui conduit, dès 1885, à la remise en cause de la carte qu’il a dessinée par l’union de la Roumélie orientale à la Bulgarie, à la guerre serbo-bulgare qu’elle provoque, à la guerre gréco-turque de 1897, à la guerre civile larvée de Macédoine, au carnage des guerres Balkaniques de 1912-1913, et finalement à l’attentant de Sarajevo qui sert de détonateur au premier conflit mondial en 1914.”, Olivier Delorme dans “La Grèce et les Balkans”, tome I.

Sauf qu’en 2019, c’est cette géopolitique tombale qu’elle impose aux Grecs (et ce n’est qu’un exemple) l’apraxie comme la paralysie, en plus du fait, que les supposées élites politiques et intellectuelles trahissent alors la souveraineté, leur patrie et autant les droits des citoyens. La Grèce n’arrive pas à faire usage de la puissance géopolitique à son niveau rien que pour se défendre, tandis que Gauche et Droite alors autorisées, se sont mises au service de la mondialisation occidentale, dont de celle de l’Union européenne sous le contrôle de l’Allemagne… pour les affaires disons locales.

Lors d’une réunion ouverte des Comités de la capitale pour la défense de la Macédoine grecque, tenue à Athènes dimanche 13 janvier dans la salle de l’Ancien Parlement, débat, notons-le, couvert… par la seule presse russe, les journalistes et universitaires invités, dont les journalistes et analystes Nikos Igglésis et Stávros Lygerós et le géopoliticien Konstantinos Grívas enseignant à l’École Militaire, ils ont, entre autres, rappelé ce que ce blog ne cesse de répéter depuis hélas si longtemps, à savoir l’importance du mécanisme de l’euro d’abord et de l’Union européenne ensuite dans cette neutralisation sans précédent des réactions possibles des États, des nations et des peuples.

Car l’euro, et plus exactement la dette des pays en euros, n’est l’équivalent que d’une prison de très haute sécurité sous la surveillance des élites économiques d’abord allemandes. Avant l’an 2000, 75% de la dette grecque était édité en monnaie nationale, la drachme, lorsqu’en 2002 elle est exprimée et détenue à 100% en monnaie étrangère, en cette sorte de Reichsmark allemand du nouveau siècle que les autres pays ne contrôlent pas ou sinon si peu. La Grèce, pour ne rester… que dans son exemplarité, elle est ainsi devenue une colonie de la dette, ce qui conduit au bout du processus à l’anéantissement économique, démographique, culturel et ainsi géopolitique du pays. D’où sans doute toute l’utilité de l’exemple grec pour les autres peuples de la dite Union européenne, il ne faut en arriver là, aussi, parce que la dite construction européenne est synonyme de haine et des conflits en gestation entre les pays comme au sein des sociétés concernées, d’où autant la nécessité à accélérer son démantèlement et ceci dans l’urgence.

Pour la petite histoire et pour le reportage, ajoutons que cette réunion des Comités pour la défense de la Macédoine grecque, elle avait été directement saluée par Vassílis Levéntis, chef du parti du Centre, ainsi que par Yórgos Patoúlis, maire de Maroússi et proche de la Nouvelle Démocratie. Je ne dirais pas que leur présence m’est parue bien convaincante, les lecteurs de ce blog, savent combien je reste très réservé et méfiant devant les politiques, surtout depuis le… choc SYRIZA, et ainsi la fin effective du système politique grec, en tout cas, aux yeux de ceux qui s’efforcent autant que faire se peut, à réfléchir sur nos réalités bien apocalyptiques.

Réunion des Comités de la Macédoine grecque, Athènes dimanche 13 janvier, 2019
Konstantínos Grívas, Nikos Igglésis et Stávros Lygerós. Athènes, le 13 janvier
Vassílis Levéntis, chef du parti du Centre. Athènes, le 13 janvier
Yórgos Patoúlis, maire de Maroússi. Athènes, le 13 janvier

Athènes et le Pirée alors sous leur temps d’hiver et une bonne partie de la Grèce toujours sous la neige. L’Orthodoxie fêtera toujours la mémoire des néo-martyres du 19e siècle à l’instar de Saint Georges de Jannina, exécuté par les Ottomans en 1838, tandis que la Chancelière est déjà rentré en Métropole.

Le Congrès de Berlin… en 2019, il se nomme Union européenne et OTAN, faisant la soi-disant paix sur le dos des peuples de la région, en les tenant à l’écart d’une négociation dont le résultats leur est ensuite imposé sans qu’on ait le moins du monde sollicité leur consentement. Sauf qu’il y a un lustre de pseudo-démocratie, et que les marionnettes, à la manière de Tsípras et de Zaev, le Premier ministre de l’ex-République Yougoslave de Macédoine, ils font semblant de négocier et de décider, au besoin, en violation flagrante et délibérée des volontés de “leurs” peuples, referendums rarement organisés compris.

Saint Georges néo-martyre. Monastères des Météores, janvier 2019
Neige en Grèce. Thessalie, janvier 2019
Au Pirée et en hiver. Janvier 2019

Le peuple se rebiffe alors comme il peut. Des rassemblements sont prévus en ce mois de janvier pour stopper l’accord Macédonien imposé par Berlin, Bruxelles et Washington et qui devrait être ratifié par les marionnettes d’ici comme d’ailleurs.

Déjà au “Parlement” à Athènes, pour la partie visible des tractations en cours, elle tient de la volatilité et autant de l’excitation dont font preuve les députés des petits partis, sauf qu’une liste contenant les données personnelles des élus du parti de Kamménos… circule alors sur Internet depuis cette semaine… et que leurs téléphones sont submergés de messages… les menaçant de mort au cas où ils vont dire ‘oui’ à l’accord Macédonien de Tsípras, presse grecque du 12 janvier. Régime… “démocratique” et ses conséquences.

Politiciens ainsi durablement et même… fièrement installés dans le cynisme et l’hybris, et voilà que la boîte de Pandore s’ouvre peu à peu. Austérité et géopolitique même combat ! Après tout, Hermann Göring, au sujet des populations aux pays très exactement occupés, il avait déclaré sans état d’âme que “les riches seront appauvris, les pauvres mourront, et l’Allemagne vaincra à la fin” (samedi 12 janvier, radio Skáï 100.1 FM).

Athènes pluie et humidité, un temps de chien certes, mais c’est surtout nos chats adespotes animaux sans maîtres qui retiennent alors toute notre attention. Histoire de la Grèce et des Balkans !

Chat adespote. Athènes, janvier 2019

* Photo de couverture: Angela Merkel à Athènes. Janvier 2019, presse grecque

Les forcenés par Frédéric Lordon

Article de Frédéric Lordon paru dans le monde diplomatique du 9 janvier 2019« Le roi fou ou la folie de Charles VI » (détail), François-Auguste Biard, 1838.

Méthodologiquement, et déontologiquement, il faut maintenir les hypothèses psychiatriques dans un statut d’ultime recours quand il est question de politique, et ne se tourner vers elles qu’après avoir tout essayé. Au point où nous en sommes cependant, observant Macron, Griveaux, écoutant le défilé ininterrompu des députés LREM sur les chaînes d’information continue et les chiens de plage arrière qui font « oui oui » en leur passant les plats, on cherche en tous sens, et surtout en vain, ce qui pourrait nous sauver de ce dernier recours. Après avoir épuisé toutes les explications alternatives, il va falloir s’y résoudre : ces gens sont complètement fous.

On savait depuis longtemps que chaque fois que l’un d’eux dit « j’ai bien entendu » ou « nous sommes à l’écoute », il utilise juste d’autres mots pour dire « nous n’en ferons qu’à notre tête et vous n’existez pas ». Cependant, il y a un point où le cynisme bonnasse de type chiraquien ou hollandiste ne fait plus une hypothèse suffisante. Quand un mouvement quasi-insurrectionnel hurle au gouvernement qu’il mettra le feu plutôt que de continuer dans cette direction, et que le gouvernement lui répond qu’il a « bien entendu » « l’impatience », qu’il a bien compris la demande, l’envie même, d’aller encore « plus loin dans le changement », de se montrer « encore plus radical dans les méthodes et les manières de faire », comment écarter l’hypothèse psychiatrique ? Quel type de rapport Benjamin Griveaux entretient-il avec la réalité quand il se prévaut d’une « envie de changement des Français », en tout cas d’une envie du type de celle qui appellerait sa réponse à lui ? Et, accessoirement, pourquoi ne se trouve-t-il pas un média pour le lui faire remarquer clairement ? En commençant d’ailleurs par lui faire observer que « ses » Français, mesurés au score réel de la présidentielle, font à peine plus de 10 % du corps électoral (1), et qu’ils n’ont porté Macron au pouvoir qu’au terme d’une gigantesque prise d’otages de deuxième tour, méthodiquement agencée de longue date avant le premier — autrement dit sans aucune des « envies » que leur délire Griveaux.

