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Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Dans cet article de Dylan Gamba paru dans Libération le 16 juin l’auteur y cite une intervention d’Eric Toussaint.

Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Les créanciers de la Grèce se sont mis d’accord pour débloquer une aide de 8,5 milliards d’euros. Mais le pays est encore loin d’être sorti de la crise qui dure depuis 2009.

Et bis repetita. Les capitales européennes se sont à nouveau félicitées après l’accord conclu jeudi soir en deux heures sur le déblocage d’une nouvelle aide financière à la Grèce. «Je crois que l’on peut dire que la Grèce est sortie d’affaire, s’est même enthousiasmé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Nous avons trouvé avec nos partenaires de la zone euro un bon accord qui doit permettre au pays de sortir des difficultés économiques.» A l’issue des discussions, les créanciers de la Grèce (FMI, BCE et Mécanisme européen de stabilité) ont donc consenti un prêt de 8,5 milliards d’euros, prélevé sur l’enveloppe du troisième plan d’aide à la Grèce (86 milliards d’euros), adopté pendant l’été 2015. Certes, la Grèce évite ainsi le défaut de paiement. Mais aussitôt encaissés par Athènes, la quasi-intégralité des 8,5 milliards repartira dans les caisses des créanciers de la Grèce. Athènes est donc en mesure d’honorer les 7 milliards de dette qui arrive à échéance en juillet.

Mais la pilule risque d’être amère pour les Grecs, puisque en échange de cette nouvelle tranche financière, le Premier ministre, Aléxis Tsípras, a dû accepter une quatorzième réforme des retraites, une nouvelle révision de l’impôt sur le revenu et diverses mesures d’austérité budgétaires (à hauteur de 5 milliards d’euros) imposées par le FMI.

Reste que la question de la soutenabilité (ou non) de la dette grecque est toujours un objet de discussions. Certes, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, se dit prête à faire en sorte que le FMI mette la main à la poche pour participer au troisième plan d’aide… Mais il faudra, comme par le passé, remplir une condition: «Que la dette soit jugée soutenable.» Et là, tout dépend des taux de croissance futurs de la Grèce qui seront retenus. Le FMI se montre désormais prudent et préfère ne pas gonfler le taux de croissance, alors que la Commission européenne se montre plus optimiste.

En attendant, «laccord global va permettre à la Grèce de tourner la page d’une période difficile», veut croire le commissaire européen aux affaires économiques Pierre Moscovici. «On est très loin d’une résolution de la crise grecque, tempêre Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM). Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre et ce prêt ne sert qu’à rembourser le FMI et la BCE.» Pour cet économiste, rien n’est fait pour relancer la croissance de la Grèce, alors que le gouvernement a revu ses prévisions à la baisse pour 2017, passant de 2,7 à 1,8%. «Ces politiques continueront d’avoir un impact récessif. Et cet accord prolonge une politique qui enfonce la Grèce dans une situation de stagnation.»

Le fardeau de la dette

Sur Twitter, Aléxis Tsípras a salué d’un accord qui «répond aux sacrifices du peuple grec» et qui permet au pays de «tourner la page». Mais la Grèce est encore loin d’être sortie de la crise. Le Washington Post a publié un échéancier de la dette du pays, qui court en théorie jusqu’en… 2059. Dès la rentrée, la Grèce devra encore rembourser plusieurs milliards d’euros à des détenteurs de bons du Trésor.

Pour Eric Toussaint, «les Grecs ont été les victimes expiatoires. C’était une menace à peine voilée aux autres pays qui voulaient rompre avec l’austérité. Pourtant, on voit bien que ces politiques ne fonctionnent pas : lors du premier plan d’aide à la Grèce en 2010, la dette était de 110% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 170%».

Lors des discussions, l’Eurogroupe s’est une nouvelle fois engagée, «si nécessaire», à des allégements de la dette grecque à partir de la fin du plan d’aide, fin 2018. Des mesures insuffisantes pour Eric Toussaint, qui estime que pour sortir de cette spirale, 90% de la dette du pays devrait être annulée. Inimaginable au regard de la position allemande et française, d’autant plus inflexible que des élections législatives auront lieu outre-Rhin en septembre. Mais si rien n’est fait en ce sens, les réunions de la dernière chance pour la Grèce risquent encore de se succéder.

Dylan Gamba

http://www.liberation.fr/planete/2017/06/16/athenes-evite-temporairement-le-defaut-de-paiement_1577275

La Grèce, la frontière, l’Europe par Stathis Kouvélakis

La Grèce, la frontière, l’Europe un article de 

Dans les considérations sur l’art de la guerre, véritable moteur de la politique telle qu’il la définit dans Le Prince, Machiavel souligne qu’un paysage n’apparaît pas de la même façon selon qu’il est vu de la montagne ou d’une plaine[1]. Il en est a fortiori de même pour des signifiants comme ceux qui nous occupent dans cette discussion, la « nation » et la « mondialisation », qui se réfèrent à des territoires ou à la façon dont sont structurés les rapports entre des configurations politiques ou économiques à forte dimension territoriale et spatiale. Le point de vue où l’on se place peut toutefois se décliner de plusieurs façons, chacune définissant une perspective distincte. Dans les remarques qui suivent, j’adopterai celui d’une formation nationale particulière, la Grèce, avec laquelle j’entretiens des liens personnels, non pas pour m’y enfermer mais pour essayer d’appréhender des tendances plus larges, qui concernent le monde dans lequel nous vivons. La Grèce est certes un petit pays, mais, de par sa position géographique, politique (ou géopolitique) et économique, elle est un avant-poste de l’espace européen, donc aussi sa frontière. On peut donc penser qu’appréhender le monde à partir d’un tel lieu permet de saisir avec une acuité particulière certaines des tendances qui y sont à l’œuvre. Saisir la Grèce comme avant-poste et frontière signifie la comprendre comme un lieu de délimitation et de contact permanent entre l’« Europe », mais aussi, et la distinction est de taille, l’Union Européenne (UE), et son extérieur, ou plutôt son Autre, à savoir ce par rapport à quoi, voire même ce contre quoi, elle se définit et se construit.

Nul hasard donc si c’est en Grèce que la « crise des réfugiés », qui a atteint son moment culminant en 2015, s’est révélée avec une violence spectaculaire, qui a placé le pays au centre de l’attention de l’opinion publique européenne internationale. Je mets le terme de « crise » entre guillemets pour souligner qu’il n’est en rien neutre. Pourquoi faudrait-il en effet que l’arrivée durant l’année 2015 d’environ un million personnes, « réfugiés » ou « migrants » là encore les termes ont leur importance, dans une entité comme l’UE, qui compte un demi-milliard d’habitants, soit en tant que telle synonyme de « crise » ? En réalité, la construction de cet événement comme une « crise », avant tout par les autorités de l’UE et de ses Etats membres, puissamment secondées par le discours médiatique, participe pleinement du problème dont la racine se trouve, j’y reviendrai dans un instant, dans la construction de l’« Europe  forteresse» et la violence fondamentale sur laquelle repose son rapport avec cet « extérieur », ou cet « Autre » qu’on appelle maintenant le « Sud global », et qu’on appelait naguère le « Tiers Monde ».

Mais la Grèce est également une frontière interne de l’UE, une ligne de front dans la lutte de classes qui s’y mène, là encore avec une acuité et une violence toutes particulières depuis l’éclatement de la crise financière de 2008. La Grèce a servi depuis maintenant sept ans de laboratoire à une forme particulièrement brutale de politiques d’austérité, dont la mise en œuvre s’est accompagnée d’un régime d’exception, qui organise la mise sous tutelle du pays par ses créanciers, c’est-à-dire par l’UE et, secondairement, par le FMI. Il faut préciser ici que le caractère d’exception de ce régime n’apparaît tel que d’un point de vue disons « ouest-européen », dans la mesure où il est tout à fait familier aux populations qui ont déjà connu les programmes d’« ajustement structurel » menés à partir des années 1980 sous les auspices du FMI dans les pays du Sud global mais aussi de l’Est européen, suite à l’effondrement des régimes du « socialisme réel ».

Il importe donc de voir que la frontière extérieure et la frontière intérieure sont indissociables l’une de l’autre et qu’elles peuvent même se toucher, prenant ainsi le contrepied de ceux qui pensent que « ce genre de choses n’arrivent qu’aux autres » – sous-entendu aux « arriérés » – c’est-à-dire aux ex-colonisés – du Sud et aux vaincus de l’ancien camp socialiste. Pour ce qui concerne la Grèce, la mise en place des politiques d’austérité et du régime de tutelle a donné naissance à un cycle de résistance sociale et politique qui s’est étalé sur plusieurs années et qui s’est soldé par une défaite stratégique et tragique en cet été 2015, avec la capitulation en rase campagne d’Alexis Tsipras et de son gouvernement. Or cette défaite est toujours avec nous, parce que nous vivons ses effets, qui continuent de peser lourdement sur les rapports de force, non seulement en Grèce mais dans l’Europe tout entière, notamment en France, et même au-delà.

Ce que je vais donc tenter dans les remarques qui suivent, c’est adopter le « point de vue » de la Grèce, c’est-à-dire un point de vue dominé/subalterne, pour essayer de penser l’espace européen en tant qu’il est traversé par des formes de polarisation et de hiérarchie, donc par des rapports de domination, qui mettent en jeu des antagonismes et des luttes qui se déploient sur une multiplicité de fronts. J’examinerai dans un premier temps le cas grec en tant que frontière extérieure, sous l’angle de la « crise des réfugiés », puis, en tant que frontière interne, celle de la lutte à laquelle se livrent des forces sociales antagonistes, à une échelle à la fois nationale et européenne et dans laquelle les institutions de l’UE jouent un rôle décisif. Il deviendra alors possible d’avancer en conclusion quelques pistes sur ce qui me semble être le problème stratégique du moment, à savoir celui de la convergence de ces fronts, et le rôle que le niveau national, européen et plus largement trans- ou inter-national peuvent y jouer.

La « crise des réfugiés », le vrai visage de l’« Europe forteresse »

Commençons par la « crise des réfugiés ». Que nous révèle-t-elle ? Pour aller vite je dirai qu’elle met en lumière d’une façon éclatante une réalité qui bien-entendu lui préexiste, mais dont la perception était jusqu’alors des plus limitées. Cette réalité est celle de l’« Europe forteresse », plus exactement de la « construction européenne », c’est-à-dire de l’UE, comme entité reposant sur une violence terrible mais, la plupart du temps, peu visible à partir de son « intérieur », celui des populations qui y habitent[2].

L’« Europe » dont il est question est celle devant laquelle viennent s’échouer par milliers des gens qui risquent leur vie, et parfois la perdent, en essayant d’y accéder, et qui, malgré tout, le plus souvent, y parviennent. Ils le doivent avant tout à leur obstination et à leur ingéniosité mais aussi, bien que dans une bien moindre mesure, à la pression de secteurs significatifs des opinions publiques qui prennent conscience de l’ampleur du problème. C’est notamment ce qui s’est passé dans la conjoncture particulière de l’année 2015, comme effet d’une crise régionale plus vaste dans l’éclatement de laquelle les puissances européennes portent une responsabilité écrasante. Il convient de le souligner, l’Europe n’est pas extérieure à la crise du Grand Moyen-Orient (GMA). Sans remonter loin dans une histoire tout entière jalonnée par les guerres impérialistes menées par divers Etats européens, au cours des deux dernières décennies ceux-ci ont été à des titres divers partie prenante des guerres et autres interventions militaires qui ont conduit à la désintégration de l’Etat irakien, à la fracturation de la Syrie et à l’implosion de la Libye. L’exode des populations, dont une petite fraction seulement tente de venir en Europe, est la conséquence directe de ce processus de destruction des Etats, qui constitue la forme caractéristique de l’action menée actuellement par les puissances impérialistes, fort différentes en cela tant de la conquête territoriale que des stratégies de reconstruction nationale menées par le passé.

