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Fibres organiques : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Fibres organiques 

Large époque des déchets. Les contractuels municipaux du pays soi-disant plénier, affectés à la tâche du ramassage des ordures sont en grève depuis quelques jours. Ils estiment que leur mission répond à des besoins précis et durables. Ils devraient donc “être embauchés réellement et durablement”. Les poubelles débordent, et l’air devient irrespirable. Comme pour ce qui est de la politique et de l’économie diront alors certains.

Les poubelles à Athènes. Juin 2017

Dans cette urgence des… déchets, le “gouvernement” vient de promettre “une certaine solution pour la semaine prochaine”, à savoir, le prolongement de leurs contrats et une embauche supposée définitive sous condition dans le futur. Athènes suinte de son jus putréfié, 37 °C à l’ombre très exactement. Les habitants en ont vu certes bien d’autres et d’ailleurs en ce moment, ils préférèrent si possible fréquenter les plages proches que le centre-ville c’est évident.

Décrépitude toujours, et une bien curieuse affaire devrait en tout cas secouer l’opinion publique de la colonie et pourtant… D’après les médias du moment, le ministre de la Défense Panos Kamménos, se serait entretenu cette année à plusieurs reprises au téléphone avec Makis Yannoussakis, empoisonné car condamné à la perpétuité pour l’affaire d’un petit cargo, le “Noor One”, pris… à son bord avec plus de deux tonnes d’héroïne pure en juin 2014, par exemple reportage du quotidien “Kathimeriní” de cette semaine .

Depuis 2014, de nombreuses pièces du dossier de l’instruction auraient été “amalgamées” et ainsi fusionnées, alors que, quelques semaines seulement avant le procès, les officiers des garde-côtes qui ont découvert l’affaire ont été curieusement mutés (même provisoirement), et en même temps… la Présidente de la Cour jugeant l’affaire, elle s’est dessaisie du dossier, suite à des… douleurs musculaires soudaines. Et enfin, deux témoins importants et autant accusés, sont morts, tandis que d’autres témoins sont toujours placés sous protection policière.

Mariés… devant le bâtiment historique de l’Université. Athènes, juin 2017
Voleur de… faîtages. Athènes, juin 2017
Déchets non ramassés (détail). Université d’Athènes, juin 2017

La presse s’enflamme de nouveau, le ministre Kamménos “aurait intervenu auprès du condamné Yannoussakis pour que ce dernier dénonce dans cette affaire le rôle présumé qu’aurait joué l’armateur du Pirée Marinákis”, ce dernier vient d’ailleurs de porter plainte (complot, diffamation), visant également le ministre de la Défense (quotidien “Naftemborikí” du 23 juin) , tandis que le ministre n’a toujours pas démenti les faits présumés de… manière claire.

Sauf que les Grecs ne s’intéressent plus vraiment à cette affaire comme à tant d’autres. Les bassesses abyssales du “pouvoir politique” (en réalité du système politique) ont tout balayé, pas besoin d’en apprendre davantage, c’est alors visible à l’œil nu. La vie presse ! Ainsi, les mariés nouveaux iront toujours se faire photographier devant le bâtiment historique de l’Université d’Athènes (œuvre de l’architecte Danois Hans Christian Hansen entre 1839 et 1864), les détritus divers et variés ne seront pas ramassés, tandis que de voleurs de toitures… au grand jour, s’en servent, en grimpant par exemple sur ces bâtiments historiques rue Stadíou, ravagés par le feu au moment des émeutes de février 2012.

La grande vérité est en somme désormais connue des Grecs. Comme l’écrit très clairement Státhis Kouvelákis: “Dépossédé de tout contrôle sur sa politique budgétaire et monétaire, l’État grec se voit désormais privé de tout levier d’action, y compris ceux qui concernent des attributions régaliennes telles que la collecte de l’impôt. Les institutions représentatives, à commencer par le parlement, sont réduites à un décorum, dépossédées de la capacité de suivre l’exécution d’un budget dont les lignes échappent de toute façon à son contrôle. Cette destruction de la souveraineté étatique s’accompagne de la mise en place d’une variante particulièrement brutale d’accumulation par dépossession, pour utiliser le concept de David Harvey, basée sur le bradage du patrimoine public et le saccage des ressources naturelles et de l’environnement dont bénéficient à la fois des fractions prédatrices de capitaux nationaux et étrangers. Pour le dire de façon abrupte, la Grèce se transforme en néocolonie, la fonction de son gouvernement national, quelle que soit sa couleur, ne différant de celle d’un administrateur colonial, le simulacre de négociations auxquels se livrent les deux parties à l’occasion de cette interminable série de réunions de l’Eurogroupe et de sommets européens ne servant qu’à maquiller superficiellement cet état de fait” (Státhis Kouvelákis, L’Europe forteresse) .

Conscients… ainsi pleinement des réalités qui sont les nôtres, les… sans-rien, interpelleront durablement les passants et les passantes sous une chaleur accablante, tandis que nos visiteurs photographieront ces mêmes bâtiments de l’Université historique, ère autant des banalisations. Fort-heureusement, on représente parfois à Épidaure, comme en ce juin 2017, “Les Sept contre Thèbes”, troisième pièce de la trilogie thébaine d’Eschyle, tout donc ne serait jamais définitivement perdu dans la colonie, en dépit des bassesses amplement abyssales du “pouvoir politique”.

“Les Sept contre Thèbes” à Épidaure. Affiche, Athènes, juin 2017
Les… sans-rien, interpelleront les passantes. Athènes, juin 2017
Nos visiteurs photographiant. Athènes, juin 2017

On se souviendra d’ailleurs à l’occasion, du profond dégoût d’Eschyle à l’égard de l’hybris, démesure des hommes mettant en danger l’ordre et l’harmonie de la cité, car… lorsque les poubelles débordent, l’air devient par décidément irrespirable.

Et il était également question de l’hybris, lorsque mon ami Lákis Proguídis a débattu et conféré au soir du 19 juin avec Yórgos Karambelias (activiste, résistant contre la junte des Colonels et écrivain) dans un café littéraire d’Athènes. Le thème: Aléxandros Papadiamántis (1851-1911) le grand écrivain, le regard de l’Occident sur la Grèce, et aussi l’hybris (déjà) de la technoscience (en réalité de l’homme), d’après Papadiamandis comme d’après Lákis Proguídis.

Comme je l’écrivais déjà sur ce blog (25 mars 2017), Lákis Proguídis, lequel a consacré une bonne partie de sa vie à l’étude et à la diffusion de l’œuvre d’Aléxandros Papadiamántis (et il poursuit), s’y connait: “Il faut se ressourcer dans l’œuvre de Papadiamántis par les temps qui courent”, rappelant devant un public athénien averti, “Le Chant funèbre du phoque”, texte publié trois ans avant la mort du grand écrivain de l’île de Skiáthos. “L’entendrons-nous toujours ?”

Lákis Proguídis (à gauche) et Yórgos Karambelias en débat dans un café littéraire. Athènes, le 19 juin
Lákis Proguídis et Yórgos Karambelias en débat dans un café littéraire. Athènes, le 19 juin

L’homme de Papadiamántis encore dans sa plénitude, demeure une personne irréductible, ce qui ne sera plus le cas un siècle plus tard. “Et ce n’est pas n’importe quel siècle” – remarque Lákis Proguídis dans son essai (paru en grec aux éditions “Hestia”, Athènes, 2017) – “mais le XXe siècle, celui de l’obsolescence de l’homme. Oui, de son l’obsolescence, d’après la pensée philosophique de Günter Anders. Non pas de l’aliénation de l’homme dont parlait Marx au milieu du XIXe siècle, ni d’ailleurs de la ‘privatisation’ de l’homme (son auto-marchandisation) que Cornelius Castoriadis avait tant évoqué au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.”

Athènes sinon, aux yeux des visiteurs et aux besoins toujours précis et constamment durables. Les poubelles des rues déborderont pour encore quelques jours ou pour quelques heures, et quant aux autres… poubelles c’est plus compliqué. Sans hélas exagérer, le dit “Parlement” à Athènes prend à son tour la forme d’une poubelle qui déborde, par exemple à travers ce dessin de presse très réussi, publié par le quotidien “Kathimeriní”, exercice plus que symbolique de l’exacerbation des paradoxes du réel.

Paradoxes du réel toujours et encore, et le voisin Kóstas comme Eleni son épouse, vont enfin prendre leur café avec nous comme du temps de jadis. Ils méditent, ils se plongent dans la mesure du possible dans la connaissance hétérodoxe. Ils ont définitivement éteint leur télévision et ainsi ils quittent à leur tour le temps des illusions, faussetés politiques comprises. Le choc de la trahison Tsiprosaure durant l’été 2015 les avait tant bouleversé il faut dire. Enfermés chez-eux, ils avaient volontairement interrompu tout échange d’idées pour ne pas dire tout échange tout court. Et ce n’est que pratiquement deux ans après avoir fait le deuil de leurs illusions (comme de leur pays dans un sens), que Kóstas et Eleni, retrouvent alors leur élan, disons habituel.

Le… “Parlement” grec. Quotidien “Kathimeriní”, du 23 juin

“Nous ne nous faisons plus d’illusions quant au système politique. C’est un jeu théâtral, d’ailleurs incarné par ces comparses alors de la pire espèce. C’est une très longue lutte… œcuménique qui s’engage, et elle durera nous semble-t-il peut-être… près d’un siècle. Nous n’irons plus jamais voter et nous nous organisons déjà en cellules de veille comme de réveil… ontologiques. Voilà tout ce qu’il va falloir transmettre à nos enfants, et notre riposte… ou la leur, alors viendra. Elle sera violente, elle sera brutale, sauf qu’elle ne rappellera en rien les manières du passé.”

C’est alors ainsi que les Grecs (certains d’entre eux en tout cas) ne s’intéresseront plus visiblement aux affaires supposées courantes… et encore moins aux cargos mixtes du temps présent. Les bassesses abyssales du “pouvoir politique” (presse comprise) rendent même de plus en plus ridicule, ce cercle devenu vicieux et qui tourne en boucle, autophage et même autodestructeur, entre les “faits et gestes politiques” et le verbiage journalistique ambiant.

L’immeuble où avait vécu (aussi) le poète Yórgos Seféris. Athènes, juin 2017

Athènes, huit heures du matin devant l’immeuble où avait vécu Yórgos Seféris , notre (autre) grand poète. Enfin, un peu de calme !

“La mer, la danse immobile des montagnes. C’est bien la même chose que je retrouve dans l’ondulation de ces tuniques, comme de l’eau pétrifiée sur le torse et les flancs de ces fragments décapités. Ma vie entière, je le sais, ne me suffira pas pour exprimer ce que je cherche à dire depuis tant de jours: l’union de la nature avec un simple corps humain. (…) Chez Homère tout se tient, le monde entier est un tissu de fibres organiques,” (pages de son Journal – 1925-1971 – Mercure de France, 1988.

Athènes, à huit heures du matin, sous le regard énigmatique des seuls animaux adespotes. Fibres organiques !

Sous le regard énigmatique des seuls animaux adespotes. Athènes, juin 2017
* Photo de couverture: Fibres organiques… Athènes, juin 2017

mais aussi pour un voyage éthique pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

 

Entretien avec des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée en Grèce

Entretien avec des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée en Grèce

Cette interview a été réalisée fin mai 2017, il nous a paru important de recueillir la parole des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée dans le cadre d’échanges d’expériences sur l’antifascisme, afin de connaître leur analyse, de mieux comprendre la situation et aussi afin de renforcer des liens avec les camarades francophones.

L’histoire de l’antifascisme en Grèce remonte à la fin des années 30 avec l’opposition à la dictature fasciste de Metaxas puis aux années 40 avec la résistance contre les armées de l’État Italien fasciste et de l’État Allemand Nazi. La lutte contre le fascisme s’est poursuivie après la fin de la dictature en 1974, puis un tournant a été pris avec la montée spectaculaire du groupuscule Nazi Aube Dorée, autant dans la rue que dans les urnes, au moment de la crise financière, à la fin des années 2000.

Camarades bonsoir, pour démarrer pouvez vous nous présenter votre collectif, l’Assemblée Antifasciste du Pirée ? Quand a-t-elle été créée, dans quel contexte et avec quels buts ?

L’Assemblée Antifasciste du Pirée a été créée en Novembre 2013, après l’assassinat de Pavlos Fyssas (Killah P) par une section d’assaut de l’Aube Dorée (AD). Notre objectif était d’ouvrir la question de l’antifascisme au Pirée, un endroit assez sensible à cette période-là en raison de l’existence depuis des années d’un noyau organisé de l’Aube Dorée et à cause du caractère raciste et petit-bourgeois du Pireotis (habitant de Pirée) moyen.

Malgré le fait que nous nous organisions sur le sujet spécifique de la lutte antifasciste, nous le faisons autour de principes et pratiques anti-autoritaires. Nos réunions sont ouvertes (mais pas publiques) et sont basées sur l’auto-organisation. Au delà de l’antifascisme, notre AG s’implique aussi dans les luttes et activités concernant le travail, la solidarité aux migrant·e·s ainsi que l’expression et la création culturelle auto-organisées.

Parce que nous considérons que la question de l’antifascisme ne se limite pas à l’opposition physique aux groupes fascistes, mais qu’elle comprend aussi la limitation de leurs idéologies et de leurs idées sur la société (le racisme, l’homophobie, la misogynie, le militarisme), notre intervention dans la région du Pirée s’appuie aussi sur une activité de propagande avec des affiches, des tracts et des journaux de rue.

En même temps, nous avons organisé une série d’événements culturels (sportifs et musicaux) dans le quartier, visant au développement à la base de la contre-culture locale.

Le 18 septembre 2013 P. Fyssas a été assassiné par des fascistes de l’AD dans un quartier du Pirée. Suite à cela, l’État a poursuivi l’AD, l’accusant d’être une organisation criminelle, et une grande partie de ses dirigeants est rentrée en prison. À la fin, les dirigeants sont sortis de la prison et, actuellement, il y a le procès de cette organisation. Comment le mouvement anti-fasciste voit ce procès ?

D’abord, nous tenons à dire que selon nous, il n’y a pas de « mouvement anti-fasciste » unitaire. D’un côté, il y a l’anti-fascisme républicain qui défend simplement la démocratie et la constitution ; il rassemble l’ensemble de la gauche (gouvernementale ou pas) qui considère que le procès de l’AD est d’un intérêt anti-fasciste primordial et concentre ses forces là dessus.

De l’autre côté, et d’un point de vue anti-autoritaire, l’affrontement quotidien avec les fascistes et la fascisation sociale, et les idées qu’ils propagent, est la principale préoccupation. Bien que le milieu anti-autoritaire ne soit pas homogène et qu’il y ait des points de vue divergents ou même conflictuels, il s’agit du seul espace politique et social qui s’est opposé aux fascistes dans les rues et dans les quartiers ; cela face à la répression étatique bien plus dure et intense que celle qui a frappé les fascistes. En tant qu’Assemblée, nous faisons partie de ce milieu, et donc nous avons exprimé publiquement notre opposition concernant la désorientation que représentent le procès de l’AD et la démocratie bourgeoise.

Une partie du milieu anti-autoritaire s’est investie au procès en tant que témoin à un niveau immédiat, comme par exemple à propos des attaques de l’AD contre le local anti-autoritaire « Antipnia » en 2008 et contre le local social « Synergio » en 2012, en indiquant toutefois que l’antifascisme est un sujet d’affrontement social et non pas judiciaire.

À la fin, l’AD s’est restructurée bien qu’elle ne soit pas aussi forte qu’il y a quatre ans, comment vous l’expliquez ?

Bien que le procès semble « avoir mis sous pression » les fascistes, en fait, ils ont bénéficié de tout le temps nécessaire pour se restructurer. Après un certain temps, d’abord les dirigeants, puis ceux qui sont plus bas dans la hiérarchie, ont été libérés ; puis leurs noyaux locaux sont restés à peu près intacts, à l’exception notoire de l’organisation locale de Nikea (quartier du Pirée) qui a été directement ciblée pour l’assassinat de Fyssas. Leur groupe parlementaire participe régulièrement aux réunions du parlement, et leur représentation au niveau local (municipalités – régions) se poursuit normalement.

Au delà de la ville du Pirée, qu’en est-il de la présence fasciste dans la rue ?

Les attaques fascistes dans la rue sont limitées par rapport à la période précédente, mais elles ne se sont pas arrêtées. Récemment, il y a eu de nombreuses attaques contre les migrant·e·s à Aspropyrgos, une ville industrielle à l’ouest du département d’Attique, où les fascistes maintiennent leurs locaux et un noyau local actif. Au cours de l’année, il y a eu des attaques fascistes dans les centres étatiques « d’accueil » de réfugié·e·s, comme par exemple à l’île de Chios. Aussi, les fascistes se sont « intéressés » aux enfants de réfugié·e·s allant aux écoles autour des centres de détention, en créant des bagarres contre leur présence, comme par exemple à Ikonio de Perama (quartier du Pirée) et à Oreokastro (Thessalonique). Évidemment tout cela avec la complicité et le soutien de la police et des facho-habitants « indignés ».

Nous pensons que les fascistes conservent leurs forces jusqu’à la fin du procès, afin de faire renaître les sections d’assaut et continuent à attaquer les migrant·e·s et les militants.

En août 2016, le squat d’habitation de migrant·e·s « Notara 26 » a été la cible d’une attaque incendiaire, pouvez-vous nous dire quelques mots à propos des attaques de squats et de locaux militants ces derniers temps ?

Ces derniers temps, les attaques fascistes contres les lieux auto-organisés sont limitées. Cependant, il y a quelques temps, un groupuscule fasciste (lié à l’AD) avait lancé une série d’attaques incendiaires (échouées plus ou moins à chaque fois ) contre des lieux du mouvement (mais aussi de la gauche). C’est dans ce cadre là que le squat « Notara 26 » a été attaqué.

En général, nous voyons les attaques fascistes contre les squats comme l’autre côté de la répression étatique. Donc, là où un mandat du procureur ou du juge ne suffit pas, il y a une bombe incendiaire fasciste pour faire le boulot.

Étant donné que les gens qui soutiennent ou soutenaient Syriza, participaient à des initiatives et actions antifascistes, comment le mouvement antifasciste a été influencé par la montée de Syriza au pouvoir en janvier 2015 ?

La logique de la délégation fait partie de l’idéologie dominante dans les sociétés occidentales. En Grèce, le mouvement dans un sens large n’a pas réussi à briser cette logique. Avant 2012, tout le monde pensait que le fascisme ne concernait que 30 néonazis au crâne rasé. Ceux qui n’ont connu que les listes électorales au cours des cinq dernières années ont cru que la montée de la gauche au pouvoir signifierait la limitation de la présence fasciste.

