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Grèce : 3eme mémorandum un programme de ruine et de punition

Grèce : Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement  par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis 4/10/17

Députée depuis mai 2012, réélue en juin 2012 et en janvier 2015, Nadia Valavani était vice-ministre du budget lors du premier gouvernement Syriza-Anel. Elle a démissionné de son poste de ministre le 13 juillet 2015, au lendemain de la signature par le Premier Ministre Tsipras de l’accord menant à un troisième mémorandum, ces listes de mesures d’austérité qui conditionnent les emprunts ou plans de « sauvetage »gérés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Mécanisme européen de stabilité et, jusqu’en 2015, le Fonds monétaire international. Après qu’elle ait été calomniée suite à sa démission, comme tous les anciens députés et ministres qui ont quitté Syriza à ce moment-là, N. Valavani a choisi d’écrire un livre pour rétablir sa version des faits. Son titre donne le ton : Troisième mémorandum : Le renversement d’un renversement. Preuves personnelles d’un démenti collectif. Elle y détaille la loi qu’elle a fait adopter en mars 2015, aménageant les principales mesures contre la pauvreté prises pendant les six premiers mois du gouvernement de Syriza, et elle commente les grandes mesures du 3e Mémorandum.

Les « 100 versements », mesure vitale pour la population grecque

En effet, N. Valavani a mis en place un dispositif dit des 100 versements, dont l’objectif était de régler, en partie, les dettes des particuliers et des entreprises vis-à-vis du secteur public. Et cela en permettant, d’étaler le paiement des dettes en 100 versements de 20 € minimum combiné à un effacement des pénalités pour ceux qui y souscrivaient. Il s’agissait de régler ainsi des situations fiscales que la baisse des revenus, le chômage et les hausses d’impôts avaient rendu désespérées |1|. Les enjeux étaient énormes, puisque de nombreuses démarches administratives rendent obligatoire en Grèce le « certificat fiscal » un certificat qui indique le statut fiscal quant au paiement des impôts : tous les achats et ventes mais aussi, avant 2015, l’accès aux bons de santé pour les démunis. La dette des particuliers et entreprises envers le Secrétariat général des recettes publiques représentait en février 2015 près de 74 milliards d’Euros, soit 40 % du PNB, dus par environ 3,9 millions de contribuables (dont 400 000 entreprises) |2|. En fait, un tiers de la population grecque était endetté auprès des impôts pour moins de 3 000€ majorations comprises. À l’autre bout, 60 milliards étaient dus par 6 500 contribuables, dont 4 000 entreprises (certaines fermées depuis longtemps) avec une dette supérieure à 1 million d’€, datant parfois des années 70 ou 80.

Malgré l’hostilité des Institutions, ce dispositif des 100 versements est resté en place 3 mois, de mi-avril à mi-juillet 2015, concernant plus d’un million de débiteurs à hauteur de 7,5 milliards de dettes. Entre le 28 juin et le 15 juillet 2015, malgré la fermeture des banques et le contrôle des capitaux, 600 millions d’euros de dettes ont encore pu être arrangés. Mais de nombreux contribuables n’ont pas pu en bénéficier dans ce court laps de temps. Le 3e mémorandum a interrompu les 100 versements et les conditions générales de maintien dans le dispositif ont été durcies au point qu’en juin 2016, 250 000 personnes en avaient été éjectées.

Le premier avantage de cette mesure était le soulagement social apporté. Le deuxième était l’apport régulier d’argent frais dans les caisses de l’État, à un moment où le gouvernement était confronté au blocage des liquidités par la Banque centrale européenne. « Tsipras s’en est vanté lors de sa campagne de septembre 2015, sans avouer qu’il avait lui-même signé leur annulation le 13 juillet 2015. »

Les mémorandums ont créé un énorme endettement fiscal

« Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer, tels les condamnés d’une colonie de la dette ». En fait une grosse part de la dette fiscale, 47 milliards sur 74 milliards, a été créée après 2010, début des mémorandums. Par exemple si en 2013 la dette fiscale s’élevait à 8 milliards, en 2014 elle pesait 14 milliards, soit une augmentation de 60 % de la dette fiscale annuelle.

Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer.

Or le FMI s’est farouchement opposé à cet aménagement en 100 versements, d’abord parce qu’il contredit le principe de « super-seniority » qui donne la priorité aux banques privées dans l’ordre des remboursements. Ensuite le FMI considérait que ces versements s’opposaient à la « pédagogie fiscale » censée réduire la fameuse « culture du non-paiement » attribuée aux Grecs. « En 2000, la dette des contribuables grecs envers les impôts était seulement de 3,5 %, c’était le bon moment pour faire de la pédagogie et encourager la culture du paiement de l’impôt. Mais avec 40 % du PNB fin 2014, il y avait d’autres urgences et priorités que la « pédagogie fiscale » prônée par le FMI » proteste Nadia Valavani. Alors que 20 milliards d’euros et 500 000 endettés fiscaux supplémentaires ont été créés pendant ces deux années par les nouvelles mesures d’austérité du troisième mémorandum, Tsipras et les chiffres officiels annoncent en janvier 2017 que les objectifs fiscaux ont été atteints pour 2015 et en 2016. Où mèneront les mesures annoncées de nouvelle hausse des taxes, qui menacent retraités et salariés ?

L’Agence Indépendante des Recettes Publiques

Parmi les nouvelles atteintes à la souveraineté grecque imposées par le 3e mémorandum, Nadia Valavani dénonce l’abandon de la fonction régalienne de recettes et d’attribution budgétaire. Obligation mémorandaire, une « Agence autonome des recettes publiques |3| » s’empare depuis le 1er janvier 2017 de la collecte des impôts et des recettes publiques. Désormais géré par cet organisme affilié directement aux créanciers étrangers, les institutions européennes, tout le mécanisme des recettes publiques sort ainsi de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif. Spécialement créé pour exercer un contrôle accru sur l’exécutif grec et visiblement testé en Grèce en vue d’imposer ce type d’Agence indépendante dans tous les pays de l’Union, ce néoplasme néolibéral confisque la fonction régalienne des recettes et du budget de l’État. Le ministère n’aura plus aucun pouvoir, ni même celui de peser sur l’interprétation de lois importées. Il ne sera renseigné que mensuellement sur une base statistique. En outre, 36 000 affaires fiscales qui allaient arriver à expiration, concernant l’argent noir des partis politiques, les bakchichs, les pots de vin de l’armement, d’énormes fraudes, etc. sont prescrites d’office à cause de la suppression des instances de poursuites fiscales. Ces dispositions ont été instituées par une loi votée en mai 2016 par l’ensemble mémorandaire de l’assemblée. Le portefeuille de secrétaire aux recettes devient inutile, puisque toutes les lois sont rédigées à l’étranger.

Le super-fonds de privatisation

Le 3e Mémorandum a aussi supprimé l’article 24 de la loi Valavani qui attribuait tous les bénéfices du Fonds de privatisation TAIPED aux caisses publiques d’assurance sociale. Le TAIPED est remplacé par un Super-fonds de privatisation sous contrôle des créanciers, qui brade irréversiblement toute la Grèce pour 99 ans. De plus ce super-fonds a été adopté par un article dont le contenu n’a été publié – en allemand et dans la presse – que plusieurs semaines après le vote et l’adoption de la loi. Le super-fonds inclut aussi le Fonds de stabilité financière hellénique, chargé de la recapitalisation des banques grecques. « Privé de toute velléité de souveraineté nationale, le gouvernement va vendre les îles rocheuses, comme prévu depuis 2013, et toutes les marinas, ce qui remet en question la sécurité même du pays. Nous n’avons pas réussi à protéger nos lignes côtières. »

Désormais en Grèce, le mécanisme des recettes publiques sort de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif.

La recapitalisation des banques

À cause des recapitalisations successives, en 2015 le Fonds de stabilité financière hellénique possédait l’essentiel des actions des banques grecques, réduites à quatre, mais en novembre 2015 elles ont été rachetées par des fonds étrangers pour 5 milliards d’euros à un prix ridicule : trois actions de la Piraeus Bank valaient alors moins d’un cent d’euro. Pourtant cette banque détient les hypothèques de 75 % des terres agricoles du pays.

La Task force et ses tentatives de vendre « des petits produits » à la ministre

Depuis 2012, tous les étages du ministère des Finances sont occupés par la task-force, constituée d’experts de l’Union européenne, nommés pour « aider l’administration grecque ». Les employés de la task-force insistaient pour rencontrer la ministre pendant sa fonction, en lui proposant l’achat de logiciels de gestion des impôts et taxes.

Un programme de ruine et de punition

Indépendamment de toute logique économique qui viserait à réellement rembourser des créanciers, le 3e mémorandum semble dicté par une volonté de dépecer la Grèce, au bénéfice des intérêts privés liés directement aux représentants des « Institutions » créancières. La formulation bienveillante des articles ajoute à la cruauté paradoxale des mesures. C’est particulièrement sensible avec le Super-fonds qui permet la liquidation à très bas prix de tous les actifs publics, dans des conditions qui vont encore appauvrir ce qui reste de l’État grec (entretien des installations à sa charge pendant 40 ans, exemptions de TVA et autres taxes pour les investisseurs, etc.). Le 1er janvier 2017, le Gouverneur de l’Agence autonome des recettes qui représente la Commission Européenne a pris ses fonctions et il a tout pouvoir, dont celui de saisir et liquider les biens hypothéqués, accélérant ainsi la précarité des ménages grecs.

« Les créanciers savent que la dette grecque est impossible à rembourser. Ils s’occupent d’abord de brader les propriétés publiques ; désormais, ils visent aussi la liquidation de la petite propriété privée en Grèce, avec la suppression de la protection des résidences principales depuis janvier 2017. Quand il ne restera qu’un pays à l’économie exsangue avec une dette ingérable, ils s’occuperont d’aménager la dette grecque. »

Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement
Nadia Valavani, Éditions Livani,
Athènes, 2016.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète

Notes

|1| Rappelons qu’en Grèce, 80 % de la population, retraités et employés du privé et du public se voient ponctionner leurs impôts à la source.

|2| Parmi eux, correspondant à 3 % de la dette fiscale totale, 3,7 millions de contribuables devaient moins de 5 .000€, majorations et pénalités comprises, dont 3,3 millions devaient moins de 3 000€ (dont 357.000 PME).

|3| Cette agence récupère la majorité des compétences du ministère du budget et de l’économie : politique fiscale, gestion des ressources, moyens fiscaux et instruments d’investigation, émission et application des mesures fiscales, douanières et budgétaires, mais aussi « l’élaboration et la mise en place des mesures de protection de la santé publique, de l’environnement, des intérêts des consommateurs, son soutien au bon fonctionnement du marché, à la compétitivité de l’industrie chimique (sic) et le soutien aux services juridiques, policiers et autres autorités, … l’élaboration et la gestion du budget de l’État… ». Cette agence disposera aussi, selon le nouveau Code pénal, des compétences pour mettre en vente les habitations principales des débiteurs en suspension de paiement. Outre les biens publics, ce sont désormais les biens privés grecs qui sont dans le collimateur des créanciers.

http://www.cadtm.org/Grece-Troisieme-memorandum-Le

Grèce : génération 400 euros

« GENERATION400 » Christos Xagoraris  Par Lepetitjournal Athènes | Publié le 02/10/2017

Christos Xagoraris est membre du collectif « Generation400 ». Âgé de 25 ans, ce diplômé en droit vit chez ses parents. Contraint et forcé par son salaire de 400 euros. Comme beaucoup de jeunes grecs. Depuis la crise économique : il lutte contre les mesures d’austérité

Pourquoi avez-vous créé le groupe « Generation400 » ?

Depuis le début de la crise économique en Grèce, il y a eu une réduction significative des salaires et une forte hausse du chomage. Le premier signe de la force de cette crise intervient en 2008. De nombreuses discussions ont lieu autour de la génération qui aura un salaire de 700 euros par mois. Progressivement, après l’intervention de la Commission européenne et du Fond monétaire international sur la dette grecque, en 2010, et les mesures d’austérité, le revenu mensuel des jeunes travailleurs a atteint les 400 euros, une fois les taxes payées.

En conséquence, les conditions de travail et le niveau de vie des jeunes sont devenus des sujets brûlants. Tout le monde parle de cette fameuse génération 400 euros.

Nous avons débuté « Generation400 », sur internet et sur le terrain, à travers l’activisme et le tractage. Nous avons voulu mettre le sujet en avant, lui donner plus d’importance, Tout le monde peut comprendre que les mesures et la politique d’austérité en Grèce menacent les espoirs, les rêves, la motivation, la créativité. Le niveau de vie est très bas. Et ce, tout spécialement pour les jeunes grecs, pour cette fameuse génération qui vit avec seulement 400 euros par mois.

La situation en Grèce est donc très difficile pour la jeune génération. Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis la crise économique ?

Comme expliqué avant, depuis la crise économique, les facteurs qui affectent les conditions de travail et le niveau de vie des jeunes, c’est la crise de l’emploi. Il y a 50% de chomage chez les jeunes à l’heure où nous parlons. La diminution du revenu mensuel, autour de 400 euros, à temps plein, et bien moins à temps partiel. Les emplois à temps partiels représentent 60% des emplois, alors qu’il est de 40% à temps plein. Ce sont les estimations depuis les recrutements de fin d’année 2016. Nous subissons aussi la déréglementation agressive du droit du travail. En particulier depuis l’accord signé en 2012. Le plus visible, c’est l’augmentation du taux de chomage chez les jeunes diplômés, les jeunes scientifiques. Ce facteur contribue à la « fuite des cerveaux« , c’est-à-dire à l’immigration massive de jeunes gens instruits dans d’autres pays du centre de l’Europe : Allemagne, France, Pays-Bas. On estime qu’environ 500 000 jeunes gens instruits, âgés de moins de 35 ans, ont migré vers d’autres pays, à la recherche d’emplois dans leur domaine d’études.

« Il y a 50% de chomâge chez les jeunes à l’heure où nous parlons »

Sur la page facebook Generation400, vous critiquez le Premier ministre Alexis Tsipras. Pour vous, qui sont les vrais coupables de cette situation ?

Pour nous, il est clair que le cas grec est un « crime organisé« , avec de nombreux auteurs. Chaque gouvernement grec, qui a signé des mesures d’austérité et des accords depuis 2010, y compris le gouvernement Syriza et Alexis Tsipras, est responsable de la situation actuelle. Avec eux, l’Union europénne et le Fond monétaire international sont également coupables. Ils ont promu des politiques d’austérité, demandant le paiement intégral de cette dette nationale. Cherchant à satisfaire d’énormes bénéfices pour les marchés financiers. Il a été prouvé que les pratiques de l’Union européenne, soit les inspirations du Fond monétaire international, entraînent l’étouffement de l’économie nationale, de la productivité, de la motivation, et de la créativité de notre population. Leur expérience a échoué encore et encore, mais cela ne semble pas les inquiéter, tant que l’austérité en Grèce continue.