Voilà où réside sans doute le premier paradoxe. On parle d’une « crise migratoire, ou d’une « crise des réfugiés », d’une ampleur majeure en ce qui concerne l’Europe et qu’il faudrait considérer comme un problème, voire comme une menace. Regardons un peu quelques données : au cours de l’année 2015, soit le moment culminant de cette crise, environ un million de personnes sont entrées dans l’UE, dont les quatre cinquièmes à partir de la Grèce. Le chiffre peut paraitre important mais en réalité il ne représente qu’une faible fraction de la vague de 50 millions de réfugiés que la crise du GMA a provoqué ces dernières années ou des 65,3 millions de personnes déplacées à l’échelle mondiale pour l’année 2015[3]. A titre de comparaison, le Liban, pays de moins de cinq millions d’habitants, en a accueilli près d’un million, et plus de deux millions se trouvent en Turquie.

Quand on parle de flux migratoires, il faudrait également rapporter ces chiffres aux mouvements « réguliers » internes à l’espace européen (migrations de travail, d’études, etc.), qui s’élèvent à 3,8 millions de personnes[4], ou à ce mouvement de population saisonnier autrement plus massif qu’est le tourisme. La Grèce se félicite ainsi d’une année touristique exceptionnelle avec 25 millions de visiteurs. Donc 25 millions de visiteurs sont entrés dans le pays, ils y ont effectué des allées-venues de façon tout à fait normale sans que cela ne déclenche de crise particulière, bien au contraire puisqu’il s’agit d’un secteur essentiel pour l’économie mais aussi d’une source d’agrément pour celles et ceux qui visitent le pays. Naturellement, un réfugié ou un migrant ne vient pas faire du tourisme, elle ou il vient pour échapper à la persécution et tenter de construire une vie meilleure. On peut néanmoins se poser la question de pourquoi un flux d’un million de personnes qui essaient d’entrer et de s’installer dans un espace de 510 millions d’habitants – c’est la population de l’UE – est censé provoquer une telle « crise ». La réponse est à mon sens très simple. En réalité, il n’y a pas de crise de réfugiés mais une crise du « régime des frontières » qui s’est construit autour de ce dispositif de la forteresse Europe[5]. C’est ce régime, confronté à un événement comme celui de la crise du Grand Moyen Orient, qui produit cette « crise des réfugiés » et qui, par la suite, la met en scène auprès des opinions publiques et engendre les discours qui justifient les politiques censées la résoudre. Selon Nicholas de Genova ce vocable traduit « une instabilité épistémique permanente au sein du gouvernement de la mobilité humaine transnationale, qui repose elle-même sur l’exercice d’un pouvoir sur la classification, la dénomination et le partage des «migrants»/«réfugiés», et la multiplication plus générale des nuances et des contradictions subtiles parmi les catégories encadrant la mobilité »[6].

Comment faut-il comprendre cette notion de régime des frontières que l’on désigne par la notion d’« Europe forteresse » ? J’utilise cette métaphore pour des raisons de commodité et parce qu’elle permet de capter une partie de la réalité de la chose, d’en donner du moins une représentation qui frappe les esprits et qui fait sens. Il ne s’agit toutefois que d’une métaphore, qui renvoie à l’idée d’une digue construite pour séparer nettement un extérieur et un intérieur et établir un strict contrôle des mouvements entre les deux côtés de la ligne de partage. Or, la digue en question est en fait une affaire extrêmement complexe, et s’il s’agit d’une forteresse, il faut la concevoir à la façon de ces constructions érigées selon un plan très sophistiqué, qui comporte plusieurs lignes de défense faites non seulement de murs mais aussi de tranchées, de casemates, et d’avant-postes en tout genre.

A l’époque contemporaine, et avec les moyens technologiques dont les Etats disposent, les lignes de fortification sont devenues mobiles, elles comportent notamment toutes sortes de moyens de surveillance électronique qui viennent renforcer un arsenal militaire et répressif de plus en plus sophistiqués. Leurs effets sont démultipliés au moyen de partenariats établis avec d’autres Etats, ou avec des agences transnationales à l’instar de celles qui dépendent directement de l’UE, qui permettent une mise en commun des moyens de contrôle et de surveillance. On est passé, en d’autres termes, d’une logique de simple souveraineté étatique à des « relations hybrides de logiques souveraines et d’obligations communes, parfois très inéquitables »[7]. De ce fait, loin de se traduire par une quelconque « ouverture, l’« européanisation » des frontières s’est traduite par un renforcement et une « rigidification » considérables de l’arsenal traditionnel de contrôle du territoire à travers une démultiplication des lignes d’inclusion et d’exclusion à la fois vers l’intérieur et l’extérieur. La frontière de l’UE, véritable nom de l’« Europe forteresse » s’étend ainsi d’un espace qui va de l’Arctique au Sahara et de l’Atlantique à l’Irak, puisque une bonne partie des pays du pourtour méditerranéen – à commencer par la Turquie – et même de l’Afrique saharienne et subsaharienne sont transformés en « zones tampon » et annexés ainsi au dispositif de la frontière de l’UE. Selon de récentes dispositions discutées lors du Conseil de l’UE qui s’est tenu le 23 mai 2016[8], il est désormais question d’inclure dans cet espace l’Irak, le Bangladesh ou le Pakistan afin de faciliter les « réadmissions », c’est-à-dire les retours forcés de migrants et des demandeurs d’asile – naturellement dans le mépris le plus complet de l’état des droits humains dans la plupart des pays en question.

La notion de « frontière » se trouve ainsi complexifiée, sans que cela n’entraîne le moindre relâchement du niveau de contrôle exercé sur les individus ou les populations – bien au contraire. Selon une première approximation, on pourrait dire que le relâchement du contrôle sur les frontières des Etats-membres de l’UE s’est accompagné de son renforcement sur la frontière « externe ». En réalité, ce sont les notions même d’« intérieur » et d’« extérieur » qui sont bouleversées, selon un processus à double sens. Car si, d’un côté, le Mali et la Turquie se trouvent intégrés au régime européen (au sens de l’UE) des frontières, on voit, d’un autre côté, se multiplier, à l’intérieur même du territoire de l’UE, des zones « déterritorialisées », extraites de façon plus ou moins aboutie à l’ordre légal et aux garanties dérivées des conventions internationales dont les Etats sont en principe partie prenante. Zones et centre de rétention, à proximité des aéroports, des ports ou d’autres points de passage, camps « provisoires », ou supposés tels, où s’entassent dans des conditions qui rappellent celles de zones de guerre les indésirables à qui, à l’évidence, on dénie la pleine humanité.

En réalité, l’espace « européen » est loin de constituer une réalité homogène. Si l’on examine en effet l’espace européen au sens géographique du terme, sans doute le moins contestable (même s’il n’a rien de « naturel »), il faut en effet commencer par distinguer les pays qui font partie de l’UE et les autres, dont la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Norvège, plusieurs pays des Balkans, la Suisse et, bientôt, le Royaume-Uni. Si on resserre la focale sur la question qui nous préoccupe ici, celle du régime des frontières, donc des conditions d’entrée, de circulation et de sortie de cet espace, les choses sont encore plus compliquées, car ce régime européen – au sens cette fois de l’UE – des frontières ne coïncide que partiellement avec celui constitué par les Etats-membres de l’UE, tandis que l’espace extérieur à celle-ci se présente également comme une configuration différenciée et soigneusement hiérarchisée.

On peut ainsi distinguer au moins quatre sous-espaces internes à cet espace géographique européen.

Il y a tout d’abord ce qu’on appelle l’espace Schengen qui regroupe 22 des 28 membres actuels de l’UE, qui est celui au sein duquel on s’approche le plus, sur le principe du mois, d’une libre circulation des personnes, donc d’un relâchement des frontières internes. Relevons à ce propos deux éléments importants.

Tout d’abord, le fait que certains pays, au nombre de cinq, font partie de l’UE mais pas de l’espace Schengen. Le Royaume-Uni est de ceux-là, aux côtés de la Bulgarie, de la Croatie, de Chypre et de la Roumanie, et sa prochaine sortie de l’UE ne change rien au fait qu’il aura fait la démonstration qu’on peut en faire partie pendant près d’un demi-siècle sans adhérer au principe de l’espace Schengen. Il s’agit donc d’un deuxième sous-ensemble, interne à l’UE mais soustrait à l’une de ses règles essentielles.

D’un autre côté, l’espace Schengen s’étend au-delà des frontières de l’UE, puisqu’en font également partie la Norvège, la Suisse et l’Islande, en plus d’enclaves territoriales du type Liechtenstein, Monaco ou Saint-Marin. Il y a donc là un troisième espace, qui est une sorte d’extension du premier, et qui, tout en étant au-delà de la frontière proprement dite, devient toutefois plus « interne », et, de ce fait, plus proche du premier sous-ensemble, que ne l’est le second.

Et puis, il y a des pays européens qui ne font partie ni de l’UE ni de l’espace Schengen, comme par exemple bon nombre de pays des Balkans (Albanie, Serbie, Monténégro, Bosnie, Macédoine) mais aussi la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie ainsi que la Turquie. Cet ensemble est lui-même loin de constituer un tout homogène puisqu’en la matière il est régi par un ensemble de dispositifs – qui vont du visa d’entrée plus ou moins aisément octroyé aux modalités de surveillance concrète de la frontière – lui-même différencié et qui fait l’objet d’un permanent rapport de forces entre l’UE, certains de ses Etats-membres et les Etats en question.

Ainsi donc la dite « construction européenne », c’est-à-dire celle de l’UE, et le régime des frontières qui en découle, loin d’unifier véritablement l’« Europe » conduit au contraire à sa fracturation sur des lignes nouvelles, qui renouent pour partie avec des lignes de partage antérieures à la guerre froide, si ce n’est à la première guerre mondiale, notamment entre une Europe « occidentale » et l’« Est », qui correspond à des pays ayant fait partie de l’Empire ottoman ou de l’aire russophone.

Nul hasard justement si l’aire balkanique se détache clairement dans cet ensemble. En réalité, – à l’exception de la Grèce, qui continue à cet égard de bénéficier de son statut d’avant-poste de l’« Occident » du temps de la guerre froide (qui fût en l’occurrence tout à fait « chaude » puisqu’elle a conduit à une guerre civile) – cette aire a ceci de particulier qu’elle partage une commune condition d’exclusion de la « liberté de circulation » (des personnes s’entend) de ses ressortissants, que les Etats en question fassent ou non partie de l’UE. D’où la question de la « route des Balkans », qui fût la principale voie de passage empruntée par les réfugiés et les migrants lors de la « crise » de 2015, avant sa fermeture progressive, scellée par l’accord entre l’UE et la Turquie de mars 2016.

Prenons ainsi le cas d’un réfugié qui entre dans l’UE en passant par la Grèce, qui fait un détour par la Bulgarie, car il y a un engorgement à la frontière au passage avec la Macédoine, puis qui revient vers la Macédoine, continue par la Serbie, passe par la Hongrie pour aller enfin en Allemagne, faisant ainsi un parcours quasi-complet de la « route des Balkans ». Ce réfugié aura ainsi traversé sept Etats et pas moins de cinq régimes frontaliers différents, dont deux strictement nationaux et trois qui relèvent des sous-ensembles listés auparavant.

Les choses se compliquent toutefois encore davantage. Si l’on s’en tient en effet au seul sous-espace Schengen, il apparaît à son tour comme intérieurement divisé et hiérarchisé. Cette ligne de fracture se joue sur la question du droit d’asile. Ce droit est régi par la convention dite de Dublin, qui stipule qu’un réfugié qui essaye d’accéder à l’asile au sein de l’UE doit déposer son dossier là où il a été enregistré, c’est-à-dire dans le premier pays d’entrée de l’UE, et rester dans le pays en question jusqu’à ce que sa demande soit examinée. Dans le cas contraire, il est passible de renvoi dans ce pays, et devient ainsi un « dubliné », c’est-à-dire un paria balloté d’un pays à un autre, au gré de l’application plus ou moins stricte de dispositifs visant essentiellement à l’empêcher de bénéficier de droits en principe garantis par les conventions internationales.

