Joyeux Noël La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Joyeux Noël

Noël en vue. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, le petit peuple au quotidien s’agite comme il peut, histoire de préparer ses moments présumés exceptionnels, même si l’ennui est parfois inséparable des moments festifs, c’est bien connu. Athènes et la Grèce n’échappent guère à la règle, magasins et échoppes, visiteurs et badauds, peuple alors digne mais mutant… quand le grand espoir n’est plus d’ici. Le sourire pourtant y est, c’est l’essentiel. On vient de loin, on y va et on résiste !

Visiteurs Place de la Constitution. Athènes, décembre 2018

Athènes se transforme finalement en une destination également hivernale, au croisement on dirait des mutations et des ronds-points… et autres apories giratoires de notre modernité. Le centre-ville croule sous cette nouvelle affluence, entre le tiers de la population grecque échappant à la paupérisation en tout cas plénière, l’essor des activités dites parallèles sans oublier l’économie liée au crime en plein essor, cela fait du beau monde, puis, il y a comme visiteurs hivernaux les Airbnbistes, puis ceux les hôtels, assez remplis pour un hiver grec.

Non sans rapport, l’immobilier grec passe alors aux mains des dits “investisseurs” venus du plus vaste monde, près des deux tiers des logements Airbnb, et bien entendu presque tous les hôtels nouveaux ou rénovés leur appartiennent, à Athènes, comme d’ailleurs au reste du pays. Dans la capitale, les boutiques et les locataires… trop vieux de 40 ans sont alors expulsés, pour que leurs immeubles puissent se transformer en hôtels et autres auberges avant si possible la saison 2019, et on vient d’apprendre que dix grands ports s’ajoutent à la liste des privatisations… le grand appareillage. Toujours dans Athènes, des publicités foncièrement sauvages et à la gloire des rapaces internationaux, incitent les paupérisés de la classe moyenne à brader leurs derniers biens: “Tony Buys House achète des logements”. On vient de loin, on y va et on dépouille !

Mais c’est bientôt Noël. Les retraités devenus vendeurs de billets de loterie sont partout, s’agissant de la loterie ex-nationale, car la… “Grecque des Jeux” a été bradée aux “investisseurs” étrangers pour moins que l’équivalent d’une année de bénéfices. N’en empêche, le maire Yórgos Kamínis vient d’inaugurer l’arbre des circonstances Place de la Constitution, la fanfare municipale y est souvent, de même que nos musiciens de rue, plus nombreux que jamais, Grecs alors paupérisés au regard accablé, interprétant le bon vieux Rebétiko, cette musique populaire apparue dans les années 1920, à la suite des vagues migratoires des populations, principalement, grecques expulsées d’Asie mineure par la Turquie kémaliste.

Fanfare municipale et arbre de Noel. Athènes, décembre 2018
Quand les retraités deviennent vendeurs de billets de loterie. Athènes, décembre 2018
Tony House… achète des logements. Athènes, décembre 2018

Pays moderne, méconnaissable. Plus d’une saisie par minute et par journée ouvrable est déclenchée par l’administration fiscale appartenant à la Troïka, désormais pour une dette envers l’État de moins de 500 euros, et par ailleurs, quatre millions sur dix millions d’habitants sont redevables envers le fisc, d’après les reportages du jour, informations radiophoniques du 22 décembre, (et presse grecque de la semaine). Comme il est noté ailleurs, notre société “elle est désormais exposée à la rapacité de forces qu’elle ne contrôle pas et qu’elle ne compte ni n’espère reconquérir et dompter”. C’est peut-être pour cette raison, que certains organisent à Athènes des conférences pour ainsi populariser la méthode Gandhi. Pourtant, les Grecs regardent les gilets-jaunes français avec émotion et espoir.

Ainsi à Kos, île du Dodécanèse, et pas qu’à Kos, l’administration fiscale Troïkanne persiste et alors elle encaisse. Témoignage de mon ami Olivier Delorme sur sa page Facebook du 20 décembre: “La Grèce va mieux, comme dit Moscovici: chronique du racket au quotidien. En transit à Kos, ce matin entre deux bateaux, nous nous installons dans un café. On commande deux thés, on les boit, en attendant d’en recommander deux autres. Soudain, deux agents du fisc débarquent, avisant notre table avec consommation mais sans encore de note. Et dresse un PV… Je comprends la situation, que la patronne et la serveuse tentent d’expliquer, je tente d’intervenir pour confirmer. Rien à faire ! Au final, nous recommandons deux thés et lorsque les deux notes arrivent, nous constatons que la première a bien été émise à l’heure même où nous avons été servis. Le cafetier est donc taxé non pour ne pas avoir édité de note, mais pour ne pas l’avoir déposée sur notre table en même temps que les thés.”

“Trois minutes plus tard, F. voit sur un journal grec en ligne que le gouvernement a donné instruction de multiplier les descentes du fisc dans les commerces durant les fêtes de fin d’année. Pendant ce temps-là l’optimisation fiscale des gros au Luxembourg de Juncker est toujours parfaitement légale. Et hier un ami nous disait qu’il attend depuis plus d’un an la restitution d’une saisie sur le compte de sa compagne reconnue comme indue par la justice… Mais qu’il se heurte à un mur. Dans le même moment où le gouvernement Tsípras prétend faire un cadeau de Noël aux gens qu’il a contribué à paupériser, il fait les poches à ceux qui ne le sont pas encore tout à fait. Comme dit Moscovici.”