Comment peut-on s’en sortir avec 400 euros par mois en Grèce ?

Personne ne peut vivre avec un tel revenu. Vous pouvez survivre avec un niveau de vie de base, un confort de base, satisfaisant tout au plus vos besoins vitaux. En un mot, vous ne pouvez pas vivre avec dignité. Permettez-moi de vous donner un exemple. En supposant que vous avez un revenu mensuel de 400 euros, que vous quittez le foyer familial et devez payer un loyer. Un loyer ne coûte pas moins de 200 euros. Si vous partagez ce loyer avec une autre personne, dans un appartement plus grand, vous ne payez pas moins de 125 euros. Vous payez 50 euros vos factures d’électricité, 10 euros pour vos factures d’eau, minimum 20 euros pour votre téléphone portable, 30 euros pour une carte mensuelle de transports publics.

En fin de compte, il vous reste de 90 euros à 165 euros pour satisfaire d’autres besoins. Chaque jour, vous pouvez dépenser de 3 euros à 5,50 euros. Ce montant équivaut à une tasse de café et un sandwich ou à moins d’un repas complet. Vous pouvez acheter des produits de base dans un supermarché, pour 50 euros.

Après avoir calculé, il est clair qu’il n’y a aucun moyen de satisfaire vos envies, en tant que jeune personne. Simplement vos besoins vitaux. Vous ne pouvez pas vous permettre de boire un verre, de faire un voyage, d’acheter un cadeau à un ami, d’aller au cinéma, de bien manger. Sinon, vous aurez des ennuis financiers pendant un ou plusieurs jours.

En tant que jeune grec, parlez-nous de votre situation personnelle.

Pour le moment, je suis diplômé de la faculté de droit d’Athènes. Je suis avocat stagiaire, dans un bureau d’avocats. Je vis avec moins de 400 euros par mois. Heureusement, ou pas, je vis toujours avec mes parents, à Athènes. Je n’ai donc pas à payer de loyer ou d’autres biens de base, bien sûr. Je suis capable de faire face à mes dépenses chaque mois. Généralement, avec une petite aide financière de mes parents. Bien qu’il soit clair pour moi que, sans cette aide de mes parents, je n’aurais pas le moindre espoir de payer un loyer, la nourriture, les factures, et d’autres dépenses.

« Vous ne pouvez pas vivre avec dignité »

Face à la crise économique, les Grecs font preuve d’une grande solidarité, à l’image de « Generation400 ». Pensez-vous que cette solidarité vous aide à supporter la situation ?

La solidarité entre amis et l’aide familiale sont définitivement un facteur crucial. Je l’ai souligné en ce qui concerne ma propre situation. Donc, c’est une des raisons de la survie de nombreux jeunes, comme moi. Après avoir fait les calculs, il n’y a aucune chance de vivre en Grèce aujourd’hui, avec 400 euros ou moins, sans l’aide financière de sa famille ou de ses amis.

Cependant, même cette aide est de plus en plus courte. Les politiques d’austérité persistantes ont peu à peu raccourci les revenus de la majorité des familles grecques, y compris les salaires des parents et les pensions des grands-parents. Une chose est certaine : il existe une « bombe temporelle sociale« , dans ce modèle d’organisation des conditions de travail et des salaires en Grèce.

Gardez-vous espoir pour l’avenir de la Grèce ?

Comme je l’ai dit, la solidarité entre les gens est une arme contre la pauvreté, la solitude et la dépression massive. D’autant que nous avons besoin de plus que cela si nous voulons vivre des jours meilleurs dans notre pays. Il faut un mouvement massif, une action. Nous devons nous battre, aujourd’hui et maintenant, contre les politiques de notre gouvernement, contre les accords et les plans de l’Union européenne. Ainsi que contre le reste des technocrates qui cherchent à appauvrir la vie des gens. Personnellement, je n’ai pas perdu espoir. Je crois que les Grecs, et surtout les jeunes grecs, finiront par s’opposer à la situation actuelle.

Mais nous aurons besoin de beaucoup de force et de courage. Notre initiative, « Generation400 », essaie de jouer son rôle dans cette direction. Bien sûr, nous aurons besoin de soutien ! C’est là que la solidarité entre les personnes de différents pays peut jouer un rôle crucial. Il est très important pour les peuples d’Europe de connaître la situation réelle que nous vivons, ici en Grèce. Savoir que les gens, et surtout les jeunes, souffrent de ces politiques. Nous travaillons beaucoup. Tout ce que nous voulons, c’est vivre dans la solidarité, l’égalité et la justice sociale. Satisfaire les besoins de la grande majorité des travailleurs de ce pays. Non les désirs des banques et des gouvernements européens.

Plus d’infos sur Generation400 :

Site : http://g400.gr/

Facebook : https://www.facebook.com/400generation/

Twitter : https://twitter.com/generation400

https://lepetitjournal.com/athenes/generation400-christos-xagoraris-157461

A bord de l’Aquarius : témoignage

Dix jours à bord de l’Aquarius, un bateau qui sauve les migrants au large de l’enfer libyen par Marie Nennès

Depuis février 2016, l’Aquarius sillonne la mer, au large de la Libye, pour porter secours aux migrants qui tentent la traversée. L’une des routes les plus meurtrières au monde : plus de deux milles personnes s’y sont déjà noyées en 2017. Le bateau est l’un des huit présents sur la zone – et le seul à y patrouiller toute l’année. Son équipage recueille des migrants dévastés par leur passage en Libye. Le journal CQFD, partenaire de Basta !, a pu embarquer à son bord pendant une dizaine de jours.

Cet article a initialement été publié dans le mensuel CDFD (voir sa présentation en dessous de l’article).À l’Est, les premières lueurs se dessinent. Il est 5 h 30. Depuis la passerelle, Basile scrute l’horizon aux jumelles depuis une bonne heure déjà. En vain. L’Aquarius est de retour dans la « search and rescue zone » – qui commence à 12 miles des côtes libyennes, à la limite des eaux internationales – Après douze jours de cale sèche. Tout le monde est tendu. Pour un peu, on se sentirait coupables d’avoir été absents. Quelque part devant, un point noir perdu dans la nuit attend peut-être désespérément du secours. Un canot pneumatique gris, sans lumière, invisible pour les radars à moins de cinq miles, avec à son bord des centaines de personnes, sans eau, et de plus en plus souvent sans moteur.La mer est mauvaise, le vent souffle du nord. « Il ne se passera rien aujourd’hui, estime Andreas, le second. Les canots ne peuvent pas quitter la côte par ce temps, ils n’arrivent pas à franchir les premières vagues. »

« Je ne pouvais pas rester les bras croisés »

Bénévole pour SOS-Méditerranée, l’association qui affrète le bateau, Basile poursuit tout de même sa veille, bientôt relayé par James, puis Svenja. Et ainsi de suite, toutes les deux heures, jusqu’à la nuit. « Ce qui était encore vrai l’année dernière l’est de moins en moins, explique Alain, solide Martiniquais ayant déjà une dizaine de rotations derrière lui. Avant, les trafiquants attendaient que la mer soit belle pour lancer les bateaux. Certains passagers étaient équipés de gilets de sauvetage. Aujourd’hui, des pneumatiques achetés 130 euros sur Alibaba (équivalent chinois d’Amazon, ndlr) ont remplacé les barques de pêche. Et ils prennent la mer même par mauvais temps. Ceux qui ne veulent pas monter sont flingués dans les broussailles au bord de la plage. Les passeurs disent aux autres : « L’Italie, c’est tout droit, vous y serez dans trois heures ! » Les moteurs pourris calent souvent au bout de quelques heures, faute de carburant. Ou alors, d’autres truands viennent voler le moteur, et laissent les migrants à la dérive. »Pour la dizaine de bénévoles de SOS-Méditerranée, la journée se passe en exercices de sauvetage : il faut roder les nouveaux, créer des automatismes. Les bénévoles de SOS-Méditerranée s’engagent pour trois rotations de trois semaines chacune. Après quoi ils doivent faire une pause. Certains rempilent, d’autres non. Ce ne sont pas des novices, la plupart ont déjà une expérience de marin, mais ce travail est particulier. Face à des gens paniqués et à leurs propres émotions, ils doivent savoir réagir, calmer, rassurer.« Je me souviendrai toujours de mon premier sauvetage, raconte Stéphane Broc’h. J’ai pris une grosse claque. » Ce breton un brin taciturne coordonne les secours sur l’eau. Il est la première main que saisit le naufragé. Il y a plusieurs mois déjà qu’il a quitté son boulot de mécanicien de marine dans le Pacifique pour s’engager avec SOS. « Je ne pouvais pas rester les bras croisés, j’avais besoin d’agir, pour dormir en paix, pouvoir me regarder dans une glace. J’avais les compétences, donc je suis venu. » Plus tard dans l’après-midi, c’est l’équipe de Médecins sans frontières (MSF) qui assurera la formation aux premiers secours, expliquant comment prendre en charge à bord les réfugiés et à quels symptômes porter attention.

Ce qui les hante, c’est la Libye

Midi, le lendemain. Depuis la passerelle, Alexander Moroz, le capitaine biélorusse, prévient : il vient de recevoir un appel du MRCC, le centre de secours maritime italien qui coordonne les actions des navires présents sur zone. Rien ne se fait sans leur aval. Un canot est en perdition à cinq heures de navigation à l’est. L’Aquarius est le bateau de sauvetage le plus proche, il faut y aller. La tension monte : arriverons-nous à temps ? Puis elle retombe un peu : un cargo turc est à proximité, il va recueillir les naufragés, qui seront ensuite transférés sur notre navire.Il fait nuit quand le transbordement commence. Pendant deux heures, le zodiac de sauvetage multiplie les allers-retours d’un bateau à l’autre, transportant quinze personnes à chaque fois. Hagards, les premiers rescapés posent un pied hésitant sur le pont, hissés par les bras et les sourires de Charly et Christina : « Bienvenue, mon frère, welcome, salam aleikoum. » Une seule femme, enceinte, au milieu de 117 hommes. Maliens pour la plupart, mais aussi Ghanéens, Gambiens, Sénégalais : presque toute l’Afrique de l’Ouest est représentée.Tous sont pieds nus, certains même torse nu. Leurs habits empestent le gasoil, la merde, la sueur et la peur. On les fait se déshabiller, se laver, se changer. Tous reçoivent le même kit : des habits propres, une couverture, de l’eau et des biscuits hypercaloriques. Le médecin repère les blessés, organise les premiers soins. Certains s’effondrent de fatigue, d’autres tremblent sur leurs deux jambes. Peu à peu, les visages se détendent. Ce n’est qu’au bout de quelques heures qu’ils commencent à raconter. La peur lors de la traversée, celle de se noyer sur cet esquif surchargé. Mais ce n’est pas elle qui tire les visages, creuse les orbites. Non, ce qui les hante, c’est la Libye.

« Ils m’ont vendu comme une chèvre ! »

Bouba, un Gambien costaud d’une trentaine d’années, bonnet en laine vissé sur la tête et sourire inoxydable, raconte : « Je suis venu en Libye pour travailler. Je pensais y trouver un futur, mais c’était une mauvaise idée. J’y suis resté un an. C’est court, un an, mais là-bas ça m’a semblé très long : la vie était très difficile. » Le sourire s’efface. « J’ai été kidnappé dès mon arrivée à Sabha [1]. Le passeur libyen rencontré à Agadès m’avait vendu à une bande de Bani Walid [2]. Ils m’ont enfermé avec plusieurs centaines de personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Je ne sais pas si c’était une prison officielle, il y avait des prisonniers avec des papiers en règles, permis de travail et tout. On ne m’a donné aucune explication. »Le récit se fait difficile, Bouba a du mal à déglutir : « Leur seule motivation, c’est l’argent. Ils te prennent tout ce que tu as, ils te mettent même à poil pour vérifier que tu ne caches rien. Ensuite, ils te demandent d’appeler ta famille pour qu’elle envoie de l’argent. Si tu n’en as pas, ils te frappent. Si tu en as, ils te frappent aussi, pour que les tiens entendent tes cris au téléphone. Moi, je suis seul, je n’ai personne, alors j’ai dû travailler en esclave. Ils voulaient 3 500 dollars pour ma liberté ! Et puis, un jour, ils m’ont laissé partir, sans que je sache pourquoi. »Omar, jeune Sénégalais de 19 ans, raconte une histoire semblable : « Je voulais aller en Europe, mais ils m’ont vendu. Comme une chèvre ! J’ai retrouvé la liberté contre de l’argent, mais j’ai été de nouveau capturé quelques jours plus tard. Ils me frappaient tous les jours, ne me donnaient pas à manger et m’ont obligé à appeler ma famille. Et même après le versement d’une rançon, ils ne m’ont pas libéré. Une nuit, j’ai gâté la porte et j’ai fui. »

Conditions de détention effroyables.

Les histoires se suivent et se ressemblent, avec plus ou moins de violences, plus ou moins de chance. Beaucoup arborent de vilaines cicatrices, causées par des menottes trop serrées aux poignets et aux chevilles. Certains souffrent de plaies infectées et de brûlures, d’autres de maladies de peau contractées dans la promiscuité des centres de détention. Près de la moitié d’entre eux n’avait aucune intention de passer en Europe au départ, mais ils n’ont eu d’autre choix que d’embarquer pour fuir le chaos libyen et sauver leur peau.D’après MSF, il existe 42 centres de détention officiels en Libye, où sont enfermés les immigrés clandestins. L’ONG n’a accès qu’à huit d’entre eux. « Il n’y a pas de registres d’entrée ni de sortie, raconte une chargée de mission de MSF en Libye [3], en visite sur le bateau. On ne peut pas effectuer de véritable suivi. Un matin, tu te pointes, et il manque 300 personnes par rapport à la veille… Impossible de savoir ce qu’ils sont devenus, s’ils ont été tués, libérés, transférés dans un autre centre ou mis dans des bateaux. Les prisonniers ne se plaignent pas, pour ne pas être battus, mais les conditions de détention sont effroyables. » Personne ne sait combien de prisons clandestines viennent s’ajouter aux 42 officielles.Enroulés dans leurs couvertures, les réfugiés dorment en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Toute la nuit, des bénévoles veillent, discutent avec ceux qui n’ont pas trouvé le sommeil, posent une main bienveillante sur une épaule, offrent un sourire. Demain matin, les réfugiés seront transférés sur le bateau d’une autre ONG qui rentre en Italie.