Cette disposition signifie que les pays du sud européen, à savoir la Grèce, l’Italie et l’Espagne, qui sont les portes d’entrée « naturelles » de l’UE, deviennent une zone de transit ou plus exactement une trappe pour les migrants et les réfugiés. Ainsi donc, avant même de devenir les « PIIGS » de la crise de la dette publique qui éclate à partir de 2010, ces pays sont déjà constitués en une « périphérie » européenne, dont la fonction est de filtrer les « flux migratoires » et d’en préserver ainsi les pays du centre. Pourtant, nous l’avons vu, si le sud de l’UE devient une « trappe à migrants », la véritable frontière européenne ne se situe même pas là. L’UE et les agences qui en dépendent, en premier lieu Frontex, ont en effet passé des accords avec la plupart des pays limitrophes, et ne cessent de vouloir étendre le périmètre de cette aire. Moyennant quelques avantages financiers, ces pays jouent à la fois le rôle de filtres, de sas de rétention, bref de zones-tampons de la « forteresse UE ». Il se chargent ainsi de dissuader les départs vers l’UE, mais aussi d’accepter les renvois des personnes qui ont transité par leur territoire puisque, en vertu de ses accords, ces pays, dont la plupart sont des dictatures ou des régimes autoritaires, sont considérés comme des « pays sûrs », vers lesquels on peut donc tranquillement renvoyer réfugiés et migrants indésirables sur le sol européen, ou plutôt « UEien ».

Laisser mourir et faire vivre en Méditerranée

À en juger par la répartition des flux migratoires, le critère sans doute le plus pertinent en la matière, la frontière externe de l’UE est avant tout sa frontière sud, et elle est principalement une frontière maritime, la Méditerranée. Et cette frontière s’avère particulièrement létale, nous le verrons dans un instant. Elle se présente d’emblée comme le lieu où s’exerce un entrelacement de pouvoirs souverains, ceux des Etats limitrophes bien entendu, mais auxquels se superposent désormais les autorités de l’UE et des agences, notamment de celle qui est plus particulièrement chargée du contrôle des frontières de l’UE, dont l’action transforme considérablement les modalités de l’action étatique – sur laquelle elle prend appui par ailleurs[9]. Ces pouvoirs se manifestent donc avant tout comme pouvoir de vie ou de mort, pouvoir de faire mourir ou de laisser vivre. Pour le dire autrement, l’objectif poursuivi par les mécanismes de contrôle n’est pas d’affirmer une quelconque impénétrabilité des frontières, a fortiori quand il s’agit d’une frontière maritime de cet ordre, de rendre impossibles des traversées dont on sait pertinemment que, pour l’essentiel, elles auront lieu de toute façon, mais de décider si et dans quelle mesure ce sera telle ou telle « voie de passage » qui sera empruntée, avec tel ou tel taux de mortalité correspondant à chacune d’entre elles. De décider si, et dans quelles conditions, on décide de « secourir » (ou de laisser secourir), si le secours ou l’accueil prodigué est jugé trop incitatif ou pas assez dissuasif – c’est la théorie de l’« appel d’air » – pour que la gestion du flux, donc l’arbitrage qu’elle implique entre laisser mourir (par noyade) et faire vivre, soit jugée acceptable.

Examinons rapidement quelques données. En 2015, lorsque la « crise des réfugiés » a atteint son pic, on a compté environ un million d’arrivées de migrants et de réfugiés sur le territoire de l’UE, la quasi-totalité par voie maritime, et 3 800 personnes décédées en Méditerranée, en augmentation de près de 10% par rapport à l’année précédente où le nombre s’élevait à 3 300[10]. En 2016, année pendant laquelle le nombre d’arrivées a drastiquement chuté (passant d’un million à 363 mille) du fait de l’accord conclu entre l’UE et la Turquie, ce nombre a pourtant considérablement augmenté, dépassant pour la première fois le seuil des cinq mille, soit une augmentation de 35%. C’est précisément cet accord qui est responsable de ce record terrifiant, car il a déplacé les voies de traversée de l’est vers le centre Méditerranée, en d’autres termes de la Grèce vers l’Italie. Or cette voie centrale est bien plus dangereuse que la traversée de la côte turque vers les îles grecques. Quant à l’année en cours (2017), le chiffre pour les cinq premiers mois de l’année est de 1 570 décès pour un nombre d’arrivées bien plus réduit (60 000 contre 200 000 arrivées et 1 400 décès pour la période équivalente en 2016), ce qui veut dire que, malgré une baisse en chiffre absolu du nombre de mort, la léthalité des traversées a littéralement bondi, triplant d’une année sur l’autre.

Poursuivons un instant cette comptabilité macabre : depuis 2014, on ne compte pas moins de 13 700 personnes décédées en traversant la Méditerranée, soit en moyenne 336 par mois. Mais quels sont les chiffres pour les périodes qui précédent ? Selon les sources considérées comme faisant autorité en la matière, émanant d’ONG ou d’observateurs comme United for Intercultural Action, le Missing Migrant Project de l’International Organization for Migration ou encore Fortress Europe, on obtient les deux estimations suivantes[11]. Selon la première, entre 1993 et 2012, le nombre de décès est de 17 300 personnes ; selon la deuxième, entre 1988 et 2014, il s’élève à 19 800, dont 14 800 en Méditerranée. Mais il existe des estimations fiables significativement plus élevées, comme celles du projet The Migrants Files, qui évaluent les morts à 30 000 entre 2000 et juin 2016[12]. Encore faut-il savoir que « la plupart des associations européennes d’aide aux migrants estiment qu’il faudrait multiplier par deux, voire par trois, les chiffres les plus pessimistes pour prendre en compte ceux qui disparaissent sans laisser de traces »[13] – sans oublier que la traversée du Sahara, étape préalable à celle de la Méditerranée pour une grande partie des migrants, est bien plus létale que celle-ci.

La conclusion est tout à fait évidente : la Méditerranée est devenue un véritable charnier liquide, sans que cela ne suscite d’émotion particulière, du moins jusqu’à la vague de réfugiés et de migrants de ces dernières années, consécutive au grand chambardement moyen-oriental. Et cette réalité n’est que l’autre face du fait que la Méditerranée est devenue « le théâtre d’un genre nouveau de guerre, une bataille contre les migrants dans laquelle s’est engagée l’Union Européenne »[14].

L’évolution temporelle de la courbe est, du reste, fort instructive. Deux éléments s’en dégagent : tout d’abord un faible nombre (estimé) de décès avant 1990, et qui n’augmente que légèrement jusqu’en 1995, moment de pleine mise en œuvre des dispositions de l’espace Schengen. Comme le soulignent Tamara Last et Thomas Spijkerboer dans leur étude des statistiques de décès de migrants, « le nombre relativement faible de décès de migrants avant 1990 est sans doute lié au fait qu’il était beaucoup plus facile d’atteindre l’Europe par des moyens réguliers, même en l’absence d’autorisation gouvernementale officielle d’immigrer. L’introduction d’obligations de visa pour de nombreux pays d’origine, conjuguée aux sanctions à l’encontre des passeurs, a entraîné un basculement des moyens de transport réguliers, tels que les avions et les ferries, vers les moyens de transport irréguliers comme les bateaux de pêche »[15]. Par ailleurs, certains points de passage en direction des rivages européens, tels les enclaves espagnoles en territoire marocain de Ceuta et Melila, jusqu’alors « fluides et sans entraves… ont commencé à voir l’érection de clôtures après l’adhésion de l’Espagne au traité de Schengen en 1991 »[16], ouvrant la voie à un processus similaire en d’autres points d’entrée du territoire européen. C’est donc bien le processus d’européanisation des frontières, en d’autres termes la construction de la « forteresse Europe », qui est responsable de ce carnage sans précédent dans l’histoire européenne en temps de « paix ».

Une autre illustration de cette responsabilité spécifique de l’européanisation des frontières – en d’autres termes de l’affirmation d’un quasi-pouvoir souverain de l’UE – dans l’augmentation dramatique de ce « laisser mourir » en Méditerranée se trouve dans l’abandon par l’Italie de l’opération de sauvetage des migrants en mer Mare Nostrum et son remplacement par une opération menée par Frontex, donc du ressort direct de l’UE. Un naufrage survenu le 3 octobre 2013 au large de Lampedusa, qui a provoqué la mort de 366 migrants, déclenche une profonde émotion en Italie et mobilise fortement l’opinion publique. Enrico Letta, alors premier ministre de centre-gauche, lance une vaste opération de la marine italienne destinée à la fois à secourir les immigrants naufragés et à dissuader les passeurs, avec une claire priorité accordée au premier objectif. Pour ce faire, les bâtiments de la marine italienne naviguent jusque dans les eaux libyennes. En moins d’un an, environ 150 000 migrants sont secourus, chiffre tout à fait remarquable si l’on songe que le nombre total d’arrivées en Italie par la mer s’élève à 170 000 pour l’ensemble de l’année 2014[17]. Or, suite au refus de l’UE de couvrir une partie du coût élevé de l’opération (neuf millions d’euros par mois) et de l’hostilité manifestée par les représentants de la droite berlusconienne au sein du gouvernement, Angelico Alfano – ministre de l’intérieur – en tête, l’opération s’arrête à la fin août 2014. C’est alors l’agence de l’UE Frontex qui prend le relais, et lance l’opération Triton. Les moyens sont bien plus limités – et le coût mensuel à peine un tiers de celui de Mare Nostrum – mais c’est surtout le but de l’opération qui change du tout au tout. Il ne s’agit plus désormais de secourir les migrants mais de surveiller les eaux territoriales européennes. Résultat : des naufrages non-secourus à répétition, une explosion du taux de mortalité qui passe de 1 pour 50 quand les bateaux de Mare Nostrum étaient en activité, à 1 pour 14 dès l’arrêt de l’opération[18]. Le très mesuré Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) parle d’une « hécatombe jamais vue en Méditerranée »[19].

Le tollé soulevé par un nouveau naufrage au large de Lampedusa, en avril 2015, encore plus meurtrier que les précédents puisque pas moins de 800 personnes y laissent leur vie, forcera l’UE de réagir et de lancer l’opération Sophia. Mais ces missions sont dans la continuité de celles de Triton : « lutte contre les passeurs » et surveillance des eaux territoriales, en d’autres termes empêcher les migrants d’atteindre les côtes italiennes et dissuader les départs. En avril 2016, Federica Mogherini, haute représentante de l’UE aux affaires étrangères et à la politique de la sécurité – également membre du Parti démocrate de Matteo Renzi, qui a entretemps succédé à Letta – lui accorde un satisfecit et déclare que l’opération Sophia est un « succès » puisqu’elle a permis de stopper 68 passeurs, de « neutraliser et rendu hors d’usage 104 bateaux » et de « sauver en mer » 12 600 personnes, soit moins d’un douzième que ce que l’opération Mare Nostrum avait permis[20]. Ce cas met en évidence une dimension essentielle du dispositif européen du « laisser mourir / faire vivre », à savoir l’indissociabilité de ces deux aspects en tant qu’affirmation d’un dispositif de violence mortifère, dont la mise en œuvre tend à être transférée des Etats nationaux vers les instances supranationales de l’UE. Point décisif, ce transfert s’opère à bas bruit, d’où l’extrême difficulté d’exercer un contrôle démocratique et d’interroger sa légitimité, là encore à l’inverse du « monopole de la violence légitime » détenue par l’Etat national selon la célèbre définition de Max Weber. Pour le dire autrement, « humanitaire et sécuritaire sont les deux faces complémentaires d’un même [mode de] gouvernement. L’assistance et la compassion affichées permettent d’occulter les responsabilités tout en renforçant le contrôle et la répression »[21].

L’évolution temporelle de la courbe des décès recèle toutefois d’autres indications utiles. On constate en effet que le nombre de victimes décolle à partir de 2001, et, surtout, à partir de 2003, avec les guerres d’Afghanistan et de l’Iraq. Ainsi, avant la hausse brutale due à la crise syrienne et moyen-orientale de 2010, on observe un taux annuel apparemment considéré comme « normal » de plus d’un millier de personnes décédées en essayant d’atteindre l’Europe. Je parle ici d’une « normalité » car comment interpréter autrement le décalage entre l’absence d’émotion suscitée par la mort de dizaines de milliers d’êtres humains, dans leur écrasante majorité du reste des morts « anonymes », non répertoriées par les autorités et indignes d’une vraie sépulture au sens propre, avec celle suscitée par exemple par le millier de morts causés par la traversée de la frontière entre l’Allemagne de l’Ouest et la RDA (dont un quart à Berlin) durant la guerre froide ?