De manière plus générale, les victoires électorales de Syriza ont réduit considérablement la présence des gens dans la rue ; au-delà de la déception et de l’indifférence, cela s’explique par « l’espoir » que les choses iraient mieux. Ainsi, le capital et l’État ont trouvé leur meilleur allié : la social-démocratie renouvelée qui fait refluer les mouvements.

Au début de 2016, des milliers de migrant·e·s sont arrivés au Pirée depuis les îles de la mer Égée, beaucoup sont restés vivre au port pendant des mois, quelle était la réaction de l’État ? Comment la solidarité s’est développée ?

La solidarité, bien qu’elle fut massive au début, n’a pas échappé aux réflexes de charité bourgeoise. Des milliers de personnes se sont souciés des estomacs vides des migrant·e·s. Mais presque personne ne semblait voir la question de façon plus globale, personne ne se souciait des droits des réfugié·e·s, de leur régularisation politique et de leur intégration sociale organisée à la base. Alors que beaucoup de gens ont soutenu matériellement les migrant·e·s, à la fin, le soutien politique est resté une affaire des quelques anti-autoritaires politisé·e·s qui ne pouvaient même pas se mettre d’accord entre eux sur des bases minimales.

Le gouvernement de gauche a réussi à intégrer dans ses propres projets le citoyen lambda qui voyait les migrant·e·s avec bienveillance. Alors que les gens de tous les jours étaient au port pour offrir leurs services aux réfugié·e·s, les gouvernants avaient déjà décidé d’évacuer le port et de transférer des réfugié·e·s dans des centres de transit. En même temps, il y avait une entreprise de promotion de la logique de distinction entre réfugié·e·s politiques et migrant·e·s ; de toute façon, cette logique, la société était prête à l’accepter. Ainsi, beaucoup de migrant·e·s ont été expulsé·e·s et beaucoup d’autres emprisonné·e·s dans des centres de rétention. L’implication des ONG était centrale. Les ONG qui se sont occupées des réfugié·e·s au port du Pirée sont les mêmes qui, plus tard, et avec l’armée grecque, ont transféré les migrant·e·s dans les centres d’ « accueil ». Aussi, beaucoup de gens pas politisés ont commencé à travailler pour l’intérêt des ONG.

La situation concernant les migrant·e·s et les réfugié·e·s, le port du Pirée, les ONG et l’implication de l’armée relèvent évidemment des questions que nous ne pouvons pas aborder de façon satisfaisante dans cette interview, car ce sont des sujets profonds qui ont occupé le débat public pendant longtemps…

On a vu qu’un de vos tracts concerne l’histoire de Sanaa Taleb . Quelles actions menez-vous dans le cadre du mouvement de solidarité aux migrant·e·s ? Que pouvez-vous nous dire de la situation dans les centres de rétention ?

Il nous est arrivé, en commun avec d’autres groupes, de participer à des mobilisations contre les centres de rétention comme celui de « Amygdaleza » et de « Ellinikon » (où Sanaa Taleb était enfermée). En décembre 2015, avec d’autres groupes des quartiers ouest d’Athènes et du Pirée, nous avons co-organisé une manifestation de solidarité aux migrant·e·s, se terminant au port du Pirée .

La situation dans les centres de détention est la même depuis des années : les gens y sont entassés, sans recevoir les soins de base, ils et elles sont à la merci des matons, en attendant leur expulsion. Alors qu’avant les élections, la gauche s’était engagée à les fermer, non seulement elle ne les a pas fermés mais elle en a créé des nouveaux.

Vous voudriez rajouter quelque chose ?

Salutations à tous les camarades du mouvement en France, qui nous donnent du souffle depuis un an à travers leurs luttes. L’émergence de mouvements combatifs dans les pays d’Europe centrale, contre l’extrême droite et ses idées, contre la restructuration du travail et l’État d’Urgence, est le seul véritable obstacle à l’attaque totale du Capital et de l’État sur la classe ouvrière.

P.-S.

Traduit localement par un·e camarade pour le Pressoir, et féminisé par l’équipe.

https://lepressoir-info.org/spip.php?article914&utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook

La crise économique pèse sur la démographie de la Grèce

LA CRISE ÉCONOMIQUE PÈSE SUR LA DÉMOGRAPHIE DE LA GRÈCE Écrit le 20 juin 2017 Par Les Echos Etudes

Entre 2008 et 2016, plus de 350 000 Grecs auraient quitté leur pays pour tenter leur chance à l’étranger.
À en croire les chiffres récemment publiés par Endeavor Greece, pas moins de 350 000 Grecs auraient quitté le pays depuis le début de la crise financière, en 2008. Une fuite des forces vives que la Banque de Grèce, dans une autre étude, évalue à 427 000 personnes. Aujourd’hui, la Grèce compterait ainsi quelque 10,8 millions d’habitants contre 11,2 millions en 2007. Ces expatriés, rappelle Endeavor Greece, sont de jeunes actifs diplômés qui génèrent dans les pays qui les ont accueillis (majoritairement le Royaume-Uni et l’Allemagne) un surcroît de croissance de 12,9 Mds€ et de 9,1 Mds€ de rentrées fiscales. Au total, estime l’organisation non gouvernementale, ces expatriés grecs auraient produit quelque 50 Mds€ de richesse dans leurs nouveaux pays depuis 2008. Et l’hémorragie pourrait encore durer car 43 % des chômeurs grecs, mais aussi 49 % de ceux qui sont aujourd’hui en poste, se disent tentés par l’expatriation, selon un sondage cité par Endeavor Greece.

Une crise démographique

La réduction de la population grecque n’a pas pour seule cause l’expatriation des jeunes actifs. Elle s’explique également par un solde naissances/décès négatif depuis déjà 2011. Et le taux de fécondité grec n’y est pas pour rien. Déjà un des plus faibles d’Europe depuis la fin des années 1980 (1,6 en 1986), sous l’effet de la crise financière, il est tombé, selon l’OCDE, à 1,4 en 2015, un de ses plus bas historiques (contre 1,6 en moyenne dans l’UE et 1,9 en France). Pour rappel, le taux de fécondité doit être de 2 pour permettre un renouvellement de la population.

Les Grecs plongés malgré eux dans la jungle des salaires

Les Grecs plongés malgré eux dans la jungle des salaires Reportage Angélique Kourounis
Correspondante à Athènes

Avant, la surprise c’était de savoir combien  nous allions toucher en fin de mois, mainte­nant c’est sous quelle forme on va être payé… si on est payé.”Maria Fotiadou, 42 ans, fonctionnaire, préfère rire de sa si­ tuation. Un rire rauque, amer, mais un rire tout de même car après des années de luttes syndicales acharnées, après des centaines et des centaines de manifestations, et une quantité incalculable de gazlacrymogènes inhalés, sans vraiment remporter de victoire, “ne serait-­ce qu’une seule” sur l’austérité, elle s’est dit que le rire, c’est encore ce qui la pré­serve “le mieux” de la dépression ou même de la folie.

Tous les mois, elle va sur son ordinateur pour dé­couvrir quel va être son salaire de professeur d’histoire. “Toutes les nouvelles augmentations d’impôts,toutes les nouvelles taxes sont rétroactives et retenues sur mon salaire. Idem pour chaque jour de grève. Cela fait six mois que je n’ai pas touché le même montant”, nous dit-­elle le nez sur son écran. “Comment voulez­-vous que je puisse m’organiser ? C’est impossible !”
Ce mois-­ci, elle va toucher la totalité de ses 980 euros mensuels. Maria souffle, la colonie de vacances de la petite va pouvoir être payée. Mais la grande inconnue c’est combien va toucher son mari. Pavlos, 44 ans, employé dans le privé, est payé généralement avec deux à trois semaines de retard et encore pas en totalité mais par tranche.“C’est comme les prêts des créanciers au pays. C’est quand ils veulent, comme ils veulent, s’ils veulent et on n’a rien à dire”, relève cyniquement Pavlos. Pourtant il s’estime heureux. “Moi, le patron m’aime bien et il est content de mon travail alors j’ai plus de chance que les autres qui sont payés avec jusqu’à trois mois de
retard”, marmonne-­t­-il. Pavlos ne rit pas du tout. Il est aigri. Le mois dernier, il s’est retrouvé avec 200 euros en moins sur son salaire de 600 euros.
Coupons de supermarchés
“Au début, j’ai été me plaindre à la comptabilité, mais après j’ai vu que j’avais des coupons de supermarché pour compléter. Je n’ai pas compris. Personne ne m’avait prévenu. Donc je suis payé, en cash, au noir, alors contre qui se plaindre et pourquoi ? C’est ça ou la porte.” La porte, il ne la prendra pas. Il est resté trois ans au chômage. Il est prêt à tout pour ne pas s’y retrouver. “Même à travailler pour être payé tous les six mois si nécessaire”, avoue-­t-il.
De toute façon, entreprendre une action contre son employeur relève de l’impossible. “La situation est telle que même les inspecteurs du travail déconseillent d’engager des actions”, explique Christos Sabountzakis, avocat spécialisé dans le droit du travail.
Un million de salariés impayés ?

Les chiffres, quand ils sont là, parlent d’eux-­mêmes. Selon le ministère du Travail, 400000 salariés grecs environ étaient dans la situation de Pavlos en 2013.
Aujourd’hui, “ils sont certainement plus nombreux mais on n’a pas de statistiques sur la question”, relève un fonctionnaire qui préfère garder l’anonymat. Le quotidien libéral “Kathimerini” n’hésite par pour sa part à parler de “un million de salariés impayés dans le pays”. Régulièrement des salariés défilent dans les rues ou manifestent devant le ministère du Travail pour exiger leur salaire en retard. Les derniers en date sont les femmes de ménage des établissements scolaires de la région de l’Attique. Elles attendent depuis le mois de décembre leurs 300 euros mensuels. Peu avant, c’était l’ensemble du secteur médical qui manifestait pour protester contre les heures supplémentaires non payées et le manque de personnel. A Thessalonique, dans le nord, ce sont les salariés de la société des bus de la ville qui attendent d’être payés depuis plusieurs mois. Selon leur syndicat: “Les dividendes aux actionnaires ont bien été versés mais pas les salaires en retard”.
Un salaire sur deux payé avec du retard

“Une entreprise sur deux ne paie pas ses salariés à temps”, confirme Savas Rombollis de l’Institut du Droit du Travail. “Les secteurs les plus touchés sont”, selon ce chercheur, “le tourisme, où le travail au noir règne en maître, la restauration, le nettoyage, l’hôtellerie et la sécurité”.
Justement, Hector, 20 ans, commence sa vie d’actif dans la restauration. Il est premier cuisinier. Il ne rechigne pas à la tâche et était très fier d’annoncer à ses parents qu’il avait décroché un poste dans une taverne connue de Crète. Son salaire? Quatre euros de l’heure imposables “mais déclarés”, précise-t­-il. Plutôt correct pour un premier travail dans la Grèce de la crise, sauf qu’il est déclaré pour quatre heures par semaine alors qu’il en travaille huit à dix heures tous les jours de la semaine non­stop sans repos pour toute la saison. Il trouve cela “normal” et, comme Pavlos, s’estime heureux car il est payé “rubis sur l’ongle, tous les lundis” et que chaque heure supplémentaire, “même les demi-­heures ou le quart d’heure supplémentaires sont réglés sans discuter”. Évidemment, il a dû accepter au préalable de travailler gratuitement pour sa semaine d’essais.

Pour Ourania Filocatopoulou, professeur de droit à l’université Pantion d’Athènes, cet état d’esprit est peut-­être ce qu’il y a de pire dans cette crise. “La  jungle du salariat est telle que les nouveaux arrivés sur le marché sont satisfaits du minimum. S’ils sont payés tous les mois ça suffit. Peu importe le salaire, peu importent les conditions de travail. C’est ça, l’exil ou le chô­mage.”

La loi du plus fort

Un chômage qui selon le chercheur Savas Rombollis, reste le plus haut de l’euro­zone : “24,4 % officiellement mais 29 % dans les faits, et qui touche 52 % des jeunes”. Du coup, avec les salaires ce sont les conditions de travail qui se détériorent et ce dans tous les domaines. Cela va des tenues de protection des forces antiémeutes, des pompiers ou des éboueurs qui sont pour la plus grande partie à la charge des fonctionnaires, aux coursiers privés qui sont tenus eux de fournir la moto, le casque, l’essence, l’assurance et payer l’entretien de leur moto pour un salaire de 4,80€ de l’heure.
Côté employeurs, on justifie cette jungle par un quotidien très inédit. “Il n’y a plus de liquidités sur le marché”, explique Vassilis Korkidis, président de la fédération des PME de l’Attique. “Le contrôle des capitaux toujours en vigueur défavorise les entreprises grecques face aux étrangères établies dans le pays. La consommation a chuté de 60% dans certains secteurs. On ne peut pas faire des miracles” et cet homme plutôt marqué à droite d’enfoncer le clou. “Depuis le début de la crise plus de 350000 commerces ont mis la clé sous la porte. Avec les nouvelles lois qui obligent les entreprises et les professions libérales à payer en avance leur TVA d’une année sur l’autre, cela va empirer.” De plus, en Grèce, 98,5 % des entreprises ont moins de 50 salariés. “Ces PME qui sont la colonne vertébrale de l’économie ne peuvent plus faire face aux problèmes de trésorerie, soutient Vassilis Korkidis. Alors, elles innovent. Je ne les défends pas, tient -­il à préciser, je vous explique la situation.”

Une situation qui, régulièrement, frise l’illégalité. Ainsi, Natalia, 38 ans, graphiste, s’est vu priée d’amener des notes de frais d’essence, de restaurant et d’entretien de sa voiture à hauteur de 400 euros par mois, soit la moitié de son salaire pour toucher à ce titre une partie de son salaire en remboursement de frais. “Tous les mois, c’est la
course aux notes de frais. Je tape tous mes amis, je m’arrange avec la famille mais c’est de plus en plus difficile car tout le monde a besoin de ces justificatifs pour les impôts”, nous confie-­t-­elle.

Moins de quatre euros par semaine
Dans le monde de l’art et la culture la situation est simplement grotesque. Jason, jeune acteur prometteur de 25 ans, était très fier l’année dernière de jouer dans “un vrai théâtre avec une loge et des acteurs connus” une pièce également connue : “LouLou”.
Mais il a vite déchanté au moment de la paie : 3,80€ pour une semaine de représentations. Par contrat, il touchait 2,5 % des entrées une fois les frais de fonctionnement déduits et les autres acteurs payés. “J’étais le dernier arrivé, explique-t­-il, donc le dernier payé avec ce qui restait.” Cette année, il est monté en grade et fait partie d’une troupe. Il gagne 20 euros par représentation mais là aussi, tout comme l’année dernière, les répétitions, soit six mois de travail, ne sont pas payées. Lui non plus, tout comme Natalia, Pavlos ou Hector ne va pas monter au créneau car il redoute une réputation “d’emmerdeur”. “Si, dans le milieu, je passe pour celui qui exige ses droits, plus personne ne me fera travailler. Alors, je préfère baisser la tête et me débrouiller autrement. Je gagne peu mais au moins je fais ce qui me plaît”, se console­-t-il.

Amalia, 38 ans, n’a même pas ça pour se consoler. Après quatre ans de chômage, elle a trouvé un boulot de caissière dans une échoppe touristique de souvlakia (kebabs locaux). Dé­clarée, elle touche 32 euros par journée de huit heures. Mais on l’a déjà prévenue : les jours où le client se fera rare, elle sera payée en partie avec les invendus de la journée. A prendre ou à laisser. Elle a pris.
Dans un pays en récession depuis huit ans, elle a appris à ne plus faire la fine bouche mais surtout elle veut trouver de l’argent pour aider son fils à partir trouver fortune ailleurs. Depuis le début de la crise, 450000 jeunes ont quitté la Grèce… définitivement.

Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Dans cet article de Dylan Gamba paru dans Libération le 16 juin l’auteur y cite une intervention d’Eric Toussaint.

Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Les créanciers de la Grèce se sont mis d’accord pour débloquer une aide de 8,5 milliards d’euros. Mais le pays est encore loin d’être sorti de la crise qui dure depuis 2009.

Et bis repetita. Les capitales européennes se sont à nouveau félicitées après l’accord conclu jeudi soir en deux heures sur le déblocage d’une nouvelle aide financière à la Grèce. «Je crois que l’on peut dire que la Grèce est sortie d’affaire, s’est même enthousiasmé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Nous avons trouvé avec nos partenaires de la zone euro un bon accord qui doit permettre au pays de sortir des difficultés économiques.» A l’issue des discussions, les créanciers de la Grèce (FMI, BCE et Mécanisme européen de stabilité) ont donc consenti un prêt de 8,5 milliards d’euros, prélevé sur l’enveloppe du troisième plan d’aide à la Grèce (86 milliards d’euros), adopté pendant l’été 2015. Certes, la Grèce évite ainsi le défaut de paiement. Mais aussitôt encaissés par Athènes, la quasi-intégralité des 8,5 milliards repartira dans les caisses des créanciers de la Grèce. Athènes est donc en mesure d’honorer les 7 milliards de dette qui arrive à échéance en juillet.

Mais la pilule risque d’être amère pour les Grecs, puisque en échange de cette nouvelle tranche financière, le Premier ministre, Aléxis Tsípras, a dû accepter une quatorzième réforme des retraites, une nouvelle révision de l’impôt sur le revenu et diverses mesures d’austérité budgétaires (à hauteur de 5 milliards d’euros) imposées par le FMI.

Reste que la question de la soutenabilité (ou non) de la dette grecque est toujours un objet de discussions. Certes, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, se dit prête à faire en sorte que le FMI mette la main à la poche pour participer au troisième plan d’aide… Mais il faudra, comme par le passé, remplir une condition: «Que la dette soit jugée soutenable.» Et là, tout dépend des taux de croissance futurs de la Grèce qui seront retenus. Le FMI se montre désormais prudent et préfère ne pas gonfler le taux de croissance, alors que la Commission européenne se montre plus optimiste.

En attendant, «laccord global va permettre à la Grèce de tourner la page d’une période difficile», veut croire le commissaire européen aux affaires économiques Pierre Moscovici. «On est très loin d’une résolution de la crise grecque, tempêre Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM). Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre et ce prêt ne sert qu’à rembourser le FMI et la BCE.» Pour cet économiste, rien n’est fait pour relancer la croissance de la Grèce, alors que le gouvernement a revu ses prévisions à la baisse pour 2017, passant de 2,7 à 1,8%. «Ces politiques continueront d’avoir un impact récessif. Et cet accord prolonge une politique qui enfonce la Grèce dans une situation de stagnation.»