Ibrahim, deux mètres, 40 kilos

L’Aquarius a repris sa veille à l’ouest de Tripoli, dans les eaux internationales. La majorité des départs se fait depuis cette portion de côte, au large de Sabratha. Cette fois, la radio crachote un appel, mentionnant trois embarcations. Un autre navire est déjà sur place, mais il a besoin de renforts.Sur place, une embarcation manque à l’appel. Les passagers des autres bateaux expliquent que son moteur est tombé en panne et qu’ils l’ont perdue de vue. Ont-ils fait demi-tour, se sont-ils noyés, dérivent-ils encore ? Comment savoir ? Il faut se concentrer sur ceux qui sont là, entassés dans un bateau en bois et un canot pneumatique à moitié dégonflé. La ronde des canots de sauvetage reprend. Cette fois, il y a des femmes, des enfants, un bébé d’un mois. Pakistanais, Bengalis, Éthiopiens, Soudanais, Marocains… Beaucoup de mineurs non accompagnés. En tout, 266 personnes. Et Ibrahim.Quand il monte à bord, le silence se fait. Il est grand, pas loin de deux mètres. Et d’une maigreur irréelle, à peine 40 kilos. On dirait qu’il sort d’un camp de concentration. Il a de la fièvre, peut à peine marcher, parle dans un souffle. Le médecin Craig Spencer l’emmène dans la clinique. Il nous apprendra plus tard que le jeune homme est gambien, qu’il a seize ans, et souffre d’une septicémie. Il est en train de mourir de faim. Détenu pendant sept mois dans une prison clandestine de Sabratha, il est tombé malade après avoir dû cohabiter une semaine avec le cadavre en décomposition d’un compagnon d’infortune. À deux reprises, il a payé pour monter dans un canot. Deux échecs. La troisième, c’est le trafiquant lui-même, voyant qu’il allait mourir, qui l’a jeté dans la barque que l’Aquarius vient de secourir.

Séquestrations, viols, rackets.

À bord, les femmes sont regroupées dans un abri spécifique. Elles peuvent sortir sur le pont, mais aucun homme n’a le droit d’entrer dans leur refuge. C’est le royaume d’Alice, la sage-femme. Comme souvent, la majeure partie de ces femmes sont nigérianes, destinées aux réseaux de prostitution européens. Parfois, la « madame » – mère maquerelle – voyage avec elles. Certaines savent ce qui les attend, d’autres croyaient qu’elles seraient coiffeuses ou stylistes en Italie. Aucune n’a plus de vingt-cinq ans.Ce qui arrive aux femmes africaines en Libye, c’est Koubra, une Togolaise voyageant avec son mari, qui le raconte : « Il suffit qu’un Libyen te repère dans la rue, qu’il t’attrape, te mette dans sa voiture, puis te ramène chez lui et t’enferme. Il appelle alors ses copains et leur dit : « J’ai gagné une femme ». Que tu sois enceinte ou non, seule ou avec ton enfant dans le dos, ils s’en moquent. Ils viennent à cinq ou six, te menacent avec un fusil, puis te violent un à un. Quand ils ont fini, ils te demandent d’appeler ton mari pour qu’il paye la rançon. S’il manque quelques dinars ou que le mari n’est pas à l’heure, ils te gardent encore. »Elle décrit un enfer sur terre. « Tu ne peux te fier à personne. Certains chauffeurs de taxi t’obligent à les sucer, puis t’abandonnent dans la rue. Et les Libyennes ne se comportent pas mieux. J’ai travaillé pour une mère de famille qui, après m’avoir payé ce qu’elle me devait, a envoyé son fils me couper la route. Il m’a tout repris. » Après ce qu’elle a vécu, comment demander à Koubra de faire dans la nuance ? « Un bon Libyen, ça n’existe pas. Un bon Libyen, c’est celui qui te laisse la vie sauve, qui se contente de te torturer. »

Souffler, reprendre des forces.

L’Aquarius a reçu l’ordre de déposer ses naufragés à Pozzalo, en Sicile. Deux jours de navigation, avec seulement 267 réfugiés à bord – aberrant en terme de coût, mais c’est le MRCC qui décide. L’Italie veut garder la main sur la gestion de cette vague ininterrompue de réfugiés.Sur le pont arrière, Alice a mis de la musique. Une battle de danse s’improvise entre un jeune bengali et un marocain, tout à leur joie d’être en sécurité. Nombreux sont qui rient, tapent dans leurs mains, esquissent quelques pas. Mais beaucoup d’autres ont le regard perdu et se taisent, le visage fermé. Dans quelques heures, ils seront en Europe.Comment vont-ils être accueillis ? « On les prévient que ça ne va pas être facile, mais on ne brise pas tous leurs espoirs. Les trois jours qu’ils passent sur le bateau doivent constituer un répit : ils peuvent souffler, reprendre des forces. On ne peut pas leur dire crûment ce qui les attend », explique Marcella Kraay, chef de mission pour MSF.

« Les pays européens piétinent les droits de l’homme »

Tous sur le bateau, bénévoles de MSF et de SOS-Méditerrannée, ont bien conscience qu’ils combattent les symptômes, et non les causes. Que la solution est entre les mains des politiques, qui détournent la tête. Combien de noyés faudra-t-il encore ? « Je ne comprends pas que les États européens ne prennent pas la mesure de ce qui se passe en Méditerranée et qu’ils s’obstinent à financer un soi-disant État libyen [4], s’énerve Stéphane. Comme cet État libyen n’existe pas, ils financent peut-être les passeurs, peut-être les milices qui organisent ce trafic humain. Pourquoi est-ce que cela s’arrêterait ? C’est trop rentable. Les gens payent entre 500 et 2 500 euros leur passage sur des bateaux de la mort. »Le bénévole ne décolère pas : « Nous, ONG, sommes financés à 99 % par la société civile. Nous faisons le boulot des gouvernements et ils nous crachent à la gueule en nous accusant d’être de mèche avec les passeurs. Les pays européens prétendent se soucier des droits de l’homme, porter des valeurs humanistes, mais ils les piétinent allègrement. »Enfin les côtes siciliennes. Presque plus personne ne parle. Les formalités de débarquement prendront plusieurs heures, sous un soleil de plomb. Accueillis sur le quai par des silhouettes en combinaisons blanches, masquées, les réfugiés seront triés, numérotés, passés au détecteur de métaux, puis convoyés en bus vers des centres de rétention. Sur le bateau, tout le monde leur serrera une dernière fois la main. Alice se cachera pour pleurer. Les jointures de James blanchiront sur le bastingage. Les dents d’Anton grinceront d’impuissance. Puis ils se remettront au travail, nettoieront le bateau, prendront une cuite et repartiront le lendemain matin. Avec en tête cette phrase d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »Marie Nennès CQFD est un mensuel de critique et d’expérimentation sociale, disponible en kiosque le premier vendredi du mois. Pour découvrir quelques-uns de ses articles, rendez-vous sur son site Internet.

Notes

[1Oasis située à 600 kilomètres au sud de Tripoli, porte d’entrée pour ceux qui arrivent par le désert et plaque tournante du trafic humain.
[2Ville libyenne tenue par la tribu des Warfalla, souvent associée au régime du colonel Kadhafi, tombé en 2011.
[3Pour des raisons de sécurité, nous ne mentionnons pas son nom.
[4Trois gouvernements se disputent le pouvoir en Libye. S’y ajoutent un certain nombre de milices plus ou moins indépendantes.

 

Aider un migrant un acte de défense des droits humains

Amnesty international | Condamnation d’une défenseuse des migrants tessinoise « Ni trafiquante, ni délinquante, mais défenseuse des droits humains! »

Suite au jugement rendu par le Tribunal pénal jeudi 28 septembre, qui condamne une défenseuse des migrants tessinoise, Amnesty International s’inquiète de la condamnation de personnes dont la seule motivation est de porter assistance aux personnes migrantes et réfugiées sans rechercher d’autre contrepartie que de voir les droits humains respectés.

Selon le droit international, le trafic de migrants implique d’en retirer un bénéfice matériel ou financier, pas moral. Et selon ces mêmes règles internationales, qui lient les autorités suisses, l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les personnes ou associations qui œuvrent à la protection des droits humains et qui en dénoncent les violations. Dans son rapport « Italie : Expulsions illégales et violences à l’égard de migrants », publié en 2016, Amnesty International a fait état des pressions de l’Union européenne (UE) visant à inciter l’Italie à durcir le ton contre les personnes réfugiées et migrantes. Or, ces pressions ont débouché sur des expulsions illégales et des mauvais traitements susceptibles de constituer des actes de torture dans certains cas. Malgré ces carences du système d’asile italien dénoncées par Amnesty International, des organisations de la société civile ont indiqué que durant la seconde moitié de 2016, les autorités suisses avaient procédé à des renvois forcés illégaux vers l’Italie, qui concerneraient plusieurs milliers de demandeurs d’asile, dont plusieurs centaines de mineurs non accompagnés. Certaines de ces personnes avaient des proches établis en Suisse.

C’est dans ce cadre-là qu’Amnesty International s’inquiète du jugement rendu par le Tribunal pénal de Bellinzona ce jeudi 28 septembre, qui a reconnu Lisa Bosia Mirra coupable d’incitation répétée à l’entrée illégale et l’a condamnée à une peine pécuniaire avec sursis. Ce jugement ouvre la voie à la condamnation de multiples personnes dont la seule motivation est de porter assistance aux personnes migrantes et réfugiées sans autre contrepartie que de voir les droits humains respectés.

« Ni trafiquante, ni délinquante, Lisa Bosia Mirra est avant tout une défenseuse des droits humains », souligne Denise Graf, experte asile pour Amnesty International en Suisse. « Car il s’agissait bien de protéger les droits violés des mineurs et autres personnes vulnérables, qui étaient confrontés à l’inaction, aux défaillances et même aux atteintes à ces droits, portées par les autorités suisses et italiennes. » Lisa Bosia Mirra a porté assistance, avec son association Firdaus, à des migrants et des migrantes qui étaient bloqués dans le parc devant la gare S. Giovanni à Côme en raison des contrôles de frontière systématiques introduits par les autorités suisses. L’aide consistait à leur apporter de la nourriture, à établir des dossiers pour les mineurs non accompagnés en vue d’une entrée en Suisse, en contactant des membres de leur famille basés en Suisse, et à un soutien à des personnes particulièrement vulnérables pour entrer en Suisse ou se rendre en Allemagne.

Nadia Boehlen Porte-parole d’ Amnesty International Section suisse

Retrouvez ici  l’article “Les critères éthiques de la résistance”, qui présente une réflexion sur les problèmes liés à nos engagements en matière d’asile, et en particulier sur la question de l’attitude à adopter à l’égard du cadre que nous impose la politique de l’État dans ce domaine. Cet article de Pierre Bühler, professeur à la faculté de théologie à l’université de Zurich, est paru dans le numéro 130 de la revue Vivre Ensemble.

Pour info, Lisa Bosia Mirra organise une longue « Marche pour les droits et la dignité humaine » en Suisse, qui débutera en octobre. Plus d’informations ici:

http://www.sosf.ch/fr/sujets/divers/informations-articles/bainvegni-fugitivs-marsch.html

Jugement des conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme va juger les conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme vient d’annoncer qu’elle allait examiner la requête déposée voici plus d’un an par 51 personnes, demandeuses d’asile, de nationalités afghane, syrienne et irakienne (parmi lesquelles de nombreux mineurs) alors qu’elles étaient maintenues de force dans une situation de détresse extrême dans le hotspot de l’île de Chios, en mer Egée. [1]

Dans leur requête, ces personnes ont mis en évidence l’insuffisance et le caractère inadapté de la nourriture, les conditions matérielles inhumaines et dégradantes, voire dangereuses auxquelles elles étaient soumises, les grandes difficultés d’accès aux soins, la non prise en compte de situations de particulière vulnérabilité – femmes enceintes, enfants en bas âge, mineurs isolés -, mais aussi l’arbitraire administratif et le maintien dans un état d’incertitude angoissante dont elles étaient victimes. Et cela, alors qu’elles étaient interdites de quitter l’île de Chios, devenue prison à ciel ouvert.Tous ces éléments sont documentés dans le rapport rendu public par le Gisti après la mission qu’il a effectuée dans les hotspots de Chios et de Lesbos, au mois de mai 2016, au cours de laquelle il a rencontré les 51 plaignants : Accord UE-Turquie : la grande imposture.

Cette annonce de la Cour intervient au moment même où, dans un rapport du 26 septembre 2017, dont les observations convergent avec celles du rapport du Gisti, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe critique sévèrement la façon dont sont traités les ressortissants étrangers dans les hotspots sur les îles de la mer Egée, pointant notamment la « surpopulation combinée à un niveau accru de violence entre personnes retenues, à des soins de santé de base insuffisants, à une aide aux personnes vulnérables non appropriée et à des garanties juridiques déficientes », qui, selon le CPT, « a créé une situation hautement explosive ».

Elle coïncide également avec le terme de l’opération de « relocalisation », dans les différents États membres de l’Union européenne (UE), des demandeurs d’asile arrivés dans les hotspots de Grèce et d’Italie depuis le mois de septembre 2015. Une opération dont l’échec patent (moins du quart de l’objectif fixé a été atteint), faute de volonté politique et de solidarité au sein de l’UE, renvoie la Grèce et l’Italie, qu’elle était censée soulager, à leur rôle de gardes-frontières de l’Europe, avec toutes les conséquences dramatiques que cette situation entraîne pour les personnes qui se trouvent bloquées dans ces deux pays.

Dans sa communication sur le cas des 51 demandeurs d’asile de Chios, la Cour européenne des droits de l’homme interroge les conditions matérielles de leur détention et leur conformité avec les règles posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) (pas de détention arbitraire, droit d’être informé des raisons de sa détention, droit de former un recours pour qu’il y soit mis fin). Elle a en revanche écarté les risques invoqués par les requérants pour leur droit à la vie, également protégé par la CEDH. On peut certes considérer que dans leur cas, ce droit n’était pas violé à la date de la requête. Cependant, le caractère chronique des très mauvaises conditions d’« accueil » des personnes confinées dans les hotspots grecs, qui s’est confirmé au fil des mois, a entraîné le décès de plusieurs d’entre elles, soit de froid, soit de maladie, soit par suicide. Des morts qu’on ne saurait imputer à la fatalité ou la malchance, mais bien aux effets directs, bien que discrets, d’une politique inhumaine.

Voir le rapport de mission du Gisti dans les hotspots de Lesbos et Chios « Accord UE-Turquie, la grande imposture », juillet 2016

Version en anglais : mission report in the Greek hotspots in Lesvos and Chios « EU-Turkey statement : the great deception », july 2016

[1Requête n° 34215/16, AK et autres contre la Grèce

27 septembre 2017 http://www.gisti.org/spip.php?article5739

La cuisine solidaire comme antidote à la crise

CONSTANTINOS POLYCHRONOPOULOUS – La cuisine solidaire comme antidote à la crise

Par Lepetitjournal Athènes

Cadre supérieur dans le marketing, Constantinos, 46 ans, a dû se résoudre, après son licenciement, à retourner vivre auprès de sa mère. Plus d’emploi, pas d’espoir de décrocher un nouveau poste après 2 ans de recherches intensives restées vaines…. Mais observant de nombreux Grecs dans des situations tragiques, pire que la sienne, fouillant les poubelles pour trouver de quoi se nourrir, il décide de se retrousser les manches et de venir en aide aux autres.