Je ne vois qu’une seule explication possible à cet état de fait. Un(e) Africain(e), un(e) Arabe, un(e) Afghan(e) qui meurt noyé(e) en Méditerranée, qui fuit la guerre, l’oppression et/ou l’extrême misère, n’est pas vu comme un être humain au même titre que ces Allemands qui tentaient de fuir le « communisme » et qui étaient accueillis comme des héros de la liberté. Et cela prolonge bien entendu une longue histoire qui est celle du colonialisme et des formes, toutes violentes, de domination que l’Europe et l’Occident ont exercé sur le reste du monde et dans la pleine continuité de laquelle s’inscrit la « construction européenne » et son fruit empoisonné, l’UE.

Quel est le rôle de la Grèce dans cette situation ? On peut dire qu’il est double. D’une part, la Grèce fait le gendarme – plus exactement le garde-chiourme – de l’Europe dont elle est le poste frontière sur son vaste flanc sud-est. Cela ne date pas d’aujourd’hui, même si l’accord entre la Grèce et la Turquie de mars 2016 a pérennisé cet état de fait. Il faut remonter au moins à la construction de la barrière barbelée[22] (et truffée de moyens de surveillance électroniques) autour de la rivière Evros, qui constitue la seule frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce, et qui, depuis son déminage partiel, permettait d’accéder à peu près en sécurité à la Grèce. La décision de sa construction a été prise par le gouvernement « socialiste » en 2011 et l’ouvrage a été inauguré à la fin de l’année suivante par le gouvernement tripartite dirigé par la droite d’Antonis Samaras. Le gouvernement Syriza, qui accède au pouvoir en janvier 2015, n’a rien fait pour mettre à bas cette barrière de la honte, et il faut dire que, sur ce point en particulier, le programme initial de Syriza restait vague, même s’il comportait par ailleurs de nombreux engagements en faveur de l’accueil des réfugiés et des migrants – engagements qui ont, pour l’essentiel, assez rapidement connu le sort du reste de ce programme[23]. Or, le drame dont la mer Egée est le théâtre est la conséquence directe du fait que, suite à la construction de cette barrière, la voie maritime, avec son cortège de noyades, de rackets et de drames, a pris le relais d’une route terrestre, infiniment moins dangereuse mais devenue impraticable. En tant qu’avant-postes et serviteurs zélés du régime européen des frontières, les gouvernements grecs qui se sont succédés au cours de ces dernières années portent ainsi une part écrasante de responsabilité dans le carnage qui se déroule dans ses eaux territoriales.

Le deuxième aspect de l’implication de la Grèce dans la nouvelle phase de la « forteresse Europe » telle qu’elle émerge de la « crise des réfugiés » des dernières années est consignée dans l’accord conclu entre l’UE et la Turquie en mars 2016. Rappelons rapidement le processus qui y a conduit : à partir de l’automne 2015, les pays qui se trouvent sur la « route des Balkans » ferment les uns après les autres leur frontière, sous l’impulsion du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) agissant en étroite liaison avec l’Autriche et des secteurs du gouvernement allemand hostiles à la politique d’accueil que Merkel a mis en œuvre pour une durée limitée. Suite à ce naufrage de toute notion de politique européenne d’accueil des réfugiés, la Grèce cesse de facto d’être une zone de transit, et devient un camp de rétention à ciel ouvert. Près de 60 000 personnes se trouvent ainsi, du jour au lendemain, prises au piège et des situations intolérables se créent notamment dans les zones frontalières du Nord du pays et dans les îles les plus proches de la côte turque.

La coordination européenne ayant magistralement échouée s’agissant de l’accueil d’un nombre pourtant fort réduit de réfugiés, ne tardera pourtant guère à se remettre en place, cette fois pour les tenir fermement aux portes de l’Europe. En mars 2016, l’UE et la Turquie signent un accord pour sceller définitivement la « route des Balkans »[24]. Chaque disposition de cet accord, accueilli avec un lâche soulagement par Alexis Tsipras et son gouvernement, constitue une violation du droit d’asile tel qu’il est défini par les conventions internationales. La Turquie s’engage ainsi à ne plus permettre les traversées « irrégulières » à partir de ses côtes, en contrepartie d’une promesse de levée des restrictions des visas pour l’UE accordés à ses ressortissants, de l’ouverture d’un nouveau chapitre des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE ainsi que d’une aide financière destinée à couvrir une partie du coût de l’accueil des réfugiés sur son sol. Les réfugiés et migrants qui réussiraient malgré cela à atteindre les îles grecques se verront refoulés vers la Turquie. Précisons que si les engagements turcs ont été tenus, ceux de l’UE ne l’ont pas été, élément sur lequel Erdogan ne cesse de jouer.

L’une des dispositions les plus scandaleuses de l’accord UE-Turquie se trouvent dans la règle du « un contre un » concernant les réfugiés syriens, à savoir que ceux-ci ne seront acceptés sur le sol de l’UE qu’en tant que contrepartie d’un nombre égal renvoyés sur le sol turc, et ce dans la limite de 72 000 personnes. Par ailleurs, l’accord se traduit par une dégradation dramatique des conditions de séjour des 60 000 réfugiés et migrants piégés en Grèce : les centres d’accueil, tout particulièrement ceux situés dans les îles, se trouvent transformés en centres de rétention fermés tandis que des milliers de fonctionnaires de Frontex sont dépêchés sur place pour prêter main-forte aux autorités grecques et renforcer la militarisation de la frontière. Le renvoi massif des demandeurs qui se voient refuser l’asile a été jusqu’à présent évité, suite aux nombreux recours devant les tribunaux, mais cet acquis est fragile, car les autorités grecques, sous l’étroite supervision de l’UE, renforcent les pressions pour que l’accord UE-Turquie soit intégralement appliqué[25]. Reprise en main par l’Etat grec et les fonctionnaires de l’UE des commissions qui traitent des demandes et des recours, et, surtout, engagements fermes contractés le 8 décembre dernier auprès de la Commission Européenne, et de son « coordinateur pour l’application de l’accord UE-Turquie » Martin Verwey, pour accélérer les reconduites des demandeurs d’asile et « désengorger » en quelques mois les îles où se retrouvent piégés réfugiés et migrants, la capitulation sur ce dossier comme sur tous les autres, du gouvernement de Syriza est patente[26].

Quant aux conditions matérielles de séjour, elles demeurent intolérables, démonstration évidente de la faillite d’une politique conjointement menée par l’UE et les autorités grecques qui consiste à sous-traiter aux ONG – plus exactement à des ONG sélectionnées en fonction de leur disposition à « coopérer » avec les autorités – les fonctions que l’Etat grec défaillant n’est plus en mesure d’assumer. Comme le souligne un acteur qui entend rester anonyme d’une ONG engagée sur le terrain, l’incapacité à satisfaire les besoins élémentaires d’à peine 60 000 réfugiés, dans un pays en paix membre de l’UE, révèle de façon éclatante l’« échec des organisations d’assistance humanitaire »[27]. Il y a toutefois davantage : avec la transformation des centres d’accueil et d’enregistrement des migrants, simple étape d’un parcours appelé à se poursuivre, en lieux d’enfermement, de « relocalisation » et de gestion des renvois « la Grèce est devenue, comme l’Italie, un terrain d’expérimentation des politiques européennes du verrouillage des frontières et de la dissuasion des migrations »[28].

Pour conclure sur ce point, l’accord entre l’UE et la Turquie ne constitue pas une faute, une transgression des soi-disant « valeurs européennes » car celles-ci ont depuis longtemps sombré dans les eaux de la Méditerranée avec les dizaines de milliers d’êtres humains qui y ont péri. Elle s’inscrit dans le droit fil de la logique qui a présidé dès le départ à la « construction européenne » et qui a fait de la frontière entre l’UE et le reste du monde une ligne qui sépare en fin de compte la pleine humanité, blanche et européenne, de la sous-humanité vouée à une « vie précaire » et à une mort anonyme dont les eaux de Lampedusa ou de Lesbos sont devenues les éternels témoins.

La Grèce sous le régime de la Troïka, moment de vérité de l’UE

J’en viens maintenant à quelques remarques sur la Grèce comme « frontière interne » de l’Europe, comme avant-poste, ou, si l’on préfère, comme laboratoire de la lutte des classes telles que les classes dominantes la mènent avec une vigueur renouvelée. Quand on parle des politiques appliquées à la Grèce, on utilise souvent les mots de politiques d’austérité. C’est juste, bien entendu, mais c’est aussi en partie trompeur car, de l’austérité, il y en a partout, en Grèce comme en France aussi bien qu’au Royaume-Uni, qui s’apprête à quitter l’UE, et cela pour une raison simple. L’austérité, et, plus généralement, l’approfondissement des politiques néolibérales, désignent la stratégie de sortie de crise adoptée depuis 2008 par les classes dominantes pour faire face aux contradictions du régime financiarisé d’accumulation qui se manifestées ces dernières années. Il y a pourtant une spécificité grecque comparable à celle dont il a été question à propos du régime des frontières. Cette spécificité c’est un régime politique d’exception instauré sous la forme la plus achevée et la plus durable en Grèce et, sous une forme plus diluée, dans la périphérie du sud de l’Europe. Ce régime s’est construit par étapes successives, il s’est institutionnalisé autour d’un dispositif dont le signifiant est utilisé par les Grecs pour nommer la période que traverse leur pays depuis sept ans : les mémorandums, en anglais, langue-reine en la matière, Memorandums of Understanding – ou MoUs comme ils sont parfois désignés.

En quoi consistent ces mémorandums, au nombre de trois depuis 2010 – sans compter les multiples accords et train de mesures qui en réactualisent les principales dispositions ? Au cœur de la crise grecque, ainsi que celle des pays de la périphérie européenne se trouve le surendettement, à la fois privé et public, qui traduit lui-même des tendances lourdes à la polarisation économique au sein même de l’UE et tout particulièrement de la zone euro. Ainsi, la Grèce, le Portugal, l’Irlande et, dans une moindre mesure, l’Espagne ont connu des situations de surendettement alors que l’Allemagne ne cesse de crouler sous les excédents. En arrière-fond de la crise de la dette se trouve donc une configuration européenne qui tend à creuser de plus de plus en clairement les écarts entre des pays du centre et une périphérie, ou plutôt des périphéries, car à la périphérie sud interne à l’UE vient s’ajouter la seconde, celle de l’est, depuis longtemps réduite à un statut de Mezzogiorno européen, pourvoyeur de main d’œuvre bon-marché. Surendettés, les pays de la « première » périphérie se sont ainsi trouvés dans l’impossibilité d’emprunter sur les marchés, comme les y obligent les règles de la zone euro, et ont dû recourir à des « plans d’aide », c’est-à-dire à des emprunts accordés par les institutions de l’UE, avec la participation du FMI. Les mémorandums ne sont pas autre chose que les accords signés par ces pays, en commençant par la Grèce, en contrepartie des prêts obtenus et qui visent à assurer qu’ils continuent à rembourser leurs dettes. Le mécanisme qui s’est mis en place consiste ainsi à s’endetter de nouveau pour rembourser une dette préexistante, quitte à se retrouver, au bout de l’opération, avec un niveau d’endettement encore supérieur – ce qui s’est effectivement réalisé dans le cas de la Grèce.

Les mémorandums ne sont pas autre chose que la liste des conditions imposées par les créanciers en contrepartie des emprunts accordés. Ce sont des documents qui font des milliers de pages, à peu près un millier pour le texte de l’accord à proprement parler, complété des milliers de pages d’annexes. Ils ont été votés à chaque reprise par le parlement grec selon des procédures expéditives, véritable simulacre de débat parlementaire, lequel n’a jamais excédé les 48 heures. Ainsi le troisième mémorandum, fruit de la capitulation de Tsipras de juillet 2015, a été voté par le parlement grec en moins de 24h un mois plus tard. Il y avait même non seulement, comme à l’accoutumée une date butoir mais également une heure précise fixée par l’UE pour que le parlement vote le texte. Le débat à proprement parler a duré environ sept heures, pour un document d’un millier de pages, communiqué aux parlementaires par mail la veille à 17 heures, sans même avoir été traduit, l’essentiel du texte ayant été expédié en anglais. Il en a été de même pour les paquets de mesures d’austérité votés depuis 2010, tous approuvés selon les mêmes procédures expéditives par un parlement réduit au rôle de chambre d’enregistrement des conditions dictées par les créanciers.