Le fardeau de la dette

Sur Twitter, Aléxis Tsípras a salué d’un accord qui «répond aux sacrifices du peuple grec» et qui permet au pays de «tourner la page». Mais la Grèce est encore loin d’être sortie de la crise. Le Washington Post a publié un échéancier de la dette du pays, qui court en théorie jusqu’en… 2059. Dès la rentrée, la Grèce devra encore rembourser plusieurs milliards d’euros à des détenteurs de bons du Trésor.

Pour Eric Toussaint, «les Grecs ont été les victimes expiatoires. C’était une menace à peine voilée aux autres pays qui voulaient rompre avec l’austérité. Pourtant, on voit bien que ces politiques ne fonctionnent pas : lors du premier plan d’aide à la Grèce en 2010, la dette était de 110% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 170%».

Lors des discussions, l’Eurogroupe s’est une nouvelle fois engagée, «si nécessaire», à des allégements de la dette grecque à partir de la fin du plan d’aide, fin 2018. Des mesures insuffisantes pour Eric Toussaint, qui estime que pour sortir de cette spirale, 90% de la dette du pays devrait être annulée. Inimaginable au regard de la position allemande et française, d’autant plus inflexible que des élections législatives auront lieu outre-Rhin en septembre. Mais si rien n’est fait en ce sens, les réunions de la dernière chance pour la Grèce risquent encore de se succéder.

Dylan Gamba

http://www.liberation.fr/planete/2017/06/16/athenes-evite-temporairement-le-defaut-de-paiement_1577275

La Grèce, la frontière, l’Europe par Stathis Kouvélakis

La Grèce, la frontière, l’Europe un article de 

Dans les considérations sur l’art de la guerre, véritable moteur de la politique telle qu’il la définit dans Le Prince, Machiavel souligne qu’un paysage n’apparaît pas de la même façon selon qu’il est vu de la montagne ou d’une plaine[1]. Il en est a fortiori de même pour des signifiants comme ceux qui nous occupent dans cette discussion, la « nation » et la « mondialisation », qui se réfèrent à des territoires ou à la façon dont sont structurés les rapports entre des configurations politiques ou économiques à forte dimension territoriale et spatiale. Le point de vue où l’on se place peut toutefois se décliner de plusieurs façons, chacune définissant une perspective distincte. Dans les remarques qui suivent, j’adopterai celui d’une formation nationale particulière, la Grèce, avec laquelle j’entretiens des liens personnels, non pas pour m’y enfermer mais pour essayer d’appréhender des tendances plus larges, qui concernent le monde dans lequel nous vivons. La Grèce est certes un petit pays, mais, de par sa position géographique, politique (ou géopolitique) et économique, elle est un avant-poste de l’espace européen, donc aussi sa frontière. On peut donc penser qu’appréhender le monde à partir d’un tel lieu permet de saisir avec une acuité particulière certaines des tendances qui y sont à l’œuvre. Saisir la Grèce comme avant-poste et frontière signifie la comprendre comme un lieu de délimitation et de contact permanent entre l’« Europe », mais aussi, et la distinction est de taille, l’Union Européenne (UE), et son extérieur, ou plutôt son Autre, à savoir ce par rapport à quoi, voire même ce contre quoi, elle se définit et se construit.

Nul hasard donc si c’est en Grèce que la « crise des réfugiés », qui a atteint son moment culminant en 2015, s’est révélée avec une violence spectaculaire, qui a placé le pays au centre de l’attention de l’opinion publique européenne internationale. Je mets le terme de « crise » entre guillemets pour souligner qu’il n’est en rien neutre. Pourquoi faudrait-il en effet que l’arrivée durant l’année 2015 d’environ un million personnes, « réfugiés » ou « migrants » là encore les termes ont leur importance, dans une entité comme l’UE, qui compte un demi-milliard d’habitants, soit en tant que telle synonyme de « crise » ? En réalité, la construction de cet événement comme une « crise », avant tout par les autorités de l’UE et de ses Etats membres, puissamment secondées par le discours médiatique, participe pleinement du problème dont la racine se trouve, j’y reviendrai dans un instant, dans la construction de l’« Europe  forteresse» et la violence fondamentale sur laquelle repose son rapport avec cet « extérieur », ou cet « Autre » qu’on appelle maintenant le « Sud global », et qu’on appelait naguère le « Tiers Monde ».

Mais la Grèce est également une frontière interne de l’UE, une ligne de front dans la lutte de classes qui s’y mène, là encore avec une acuité et une violence toutes particulières depuis l’éclatement de la crise financière de 2008. La Grèce a servi depuis maintenant sept ans de laboratoire à une forme particulièrement brutale de politiques d’austérité, dont la mise en œuvre s’est accompagnée d’un régime d’exception, qui organise la mise sous tutelle du pays par ses créanciers, c’est-à-dire par l’UE et, secondairement, par le FMI. Il faut préciser ici que le caractère d’exception de ce régime n’apparaît tel que d’un point de vue disons « ouest-européen », dans la mesure où il est tout à fait familier aux populations qui ont déjà connu les programmes d’« ajustement structurel » menés à partir des années 1980 sous les auspices du FMI dans les pays du Sud global mais aussi de l’Est européen, suite à l’effondrement des régimes du « socialisme réel ».

Il importe donc de voir que la frontière extérieure et la frontière intérieure sont indissociables l’une de l’autre et qu’elles peuvent même se toucher, prenant ainsi le contrepied de ceux qui pensent que « ce genre de choses n’arrivent qu’aux autres » – sous-entendu aux « arriérés » – c’est-à-dire aux ex-colonisés – du Sud et aux vaincus de l’ancien camp socialiste. Pour ce qui concerne la Grèce, la mise en place des politiques d’austérité et du régime de tutelle a donné naissance à un cycle de résistance sociale et politique qui s’est étalé sur plusieurs années et qui s’est soldé par une défaite stratégique et tragique en cet été 2015, avec la capitulation en rase campagne d’Alexis Tsipras et de son gouvernement. Or cette défaite est toujours avec nous, parce que nous vivons ses effets, qui continuent de peser lourdement sur les rapports de force, non seulement en Grèce mais dans l’Europe tout entière, notamment en France, et même au-delà.

Ce que je vais donc tenter dans les remarques qui suivent, c’est adopter le « point de vue » de la Grèce, c’est-à-dire un point de vue dominé/subalterne, pour essayer de penser l’espace européen en tant qu’il est traversé par des formes de polarisation et de hiérarchie, donc par des rapports de domination, qui mettent en jeu des antagonismes et des luttes qui se déploient sur une multiplicité de fronts. J’examinerai dans un premier temps le cas grec en tant que frontière extérieure, sous l’angle de la « crise des réfugiés », puis, en tant que frontière interne, celle de la lutte à laquelle se livrent des forces sociales antagonistes, à une échelle à la fois nationale et européenne et dans laquelle les institutions de l’UE jouent un rôle décisif. Il deviendra alors possible d’avancer en conclusion quelques pistes sur ce qui me semble être le problème stratégique du moment, à savoir celui de la convergence de ces fronts, et le rôle que le niveau national, européen et plus largement trans- ou inter-national peuvent y jouer.

La « crise des réfugiés », le vrai visage de l’« Europe forteresse »

Commençons par la « crise des réfugiés ». Que nous révèle-t-elle ? Pour aller vite je dirai qu’elle met en lumière d’une façon éclatante une réalité qui bien-entendu lui préexiste, mais dont la perception était jusqu’alors des plus limitées. Cette réalité est celle de l’« Europe forteresse », plus exactement de la « construction européenne », c’est-à-dire de l’UE, comme entité reposant sur une violence terrible mais, la plupart du temps, peu visible à partir de son « intérieur », celui des populations qui y habitent[2].

L’« Europe » dont il est question est celle devant laquelle viennent s’échouer par milliers des gens qui risquent leur vie, et parfois la perdent, en essayant d’y accéder, et qui, malgré tout, le plus souvent, y parviennent. Ils le doivent avant tout à leur obstination et à leur ingéniosité mais aussi, bien que dans une bien moindre mesure, à la pression de secteurs significatifs des opinions publiques qui prennent conscience de l’ampleur du problème. C’est notamment ce qui s’est passé dans la conjoncture particulière de l’année 2015, comme effet d’une crise régionale plus vaste dans l’éclatement de laquelle les puissances européennes portent une responsabilité écrasante. Il convient de le souligner, l’Europe n’est pas extérieure à la crise du Grand Moyen-Orient (GMA). Sans remonter loin dans une histoire tout entière jalonnée par les guerres impérialistes menées par divers Etats européens, au cours des deux dernières décennies ceux-ci ont été à des titres divers partie prenante des guerres et autres interventions militaires qui ont conduit à la désintégration de l’Etat irakien, à la fracturation de la Syrie et à l’implosion de la Libye. L’exode des populations, dont une petite fraction seulement tente de venir en Europe, est la conséquence directe de ce processus de destruction des Etats, qui constitue la forme caractéristique de l’action menée actuellement par les puissances impérialistes, fort différentes en cela tant de la conquête territoriale que des stratégies de reconstruction nationale menées par le passé.

Voilà où réside sans doute le premier paradoxe. On parle d’une « crise migratoire, ou d’une « crise des réfugiés », d’une ampleur majeure en ce qui concerne l’Europe et qu’il faudrait considérer comme un problème, voire comme une menace. Regardons un peu quelques données : au cours de l’année 2015, soit le moment culminant de cette crise, environ un million de personnes sont entrées dans l’UE, dont les quatre cinquièmes à partir de la Grèce. Le chiffre peut paraitre important mais en réalité il ne représente qu’une faible fraction de la vague de 50 millions de réfugiés que la crise du GMA a provoqué ces dernières années ou des 65,3 millions de personnes déplacées à l’échelle mondiale pour l’année 2015[3]. A titre de comparaison, le Liban, pays de moins de cinq millions d’habitants, en a accueilli près d’un million, et plus de deux millions se trouvent en Turquie.

Quand on parle de flux migratoires, il faudrait également rapporter ces chiffres aux mouvements « réguliers » internes à l’espace européen (migrations de travail, d’études, etc.), qui s’élèvent à 3,8 millions de personnes[4], ou à ce mouvement de population saisonnier autrement plus massif qu’est le tourisme. La Grèce se félicite ainsi d’une année touristique exceptionnelle avec 25 millions de visiteurs. Donc 25 millions de visiteurs sont entrés dans le pays, ils y ont effectué des allées-venues de façon tout à fait normale sans que cela ne déclenche de crise particulière, bien au contraire puisqu’il s’agit d’un secteur essentiel pour l’économie mais aussi d’une source d’agrément pour celles et ceux qui visitent le pays. Naturellement, un réfugié ou un migrant ne vient pas faire du tourisme, elle ou il vient pour échapper à la persécution et tenter de construire une vie meilleure. On peut néanmoins se poser la question de pourquoi un flux d’un million de personnes qui essaient d’entrer et de s’installer dans un espace de 510 millions d’habitants – c’est la population de l’UE – est censé provoquer une telle « crise ». La réponse est à mon sens très simple. En réalité, il n’y a pas de crise de réfugiés mais une crise du « régime des frontières » qui s’est construit autour de ce dispositif de la forteresse Europe[5]. C’est ce régime, confronté à un événement comme celui de la crise du Grand Moyen Orient, qui produit cette « crise des réfugiés » et qui, par la suite, la met en scène auprès des opinions publiques et engendre les discours qui justifient les politiques censées la résoudre. Selon Nicholas de Genova ce vocable traduit « une instabilité épistémique permanente au sein du gouvernement de la mobilité humaine transnationale, qui repose elle-même sur l’exercice d’un pouvoir sur la classification, la dénomination et le partage des «migrants»/«réfugiés», et la multiplication plus générale des nuances et des contradictions subtiles parmi les catégories encadrant la mobilité »[6].

Comment faut-il comprendre cette notion de régime des frontières que l’on désigne par la notion d’« Europe forteresse » ? J’utilise cette métaphore pour des raisons de commodité et parce qu’elle permet de capter une partie de la réalité de la chose, d’en donner du moins une représentation qui frappe les esprits et qui fait sens. Il ne s’agit toutefois que d’une métaphore, qui renvoie à l’idée d’une digue construite pour séparer nettement un extérieur et un intérieur et établir un strict contrôle des mouvements entre les deux côtés de la ligne de partage. Or, la digue en question est en fait une affaire extrêmement complexe, et s’il s’agit d’une forteresse, il faut la concevoir à la façon de ces constructions érigées selon un plan très sophistiqué, qui comporte plusieurs lignes de défense faites non seulement de murs mais aussi de tranchées, de casemates, et d’avant-postes en tout genre.

A l’époque contemporaine, et avec les moyens technologiques dont les Etats disposent, les lignes de fortification sont devenues mobiles, elles comportent notamment toutes sortes de moyens de surveillance électronique qui viennent renforcer un arsenal militaire et répressif de plus en plus sophistiqués. Leurs effets sont démultipliés au moyen de partenariats établis avec d’autres Etats, ou avec des agences transnationales à l’instar de celles qui dépendent directement de l’UE, qui permettent une mise en commun des moyens de contrôle et de surveillance. On est passé, en d’autres termes, d’une logique de simple souveraineté étatique à des « relations hybrides de logiques souveraines et d’obligations communes, parfois très inéquitables »[7]. De ce fait, loin de se traduire par une quelconque « ouverture, l’« européanisation » des frontières s’est traduite par un renforcement et une « rigidification » considérables de l’arsenal traditionnel de contrôle du territoire à travers une démultiplication des lignes d’inclusion et d’exclusion à la fois vers l’intérieur et l’extérieur. La frontière de l’UE, véritable nom de l’« Europe forteresse » s’étend ainsi d’un espace qui va de l’Arctique au Sahara et de l’Atlantique à l’Irak, puisque une bonne partie des pays du pourtour méditerranéen – à commencer par la Turquie – et même de l’Afrique saharienne et subsaharienne sont transformés en « zones tampon » et annexés ainsi au dispositif de la frontière de l’UE. Selon de récentes dispositions discutées lors du Conseil de l’UE qui s’est tenu le 23 mai 2016[8], il est désormais question d’inclure dans cet espace l’Irak, le Bangladesh ou le Pakistan afin de faciliter les « réadmissions », c’est-à-dire les retours forcés de migrants et des demandeurs d’asile – naturellement dans le mépris le plus complet de l’état des droits humains dans la plupart des pays en question.

La notion de « frontière » se trouve ainsi complexifiée, sans que cela n’entraîne le moindre relâchement du niveau de contrôle exercé sur les individus ou les populations – bien au contraire. Selon une première approximation, on pourrait dire que le relâchement du contrôle sur les frontières des Etats-membres de l’UE s’est accompagné de son renforcement sur la frontière « externe ». En réalité, ce sont les notions même d’« intérieur » et d’« extérieur » qui sont bouleversées, selon un processus à double sens. Car si, d’un côté, le Mali et la Turquie se trouvent intégrés au régime européen (au sens de l’UE) des frontières, on voit, d’un autre côté, se multiplier, à l’intérieur même du territoire de l’UE, des zones « déterritorialisées », extraites de façon plus ou moins aboutie à l’ordre légal et aux garanties dérivées des conventions internationales dont les Etats sont en principe partie prenante. Zones et centre de rétention, à proximité des aéroports, des ports ou d’autres points de passage, camps « provisoires », ou supposés tels, où s’entassent dans des conditions qui rappellent celles de zones de guerre les indésirables à qui, à l’évidence, on dénie la pleine humanité.

En réalité, l’espace « européen » est loin de constituer une réalité homogène. Si l’on examine en effet l’espace européen au sens géographique du terme, sans doute le moins contestable (même s’il n’a rien de « naturel »), il faut en effet commencer par distinguer les pays qui font partie de l’UE et les autres, dont la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Norvège, plusieurs pays des Balkans, la Suisse et, bientôt, le Royaume-Uni. Si on resserre la focale sur la question qui nous préoccupe ici, celle du régime des frontières, donc des conditions d’entrée, de circulation et de sortie de cet espace, les choses sont encore plus compliquées, car ce régime européen – au sens cette fois de l’UE – des frontières ne coïncide que partiellement avec celui constitué par les Etats-membres de l’UE, tandis que l’espace extérieur à celle-ci se présente également comme une configuration différenciée et soigneusement hiérarchisée.

On peut ainsi distinguer au moins quatre sous-espaces internes à cet espace géographique européen.

Il y a tout d’abord ce qu’on appelle l’espace Schengen qui regroupe 22 des 28 membres actuels de l’UE, qui est celui au sein duquel on s’approche le plus, sur le principe du mois, d’une libre circulation des personnes, donc d’un relâchement des frontières internes. Relevons à ce propos deux éléments importants.

Tout d’abord, le fait que certains pays, au nombre de cinq, font partie de l’UE mais pas de l’espace Schengen. Le Royaume-Uni est de ceux-là, aux côtés de la Bulgarie, de la Croatie, de Chypre et de la Roumanie, et sa prochaine sortie de l’UE ne change rien au fait qu’il aura fait la démonstration qu’on peut en faire partie pendant près d’un demi-siècle sans adhérer au principe de l’espace Schengen. Il s’agit donc d’un deuxième sous-ensemble, interne à l’UE mais soustrait à l’une de ses règles essentielles.

D’un autre côté, l’espace Schengen s’étend au-delà des frontières de l’UE, puisqu’en font également partie la Norvège, la Suisse et l’Islande, en plus d’enclaves territoriales du type Liechtenstein, Monaco ou Saint-Marin. Il y a donc là un troisième espace, qui est une sorte d’extension du premier, et qui, tout en étant au-delà de la frontière proprement dite, devient toutefois plus « interne », et, de ce fait, plus proche du premier sous-ensemble, que ne l’est le second.

Et puis, il y a des pays européens qui ne font partie ni de l’UE ni de l’espace Schengen, comme par exemple bon nombre de pays des Balkans (Albanie, Serbie, Monténégro, Bosnie, Macédoine) mais aussi la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie ainsi que la Turquie. Cet ensemble est lui-même loin de constituer un tout homogène puisqu’en la matière il est régi par un ensemble de dispositifs – qui vont du visa d’entrée plus ou moins aisément octroyé aux modalités de surveillance concrète de la frontière – lui-même différencié et qui fait l’objet d’un permanent rapport de forces entre l’UE, certains de ses Etats-membres et les Etats en question.

Ainsi donc la dite « construction européenne », c’est-à-dire celle de l’UE, et le régime des frontières qui en découle, loin d’unifier véritablement l’« Europe » conduit au contraire à sa fracturation sur des lignes nouvelles, qui renouent pour partie avec des lignes de partage antérieures à la guerre froide, si ce n’est à la première guerre mondiale, notamment entre une Europe « occidentale » et l’« Est », qui correspond à des pays ayant fait partie de l’Empire ottoman ou de l’aire russophone.