L’idée de la cuisine sociale baptisée « l’autre être humain » est née ! Quant à son initiative, Constantinos considère qu’elle est le moteur d’une solidarité humaine sans précédent et ne se limite pas simplement à offrir des repas. Il ajoute même que « la solidarité n’a rien à voir avec la philanthropie ou la charité. Solidarité veut dire Amour et Respect! C’est de cela dont nous avons besoin, qui nous fait nous surpasser ».  

La cuisine sociale et solidaire se déplace même dans des quartiers jusque là épargnés par la crise : Kolonaki, Kifissia ….

La cuisine se fait chaque jour en fonction des dons. Tous les quartiers sont visités pour offrir des repas.

Chaque point de rencontre ressemble à un rituel : des bénévoles arrivent avec des voitures pleines à craquer : de l’alimentaire, mais aussi des couverts, des tables pliantes, des casseroles, et se lancent dans la préparation des repas . Ils font connaissance, mangent ensemble et construisent une passerelle de solidarité entre « les pauvres » et… les autres !

L’action de Constantinos a fait des émules et avec l’aide et l’encouragement de la population athénienne, 13 groupes se sont créés comme ceux de Megara, Lavrio, Salamina, mais aussi plus loin de la capitale comme à Lesvos où l’on prépare des repas pour les réfugiés.

3 millions de repas chauds ont été distribués dans la rue, depuis le lancement de l’opération en 2011. Le mouvement a essaimé en dehors des frontières grecques, en Espagne, en Italie.

En fin d’année 2015, Constantinos Polychronopoulos est élu Citoyen de l’Année par le Parlement Européen. Il a refusé son prix, arguant du fait que le Parlement Européen avait une grande responsabilité dans la crise qui étrangle son pays.

Depuis 4 ans, « l’Autre être humain » a son fief de base, à KerameiKos, rue Plataion 55. C’est un endroit hospitalier, qui permet aux sans-abris de prendre une douche, de changer de vêtements et bien sûr de manger. Une chambre remplie de jouets est dédiée aux enfants, ainsi qu’une bibliothèque.

2 à 3 fois par semaine, des bénévoles enseignent le grec. Ordinateurs et accès à internet complètent l’ensemble.

Pour en savoir plus et /ou apporter votre aide : http://oallosanthropos.blogspot.fr/p/cuisine-sociale-l-autre.html

Vicky STRAPATSAKI (lepetitjournal.com/athenes) 28/9/2017

Le Petit Journal d’Athènes est un magazine d’information gratuit, en ligne et en français sur la Grèce.

https://lepetitjournal.com/athenes/actualites/constantinos-polychronopoulous-la-cuisine-solidaire-comme-ant

 

Couleurs d’automne La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Couleurs d’automne 

Couleurs d’automne. Belle lumière, pluie… nouvelle qui tombe parfois sur l’Hellade, et la première neige couvrant déjà les sommets de l’Olympe. Dans le Péloponnèse côtier, les pêcheurs regagnent le port au petit matin chaudement habillés, leurs prises sont certes modérées mais suffisantes. Une fois à quai, leur constat exprimé de règle à haute voix, relève pour ainsi dire du rituel: “Dieu nous a préservés du pire encore aujourd’hui.” Qui sait ?

Automne. Pêche à la ligne. Péloponnèse, septembre 2017

En cette Grèce primo-automnale seuls les journalistes, tous medias confondus d’ailleurs, n’en finissent pas d’évoquer, de prédire, d’annoncer comme de redire, au sujet des élections en Allemagne. Trivialités et alors truismes européens en plein hiver politique… établi en réalité depuis près de trente ans.

“Nous consacrerons ‘à chaud’ toute notre soirée du 24 septembre aux élections en Allemagne, elles sont importantes, très importantes aussi pour la Grèce” ; alertaient dès la veille les journalistes de la radio 90,1 FM, à l’instar des autres medias. On en déduira que les événements de la Métropole influencent de fait sur ceux de la Colonie, truismes toujours, et cela depuis Thucydide comme autant par exemple depuis le temps de l’Empire romain.

Sur les terrasses des bistrots du Péloponnèse, toujours durant cette soirée du 24 septembre, les habitués auront toutefois préféré suivre les matchs de football, on en déduira par conséquence que les événements du ballon rond influencent… de fait sur ceux de la Colonie, d’après une certaine doxa populaire en tout cas.

Plus au nord en Grèce, les visiteurs enchantés contemplent quant à eux la terre et le ciel des Météores, beau spectacle, tandis que les religieuses des monastères homonymes déchargent… très sérieusement de leur pick-up 4×4 les vivres achetés en ville, modernité oblige. Admirables Météores, à la spiritualité visiblement insaisissable car trop emplis de visiteurs, on dirait que seuls leurs animaux adespotes boivent encore de l’eau comme alors du petit lait. Météores, soulignons-le, du grec ancien “meteôros – élevé, dans les airs – suspendu”, réalité suspendue, car c’est autant d’époque.

Les Météores, beau spectacle. Thessalie, septembre 2017
Les visiteurs enchantés des Météores. Thessalie, septembre 2017
Religieuses des monastères homonymes déchargent… Météores, septembre 2017
Animal adespote buvant de l’eau. Monastères des Météores, septembre 2017

En ville proche et profondément thessalienne de Trikala, les retraités du coin, tout comme ceux du lointain Péloponnèse comptent notamment leurs sous… devant trois grappes de raisins de Corinthe, réputés comme on sait sans pépins. Sur le marché traditionnel car tenu à Trikala depuis le 19ème siècle, les producteurs locaux étalent leurs légumes et autant leur scepticisme. Pourtant, en cette Grèce périphérique, les existences humaines se montrent plus souriantes qu’à Athènes.

La vie s’y voudrait davantage paisible, et immanquablement elle l’est aux dires de tous. Petite allégresse locale, perceptible également jusqu’au site de l’antique dispensaire d’Asclépios, un financement (essentiellement privé) a été trouvé après plus de quatre décennies d’apraxie, et les fouilles ont ainsi pu reprendre.

En cette fin septembre, certes aux belles couleurs d’automne, à Trikala, comme dans les bistrots du Péloponnèse côtier au lendemain du temps électoral allemand, les sujets abordés sont en réalité forts différents. Tel le patron d’un café du Péloponnèse évoquant avec ses amis son expérience issue d’un récent déplacement à Thessalonique et à Vólos. Ils comparent naturellement les prix pratiqués dans les tavernes à ouzo “là-haut”, “sensiblement plus bas que chez nous” aux usages dans leur région. La saison touristique se terminer d’ailleurs en ce moment, c’est aussi l’heure du bilan… comme du foot à la télévision.

“Chez nous, les restaurateurs exagèrent. Leurs plats coûtent deux fois plus cher qu’à Vólos. C’est de la démesure, mais elle s’explique. Étant donné la situation du pays, la paupérisation des habitants, les prix devraient baisser, mais elles ne baissent pas. C’est pour cette raison que parmi ceux qui sortent, certains iront le plus souvent se restaurer auprès des petites tavernes à souvlaki. Brochettes, petits prix uniformisés, du standard alors ordinaire.”

Trikala, retraités du coin et raisins de Corinthe. Septembre 2017
Les producteurs locaux et leurs légumes. Trikala, septembre 2017
Les producteurs locaux et leurs légumes. Trikala, septembre 2017
Le marché réputé traditionnel. Trikala, Thessalie, septembre 2017

“Écoutez les gars, je peux vous exposer la raison pour la quelle les prix ne baissent pas chez nous. D’abord, nos restaurateurs veulent gratter le maximum durant la saison touristique… mais aussi durant le reste de l’année si possible. Ensuite, la réalité grecque se résume en ceci: Un tiers de la population est en train de subir une paupérisation sans précédant, ces gens, touchent rarement une petite allocation de deux cent euros par mois, le plus souvent, ils sont soutenus par leurs familles. Donc ils ne fréquentent plus nos établissements, sauf très rarement et cela pour une petite brochette souvlaki une fois tous les six mois ou pour un petit café.”

“Un deuxième tiers de la population vivote… convenablement, gagnant de cinq cents à mille euros par mois, fonctionnaires d’ailleurs compris. Ces gens sont nos clients, mais ils consommeront de manière bien modérée et pondérée, c’est normal. Vient ensuite le dernier tiers de la population, fonctionnaires parfois comme tous les autres.”

“Ces Grecs ont de l’argent capitalisé sous formes diverses depuis près de trente ans, c’était durant les années fastes, et c’est connu. Ils se plaignent car il faut faire comme les autres sauf qu’ils ont les moyens, ainsi leur manière de consommer, plus la surimposition qui pèse sur nous, font que les prix restent anormalement élevés.”

“Et les plus affaiblis en souffrent, et ils souffriront encore et encore. Les restaurateurs, par exemple de Vólos, ils l’ont compris, il faut ratisser plus large, proposer ainsi leurs plats à une clientèle beaucoup plus étendue, donc beaucoup moins aisée. C’est plus juste et à la longue, c’est à mon avis payant pour ces entreprises. Sauf que les nôtres ici ne comprendront jamais rien.”

Fouilles sur le site d’Asclépios. Trikala, septembre 2017
Le port de Vólos. Thessalie, septembre 2017
Retraités à Vólos. Septembre 2017
“Je rédige vos travaux universitaires”. Vólos, septembre 2017

Et à Vólos même, les retraités, grands habitués des bistrots auront ces discussions ainsi similaires, puis, près du grand port thessalien et de son université, une petite pancarte… artisanale publicitaire informe très précisément son éventuelle clientèle: “Je rédige vos travaux et mémoires sur de sujets de pédagogie et d’éducation spécialisées, et je peux aussi traduire de l’anglais vers le grec”.

La… marchandisation dévergondée du savoir, livré à la manière des pizzas… au service des futurs chômeurs. Il fallait autant y penser, sauf qu’à Vólos, l’ouzo et les tavernes se montrent vraiment plus abordables que dans le Péloponnèse. Époque manquée !

“Les hommes, vraiment nécessaires manquent ; les nuisibles parmi eux sont par contre bien nombreux: revendeurs, escrocs, égotiques, opportunistes, baratineurs, bons à rien, je-m’en-foutistes et tant d’autres. Il fut un temps, ces derniers ne comptaient guère, à présent, ils deviennent fléau. C’est parce que les autres sont humiliés et amputés, alors tout est susceptible d’irriter leurs plaies”, écrivait dans son carnet notre poète Yórgos Seféris, le dimanche 20 septembre 1942 (édition, “Ikaros”, Athènes 2007).

Yorgos Seféris (presse grecque)
Les obsèques de Yorgos Seféris, Athènes, 22 septembre 1971 (presse grecque)

Yórgos Seféris, nom de plume du poète et diplomate Yórgos Seferiádis, lauréat du prix Nobel de littérature en 1963, était né le 13 mars 1900 à Smyrne, et il est mort à Athènes le 20 septembre 1971… sous l’autre dictature, celle des Colonels. Ses obsèques ont donné lieu à une grande manifestation populaire et spontanée contre le régime, la poésie en plus.

En ce 20 septembre 2017, les medias de la Colonie ont (bien furtivement) évoqué la date anniversaire de la disparition physique de notre poète avant de passer à autre chose. Journalistes… revendeurs, escrocs, opportunistes, baratineurs, ont ainsi évoqué Seféris, le temps de revenir aux balivernes habituelles à usage alors plénier. Nouvelles sans cesse juxtaposées sans le moindre regard critique, ce monde que déjà en 1942 Yorgos Seféris abhorrait tant.

Parmi ces… nouvelles, la supposée grande pollution du Golfe Saronique par le naufrage du petit pétrolier près de Salamine il y a deux semaines, puis, le départ soudain du navire nettoyeur dépêché sur place afin de pomper les quantités d’hydrocarbures restant dans les cuves du pétrolier coulé… Le capitaine du navire nettoyeur a été mis en état d’arrestation pour trafic présumé illégal de carburants (presse grecque du 20 septembre) , puis… l’importance annoncée de partout des élections tenues en Allemagne.

La Grèce, et toutes ses couleurs locales, ses animaux adespotes sous les Météores, ou alors ses boutiques chinoises parfois déjà en faillite à Trikala, le tout sous cet automne… en réalité omniscient. “Dieu nous a préservés du pire encore aujourd’hui” !

La Grèce et ses couleurs locales. Thessalie, septembre 2017
Animaux adespotes sous les Météores. Septembre 2017
Animaux adespotes sous les Météores. Septembre 2017
La Grèce et ses couleurs locales. Thessalie, septembre 2017
Boutique chinoise en faillite. Trikala, Thessalie, septembre 2017

Couleurs d’automne. Dans les montagnes grecques, les traces ultimes du camping libre seront bientôt levées et sur les plages de la Grèce centrale, ceux de passage se contentent parfois que de mettre un seul pied dans l’eau. “Dans quel monde vivrons-nous ?”, suggère alors à son unique manière ce message griffonné sur un mur à Trikala, l’aporie est du moins bien claire.

Loin, très loin même des préoccupations du plus grand nombre (ou de celui dont l’esprit fonctionne encore un peu) les familles aisées de Trikala célèbrent comme toujours le baptême de leurs petits, dans les églises les plus anciennes de la région. L’histoire monumentale… au secours de l’hybris monumentale, plus l’électrifié et le kitsch.

Sinon pourtant, belle lumière, nouvelles pluies sur l’Hellade et la première neige qui couvre déjà les sommets de l’Olympe, magnifique pays… été comme hiver !

Traces ultimes de camping libre. Thessalie, septembre 2017
Mettre un seul pied dans l’eau. Grèce centrale, septembre 2017
“Dans quel monde vivrons-nous ?”. Trikala, septembre 2017
Baptême chez la classe aisée de Trikala. Thessalie, septembre 2017
Baptême chez la classe aisée de Trikala. Thessalie, septembre 2017

Belle lumière, pluies sur l’Hellade et la première neige qui couvre déjà les sommets de l’Olympe. Il était temps dans un sens. Dans les bistrots, on discute alors météo, tandis que les baignades restent encore possibles ici ou là, dans le Péloponnèse côtier par exemple.

Les petits pêcheurs reviendront à quai port au petit matin habillés chaudement, et un drôle de navire sous pavillon britannique a brièvement fait son apparition près de l’île d’Hydra.

Drôle de navire. Entre Hydra et le Péloponnèse. Septembre 2017

Automne… et quant à la survie de ce blog… les difficultés hivernales s’annoncent déjà. Belles couleurs d’automne pourtant, Hermès, le (deuxième) chat de “Greek Crisis” grandit, et l’espoir peut-être avec.

Hermès… le deuxième chat de “Greek Crisis”. Septembre 2017
* Photo de couverture: Couleurs d’automne. Péloponnèse, septembre 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Le modèle allemand est une tragédie grecque

24/9/17 Entretien avec Guillaume Duval

Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives Économiques. Il a travaillé pendant plusieurs années dans l’industrie allemande et est notamment l’auteur de Made in Germany : Le modèle allemand au-delà des mythes, paru en 2013.