On savait depuis longtemps que chaque fois que l’un d’eux dit « nous sommes à l’écoute », il utilise juste d’autres mots pour dire « nous n’en ferons qu’à notre tête et vous n’existez pas »

Orwell, qui n’est pas redevenu par hasard une référence contemporaine, a dit comme personne le tour de langage propre au pouvoir dictatorial : l’inversion, en fait la négation, systématique des choses par les mots — la guerre qui est la paix, l’esclavage la liberté et l’ignorance la force. Mais c’est autre chose encore, d’une autre nature, qui émane par exemple du discours de « vœux » de Macron. C’est qu’il faut un twist déjà très prononcé pour revendiquer « avoir posé les bases d’une stratégie ambitieuse pour améliorer l’organisation de nos hôpitaux » (2) quand le système de soin est au bord de l’effondrement et que médecins et infirmières en sont à se suicider ; de même pour prétendre « lutter contre le réchauffement climatique » quand les mesures prises finissent par écoeurer un personnage a priori aussi disposé à tous les simulacres que Nicolas Hulot. Ou pour se targuer « d’éradiquer la grande pauvreté » quand, du fait de politiques de guerre sociale à outrance, elle explose dans les statistiques et sous nos yeux mêmes. Il faut avoir passé des caps pour expliquer sans ciller que la transformation « en profondeur des règles de l’indemnisation du chômage », de « l’organisation du secteur public » et de « notre système de retraite », transformations qui promettent les demandeurs d’emploi à une précarité sous surveillance sans précédent, le secteur public au saccage néomanagérial, et les retraités à la misère, pour expliquer, donc, que tous ces bons soins sont faits « au fond pour bâtir les nouvelles sécurités du XXIe siècle ».

À ce stade, l’examen clinique est déjà très lourd, mais il ne prend sa véritable consistance qu’au moment, proprement glaçant, où le sujet déclare placer toutes ses intentions sous le signe de la vérité et de la réalité, et jusqu’à en faire un vœu, « un vœu de vérité » — consciencieusement mâchonné par le commentariat médiatique. C’est alors qu’on le voit passer le 38e parallèle quand, bien en face, il nous souhaite pour 2019 « de ne pas oublier qu’on ne bâtit rien sur des mensonges ». Et c’est à l’instant où il nous sermonne que « nous nous sommes installés dans un déni parfois flagrant de réalité » que toutes les alarmes se mettent à sonner.

C’est donc avec des profils de ce genre qu’il faudrait aller jouer au « grand débat », et avec lesquels la « presse démocratique » appelle elle aussi à aller « parler », puisque « parler », c’est la « démocratie ». Des profils qui ont pourtant annoncé la couleur, qui invitent à discuter de tout mais sous l’évidence préalable qu’« on ne détricotera pas ce qui a été réalisé en dix-huit mois », c’est-à-dire qu’on ne changera rien — sinon à donner du même en pire. On réalise ici que c’est de nouveau à Benjamin Griveaux qu’on doit cet encouragement à débattre, décidément un personnage remarquable, fin connaisseur du pays profond depuis « la clope et le diesel (3) », et l’on se dit qu’on pourra raconter ce qu’on veut à propos des animateurs de l’après-midi « Portes ouvertes » au ministère, sauf qu’ils ont manqué de sens politique.

C’est donc avec des profils de ce genre qu’il faudrait aller jouer au « grand débat »

Comme un événement se reconnaît à sa puissance de classement, à son pouvoir de montrer qui est où, et qui pense quoi — après le TCE de 2005, Trump ou le Brexit, celui des « gilets jaunes » en est un au plus haut point —, l’événement dans l’événement, dont les portes défoncées du ministère fait certainement partie, l’est au carré : il fait tout sortir. À commencer de l’intéressé lui-même qui, pour se refaire une dignité express après avoir changé de linge, va puiser dans les dernières ressources de son lyrisme Sciences-Po pour expliquer que ce qui a été attaqué, « c’est la maison France ». Si l’on prend le parti charitable de considérer que « la maison France » (assez judicieusement rebaptisée par un internaute « la maison Business France ») n’est pas une entité imaginaire pour enfants en bas âge, ou bien pour délirant échappé du CMP, il faut expliquer à Griveaux que, non, c’est bien lui qui a été visé, qu’il n’était d’ailleurs pas illogique qu’il en fût ainsi car, est-il dit quelque part, le malheur va à celui par qui le scandale arrive et que, porte-parole d’une clique qui scandalise le pays, il a lui-même, à force de provocations et de mépris, porté l’outrage général à des sommets qu’on ne peut décemment pas imaginer franchir en toute impunité. Appelons donc Benjamin Griveaux à refaire des distinctions élémentaires, dont la perte est une indication préoccupante de plus : il n’est pas « la maison France » en personne, ni même « les institutions ».

Cette confusion n’existe cependant pas qu’à l’état isolé dans les têtes les plus dérangées de ce gouvernement. Un reportage court mais frappant de l’AFP auprès des forces de l’ordre révélait avec quelle sorte de conditionnement les chefs bourrent les têtes de la troupe avant de l’envoyer matraquer : « ils nous disent que si on perd cette bataille-là tout peut s’effondrer. Ils nous rappellent l’importance de notre métier pour la démocratie et la république (…) Notre vocation, c’est de défendre les institutions (4) », témoigne ainsi l’un d’eux. Brutes fascisées mises à part, qui n’ont besoin d’aucun motif pour cogner, que resterait-il de l’ardeur des policiers si on leur expliquait posément que, Griveaux et Macron dégagés, les « institutions », qui ne se confondent pas avec leurs occupants transitoires, seraient toujours là… accessoirement débarrassées des personnages qui leur bricolent la même vie pourrie que ceux sur qui ils ont ordre d’aller taper ? Défendre Macron n’est pas défendre « les institutions » : c’est défendre Macron — barricadé dans les institutions.

Mais l’on pourrait aussi, à l’exact inverse, répondre tout autre chose au spasme indigné de ce que, sinon « la maison France » du type en rupture de cachets, ce sont « les institutions de la République qu’on attaque », autre chose qui ferait le choix de prendre cette phrase de carton-pâte au sérieux malgré tout, et qui lui dirait que, tout bien réfléchi, en définitive, oui, c’est vrai, il y a de ça. On ne sait jamais trop où se situer entre le trop et le trop peu d’importance accordée aux questions institutionnelles, mais si vraiment les renversés du Fenwick tiennent à en parler, alors oui : se débarrasser des institutions de la Ve République, ça peut en effet faire partie de l’idée générale (5).

Défendre Macron n’est pas défendre « les institutions » : c’est défendre Macron — barricadé dans les institutions

Il faut que les « défenseurs de la démocratie », forcenés médiatiques hurlant à la « sédition » et aux « factieux » avec les forcenés politiques, aient perdu de longue date l’idée de la démocratie qui, il faut visiblement le leur rappeler, consiste en l’activité autonome par lesquelles les peuples créent non seulement leurs lois mais leurs institutions — créent, c’est-à-dire s’autorisent à recréer chaque fois qu’ils le jugent opportun. On aura donc du mal à tenir le renversement des institutions en vue de refaire de nouvelles institutions pour une activité opposée à la démocratie quand elle en est l’expression même.

Pour parler aux forcenés avec des références simples qu’ils peuvent peut-être comprendre, de Gaulle en 1958, par exemple, se propose de « renverser les institutions de la république » — la IVe. Comme on sait, il s’est alors agi, dans la manière, davantage d’un coup d’État que d’une refondation démocratique, mais comme de Gaulle est leur doudou à tous, et qu’ils tiennent tous ce cas de « renversement des institutions de la république » pour une chose très admirable, un argument a fortiori devrait les convaincre sans peine que la même chose appliquée à la Ve, mais avec beaucoup de monde au lieu d’une sorte de junte, est encore plus exemplairement démocratique.

Pour tout dire, on sait bien qu’aucun argument ni aucune logique n’auront plus la moindre prise sur ces esprits. Tout autant que ce gouvernement, la presse mainstream qui fait bloc avec lui a quitté le réel. Départ qui hésite entre les formes du grotesque et celles du refuge dans les principes supérieurs, crécelles à tourner quand, le dos au mur, on n’a plus rien à dire. Le grotesque par exemple quand France Inter convie une « spécialiste des discours politiques » à commenter les vœux de Macron et, joignant le pire radiophonique au pire universitaire, obtient sans peine de l’invitée choisie à cette fin que prononcer les vœux debout, c’est « donner une image de dynamisme et de jeunesse », mais aussi « casser l’image très éloignée des Français (6) » — avouons qu’ici le « service public » ne pouvait guère cerner de plus près le sentiment du public, à qui l’écoute de l’allocution présidentielle a certainement fait cet effet-là exactement, et inspiré des pensées toutes pareilles. « Donc un président qui a entendu, et qui se remet en marche » résume Alexandra Bensaïd, avec une parfaite objectivité, elle aussi vouée à tomber des nues le jour où les portes de la Maison de la Radio seront à leur tour enfoncées à l’engin de chantier.

Comme par une sorte de prescience du Fenwick qui vient, le monde des médias prend les devants et n’en finit plus de s’envelopper préventivement dans la « démocratie », de crier que si on lui touche un cheveu à lui, c’est elle qu’on assassine, et qu’il n’y a pas de plus grand crime. Alors dans une crise d’écholalie qui sent les paniques terminales, il ne dit plus, en boucle et en désordre, que « république », « les institutions », « démocratie » et « liberté de la presse ». Mais il y a belle lurette que « la démocratie », dans ces bouches, n’est qu’un mot ectoplasme, comme « presse libre », et ça n’est certainement pas un hasard que les deux se serrent l’un contre l’autre pour tenter de se sauver solidairement — la « démocratie » du capital accrochée à la « presse libre » du capital (ou à celle de l’État du capital).