Nul hasard justement si l’aire balkanique se détache clairement dans cet ensemble. En réalité, – à l’exception de la Grèce, qui continue à cet égard de bénéficier de son statut d’avant-poste de l’« Occident » du temps de la guerre froide (qui fût en l’occurrence tout à fait « chaude » puisqu’elle a conduit à une guerre civile) – cette aire a ceci de particulier qu’elle partage une commune condition d’exclusion de la « liberté de circulation » (des personnes s’entend) de ses ressortissants, que les Etats en question fassent ou non partie de l’UE. D’où la question de la « route des Balkans », qui fût la principale voie de passage empruntée par les réfugiés et les migrants lors de la « crise » de 2015, avant sa fermeture progressive, scellée par l’accord entre l’UE et la Turquie de mars 2016.

Prenons ainsi le cas d’un réfugié qui entre dans l’UE en passant par la Grèce, qui fait un détour par la Bulgarie, car il y a un engorgement à la frontière au passage avec la Macédoine, puis qui revient vers la Macédoine, continue par la Serbie, passe par la Hongrie pour aller enfin en Allemagne, faisant ainsi un parcours quasi-complet de la « route des Balkans ». Ce réfugié aura ainsi traversé sept Etats et pas moins de cinq régimes frontaliers différents, dont deux strictement nationaux et trois qui relèvent des sous-ensembles listés auparavant.

Les choses se compliquent toutefois encore davantage. Si l’on s’en tient en effet au seul sous-espace Schengen, il apparaît à son tour comme intérieurement divisé et hiérarchisé. Cette ligne de fracture se joue sur la question du droit d’asile. Ce droit est régi par la convention dite de Dublin, qui stipule qu’un réfugié qui essaye d’accéder à l’asile au sein de l’UE doit déposer son dossier là où il a été enregistré, c’est-à-dire dans le premier pays d’entrée de l’UE, et rester dans le pays en question jusqu’à ce que sa demande soit examinée. Dans le cas contraire, il est passible de renvoi dans ce pays, et devient ainsi un « dubliné », c’est-à-dire un paria balloté d’un pays à un autre, au gré de l’application plus ou moins stricte de dispositifs visant essentiellement à l’empêcher de bénéficier de droits en principe garantis par les conventions internationales.

Cette disposition signifie que les pays du sud européen, à savoir la Grèce, l’Italie et l’Espagne, qui sont les portes d’entrée « naturelles » de l’UE, deviennent une zone de transit ou plus exactement une trappe pour les migrants et les réfugiés. Ainsi donc, avant même de devenir les « PIIGS » de la crise de la dette publique qui éclate à partir de 2010, ces pays sont déjà constitués en une « périphérie » européenne, dont la fonction est de filtrer les « flux migratoires » et d’en préserver ainsi les pays du centre. Pourtant, nous l’avons vu, si le sud de l’UE devient une « trappe à migrants », la véritable frontière européenne ne se situe même pas là. L’UE et les agences qui en dépendent, en premier lieu Frontex, ont en effet passé des accords avec la plupart des pays limitrophes, et ne cessent de vouloir étendre le périmètre de cette aire. Moyennant quelques avantages financiers, ces pays jouent à la fois le rôle de filtres, de sas de rétention, bref de zones-tampons de la « forteresse UE ». Il se chargent ainsi de dissuader les départs vers l’UE, mais aussi d’accepter les renvois des personnes qui ont transité par leur territoire puisque, en vertu de ses accords, ces pays, dont la plupart sont des dictatures ou des régimes autoritaires, sont considérés comme des « pays sûrs », vers lesquels on peut donc tranquillement renvoyer réfugiés et migrants indésirables sur le sol européen, ou plutôt « UEien ».

Laisser mourir et faire vivre en Méditerranée

À en juger par la répartition des flux migratoires, le critère sans doute le plus pertinent en la matière, la frontière externe de l’UE est avant tout sa frontière sud, et elle est principalement une frontière maritime, la Méditerranée. Et cette frontière s’avère particulièrement létale, nous le verrons dans un instant. Elle se présente d’emblée comme le lieu où s’exerce un entrelacement de pouvoirs souverains, ceux des Etats limitrophes bien entendu, mais auxquels se superposent désormais les autorités de l’UE et des agences, notamment de celle qui est plus particulièrement chargée du contrôle des frontières de l’UE, dont l’action transforme considérablement les modalités de l’action étatique – sur laquelle elle prend appui par ailleurs[9]. Ces pouvoirs se manifestent donc avant tout comme pouvoir de vie ou de mort, pouvoir de faire mourir ou de laisser vivre. Pour le dire autrement, l’objectif poursuivi par les mécanismes de contrôle n’est pas d’affirmer une quelconque impénétrabilité des frontières, a fortiori quand il s’agit d’une frontière maritime de cet ordre, de rendre impossibles des traversées dont on sait pertinemment que, pour l’essentiel, elles auront lieu de toute façon, mais de décider si et dans quelle mesure ce sera telle ou telle « voie de passage » qui sera empruntée, avec tel ou tel taux de mortalité correspondant à chacune d’entre elles. De décider si, et dans quelles conditions, on décide de « secourir » (ou de laisser secourir), si le secours ou l’accueil prodigué est jugé trop incitatif ou pas assez dissuasif – c’est la théorie de l’« appel d’air » – pour que la gestion du flux, donc l’arbitrage qu’elle implique entre laisser mourir (par noyade) et faire vivre, soit jugée acceptable.

Examinons rapidement quelques données. En 2015, lorsque la « crise des réfugiés » a atteint son pic, on a compté environ un million d’arrivées de migrants et de réfugiés sur le territoire de l’UE, la quasi-totalité par voie maritime, et 3 800 personnes décédées en Méditerranée, en augmentation de près de 10% par rapport à l’année précédente où le nombre s’élevait à 3 300[10]. En 2016, année pendant laquelle le nombre d’arrivées a drastiquement chuté (passant d’un million à 363 mille) du fait de l’accord conclu entre l’UE et la Turquie, ce nombre a pourtant considérablement augmenté, dépassant pour la première fois le seuil des cinq mille, soit une augmentation de 35%. C’est précisément cet accord qui est responsable de ce record terrifiant, car il a déplacé les voies de traversée de l’est vers le centre Méditerranée, en d’autres termes de la Grèce vers l’Italie. Or cette voie centrale est bien plus dangereuse que la traversée de la côte turque vers les îles grecques. Quant à l’année en cours (2017), le chiffre pour les cinq premiers mois de l’année est de 1 570 décès pour un nombre d’arrivées bien plus réduit (60 000 contre 200 000 arrivées et 1 400 décès pour la période équivalente en 2016), ce qui veut dire que, malgré une baisse en chiffre absolu du nombre de mort, la léthalité des traversées a littéralement bondi, triplant d’une année sur l’autre.

Poursuivons un instant cette comptabilité macabre : depuis 2014, on ne compte pas moins de 13 700 personnes décédées en traversant la Méditerranée, soit en moyenne 336 par mois. Mais quels sont les chiffres pour les périodes qui précédent ? Selon les sources considérées comme faisant autorité en la matière, émanant d’ONG ou d’observateurs comme United for Intercultural Action, le Missing Migrant Project de l’International Organization for Migration ou encore Fortress Europe, on obtient les deux estimations suivantes[11]. Selon la première, entre 1993 et 2012, le nombre de décès est de 17 300 personnes ; selon la deuxième, entre 1988 et 2014, il s’élève à 19 800, dont 14 800 en Méditerranée. Mais il existe des estimations fiables significativement plus élevées, comme celles du projet The Migrants Files, qui évaluent les morts à 30 000 entre 2000 et juin 2016[12]. Encore faut-il savoir que « la plupart des associations européennes d’aide aux migrants estiment qu’il faudrait multiplier par deux, voire par trois, les chiffres les plus pessimistes pour prendre en compte ceux qui disparaissent sans laisser de traces »[13] – sans oublier que la traversée du Sahara, étape préalable à celle de la Méditerranée pour une grande partie des migrants, est bien plus létale que celle-ci.

La conclusion est tout à fait évidente : la Méditerranée est devenue un véritable charnier liquide, sans que cela ne suscite d’émotion particulière, du moins jusqu’à la vague de réfugiés et de migrants de ces dernières années, consécutive au grand chambardement moyen-oriental. Et cette réalité n’est que l’autre face du fait que la Méditerranée est devenue « le théâtre d’un genre nouveau de guerre, une bataille contre les migrants dans laquelle s’est engagée l’Union Européenne »[14].

L’évolution temporelle de la courbe est, du reste, fort instructive. Deux éléments s’en dégagent : tout d’abord un faible nombre (estimé) de décès avant 1990, et qui n’augmente que légèrement jusqu’en 1995, moment de pleine mise en œuvre des dispositions de l’espace Schengen. Comme le soulignent Tamara Last et Thomas Spijkerboer dans leur étude des statistiques de décès de migrants, « le nombre relativement faible de décès de migrants avant 1990 est sans doute lié au fait qu’il était beaucoup plus facile d’atteindre l’Europe par des moyens réguliers, même en l’absence d’autorisation gouvernementale officielle d’immigrer. L’introduction d’obligations de visa pour de nombreux pays d’origine, conjuguée aux sanctions à l’encontre des passeurs, a entraîné un basculement des moyens de transport réguliers, tels que les avions et les ferries, vers les moyens de transport irréguliers comme les bateaux de pêche »[15]. Par ailleurs, certains points de passage en direction des rivages européens, tels les enclaves espagnoles en territoire marocain de Ceuta et Melila, jusqu’alors « fluides et sans entraves… ont commencé à voir l’érection de clôtures après l’adhésion de l’Espagne au traité de Schengen en 1991 »[16], ouvrant la voie à un processus similaire en d’autres points d’entrée du territoire européen. C’est donc bien le processus d’européanisation des frontières, en d’autres termes la construction de la « forteresse Europe », qui est responsable de ce carnage sans précédent dans l’histoire européenne en temps de « paix ».

Une autre illustration de cette responsabilité spécifique de l’européanisation des frontières – en d’autres termes de l’affirmation d’un quasi-pouvoir souverain de l’UE – dans l’augmentation dramatique de ce « laisser mourir » en Méditerranée se trouve dans l’abandon par l’Italie de l’opération de sauvetage des migrants en mer Mare Nostrum et son remplacement par une opération menée par Frontex, donc du ressort direct de l’UE. Un naufrage survenu le 3 octobre 2013 au large de Lampedusa, qui a provoqué la mort de 366 migrants, déclenche une profonde émotion en Italie et mobilise fortement l’opinion publique. Enrico Letta, alors premier ministre de centre-gauche, lance une vaste opération de la marine italienne destinée à la fois à secourir les immigrants naufragés et à dissuader les passeurs, avec une claire priorité accordée au premier objectif. Pour ce faire, les bâtiments de la marine italienne naviguent jusque dans les eaux libyennes. En moins d’un an, environ 150 000 migrants sont secourus, chiffre tout à fait remarquable si l’on songe que le nombre total d’arrivées en Italie par la mer s’élève à 170 000 pour l’ensemble de l’année 2014[17]. Or, suite au refus de l’UE de couvrir une partie du coût élevé de l’opération (neuf millions d’euros par mois) et de l’hostilité manifestée par les représentants de la droite berlusconienne au sein du gouvernement, Angelico Alfano – ministre de l’intérieur – en tête, l’opération s’arrête à la fin août 2014. C’est alors l’agence de l’UE Frontex qui prend le relais, et lance l’opération Triton. Les moyens sont bien plus limités – et le coût mensuel à peine un tiers de celui de Mare Nostrum – mais c’est surtout le but de l’opération qui change du tout au tout. Il ne s’agit plus désormais de secourir les migrants mais de surveiller les eaux territoriales européennes. Résultat : des naufrages non-secourus à répétition, une explosion du taux de mortalité qui passe de 1 pour 50 quand les bateaux de Mare Nostrum étaient en activité, à 1 pour 14 dès l’arrêt de l’opération[18]. Le très mesuré Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) parle d’une « hécatombe jamais vue en Méditerranée »[19].

Le tollé soulevé par un nouveau naufrage au large de Lampedusa, en avril 2015, encore plus meurtrier que les précédents puisque pas moins de 800 personnes y laissent leur vie, forcera l’UE de réagir et de lancer l’opération Sophia. Mais ces missions sont dans la continuité de celles de Triton : « lutte contre les passeurs » et surveillance des eaux territoriales, en d’autres termes empêcher les migrants d’atteindre les côtes italiennes et dissuader les départs. En avril 2016, Federica Mogherini, haute représentante de l’UE aux affaires étrangères et à la politique de la sécurité – également membre du Parti démocrate de Matteo Renzi, qui a entretemps succédé à Letta – lui accorde un satisfecit et déclare que l’opération Sophia est un « succès » puisqu’elle a permis de stopper 68 passeurs, de « neutraliser et rendu hors d’usage 104 bateaux » et de « sauver en mer » 12 600 personnes, soit moins d’un douzième que ce que l’opération Mare Nostrum avait permis[20]. Ce cas met en évidence une dimension essentielle du dispositif européen du « laisser mourir / faire vivre », à savoir l’indissociabilité de ces deux aspects en tant qu’affirmation d’un dispositif de violence mortifère, dont la mise en œuvre tend à être transférée des Etats nationaux vers les instances supranationales de l’UE. Point décisif, ce transfert s’opère à bas bruit, d’où l’extrême difficulté d’exercer un contrôle démocratique et d’interroger sa légitimité, là encore à l’inverse du « monopole de la violence légitime » détenue par l’Etat national selon la célèbre définition de Max Weber. Pour le dire autrement, « humanitaire et sécuritaire sont les deux faces complémentaires d’un même [mode de] gouvernement. L’assistance et la compassion affichées permettent d’occulter les responsabilités tout en renforçant le contrôle et la répression »[21].

L’évolution temporelle de la courbe des décès recèle toutefois d’autres indications utiles. On constate en effet que le nombre de victimes décolle à partir de 2001, et, surtout, à partir de 2003, avec les guerres d’Afghanistan et de l’Iraq. Ainsi, avant la hausse brutale due à la crise syrienne et moyen-orientale de 2010, on observe un taux annuel apparemment considéré comme « normal » de plus d’un millier de personnes décédées en essayant d’atteindre l’Europe. Je parle ici d’une « normalité » car comment interpréter autrement le décalage entre l’absence d’émotion suscitée par la mort de dizaines de milliers d’êtres humains, dans leur écrasante majorité du reste des morts « anonymes », non répertoriées par les autorités et indignes d’une vraie sépulture au sens propre, avec celle suscitée par exemple par le millier de morts causés par la traversée de la frontière entre l’Allemagne de l’Ouest et la RDA (dont un quart à Berlin) durant la guerre froide ?

Je ne vois qu’une seule explication possible à cet état de fait. Un(e) Africain(e), un(e) Arabe, un(e) Afghan(e) qui meurt noyé(e) en Méditerranée, qui fuit la guerre, l’oppression et/ou l’extrême misère, n’est pas vu comme un être humain au même titre que ces Allemands qui tentaient de fuir le « communisme » et qui étaient accueillis comme des héros de la liberté. Et cela prolonge bien entendu une longue histoire qui est celle du colonialisme et des formes, toutes violentes, de domination que l’Europe et l’Occident ont exercé sur le reste du monde et dans la pleine continuité de laquelle s’inscrit la « construction européenne » et son fruit empoisonné, l’UE.

Quel est le rôle de la Grèce dans cette situation ? On peut dire qu’il est double. D’une part, la Grèce fait le gendarme – plus exactement le garde-chiourme – de l’Europe dont elle est le poste frontière sur son vaste flanc sud-est. Cela ne date pas d’aujourd’hui, même si l’accord entre la Grèce et la Turquie de mars 2016 a pérennisé cet état de fait. Il faut remonter au moins à la construction de la barrière barbelée[22] (et truffée de moyens de surveillance électroniques) autour de la rivière Evros, qui constitue la seule frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce, et qui, depuis son déminage partiel, permettait d’accéder à peu près en sécurité à la Grèce. La décision de sa construction a été prise par le gouvernement « socialiste » en 2011 et l’ouvrage a été inauguré à la fin de l’année suivante par le gouvernement tripartite dirigé par la droite d’Antonis Samaras. Le gouvernement Syriza, qui accède au pouvoir en janvier 2015, n’a rien fait pour mettre à bas cette barrière de la honte, et il faut dire que, sur ce point en particulier, le programme initial de Syriza restait vague, même s’il comportait par ailleurs de nombreux engagements en faveur de l’accueil des réfugiés et des migrants – engagements qui ont, pour l’essentiel, assez rapidement connu le sort du reste de ce programme[23]. Or, le drame dont la mer Egée est le théâtre est la conséquence directe du fait que, suite à la construction de cette barrière, la voie maritime, avec son cortège de noyades, de rackets et de drames, a pris le relais d’une route terrestre, infiniment moins dangereuse mais devenue impraticable. En tant qu’avant-postes et serviteurs zélés du régime européen des frontières, les gouvernements grecs qui se sont succédés au cours de ces dernières années portent ainsi une part écrasante de responsabilité dans le carnage qui se déroule dans ses eaux territoriales.

Le deuxième aspect de l’implication de la Grèce dans la nouvelle phase de la « forteresse Europe » telle qu’elle émerge de la « crise des réfugiés » des dernières années est consignée dans l’accord conclu entre l’UE et la Turquie en mars 2016. Rappelons rapidement le processus qui y a conduit : à partir de l’automne 2015, les pays qui se trouvent sur la « route des Balkans » ferment les uns après les autres leur frontière, sous l’impulsion du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) agissant en étroite liaison avec l’Autriche et des secteurs du gouvernement allemand hostiles à la politique d’accueil que Merkel a mis en œuvre pour une durée limitée. Suite à ce naufrage de toute notion de politique européenne d’accueil des réfugiés, la Grèce cesse de facto d’être une zone de transit, et devient un camp de rétention à ciel ouvert. Près de 60 000 personnes se trouvent ainsi, du jour au lendemain, prises au piège et des situations intolérables se créent notamment dans les zones frontalières du Nord du pays et dans les îles les plus proches de la côte turque.