 LVSL : Les débats autour de la loi Travail font rage en France. Au cœur des discussions, on retrouve régulièrement la référence au « modèle allemand » et aux politiques menées par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder dans les années 2000. Les réformes du marché du travail connues sous le nom de « lois Hartz » sont régulièrement érigées en exemples à suivre. Quels sont les principaux aspects de ces réformes ? Quel a été leur impact sur la société allemande ?

Au cœur des lois Hartz, on trouve la réduction de la durée d’indemnisation du chômage et le renforcement de la pression sur les chômeurs pour qu’ils acceptent des boulots. Après un an au chômage, les demandeurs d’emploi tombent dans une sorte de RSA allemand beaucoup plus contraignant qu’en France : il faut donner des informations sur son patrimoine, on n’a pas le droit de le toucher si on a un trop grand appartement ou une grosse voiture, etc. C’est ce qui a été très mal vécu.

L’autre aspect le plus important de ces réformes, en dehors des lois Hartz, c’est le développement des « minijobs » : lorsque l’on touche moins de 450 euros en Allemagne, on ne paie quasiment pas de cotisations sociales mais on n’a pas non plus de protection sociale. Aujourd’hui, 7,8 millions d’Allemands sont sous ce statut. 5,4 millions ne font que cela et ne pourront percevoir de retraite alors qu’ils ont travaillé. Ce sont essentiellement des femmes qui sont concernées.

Les réformes Schröder ont provoqué une forte augmentation de la pauvreté en Allemagne. Elle est aujourd’hui supérieure de trois points à ce qu’elle est en France. Les inégalités ont beaucoup augmenté en Allemagne, davantage qu’en France. L’Allemagne est un des pays de l’OCDE où elles ont le plus augmenté depuis 15 ans. La pauvreté, en particulier, touche beaucoup plus les salariés : 9% de salariés allemands sont pauvres, contre 6% en France. Elle touche aussi particulièrement les retraités, dont 18% sont pauvres.

« Les réformes Schröder ont eu pour effet majeur de renforcer les inégalités, et en particulier les inégalités hommes-femmes, car ce sont surtout les femmes qui occupent ces petits boulots à temps partiel. »

Une réforme des retraites passée après Schröder – mais également menée par un social-démocrate – a repoussé l’âge de départ à la retraite à 67 ans en 2030 et a réduit les taux de remplacement. Il y a d’ores et déjà beaucoup plus de retraités pauvres qu’en France.

Les minijobs se sont beaucoup développés dans les services à la personne, dans les bars, les restaurants, etc. Les salariés allemands sont donc beaucoup moins couverts par des conventions collectives : seuls 56% d’entre eux sont couverts par une convention collective contre 98% en France. Mais en Allemagne, le droit du travail d’origine étatique est très faible, c’est-à-dire que tout vient quasiment des conventions collectives. Les réformes Schröder ont donc eu pour effet majeur de renforcer les inégalités, et en particulier les inégalités hommes-femmes, car ce sont surtout les femmes qui occupent ces petits boulots à temps partiel.

LVSL : Comment les réformes Schröder ont-elles impacté concrètement le travail des femmes ?

L’un des effets de ces réformes a consisté à amener massivement les femmes sur le marché du travail dans un pays où elles étaient davantage au foyer qu’en France. On a l’habitude de considérer que l’Allemagne est un pays social-démocrate, mais ce n’est pas vrai. L’Allemagne est un pays conservateur, reconstruit par des conservateurs durant tout l’après-guerre et qui se caractérise par le fait que les femmes sont restées beaucoup plus longtemps et beaucoup plus souvent à la maison qu’en France. Guillaume II résumait au début du XXe siècle la place des femmes dans la société allemande par l’expression : enfants, cuisine, église (Kinder, Küche und Kirche). Mais si on demandait à Adenauer au début des années 1960, ce n’était pas très différent.

Cela a beaucoup changé, mais de manière très inégalitaire : un homme salarié allemand travaille une heure de plus par semaine qu’un homme salarié français. Mais une femme salariée allemande travaille trois heures de moins qu’une femme salariée française. L’écart entre les hommes et les femmes en Allemagne est de neuf heures en moyenne chaque semaine. Il est de 4 heures en France, il s’est réduit grâce aux 35h qui ont davantage baissé le temps de travail des hommes, car les femmes étaient plus à temps partiel et n’ont pas vu leur temps de travail diminuer. Ce temps de travail des femmes a augmenté avec Schröder car les réformes ont fait entrer beaucoup de femmes sur le marché du travail, mais à temps très partiel.

LVSL : Selon vous, l’économie allemande ne s’est pas rétablie dans les années 2000 grâce aux réformes Schröder mais en dépit des réformes Schröder. Comment expliquez-vous dès lors le redressement économique de l’Allemagne ?

J’y vois trois raisons principales. La première, c’est que l’Allemagne a beaucoup profité de sa faible démographie, ce qui constitue une différence majeure avec la France. Il y a deux enfants par femme en moyenne en France, contre 1,5 en Allemagne aujourd’hui. Il y en avait 1,3 jusqu’à récemment. Il y a donc très peu de jeunes en Allemagne, c’est notamment pour cela qu’il y a moins de chômage des jeunes. Surtout, les Français sont persuadés que c’est un atout pour la France d’avoir beaucoup de jeunes : cela sera peut-être vrai un jour, mais pour le moment cela coûte très cher. Quand on a des enfants, il faut payer des téléphones portables, des vêtements de marque, etc. Il y a beaucoup de dépenses privées que les ménages n’ont pas à assumer s’ils n’ont pas d’enfants. Et par ailleurs, il y a les dépenses publiques : en Allemagne, les enseignants sont beaucoup mieux payés qu’en France, il y a moins d’élèves par classe. Etant donné qu’il y a moins d’enfants, l’Allemagne dépense 0,7 points de PIB de moins que la France pour l’éducation. Moins de dépenses privées et moins de dépenses publiques donc.

En matière de dépenses publiques, il est important de prendre en compte le nombre de personnes d’âge inactif que les actifs doivent nourrir. Si on prend la population âgée de 15 à 65 ans, qu’on définit comme l’âge actif, et qu’on y rapporte le nombre de moins de 15 ans et de plus de 65 ans, il y a 1,9 actifs par inactif en Allemagne tandis qu’il y en a 1,7 en France. Bien qu’il y ait déjà plus de personnes âgées en Allemagne, il y a surtout moins de jeunes qu’en France, et ce ratio est donc plus favorable : cela signifie que l’économie allemande a moins de mal à entretenir ses inactifs que l’économie française.

« Quand vous n’avez pas d’enfants à nourrir, que les prix de l’immobilier sont stables, c’est plus facile de supporter une austérité salariale prolongée (…) L’Allemagne a profité de sa faible démographie pour améliorer sa compétitivité-coût. »

L’autre aspect essentiel en rapport avec la question démographique, c’est la question immobilière. Les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté en France, nous sommes l’un des pays qui a connu la bulle immobilière la plus importante notamment du fait de notre démographie : il y a de plus en plus de ménages, les prix augmentent. En Allemagne, les prix n’avaient pas évolué jusque dans les quatre ou cinq dernières années, car il n’y avait pas de pression démographique. Ils ont commencé à augmenter au cours des dernières années, ce qui inquiète les Allemands. Mais tout de même, l’écart reste de de 40% aujourd’hui entre les prix de l’immobilier neuf en Allemagne et les prix de l’immobilier neuf en France. C’est 12 000 euros le mètre carré à Paris, contre 6 000 euros à Munich, qui est la ville la plus chère d’Allemagne. Quand vous n’avez pas d’enfants à nourrir, que les prix de l’immobilier sont stables, c’est plus facile de supporter une austérité salariale prolongée. C’est plus difficile en France. Il n’y a eu aucune explosion des coûts salariaux en France, contrairement à ce que l’on raconte : dans les années 2000, nous sommes l’un des pays dans lesquels ils ont le moins augmenté. Mais il est vrai qu’ils ont plus augmenté qu’en Allemagne. L’Allemagne a en fait profité de sa faible démographie pour améliorer sa compétitivité-coût.

L’Allemagne profite aussi d’une spécialisation très ancienne qui n’a rien à voir avec Schröder : elle produit des machines. Et quand les usines poussent comme des champignons en Inde, en Chine, au Brésil parce que ces pays s’industrialisent, ce sont des machines allemandes qu’on implante. L’Allemagne a bénéficié de l’industrialisation des pays émergents. En France, les seuls biens d’équipement que l’on produit sont les centrales nucléaires, dont personne ne veut. L’Allemagne, c’est 18% des emplois totaux en Europe. Mais dans le domaine des équipements et des machines, elle regroupe 34% des emplois. Deux fois plus que sa propension en Europe. Pour la France, c’est exactement l’inverse : elle représente 12% des emplois en Europe mais seulement 6% dans les machines et les équipements. C’est une spécialisation très importante pour comprendre pourquoi l’économie allemande est repartie dans les années 2000, au moment où l’industrialisation a explosé, en particulier en Chine.

L’Allemagne a aussi une spécialisation très ancienne dans les voitures haute gamme. Quand une partie des 1,4 milliards de Chinois commencent à acquérir des grosses voitures, ou plus exactement à se le faire acheter par l’Etat ou par leurs entreprises, ils choisissent des BMW, des Audi, des Porsche, des Mercedes, et pas des Renault et des Citroën. Et cela n’a strictement rien à voir avec le coût du travail. Le coût du travail dans l’industrie automobile allemande reste 20% supérieur à celui de l’industrie automobile française. Ce n’est pas parce que le travail coûte moins cher en Allemagne qu’ils produisent et qu’ils vendent plus de voitures que nous.

Enfin, l’Allemagne a profité de la chute du mur de Berlin. Quand on dit cela à des Allemands, ils vous regardent avec des grands yeux parce qu’ils ont l’impression que la chute du mur leur a coûté extrêmement cher. C’est vrai, mais cela n’a pas eu que des inconvénients pour eux. D’une part, cela a créé beaucoup de débouchés pour l’économie allemande dans les années 1990. De ce fait, ils n’ont pas eu d’excédents extérieurs, ce qui les a beaucoup traumatisés, parce que les Allemands aiment beaucoup les excédents extérieurs. Mais ce n’est pas plus mal d’investir chez soi plutôt que d’avoir des excédents extérieurs pour les prêter aux Grecs sans qu’ils puissent les rembourser ensuite. D’autre part, l’Allemagne a pu construire de nombreuses usines neuves avec des subventions européennes à l’Est. Les Allemands de l’Ouest ont pu trouver du travail à l’Est parce qu’ils sont devenus cadres dirigeants dans le privé et dans le public.

« Le coût du travail dans l’industrie automobile allemande reste 20% supérieur à celui de l’industrie automobile française. Ce n’est pas parce que le travail coûte moins cher en Allemagne qu’ils produisent et qu’ils vendent plus de voitures que nous. »

L’Allemagne a acquis un avantage en mettant ainsi la main sur l’économie de l’Europe centrale et orientale. Les firmes allemandes ont investi trois fois plus en Europe centrale et orientale que les firmes françaises. L’Allemagne exporte 2,5 fois plus que nous, mais ils importent aussi deux fois plus que nous, notamment car ils ont beaucoup délocalisé dans les pays de l’Est. Mais ils ont délocalisé tout en conservant le savoir-faire, tout en discutant beaucoup avec les syndicats et en maintenant donc beaucoup d’usines dans l’ouest de l’Allemagne. Avant la chute du mur, le pays à bas coût qui fournissait l’Allemagne, c’était la France. Après la chute du mur, ce sont la Pologne et la République Tchèque. Ce basculement a offert à l’Allemagne un avantage compétitif majeur, car le coût du travail en Pologne est quatre fois moins cher qu’en France. Le coût des composants qui sont intégrés dans les produits que fabrique l’Allemagne ont baissé, ce qui a permis au pays de diminuer ses prix sur le marché mondial.

Cela leur a aussi permis d’amortir l’effet de la hausse de l’euro par rapport au dollar dans les années 2000. L’euro commençait à 0,9 dollars en 1999 avant de monter à 1,6, c’est ce qui a tué l’industrie en France ou en Italie. L’Allemagne a pu contrebalancer cet effet en achetant des composants en Pologne et en République tchèque. Cette dynamique s’est enclenchée dans les années 2000. Pendant les années 1990, c’était la pagaille en Europe centrale et orientale. A partir des années 2000, les PECO sont entrés dans l’UE.

LVSL : Comment expliquez-vous l’apparente résilience de l’Allemagne face à la crise économique démarrée en 2008 ?

L’Allemagne a bien résisté à la crise pour une raison essentielle : le marché du travail n’est pas flexible du tout, malgré ce que voulait faire Gerhard Schröder. En 2009, ils n’ont licencié personne malgré une récession deux fois plus forte qu’en France, tandis que la France a licencié 300 000 personnes avec 3% de récession. Ils ont utilisé la flexibilité interne, la négociation interne, le chômage partiel financé par l’Etat. Mais cela n’a rien à voir avec les réformes Schröder. Ce dernier voulait rapprocher le marché du travail allemand du marché du travail anglo-saxon, pour pouvoir licencier plus facilement, etc. Ce n’est pas ce qui s’est passé.

Deuxièmement, l’Allemagne a profité pendant la crise de taux d’intérêt beaucoup plus bas que les autres pays européens. C’est vrai aussi pour la France. Si l’Etat allemand avait dû payer sa dette pendant la crise au même taux qu’en 2008, il aurait dépensé 250 milliards d’euros de plus entre 2009 et 2016. La crise a été une très bonne affaire pour l’Etat allemand. D’autre part, les entreprises allemandes aussi ont pu bénéficier de taux d’intérêt très bas pendant tout cette période.

« Tout le monde souhaite faire ce type de réformes pour que cela aille aussi bien qu’en Allemagne. C’est une catastrophe, une tragédie grecque au sens propre du terme. »

Les entreprises allemandes ont également bénéficié de la baisse de l’euro par rapport au dollar. L’euro était à 1,6 dollar en 2008, il a baissé jusqu’à 1,1 dollar aujourd’hui, environ. Cette diminution, liée à la politique de la BCE, a permis à l’industrie allemande de compenser par des exportations hors d’Europe les exportations qu’elle a perdu en Europe du fait de la crise de la zone euro. L’Allemagne a toujours autant d’excédents extérieurs, et même davantage, mais les excédents provenaient aux deux tiers de l’Europe avant la crise, tandis qu’ils proviennent au deux tiers de l’extérieur de l’Europe aujourd’hui. Et tout cela non plus n’a strictement rien à voir avec les réformes Schröder. Au contraire.