Touristes chinois. Athènes, décembre 2018
La presse et les élections supposées anticipées. Athènes, décembre 2018

“Chacun doit incarner le changement qu’il souhaite apporter au monde”, d’après Gandhi, pendant la presse prétend que les élections anticipées seraient pour bientôt, sauf qu’il ne s’agit plus de s’en émouvoir du côté du peuple. Chacun doit donc incarner le changement, dont sans doute nos touristes venus de Chine avec leurs guides, pour y découvrir les douceurs réelles ou supposés helléniques sous l’Acropole. On vient de loin, on y va et on prend des selfies !

Pays moderne, certes méconnaissable, le “tiers ainsi payant” de la population persiste et signe, d’après la presse de la semaine, aux destinations hivernales du pays, le taux de remplissage des hôtels avoisine près de 90%, certes, les séjours sont très courts mais c’est alors nouveau depuis les années de l’effondrement. Sauf que ce ne sont pas forcement les mêmes vacanciers qu’avant, auxquels s’ajoutent les nouveaux très riches, issus des autres pays des Balkans, pays pourtant largement paupérisés où la classe moyenne est quasi-inexistante.

Pays moderne et dans Athènes, des humains comme parfois tant leurs animaux entraînés pour la cause, sollicitent les passants pour y laisser une petite pièce, clients ainsi des boutiques, touristes, badauds, voire même les migrants, anciens ou nouveaux… en plein circuit-découverte de leur univers nouveau. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, la vie continue ainsi coûte que coûte.

Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018
Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018
Humains comme parfois leurs animaux. Athènes, décembre 2018

Signe des temps qui sont bien les nôtres, un acteur connu et bien sympathique, Pávlos Kontoyannídis, vient de créer son “Mouvement des pauvres” lequel participera aux prochains scrutins, c’est pour donner comme il déclare, de la voix aux paupérisés, “c’est-à-dire à ce 90% de la population qui n’a plus rien à perdre ou qui ne s’en sortent plus dignement comme avant” presse grecque de la semaine. Sincérité politique ou alors opportunisme ? Difficile à savoir.

La Grèce n’échappe ainsi guère à la règle, magasins et autres échoppes… à bras ouverts, des stéréotypes à peine surannés, mais également, une criminalité qui coure alors les rues, criminalité alors petite moyenne et grande. Dans la même série, notons le cas de certains patrons parmi ceux qui versent encore la maigre prime de Noël obligatoire par la législation à leurs employés, mais qui vont escorter par la suite leurs même employés… jusqu’aux guichets automatiques pour que ces derniers retirent alors cette somme de leurs comptes, et pour ainsi la restituer aux dits patrons. C’est bien connu, l’accablement est parfois inséparable des moments festifs, presse grecque du 22 décembre.

Pendant ce temps, la galerie des affairistes réels de SYRIZA s’amuse comme jamais, promettant en même temps de milliers d’embauches dans la fonction publique par le seul souci du clientélisme et de la survie de… caste, la leur. Et à Athènes, les retraités du secteur des banques réclament… le retour de leurs cotisations ainsi volées. Grande criminalité et surtout hybris.

Retraités des banques devant une agence. Athènes, décembre 2018
Retraités des banques devant une agence. Athènes, décembre 2018
Criminalité dite petite. Athènes de jour, décembre 2018
Hilarité. Tsípras et sa bande. Presse grecque, décembre 2018

Noël en vue. Au-delà de la nullité brouillonne et légendaire des forces du désordre des gouvernants, le petit peuple au quotidien se secoue comme il peut, histoire de préparer ses moments présumés exceptionnels.

Dans les cafés, des retraités exposent leur quotidien à d’autres retraités, aux inactifs comme aux bistrotiers. On évoque volontiers et autant la vie en ville, tout comme les nouvelles du village d’origine, la récolte des olives, les… nouveaux péages, le prix du bois pour se chauffer. La dite grande politique est le plus souvent absente, elle n’est plus de ce monde et c’est définitif aux yeux d’une bonne partie des Grecs en tout cas.

Les mentalités évoluent et les masques tombent. D’après le dernier dit Eurobaromètre, seulement 24% des Grecs font encore confiance à l’Union européenne, et c’est le taux le plus bas enregistré dans la dite Union, presse grecque de la semaine. Donc, c’est bientôt Noël, si l’on veut bien considérer qu’il s’agit plutôt d’une lame de fond un peu partout entre Athènes, Rome, Paris ou Dublin.

Bientôt Noël. Athènes, décembre 2018

Noël et ainsi l’arbre de… Yórgos Kamínis, la fanfare municipale, et surtout nos musiciens de rue comme des tavernes interprétant le bon vieux Rebétiko. “Pour moi, c’est d’abord cela, le rebétiko: une atmosphère autant qu’un chant, des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin résiné, d’ouzo, de sciure fraîche sous les tables, de mégots refroidis”, écrivait il y a maintenant plus de quarante ans Jacques Lacarrière dans son récit “L’Été grec”.

Des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin, Joyeux Noël !

Animal adespote sous abri. Athènes, décembre 2018
* Photo de couverture: Nos musiciens de rue. Athènes, décembre 2018
rédaction

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