Déjà au naturel apparentées à ces concepts dont Deleuze disait qu’ils sont « gros comme des dents creuses », la « presse libre » et la « démocratie » sont des abstractions vides de sens, dont les tenants voudraient qu’on les révère en principe, alors qu’on n’en juge qu’en situation. Montrez-nous telle presse, et tel système de gouvernement, nous vous dirons s’ils sont libres et démocratiques, indépendamment des étiquettes avantageuses qu’ils se donnent, et pour le reste, inutile de s’agiter avec des généralités à faire du vent. Quel effet pourrait bien nous faire par exemple l’étiquette de « presse libre, pilier de la démocratie » quand on écoute BFM, France Info (qui est pire que BFM), ou qu’on lit le JDD en ce moment ?

On comprend en tout cas que, dans toute cette affaire, la question de la violence soit le point de cristallisation absolue

On comprend en tout cas que, dans toute cette affaire, la question de la violence soit le point de cristallisation absolue. D’abord parce qu’elle répond à une série d’égalités ou d’oppositions entre « dents creuses » suffisamment rudimentaires pour entrer dans des têtes de journaliste : violence = contraire de démocratie ; or démocratie = bien suprême, et incidemment démocratie = presse (libre) ; donc presse libre = bien suprême, et violence = ennemi de presse libre (spécialement quand ça commence à chauffer à proximité des sièges de médias). Mais aussi, bien plus encore, parce que la violence n’est pas que le point d’outrage, ou de terreur, de la « presse libre » : elle est son point de mauvaise conscience.

Depuis trente ans en effet, la structure institutionnelle d’ensemble, dont les médias sont un élément décisif, n’a pas cessé d’organiser la cécité, la surdité et la tranquillité des puissants — dont Griveaux est le produit achevé, la forme pure : « à l’écoute », il « entend » qu’il faut accélérer, et puis s’étonne de se retrouver avec une porte cochère sur les bras. Or depuis 1995 jusqu’à aujourd’hui, en passant par Le Pen en 2002, le TCE de 2005, le Brexit, Trump, etc., les médias dominants se sont scrupuleusement tenus à leur tâche de gardiennage qui consistait à renvoyer toute manifestation de mécontentement à l’irrationalité et toute demande d’alternative à l’irresponsabilité, pour placer la continuité gouvernementale néolibérale hors d’atteinte. Quand tous les médiateurs, médiatiques et syndicaux, ont cessé depuis trois décennies de médiatiser quoi que ce soit, quand le jeu ordinaire des institutions ne produit plus que du Griveaux, et que sa manière très spéciale « d’écouter » est bénie, au moins par omission, par la corporation éditorialiste, il ne faut pas s’étonner qu’ayant parlé si longtemps dans le vide et à bout de souffrances, le peuple n’ait plus d’autre solution sous la main que de prendre la rue et d’enfoncer les portes pour se faire entendre une bonne fois.

Depuis trente ans en effet, la structure institutionnelle d’ensemble, dont les médias sont un élément décisif, n’a pas cessé d’organiser la cécité, la surdité et la tranquillité des puissants

On comprend mieux que les médias soient accrochés à leur cher tamis, celui qui doit faire le tri des « agitateurs factieux » et des « gilets jaunes pacifiques ». Il leur sera difficile d’admettre, comme en témoignent pourtant les sondages aussi bien que la « cagnotte du boxeur », que les seconds soutiennent tacitement, voire explicitement, les premiers. Et que ces seconds voient très bien que, sans ces premiers, ils n’auraient même pas obtenu les miettes qui leur ont été octroyées avec condescendance, car toute manifestation « citoyenne » et « pacifique » est vouée à la nullité dans le système de la surdité institutionnelle organisée — un mois de quasi-insurrection pour un moratoire sur l’essence et quelques clopinettes autour du SMIC : nous connaissons maintenant les tarifs de la « démocratie à l’écoute ».

La « violence » dont s’épouvante la corporation, et dont elle voudrait épouvanter avec elle le reste de la population, offre donc en creux l’exacte mesure de sa carence. Et comme il est trop tard, comme par ailleurs, à l’image de tous les pouvoirs, le pouvoir médiatique est incapable du moindre apprentissage — les médias ne font-ils pas partie depuis des décennies des institutions les plus détestées, et qu’ont-ils fait, année après année, sinon enregistrer stupidement leur discrédit sans rien changer ? —, alors la corporation campera sur ses équations pour débiles légers : violence = mal incompréhensible, en fait même inconcevable.

Feignant de ne rien comprendre, ou ne comprenant rien vraiment, les médias croient qu’on les chicane injustement sur des questions de comptage, ou bien pour avoir montré quelques fascistes au milieu des « gilets jaunes » — avec l’appui de sociologues à la pointe de la connaissance scientifique, comme Michel Wieviorka, qui a « vu dans Paris des tags avec un « A » entouré, qui est un signe d’extrême-droite (7) ». Aussi bien éclairés, on comprend qu’ils ne puissent pas voir qu’à part leur racisme social foncier, c’est par leur fusion manifeste avec toutes les vues des dominants, et plus encore sur la question de la violence que se joue actuellement leur infamie. Répéter jusqu’à la nausée « casseurs », ne montrer que la violence des manifestants, occulter systématiquement celles de la police, c’est infâme.

Aussi bien l’expérience concrète que l’enquête tant soit peu soigneuse confirment que la police porte la responsabilité pratique du niveau des violences. L’expérience concrète car, depuis 2016 déjà, on ne compte plus les témoignages de manifestants parfaitement pacifiques que le matraquage sans motif, sans préavis, et sans justification, a rendus enragés, et déterminés à ne plus se laisser faire « la fois d’après ». Quant à l’enquête, celle de Laurent Bonelli rapporte ce propos recueilli d’un « haut responsable des forces de maintien de l’ordre » : « c’est nous, l’institution, qui fixons le niveau de violence de départ. Plus la nôtre est haute, plus celle des manifestants l’est aussi ». Voilà ce qu’on ne lira jamais dans la presse mainstream.

Qui n’en cultive pas moins l’hypocrisie minimale lui permettant de se croire quitte de ses devoirs « d’informer ». Car, se récriera-t-elle, elle « en parle » ! Si en effet, passé samedi soir, où l’un des journalistes de France Info, un certain Pierre Neveux, encore plus en roue libre que ses collègues, suggère au sous-ministre de l’intérieur d’interdire purement et simplement les manifestations, un flash de dimanche après-midi mentionne bel et bien la scène du flic tabasseur de Toulon. Mais pour l’accompagner d’une interview d’un syndicaliste… de la police, et sans omettre la plus petite des circonstances justificatrices, quitte à relayer toutes les fabrications policières s’il le faut. Pendant ce temps, le boxeur de CRS, lui, est omniprésent. Car voilà toute l’affaire : l’omniprésence, ça s’organise. Et, forcément, ça s’organise sélectivement.

Un journaliste cependant sauve l’honneur de la profession (heureusement, il n’y en a pas qu’un) : David Dufresne a tenu un compte scrupuleux des violences policières, sauvages, gratuites, illégales. 230 signalements depuis un mois, une encyclopédie de la honte « démocratique », dont la moindre image soulève le cœur et l’indignation. Et surtout — c’est bien ça le problème — suffirait à retourner l’opinion comme une crêpe. Mais qui lui donne la parole ? Envoyé spécial, brièvement et dans un exercice d’équilibrisme visiblement sous haute surveillance. Et Le Média, seul de son genre, dans une émission comme on est bien certain qu’on n’en verra nulle part ailleurs de pareille. Car dans le cercle des médias installés, pas un n’a encore trouvé la force d’articuler explicitement cette vérité de l’époque Macron qu’aller manifester emporte le risque d’une blessure de guerre, ou de sanctions judiciaires ahurissantes. Ni plus ni moins. On attend toujours de voir la « presse démocratique » éditorialiser ou, comme il lui reviendrait en réalité, faire campagne sur ce thème, à l’appel par exemple des avertissements répétés des institutions internationales, ONU, CEDH, Amnesty International. Car, là encore, il y a une différence entre se dédouaner à peu de frais de la restitution des « faits » et en faire quelque chose. Comme les médias croient se dédouaner, à l’image du Monde, en couvrant le mouvement, pour finir par éditorialiser que l’ordre macronien est le bon et que ceux qui persistent à le contester ne sont plus que des « irréductibles violents (8) », ils rapportent a minima quelques cas de violences policières, et puis éditorialisent… ailleurs, c’est-à-dire rien. Manifester, blessure de guerre — mais rien.

Il apparaît donc que la « presse démocratique » se moque absolument des atteintes réelles à la démocratie. Traquant la fake news jusqu’à l’écœurement, sans d’ailleurs jamais qualifier comme telles toutes celles qui viennent de l’intérieur de son propre système, elle est devenue l’institution centrale de la fake democracy. Et elle s’étonne que les mots-amulettes aient perdu toute efficacité, que les gueux ne mettent plus genou à terre devant le crucifix de la « presse libre », elle se consterne que, ne trouvant rien d’autre pour sa défense que de se réfugier dans « la dent creuse » des principes supérieurs, elle ne recueille plus que les lazzis dans le meilleur des cas, et la rage, à son tour maintenant — implacable mécanique de la solidarité des pouvoirs forcenés : comme ils ont régné ensemble, ils tombent ensemble.