Les Allemands restent toutefois persuadés que c’est grâce aux réformes Schröder que ça se passe mieux. La France le croit aussi, le reste de l’Europe aussi. Donc tout le monde souhaite faire ce type de réformes pour que cela aille aussi bien qu’en Allemagne. C’est une catastrophe, une tragédie grecque au sens propre du terme. Si les réformes Schröder n’ont pas eu des effets plus négatifs, c’est uniquement parce qu’à l’époque les Espagnols, les Grecs, les Italiens et les Français s’endettaient pour acheter des produits allemands. Mais si l’on se sert tous la ceinture de la même manière que les Allemands se la sont serrés au début des années 2000, et qu’eux-mêmes ne desserrent pas leur ceinture, l’Europe est condamnée à la stagnation, au populisme, au Front national, etc. C’est une menace pour l’avenir de l’Europe.

LVSL : Au-delà des mythes et à rebours des préconisations des libéraux, certaines recettes mises en œuvre en Allemagne ne pourraient-elles pas constituer des sources d’inspiration pour la France ?

Très bonne question. On nous raconte qu’il faudrait s’inspirer de l’Allemagne sur les réformes Schröder, c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire. Effectivement, il y a des choses en Allemagne que l’on pourrait chercher à copier. C’est toujours très compliqué de copier, car il y a toujours des histoires très longues derrière. On peut s’inspirer, et on a commencé à le faire même si ce n’est pas très efficace, de la décentralisation à l’allemande car cela permet d’avoir un territoire plus équilibré et par conséquent une économie plus résiliente. C’est vrai que cela va mal dans la Ruhr, mais la situation est meilleure en Bavière et l’économie du pays s’en sort.

On pourrait s’inspirer de l’apprentissage. 40% des Allemands rentrent sur le marché du travail via l’apprentissage, cela se passe plutôt bien et il faut bien comprendre pourquoi : d’une part, l’apprentissage est très sérieusement encadré, ce ne sont pas les apprentis qui font le café et qui balaient la cour. Et d’autre part, quand on commence comme apprenti on peut monter dans les entreprises par la suite. Aujourd’hui en France, les gens se battent pour obtenir un diplôme initial parce que c’est la condition d’entrée sur le marché du travail. Si on commence par l’apprentissage, on a de grandes chances d’être condamné aux boulots du bas de l’échelle pendant toute sa vie.

« On peut s’inspirer de la gouvernance d’entreprise en Allemagne (…) Il y a une moitié de représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises, et pas juste un représentant placé là pour amuser la galerie. »

Il faudrait aussi s’inspirer de ce que fait l’Allemagne en matière d’écologie et de transition énergétique. C’est souvent critiqué en France, c’est compliqué, mais ils ont fait un effort colossal pour développer l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Surtout, on peut s’inspirer de la gouvernance d’entreprise en Allemagne. Macron parle sans cesse de renforcer la négociation dans l’entreprise. Oui, pourquoi pas, mais dans ce cas-là il faut faire vraiment comme les Allemands. En Allemagne, il y a des comités d’entreprise à partir de cinq salariés. Ils ont résolu la question des seuils sociaux en les abaissant. Et les comités d’entreprise ne sont pas consultés pour avis ou pour information, ils ont un pouvoir de veto sur la plupart des décisions managériales importantes. Quand un patron veut changer une machine, embaucher quelqu’un ou intégrer des intérimaires, mettre sur pied une équipe de nuit, il doit avoir l’accord de son comité d’entreprise et non simplement son avis. Par ailleurs, en Allemagne, il y a une moitié de représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Il n’y en a pas juste un placé là pour amuser la galerie. Il faudrait s’inspirer de cela, et on vient encore une fois de perdre une occasion de copier les Allemands là-dessus.

Le modèle allemand est une tragédie grecque – Entretien avec Guillaume Duval

En réponse à la visite du président français à Athènes

Par Maria Negreponti-Delivanis ancien recteur de l’université de Macédoine – Thessalonique, Grèce. présidente de la fondation Delivanis

Emmanuel Macron, en tant que visiteur dans notre pays la semaine passée, s’est montré agréable dans sa communication, cultivé mais également fier car il se passionne pour l’histoire de la Grèce antique, comme cela arrive avec les Français éduqués.

Cherchant des problèmes (comme il est d’usage) relativement à cette visite, je m’empresse de souligner que du côté du président Français il n’y en a pas, mais je n’en dirai pas autant concernant les dirigeants Grecs. Le gouvernement, et aussi dans une large mesure l’opposition, espéraient beaucoup de cette visite, et curieusement, à sa suite, ont affiché une satisfaction extrême et absolument injustifiée. Voyons, donc, ce que le président Français a apporté à la Grèce avec son discours, et quelle aurait dû être la réponse du gouvernement, et pourquoi pas de l’opposition aussi, ce qui malheureusement n’a pas été le cas.

  1. Le discours

Le discours de monsieur Macron, si l’on met de côté ce qui avait rapport aux grandes réalisations de nos ancêtres et aussi la tentative fort appréciée de saluer en grec, était général et ne comportait aucune promesse précise relativement à l’allègement des souffrances infligées par l’UE depuis quelque 8 années à la Grèce. Bien entendu, le président Français a parlé du martyr enduré par les Grecs, mais si je ne me trompe, j’ai discerné une certaine note à l’adresse de notre gouvernement, prenant soin de convaincre le peuple de la nécessité de ces souffrances et prétendant que celles-ci lui sont bénéfiques.

Monsieur Macron était parfaitement clair, tout comme l’est d’ailleurs le ministre des Finances Allemand, sur le fait qu’un “allègement de la dette” est hors de question avant l’achèvement des “réformes”. Pour monsieur Macron, qui non seulement est un des élus des banquiers internationaux mais, comme il le déclare à chaque occasion, est un libéral, les “réformes” constituent le vaisseau amiral de sa cosmothéorie. Sachant que notre monde dispose de deux systèmes macroéconomiques, le libéral et l’interventionniste, son choix n’est en aucun cas répréhensible. Il est, bien évidemment, nécessaire d’ajouter que le fonctionnement normal des économies demande que ces deux systèmes soient associés dans leur mise en œuvre, et non que l’un s’impose dogmatiquement en excluant l’autre. Il aurait en cela été intéressant que monsieur Macron donne quelques précisions quant au genre de ces “réformes” que lui-même et le ministre Allemand des Finances estiment qu’elles sont la condition préalable à la “sortie de cette mauvaise passe” de notre pays. Il est vrai que personne du côté du gouvernement ou de l’opposition, pas plus que du côté de “nos partenaires” n’a jamais jugé nécessaire, tout au long de ces 8 années dramatiques, de nous informer du contenu de ces “réformes” mythifiées, de ce que l’on e n attend exactement et de leur échéance. Car il est clair que mentionner simplement des réformes, sans en déterminer le contenu, n’a aucun sens. Concernant la Grèce, on sait que dès le début de la crise les “réformes”, qui en réalité ne sont pas des réformes, se limitent premièrement à la suppression totale de toutes les améliorations acquises par les luttes sociales durant les 200 dernières années dans l’environnement barbare du marché du travail, et deuxièmement au bradage massif de la Grèce tout entière. Les Français, bien sûr, et tout particulièrement monsieur Macron, économiste, savent parfaitement que cela ne relève pas de la catégorie des “réformes”, comme cela est largement enseigné dans les facultés françaises d’économie. Ils savent également que l’appauvrissement des travailleurs donne, au-delà des résultats sociaux, des résultats économiques pitoyables, et aussi que le bradage des ports et des aéroports, de l’eau, de l’électricité et en général des services sociaux sensibles de l’État ne figure pas au chapitre des réformes, et qu’il n’est pas souhaitable mais plutôt dangereux à tout point de vue. Par contre, une série de vraies réformes existe, dont la Grèce a urgemment besoin, mais qui n’intéressent pas nos partenaires.

Un autre point du discours du président Français souligne l’importance de l’Europe, sa cohésion qui doit être sauvegardée à tout prix, afin qu’elle joue le rôle important qui lui appartient sur la scène économique et politique internationale, et où il va de soi que la présence de la Grèce est absolument indispensable. Dans le même temps, il a reconnu (indirectement mais clairement) que cette Europe doit changer (car manifestement elle est minée par de multiples problèmes) et se fédéraliser, en se dotant, comme principal représentant, d’un ministre des Finances européennes. L’idée, cela va sans dire, n’est pas nouvelle, puisque les européistes y ont pensé afin de calmer les réactions des citoyens européens, parmi lesquels le nombre des eurosceptiques a dépassé le nombre de ceux qui acceptent la poursuite de l’Europe unie. Cependant, hormis le fait que cette vision à long terme a été fort justement qualifiée par le journal allemand Die Welt, au lendemain du discours du président Français, d’ “utopie naïve”, il y a dans cela une pointe empoisonnée que monsieur Macron n’a pas hésité à saisir, et qui plus est dès le premier instant de son entrée en fonction, provoquant de nombreuses réactions à l’étranger (mais curieusement, pas en Grèce), et qui concerne la refondation de l’Europe, laquelle est constituée d’États membres égaux (selon le principe de sa convention fondatrice), en vue d’une Europe à plusieurs vitesses. Je me demande si les membres de notre gouvernement, qui, avec un enthousiasme si émouvant, ont parlé de l’Europe et du maintien coûte que coûte en son sein de la Grèce, ont également accepté, sans hésitation aucune, le fait que notre pays soit la cinquième roue de la charrette européenne.

Il est naturel et tout à fait compréhensible que le président Français serve les intérêts de son pays comme il l’entend, et que par conséquent, il évite de prendre des positions ou de faire des promesses qui pourraient lui causer des problèmes vis-à-vis de l’Allemagne. Le renouveau de l’axe franco-allemand est au centre des efforts de redressement du régime vacillant en Europe. Or, cette position, ou plutôt la position de nos hommes politiques, est, que l’on me permette ce qualificatif, incompréhensible. En deux mots, la blessante position tributaire du gouvernement grec, renforcée aussi par son enthousiasme, qu’on ne peut raisonnablement expliquer, à l’égard de ce qui a été dit par monsieur Macron, est hélas la preuve qu’il a accepté l’état de COLONIE européenne.

  1. Ce que voudraient entendre les Grecs de la part de leurs dirigeants en réponse à Emmanuel Macron

“Cher monsieur le Président de cette grande amie la France,

Nous sommes extrêmement heureux de vous accueillir en Grèce, et sensibles au fait que vous avez choisi notre pays, vous et votre épouse, pour une de vos premières visites officielles à l’étranger. Nous vous considérons comme un ami de notre pays, c’est pourquoi, au-delà des compliments et des conventions, nous allons vous parler avec sincérité du drame inacceptable que vit notre peuple depuis 8 ans, avec la conviction que vous le transmettrez, de la manière que vous choisirez vous-même, aux autres partenaires.

Pour commencer, nous sommes d’accord avec vous sur le fait qu’il serait dommage que l’Europe se disloque et que l’euro, en dépit de ses problèmes, doit être sauvé (si cela est possible, évidemment). C’est pourquoi l’Europe doit fondamentalement changer et se tourner vers ses peuples, et non vers plus de bureaucratie, d’élitisme et de réduction de la démocratie. La tâche est difficile, aux limites peut-être de l’irréalisable. Nous espérons que vous y parviendrez. Mais d’ici là, la Grèce ne peut attendre, car elle croule sous le poids insupportable de mémorandums qui ne mènent à rien et de quasi-réformes qui l’appauvrissent chaque jour davantage. N’écoutez pas, monsieur le Président, ce qu’il nous arrive d’affirmer pour apaiser la colère justifiée de nos compatriotes. La Grèce ne va pas, et ne peut aller mieux. En réalité, le chômage augmente, mais il est dissimulé par les chômeurs de longue durée qui, dépités, ont cessé de rechercher un emploi, par les milliers de jeunes qui sont partis pour trouver un sort meilleur loin de la Grèce, et surtout par l’extension des formes de travail précaire où figurent aussi ceux qui travaillent 1 ou 2 heures par semaine et sont quand même considérés comme ayant un emploi. Par ailleurs, vous êtes vous aussi un économiste et par conséquent vous savez que la croissance, aussi désirée soit-elle, ne peut en aucun cas se faire dans une économie où toutes, toutes sans exception aucune, les propensions à la croissance ont sombré. Je n’en citerai qu’une seule qui est amplement suffisante, à savoir la demande concernant les produits alimentaires de base, en baisse constante ces dernières années. Et en dépit de l’appauvrissement des travailleurs, dont une large part travaille pour 200 ou 300 euros par mois, souvent 10 à 12 heures par jour, et en dépit du fait que le marché du travail (du fait des “réformes”) s’est transformé en jungle, nos partenaires exigent que cela continue, et qui plus est, ils ont fortement réagi au fait que la nouvelle ministre du Travail a tenté de faire passer dans un récent projet de loi quelques améliorations, du reste tout à fait marginales. Les impôts de toute sorte, résultante d’une imagination enflammée, pompent dans l’économie les liquidités jusqu’à la dernière goutte, achevant l’œuvre inhumaine de la ponction complètement démesurée des excédents primaires exigés par nos partenaires. Les réductions drastiques des salaires et des retraites se poursuivent résolument. Les hôpitaux publics manquent de personnel, de médicaments de base et de gazes. Le nombres des entreprises qui mettent la clé sous la porte est largement supérieur à celui des créations d’entreprise. Oublions donc (entre nous maintenant) la croissance car l’évoquer, compte tenu des conditions qui prévalent en Grèce, est la démonstration d’un manque total de sérieux.

Or, sans croissance, il est impossible de rembourser cette dette colossale, même pas en l’an 3000. Et il va de soi que jusqu’à ce qu’elle en rembourse 75 %, la Grèce sera sous supervision, toujours soumise à une quelconque forme de mémorandum. Par conséquent, monsieur le Président, ne prenez pas au sérieux ce que nous affirmons, à savoir que notre sortie sur les marchés est censée nous assurer la fin des mémorandums. Au contraire même, nous paierons alors beaucoup plus cher les emprunts… mais que faire, le peuple a besoin d’espérer, peu importe si ces espoirs sont vains.

Partageons donc, monsieur le Président, votre enthousiasme pour l’actuelle et pour la nouvelle Europe, et tâchons pour l’heure de ne pas entrer en conflit avec la zone euro, quoique dans notre cas, ce serait nécessaire. Vous admettrez néanmoins que nous avons déjà fait d’indicibles sacrifices compte tenu de la taille et des capacités de notre petite Grèce, afin de sauver les banques françaises et allemandes et pour que l’Europe ne se disloque pas. Des sacrifices qui ont détruit une nation entière et qui ont exterminé un peuple entier. Mais maintenant, la fin du monde est arrivée et nous, l’UE et pour lui faire plaisir nous aussi, ne pouvons plus nous moquer du peuple grec qui est au supplice et agonise. L’UE, ne serait-ce que sans le FMI, doit assumer ses responsabilités, et cesser d’imposer à la Grèce des programmes et des mesures dont ELLE SAIT (tout comme nous) que non seulement ils sont tout simplement voués à l’échec, mais aussi qu’ils achèvent sa destruction. De toute évidence, vous le savez bien, monsieur le Président, depuis le début de la crise et constamment, on nous impose des programmes erronés et sans issue, lesquels ne sont pas révisés pour que nul n’ait ainsi à reconnaître son erreur, j’entends celle des partenaires européens et du FMI. Cette erreur criminelle est néanmoins continuellement pointée du doigt par certains dignitaires isolés de l’UE et du FMI, mais malgré cela, on s’y accroche, portant désormais atteinte à la survie même de la Grèce.