Pour humiliante qu’elle soit, la procédure n’est pas simplement de l’ordre du symbole. Ce qui est en jeu ici, c’est bien le démantèlement de la souveraineté nationale et populaire. J’insiste sur les deux termes : pour imposer la « thérapie de choc », massivement rejetée par la population, il fallait détruire la démocratie, y compris sous sa forme représentative, fort limitée et problématique par ailleurs, donc bafouer toute notion de souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il était indispensable d’utiliser la machinerie de l’UE pour démanteler la souveraineté nationale, remodeler en profondeur l’Etat grec lui-même, son fonctionnement institutionnel et la matérialité même de ses moyens d’action les plus essentiels.

La logique de ces mémorandums n’a rien de bien original, ce n’est pas autre chose que les programmes d’ajustements structurels qui ont été auparavant appliqués dans les pays du sud, sous les auspices du FMI. Leurs ingrédients de base sont invariants : limitation drastique de la dépense publique, dérégulation massive de l’économie, à commencer par celle du marché du travail, diminution drastique du « coût du travail », c’est-à-dire des salaires et des prestations sociales, privatisation de ce qui reste de ressources et d’entreprises publiques. La seule originalité c’est qu’ils s’appliquent pour la première fois à un pays européen « occidental », pas à la seconde périphérie issue du camp socialiste. Et pour ce faire, le FMI joue un rôle essentiel mais relativement auxiliaire, puisqu’il a été appelé à la rescousse par ce qu’on appelle la Troïka, qui réunit les bailleurs de fond de la Grèce depuis la mise en œuvre des « plans d’aide », c’est-à-dire la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI. Avec le troisième mémorandum la Troïka est devenue le « quatuor », du fait de la participation du Fond monétaire européen de stabilité, et elle est maintenant désignée comme « les institutions » pour faire oublier le nom initial, devenu difficile à porter.

Le but recherché par la mise en œuvre des mémorandums est de dégager des excédents budgétaires élevés – actuellement de l’ordre de 3,5% du PIB, appelés à perdurer au-delà même de 2018, date à laquelle vient à échéance l’accord actuellement en cours. Ces excédents sont intégralement consacrés au remboursement de la dette et visent à la rendre « soutenable », à savoir remboursable sans recours à de nouveaux plans d’aide. Par ailleurs, la baisse du coût du travail et la dérégulation de l’économie sont censés apporter des gains de compétitivité, attirer des investissements et conduire à terme à un redressement de l’économie.

Le résultat, on le sait, est un désastre sans précédent depuis les années 1930, pire que celui provoqué par la dernière guerre mondiale. En sept ans, la Grèce a perdu plus d’un quart de son PIB, elle est descendue du 28e au 38e rang mondial dans le classement correspondant, derrière la Slovénie, le Portugal et la Tchéquie et dans le voisinage immédiat des pays baltes, mais également de plusieurs pays latino-américains (Uruguay, Barbade, Trinidad, Chili). Dit autrement, en 2009, le PIB par habitant de la Grèce représentait 71% de celui de l’Allemagne, 69% de celui de la France, et était supérieur de 62% de celui de la Corée (du Sud). En 2016, il était estimé à 43% de celui de l’Allemagne, à 47% de celui de la France et il était devenu inférieur de 31% de celui de la Corée[29]. Le pays se trouve toujours plongé dans la récession, dont seul le rythme s’est atténué et ce malgré des années touristiques exceptionnelles du fait de l’évolution du contexte géopolitique régional. Le taux de chômage officiel est de 23%, supérieur à 50% pour les jeunes. Plus d’un tiers de la population se trouve exposé au risque de pauvreté (35,7%), seules la Roumanie et la Bulgarie enregistrant un taux supérieur au sein de l’UE[30]. Signe infaillible des situations de détresse, le pays se vide de ses forces vives. Plus de 400 000 Grecs ont quitté le pays depuis 2010, auxquels ils convient d’ajouter plus de 200 000 travailleurs immigrés qui s’y étaient installés. Près de 70% des Grecs qui émigrent sont titulaires d’un diplôme universitaire et plus de la moitié appartiennent à la tranche d’âge des 25-39 ans, la plus cruciale dans la pyramide de la population active[31].

Dernier élément – mais certainement pas le moindre – à ajouter à ce terrible tableau : la faillite de cette politique ne se mesure pas seulement à l’étendue des effets destructeurs qu’elle a provoqués mais à sa totale incapacité à régler la question de la dette publique de la Grèce, qui fut pourtant à l’origine du recours à ces « plans d’aide », dont il est devenu évident qu’ils n’ont profité qu’aux créanciers du pays, banques grecques et européennes et institutions de l’UE qui, flanquées du FMI, ont pris le relais[32]. D’un ratio de 120% du PIB lorsque, en 2010, la Grèce a conclu le premier mémorandum, la dette publique s’élève actuellement à 180% du PIB, et ce malgré un effacement partiel – par ailleurs plutôt avantageux pour la plupart des créanciers – survenu en 2012. Déclarée « hautement non-soutenable » par le FMI lui-même, elle est devenue le symbole de l’absence totale d’issue positive de la politique d’asservissement et de pillage ininterrompus menée durant ces années.

Vers un néocolonialisme interne

Ces données suffisent, il me semble, à suggérer, autant que des chiffres le permettent, la violence et la dévastation qui se sont abattues sur ce pays et qui continuent sans discontinuer à produire leurs effets mortifères. Il ne faut pourtant pas s’arrêter là, car ce qu’il s’agit de comprendre c’est le dispositif précis qui a permis à un tel rouleau compresseur de poursuivre son œuvre, avalant de la sorte trois gouvernements successifs issus de la quasi-totalité du spectre politique, du social-libéralisme bon teint de Georges Papandréou à la droite dure de Samaras jusqu’à, moyennant une sidérante volte-face, la gauche radicale de Syriza. L’institutionnalisation des mémorandums, leur transformation en un véritable régime contournant l’ordre constitutionnel normal, s’appuie sur un certain nombre de mécanismes qui ont altéré en profondeur la substance même de l’Etat grec et du fonctionnement des institutions.

Tout d’abord, conséquence immédiate des objectifs macroéconomiques listés de façon exhaustive dans les pages du document, qui touchent à la totalité des dépenses de l’ensemble des lignes budgétaires – de l’Etat central jusqu’à la moindre administration communale – la politique budgétaire est désormais placée sous pilotage automatique. Les dispositions contenues dans les milliers de pages des mémorandums détaillent les mesures que le gouvernement s’engage à appliquer et, surtout, fixe un échéancier précis, au mois près. Mais l’essentiel réside peut-être dans le dispositif de surveillance de la mise en œuvre de ces mesures. Tous les trimestres, se déclenche la procédure des « revues », barbarisme servant à traduire le terme anglais review, qui signifie « évaluation ». La Troïka envoie donc ses fameux hommes en noir à Athènes, qui épluchent les comptes de l’ensemble des administrations et organismes publics. Dans un premier temps, ils se déplaçaient eux-mêmes dans les divers locaux ministériels pour fouiner, depuis le gouvernement Syriza ils sont cantonnés à l’hôtel Hilton et sont devenus, dans le parler populaire, le « gouvernement du Hilton ». En réalité, ils ont placé de façon permanente, dans des positions stratégiques de l’appareil d’Etat, des gens de confiance, qui leur fournissent l’information requise à intervalles réguliers. L’une des choses que le premier gouvernement Syriza a découvert quand il a pris ses fonctions, c’est que la Troïka connaît beaucoup mieux que n’importe quel gouvernement grec ce qu’il en est du moindre poste de dépense de la moindre administration publique dans le pays. Ce n’est que si les envoyés de la Troïka estiment que les objectifs assignés sont bien tenus, que la « revue » peut être considérée comme complétée et que l’Eurogroupe donne le feu vert pour le versement de la tranche des prêts qui sont prévus dans l’échéancier du mémorandum.

Si le feu vert n’est pas accordé, pas de versement ! Et pas de versement signifie eo ipso faillite car la Grèce n’est toujours pas en position de financer le remboursement de sa dette en empruntant sur les marchés et se refuse obstinément à prendre l’initiative d’une cessation de paiements, qui, comme le démontre l’expérience historique, est le point de départ indispensable de toute négociation de la dette en faveur du débiteur. A chaque fois, il a fallu donc se plier à la lettre aux exigences des créanciers, qui à l’occasion de chaque procédure d’évaluation ont exigé – et obtenu – l’adoption de mesures d’austérité supplémentaires, rendues « nécessaires » par l’incapacité de tenir des objectifs d’autant plus irréalistes qu’ils se heurtent à chaque fois aux effets récessifs que le cadre austéritaire a engendré. Tel est donc le mécanisme infernal qui s’est mis en place dès le premier mémorandum, et qui n’a connu qu’une brève période de suspension, quand le premier gouvernement Syriza a tenté, entre janvier et juillet 2015, de façon dramatiquement inadéquate et autodestructrice, de résister à la Troïka.

La capitulation de Tsipras et de la majorité de son équipe en juillet 2015 a conduit à la signature d’un troisième mémorandum, qui représente un approfondissement qualitatif dans l’entreprise de destruction de la souveraineté nationale de l’Etat grec. C’est en fait à un véritable démantèlement du cœur même de l’appareil d’Etat auquel on assiste. Relevons-en rapidement les principaux axes : de politique budgétaire autonome, il ne saurait de toute façon en être question puisque, d’entrée de jeu, le mécanisme des mémorandums et des « revues » s’y est substitué. La politique monétaire est depuis longtemps à Francfort, aux mains de la BCE et ses instances « indépendantes ». L’approvisionnement en liquidité fût le bazooka pointé par M. Draghi, et avant lui par M. Trichet, sur tout Etat soupçonné du moindre écart par rapport aux politiques dictées par l’UE – rappelons ici qu’avant le goulot d’étranglement des liquidités appliquée à la Grèce, l’Irlande et Chypre avait déjà fait l’objet de menaces du même type.

Mais ce dernier mémorandum, celui que met en œuvre un gouvernement de « gauche radicale », prévoit d’aller encore plus loin. C’est maintenant le « secrétariat général aux recettes publiques », c’est-à-dire l’équivalent du service du Trésor public chargé de la collecte de l’impôt, qui devient une instance « indépendante », dont le responsable est nommé par le gouvernement seulement après avoir recueilli l’assentiment de la Troïka/Quatuor. Le principe est ici le même que celui qui a présidé à la création de banques centrales « indépendantes », c’est-à-dire non soumises au contrôle du politique et directement reliées à des instances supranationales, en l’occurrence celles qui représentent les intérêts des créanciers, dont elles se chargent en fin de compte d’exécuter les commandements.

Cette agence « indépendante » de collecte de l’impôt se voit accompagnée d’un « conseil fiscal » composé de cinq membres, dont la nomination doit de nouveau être approuvée par la Troïka/Quatuor, qui, au moindre soupçon de déviance par rapport aux objectifs d’excédents budgétaires, peut décider de coupes dans les dépenses publiques automatiquement exécutoires, à savoir sans nécessiter l’approbation du parlement. De surcroît, la totalité des biens de l’Etat grec sont placés sous séquestre afin d’être privatisés. En charge de l’opération se trouve encore un fond « indépendant », chargé de mener des privatisations du patrimoine public à hauteur de 50 milliards, un montant totalement inatteignable même en vendant jusqu’au dernier tapis de ministère. Cet organisme, dont la tête est constituée de personnes de confiance des créanciers, est clairement d’inspiration allemande, modelé sur la fameuse Treuhand chargée de liquider le patrimoine public de l’ancienne RDA. Et les affaires vont déjà bon train, avec la privatisation des aéroports régionaux, du port du Pirée, des terrains de l’ancien aéroport d’Athènes, de segments idylliques de la côte, des compagnies d’électricité et d’eau, et la liste de la braderie est encore fort longue. La Grèce est devenue littéralement un « pays à vendre »[33]. Pour compléter le tout, l’ensemble du système bancaire, dont la recapitalisation avait déjà coûté 40 milliards, entièrement couverts par des emprunts aux frais du contribuable grec, a été bradé à des fonds spéculatifs pour le dixième de ce montant.