En tout cas on l’a compris, ce pouvoir médiatique n’est pas moins forcené que ce pouvoir politique

En l’occurrence ce sont les troupiers médiatiques qui tombent les premiers — comme dans toutes les guerres, les bidasses ramassent pour les généraux. Au reste, on n’est pas tout à fait certain de la mesure dans laquelle, à BFM, les options idéologiques de la base diffèrent de celles du sommet. À tout le moins, il semble que le compte n’y soit plus suffisamment pour continuer de se faire traiter « d’enculé » et sortir méchamment des cortèges en conséquence des agissements de la chefferie. Si cependant les reporters de BFM avaient deux sous d’analyse, ils donneraient à leur débrayage un tout autre sens que celui d’un « boycott de la couverture des “gilets jaunes” » : le sens d’une grève, c’est-à-dire d’un avertissement à leur direction, responsable réelle de la situation impossible où ils se trouvent. Du reste, exactement de la même manière que les CRS devraient poser le casque en un geste de défiance enfin bien adressé : à l’endroit du gouvernement, qui répand une colère écumante et laisse ses prolos du maintien de l’ordre aller en accuser réception à sa place.

En tout cas on l’a compris, ce pouvoir médiatique n’est pas moins forcené que ce pouvoir politique. Tous ses choix, et plus encore ses non-choix, le confirment. De quoi parle-t-il, et de quoi ne parle-t-il pas ? Et comment parle-t-il de ce dont il parle, croyant être à jour de ses obligations du seul fait « d’en avoir parlé » ? Pourquoi, par exemple, les médias mainstream qui n’aiment rien tant que se voir partir en croisade et se faire un blason d’investigateurs avec les Leaks et les Papers (qu’on leur envoie) ont-ils fait si peu de choses de ce mail des Macronleaks expliquant benoîtement que les taxes essence étaient écologiques comme Bernard Arnault un militant de la cause du peuple : elles n’étaient faites que pour financer les baisses de cotisations du CICE ? Pourquoi n’en ont-ils pas fait une campagne, comme ils l’ont fait avec entrain au début pour expliquer que les « gilets jaunes » et leurs carrioles puantes étaient les ennemis de la planète ? Pourquoi cet élément accablant n’a-t-il pas fait toutes les une écrites et audiovisuelles pendant plusieurs jours d’affilée, puisque c’est le genre d’opération pour lesquelles les chefferies ont une passion ?

Pourquoi, également, ne se sont-ils pas saisis de cet accident d’un ouvrier de 68 ans, auto-entrepreneur, mort d’être tombé d’un toit, fait qui n’a rien de « divers » puisque, non seulement il dit tout de l’époque, mais qu’il épouse parfaitement le moment ? 68 ans, ouvrier, auto-entrepreneur, mort au travail : n’y avait-il pas de quoi faire quelque chose de cette sorte de synthèse parfaite ?

Du code du travail à la gueule des manifestants, ce sont eux qui cassent tout — c’est bien ça le problème avec les forcenés : ils cassent tout

Pourquoi, encore, se sont-ils joints au ministère de l’intérieur pour crier au scandale à propos de la guillotine en carton, au mépris de toute l’histoire populaire des effigies ? Au mépris surtout de ce qu’à fermer jusqu’aux formes symboliques de l’expression de la colère, après en avoir fermé toutes les formes politiques, ils devraient se demander quelles solutions d’expression ils lui laissent.

Les vrais forcenés sont ceux dont le pouvoir, joint à l’acharnement, produisent ce genre de situation. Du code du travail à la gueule des manifestants, ce sont eux qui cassent tout — c’est bien ça le problème avec les forcenés : ils cassent tout. Cependant, il y a un moyen très simple de les en empêcher : on leur envoie les infirmiers. Les « gilets jaunes » le pressentent-ils : il y a quelque chose en eux de la blouse blanche.

Frédéric Lordon

(1) À 79 % de taux de participation et 45 % de vote utile (mesurés par un sondage Opinionway), les 24,1 % de Macron au premier tour donnent un soutien réel de 10,47 % des inscrits.

(2) Emmanuel Macron, « Vœux 2019 aux Français », 31 décembre 2018.

(3) « Pour Griveaux, Wauquiez est « le candidat des gars qui fument des clopes et roulent au diesel » », JDD, 2 décembre 2018.

(4) « Si on perd cette bataille-là, tout peut s’effondrer », AFP, 9 décembre 2018.

(5) Fenwick est une marque bien connue de chariot élévateur.

(6) Cécile Alduy, Le 7/9, France Inter, 1er janvier 2019.

(7) « L’Info du vrai », CNews, 7 janvier 2019.

(8) Éditorial, « Gilets jaunes : sortir de l’impasse », Le Monde, 24 décembre 2018.

Source https://blog.mondediplo.net/les-forcenes

Bonne année La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.
Bonne année !

Nouvelle année. Au soir du 31 décembre et sous une pluie glaciale et battante, les artistes interprétaient comme ils l’ont pu pour les besoins des dites festivités, organisées comme tous les ans par la municipalité d’Athènes. Sous une Acropole alors arrosée, l’image retransmise en simultané par les télévisions grecques convient bien à la situation du pays. Pétards mouillés. Pourtant tout le monde dans la mesure du possible, a pu enfin souffler un peu durant cette coupure calendaire des rythmes et des… arythmies du pays réel. Bonne année 2019 !

Musique et chant pour les enfants. Athènes, décembre 2018

Entre Noël et le Nouvel an, le climat ainsi surfait était un peu partout à la fête, les enfants, les enfants ont particulièrement apprécié. Il faut dire que les enfants en Grèce deviennent de plus en plus rares, d’après les récentes enquêtes démographiques reproduites par la presse du moment en guise de… bonne année, l’indice conjoncturel de fécondité a subi un effondrement sans précédant après 1981, pour se situer en 2016 à environ 1,3 enfant par femme.

Ainsi, les personnes âgées de plus de 65 ans représentent actuellement près du 25% de la population, et le nombre des enfants de moins de 15 ans, s’élèvent seulement à un petit 14%. C’est n’est pas glorieux et surtout, une telle “bombe démographique” signifie d’après les spécialistes que la population du pays (10 millions actuellement) diminuera de presque un million dans près 30 ans, quotidien “Kathimeriní” du 31 décembre 2018.

Alors, ni forces vives et à terme encore moins nation… si rien ne change. Les éditorialistes dignes de ce nom à l’instar de l’universitaire, philosophe et théologien orthodoxe Chrístos Yannarás, tirent donc la sonnette d’alarme. “Les prévisions pour 2019 ne permettent guère l’optimisme. Le seul et alors unique espoir tient alors de la chimère, de la croyance en cette possibilité de ‘surprise’, car chaque société, même plongée dans le déclin le plus profond peut ainsi contre toute espérance, donner naissance à sa propre mutation radicale.” “Il n’est certainement pas prudent que de miser sur le moins probable, sur ce qui est tout simplement souhaitable. Sauf que le désir commun, ou celui partagé par le plus grand nombre, est généralement porteur de cet élan issu de la surprise. Les aspirations inconcevables sont parfois à l’origine des mutations sociales ainsi radicales”, quotidien “Kathimeriní” du 30 décembre 2018. Un mélange de joie et de tristesse (en grec Charmolýpi, terme de la théologie Orthodoxe) règne ainsi pendant ces jours du seul basculement calendaire. Le tout, sous le regard des animaux adespotes devant l’Acropole, ou devant les échoppes, sans oublier cette image des réalités palpables au contact des sans-abris d’Athènes… aux sapins de Noël “qui leur sont suffisamment propres” aux dires des passants. Rythmes comme arythmies du pays réel.

Animal adespote sous l’Acropole. Athènes, décembre 2018
Noël… Sans-abri. Athènes, décembre 2018
Vitrine et échoppe. Athènes, décembre 2018
Animal adespote et terrasse de café. Athènes, décembre 2018

Au centre historique d’Athènes par ce temps dit festif, la municipalité a illuminé cette galerie marchande alors trépassée depuis un moment déjà, rebaptisée pour les besoins d’une muséographie du commerce affichée de la sorte: “Traces du commerce”. Ailleurs pourtant, le commerce reprend timidement, un phénomène en partie lié à la massification des évidences touristiques, tout comme de celles d’Airbnb, la dite plateforme n’est pas sans provoquer les frictions évidentes… entre le monde réel et le monde d’après. Nous y sommes autant à Athènes et en Grèce plus généralement.

Nos touristes d’ailleurs attendent patiemment dans le froid pour visiter l’Acropole, non loin d’une affiche locale, dans l’espoir de retrouver Maria, chatte alors perdue et ainsi désespérément recherchée. En espérant une issue heureuse quant au sort de Maria, d’autres Athéniens nourrissent les autres animaux adespotes du quartier des églises et de l’Archevêché, le tout, sous le regard attiré des visiteurs. Oui, Noël des adespotes c’est presque tous les jours ici !

L’autre quasi-nouveauté du moment tient d’une certaine massification constante de la pratique religieuse, en Grèce, et même à Athènes. Certes, ce phénomène ne peut pas être quantifié de manière exhaustive, sauf qu’il suffit de se rendre à l’église et d’observer. Au moment même où une partie du haut prélat semble accepter la mise en cause de la position de l’Église et plus généralement de l’Orthodoxie, le bas clergé et les laïques des paroisses résistent, persistent, psalmodient et signent. Une mise en cause, signalons-le, en réalité guerre ouverte initiée par les tenants de la mondialisation et leurs serviteurs locaux, à savoir et entre autres, le “gouvernement” Tsípras.