Cette tromperie permanente n’est pas conforme au peuple français historique, n’est pas conforme à la Démocratie qui, comme vous l’avez dit, est née sur la colline du Pnyx, ne sert aucunement l’Europe. Car tôt ou tard, le peuple grec, qui est prêt et qui n’a plus rien à perdre, va se soulever. Vous savez en outre que des économistes renommés, parmi lesquels des Français (citons par exemple le professeur Gérard Lafay) ont pris une position très claire, analysant dans des livres et maints articles (ce qui d’ailleurs est l’évidence même), comment et pourquoi les mémorandums et les “réformes” détruisent la Grèce au lieu de la sauver.

Alors, si vous voulez sauver l’UE de la dislocation certaine vers laquelle elle va, nous vous demandons d’être notre précieux ambassadeur et de faire comprendre à nos partenaires pourquoi il est urgent de réviser en profondeur les plans européens pour la Grèce. Mais encore, pourquoi il faut cesser d’encourager la nécessité de réaliser des quasi-réformes, vides de contenu, et pourquoi des réformes adéquates doivent être étudiées sérieusement, grâce auxquelles l’économie grecque pourra vraiment s’améliorer, en se basant sur sa croissance et non sur sa contraction.

Résumons, monsieur le Président. Pour la Grèce, c’est la capacité de croissance (rendue impossible par les des mémorandums et les “réformes”) qui compte infiniment plus que n’importe quelle forme d’allègement de la dette. Si cette dette est libérée de ses parts odieuse et onéreuse, et que l’on permet à la Grèce de se développer, nous n’aurons pas besoin d’emprunts, de mémorandums, de négociations interminables et autres violences de cette sorte. Avec un rythme de croissance annuel de 3,5 %, que nous pouvons tout à fait atteindre, avec le temps, nous paierons notre dette.

Une solution sincère au problème de la Grèce est maintenant plus urgente que jamais, car il n’est plus possible de continuer indéfiniment ces histoires sur la croissancecoucou la voici, coucou la voilà.

Et puis, monsieur le Président, comprenez que dans cette nouvelle Europe à plusieurs vitesses que vous imaginez, ne serait-il pas absurde que la poursuite des sacrifices mortels que vous nous demandez ait comme contre-poids un état de servitude qui appartient aux temps anciens ?

source http://www.defenddemocracy.press/en-reponse-a-la-visite-du-president-francais-a-athenes/

 

Wolfgang Schäuble, le visage de l’ordolibéralisme

Wolfgang Schäuble, le visage de l’ordolibéralisme Par Romaric Godin sur Médiapart

À la veille des législatives allemandes, enquête sur le ministre des finances d’Angela Merkel depuis 2009. Il est l’incarnation politique de l’ordolibéralisme, cette forme allemande du néolibéralisme.

Le 1er juillet 2016, à Fribourg-en-Brisgau, là même où il est né 74 ans plus tôt, Wolfgang Schäuble reçoit la « médaille Walter-Eucken ». Remise tous les deux ans par l’institut du même nom, cette décoration récompense ceux qui font vivre la pensée de cet économiste fondateur de cette forme spécifiquement allemande du néolibéralisme, l’ordolibéralisme. Dans son discours de louange, l’économiste Lars Feld, membre des « sages » qui conseillent le gouvernement fédéral et président de l’institut Walter-Eucken, salue « l’engagement sans faille » de Wolfgang Schäuble pour les « principes de la politique de l’ordre [« ordnungspolitische Prinzipien »] dans l’esprit de l’école de Fribourg ». Un engagement qu’il a prouvé par une « solide et conséquente politique financière et budgétaire ainsi que par sa gestion de la crise de la dette européenne ».

Wolfgang Schäuble reçoit de Lars Feld la
                    médaille Walter-Eucken © Institut Walter Eucken

Wolfgang Schäuble ne cachait pas alors son émotion. Et pour cause, cette médaille récompense effectivement une action guidée par cette école de pensée. Dans un discours prononcé cinq ans plus tôt, en 2011, devant la prestigieuse université de Saint-Gall, en Suisse, il revendiquait d’avoir « ses racines intellectuelles dans l’école ordolibérale de Fribourg [dont] le père spirituel est Walter Eucken ». Rien d’étonnant donc à ce que Wolfgang Schäuble apparaisse en Europe et en Allemagne comme l’héritier et le gardien de cet héritage qui s’est identifié avec la politique économique de la République fédérale depuis 70 ans. Pour comprendre ce que veut et ce que fait le ministre allemand des finances, il faut d’abord comprendre cette pensée. En Allemagne, on parle peu d’ordolibéralisme, mais on évoque plus volontiers la notion de « politique de l’ordre » (Ordnungspolitik), de « culture de la stabilité » (Stabilitätskultur) ou encore d’« économie sociale de marché » (Sozialmarktwirtschaft), trois termes assez équivalents et qui disposent, outre-Rhin, d’une forte connotation positive. Comprendre Wolfgang Schäuble, c’est donc d’abord comprendre cette pensée et sa destinée politique.

La théorie de l’école de Fribourg est née en réaction à une double crise : l’hyperinflation de 1923 et la crise économique de 1929. Deux coups de boutoir qui ont semblé réduire à néant la pensée libérale de l’avant-première guerre mondiale avec son monde. Mais Walter Eucken, professeur d’économie à l’université de Fribourg-en-Brisgau dans les années 1930, entreprend de sauver le libéralisme. Son idée centrale est que le marché ne peut survivre durablement sans un encadrement et une organisation assurés par les pouvoirs publics. Le marché doit dominer l’économie, il doit être le lieu où se forment les prix et se réalise l’essentiel de l’activité économique, mais il doit le faire dans l’ordre et la stabilité, en évitant ses propres excès. Et l’État doit en être garant. Si ce dernier ne doit pas s’immiscer dans le fonctionnement du marché, sous peine de provoquer de graves désordres comme l’hyperinflation, fruit du financement monétaire de l’État, il doit établir et garantir des règles pour le fonctionnement de ce marché pour le prémunir des excès qui ont mené à la crise de 1929. Et, élément essentiel, il doit lui-même strictement respecter ces règles.

Cette pensée va être développée par Wilhelm Röpke, un autre économiste allemand, qui l’intègre dans ce qu’on va appeler le « néolibéralisme », ce mouvement de pensée qui, dans les années 1930 et 1940, tente de rénover le libéralisme contre la montée du keynésianisme et de l’interventionnisme. Wilhelm Röpke participe ainsi en 1938 au fameux « colloque Walter Lippmann », à Paris, acte de naissance de ce mouvement. Il dirigera dans les années 1960 la Fondation du Mont-Pèlerin, son bras armé intellectuel. Mais l’ordolibéralisme se distingue fortement du libéralisme de l’école autrichienne de Friedrich von Hayek et Ludwig von Mises, adeptes d’une forme moderne de « laisser-faire ».Certes, Wilhelm Röpke reconnaît l’existence d’un « ordre spontané » créé par le marché, mais cet ordre n’est possible qu’autant que l’État assure un cadre stable permettant le meilleur fonctionnement du marché. Et le premier de ces cadres, c’est la monnaie. Cette dernière doit être neutre pour ne pas perturber la réalité du marché. Pour être neutre, il ne faut ni manipulation monétaire, ni inflation, ni déficit public. L’État doit donc être sobre et la banque centrale concentrée sur son objectif de lutte contre l’inflation. Toute dette publique est à bannir, tant l’État est tenté de la réduire par l’inflation ou la création monétaire. Walter Eucken avait ainsi affirmé la nécessité de règles de fer pour les acteurs du marché comme pour l’État, par exemple la constitutionnalisation des règles budgétaires.

L’après-guerre sonne le triomphe de cette pensée en Allemagne. Au traumatisme de l’inflation, renouvelé par un nouvel épisode d’hyperinflation en 1947-1948, s’ajoute celui du nazisme, perçu par ces milieux libéraux comme le fruit de la pensée interventionniste. La nouvelle démocratie allemande se devait d’être libérale tout en s’assurant de la stabilité économique. Naturellement, donc, elle s’est tournée vers la pensée de l’école de Fribourg. D’autant que ses représentants, Walter Eucken et Wilhem Röpke, ont été des opposants farouches et de la première heure au nazisme.

Un homme a compris cette opportunité historique : Ludwig Erhard. Un des fondateurs de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), parti du père et du frère de Wolfgang Schäuble, comme de lui-même depuis 1965, il devient de facto ministre des finances de la zone alliée et fonde, presque malgré les occupants, le deutsche Mark le 20 juin 1948. Une monnaie forte garantie par une politique fortement déflationniste de « stabilité » sur laquelle va s’établir la République fédérale, un an plus tard. Ludwig Erhard en devient le ministre de l’économie jusqu’en 1963, puis le chancelier (1963-1966).

Ludwig Erhard reprend et développe le terme d’« économie sociale de marché », inventé par son conseiller Alfred Müller-Armack, un économiste de l’école de Fribourg, pour imposer la pensée ordolibérale dans la réalité économique. La vision de Ludwig Erhard est une forme de « vulgarisation » de la pensée de Walter Eucken qu’il développe dans son ouvrage de référence Le Bien-Être pour tous (Wohlstand Für Alle). Certes, il a recours à quelques concessions à l’esprit keynésien du temps et bâti une forme d’État-providence. Mais l’Allemagne se distingue alors fortement des États sociaux de l’époque comme la France, le Royaume-Uni ou l’Italie. La concurrence y occupe une part plus importante, mais est aussi plus encadrée par une monnaie solide et une banque centrale strictement indépendante, la Bundesbank, créée en 1957. La redistribution intervient ensuite, comme le fruit du succès de cette stabilité. La logique est donc l’inverse de celle des États keynésiens d’alors. Cette inversion est cruciale et détermine encore une grande partie des choix européens et allemands de Wolfgang Schäuble aujourd’hui.

Car la figure de Ludwig Erhard est essentielle. Elle est aujourd’hui quasiment divinisée outre-Rhin où pratiquement tous les partis à l’exception partielle de Die Linke, le parti de gauche, se revendiquent de « l’économie sociale de marché » et de son héritage. Celui qui s’est présenté comme le « père du miracle économique allemand » est parvenu à élaborer une culture économique en République fédérale fondée sur l’ordolibéralisme. Il a fait de cette « politique de l’ordre » le fondement indiscutable du succès allemand de l’après-guerre, oubliant au passage et le plan Marshall et la convention de Londres de 1953 qui annula la dette publique allemande. Dès lors, cette pensée est devenue celle de la République fédérale et l’est encore.

L’horreur inflationniste
Wolfgang Schäuble, né en 1942, homme de l’Allemagne de l’Ouest, élu au Bundestag sans cesse depuis 1972, est logiquement profondément imprégné de cette « culture de la stabilité » à laquelle il est resté attaché durant toute sa vie politique. Cet attachement sera renforcé par trois facteurs supplémentaires qui expliquent une grande partie de ses choix politiques et de sa conception de l’Europe du futur.

Le premier facteur essentiel est son milieu familial. Fils d’un conseiller fiscal militant et élu de la CDU, Wolfgang Schäuble évoque volontiers la figure de sa mère, venue de la région de Stuttgart, et qui apparaît comme l’archétype de la « mère de famille souabe », figure légendaire de la bonne gestionnaire en Allemagne. D’après son frère, cité dans sa biographie rédigée en 2013 par Hans Peter Schütz, Zwei Leben (Deux vies)1, Wolfgang Schäuble aime ainsi à raconter une anecdote, selon laquelle sa mère, n’ayant pas les 20 pfennigs nécessaires pour payer le parcmètre, était revenue le lendemain pour insérer la pièce et acquitter ainsi sa dette.

Mais surtout, le ministre des finances allemand est issu de cette « classe moyenne éduquée, la Bildungsbürgertum, large et exceptionnellement privilégiée, qui a souffert le plus complètement » de l’hyperinflation de 1923, pour reprendre les termes de l’historien britannique Frederick Taylor2. Or, selon ce dernier, la situation de cette classe durant cette crise monétaire est « propre à l’Allemagne ». Et c’est cette classe qui, précisément, est à l’origine de cette obsession de la stabilité dans la culture du pays.

Selon Frederick Taylor, c’est cette classe qui a construit par la suite un « récit national » traumatisant de la grande inflation qui a produit une peur panique de cette dernière dans un pays qui n’avait pourtant pas été le seul à avoir connu une hyperinflation de ce type. Ce récit qui lie directement inflation et nazisme, oubliant, en dépit du travail des historiens, l’effet de la politique déflationniste du chancelier Heinrich Brüning (1930-1932). Cette classe « s’est révélée devenir une grande force de formation de l’opinion durant les trois quarts de siècles suivants », insiste Frederick Taylor. Et de conclure : « Ce phénomène a joué un rôle important, peut-être crucial, dans la transformation de l’expérience de l’inflation qui a été une dure mais supportable expérience pour beaucoup, et même la plupart des Allemands, (…) en un consensus unique de catastrophe nationale universelle. » Wolfgang Schäuble est l’enfant de cette classe. Sa pensée est la sienne.

Wolfgang Schäuble lors de sa première élection
                    au Bundestag en 1972 © DR Wolfgang Schäuble lors de sa première élection au Bundestag en 1972 © DR

Et c’est bien à cette aune qu’il faut comprendre la critique constante de la politique non conventionnelle de la BCE, même si l’économie allemande et lui-même en tant que ministre des finances en profitent effectivement. Wolfgang Schäuble dit rester fidèle à l’idée de l’indépendance de la BCE, mais il ne conçoit cette indépendance que comme une garantie d’une politique non inflationniste et calquée sur l’ancienne politique de la Bundesbank. Lorsque la banque centrale développe une politique expansionniste et inflationniste, donc qui heurte ses convictions profondes, elle sort, pour lui, de son rôle et se fourvoie.Comme beaucoup d’économistes allemands, Wolfgang Schäuble n’a pas hésité à attaquer violemment Mario Draghi sur sa politique. En avril 2016, il lui a même attribué « 50 % du score » d’Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite émergent en Allemagne. Cette accusation n’est pas une simple attaque rhétorique. Elle révèle cette identification entre l’inflation de 1923 et la montée du nazisme, raccourci utilisé par la Bildungsbürgertum pour imposer la crainte de l’inflation.