Dépossédé de tout contrôle sur sa politique budgétaire et monétaire, l’Etat grec se voit désormais privé de tout levier d’action, y compris ceux qui concernent des attributions régaliennes telles que la collecte de l’impôt. Les institutions représentatives, à commencer par le parlement, sont réduites à un décorum, dépossédées de la capacité de suivre l’exécution d’un budget dont les lignes échappent de toute façon à son contrôle. Cette destruction de la souveraineté étatique s’accompagne de la mise en place d’une variante particulièrement brutale d’« accumulation par dépossession », pour utiliser le concept de David Harvey[34], basée sur le bradage du patrimoine public et le saccage des ressources naturelles et de l’environnement dont bénéficient à la fois des fractions prédatrices de capitaux nationaux et étrangers. Pour le dire de façon abrupte, la Grèce se transforme en néocolonie, la fonction de son gouvernement national, quelle que soit sa couleur, ne différant de celle d’un administrateur colonial, le simulacre de négociations auxquels se livrent les deux parties à l’occasion de cette interminable série de réunions de l’Eurogroupe et de sommets européens ne servant qu’à maquiller superficiellement cet état de fait.

Ce néocolonialisme doit toutefois être compris dans sa spécificité : il ne diffère pas simplement du colonialisme classique, basé sur la conquête militaire et l’occupation territoriale. Il est également distinct du modèle postcolonial de maintien de relations multiformes de dépendance politico-économique entre l’ancienne puissance coloniale et les nations devenues indépendantes, même si les points communs existent, notamment dans l’appropriation prédatrice de ressources diversifiées du pays.

L’asservissement de la Grèce s’inscrit bien sûr, comme l’a montré Eric Toussaint[35], dans la longue histoire d’utilisation de la dette comme « arme de dépossession » des classes populaires et des nations dominées, et cela avant même l’ère capitaliste. La Grèce n’est toutefois pas une colonie de l’Allemagne, même si l’Allemagne est la force hégémonique en Europe et le protagoniste incontesté dans la gestion politique de la crise grecque. Il est par ailleurs difficile de parler d’un « impérialisme européen » au sens d’une entité unifiée dont l’UE serait l’expression politique, même si, nous l’avons suggéré, la structure de l’UE conduit à une polarisation et à une fracturation croissante de l’espace économique et politique sur lequel s’étend son emprise.

Le régime néocolonial doit ici être compris comme « colonialisme interne » à l’ensemble constitué par l’UE, cas avancé d’un régime de subordination issu des contradictions fondamentales qui traversent l’entreprise de « construction européenne », dont la bourgeoisie grecque est pleinement partie prenante. Confrontée à une crise majeure qui, partant de l’économie, s’est généralisée et étendue vers le système politique, celle-ci a préféré, une fois de plus, accepter la destruction partielle de sa base économique et la vassalisation de son Etat national pour contrer efficacement la déstabilisation potentielle portée par la révolte des classes populaires. Le schéma s’approcherait ici davantage de celui de l’intégration subalterne du Sud italien dans l’Etat national constitué sous le Risorgimento, dont Gramsci a démontré les bases structurelles, fruit d’un compromis entre les élites méridionales de propriétaires terriens et la bourgeoisie commerçante et industrielle du nord[36]. C’est ce compromis, effectuée aux dépens de la paysannerie et de la réforme agraire qui aurait permis son émancipation, qui explique pourquoi le Mezzogiorno est voué à reproduire, fût-ce sous des formes modifiées, le « sous-développement », la position subalterne qui est la sienne dans le cadre du nouvel Etat national.

Malgré ces limites, car l’UE n’est précisément pas, à l’instar d’un Etat national, une entité unifiée, expression d’un « peuple européen » (au sens d’un démos, d’un sujet souverain) décidément introuvable, ce parallèle avec le colonialisme interne du Mezzogiorno permet de mieux saisir la signification des représentations racistes qui ont ressurgi avec force à l’occasion de la crise grecque. On a vu en effet ressortir les stéréotypes orientalisants visant à stigmatiser les « cigales » du Sud, paresseuses et corrompues, qui en appellent à la générosité du Nord vertueux pour maintenir leur rente de situation. Ce qu’il faut pourtant souligner c’est que, même s’il réactive un répertoire préexistant de représentations dévalorisantes, ce racisme n’est ni une survivance ni une régression vers un passé que l’on croyait avoir surmonté mais bien le produit des contradictions nouvelles qu’engendre précisément le processus de « construction européenne ». C’est parce que celui-ci se fonde sur la dénégation permanente des écarts polarisants qu’il engendre, et parce qu’il dénie non moins vigoureusement l’examen critique des représentations qui fondent la version dominante de l’« européanité », issues d’une longue histoire de domination coloniale et impérialiste, que ce processus alimente les flambées actuelles de racisme et rend compte de leur labilité[37]. Le racisme européen actuel cible ainsi tant les européens de seconde ou troisième catégorie des périphéries internes (le « Grec paresseux » avoisine ici avec le « Polonais qui vient voler le travail d’autrui » dans une sorte d’unité des contraires) que, avec une violence encore supérieure, l’Autre non-européen, non-blanc et « musulman ».

Pour revenir aux catégories gramsciennes, je ne peux ici que le suggérer, la catégorie de « révolution passive », dont le Risorgimento fournit un cas paradigmatique, me semble adéquate pour analyser les processus menés actuellement sous les auspices du « césarisme bureaucratique » que génère la gestion de la dernière crise capitaliste par les institutions de l’UE[38]. En ce sens, il faudrait comprendre la capitulation de Syriza et sa digestion rapide par le régime néocolonial, dont il constitue actuellement le principal – mais ô combien fragile – pilier politique, comme un cas typique de « transformisme », d’écrémage et de cooptation des groupes dirigeants issus des groupes subalternes dans le dispositif existant de la domination. Rappelons ici que, pour Gramsci, le transformisme servait précisément de substitut à un véritable compromis social, impliquant des concessions aux classes subalternes et leur intégration comme force active dans les dispositifs de la société civile, fût-ce dans un cadre délimité et compatible avec la reproduction de leur position dominée. Il constitue, en d’autres termes, l’indice d’une « domination sans hégémonie », qui désigne bien la « composition organique du pouvoir », pour reprendre le terme de Ranajit Guha[39], qu’exemplifie et condense l’UE.

Conclusion  

Ce que montre le cas de la Grèce, c’est que le régime d’exception mis en place à l’occasion de la crise de surendettement a instauré une nouvelle ligne de fracture, à l’intérieur même de cette aire qui, juste avant la crise, faisait partie de l’ensemble relativement homogène des pays de l’Europe de l’ouest. La violence avec laquelle cette frontière interne, latente lors de la phase intérieure, pendant laquelle la croissance économique a servi à masquer les disparités croissantes, surgit lors de la crise renvoie toutefois à un phénomène qui excède la simple dimension économique.

Frontière interne et frontière externe ont de fait convergé dans un régime néocolonial chargé de gérer aussi bien la thérapie néolibérale de choc infligée à un pays à la dérive qu’un flux de population migrante mettant à l’épreuve le régime de frontière de la « forteresse Europe ». Le « point de vue de la Grèce » permet ainsi de capter dans toute son acuité la vérité de l’« Etat sécuritaire »[40] qui émerge de l’intérieur de l’UE en tant que celle-ci réalise la constitutionnalisation des politiques néolibérales à travers un dispositif soustrait à toute forme de contrôle démocratique. La prolifération à tous les niveaux d’instances échappant aux règles des institutions représentatives, auxquelles sont confiées un nombre grandissant de fonctions étatiques, l’interpénétration de plus en plus étroite entre les sommets bureaucratiques des Etats nationaux, mais, davantage encore, ceux de l’UE et les intérêts des grands groupes capitalistes et financiers[41], ainsi que le recours croissant à des méthodes répressives constituent deux aspects majeurs de cette forme politique, version radicalisée de l’« étatisme autoritaire » dont Nicos Poulantzas avait diagnostiqué la montée dès la fin des années 1970[42].

Les méridionaux de la périphérie interne, européens de seconde zone et Blancs déjà imprégnés d’Orient, sont ainsi appelés non seulement à consentir de vivre sous un régime de dépossession indéfinie de leur souveraineté politique et économique mais, de surcroît, de bien vouloir continuer à jouer les garde-chiourmes de la forteresse pour épargner aux pays du centre le désagréable spectacle de hordes de nécessiteux et de persécutés venant s’échouer sur des rivages de Lampedusa ou de Lesbos.

Si l’on resserre la focale au cas de la Grèce, le constat de son succès s’impose, même si, à moyen terme, son maintien est loin d’être assuré. Ce régime a néanmoins réussi à s’institutionnaliser et à se stabiliser, donc à engendrer une forme de « normalité », ce qui est un succès d’autant plus remarquable que la faillite des politiques économiques mises en œuvre est patente. La clé de ce succès réside dans la capacité dont il a su faire preuve à passer le test de l’arrivée au pouvoir d’une force politique qui se présentait à l’origine comme un adversaire, et qui, par un processus alliant coercition (économique) et persuasion en est devenue un serviteur efficace. Cette expérience, unique dans sa radicalité, de transformisme politique exerce un effet dévastateur et durable sur les capacités de résistance des classes subalternes et obère, pour une période au moins, la possibilité de formation d’une contre-hégémonie des subalternes.

Le deuxième succès de ce régime réside dans le fait qu’il a pu faire remplir son rôle de laboratoire des politiques néolibérales radicalisées dont l’aire d’application, sous des formes certes différenciées, n’est nullement restreinte à la Grèce ou même aux pays de la périphérie de l’UE. En ce sens, il est clair que, pour prendre cet exemple, la politique de « réformes structurelles » exigées par les instances bruxelloises à la France, au premier rang desquelles figure la liquidation du code du travail, est dans le droit fil de ce que les mémorandums ont mis en place dans le sud Européen. A entendre le programme du candidat Fillon par exemple, dont Macron a présenté une version édulcorée en matière économique et sociale, une oreille grecque distingue sans peine la familière musique des Mémorandums, et même une bonne partie des paroles. A une différence près toutefois, qui est de taille : il manque la Troïka au sens strict. Bien sûr, les pactes européens, celui dit « de stabilité et de gouvernance », celui pour l’euro (dit « Euro plus »), ainsi qu’un ensemble de règlementations (Six Pack et Two Pack) ont resserré davantage encore le corset néolibéral et ce pour l’ensemble des pays. Les marges de manœuvre ne sont toutefois, à l’évidence, pas du même ordre selon qu’on se trouve à Athènes, à Paris ou à Amsterdam.

Pour le dire autrement, le régime néocolonial ne peut se généraliser, ni, a fortiori, être transposé en tant que tel dans un pays du « centre » européen. Il reste le signe distinctif du statut de « périphérie interne », dont le « centre » a toutefois besoin s’il veut maintenir ce qui reste de crédibilité à un projet d’« intégration européenne » déjà considérablement malmené par le rejet venant d’en bas, dont le Brexit est l’un des symptômes les plus éloquents. Par ailleurs, ce régime remplit une fonction idéologique de disciplinarisation fort utile pour les classes dominantes. La façon dont la Grèce turbulente a été matée, et dont ses dirigeants supposés rebelles sont devenus de dociles – bien que très peu fiables – serviteurs de l’ordre néocolonial en fait un cas d’école. Si l’on ne veut pas connaître les déboires des Grecs, mieux vaut se tenir à carreau et obéir aux injonctions bruxelloises, qui finiront de toute façon par s’imposer comme l’illustre de façon éclatante la gloire fanée d’Alexis Tsipras.

Là réside sans doute le cœur de la question. Car c’est bien entendu par ce qu’elle a révélé de l’impuissance et des illusions de la gauche dite « radicale » que l’expérience grecque nous intéresse au premier chef. C’est par son incapacité à comprendre les mécanismes extrêmement puissants qui ont façonné ce nouvel espace hiérarchisé, polarisé, radicalement soustrait à toute possibilité de contrôle populaire, que les forces de la gauche qui ont essayé d’impulser des ruptures, même partielles, avec ce régime ont lamentablement échoué. Cette absence de compréhension ne relève toutefois pas d’une simple bévue intellectuelle. Son fondement est politique, il renvoie au refus d’un véritable affrontement avec les forces dominantes, lui-même dérivé de l’intériorisation par la gauche de sa défaite historique. L’aveuglement européiste a joué à cet égard un rôle capital : le ralliement au discours dominant, qui présente l’adhésion au projet de l’UE comme preuve d’« internationalisme » et de défense de « valeurs d’ouverture », a interdit de penser la nécessité de ce que l’on appelle un « plan B », qui comportait la sortie de la zone euro, comme outil indispensable pour résister au chantage de la Troïka.