Sauf qu’en ville, comme partout ailleurs, l’Église est de plus en plus présente sur le terrain social, et aussi spirituel à défaut peut-être d’idéologie politique adéquate. Au village thessalien, Maria, l’épouse de mon cousin Vassílis, organise la distribution au sein de la paroisse, ceux du village qui n’ont plus les moyens, les “micro-retraités” comme on les nomme parfois ici, reçoivent une modeste somme, quelques vivres, ainsi que des habits, voilà pour le Noël des Grecs du pays réel et de l’Orthodoxie.

Traces du commerce. Athènes, décembre 2018
Commerces. Athènes, décembre 2018
Maria… perdue. Athènes, décembre 2018
Contre Airbnb. Athènes, décembre 2018

Grèce en hiver. En Thessalie, la ville de Tríkala connaît un afflux de visiteurs, en partie lié au parc thématique local pour enfants organisé durant la période des fêtes. En règle générale, les destinations des montagnes grecques retrouvent une certaine clientèle grecque et aussi non-grecque et c’est nouveau depuis les années de dite crise. Près d’un tiers de la population se débrouille comme on dit, entre les fonctionnaires aux revenus réguliers, puis ceux, acteurs d’une parfois nouvelle économie, partiellement immergée… et quelquefois même criminelle.

Indifférents désormais au sort des autres, car 70% de la population est paupérisée et près de la moitié des Grecs sont alors pauvres, ces rescapés ou “renouvelés” de la crise et par la crise, clientèle des partis comprise, font et feront leur vie, car de toute manière… il n’y aurait plus autre chose à réaliser. Et c’est alors la partie visible de l’ensemble mais qui ne le représente plus depuis la longue agonie de la classe moyenne. Visible même et surtout par ce temps aussi de Noël.

Pour nos animaux adespotes. Athènes, décembre 2018
Église à Athènes à fin de la messe. Décembre 2018

Noël déjà derrière nous, le tout sous une certaine douceur, celle comme on sait de la seule météo. Les plus téméraires qui sont habituellement les meilleurs, ils se sont même baignés en mer, près du port du Pirée, comme mieux encore à Nísyros, belle île du Dodécanèse. Sauf que depuis… 2019, une bonne partie du pays se trouve désormais sous la neige, et que ans les prochaines heures, le manteau neigeux couvrira alors jusqu’à certains quartiers d’Athènes.

Au village thessalien on installe des bâches sur les potagers d’hiver comme on brûle du bois. Telle est la vie locale un peu partout en Grèce. La fanfare municipale a été de sa plus belle musique en ville de Tríkala, bourgade vivante, où aux dires des habitants il fait certainement mieux vivre qu’à Athènes. Au village, le voisin Nikos et aussi cousin un peu lointain, me raconte comment et combien la commune se dépeuple, elle a perdu plus du tiers de sa population depuis les années dites de la crise.

“Les jeunes sont partis en Allemagne et les vieux donc… ils meurent. Ce n’est plus rentable du tout que de travailler la terre, toutes les terres du village finissent par être exploitées par deux ou au mieux, par trois familles, lesquelles ont alors les moyens et pour tout dire, disposent de la mécanisation nécessaire et de pointe pour y parvenir. Nous travaillons déjà et nous travaillerions davantage pour eux ; comme nos ancêtres il y a plus d’un siècle. Nous sommes les abandonnés des politiciens, le Parlement devrait un jour… sauter, sans blague.”

Au Pirée, décembre 2018
Tríkala ville. Thessalie, décembre 2018
En Thessalie, janvier 2019

Dans un sens, Chrístos Yannarás, philosophe et théologien orthodoxe ne dit pas vraiment autre chose. “La solution est simple, nous le savons tous: nous avons besoin d’un gouvernement en dehors de l’ensemble des partis du Parlement actuel et qui exclura institutionnellement la possibilité de faire fonctionner toute sorte d’un état clientéliste. Un gouvernement alors de transition, technique, issu des ‘personnalités’, doté d’un mandat de deux ans, et autant soumis au contrôle du parlement actuel, mais bénéficiant d’un appui de type référendaire pour éliminer l’interminable état clientéliste, et ainsi exclure constitutionnellement sa reconstitution”, quotidien Kathimeriní du 31 décembre 2018.

Entre le clientélisme réellement existant, puis la méta-démocratie Troïkanne et enfin leur dernier ridicule des politiciens grecs, ces mêmes politiciens ont été ainsi “tués”, déjà dans la conscience collective pour un nombre alors important de citoyens. La semaine dernière, Tsípras a inauguré à Thessalonique une station du métro de la ville… lequel fonctionnera concrètement seulement en 2022. Sur les photos publiées par une partie de la presse, on y distingue certaines… machines à ticket factices, puis, une part de la station ainsi “inaugurée” sera démontée pour que les travaux puissent alors se poursuivre. Voilà que le ridicule tue encore dans un sens.

Les élections législatives auront lieu cette année certes, le système politique survivra, et peut-être que lors des élections d’après, d’autres mouvements pourront voir le jour, authentiques, radicaux, émanant du pays réel, pour que l’unique espoir puisse ainsi tenir de la chimère en cette possibilité de surprise. Et à commencer par la dénonciation des accords avec la Troïka et évidemment par la sortie de la Grèce de l’Union européenne, c’est un minimum et ce n’est qu’un début car cette voie est bien longue et difficile.

De la musique. Tríkala en Thessalie, décembre 2018
La station de métro… inaugurée par Tsípras. Thessalonique, décembre 2018 (presse grecque)
Au Mont Athos. Décembre 2018

En attendant le miracle… ou en le préparant peut-être, mes amis m’envoient leurs photos depuis le Mont Athos, cette République monastique en Chalcidique bénéficiant d’un statut d’autonomie comparable aux périphéries et réunissant vingt monastères Orthodoxes, grecs, bulgares, roumains, russes, serbes et autres, qui mènent une vie alors d’anachorètes.

En attendant et en préparant le miracle, nous admirons autant tout l’éclat des animaux adespotes qui sont autant des nôtres. Bonne année, espoir et vérité !

Animal adespote. Athènes, décembre 2018

* Photo de couverture: Vœux du moment. Athènes, décembre 2018

Grèce solidaire des gilets jaunes

Gilets jaunes à Athènes :  » Avec Macron, l’histoire de la France, c’est celle de la Grèce en accéléré » par Fabien Perrier

Des centaines de Grecs ont manifesté ce week-end leur soutien au mouvement des gilets jaunes et comptent poursuivre leurs actions de solidarité. Pour eux, le cœur du problème se trouve dans les politiques européennes.

Soutien aux gilets jaunes en Grèce : acte 3. Samedi 15 décembre, pour la troisième fois à Athènes, des Grecs ont souhaité témoigner de leur solidarité au mouvement né en France. Devant l’ambassade de France, des dizaines de militants de mouvements de gauche (Confrontations – Ligne rouge) ont brandi pancartes et hauts-parleurs. A deux pas de la place de la Constitution, où est situé le Parlement grec, des dizaines d’autres, du parti Unité Populaire, ont revêtu un gilet jaune avant de manifester dans la capitale.
« Les gilets jaunes montrent la voie »

Retraitée, Mania Balsefki est dans les rangs d’Unité Populaire, petit parti d’extrême gauche né d’une scission de Syriza, en août 2015. Pour elle, « les peuples de l’Europe doivent actuellement suivre la voie des gilets jaunes. Nous rencontrons des problèmes communs, l’austérité touche toute l’Europe. » Elle se félicite de l’émergence du mouvement en Belgique, en Italie… et des manifestations sur d’autres thèmes sociaux en Hongrie ou encore en Albanie. « Les gilets jaunes montrent la voie », affirme-t-elle. Economiste et membre, lui aussi, de ce parti, Yannis Tolios ajoute : « Nous manifestons contre la politique de Macron en France. » Selon lui, « les gilets jaunes expriment les intérêts vitaux des travailleurs, en France mais aussi en Grèce. Ils contestent fondamentalement les politiques menées dans l’eurozone, par l’oligarchie, qui sont en réalité des politiques d’austérité », c’est-à-dire des baisses des dépenses publiques, des salaires et des pensions, accompagnées de hausses des taxes.

Ces politiques, la Grèce les a vécues de la façon la plus extrême entre 2010 et 2015. Le salaire minimum, de 751 euros pour tous en 2010, passe à 586 euros brut, et même 510 euros pour les moins de vingt-cinq ans. Les conventions collectives ont été supprimées et la primauté a été donnée aux accords d’entreprise qui peuvent même être conclus avec des « associations de personnes », au détriment de la représentation syndicale. Quant aux prud’hommes, ils ont été abolis… Parallèlement, l’économie a plongé dans une récession incessante – pendant cette période, le produit intérieur brut a chuté de 25%.