La coordination européenne ayant magistralement échouée s’agissant de l’accueil d’un nombre pourtant fort réduit de réfugiés, ne tardera pourtant guère à se remettre en place, cette fois pour les tenir fermement aux portes de l’Europe. En mars 2016, l’UE et la Turquie signent un accord pour sceller définitivement la « route des Balkans »[24]. Chaque disposition de cet accord, accueilli avec un lâche soulagement par Alexis Tsipras et son gouvernement, constitue une violation du droit d’asile tel qu’il est défini par les conventions internationales. La Turquie s’engage ainsi à ne plus permettre les traversées « irrégulières » à partir de ses côtes, en contrepartie d’une promesse de levée des restrictions des visas pour l’UE accordés à ses ressortissants, de l’ouverture d’un nouveau chapitre des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE ainsi que d’une aide financière destinée à couvrir une partie du coût de l’accueil des réfugiés sur son sol. Les réfugiés et migrants qui réussiraient malgré cela à atteindre les îles grecques se verront refoulés vers la Turquie. Précisons que si les engagements turcs ont été tenus, ceux de l’UE ne l’ont pas été, élément sur lequel Erdogan ne cesse de jouer.

L’une des dispositions les plus scandaleuses de l’accord UE-Turquie se trouvent dans la règle du « un contre un » concernant les réfugiés syriens, à savoir que ceux-ci ne seront acceptés sur le sol de l’UE qu’en tant que contrepartie d’un nombre égal renvoyés sur le sol turc, et ce dans la limite de 72 000 personnes. Par ailleurs, l’accord se traduit par une dégradation dramatique des conditions de séjour des 60 000 réfugiés et migrants piégés en Grèce : les centres d’accueil, tout particulièrement ceux situés dans les îles, se trouvent transformés en centres de rétention fermés tandis que des milliers de fonctionnaires de Frontex sont dépêchés sur place pour prêter main-forte aux autorités grecques et renforcer la militarisation de la frontière. Le renvoi massif des demandeurs qui se voient refuser l’asile a été jusqu’à présent évité, suite aux nombreux recours devant les tribunaux, mais cet acquis est fragile, car les autorités grecques, sous l’étroite supervision de l’UE, renforcent les pressions pour que l’accord UE-Turquie soit intégralement appliqué[25]. Reprise en main par l’Etat grec et les fonctionnaires de l’UE des commissions qui traitent des demandes et des recours, et, surtout, engagements fermes contractés le 8 décembre dernier auprès de la Commission Européenne, et de son « coordinateur pour l’application de l’accord UE-Turquie » Martin Verwey, pour accélérer les reconduites des demandeurs d’asile et « désengorger » en quelques mois les îles où se retrouvent piégés réfugiés et migrants, la capitulation sur ce dossier comme sur tous les autres, du gouvernement de Syriza est patente[26].

Quant aux conditions matérielles de séjour, elles demeurent intolérables, démonstration évidente de la faillite d’une politique conjointement menée par l’UE et les autorités grecques qui consiste à sous-traiter aux ONG – plus exactement à des ONG sélectionnées en fonction de leur disposition à « coopérer » avec les autorités – les fonctions que l’Etat grec défaillant n’est plus en mesure d’assumer. Comme le souligne un acteur qui entend rester anonyme d’une ONG engagée sur le terrain, l’incapacité à satisfaire les besoins élémentaires d’à peine 60 000 réfugiés, dans un pays en paix membre de l’UE, révèle de façon éclatante l’« échec des organisations d’assistance humanitaire »[27]. Il y a toutefois davantage : avec la transformation des centres d’accueil et d’enregistrement des migrants, simple étape d’un parcours appelé à se poursuivre, en lieux d’enfermement, de « relocalisation » et de gestion des renvois « la Grèce est devenue, comme l’Italie, un terrain d’expérimentation des politiques européennes du verrouillage des frontières et de la dissuasion des migrations »[28].

Pour conclure sur ce point, l’accord entre l’UE et la Turquie ne constitue pas une faute, une transgression des soi-disant « valeurs européennes » car celles-ci ont depuis longtemps sombré dans les eaux de la Méditerranée avec les dizaines de milliers d’êtres humains qui y ont péri. Elle s’inscrit dans le droit fil de la logique qui a présidé dès le départ à la « construction européenne » et qui a fait de la frontière entre l’UE et le reste du monde une ligne qui sépare en fin de compte la pleine humanité, blanche et européenne, de la sous-humanité vouée à une « vie précaire » et à une mort anonyme dont les eaux de Lampedusa ou de Lesbos sont devenues les éternels témoins.

La Grèce sous le régime de la Troïka, moment de vérité de l’UE

J’en viens maintenant à quelques remarques sur la Grèce comme « frontière interne » de l’Europe, comme avant-poste, ou, si l’on préfère, comme laboratoire de la lutte des classes telles que les classes dominantes la mènent avec une vigueur renouvelée. Quand on parle des politiques appliquées à la Grèce, on utilise souvent les mots de politiques d’austérité. C’est juste, bien entendu, mais c’est aussi en partie trompeur car, de l’austérité, il y en a partout, en Grèce comme en France aussi bien qu’au Royaume-Uni, qui s’apprête à quitter l’UE, et cela pour une raison simple. L’austérité, et, plus généralement, l’approfondissement des politiques néolibérales, désignent la stratégie de sortie de crise adoptée depuis 2008 par les classes dominantes pour faire face aux contradictions du régime financiarisé d’accumulation qui se manifestées ces dernières années. Il y a pourtant une spécificité grecque comparable à celle dont il a été question à propos du régime des frontières. Cette spécificité c’est un régime politique d’exception instauré sous la forme la plus achevée et la plus durable en Grèce et, sous une forme plus diluée, dans la périphérie du sud de l’Europe. Ce régime s’est construit par étapes successives, il s’est institutionnalisé autour d’un dispositif dont le signifiant est utilisé par les Grecs pour nommer la période que traverse leur pays depuis sept ans : les mémorandums, en anglais, langue-reine en la matière, Memorandums of Understanding – ou MoUs comme ils sont parfois désignés.

En quoi consistent ces mémorandums, au nombre de trois depuis 2010 – sans compter les multiples accords et train de mesures qui en réactualisent les principales dispositions ? Au cœur de la crise grecque, ainsi que celle des pays de la périphérie européenne se trouve le surendettement, à la fois privé et public, qui traduit lui-même des tendances lourdes à la polarisation économique au sein même de l’UE et tout particulièrement de la zone euro. Ainsi, la Grèce, le Portugal, l’Irlande et, dans une moindre mesure, l’Espagne ont connu des situations de surendettement alors que l’Allemagne ne cesse de crouler sous les excédents. En arrière-fond de la crise de la dette se trouve donc une configuration européenne qui tend à creuser de plus de plus en clairement les écarts entre des pays du centre et une périphérie, ou plutôt des périphéries, car à la périphérie sud interne à l’UE vient s’ajouter la seconde, celle de l’est, depuis longtemps réduite à un statut de Mezzogiorno européen, pourvoyeur de main d’œuvre bon-marché. Surendettés, les pays de la « première » périphérie se sont ainsi trouvés dans l’impossibilité d’emprunter sur les marchés, comme les y obligent les règles de la zone euro, et ont dû recourir à des « plans d’aide », c’est-à-dire à des emprunts accordés par les institutions de l’UE, avec la participation du FMI. Les mémorandums ne sont pas autre chose que les accords signés par ces pays, en commençant par la Grèce, en contrepartie des prêts obtenus et qui visent à assurer qu’ils continuent à rembourser leurs dettes. Le mécanisme qui s’est mis en place consiste ainsi à s’endetter de nouveau pour rembourser une dette préexistante, quitte à se retrouver, au bout de l’opération, avec un niveau d’endettement encore supérieur – ce qui s’est effectivement réalisé dans le cas de la Grèce.

Les mémorandums ne sont pas autre chose que la liste des conditions imposées par les créanciers en contrepartie des emprunts accordés. Ce sont des documents qui font des milliers de pages, à peu près un millier pour le texte de l’accord à proprement parler, complété des milliers de pages d’annexes. Ils ont été votés à chaque reprise par le parlement grec selon des procédures expéditives, véritable simulacre de débat parlementaire, lequel n’a jamais excédé les 48 heures. Ainsi le troisième mémorandum, fruit de la capitulation de Tsipras de juillet 2015, a été voté par le parlement grec en moins de 24h un mois plus tard. Il y avait même non seulement, comme à l’accoutumée une date butoir mais également une heure précise fixée par l’UE pour que le parlement vote le texte. Le débat à proprement parler a duré environ sept heures, pour un document d’un millier de pages, communiqué aux parlementaires par mail la veille à 17 heures, sans même avoir été traduit, l’essentiel du texte ayant été expédié en anglais. Il en a été de même pour les paquets de mesures d’austérité votés depuis 2010, tous approuvés selon les mêmes procédures expéditives par un parlement réduit au rôle de chambre d’enregistrement des conditions dictées par les créanciers.

Pour humiliante qu’elle soit, la procédure n’est pas simplement de l’ordre du symbole. Ce qui est en jeu ici, c’est bien le démantèlement de la souveraineté nationale et populaire. J’insiste sur les deux termes : pour imposer la « thérapie de choc », massivement rejetée par la population, il fallait détruire la démocratie, y compris sous sa forme représentative, fort limitée et problématique par ailleurs, donc bafouer toute notion de souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il était indispensable d’utiliser la machinerie de l’UE pour démanteler la souveraineté nationale, remodeler en profondeur l’Etat grec lui-même, son fonctionnement institutionnel et la matérialité même de ses moyens d’action les plus essentiels.

La logique de ces mémorandums n’a rien de bien original, ce n’est pas autre chose que les programmes d’ajustements structurels qui ont été auparavant appliqués dans les pays du sud, sous les auspices du FMI. Leurs ingrédients de base sont invariants : limitation drastique de la dépense publique, dérégulation massive de l’économie, à commencer par celle du marché du travail, diminution drastique du « coût du travail », c’est-à-dire des salaires et des prestations sociales, privatisation de ce qui reste de ressources et d’entreprises publiques. La seule originalité c’est qu’ils s’appliquent pour la première fois à un pays européen « occidental », pas à la seconde périphérie issue du camp socialiste. Et pour ce faire, le FMI joue un rôle essentiel mais relativement auxiliaire, puisqu’il a été appelé à la rescousse par ce qu’on appelle la Troïka, qui réunit les bailleurs de fond de la Grèce depuis la mise en œuvre des « plans d’aide », c’est-à-dire la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI. Avec le troisième mémorandum la Troïka est devenue le « quatuor », du fait de la participation du Fond monétaire européen de stabilité, et elle est maintenant désignée comme « les institutions » pour faire oublier le nom initial, devenu difficile à porter.

Le but recherché par la mise en œuvre des mémorandums est de dégager des excédents budgétaires élevés – actuellement de l’ordre de 3,5% du PIB, appelés à perdurer au-delà même de 2018, date à laquelle vient à échéance l’accord actuellement en cours. Ces excédents sont intégralement consacrés au remboursement de la dette et visent à la rendre « soutenable », à savoir remboursable sans recours à de nouveaux plans d’aide. Par ailleurs, la baisse du coût du travail et la dérégulation de l’économie sont censés apporter des gains de compétitivité, attirer des investissements et conduire à terme à un redressement de l’économie.

Le résultat, on le sait, est un désastre sans précédent depuis les années 1930, pire que celui provoqué par la dernière guerre mondiale. En sept ans, la Grèce a perdu plus d’un quart de son PIB, elle est descendue du 28e au 38e rang mondial dans le classement correspondant, derrière la Slovénie, le Portugal et la Tchéquie et dans le voisinage immédiat des pays baltes, mais également de plusieurs pays latino-américains (Uruguay, Barbade, Trinidad, Chili). Dit autrement, en 2009, le PIB par habitant de la Grèce représentait 71% de celui de l’Allemagne, 69% de celui de la France, et était supérieur de 62% de celui de la Corée (du Sud). En 2016, il était estimé à 43% de celui de l’Allemagne, à 47% de celui de la France et il était devenu inférieur de 31% de celui de la Corée[29]. Le pays se trouve toujours plongé dans la récession, dont seul le rythme s’est atténué et ce malgré des années touristiques exceptionnelles du fait de l’évolution du contexte géopolitique régional. Le taux de chômage officiel est de 23%, supérieur à 50% pour les jeunes. Plus d’un tiers de la population se trouve exposé au risque de pauvreté (35,7%), seules la Roumanie et la Bulgarie enregistrant un taux supérieur au sein de l’UE[30]. Signe infaillible des situations de détresse, le pays se vide de ses forces vives. Plus de 400 000 Grecs ont quitté le pays depuis 2010, auxquels ils convient d’ajouter plus de 200 000 travailleurs immigrés qui s’y étaient installés. Près de 70% des Grecs qui émigrent sont titulaires d’un diplôme universitaire et plus de la moitié appartiennent à la tranche d’âge des 25-39 ans, la plus cruciale dans la pyramide de la population active[31].

Dernier élément – mais certainement pas le moindre – à ajouter à ce terrible tableau : la faillite de cette politique ne se mesure pas seulement à l’étendue des effets destructeurs qu’elle a provoqués mais à sa totale incapacité à régler la question de la dette publique de la Grèce, qui fut pourtant à l’origine du recours à ces « plans d’aide », dont il est devenu évident qu’ils n’ont profité qu’aux créanciers du pays, banques grecques et européennes et institutions de l’UE qui, flanquées du FMI, ont pris le relais[32]. D’un ratio de 120% du PIB lorsque, en 2010, la Grèce a conclu le premier mémorandum, la dette publique s’élève actuellement à 180% du PIB, et ce malgré un effacement partiel – par ailleurs plutôt avantageux pour la plupart des créanciers – survenu en 2012. Déclarée « hautement non-soutenable » par le FMI lui-même, elle est devenue le symbole de l’absence totale d’issue positive de la politique d’asservissement et de pillage ininterrompus menée durant ces années.

Vers un néocolonialisme interne

Ces données suffisent, il me semble, à suggérer, autant que des chiffres le permettent, la violence et la dévastation qui se sont abattues sur ce pays et qui continuent sans discontinuer à produire leurs effets mortifères. Il ne faut pourtant pas s’arrêter là, car ce qu’il s’agit de comprendre c’est le dispositif précis qui a permis à un tel rouleau compresseur de poursuivre son œuvre, avalant de la sorte trois gouvernements successifs issus de la quasi-totalité du spectre politique, du social-libéralisme bon teint de Georges Papandréou à la droite dure de Samaras jusqu’à, moyennant une sidérante volte-face, la gauche radicale de Syriza. L’institutionnalisation des mémorandums, leur transformation en un véritable régime contournant l’ordre constitutionnel normal, s’appuie sur un certain nombre de mécanismes qui ont altéré en profondeur la substance même de l’Etat grec et du fonctionnement des institutions.

Tout d’abord, conséquence immédiate des objectifs macroéconomiques listés de façon exhaustive dans les pages du document, qui touchent à la totalité des dépenses de l’ensemble des lignes budgétaires – de l’Etat central jusqu’à la moindre administration communale – la politique budgétaire est désormais placée sous pilotage automatique. Les dispositions contenues dans les milliers de pages des mémorandums détaillent les mesures que le gouvernement s’engage à appliquer et, surtout, fixe un échéancier précis, au mois près. Mais l’essentiel réside peut-être dans le dispositif de surveillance de la mise en œuvre de ces mesures. Tous les trimestres, se déclenche la procédure des « revues », barbarisme servant à traduire le terme anglais review, qui signifie « évaluation ». La Troïka envoie donc ses fameux hommes en noir à Athènes, qui épluchent les comptes de l’ensemble des administrations et organismes publics. Dans un premier temps, ils se déplaçaient eux-mêmes dans les divers locaux ministériels pour fouiner, depuis le gouvernement Syriza ils sont cantonnés à l’hôtel Hilton et sont devenus, dans le parler populaire, le « gouvernement du Hilton ». En réalité, ils ont placé de façon permanente, dans des positions stratégiques de l’appareil d’Etat, des gens de confiance, qui leur fournissent l’information requise à intervalles réguliers. L’une des choses que le premier gouvernement Syriza a découvert quand il a pris ses fonctions, c’est que la Troïka connaît beaucoup mieux que n’importe quel gouvernement grec ce qu’il en est du moindre poste de dépense de la moindre administration publique dans le pays. Ce n’est que si les envoyés de la Troïka estiment que les objectifs assignés sont bien tenus, que la « revue » peut être considérée comme complétée et que l’Eurogroupe donne le feu vert pour le versement de la tranche des prêts qui sont prévus dans l’échéancier du mémorandum.

Si le feu vert n’est pas accordé, pas de versement ! Et pas de versement signifie eo ipso faillite car la Grèce n’est toujours pas en position de financer le remboursement de sa dette en empruntant sur les marchés et se refuse obstinément à prendre l’initiative d’une cessation de paiements, qui, comme le démontre l’expérience historique, est le point de départ indispensable de toute négociation de la dette en faveur du débiteur. A chaque fois, il a fallu donc se plier à la lettre aux exigences des créanciers, qui à l’occasion de chaque procédure d’évaluation ont exigé – et obtenu – l’adoption de mesures d’austérité supplémentaires, rendues « nécessaires » par l’incapacité de tenir des objectifs d’autant plus irréalistes qu’ils se heurtent à chaque fois aux effets récessifs que le cadre austéritaire a engendré. Tel est donc le mécanisme infernal qui s’est mis en place dès le premier mémorandum, et qui n’a connu qu’une brève période de suspension, quand le premier gouvernement Syriza a tenté, entre janvier et juillet 2015, de façon dramatiquement inadéquate et autodestructrice, de résister à la Troïka.

La capitulation de Tsipras et de la majorité de son équipe en juillet 2015 a conduit à la signature d’un troisième mémorandum, qui représente un approfondissement qualitatif dans l’entreprise de destruction de la souveraineté nationale de l’Etat grec. C’est en fait à un véritable démantèlement du cœur même de l’appareil d’Etat auquel on assiste. Relevons-en rapidement les principaux axes : de politique budgétaire autonome, il ne saurait de toute façon en être question puisque, d’entrée de jeu, le mécanisme des mémorandums et des « revues » s’y est substitué. La politique monétaire est depuis longtemps à Francfort, aux mains de la BCE et ses instances « indépendantes ». L’approvisionnement en liquidité fût le bazooka pointé par M. Draghi, et avant lui par M. Trichet, sur tout Etat soupçonné du moindre écart par rapport aux politiques dictées par l’UE – rappelons ici qu’avant le goulot d’étranglement des liquidités appliquée à la Grèce, l’Irlande et Chypre avait déjà fait l’objet de menaces du même type.