Telle est donc la leçon amère de la Grèce pour les forces de la transformation sociale et de la lutte anticapitaliste. Si l’on n’est pas disposé à aller jusqu’au bout dans une logique de confrontation et de rupture avec la cage de fer qui s’appelle Union Européenne, on est fatalement conduit vers la capitulation. La vaine recherche d’une troisième possibilité n’a fait que préparer la voie à cette débâcle aux conséquences écrasantes, pour le peuple grec bien sûr mais aussi pour les peuples européens. Aucune réflexion stratégique ne peut sérieusement débuter si d’emblée n’est pas posée la nécessité d’une confrontation avec la structure institutionnelle de l’UE, expression concentrée de la violence des politiques néolibérales et impériales qui condamnent à une vie précaire déshumanisée, quand ce n’est pas à la mort pure et simple, des populations entières.

La destruction de l’UE s’impose ainsi comme l’une des tâches les plus urgentes, les plus radicales, mais aussi les plus compliquées du combat pour l’émancipation de notre temps.

Notes

[1] Ce texte est une version augmentée et actualisée d’une intervention effectuée aux 4èmes Rencontres d’histoires critique, organisées par la revue Cahiers d’Histoire, qui se sont tenues à Gennevilliers le 28 novembre 2015. Il sera repris dans l’ouvrage collectif « Nation(s)/Mondialisation(s): toute une histoire », sous la direction de Marie-Claude L’Huillier et Anne Jollet, L’Harmattan, Collection ‘Histoire, Textes, Sociétés’, à paraître à l’automne 2017. Je remercie Pascale Arnaud pour la transcription de mon propos et Marie-Claude L’Huillier dont l’amicale insistance a permis à ce texte de voir le jour.

[2] Pour une analyse historique de la construction de l’« Europe forteresse » cf. Fran Cetti, « Fortress Europe : The War against Migrants », International Socialism Journal, n° 148, 2015, p. 45-74 disponible sur isj.org.uk/fortress-europe-the-war-against-migrants/.

[3] Chiffres du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR). Cf. Babels [collectif de chercheur-se-s de l’EHESS], De Lesbos à Calais. Comment l’Europe fabrique des camps, Le passager clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2017, p. 8.

[4] Ibid.

[5] Sur cette notion lire Nicholas De Genova « The Crisis of the European Border Regime : towards a Marxist Theory of Borders », International Socialism Journal, n° 150, printemps 2016, p. 31-54 disponible sur isj.org.uk/the-crisis-of-the-european-border-regime-towards-a-marxist-theory-of-borders/ .

[6] Ibid.

[7] Babels, De Lesbos à Calais…, op. cit., p. 15.

[8] Cf. Carine Fouteau, « Le plan européen pour éloigner les demandeurs d’asile », Mediapart, 30/7/2016 mediapart.fr/journal/international/280716/le-plan-europeen-pour-eloigner-les-demandeurs-d-asile?onglet=full Les conclusions du Conseil de l’UE du 23 mai 2016 sont disponibles sur http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9111-2016-INIT/fr/pdf

[9] On lira à ce propos l’ouvrage du collectif de chercheur-se-s de l’EHESS Babels, La mort aux frontières de l’Europe : retrouver, identifier, commémorer, Le passager clandestin, Neuve-en-Champagne, 2017, ainsi que la remarquable compilation des articles de Carine Fouteau rassemblés dans le dossier « La Méditerranée cimetière migratoire » sur le site de Mediapart mediapart.fr/journal/dossier/international/la-mediterranee-cimetiere-migratoire.

[10] Les chiffres et ceux qui suivent pour les années 2014 à 2017 sont eux du Missing Migrant Project de l’International Organization for Migration. Cf. iom.int/news/mediterranean-migrant-arrivals-top-363348-2016-deaths-sea-5079 et missingmigrants.iom.int/ ainsi que ‘Migrant Deaths and Disappearances Worldwide : 2016 Analysis’, Global Migration Data Analysis, Data Briefing Series, n° 8, mars 2017.

[11] Pour une présentation d’ensemble et une discussion des chiffres cf. Tamara Last, Thomas Spijkerboer, « Tracking Deaths in the Mediterranean », in Tara Brian & Frank Laczko (dir.), Fatal Journeys. Tracking Lives Lost in Migration, International Organization for Migration, Genève, 2014, p. 85-108. Voir également le site de Fortress Europe fortresseurope.blogspot.co.uk/.

[12] Cf. themigrantsfiles.com/

[13] Babels, La mort aux frontières de l’Europe…, op. cit., p. 13.

[14] Ibid., p. 18.

[15] Tamara Last, Thomas Spijkerboer, « Tracking Deaths in the Mediterranean », art. cit., p. 88.

[16] Babels, La mort aux frontières de l’Europe… , op. cit., p. 23.

[17] Source: International Organization for Migration iom-nederland.nl/en/406-migrant-arrivals-by-sea-in-italy-top-170-000-in-2014.

[18] Cf. Carine Fouteau, « Morts en Méditerranée : ‘les dirigeants européens n’ont plus d’excuse’ », Mediapart, 22/4/2015 mediapart.fr/journal/international/220415/morts-en-mediterranee-les-dirigeants-europeens-n-ont-plus-d-excuses . Cet article donne également accès à l’intégralité du rapport accablant d’Amnesty International.

[19] Alexandre Pouchard, « Migrants en Méditerranée : après ‘Mare Nostrum’, qu’est-ce que l’opération ‘Triton’ ? », Le Monde, 20/4/2015 lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html.

[20] Federica Mogherini, « Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec l’opération Sophia », Entretien avec Cécile Ducourtieux, Le Monde, 16/4/2016 lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html

[21] Babels, La mort aux frontières de l’Europe… , op. cit., p. 30.

[22] Le barbelé en question, conçu dans les années 1970 pour sécuriser les installations militaires de l’OTAN en Allemagne, à l’époque cibles d’attentats de la Fraction Armée Rouge, est indestructible et équipé de lames spéciales conçues pour provoquer des lésions léthales à quiconque s’y ferait piéger. Les tribunaux allemands ont interdit sa vente aux particuliers et la société qui le fabrique (Mutanox) a refusé d’en vendre au gouvernement hongrois qui voulait également l’utiliser pour ériger une barrière anti-migrants. Cf. Giorgos Tsiakalos, « La barrière d’Evros et les morts en mer Egée », Efimerida Syntakton, 6/11/2015 efsyn.gr/arthro/o-frahtis-toy-evroy-kai-oi-thanatoi-sto-aigaio.

[23] On trouvera un bilan détaillé de la politique du gouvernement Syriza sur les questions des migrants et du droit d’asile dans cet entretien Mania Barsefski et Thanassis Kourkoulas, « Europe’s Border Guards », Jacobin, 2/5/2016 jacobinmag.com/2016/05/europe-refugees-migrants-greece-turkey-eu-syria/ .

[24] Sur cet accord on lira les rapports accablants d’Amnesty International, A Blueprint for Despair: The EU-Turkey Deal (disponible sur amnesty.org/fr/documents/eur25/5664/2017/en/) et celui du Gisti, Accord UE-Turquie, la grande imposture (disponible sur gisti.org/spip.php?article5454).

[25] Suite à un amendement approuvé par le parlement en mars dernier, le ministre de la politique migratoire, Yannis Mouzalas, a repris en main les instances d’appel auprès desquelles les demandeurs d’asile déposent les recours et dont le refus de considérer la Turquie comme un « pays sûr » a jusqu’à présent bloqué les reconductions massives. Le même ministre a également accordé un rôle décisif dans la procédure d’examen des demandes d’asile à EASO (European Asylum Support Office), une agence de l’UE chargé d’appliquer les directives restrictives en la matière. Par ailleurs, la poursuite du blocage des reconductions en Turquie des demandeurs d’asile est suspendue à la décision imminente de la Cour Européenne des droits de l’homme qui délibère sur un recours déposé par un réfugié syrien d’origine arménienne. Cf. Dimitris Angelidis, « La procédure d’asile est livrée à l’EASO », Efimerida Syntakton, 10/3/2016 efsyn.gr/arthro/i-diadikasia-asyloy-paradidetai-sto-easo ; Dimitris Angelidis, « Deuxième avertissement pour les expulsions de réfugiés », Efimerida Syntakton, 30/5/2017 efsyn.gr/arthro/deytero-kampanaki-gia-tis-apelaseis-prosfygon.

[26] Cf. Dimitris Angelidis, “Stratégie du choc pour les reconduites », Efimerida Syntakton, 9/12/2016 http://www.efsyn.gr/arthro/stratigiki-sok-kai-deos-gia-tis-apelaseis; le texte intégral de la déclaration commune du gouvernement grec et de la Commission Européenne, ainsi que le plan d’application qui l’accompagne, sont disponibles sur europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-4321_en.htm.

[27] Secret Aid Worker, « Greece has exposed the aid community’s failures », The Guardian, 13/6/2016 theguardian.com/global-development-professionals-network/2016/sep/13/secret-aid-worker-greece-has-exposed-the-aid-communitys-failures .

[28] Babels, De Lesbos à Calais…, op. cit., p. 46.

[29] Source FMI : World Economic Outlook Database imf.org/external/pubs/ft/weo/2016/01/weodata/index.aspx

[30] Source Eurostat :

ec.europa.eu/eurostat/statistics_explained/index.php/People_at_risk_of_poverty_or_social_exclusion

[31] Cf. Sofia Lazaretou, « Fuite du capital humain : la tendance actuelle à l’émigration des Grecs durant les années de la crise », Bulletin de la Banque de Grèce, n° 43, 2016, p. 33-57 [en grec] ; Lois Labrianidis, Manolis Pratsinakis, Outward Migration from Greece during the Crisis, Final Report, London School of Economics’ Hellenic Observatory, Londres, 2014.

[32] Sur la question de la dette grecque on se reportera aux indispensables travaux de Commission pour la vérité sur la dette grecque mise en place au printemps 2015 par Zoé Kostantopoulou, alors présidente du parlement grec, et dont les travaux ont été coordonnés par le porte-parole du CADTM Eric Toussaint. Une synthèse est disponible sur le site du CADTM cadtm.org/Synthese-du-rapport-de-la. Le rapport intégral est publié sous forme d’ouvrage : CADTM, La vérité sur la dette grecque, Les Liens qui libèrent, Paris, 2014.

[33] Cf. le texte éclairant d’Eleni Portaliou « Greece, A Country for Sale », Jacobin 12/9/2016 disponible sur jacobinmag.com/2016/09/greece-tsipras-memorandum-privatization-public-assets/

[34] David Harvey, Le nouvel impérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2010.

[35] Cf. Eric Toussaint, « Cinq mille ans de dette comme arme de dépossession », article du 3/4/2017 disponible sur blogs.mediapart.fr/cadtm/blog/030417/5000-ans-de-dette-comme-arme-de-depossession

[36] Cf. notamment Antonio Gramsci, “Quelques thèmes de la question méridionale » (1926) disponible sur marxists.org/francais/gramsci/works/1926/10/gramsci_19261000.htm . Gramsci donnera une grande ampleur à ces thèmes dans les Cahiers de prison.

[37] Sur ce thème cf. Céline Cantat, « Narratives and Counter-Narratives of Europe. Constructing and Contesting Europeanity », Cahiers Mémoire et Politique, n° 3, 2015, p. 5-30 popups.ulg.ac.be/2295-0311/index.php?id=138.

[38] Cf. Cédric Durand, Razmig Keucheyan, « Bureaucratic Caesarism. A Gramscian Outlook on the Crisis of Europe », Historical Materialism, 23.2, 2015, p. 23-51 erensep.org/images/pdf/2015-04-01_keucheyan_durand1.pdf

[39] Ranajit Guha, Dominance without Hegemony. History and Power in Colonial India, Harvard University Press, 1998.

[40] Tony Bunyan, « Just Over the Horizon : the Surveillance Society and the State in the EU », Race & Class, n° 51.3, 2010, p. 1-12.