« Je n’aurais rien contre un appel européen de solidarité »
« Quand je vivais en France, en 2010, et que j’expliquais à mes amis que les lois passées en Grèce arriveraient en France, que nous n’étions qu’un cobaye, ils ne voulaient pas me croire… », soupire Alkistis Prepi. Cette architecte urbaniste de 33 ans est, elle, devant l’ambassade de France. Autour d’elle, les manifestants brandissent des drapeaux rouges. La jeune femme poursuit : « Partout, les classes populaires subissent actuellement une paupérisation ; elle produit des « oubliés » et ces mouvements, comme les Indignés en Grèce en 2011, leur redonnent la voix. Les lois qui passent en France s’inscrivent clairement dans le contexte de l’austérité que les dirigeants européens veulent appliquer partout en Europe. Avec Macron, c’est l’histoire grecque… mais en accéléré. » En accéléré… jusque dans la répression, affirme-t-elle, rejointe par Kostas Ksotopoulos. Menuisier, il suit de près le mouvement des gilets jaunes. « Nous sommes là en solidarité, car nous comparons leur situation avec la nôtre. En outre, nous voulons dénoncer la façon dont la police a réagi contre les manifestants. Quand nous avons vu les véhicules blindés de l’armée dans Paris, des lycéens agenouillés et les bras sur la tête devant la police, nous ne pouvions pas en croire nos yeux. »

En Grèce, le mouvement trouve un écho. Au sein même de Syriza, le parti au pouvoir, ils sont nombreux à signaler leur sympathie pour les gilets jaunes. Le député Costas Douzinas a même déclaré : « Je n’aurais rien contre un appel européen de solidarité. »

Source https://www.marianne.net/monde/gilets-jaunes-athenes-avec-macron-l-histoire-de-la-france-c-est-celle-de-la-grece-en-accelere

France Budget 2019 : le président des riches maintient le cap !

Votée ce jeudi 20 décembre par l’Assemblée nationale, la loi de finance de 2019 accentue le processus d’injustice fiscale et de régression sociale qui avait caractérisé le premier budget du quinquennat.

Attac dénonce la poursuite de la politique éhontée des cadeaux fiscaux sans contre-parties aux riches et aux entreprises.

Le gouvernement maintient la flat tax et la suppression de l’ISF, alors que la majorité des français y est opposée. L’exit tax contre les expatrié·e·s fiscaux est allégée, ce qui montre que la lutte contre l’évasion fiscale n’est pas une priorité pour ce gouvernement. Simultanément, le budget 2019 prévoit de gros cadeaux fiscaux au patronat à hauteur de 71 milliards d’euros, dont 42 milliards au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité, l’investissement et l’emploi (CICE) dont le principal effet est de gonfler les profits des entreprises et les dividendes des actionnaires.

Pour Attac, ce budget porte un nouveau coup dur aux retraité·e·s, aux services publics et à la sécurité sociale. Aurélie Trouvé, porte-parole, s’insurge :

« en ne revalorisant que de 0.3%, les minimas sociaux et les retraites, déjà ponctionnées par la CSG, alors que l’inflation est de 1.3%, ce gouvernement organise une réduction générale du pouvoir d’achat ».

Le gouvernement s’attaque également à la protection sociale, dans le cadre du Projet de loi de la Sécurité sociale (PLFSS). Il impose une baisse de 910 millions du budget des hôpitaux, qui manquent déjà de moyens. Il exige également une réduction des dépenses de 3.8 milliards d’euros pour l’ensemble de l’assurance-maladie.

Pour Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac :

« derrière ces chiffres apparait une nouvelle mise en cause de la sécurité sociale, qui se trouve également profondément fragilisée par les baisses de cotisations sociales qui viennent d’être décidées ».

Les services publics sont également le parent pauvre de ce budget. Le gel du point d’indice des fonctionnaires est maintenu. Les suppressions de postes, estimées à 4170, vont se poursuivre.

Dominique Plihon, porte-parole d’Attac, dénonce :

« Ce budget 2019 montre que le projet de ce gouvernement est de poursuivre la casse des services publics, auxquels nos concitoyens sont très attachés ».

Il est urgent que le gouvernement change de cap afin de satisfaire l’exigence de justice fiscale qui s’est fortement exprimée dans la rue ces dernières semaines.

Source https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/budget-2019-le-president-des-riches-maintient-le-cap

Joyeux Noël La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Joyeux Noël

Noël en vue. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, le petit peuple au quotidien s’agite comme il peut, histoire de préparer ses moments présumés exceptionnels, même si l’ennui est parfois inséparable des moments festifs, c’est bien connu. Athènes et la Grèce n’échappent guère à la règle, magasins et échoppes, visiteurs et badauds, peuple alors digne mais mutant… quand le grand espoir n’est plus d’ici. Le sourire pourtant y est, c’est l’essentiel. On vient de loin, on y va et on résiste !

Visiteurs Place de la Constitution. Athènes, décembre 2018

Athènes se transforme finalement en une destination également hivernale, au croisement on dirait des mutations et des ronds-points… et autres apories giratoires de notre modernité. Le centre-ville croule sous cette nouvelle affluence, entre le tiers de la population grecque échappant à la paupérisation en tout cas plénière, l’essor des activités dites parallèles sans oublier l’économie liée au crime en plein essor, cela fait du beau monde, puis, il y a comme visiteurs hivernaux les Airbnbistes, puis ceux les hôtels, assez remplis pour un hiver grec.

Non sans rapport, l’immobilier grec passe alors aux mains des dits “investisseurs” venus du plus vaste monde, près des deux tiers des logements Airbnb, et bien entendu presque tous les hôtels nouveaux ou rénovés leur appartiennent, à Athènes, comme d’ailleurs au reste du pays. Dans la capitale, les boutiques et les locataires… trop vieux de 40 ans sont alors expulsés, pour que leurs immeubles puissent se transformer en hôtels et autres auberges avant si possible la saison 2019, et on vient d’apprendre que dix grands ports s’ajoutent à la liste des privatisations… le grand appareillage. Toujours dans Athènes, des publicités foncièrement sauvages et à la gloire des rapaces internationaux, incitent les paupérisés de la classe moyenne à brader leurs derniers biens: “Tony Buys House achète des logements”. On vient de loin, on y va et on dépouille !

Mais c’est bientôt Noël. Les retraités devenus vendeurs de billets de loterie sont partout, s’agissant de la loterie ex-nationale, car la… “Grecque des Jeux” a été bradée aux “investisseurs” étrangers pour moins que l’équivalent d’une année de bénéfices. N’en empêche, le maire Yórgos Kamínis vient d’inaugurer l’arbre des circonstances Place de la Constitution, la fanfare municipale y est souvent, de même que nos musiciens de rue, plus nombreux que jamais, Grecs alors paupérisés au regard accablé, interprétant le bon vieux Rebétiko, cette musique populaire apparue dans les années 1920, à la suite des vagues migratoires des populations, principalement, grecques expulsées d’Asie mineure par la Turquie kémaliste.

Fanfare municipale et arbre de Noel. Athènes, décembre 2018
Quand les retraités deviennent vendeurs de billets de loterie. Athènes, décembre 2018
Tony House… achète des logements. Athènes, décembre 2018

Pays moderne, méconnaissable. Plus d’une saisie par minute et par journée ouvrable est déclenchée par l’administration fiscale appartenant à la Troïka, désormais pour une dette envers l’État de moins de 500 euros, et par ailleurs, quatre millions sur dix millions d’habitants sont redevables envers le fisc, d’après les reportages du jour, informations radiophoniques du 22 décembre, (et presse grecque de la semaine). Comme il est noté ailleurs, notre société “elle est désormais exposée à la rapacité de forces qu’elle ne contrôle pas et qu’elle ne compte ni n’espère reconquérir et dompter”. C’est peut-être pour cette raison, que certains organisent à Athènes des conférences pour ainsi populariser la méthode Gandhi. Pourtant, les Grecs regardent les gilets-jaunes français avec émotion et espoir.

Ainsi à Kos, île du Dodécanèse, et pas qu’à Kos, l’administration fiscale Troïkanne persiste et alors elle encaisse. Témoignage de mon ami Olivier Delorme sur sa page Facebook du 20 décembre: “La Grèce va mieux, comme dit Moscovici: chronique du racket au quotidien. En transit à Kos, ce matin entre deux bateaux, nous nous installons dans un café. On commande deux thés, on les boit, en attendant d’en recommander deux autres. Soudain, deux agents du fisc débarquent, avisant notre table avec consommation mais sans encore de note. Et dresse un PV… Je comprends la situation, que la patronne et la serveuse tentent d’expliquer, je tente d’intervenir pour confirmer. Rien à faire ! Au final, nous recommandons deux thés et lorsque les deux notes arrivent, nous constatons que la première a bien été émise à l’heure même où nous avons été servis. Le cafetier est donc taxé non pour ne pas avoir édité de note, mais pour ne pas l’avoir déposée sur notre table en même temps que les thés.”

“Trois minutes plus tard, F. voit sur un journal grec en ligne que le gouvernement a donné instruction de multiplier les descentes du fisc dans les commerces durant les fêtes de fin d’année. Pendant ce temps-là l’optimisation fiscale des gros au Luxembourg de Juncker est toujours parfaitement légale. Et hier un ami nous disait qu’il attend depuis plus d’un an la restitution d’une saisie sur le compte de sa compagne reconnue comme indue par la justice… Mais qu’il se heurte à un mur. Dans le même moment où le gouvernement Tsípras prétend faire un cadeau de Noël aux gens qu’il a contribué à paupériser, il fait les poches à ceux qui ne le sont pas encore tout à fait. Comme dit Moscovici.”

Touristes chinois. Athènes, décembre 2018
La presse et les élections supposées anticipées. Athènes, décembre 2018

“Chacun doit incarner le changement qu’il souhaite apporter au monde”, d’après Gandhi, pendant la presse prétend que les élections anticipées seraient pour bientôt, sauf qu’il ne s’agit plus de s’en émouvoir du côté du peuple. Chacun doit donc incarner le changement, dont sans doute nos touristes venus de Chine avec leurs guides, pour y découvrir les douceurs réelles ou supposés helléniques sous l’Acropole. On vient de loin, on y va et on prend des selfies !