Mais ce dernier mémorandum, celui que met en œuvre un gouvernement de « gauche radicale », prévoit d’aller encore plus loin. C’est maintenant le « secrétariat général aux recettes publiques », c’est-à-dire l’équivalent du service du Trésor public chargé de la collecte de l’impôt, qui devient une instance « indépendante », dont le responsable est nommé par le gouvernement seulement après avoir recueilli l’assentiment de la Troïka/Quatuor. Le principe est ici le même que celui qui a présidé à la création de banques centrales « indépendantes », c’est-à-dire non soumises au contrôle du politique et directement reliées à des instances supranationales, en l’occurrence celles qui représentent les intérêts des créanciers, dont elles se chargent en fin de compte d’exécuter les commandements.

Cette agence « indépendante » de collecte de l’impôt se voit accompagnée d’un « conseil fiscal » composé de cinq membres, dont la nomination doit de nouveau être approuvée par la Troïka/Quatuor, qui, au moindre soupçon de déviance par rapport aux objectifs d’excédents budgétaires, peut décider de coupes dans les dépenses publiques automatiquement exécutoires, à savoir sans nécessiter l’approbation du parlement. De surcroît, la totalité des biens de l’Etat grec sont placés sous séquestre afin d’être privatisés. En charge de l’opération se trouve encore un fond « indépendant », chargé de mener des privatisations du patrimoine public à hauteur de 50 milliards, un montant totalement inatteignable même en vendant jusqu’au dernier tapis de ministère. Cet organisme, dont la tête est constituée de personnes de confiance des créanciers, est clairement d’inspiration allemande, modelé sur la fameuse Treuhand chargée de liquider le patrimoine public de l’ancienne RDA. Et les affaires vont déjà bon train, avec la privatisation des aéroports régionaux, du port du Pirée, des terrains de l’ancien aéroport d’Athènes, de segments idylliques de la côte, des compagnies d’électricité et d’eau, et la liste de la braderie est encore fort longue. La Grèce est devenue littéralement un « pays à vendre »[33]. Pour compléter le tout, l’ensemble du système bancaire, dont la recapitalisation avait déjà coûté 40 milliards, entièrement couverts par des emprunts aux frais du contribuable grec, a été bradé à des fonds spéculatifs pour le dixième de ce montant.

Dépossédé de tout contrôle sur sa politique budgétaire et monétaire, l’Etat grec se voit désormais privé de tout levier d’action, y compris ceux qui concernent des attributions régaliennes telles que la collecte de l’impôt. Les institutions représentatives, à commencer par le parlement, sont réduites à un décorum, dépossédées de la capacité de suivre l’exécution d’un budget dont les lignes échappent de toute façon à son contrôle. Cette destruction de la souveraineté étatique s’accompagne de la mise en place d’une variante particulièrement brutale d’« accumulation par dépossession », pour utiliser le concept de David Harvey[34], basée sur le bradage du patrimoine public et le saccage des ressources naturelles et de l’environnement dont bénéficient à la fois des fractions prédatrices de capitaux nationaux et étrangers. Pour le dire de façon abrupte, la Grèce se transforme en néocolonie, la fonction de son gouvernement national, quelle que soit sa couleur, ne différant de celle d’un administrateur colonial, le simulacre de négociations auxquels se livrent les deux parties à l’occasion de cette interminable série de réunions de l’Eurogroupe et de sommets européens ne servant qu’à maquiller superficiellement cet état de fait.

Ce néocolonialisme doit toutefois être compris dans sa spécificité : il ne diffère pas simplement du colonialisme classique, basé sur la conquête militaire et l’occupation territoriale. Il est également distinct du modèle postcolonial de maintien de relations multiformes de dépendance politico-économique entre l’ancienne puissance coloniale et les nations devenues indépendantes, même si les points communs existent, notamment dans l’appropriation prédatrice de ressources diversifiées du pays.

L’asservissement de la Grèce s’inscrit bien sûr, comme l’a montré Eric Toussaint[35], dans la longue histoire d’utilisation de la dette comme « arme de dépossession » des classes populaires et des nations dominées, et cela avant même l’ère capitaliste. La Grèce n’est toutefois pas une colonie de l’Allemagne, même si l’Allemagne est la force hégémonique en Europe et le protagoniste incontesté dans la gestion politique de la crise grecque. Il est par ailleurs difficile de parler d’un « impérialisme européen » au sens d’une entité unifiée dont l’UE serait l’expression politique, même si, nous l’avons suggéré, la structure de l’UE conduit à une polarisation et à une fracturation croissante de l’espace économique et politique sur lequel s’étend son emprise.

Le régime néocolonial doit ici être compris comme « colonialisme interne » à l’ensemble constitué par l’UE, cas avancé d’un régime de subordination issu des contradictions fondamentales qui traversent l’entreprise de « construction européenne », dont la bourgeoisie grecque est pleinement partie prenante. Confrontée à une crise majeure qui, partant de l’économie, s’est généralisée et étendue vers le système politique, celle-ci a préféré, une fois de plus, accepter la destruction partielle de sa base économique et la vassalisation de son Etat national pour contrer efficacement la déstabilisation potentielle portée par la révolte des classes populaires. Le schéma s’approcherait ici davantage de celui de l’intégration subalterne du Sud italien dans l’Etat national constitué sous le Risorgimento, dont Gramsci a démontré les bases structurelles, fruit d’un compromis entre les élites méridionales de propriétaires terriens et la bourgeoisie commerçante et industrielle du nord[36]. C’est ce compromis, effectuée aux dépens de la paysannerie et de la réforme agraire qui aurait permis son émancipation, qui explique pourquoi le Mezzogiorno est voué à reproduire, fût-ce sous des formes modifiées, le « sous-développement », la position subalterne qui est la sienne dans le cadre du nouvel Etat national.

Malgré ces limites, car l’UE n’est précisément pas, à l’instar d’un Etat national, une entité unifiée, expression d’un « peuple européen » (au sens d’un démos, d’un sujet souverain) décidément introuvable, ce parallèle avec le colonialisme interne du Mezzogiorno permet de mieux saisir la signification des représentations racistes qui ont ressurgi avec force à l’occasion de la crise grecque. On a vu en effet ressortir les stéréotypes orientalisants visant à stigmatiser les « cigales » du Sud, paresseuses et corrompues, qui en appellent à la générosité du Nord vertueux pour maintenir leur rente de situation. Ce qu’il faut pourtant souligner c’est que, même s’il réactive un répertoire préexistant de représentations dévalorisantes, ce racisme n’est ni une survivance ni une régression vers un passé que l’on croyait avoir surmonté mais bien le produit des contradictions nouvelles qu’engendre précisément le processus de « construction européenne ». C’est parce que celui-ci se fonde sur la dénégation permanente des écarts polarisants qu’il engendre, et parce qu’il dénie non moins vigoureusement l’examen critique des représentations qui fondent la version dominante de l’« européanité », issues d’une longue histoire de domination coloniale et impérialiste, que ce processus alimente les flambées actuelles de racisme et rend compte de leur labilité[37]. Le racisme européen actuel cible ainsi tant les européens de seconde ou troisième catégorie des périphéries internes (le « Grec paresseux » avoisine ici avec le « Polonais qui vient voler le travail d’autrui » dans une sorte d’unité des contraires) que, avec une violence encore supérieure, l’Autre non-européen, non-blanc et « musulman ».

Pour revenir aux catégories gramsciennes, je ne peux ici que le suggérer, la catégorie de « révolution passive », dont le Risorgimento fournit un cas paradigmatique, me semble adéquate pour analyser les processus menés actuellement sous les auspices du « césarisme bureaucratique » que génère la gestion de la dernière crise capitaliste par les institutions de l’UE[38]. En ce sens, il faudrait comprendre la capitulation de Syriza et sa digestion rapide par le régime néocolonial, dont il constitue actuellement le principal – mais ô combien fragile – pilier politique, comme un cas typique de « transformisme », d’écrémage et de cooptation des groupes dirigeants issus des groupes subalternes dans le dispositif existant de la domination. Rappelons ici que, pour Gramsci, le transformisme servait précisément de substitut à un véritable compromis social, impliquant des concessions aux classes subalternes et leur intégration comme force active dans les dispositifs de la société civile, fût-ce dans un cadre délimité et compatible avec la reproduction de leur position dominée. Il constitue, en d’autres termes, l’indice d’une « domination sans hégémonie », qui désigne bien la « composition organique du pouvoir », pour reprendre le terme de Ranajit Guha[39], qu’exemplifie et condense l’UE.

Conclusion  

Ce que montre le cas de la Grèce, c’est que le régime d’exception mis en place à l’occasion de la crise de surendettement a instauré une nouvelle ligne de fracture, à l’intérieur même de cette aire qui, juste avant la crise, faisait partie de l’ensemble relativement homogène des pays de l’Europe de l’ouest. La violence avec laquelle cette frontière interne, latente lors de la phase intérieure, pendant laquelle la croissance économique a servi à masquer les disparités croissantes, surgit lors de la crise renvoie toutefois à un phénomène qui excède la simple dimension économique.

Frontière interne et frontière externe ont de fait convergé dans un régime néocolonial chargé de gérer aussi bien la thérapie néolibérale de choc infligée à un pays à la dérive qu’un flux de population migrante mettant à l’épreuve le régime de frontière de la « forteresse Europe ». Le « point de vue de la Grèce » permet ainsi de capter dans toute son acuité la vérité de l’« Etat sécuritaire »[40] qui émerge de l’intérieur de l’UE en tant que celle-ci réalise la constitutionnalisation des politiques néolibérales à travers un dispositif soustrait à toute forme de contrôle démocratique. La prolifération à tous les niveaux d’instances échappant aux règles des institutions représentatives, auxquelles sont confiées un nombre grandissant de fonctions étatiques, l’interpénétration de plus en plus étroite entre les sommets bureaucratiques des Etats nationaux, mais, davantage encore, ceux de l’UE et les intérêts des grands groupes capitalistes et financiers[41], ainsi que le recours croissant à des méthodes répressives constituent deux aspects majeurs de cette forme politique, version radicalisée de l’« étatisme autoritaire » dont Nicos Poulantzas avait diagnostiqué la montée dès la fin des années 1970[42].

Les méridionaux de la périphérie interne, européens de seconde zone et Blancs déjà imprégnés d’Orient, sont ainsi appelés non seulement à consentir de vivre sous un régime de dépossession indéfinie de leur souveraineté politique et économique mais, de surcroît, de bien vouloir continuer à jouer les garde-chiourmes de la forteresse pour épargner aux pays du centre le désagréable spectacle de hordes de nécessiteux et de persécutés venant s’échouer sur des rivages de Lampedusa ou de Lesbos.

Si l’on resserre la focale au cas de la Grèce, le constat de son succès s’impose, même si, à moyen terme, son maintien est loin d’être assuré. Ce régime a néanmoins réussi à s’institutionnaliser et à se stabiliser, donc à engendrer une forme de « normalité », ce qui est un succès d’autant plus remarquable que la faillite des politiques économiques mises en œuvre est patente. La clé de ce succès réside dans la capacité dont il a su faire preuve à passer le test de l’arrivée au pouvoir d’une force politique qui se présentait à l’origine comme un adversaire, et qui, par un processus alliant coercition (économique) et persuasion en est devenue un serviteur efficace. Cette expérience, unique dans sa radicalité, de transformisme politique exerce un effet dévastateur et durable sur les capacités de résistance des classes subalternes et obère, pour une période au moins, la possibilité de formation d’une contre-hégémonie des subalternes.

Le deuxième succès de ce régime réside dans le fait qu’il a pu faire remplir son rôle de laboratoire des politiques néolibérales radicalisées dont l’aire d’application, sous des formes certes différenciées, n’est nullement restreinte à la Grèce ou même aux pays de la périphérie de l’UE. En ce sens, il est clair que, pour prendre cet exemple, la politique de « réformes structurelles » exigées par les instances bruxelloises à la France, au premier rang desquelles figure la liquidation du code du travail, est dans le droit fil de ce que les mémorandums ont mis en place dans le sud Européen. A entendre le programme du candidat Fillon par exemple, dont Macron a présenté une version édulcorée en matière économique et sociale, une oreille grecque distingue sans peine la familière musique des Mémorandums, et même une bonne partie des paroles. A une différence près toutefois, qui est de taille : il manque la Troïka au sens strict. Bien sûr, les pactes européens, celui dit « de stabilité et de gouvernance », celui pour l’euro (dit « Euro plus »), ainsi qu’un ensemble de règlementations (Six Pack et Two Pack) ont resserré davantage encore le corset néolibéral et ce pour l’ensemble des pays. Les marges de manœuvre ne sont toutefois, à l’évidence, pas du même ordre selon qu’on se trouve à Athènes, à Paris ou à Amsterdam.

Pour le dire autrement, le régime néocolonial ne peut se généraliser, ni, a fortiori, être transposé en tant que tel dans un pays du « centre » européen. Il reste le signe distinctif du statut de « périphérie interne », dont le « centre » a toutefois besoin s’il veut maintenir ce qui reste de crédibilité à un projet d’« intégration européenne » déjà considérablement malmené par le rejet venant d’en bas, dont le Brexit est l’un des symptômes les plus éloquents. Par ailleurs, ce régime remplit une fonction idéologique de disciplinarisation fort utile pour les classes dominantes. La façon dont la Grèce turbulente a été matée, et dont ses dirigeants supposés rebelles sont devenus de dociles – bien que très peu fiables – serviteurs de l’ordre néocolonial en fait un cas d’école. Si l’on ne veut pas connaître les déboires des Grecs, mieux vaut se tenir à carreau et obéir aux injonctions bruxelloises, qui finiront de toute façon par s’imposer comme l’illustre de façon éclatante la gloire fanée d’Alexis Tsipras.

Là réside sans doute le cœur de la question. Car c’est bien entendu par ce qu’elle a révélé de l’impuissance et des illusions de la gauche dite « radicale » que l’expérience grecque nous intéresse au premier chef. C’est par son incapacité à comprendre les mécanismes extrêmement puissants qui ont façonné ce nouvel espace hiérarchisé, polarisé, radicalement soustrait à toute possibilité de contrôle populaire, que les forces de la gauche qui ont essayé d’impulser des ruptures, même partielles, avec ce régime ont lamentablement échoué. Cette absence de compréhension ne relève toutefois pas d’une simple bévue intellectuelle. Son fondement est politique, il renvoie au refus d’un véritable affrontement avec les forces dominantes, lui-même dérivé de l’intériorisation par la gauche de sa défaite historique. L’aveuglement européiste a joué à cet égard un rôle capital : le ralliement au discours dominant, qui présente l’adhésion au projet de l’UE comme preuve d’« internationalisme » et de défense de « valeurs d’ouverture », a interdit de penser la nécessité de ce que l’on appelle un « plan B », qui comportait la sortie de la zone euro, comme outil indispensable pour résister au chantage de la Troïka.

Telle est donc la leçon amère de la Grèce pour les forces de la transformation sociale et de la lutte anticapitaliste. Si l’on n’est pas disposé à aller jusqu’au bout dans une logique de confrontation et de rupture avec la cage de fer qui s’appelle Union Européenne, on est fatalement conduit vers la capitulation. La vaine recherche d’une troisième possibilité n’a fait que préparer la voie à cette débâcle aux conséquences écrasantes, pour le peuple grec bien sûr mais aussi pour les peuples européens. Aucune réflexion stratégique ne peut sérieusement débuter si d’emblée n’est pas posée la nécessité d’une confrontation avec la structure institutionnelle de l’UE, expression concentrée de la violence des politiques néolibérales et impériales qui condamnent à une vie précaire déshumanisée, quand ce n’est pas à la mort pure et simple, des populations entières.

La destruction de l’UE s’impose ainsi comme l’une des tâches les plus urgentes, les plus radicales, mais aussi les plus compliquées du combat pour l’émancipation de notre temps.

Notes

[1] Ce texte est une version augmentée et actualisée d’une intervention effectuée aux 4èmes Rencontres d’histoires critique, organisées par la revue Cahiers d’Histoire, qui se sont tenues à Gennevilliers le 28 novembre 2015. Il sera repris dans l’ouvrage collectif « Nation(s)/Mondialisation(s): toute une histoire », sous la direction de Marie-Claude L’Huillier et Anne Jollet, L’Harmattan, Collection ‘Histoire, Textes, Sociétés’, à paraître à l’automne 2017. Je remercie Pascale Arnaud pour la transcription de mon propos et Marie-Claude L’Huillier dont l’amicale insistance a permis à ce texte de voir le jour.

[2] Pour une analyse historique de la construction de l’« Europe forteresse » cf. Fran Cetti, « Fortress Europe : The War against Migrants », International Socialism Journal, n° 148, 2015, p. 45-74 disponible sur isj.org.uk/fortress-europe-the-war-against-migrants/.

[3] Chiffres du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR). Cf. Babels [collectif de chercheur-se-s de l’EHESS], De Lesbos à Calais. Comment l’Europe fabrique des camps, Le passager clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2017, p. 8.

[4] Ibid.

[5] Sur cette notion lire Nicholas De Genova « The Crisis of the European Border Regime : towards a Marxist Theory of Borders », International Socialism Journal, n° 150, printemps 2016, p. 31-54 disponible sur isj.org.uk/the-crisis-of-the-european-border-regime-towards-a-marxist-theory-of-borders/ .

[6] Ibid.

[7] Babels, De Lesbos à Calais…, op. cit., p. 15.

[8] Cf. Carine Fouteau, « Le plan européen pour éloigner les demandeurs d’asile », Mediapart, 30/7/2016 mediapart.fr/journal/international/280716/le-plan-europeen-pour-eloigner-les-demandeurs-d-asile?onglet=full Les conclusions du Conseil de l’UE du 23 mai 2016 sont disponibles sur http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9111-2016-INIT/fr/pdf

[9] On lira à ce propos l’ouvrage du collectif de chercheur-se-s de l’EHESS Babels, La mort aux frontières de l’Europe : retrouver, identifier, commémorer, Le passager clandestin, Neuve-en-Champagne, 2017, ainsi que la remarquable compilation des articles de Carine Fouteau rassemblés dans le dossier « La Méditerranée cimetière migratoire » sur le site de Mediapart mediapart.fr/journal/dossier/international/la-mediterranee-cimetiere-migratoire.

[10] Les chiffres et ceux qui suivent pour les années 2014 à 2017 sont eux du Missing Migrant Project de l’International Organization for Migration. Cf. iom.int/news/mediterranean-migrant-arrivals-top-363348-2016-deaths-sea-5079 et missingmigrants.iom.int/ ainsi que ‘Migrant Deaths and Disappearances Worldwide : 2016 Analysis’, Global Migration Data Analysis, Data Briefing Series, n° 8, mars 2017.