Encore récemment, Wolfgang Schäuble pouvait prétendre que « tout le monde veut que la politique monétaire soit normalisée ». Pour le ministre allemand, la monnaie doit être neutralisée, quel qu’en soit le prix. La logique expansive de Mario Draghi mais aussi l’attention que ce dernier porte au système financier, en bon ancien de Goldman Sachs, ne peuvent que le heurter. Wolfgang Schäuble estime que c’est aux marchés de s’adapter à la stabilité et non à la banque centrale de faire des compromis pour ménager les marchés. Et c’est bien pour cela qu’il entend utiliser un éventuel prochain mandat pour faire obtenir la présidence de la BCE à un défenseur de la « culture de la stabilité », de préférence allemand. C’est désormais une demande officielle de la République fédérale. Et pour cause : il va s’agir de réduire les effets de la création monétaire des années Draghi.

Le deuxième facteur qui a attaché ce doyen de la politique allemande à l’ordolibéralisme, et qui détermine bon nombre de ses actes, est sa formation juridique. Docteur en droit financier, il a toujours été convaincu de la règle en économie. Cette vision correspond parfaitement à la « constitutionnalisation » de l’économie, promue par Walter Eucken et portée par Wolfgang Schäuble durant les crises de 2008 et de 2010. Après avoir fortement soutenu l’introduction dans la loi Fondamentale, la constitution allemande, du « frein à l’endettement » ou « règle d’or budgétaire » en 2009, comme prix des deux plans de relance décidés alors par la « grande coalition », le ministre des finances a tout fait pour entrer dans les clous de cette règle, quoi qu’il en coûte, y compris au prix d’une réduction de l’investissement public.

Le déficit de demande de la zone euro tout entière en a été la conséquence. Du reste, dans l’union monétaire, le ministre a plaidé et obtenu un cadre budgétaire plus rigide pour le pacte de stabilité et la mise en place d’un pacte budgétaire calqué sur le modèle constitutionnel allemand. Homme d’ordre, deux fois ministre fédéral de l’intérieur, Wolfgang Schäuble croit en la loi et en son respect aveugle, en économie comme ailleurs.

Or, et c’est un facteur important de la pensée de Wolfgang Schäuble, cette primauté de la règle ne peut se défaire par une simple élection. L’ordolibéralisme rejette l’autoritarisme interventionniste, il se veut démocratique. On l’a vu, c’est une pensée profondément issue de l’anti-nazisme. Mais c’est aussi une pensée qui se méfie de la démocratie comme facteur d’instabilité et de chaos et qui, partant, l’encadre fortement. Il y a des domaines où les peuples doivent accepter de ne pas s’immiscer et de laisser la main à des experts indépendants, neutres, qui font respecter les règles et fonctionner au mieux le marché. La démocratie doit se garder des impulsions et des désirs du peuple, qui provoquent des déséquilibres. L’ordolibéralisme est une pensée d’inspiration oligarchique. C’est un conservatisme qui cherche sa voie dans la modernité démocratique.

C’est cette vision qui est à l’origine de la « règle d’or » budgétaire ou de l’indépendance de la banque centrale. Autant d’éléments qui sont placés hors de portée de la décision démocratique. Dans son discours de Saint-Gall, Wolfgang Schäuble explique ainsi que « renforcer le mandat démocratique des institutions européennes […] ne signifie pas que les décisions budgétaires et monétaires prises par ces institutions démocratiquement légitimées ont besoin de l’approbation continuelle du public ». Les institutions doivent « prendre des décisions budgétaires et monétaires le plus indépendamment possible du politique ». C’est là le moteur principal de la crise grecque de 2015, où Wolfgang Schäuble a demandé aux Grecs de se prononcer entre leur choix démocratique et leur maintien dans une structure ordonnée par des règles intangibles.

(1) H. P. Schütz, Wolfgang Schäuble : Zwei Leben, Droemer, 2013.
(2) F. Taylor, The Downfall of Money, Bloomsbury, 2013.

La religion de la stabilité

Troisième facteur, complémentaire de son attachement à l’ordolibéralisme : son protestantisme hérité de sa mère (son père était catholique, exclu de la communion en raison de son mariage) et qui est un élément important de sa vie politique. En 2017, à l’occasion des 500 ans de la « Réforme » de Luther, Wolfgang Schäuble a même publié un petit ouvrage, fait inédit, titré Protestantisme et politique3, où il revendique l’importance de cette pensée dans son parcours. Il y reprend l’idée de Max Weber selon laquelle le protestantisme est à la source du monde moderne et sert d’inspiration au libéralisme. Il y défend la tradition luthérienne individualiste contre l’héritage étatiste allemand. « Il y a toujours une tendance en Allemagne à attendre trop de l’intervention de l’État, et parallèlement trop peu de volonté de régler les problèmes de la société par l’initiative personnelle », se lamente-t-il, tout en mettant implicitement à son crédit une « évolution positive » ces dernières années.

Certes, l’ordolibéralisme n’est pas synonyme de protestantisme (Fribourg-en-Brisgau est un bastion catholique), mais dans le cas du ministre allemand, sa pensée religieuse a renforcé son ordolibéralisme. Cette influence religieuse se retrouve dans sa conviction profonde que la stabilité financière est un roc de vérité dans le chaos du capitalisme. Et pour cause, cette stabilité permet de s’extraire de la temporalité en réduisant sa traduction économique visible : l’inflation. Dans le paradis ordolibéral, le temps est maîtrisé parce qu’il ne modifie plus les prix. La vision des marchés est ici presque métaphysique. Logiquement, tout ce qui la conteste relève de l’erreur ou de la courte vue.

Et Wolfgang Schäuble est toujours prompt, selon un vieux réflexe de cette pensée évangélique du sud de l’Allemagne, empreinte de quiétisme, à rappeler que la souffrance pour atteindre la vérité n’est pas, ne saurait être un critère d’échec, bien au contraire. Dans son discours de Saint-Gall déjà cité, en 2011, au plus profond de la crise de la dette européenne, Wolfgang Schäuble répond à l’idée que l’austérité pourrait réduire la consommation dans les pays du Sud : « Je ne suis pas sûr que ce soit nécessairement le cas, mais même si cela l’était, il faut faire un choix entre la souffrance à court terme et le gain à long terme. » Face aux cris de douleur des peuples étranglés par l’austérité, Wolfgang Schäuble reste de marbre, non par inhumanité, mais parce que ces souffrances sont le prix naturel de leurs erreurs passées, la conséquence d’un ordre transcendant. Au bout de cette souffrance seulement sera la délivrance.

C’est aussi dans cet ordre d’idées que Wolfgang Schäuble a décidé en juillet 1990, lorsqu’il était négociateur du traité de réunification avec la RDA, d’imposer, selon le modèle de Ludwig Erhard de 1948, une parité surévaluée entre le deutsche Mark et le Mark de l’Est, provoquant une rapide désindustrialisation de l’ex-RDA et un durcissement de la politique monétaire de la Bundesbank qui mènera à la crise du système monétaire européen en 1992. Mais il fallait assurer rapidement aux « nouveaux Länder » la « stabilité » quel qu’en soit le coût à court terme.

Pour quoi combat aujourd’hui Wolfgang Schäuble ? L’homme cherche à rester à la tête du ministère de la Wilhelmstrasse pour un troisième mandat consécutif. Derrière une modestie de façade, les faits ont renforcé encore ses convictions. Il est devenu en 2014 le premier ministre fédéral à présenter un budget excédentaire depuis 1969, la croissance allemande est plus forte que celle de la zone euro, la dette publique se résorbe lentement, l’euro a passé la crise. De son point de vue, qui ignore les conséquences sociales et politiques de ses choix européens, tout semble lui donner raison. Comme s’il avait renoué avec l’âge d’or du « miracle économique » de Ludwig Erhard. Pourquoi alors ne pas décrocher après 45 ans de vie politique ? Peut-être parce qu’il lui reste une tâche, celle de réaliser « son » Europe.

Car Wolfgang Schäuble a toujours voulu se présenter comme un grand Européen. « Depuis qu’il est tout jeune, son cœur bat pour l’Europe », affirme son frère Thomas à son biographe qui ajoute : « L’Europe unie est toujours apparue comme la perspective de l’Allemagne dans ses convictions les plus rationnelles. » Dès 1994, il rédigeait un projet d’unification fédérale de l’Europe avec le député CDU Karl Lammers. Un projet qui a longtemps fait rêver à Bruxelles. En 2013, le philosophe Jürgen Habermas disait de lui qu’il était « le dernier Européen du cabinet Merkel ». En fait, le seul qui parlait encore d’Europe. Mais alors, comment comprendre cette conviction de celui qui est, comme on l’a vu, le pur fruit de la pensée allemande, celui qui est apparu comme le défenseur des intérêts allemands tout au long de la crise européenne ?

En réalité, Wolfgang Schäuble intègre ses convictions européennes dans son ordolibéralisme. Pour lui, l’Europe ne peut s’unifier que si elle s’unifie autour de la « bonne » pensée économique. Elle doit donc le faire autour de la « culture de la stabilité ». C’était déjà le sens de son projet de 1994 : une Europe à plusieurs vitesses, avec un « cœur », le Kerneuropa, qui adopterait les canons de l’ordolibéralisme. « Il a un grand objectif : plus d’Europe et, en même temps, plus de stabilité », explique son biographe. Dès lors, la tâche de son prochain mandat, s’il est reconduit, sera de construire cette plus forte intégration sur la base de la culture de la stabilité. Amener davantage d’États européens à accepter ce qu’il considère être une vérité pour construire une Europe qui aura la même force que la République fédérale.

Wolfgang Schäuble est, en cela, un original, au sein de la pensée ordolibérale. Par nature, cette pensée est nationale. Le cadre est donné par l’État qui organise son propre marché intérieur. Il est le fruit d’une acceptation démocratique du cadre « neutre » décrit plus haut. Ludwig Erhard était un Européen tiède pour cette raison : il voyait peu de moyens d’exporter la « culture de la stabilité ». Aujourd’hui, cette vision est reprise par les conservateurs allemands, une partie des libéraux du FDP et le parti d’extrême droite AfD, à l’origine un mouvement d’économistes souhaitant revenir à un cadre cohérent pour la politique de l’ordre. Mais Wolfgang Schäuble estime que le cadre national n’est plus pertinent. « Le modèle de l’État nation s’est épuisé, je suis toujours plus convaincu de cela », affirme-t-il à son biographe en 2013. La mondialisation l’a convaincu que « l’État nation ne peut plus réaliser ce qu’il promet ».

Le ministre voit donc l’Europe comme indispensable, mais pas n’importe laquelle, et pas à n’importe quel prix. C’est le sens de l’ultimatum envoyé aux Grecs en juillet 2015 : ou vous acceptez d’entrer dans les canons de cette culture de stabilité ou vous sortez d’une zone euro qui n’est pas faite pour vous. L’Allemagne n’acceptera dans « son » club que ceux qui en acceptent strictement les règles. Et Wolfgang Schäuble ne cache pas depuis deux ans que, pour lui, la Grèce serait mieux hors de ce club. Depuis 2015, il est clair qu’on peut expulser les récalcitrants et même si la BCE l’a démenti ensuite, elle a ouvert durant cet été-là cette possibilité. L’Europe sera donc, dans l’esprit du ministre allemand, ordolibérale ou elle ne sera pas.

Caricaturé en officier nazi et suspecté de volonté hégémonique durant la crise européenne, Wolfgang Schäuble s’en défend violemment régulièrement, fidèle là encore à sa tradition intellectuelle. Ce qu’il chercherait, ce serait donc moins une « Europe allemande » qu’une « Europe à l’allemande ». Chaque occasion est bonne pour lui de vanter le « modèle allemand » qui prouverait que sérieux budgétaire, réformes et croissance vont de pair. Chaque pays européen devrait donc trouver dans l’Allemagne une source d’inspiration et non un « maître ». Reste une question : y a-t-il là une vraie différence, lorsque Angela Merkel décide si la Grèce reste ou non dans la zone euro, lorsque l’Allemagne dispose seule d’un droit de veto au Mécanisme européen de stabilité ou lorsqu’elle vise à obtenir la présidence de la BCE ? Avec Wolfgang Schäuble, l’Allemagne ne cherche pas la domination effective du continent, seulement sa domination culturelle dans l’espace économique. Mais, in fine, cette force « pédagogique » et de « modèle » lui donne un pouvoir et un avantage considérables.

Il ne faut donc peut-être pas surestimer l’altruisme européen dont aiment à se parer Wolfgang Schäuble, ses admirateurs et son biographe. L’Europe de la stabilité, c’est aussi l’Europe à bon marché pour les contribuables allemands, celle qui coûte peu, où le risque est minimal, et qui rapporte beaucoup. En attendant, l’Européen Schäuble refuse bec et ongles le dernier pilier de l’union bancaire, la garantie paneuropéenne des dépôts bancaires, celui sans lequel l’ensemble de l’édifice n’a pas de sens. L’Européen Schäuble refuse aussi d’annuler une partie de la dette grecque, malgré la soumission de Syriza aux demandes de la troïka et l’impossibilité pour le pays de se sortir de l’hydre de la dette. L’Européen Schäuble, si attaché à la démocratie, refuse toujours un parlement de la zone euro jouant pleinement son rôle. Pour lui, un tel parlement doit être « consultatif », a-t-il affirmé à La Repubblica, en mai dernier.

Si Wolfgang Schäuble demeure à la Wilhelmstrasse après les élections du 24 septembre, il portera un projet d’intégration de la zone euro qui visera à renforcer la stabilité du « cœur de l’Europe » : son ministre des finances sera un surveillant en chef des règles budgétaires, la BCE reviendra aux vieilles idées de la Bundesbank, le parlement de la zone euro sera consultatif et les moyens budgétaires seront conditionnés à une « politique de l’ordre ». Sur le papier, ces institutions ressemblent aux projets d’Emmanuel Macron et le doyen de la politique allemande aime à se présenter comme proche du cadet de la politique française.

Mais dans les faits, sa vision est très différente : parce que la « culture de la stabilité » doit l’emporter, l’Allemagne de Wolfgang Schäuble n’acceptera jamais d’être en minorité sur ces sujets en Europe, elle n’acceptera jamais une politique budgétaire expansionniste et elle sera constituée principalement d’instances indépendantes échappant au pouvoir politique et aux choix démocratiques. Le pari du président français pourrait donc se briser sur le froid réalisme et la détermination religieuse du ministre allemand. Un ministre, comme jadis Ludwig Erhard, qui a si bien façonné l’opinion, que, même sans lui, la « culture de la stabilité » restera la condition sine qua non de l’acceptation de toute intégration supplémentaire de l’Allemagne en Europe. L’empreinte idéologique de Wolfgang Schäuble est là pour durer. Avec un risque majeur à terme pour l’Europe si cette voie n’est pas, dans les faits, réalisable.

(3) W. Schäuble, Protestantismus und Politik, Claudius, 2017.

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