Pays moderne, certes méconnaissable, le “tiers ainsi payant” de la population persiste et signe, d’après la presse de la semaine, aux destinations hivernales du pays, le taux de remplissage des hôtels avoisine près de 90%, certes, les séjours sont très courts mais c’est alors nouveau depuis les années de l’effondrement. Sauf que ce ne sont pas forcement les mêmes vacanciers qu’avant, auxquels s’ajoutent les nouveaux très riches, issus des autres pays des Balkans, pays pourtant largement paupérisés où la classe moyenne est quasi-inexistante.

Pays moderne et dans Athènes, des humains comme parfois tant leurs animaux entraînés pour la cause, sollicitent les passants pour y laisser une petite pièce, clients ainsi des boutiques, touristes, badauds, voire même les migrants, anciens ou nouveaux… en plein circuit-découverte de leur univers nouveau. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, la vie continue ainsi coûte que coûte.

Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018
Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018
Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018

Signe des temps qui sont bien les nôtres, un acteur connu et bien sympathique, Pávlos Kontoyannídis, vient de créer son “Mouvement des pauvres” lequel participera aux prochains scrutins, c’est pour donner comme il déclare, de la voix aux paupérisés, “c’est-à-dire à ce 90% de la population qui n’a plus rien à perdre ou qui ne s’en sortent plus dignement comme avant” presse grecque de la semaine. Sincérité politique ou alors opportunisme ? Difficile à savoir.

La Grèce n’échappe ainsi guère à la règle, magasins et autres échoppes… à bras ouverts, des stéréotypes à peine surannés, mais également, une criminalité qui coure alors les rues, criminalité alors petite moyenne et grande. Dans la même série, notons le cas de certains patrons parmi ceux qui versent encore la maigre prime de Noël obligatoire par la législation à leurs employés, mais qui vont escorter par la suite leurs même employés… jusqu’aux guichets automatiques pour que ces derniers retirent alors cette somme de leurs comptes, et pour ainsi la restituer aux dits patrons. C’est bien connu, l’accablement est parfois inséparable des moments festifs, presse grecque du 22 décembre.

Pendant ce temps, la galerie des affairistes réels de SYRIZA s’amuse comme jamais, promettant en même temps de milliers d’embauches dans la fonction publique par le seul souci du clientélisme et de la survie de… caste, la leur. Et à Athènes, les retraités du secteur des banques réclament… le retour de leurs cotisations ainsi volées. Grande criminalité et surtout hybris.

Retraités des banques devant une agence. Athènes, décembre 2018
Retraités des banques devant une agence. Athènes, décembre 2018
Criminalité dite petite. Athènes de jour, décembre 2018
Hilarité. Tsípras et sa bande. Presse grecque, décembre 2018

Noël en vue. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, le petit peuple au quotidien se secoue comme il peut, histoire de préparer ses moments présumés exceptionnels.

Dans les cafés, des retraités exposent leur quotidien à d’autres retraités, aux inactifs comme aux bistrotiers. On évoque volontiers et autant la vie en ville, tout comme les nouvelles du village d’origine, la récolte des olives, les… nouveaux péages, le prix du bois pour se chauffer. La dite grande politique est le plus souvent absente, elle n’est plus de ce monde et c’est définitif aux yeux d’une bonne partie des Grecs en tout cas.

Les mentalités évoluent et les masques tombent. D’après le dernier dit Eurobaromètre, seulement 24% des Grecs font encore confiance à l’Union européenne, et c’est le taux le plus bas enregistré dans la dite Union, presse grecque de la semaine. Donc, c’est bientôt Noël, si l’on veut bien considérer qu’il s’agit plutôt d’une lame de fond un peu partout entre Athènes, Rome, Paris ou Dublin.

Bientôt Noël. Athènes, décembre 2018

Noël et ainsi l’arbre de… Yórgos Kamínis, la fanfare municipale, et surtout nos musiciens de rue comme des tavernes interprétant le bon vieux Rebétiko. “Pour moi, c’est d’abord cela, le rebétiko: une atmosphère autant qu’un chant, des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin résiné, d’ouzo, de sciure fraîche sous les tables, de mégots refroidis”, écrivait il y a maintenant plus de quarante ans Jacques Lacarrière dans son récit “L’Été grec”.

Des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin, Joyeux Noël !

Animal adespote sous abri. Athènes, décembre 2018
* Photo de couverture: Nos musiciens de rue. Athènes, décembre 2018

La dette grecque : Quelques repères utiles

La dette grecque : Quelques repères utiles par CADTM Belgique

Cet article correspond au Premier Chapitre de la brochure Comprendre la dette grecque, réalisée et éditée par le CADTM et ZinTV.

La dette est un rouage clé du système capitaliste. Elle permet en effet un transfert de richesses de la majorité de la population vers les détenteurs de capitaux. Autrement dit, elle est un outil d’enrichissement, une source de profit pour les plus riches. On parle ainsi de la dette comme levier d’accumulation du capital.

« La dette d’État, c’est-à-dire l’aliénation de l’État – qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain – marque de son empreinte l’ère capitaliste […]. La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée. »

Karl Marx, Le Capital, Livre 1, 1867,
Édition et traduction sous la responsabilité de Jean-Pierre Lefevre,
Voir https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf, p. 897 et p. 847

Si les traces de systèmes de crédit sont très (très) anciennes et précèdent largement l’avènement du système capitaliste, la dette publique apparaît comme un des mécanismes d’accumulation primitive du capital dès les 14e et 15e siècles dans les républiques marchandes de Venise et de Gênes, puis se généralise dans les puissances européennes à l’époque des conquêtes coloniales et de la création de manufactures (du 16e au 18e siècles). Au 19e siècle, l’endettement public accompagne la formation du capitalisme industriel.

Ce transfert de richesses inhérent au mécanisme d’endettement ne procède pas du seul fait du remboursement des intérêts. En effet, la dette s’avère un outil de dépossession. En témoignent les privatisations massives des années 80 et 90 imposées par les institutions financières internationales dans les pays du Sud sous programmes d’ajustement structurel ou bien en Grèce aujourd’hui, où le patrimoine public est bradé. Notons que les dettes privées peuvent aussi être le moyen de déposséder les classes populaires de leurs biens. Ce fut le cas, entre 2400 et 1400 avant JC., en Mésopotamie lorsque l’État prenait les terres des paysan·ne·s pour impayés. Un phénomène similaire a lieu actuellement en Grèce avec la mise aux enchères de maisons suite à des crédits ou factures non payés [1]. Ces dépossessions et ces transferts de propriété se font toujours en faveur des créanciers, c’est-à-dire de ceux qui possèdent de l’argent et en prêtent ; et au détriment des autres qui faute d’avoir des capitaux doivent en emprunter.

Le caractère profondément politique du mécanisme d’endettement doit aussi être pris en compte, dans la mesure où les dettes sont des armes de domination, de contrôle et de coercition puissantes. La dette publique est ainsi utilisée par les puissances économiques pour servir leurs intérêts économiques et les intérêts privés qui y sont liés, que ce soit en termes d’acquisition de marchés ou de ressources, mais aussi en termes de conquête de territoires et d’expansions impérialistes, (étroitement liées aux intérêts économiques). La colonisation de la Tunisie en 1881 et du Maroc en 1912 par l’État français ou encore de l’Égypte à partir de l’invasion franco-britannique de 1882 en sont quelques exemples. Le non remboursement de pays de la périphérie envers les pays du centre ou les banques de ces mêmes pays a servi dans de nombreux cas à asseoir des menaces d’interventions militaires. Dans le cas du Mexique, ces menaces ont été mises à exécution. Après que le président Benito Juárez eut répudié des dettes illégitimes en 1861, les principales puissances créancières s’accordent pour intervenir militairement dans le pays. En janvier 1862, la France envahit le Mexique puis y installe en 1864 un prince autrichien qui prend le titre de Maximilien Ier, empereur du Mexique.

Mais cette domination politique de certains pays rendue possible par la dette publique est plus indirecte qu’une conquête territoriale. C’est le cas de la Grèce ou des pays du Sud, qui sous prétexte de niveaux d’endettement trop élevés se sont vu imposer des mesures politiques dictées par les grandes puissances au détriment de leurs intérêts et leur souveraineté.

Dès 1821, la Grèce contracte des prêts auprès de banques de Londres pour financer la guerre d’indépendance contre l’empire ottoman. Notamment deux emprunts qui équivalent à 120% du PIB du pays à l’époque. Une bonne partie de ces prêts sert à l’achat d’armement et autres équipements produits au Royaume-Uni. Les taux d’intérêt pratiqués sont très élevés (8,33%), tandis que les montants réellement transférés par les banques londoniennes à la Grèce sont largement inférieurs aux montants empruntés (en raison de commissions prélevées par les banquiers) mais doivent être remboursés dans leur intégralité. Le coût de ces emprunts pour la Grèce s’avère donc exorbitant. Si bien qu’en 1826, elle décide de suspendre le paiement de sa dette. En effet, en plus du coût des opérations militaires, en pleine crise, les banques européennes ont fermé le robinet du crédit refusant à la Grèce de contracter des nouveaux emprunts pour rembourser les anciens.

Le Royaume-Uni, la France et la Russie profitent alors de cette situation pour mettre à la tête du pays un prince allemand qui a pour tâche principale de continuer à honorer les dettes du pays.