[11] Pour une présentation d’ensemble et une discussion des chiffres cf. Tamara Last, Thomas Spijkerboer, « Tracking Deaths in the Mediterranean », in Tara Brian & Frank Laczko (dir.), Fatal Journeys. Tracking Lives Lost in Migration, International Organization for Migration, Genève, 2014, p. 85-108. Voir également le site de Fortress Europe fortresseurope.blogspot.co.uk/.

[12] Cf. themigrantsfiles.com/

[13] Babels, La mort aux frontières de l’Europe…, op. cit., p. 13.

[14] Ibid., p. 18.

[15] Tamara Last, Thomas Spijkerboer, « Tracking Deaths in the Mediterranean », art. cit., p. 88.

[16] Babels, La mort aux frontières de l’Europe… , op. cit., p. 23.

[17] Source: International Organization for Migration iom-nederland.nl/en/406-migrant-arrivals-by-sea-in-italy-top-170-000-in-2014.

[18] Cf. Carine Fouteau, « Morts en Méditerranée : ‘les dirigeants européens n’ont plus d’excuse’ », Mediapart, 22/4/2015 mediapart.fr/journal/international/220415/morts-en-mediterranee-les-dirigeants-europeens-n-ont-plus-d-excuses . Cet article donne également accès à l’intégralité du rapport accablant d’Amnesty International.

[19] Alexandre Pouchard, « Migrants en Méditerranée : après ‘Mare Nostrum’, qu’est-ce que l’opération ‘Triton’ ? », Le Monde, 20/4/2015 lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html.

[20] Federica Mogherini, « Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec l’opération Sophia », Entretien avec Cécile Ducourtieux, Le Monde, 16/4/2016 lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html

[21] Babels, La mort aux frontières de l’Europe… , op. cit., p. 30.

[22] Le barbelé en question, conçu dans les années 1970 pour sécuriser les installations militaires de l’OTAN en Allemagne, à l’époque cibles d’attentats de la Fraction Armée Rouge, est indestructible et équipé de lames spéciales conçues pour provoquer des lésions léthales à quiconque s’y ferait piéger. Les tribunaux allemands ont interdit sa vente aux particuliers et la société qui le fabrique (Mutanox) a refusé d’en vendre au gouvernement hongrois qui voulait également l’utiliser pour ériger une barrière anti-migrants. Cf. Giorgos Tsiakalos, « La barrière d’Evros et les morts en mer Egée », Efimerida Syntakton, 6/11/2015 efsyn.gr/arthro/o-frahtis-toy-evroy-kai-oi-thanatoi-sto-aigaio.

[23] On trouvera un bilan détaillé de la politique du gouvernement Syriza sur les questions des migrants et du droit d’asile dans cet entretien Mania Barsefski et Thanassis Kourkoulas, « Europe’s Border Guards », Jacobin, 2/5/2016 jacobinmag.com/2016/05/europe-refugees-migrants-greece-turkey-eu-syria/ .

[24] Sur cet accord on lira les rapports accablants d’Amnesty International, A Blueprint for Despair: The EU-Turkey Deal (disponible sur amnesty.org/fr/documents/eur25/5664/2017/en/) et celui du Gisti, Accord UE-Turquie, la grande imposture (disponible sur gisti.org/spip.php?article5454).

[25] Suite à un amendement approuvé par le parlement en mars dernier, le ministre de la politique migratoire, Yannis Mouzalas, a repris en main les instances d’appel auprès desquelles les demandeurs d’asile déposent les recours et dont le refus de considérer la Turquie comme un « pays sûr » a jusqu’à présent bloqué les reconductions massives. Le même ministre a également accordé un rôle décisif dans la procédure d’examen des demandes d’asile à EASO (European Asylum Support Office), une agence de l’UE chargé d’appliquer les directives restrictives en la matière. Par ailleurs, la poursuite du blocage des reconductions en Turquie des demandeurs d’asile est suspendue à la décision imminente de la Cour Européenne des droits de l’homme qui délibère sur un recours déposé par un réfugié syrien d’origine arménienne. Cf. Dimitris Angelidis, « La procédure d’asile est livrée à l’EASO », Efimerida Syntakton, 10/3/2016 efsyn.gr/arthro/i-diadikasia-asyloy-paradidetai-sto-easo ; Dimitris Angelidis, « Deuxième avertissement pour les expulsions de réfugiés », Efimerida Syntakton, 30/5/2017 efsyn.gr/arthro/deytero-kampanaki-gia-tis-apelaseis-prosfygon.

[26] Cf. Dimitris Angelidis, “Stratégie du choc pour les reconduites », Efimerida Syntakton, 9/12/2016 http://www.efsyn.gr/arthro/stratigiki-sok-kai-deos-gia-tis-apelaseis; le texte intégral de la déclaration commune du gouvernement grec et de la Commission Européenne, ainsi que le plan d’application qui l’accompagne, sont disponibles sur europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-4321_en.htm.

[27] Secret Aid Worker, « Greece has exposed the aid community’s failures », The Guardian, 13/6/2016 theguardian.com/global-development-professionals-network/2016/sep/13/secret-aid-worker-greece-has-exposed-the-aid-communitys-failures .

[28] Babels, De Lesbos à Calais…, op. cit., p. 46.

[29] Source FMI : World Economic Outlook Database imf.org/external/pubs/ft/weo/2016/01/weodata/index.aspx

[30] Source Eurostat :

ec.europa.eu/eurostat/statistics_explained/index.php/People_at_risk_of_poverty_or_social_exclusion

[31] Cf. Sofia Lazaretou, « Fuite du capital humain : la tendance actuelle à l’émigration des Grecs durant les années de la crise », Bulletin de la Banque de Grèce, n° 43, 2016, p. 33-57 [en grec] ; Lois Labrianidis, Manolis Pratsinakis, Outward Migration from Greece during the Crisis, Final Report, London School of Economics’ Hellenic Observatory, Londres, 2014.

[32] Sur la question de la dette grecque on se reportera aux indispensables travaux de Commission pour la vérité sur la dette grecque mise en place au printemps 2015 par Zoé Kostantopoulou, alors présidente du parlement grec, et dont les travaux ont été coordonnés par le porte-parole du CADTM Eric Toussaint. Une synthèse est disponible sur le site du CADTM cadtm.org/Synthese-du-rapport-de-la. Le rapport intégral est publié sous forme d’ouvrage : CADTM, La vérité sur la dette grecque, Les Liens qui libèrent, Paris, 2014.

[33] Cf. le texte éclairant d’Eleni Portaliou « Greece, A Country for Sale », Jacobin 12/9/2016 disponible sur jacobinmag.com/2016/09/greece-tsipras-memorandum-privatization-public-assets/

[34] David Harvey, Le nouvel impérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2010.

[35] Cf. Eric Toussaint, « Cinq mille ans de dette comme arme de dépossession », article du 3/4/2017 disponible sur blogs.mediapart.fr/cadtm/blog/030417/5000-ans-de-dette-comme-arme-de-depossession

[36] Cf. notamment Antonio Gramsci, “Quelques thèmes de la question méridionale » (1926) disponible sur marxists.org/francais/gramsci/works/1926/10/gramsci_19261000.htm . Gramsci donnera une grande ampleur à ces thèmes dans les Cahiers de prison.

[37] Sur ce thème cf. Céline Cantat, « Narratives and Counter-Narratives of Europe. Constructing and Contesting Europeanity », Cahiers Mémoire et Politique, n° 3, 2015, p. 5-30 popups.ulg.ac.be/2295-0311/index.php?id=138.

[38] Cf. Cédric Durand, Razmig Keucheyan, « Bureaucratic Caesarism. A Gramscian Outlook on the Crisis of Europe », Historical Materialism, 23.2, 2015, p. 23-51 erensep.org/images/pdf/2015-04-01_keucheyan_durand1.pdf

[39] Ranajit Guha, Dominance without Hegemony. History and Power in Colonial India, Harvard University Press, 1998.

[40] Tony Bunyan, « Just Over the Horizon : the Surveillance Society and the State in the EU », Race & Class, n° 51.3, 2010, p. 1-12.

[41] Les cas de Manuel Barroso, président de la Commission Européenne entre 2004 et 2014, embauché par Goldmann Sachs juste après la fin de son mandat, et de son successeur, Jean-Claude Juncker, impliqué dans des scandales financiers liés au statut de paradis fiscal de son pays, sont emblématiques du rôle joué par les grands groupes directement auprès des instances de l’UE, notamment par le biais des lobbies basés à Bruxelles. Cf. Vicky Cahn, « De si confortables pantoufles bruxelloises », Le Monde diplomatique, septembre 2015 monde-diplomatique.fr/2015/09/CANN/53694 . Voir également les dossiers sur les liens entre instances bruxelloises et grandes multinationales rassemblés par le Corporate Europe Observatory corporateeurope.org/.

[42] Nicos Poulantzas, L’Etat, le pouvoir, le socialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2012 (1ère édition 1978).

http://www.contretemps.eu/grece-frontiere-europe-forteresse/

Appel à mobilisation pour un traité contraignant sur les multinationales

Appel à Mobilisation 23-27 octobre 2017 : pour un Traité contraignant sur les multinationales et les droits humains 16.06.2017 Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs

2017 SERA UNE ANNÉE DÉCISIVE POUR LE TRAITE CONTRAIGNANT SUR LES MULTINATIONALES ET LES DROITS HUMAINS !

En octobre 2017, à Genève, se tiendra la troisième session de négociations du Groupe de travail intergouvernemental (GTIG) de l’ONU, mandaté pour élaborer un traité contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’Homme.

Des organisations, des mouvements sociaux, des communautés affectées par les opérations des entreprises multinationales, et d’autres personnes luttant pour défendre la justice sociale et environnementale dans le monde entier, se rendront à Genève du 23 au 27 octobre 2017, à l’occasion de la troisième semaine de mobilisation pour l’élaboration d’un traité qui impose aux États et aux entreprises des obligations internationales pour garantir l’accès à la justice des communautés affectées, des groupes et des individus dont les droits ont été violés par des entreprises multinationales.

Les multinationales et leurs représentants d’intérêt ont capté le soutien de nombreux gouvernements en faisant des donations lors des campagnes électorales, en utilisant des moyens légaux ou souvent illégaux telles que différentes formes de corruption et de faveurs, ou en faisant du chantage en promettant de réaliser (ou de retirer) des investissements. D’un côté, les multinationales et leurs soutiens promeuvent des mesures de « Responsabilité sociale des entreprises » ou des plans d’action nationaux inspirés des Principes directeurs de Ruggie, prétendant ainsi se préoccuper des violations systématiques des droits humains perpétrées dans des pays du Nord, mais surtout dans ceux du Sud. De l’autre, un groupe d’États, avec le soutien d’organisations, réseaux et mouvements sociaux du monde entier, travaille à l’élaboration d’un traité qui mette fin à l’impunité des multinationales.

Un traité contraignant des Nations unies représenterait une pierre d’achoppement, que nous, les peuples, pouvons créer pour mettre fin à l’impunité des multinationales. La dérégulation sauvage mondiale qu’a imposée la mondialisation néolibérale depuis 30 ans a laissé les communautés et les peuples sans protection, et réduit leurs droits les plus fondamentaux, parfois presque à néant dans de nombreux endroits. En parallèle, une puissante architecture de l’impunité a été construite pour protéger les activités des investisseurs : accords de libre échange, traités de protection des investissements, et mécanismes de règlement des différends investisseurs-États, entre autres.

Le traité ouvrira une brèche pour :

– défendre les droits des travailleurs dans les « chaînes de valeur mondiales », et ceux de l’énorme flux de migrants et de réfugiés qui constitue le maillon le plus vulnérable de la force de travail mondiale ;

– garantir le droit à la santé et aux médicaments que les brevets et la privatisation des systèmes de sécurité sociale affectent ;

– établir des mécanismes efficaces de protection des vies des militants qui sont menacées par les hommes de main des entreprises, et assurer l’accès à la justice et la protection de ceux qui ont déjà été leurs victimes ;

– contribuer à la défense des conditions de vie et des droits des communautés rurales, autochtones et paysannes, à la défense de l’environnement et même du climat, et sanctionner les entreprises et les États qui ne les respectent pas.

Le respect des droits humains peut harmoniser les règles dans le domaine du commerce international et des investissements en assurant qu’aucun accord international ne menace la pleine réalisation de ces droits. De même, et au vu de l’importance des États dans la protection des droits humains, nous nous battons pour qu’un tel traité puisse contester les mécanismes pervers du capitalisme mondial, tels que les paradis fiscaux, les accords de double taxation et l’évasion fiscale, la concentration et la dérégulation financières, et les dettes – en particulier les dettes illégitimes ! – qui ont épuisé les budgets publics, et empêchent les États d’honorer leur obligation de protéger les droits des personnes. Enfin, lors des négociations sur ce traité, des garanties pourront peut-être également être obtenues pour le droit à l’identité sexuelle et l’égalité de genre contre les discriminations et la violence perpétrées dans les réseaux formés par les multinationales.

SOYEZ PRESENTS POUR RECLAMER LA PRIMAUTE DES DROITS DES PEUPLES SUR LES DROITS DES INVESTISSEURS ET LES PROFITS, ET LA FIN DE L’IMPUNITE DES MULTINATIONALES !

REJOIGNEZ-NOUS À GENEVE OU MOBILISEZ-VOUS DANS VOS VILLES DU 23 AU 27 OCTOBRE 2017,

POUR UNE GRANDE MOBILISATION DES PEUPLES !

Vous trouverez plus d’informations actualisées sur la Semaine de Mobilisation ici :

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Vers un traité contraignant sur les transnationales

Vers un traité contraignant sur les transnationales ?par Maxime Combes

C’est sans doute l’une des négociations internationales les plus importantes de la période : du 24 au 28 octobre 2016, l’ONU a accueilli à Genève une deuxième session de négociations portant sur un éventuel futur Traité international contraignant sur les entreprises transnationales et les droits humains. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU s’est en effet prononcé en juin 2014 en faveur d’une résolution en ce sens déposée par l’Équateur et l’Afrique du Sud. Adoptée par 20 voix, contre 14 dont la France [1] (et 13 abstentions), cette initiative est bienvenue et justifiée, tant il apparaît urgent de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les transnationales et de garantir l’accès à la justice pour les victimes de leurs activités.

Une bataille qui prendra des années

La première session de négociations, qui s’est tenue en juillet 2015, et la réunion du mois d’octobre 2016, ne sont qu’un premier cycle de discussions au cours duquel experts et représentants de la société civile ont l’occasion d’établir un diagnostic devant les représentants des États. Ce n’est qu’en 2017 que ce groupe de travail du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU entrera dans le vif du sujet, avec l’examen d’un premier brouillon de Traité rédigé par l’Equateur. Si le Forum économique mondial de Davos ne tremble pas encore, ces négociations divisent fortement : les pays du Sud en soutiennent le principe, avec l’appui des ONG, tandis que les pays de l’OCDE y sont fermement opposés, tout comme les transnationales.

L’enjeu est de taille. Il n’est pas surprenant que l’Equateur soit à la proue de ce processus de négociations. Le scandale Texaco a profondément marqué le pays. La multinationale du pétrole avait en effet délibérément déversé, en pleine jungle et dans des rivières, des millions de tonnes de déchets toxiques liés aux forages et à l’exploitation pétrolière en Amazonie équatorienne entre 1964 et 1990. Condamné par la justice équatorienne pour les activités de sa filiale, qui s’est retirée des sites exploités sans dépolluer, Chevron refuse d’indemniser les victimes et les a même poursuivi en justice pour « extorsion ».

Des transnationales françaises mises à l’index

Emblématique de l’impunité dans laquelle se complaisent les transnationales, le cas Chevron n’est pas isolé. De Bhopal (20 000 morts au moins) au Rana Plaza (1135 morts), nombreux sont les accidents industriels pour lesquels il est difficile d’obtenir une condamnation des transnationales et des réparations pour les victimes. Le sujet ne concerne pas les seuls pays du Sud. Carrefour, Auchan et Camaïeu [2] sont impliqués dans l’affaire du Rana Plaza. Tandis que des sous-traitants de Carrefour, qui reconnaît ne pas procéder à des vérifications sociales jusqu’au bout de ses chaînes d’approvisionnement, sont accusés de recourir au travail esclave en Thaïlande [3].

Mise à l’index chaque année pour ses pratiques d’optimisation fiscale, Total n’est ainsi que relativement peu inquiétée pour les impacts environnementaux de ses activités pétrolières, notamment au Nigéria : il a fallu plus de 13 ans de procédures pour qu’elle soit condamnée pour la catastrophe de l’Erika. Alstom est accusé de corruption au Brésil, et est engagé dans la construction, avec EDF et GDF, de grands barrages en Amazonie qui dévastent des régions entières et bafouent les droits des populations. En Inde, c’est Veolia qui est accusée de profiter de contrats de gestion de l’eau très défavorables pour les populations, tandis que les projets d’Areva sont violemment contestés par les populations locales [4] .

Une impunité voulue par les pouvoirs publics et facilitée par la mondialisation

Cette (relative) impunité n’est pas fortuite. Les accords de l’OMC, et les accords bilatéraux ou régionaux visant à libéraliser le commerce et l’investissement, ont donné aux transnationales – et plus généralement à l’ensemble des entreprises privées – de nombreux droits. Ces politiques ont institué des cadres juridiques qui accordent des protections unilatérales à leurs activités mais qui ne leur imposent aucune obligation. En termes d’impacts sur les populations affectées, ces protections juridiques instituent ce qui est appelé une « architecture de l’impunité » : les transnationales peuvent violer les droits de l’homme et les droits du travail, dévaster l’environnement, sans être, dans la majorité des cas, réellement inquiétées.

Pour attirer des investisseurs internationaux et des bouts d’activités d’entreprises transnationales, de nombreux pays et collectivités territoriales sont prêts à leur accorder un « environnement attractif », y compris en réduisant les mesures de protection du travail ou de l’environnement. La recherche de compétitivité et l’accès aux marchés internationaux sont érigés comme les deux leviers de création de richesse, indépendamment des considérations d’équité et de soutenabilité écologique. Les territoires, les législations et les populations sont ainsi mis en concurrence les uns avec les autres au niveau international.

Les transnationales organisent et dirigent l’économie mondiale

Sous l’emprise de l’autonomie laissée aux marchés internationaux, le pouvoir déclinant des États se confronte au pouvoir grandissant des transnationales qui sont désormais des acteurs majeurs des relations internationales. Bien aidés par l’apparition de nouvelles technologies et par la financiarisation croissante du capitalisme, les transnationales sont devenues des acteurs dominants du droit commercial international et les marchés internationaux deviennent des espaces qui échappent, pour partie, à la juridiction des États. On est passé d’une économie mondiale structurée par les économies nationales à une économie mondiale reposant de plus en plus sur des réseaux de transnationales.