Il s’agit de la première Troïka européenne de l’histoire grecque. À l’instar de la Troïka actuelle, celle-ci va d’abord soutenir les banquiers britanniques en s’assurant que les remboursements des emprunts seront effectués par la Grèce. Pour cela, elle va demander à une banque française d’émettre un emprunt pour le compte de la Grèce, tout en se portant garante auprès des banques en cas d’un non-paiement grec. Seulement 20 % de la somme empruntée vont être perçus par l’État grec, le reste ira dans une commission perçue par la banque Rothschild, une indemnisation de l’empire Ottoman suite à l’indépendance grecque ; le Royaume-Uni, la France et la Russie vont également en prendre une partie et enfin une somme non négligeable servira à couvrir les frais du prince Othon et à l’achat d’armes. Bien évidemment cette Troïka va exiger de la Grèce qu’elle rembourse l’intégralité de cet emprunt illégitime.

Ces trois puissances vont exercer une tutelle stricte sur le budget grec (et ce en violation de la nouvelle constitution du pays), exigeant une augmentation des taxes et impôts et une réduction des dépenses sociales et des investissements publics.

En 1843, suite à l’impossibilité où se trouvait la Grèce de rembourser ses dettes, les trois puissances européennes lui imposent un programme d’austérité sévère, tel un mémorandum, afin qu’elle poursuivre le remboursement. Parmi les mesures, on trouve le licenciement des fonctionnaires, la suppression des services de santé, la suspension du versement des retraites…

Puis, après une restructuration de la dette publique grecque en 1878 au bénéfice des créanciers, une « Commission financière internationale » est mise en place par les puissances européennes en 1898, qui institutionnalise la tutelle financière de la Grèce afin d’assurer les remboursements et de préserver les intérêts des grandes banques privées de ces pays.

Ça ne vous rappelle rien ?

Pour aller plus loin :
Toussaint Éric, « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse », CADTM, avril 2016.
Toussaint Éric, « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale », CADTM, mai 2016.

L’utilisation des dettes (publiques comme privées) comme outils de transfert de richesses et armes politiques est donc loin d’être un phénomène nouveau et spécifique à la Grèce. Toutefois, on ne peut nier qu’aujourd’hui le cas de la Grèce devient emblématique de la violence et l’injustice de ce système dette, que ce soit du point de vue de l’appauvrissement de la majorité de la population engendré par le remboursement d’une dette qui n’est pas la sienne tandis que d’autres s’enrichissent grâce à cette même dette, ou de la mise sous tutelle de la Grèce qui atteint un niveau tel que l’on peut qualifier aisément le pays de « colonie européenne de la dette ».

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LES 3 MEMORANDUMS

Mai 2010
1er mémorandum : 110 mds d’euros

Prêt du FMI (30 mds prévus → 20 mds ont été déboursés ) + prêts bilatéraux des pays européens (80 mds prévus → 52,9 mds ont été déboursés)

Mars 2012
2e mémorandum : 159,8 mds d’euros

Prêt du Fond européen de stabilité financière – FESF (141,8 mds prévus → 130,9 mds ont été déboursés et utilisés) + prêt FMI (18 milliards prévus → 12 mds ont été déboursés)

Juillet 2015
3e mémorandum : 86 mds d’euros

Prêt du Mécanisme européen de stabilité – MES


LA CRÉATION DE LA COMMISSION POUR LA VÉRITÉ SUR LA DETTE GRECQUE

La Commission pour la vérité sur la dette grecque a été créée le 4 avril 2015 via décret par la présidente du parlement hellénique Zoé Konstantopoulou. La coordination scientifique des travaux a été confiée à Éric Toussaint, porte-parole du réseau CADTM. Cette commission se compose d’une trentaine de membres : la moitié de Grecques et Grecs, l’autre d’internationaux (de dix nationalités différentes). Cette commission a eu pour mandat d’analyser la dette publique grecque entre 2010 et 2015 et d’en identifier les parties illégitimes, odieuses, illégales et insoutenables ainsi que de formuler des arguments juridiques, qui pourraient justifier son annulation.



Le FMI c’est quoi ?

Le FMI (Fonds Monétaire international) est une institution financière internationale créée en 1944 à Bretton Woods (en même temps que la Banque mondiale, son institution jumelle). 189 pays en sont membres. Son but officiel est de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux. Pour se faire le FMI accorde des prêts aux pays en difficultés financières. La contrepartie de ces prêts est la signature d’un accord imposant des mesures d’austérité. Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification de l’application effective des mesures exigées. Certaines tranches pouvant être suspendues si le pays ne satisfait pas aux exigences.
Le FMI est dirigé par une personnalité européenne. Depuis juillet 2011, sa directrice est la Française Christine Lagarde, qui a succédé à Dominique Strauss-Kahn.


La BCE c’est quoi ?
La BCE (Banque centrale européenne) est une institution européenne créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matière monétaire. La BCE est donc responsable de la mise en œuvre de la politique monétaire dans ladite zone. Dans cette optique son objectif principal est d’assurer la stabilité des prix en visant une inflation annuelle maximale de 2%. Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est dirigée par d’anciens banquiers et influencée par les établissements financiers privés. Et bien que ses statuts la limitent à des compétences monétaires, la BCE se prononce régulièrement sur des enjeux liés aux affaires internes de pays, au marché du travail…
Les statuts de la BCE ainsi que le traité de Lisbonne lui interdisent (tout comme aux banques centrales de l’Union européenne) de prêter directement aux États. Elle prête donc aux banques privées qui à leur tour prêtent aux États à un taux plus élevé.


Le FESF, c’est quoi ?
Le FESF (Fonds européen de stabilité financière) est une société anonyme de droit luxembourgeois créée en 2010 dans le contexte de la crise des dettes souveraines en Europe. Son objectif officiel est de garantir la stabilité financière de la zone euro. Pour se faire, elle prête de l’argent aux pays en difficultés financières. Ces prêts sont conditionnés à la mise en œuvre de mesures d’austérité. On dit souvent que le FESF est une sorte de FMI européen. Pour financer ses prêts, le FESF emprunte de l’argent sur les marchés financiers. Des emprunts qui sont garantis par les pays de la zone euro en cas de défaut. Le FESF a été remplacé par le MES en 2012, mais il continue à gérer les remboursements des prêts effectués.


Le MES, c’est quoi ?
Le MES (Mécanisme européen de stabilité) est créé en 2012 pour prendre le relais du FESF, qui était mis en place de manière temporaire. Il poursuit donc les mêmes objectifs et a les mêmes modalités d’action. Toutefois, contrairement à son prédécesseur, le MES est une institution financière internationale vouée à perdurer dans le temps.


La Troïka, c’est quoi ?
La Troïka est un trio d’institutions informel qui n’est prévu dans aucun traité et ne dispose pas de statuts. Elle se compose de la BCE, du FMI et de la Commission européenne. Son rôle est d’assurer le suivi des pays confrontés à d’importantes difficultés financières et bénéficiant de prêts accordés par l’Union européenne et le FMI. Afin de vérifier la mise en œuvre des réformes exigées en contrepartie des prêts, la Troïka organise des visites d’inspection dans les pays signataires : on parle de « revues ». Lors de ces revues, la Troïka n’hésite pas à demander la suppression de certaines mesures prises par les organes démocratiques du pays ou encore de réécrire un projet de loi avant que celui-ci soit examiné par les instances parlementaires. Si la Troïka estime que sa revue n’est pas satisfaisante elle peut retarder le versement des tranches des prêts. La Troïka est intervenue à trois reprises en Grèce (2010, 2012 et 2015), en Irlande en novembre 2010, au Portugal en mai 2011et à Chypre en mars 2013.


La Commission européenne, c’est quoi ?
La Commission européenne est une institution créée en 1958 par le traité de Rome. Elle est l’organe exécutif de l’Union européenne. C’est elle qui en définit l’orientation politique et stratégique. Elle est composée d’un·e commissaire européen·ne par État membre, soit 28 commissaires, et d’un·e président·e. Le président actuel est Jean-Claude Juncker. À l’origine elle a été pensée comme « le moteur de l’intégration » en prétendant être garante de l’intérêt général de l’Union européenne. Le contraire a depuis longtemps été prouvé puisque les décisions et actions de la Commission européenne préservent en réalité les intérêts des grosses entreprises et du capital européen.


C’est quoi l’Eurogroupe ?
L’Eurogroupe c’est la réunion mensuelle au Luxembourg des ministres des Finances des États de la zone euro. Il a été créé en 1997 par le Conseil européen et sa première réunion s’est tenue en juin 1998. L’Eurogroupe est un organe informel, sans statuts ni existence juridique. Pourtant en deux décennies il est devenu l’un des principaux organes décisionnels en matière de politique économique et monétaire de l’Union européenne. Depuis décembre 2017, c’est le ministre portugais Mario Centeno qui est le président de l’Eurogroupe, succédant au Néerlandais Jeroen Dijsselbloem (2013-2018) et au Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (2005-2013).


Voir tableau sur l’Évolution du taux d’endettement public de la Grèce et Qui détient la dette publique grecque aujourd’hui ? sur le site du CADTM



Notes

[1] Pour en savoir plus sur les mises aux enchères aujourd’hui en Grèce voir cet entretien : Betavatzi Eva et Filippides Filippos, « Les banques et l’État grecs essaient de prendre nos maisons tous les mercredis au tribunal de paix », CADTM, décembre 2016.

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