La division internationale du travail a en effet accentué la concentration des échanges entre quelques grandes transnationales. Près de 30% du commerce mondial s’effectue au sein même des transnationales, entre leurs filiales, et les deux tiers du commerce international correspondent à des échanges de biens intermédiaires, et non de produits finis. Acteurs majeurs du commerce international, elles maîtrisent les chaînes mondiales de valeur [5] : selon le rapport de la CNUCED de 2010, 82 000 entreprises transnationales contrôleraient 810 000 filiales. On considère aujourd’hui que sur les cent économies les plus puissantes de la planète, plus de 50 % sont des transnationales [6] , tandis que la maîtrise des importations et exportations est du fait d’une poignée d’entreprises [7]. A peine 737 banques, assurances ou grands groupes industriels contrôlent 80 % de la valorisation boursière des transnationales de la planète [8].

De l’ONU à l’OIT en passant par l’OCDE, primeur aux règles non contraignantes

Devenues les maîtres du jeu, les transnationales évoluent dans un cadre réglementaire international qui leur va comme un gant. Il n’existe pas, au niveau international, d’instrument juridiquement contraignant, pourvu de mécanisme de sanction, pour réguler et contrôler les impacts de leurs activités sur les droits humains et assurer l’accès à la justice pour les victimes. Toutes les expériences en ce sens ont jusqu’ici échoué. Dans les années 1970, sous la triple influence des pays du Sud, devenus numériquement majoritaires, des pays communistes et des milieux syndicaux internationaux, une réflexion sur la « responsabilité sociale » des firmes transnationales émerge progressivement à l’OIT et à l’ONU. Elle débouchera sur la « Déclaration de principes tripartite sur les entreprises transnationales et la politique sociale », adoptée en 1977 au sein de l’OIT, mais elle restera sans suite dans le cadre de l’ONU.

En parallèle, l’OCDE s’est également saisie de la question au début des années 1970. Très perméable aux intérêts des transnationales de par sa composition et son fonctionnement, l’OCDE adopte en 1976 des principes directeurs à l’intention des entreprises transnationales [9]. Un document qui semble bel et bien avoir influencé, et adouci, le contenu de la Déclaration adoptée par l’OIT un an plus tard. Mis à jour à cinq reprises depuis, ce document se limite à établir des recommandations non contraignantes en matière de « responsabilité des entreprises dans la société » (travail, droits de l’homme, environnement, protection des consommateurs, etc).

En 2000, les transnationales ont réussi à faire adopter le Pacte mondial [10] dans le cadre de l’ONU, tuant dans l’oeuf les volontés de remettre à l’ordre du jour l’idée d’un droit international contraignant. Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme [11], adoptés en 2011, ne sont guère plus contraignants. En se limitant à des principes volontaires et limités, les institutions internationales ont étendu le domaine de la « soft law » au détriment d’un droit juridiquement contraignant. Bien que nombreux, ces dispositifs ne sont pas dotés d’instrument de vérification indépendante et de sanction. La documentation accumulée sur le terrain au fil des ans montre qu’ils ne permettent ni d’assécher les violations des droits humains, du droit du travail et des normes environnementales, ni de les condamner lorsqu’elles sont avérées.

Vers un traité contraignant ?

Beaucoup de commentateurs critiques prétendent qu’un droit international contraignant serait trop complexe. Il semble au contraire que la complexité, bien réelle, de la mise en œuvre d’une juridiction contraignante au niveau international, pourrait être levée avec un peu de détermination. Il faut bien constater que ce sont les pays du Nord, où siègent 85 % des transnationales, qui répugnent le plus à un texte contraignant : États-Unis, Australie et Canada sont aux abonnés absents tandis que l’UE refuse de s’exprimer clairement et a tendance à poser des conditions qui ont pour fonction de bloquer ou retarder le processus de négociation.

C’est tout l’enjeu des prochaines échéances : obtenir que la France et l’UE se joignent à ce processus historique, sans le bloquer et sans en réduire la portée. Le tout dans la perspective d’obtenir enfin un Traité international permettant aux victimes de dommages causés par les transnationales d’avoir accès à la justice devant une cour internationale. Née pour pour désarmer les marchés financiers et les banques, Attac France a bien l’intention d’apporter sa pierre pour désarmer le pouvoir des transnationales [12].

Nikos Chountis à Moscovici et Dombrovskis au sujet de l’UEM

COMMUNIQUE DE PRESSE

Les peuples d’Europe peuvent et doivent trouver des modes alternatifs de coopération économique en dehors et loin des liens de l’Euro.

L’eurodéputé de l’Unité populaire, Nikos Chountis, a formulé une critique sévère à l’encontre de l’UEM (Union économique et monétaire) et de l’euro, au cours du débat en séance plénière du Parlement européen concernant le renforcement de l’UEM.

Plus précisément, s’adressant aux Commissaires Moscovisi et Dombrovskis, Nikos Chountis a indiqué que : « l’UEM et l’euro se sont révélé un mécanisme économique et politique d’exécution de politiques concrètes, au profit des pays les plus forts économiquement et du capital ». Il a également souligné que, « en 18 ans d’existence de l’UEM et plus particulièrement pendant les années de crise, au nom de la stabilité financière l’austérité la plus dure qui soit a été appliquée, accentuant au final les inégalités sociales et régionales ».

Poursuivant son intervention, l’eurodéputé de l’Unité populaire a vertement critiqué l’euro, soulignant que « les gouvernements mémorandaires, comme celui de la Grèce, ainsi que les institutions européennes, au nom des règles et de la stabilité de l’UEM, ont violé les traités européens, la charte des droits fondamentaux, les constitutions nationales, ont annulé les référendums, ont discrédité la volonté des peuples et la démocratie ». D’où il tire la conclusion que, « actuellement, la nécessité d’un renforcement de l’UEM, requiert au fond davantage d’austérité, davantage de coupes budgétaires touchant les salaires et les retraites, davantage de privatisations des secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, moins de droits pour les travailleurs, davantage de chômage et d’insécurité ».

Vous trouverez ci-dessous le lien vers la vidéo de l’intervention : https://www.youtube.com/watch?v=L82ePCRv48s

Suit la prise de position de l’eurodéputé de l’Unité populaire, Nikos Chountis :

« L’UEM et l’euro se sont révélé un mécanisme économique et politique d’exécution de politiques concrètes, au profit des pays les plus forts économiquement et du capital.

En 18 ans d’existence de l’UEM et plus particulièrement pendant les années de crise, au nom de la stabilité financière l’austérité la plus dure qui soit a été appliquée, accentuant au final les inégalités sociales et régionales. 

Certains pays excédentaires et déficitaires, au nom de la monnaie commune et de la politique commune de change, ont lancé une très grande attaque contre les travailleurs, comportant des coupes dans les salaires, les retraites et les dans les dépenses sociales.

Le capital et les puissants de chaque pays, au nom de la libre circulation de capitaux, exploitent la moindre occasion pour frauder, spéculer sur les marchés financiers et protéger leurs propres intérêts.

Des pays comme la Grèce ont été soumis aux mémorandums pour que les banques et l’euro soient sauvés.

Les gouvernements mémorandaires, comme celui de la Grèce, ainsi que les institutions européennes, au nom des règles et de la stabilité de l’UEM, ont violé les traités européens, la charte des droits fondamentaux, les constitutions nationales, ont annulé les référendums, ont discrédité la volonté des peuples et la démocratie.

Actuellement, la nécessité d’un renforcement de l’UEM, requiert au fond davantage d’austérité, davantage de coupes budgétaires touchant les salaires et les retraites, davantage de privatisations des secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, moins de droits pour les travailleurs, davantage de chômage et d’insécurité. 

Pour les peuples européens, l’UEM et l’euro ne proposent pas de perspectives de prospérité et de développement pour eux et leurs enfants.

Les peuples d’Europe peuvent et doivent trouver des modes alternatifs de coopération économique en dehors et loin des liens de l’Euro.

*Une union économique et monétaire, couramment abrégée par les sigles UEM ou EMU (pour l’anglais Economic and monetary union), est un groupe de pays qui ont adopté une monnaie unique et ouvert leurs marchés économiques pour former une zone de libre-échange, c’est-à-dire la zone euro, qui est souvent dénommée simplement Union économique et monétaire.

Le service de presse 13.06.2017 

Merci à Vanessa de Pizzol pour la traduction du Grec.

Article sur Unité populaire :

https://unitepopulaire-fr.org/2017/06/17/n-chountis-a-moscovisi-le-renforcement-de-luem-signifie-davantage-dausterite/

La dette de la Grèce reste entière

La dette de la Grèce reste entière par Martine Orange Médiapart

À l’issue du sommet de l’Eurogroupe, jeudi 15 juin, rien n’a changé pour la Grèce. Les milliards d’aide promis par l’Europe serviront à payer les créanciers et à éviter le défaut du pays. Aucune annulation de la dette et pas même un réaménagement n’a été consenti.

« Je pense que nous avons fait un grand pas en avant. » « La lumière est au bout du tunnel. » Au sortir du sommet de l’Eurogroupe, jeudi 15 juin au soir, les tweets des responsables européens crépitaient. Tous se félicitaient du « grand accord » trouvé sur la Grèce : les créanciers européens s’étaient enfin entendus pour verser une aide de 8,5 milliards d’euros attendue depuis des mois par Athènes.

Dans les faits, la « grande avancée » n’est que l’exact respect des termes inscrits dans le plan de sauvetage de 86 milliards d’euros signé en juillet 2015. Il y était alors prévu que l’Europe verse quelque 7 milliards d’euros à la Grèce pour l’aider à rembourser ses dettes arrivant à échéance à l’été 2017. Si les responsables européens ont rejoué le drame connu depuis le début de la zone euro, des réunions sans fin, des tergiversations, c’est pour arracher, par chantage au gouvernement grec, de nouvelles concessions, de nouvelles réformes allant vers toujours plus d’austérité, toujours plus de réduction des dépenses, qui n’étaient pas prévues dans le cadre initial. Car qui pouvait croire un instant que les responsables européens, devenus les principaux créanciers d’Athènes, allaient laisser le gouvernement grec faire défaut, au risque de provoquer une nouvelle crise de la zone euro ?Et c’est exactement le but du « grand accord » trouvé entre les partenaires européens, jeudi soir : l’aide versée à la Grèce va directement servir à rembourser les créanciers, comme d’habitude. Les Européens vont débloquer tout de suite 7,4 milliards d’euros afin de permettre au gouvernement grec de rembourser ses crédits contractés auprès de la Banque centrale européenne (BCE), du Fonds monétaire international (FMI), et auprès des investisseurs privés pour le reliquat. La somme promise restante – un milliard environ – ne sera débloquée qu’une fois que les créanciers européens auront toutes les preuves qu’Athènes a bien rempli toutes les conditions exigées et mis en place les réformes requises.

Pour le reste, rien n’a changé : les Européens continuent de maintenir la Grèce juste la tête hors de l’eau, pas plus. Aucune annulation de dettes, aucun rééchelonnement n’est prévu tout de suite. Les Européens ne s’engagent à réexaminer le fardeau de la dette grecque (180 % du PIB) qu’à la fin du plan, c’est-à-dire fin 2018. C’est exactement le calendrier souhaité et annoncé par le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, lors de la précédente réunion de l’Eurogroupe.Pour le gouvernement grec, la défaite est cuisante. En contrepartie d’efforts immenses pour respecter des ratios exorbitants de surplus budgétaires – 3,5 % du PIB –, de mesures toujours plus impopulaires qui l’amènent politiquement à ne plus tenir qu’à un fil, il espérait obtenir quelque assistance de la part de ses créanciers pour permettre au pays de repartir. Une nouvelle fois, il revient les mains vides, sans pouvoir promettre à sa population la moindre échappatoire à une austérité sans fin.

Le fait de n’avoir pas pu obtenir le moindre allègement de dettes n’est pas seulement une défaite politique, un problème de long terme. C’est aussi une question de survie immédiate : la Grèce, qui est le pays de la zone euro qui en a le plus besoin, reste exclue du programme de rachats de dettes (Quantitative easing) de la BCE, car elle ne remplit pas les conditions d’endettement requises. Sans cette garantie en dernier ressort de la banque centrale européenne, Athènes reste privée d’accès à tout marché financier, à tout investissement extérieur. Impossible de trouver les capitaux pour faire repartir une économie totalement effondrée – le PIB a chuté de 30 % en sept ans –, de nettoyer et restaurer un système bancaire en faillite, plombé par des portefeuilles de mauvaises créances qui ne cessent de s’accumuler au fur et à mesure que la crise se poursuit.

Cette réunion de l’Eurogroupe est d’autant plus cruelle pour le gouvernement grec, qu’elle marque un alignement complet des responsables européens sur les positions dures défendues par l’Allemagne. Tous les alliés sur lesquels la Grèce espérait pouvoir compter se sont soit révélés de peu de poids face à Berlin, soit lui ont fait défaut.

Le soutien de la France, en tout cas, lui a été de peu de secours. Ces derniers jours, l’Élysée n’a pourtant pas ménagé sa peine pour soutenir la cause du gouvernement grec et tenter d’ouvrir une nouvelle page de la crise de la zone euro. Jugeant que l’annulation de tout ou partie de la dette grecque est « inévitable », comme il l’a répété à plusieurs reprises, Emmanuel Macron a multiplié les gestes et les propositions en faveur d’Alexis Tsipras. La veille du sommet européen, le ministère de l’économie reparlait même de l’idée de lancer des obligations liées à la croissance, afin de donner quelque bouffée d’air à l’économie grecque et de lier le sort des créanciers à son rebond. La proposition avait été avancée il y a deux ans par Yanis Varoufakis, éphémère ministre des finances du gouvernement de Syriza.

À son arrivée au sommet de l’Eurogroupe, le nouveau ministre de l’économie, Bruno Le Maire, tenait des propos martiaux : « Je viens avec une détermination totale pour aboutir à un accord sur la question de la dette grecque. » La suite prouve que des déclarations fortes ne suffisent pas à inverser le cours des choses, qu’en matière de négociation européenne, le rapport de force seul compte. Et l’Allemagne est passée reine en la matière : elle est le « maître des horloges » européennes, selon l’expression favorite de l’Élysée. La France, si elle veut à nouveau peser sur la conduite européenne, ferait bien de retenir la leçon.

La caution du FMI

Mais l’abandon le plus amer pour Athènes est sans doute celui du FMI. Depuis le début de la crise, la Grèce entretient des relations orageuses avec l’institution internationale. Sur le terrain, les émissaires du fonds, dictant leurs conditions et leurs remèdes féroces, ont souvent été contestés voire malmenés par les gouvernements grecs successifs. Mais dans le même temps, Athènes a prêté une oreille attentive aux aveux du FMI, reconnaissant pas à pas, au vu des résultats catastrophiques obtenus, qu’il s’était trompé sur toute la ligne dans le traitement de la crise grecque. Avoir à ses côtés un allié de ce poids qui demandait également une révision du programme, qui conditionnait son soutien financier à l’allègement de la dette et un abaissement des ratios délirants de surplus budgétaire, donnait au gouvernement grec le sentiment qu’il n’était pas totalement isolé.

Cette illusion vient de se dissiper. Berlin et le FMI, comme le laissait supposer la rencontre entre Angela Merkel et Christine Lagarde en février, ont trouvé un terrain d’entente. Lors de la réunion de l’Eurogroupe, Christine Lagarde s’est ralliée avec armes et bagages à la position défendue par les Européens et leur a apporté sa caution. Le FMI ne réclame plus une annulation de la dette, un allègement des conditions budgétaires, en contrepartie de sa participation. La seule promesse que les créanciers européens réexamineront le problème à la fin du plan de sauvetage, fin 2018, lui suffit pour l’instant, comme l’a confirmé Christine Lagarde à la sortie de la réunion : « Je proposerai au comité exécutif du FMI d’approuver le principe d’un nouvel accord avec la Grèce. L’accord [obtenu lors de l’Eurogroupe] permet de prendre plus de temps pour mener les négociations sur le niveau nécessaire d’allègement de la dette. »

Dans les faits, la participation du FMI au plan de sauvetage de la Grèce est purement formelle. Le fonds s’engage à apporter deux milliards d’euros d’aide, mais une fois que les Européens auront trouvé une entente et pourront proposer un projet d’allègement de la dette qui semble crédible. Mais cette parole suffit : l’important pour les Européens était de ramener le FMI à bord du plan de sauvetage. L’Allemagne et les Pays-Bas avaient tous les deux conditionné leur aide à la Grèce à la participation du FMI. Ce dernier s’y engageant, ils peuvent donc participer eux aussi au plan d’aide, sans renier leurs engagements politiques.

Des observateurs veulent croire que l’accord de l’Eurogroupe n’est qu’un moyen de temporiser, en attendant les élections législatives allemandes en septembre. « Impossible de vendre à une opinion allemande très hostile aux Grecs le moindre effacement de dette », expliquent-ils. Mais tout pourrait changer après, selon eux. D’ailleurs, soulignent-ils, l’Eurogroupe envisage de faire un premier réexamen de la dette à la fin 2017.

Pour la Grèce, ce sera trop tard : la BCE a prévu d’achever son programme de rachats de dettes souveraines justement à cette date. Compte tenu des pressions multiples qui s’exercent déjà sur le président de la banque centrale, Mario Draghi, pour sortir au plus vite de sa politique monétaire ultra-accommodante et revenir à une stricte orthodoxie monétaire, il paraît difficile d’envisager un prolongement d’un tel programme. Même s’il obtient un allègement de sa dette qui lui ouvrirait de nouveau l’accès aux marchés financiers, le gouvernement grec serait alors condamné à emprunter en payant les primes de risque les plus élevées.

C’est pourtant le scénario le plus favorable. Rien ne dit, en effet, que l’Allemagne, même après les élections, accepte un allègement de la dette grecque. Les libéraux, la force montante en Allemagne, avec lesquels la CDU-CSU d’Angela Merkel pourrait être amenée à former une coalition au lendemain des législatives, font du strict respect des règles européennes un cheval de bataille dans leur campagne. Tout aménagement, selon eux, est le signe d’une grave dérive laxiste. Pas besoin de pousser très fort la droite dure de la CDU, incarnée par le ministre des finances Wolfgang Schäuble, pour aller dans cette voie.

Les Allemands se sentent d’autant plus légitimes à demander cette stricte orthodoxie au sein de la zone euro que, pour eux, tout danger est écarté : les forces populistes, tant aux Pays-Bas qu’en France, qui représentaient un risque d’éclatement, ont été balayées lors des élections. La voie leur semble donc libre pour revenir à leur ordre. Et la Grèce doit servir d’exemple à tous les récalcitrants. Quitte à anéantir le pays, s’il le faut.

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