[41] Les cas de Manuel Barroso, président de la Commission Européenne entre 2004 et 2014, embauché par Goldmann Sachs juste après la fin de son mandat, et de son successeur, Jean-Claude Juncker, impliqué dans des scandales financiers liés au statut de paradis fiscal de son pays, sont emblématiques du rôle joué par les grands groupes directement auprès des instances de l’UE, notamment par le biais des lobbies basés à Bruxelles. Cf. Vicky Cahn, « De si confortables pantoufles bruxelloises », Le Monde diplomatique, septembre 2015 monde-diplomatique.fr/2015/09/CANN/53694 . Voir également les dossiers sur les liens entre instances bruxelloises et grandes multinationales rassemblés par le Corporate Europe Observatory corporateeurope.org/.

[42] Nicos Poulantzas, L’Etat, le pouvoir, le socialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2012 (1ère édition 1978).

http://www.contretemps.eu/grece-frontiere-europe-forteresse/

Grèce. La trajectoire du PIB grec et celle du QI des journalistes économiques

par Romaric Godin Publié par Alencontre le 3 – juin – 2017

Alors que l’économie hellénique continue à s’enfoncer sous le poids des réformes et de l’austérité, les médias français dominants feignent l’incompréhension et les éditorialistes regardent ailleurs. Il est vrai que la Grèce est une épine dans le pied de leurs certitudes…

Il est des silences très parlants. Ainsi celui des éditorialistes et chroniqueurs économiques français sur la situation grecque depuis quelques mois. Regardons le sommaire de la semaine passée: on n’y trouvera que des réflexions assez semblables sur la façon dont Emmanuel Macron a ensorcelé Angela Merkel ou sur les défis des deux nouveaux locataires de Bercy. De Grèce, point. Et, à vrai dire, l’Olympe du journalisme économique ne s’est plus guère penchée sur le sort de ce pays depuis ce 13 juillet 2015 où le Premier ministre grec, a «dû accepter» un troisième programme.

Pourtant, la semaine dernière, l’occasion était bonne d’aider nos concitoyens à «décrypter» cette tragédie économique et sociale en plein cœur d’une zone euro que l’on nous dit en pleine refondation.

Le 17 mai 2017, en effet, le parlement grec a approuvé, sous la pression des créanciers, une nouvelle série de mesures d’austérité, touchant notamment les retraites (pour la treizième fois !) et prévoyant un tour de vis budgétaire jusqu’en 2021. [Voir à ce propos sur notre site l’article de Michel Husson publié en date du 1er juin 2017 : «La violence imbécile des créanciers».]

Cette nouvelle purge est la quatrième pour le seul troisième protocole d’accord signé en août 2015 avec les détenteurs européens de la dette publique européenne. Le vote a donné lieu à des manifestations importantes devant le parlement athénien. Deux jours plus tôt, on avait pris connaissance de la première estimation de la croissance grecque du premier trimestre. Un recul de 0,1 %, le second de suite, ce qui signifie que la Grèce est à nouveau «techniquement» en récession alors même que la croissance du reste de la zone euro s’accélère. Dans la foulée, le 16 mai, la Commission européenne a revu sa prévision de croissance 2017 de 2,7 % à 1,8 %. [Après avoir révisé la croissance à -1,1% au quatrième trimestre 2016, le résultat du premier trimestre 2017 – après ajustement saisonnier – est qualifié, triomphalement, d’une croissance de 0,4% selon Macropolis, 2 juin 2017. Réd. A l’Encontre]

La reprise AFP, cette forme moderne d’indifférence

Or, ce qui est frappant dans le traitement médiatique de ces quelques faits, c’est l’incapacité à les lier entre eux ou l’insistance à les séparer. La croissance ne reprend pas, l’austérité continue. Mais rien ne semble lier les deux. Chaque acte de la crise grecque est traité séparément, avec l’aide de cette forme moderne d’indifférence qu’est la reprise de la dépêche AFP ou Reuters.

Aussi chercherait-on en vain dans ce traitement de l’actualité grecque un lien de cause à effet entre ce chiffre de la croissance et les mesures d’austérité votées sans cesse depuis des mois. Par exemple, Le Figaro publie le 16 mai un papier plus fouillé que ceux des autres médias français, quoiqu’assez court et descriptif. Mais il se contente cependant d’un constat en forme de mystère : «Après sept années de crise, autant de récessions et de multiples cures de rigueur, la Grèce n’arrive toujours pas à sortir du tunnel. Le chômage plafonne à 23%, rares sont les entreprises qui rémunèrent leurs employés dans les temps. Et l’économie tourne au ralenti alors que les réformes structurelles peinent à voir le jour.»

Et il y a là en effet un vrai mystère auprès duquel la trinité est une partie de Cluedo [Il s’agit célèbre un jeu de société dans lequel les joueurs doivent découvrir parmi eux qui est le meurtrier d’un crime commis dans un manoir anglais]. Car les «cures d’austérité» ont bien vocation à «réformer» et chaque loi votée par le parlement grec sous la pression des créanciers comporte des «réformes». Depuis 2014, l’OCDE reconnaît que la Grèce est un des pays à avoir le plus «réformé». Dès lors, comment les «réformes structurelles» peineraient-elles à voir le jour? C’est qu’elles n’ont pas peiné: elles ont été mises en place et elles ont causé la situation actuelle du pays. C’est peut-être que l’on a alors découvert ce fait inouï: les «réformes» pourraient ne pas être bonnes pour la croissance? Le fait étant évidemment inacceptable, il ne sera pas énoncé.

Le cancre grec, encore et toujours

Mieux encore : le même Figaro économie publie le 21 mai sur son site un nouvel article assez long et brillamment infographié pour expliquer que les créanciers européens s’attaquent enfin au problème de la dette dans l’Eurogroupe de ce lundi 22 mai. Et l’article de préciser que «le niveau d’allégement de la dette dépendra des prévisions de croissance de la Grèce et des excédents budgétaires qu’Athènes pourra dégager sur plusieurs années sans pour autant étrangler son économie». Nouveau mystère à vrai dire puisque, précisément, l’économie grecque est étranglée depuis sept ans par les excédents budgétaires (plus précisément, les excédents primaires, qui excluent le service de la dette).

Or, les nouvelles mesures votées le 17 mai ont imposé les mêmes objectifs pour trois ans de plus, justement pour rendre, croit-on, la dette «soutenable». Quel que soit le niveau d’allègement de la dette (qui ne sera en fait qu’une protection contre une future hausse des taux), les créanciers ont déjà décidé d’étrangler l’économie hellénique. Mais il est vrai que la clé de ce mystère repose dans le titre de l’infographie qui résume les niveaux de dette européenne et est titré : «la Grèce, cancre de l’Union européenne». Dès lors, tout devient simple: la Grèce est un pays cancre qui ne sait pas comment faire baisser sa dette et il faut donc encore lui «venir en aide». Une fois de plus, le lien entre la croissance et l’austérité est totalement nié.

Du reste, la très mauvaise croissance grecque du premier trimestre ne sera traitée par les médias français que sous la forme d’une reprise de dépêches. Dans l’ensemble de ces traitements, la raison de cette récession est simple, c’est celle énoncée par la Commission à Bruxelles: le retard dans les discussions entre le gouvernement et les créanciers qui ont «causé de l’incertitude», comme le souligne, par exemple, le site de L’Express qui reprend la dépêche AFP. L’article du Monde, réalisé avec l’AFP et Reuters, se contente de constater que «les trois plans d’aide consécutifs accordés à la Grèce depuis 2010 par l’Union européenne et le Fonds monétaire international, en échange de réformes, n’ont toujours pas remis le pays sur les rails de la croissance.» Mais pourquoi diable? Ces trois plans, ces réformes auraient-elles une part de responsabilité dans cette affaire ? On n’en saura pas davantage.

La Grèce, mauvaise conscience de la magie des réformes

Dans le monde des médias français, la croissance grecque semble vivre dans un monde séparé des plans d’austérité et des excédents budgétaires. C’est d’ailleurs bien ce que sous-entendait cet extraordinaire éditorial du Monde du 22 avril dernier titré majestueusement «la bonne surprise grecque» qui se réjouissait avec emphase de l’excédent budgétaire primaire grec, largement supérieur aux attentes, et y voyait la certitude pour la Grèce d’une restructuration de la dette. La nouvelle récession du pays est pourtant bien le fruit de cet excédent qui n’est rien d’autre qu’une ponction de la richesse nationale pour le seul bénéfice de ses créanciers, alors même que l’outil productif du pays est inexistant. Ce sont les hausses d’impôts, les baisses de retraites, les coupes budgétaires diverses qui ont causé cet excédent dont Le Monde se réjouissait tant et qui, partant, ont détruit l’économie grecque. Mais qu’importe, dans le monde des médias français, l’excédent budgétaire n’a que des vertus.

Ce refus entêté de faire le lien entre réforme, austérité et récession est évidemment symptomatique du biais idéologique du traitement de l’actualité économique. Et, dès lors, le silence de nos chroniqueurs et éditorialistes de tous poils, toujours prompts à nous vendre la lessive austéritaire si bonne pour nous, se comprend. Certes, l’intérêt de la chronique économique devrait être de faire le lien entre des faits liés que l’on voudrait voir séparés. Mais, plus que jamais, la Grèce est la mauvaise conscience de la «magie des réformes», alors même que les ondes et les pages françaises débordent de louanges pour ces mêmes réformes qui régleront tout. Il est donc plus simple d’éviter de parler de cas gênant. Et si l’on y revient dans les jours qui viennent, gageons que ce sera pour insister sur la magnanimité des créanciers qui acceptent de renoncer à des intérêts futurs qu’ils sont certains de ne pas toucher, compte tenu de la politique qu’ils imposent à la Grèce, et non pour dénoncer et démonter cette politique.

Surtout, tous ont défendu avec acharnement la dureté des Européens en 2015 face au «premier» Alexis Tsipras, celui de janvier 2015, qui ne disait pourtant que ce qui est évident désormais: la priorité au remboursement des créanciers, première justification de l’austérité, tue l’économie grecque et donc la capacité de remboursement des Grecs. L’échec du troisième programme, largement prévisible, est aussi l’échec des chroniqueurs économiques et de leurs croyances [1]. La leçon est sans doute encore trop amère pour qu’elle soit acceptée. Les Français attendront donc encore pour comprendre ce qui se passe en Grèce. (Article pour Arrêts sur Images du 22 mai 2017; titre de la rédaction A l’Encontre)

[1] Car, au-delà des croyances, les «réformes» ont abouti à ce que le docteur Babis Zabatis, chef de service oncologie et chimiothérapie d’Ágios Sávvas d’Athènes, grand Hôpital de la Santé Publique, a confié au réalisateur et journaliste Italien Fulvio Grimaldi: «La crise pour nous, c’est surtout le manque cruel de personnel. Plusieurs milliers de médecins ont quitté la Grèce. Au lieu de onze internes dans mon service par exemple, je n’en dispose que de deux actuellement, nous ne pouvons plus faire face aux besoins des patients… alors ils meurent, ou ils meurent plus rapidement car souvent ils restent longtemps sans traitement. Fait alors nouveau… nous avons remarqué une surmortalité, jamais vue jusque-là chez les médecins. Depuis ces trois ou quatre dernières années de la crise, nous ne tenons plus la route de notre mission, nos efforts sont surhumains, j’ai perdu ainsi cinq collègues, d’un cœur qui lâche, d’un AVC… voire, d’un cancer fulgurant. C’est terrible…» (Greek Crisis)

Grèce. La trajectoire du PIB grec et celle du QI des journalistes économiques

 

Regard caméra : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Regard caméra ou l’accompagnement du réalisateur Fulvio Grimaldi qui a interviewé trois personnalités politiques toutes issues de la gauche grecque (dans l’ordre, Alékos Alavános, Katerína Thanopoúlou et Panagiótis Lafazánis), et aussi, Babis Zabatis, chef de service chef au pôle oncologie et chimiothérapie à l’hôpital (Santé Publique) Ágios Sávvas d’Athènes, et enfin Polyxeni, pharmacienne et responsable volontaire au Centre Solidaire médical d’Ellinikón (MKIE), au Sud d’Athènes.

Regard caméra

Période quasiment estivale. Aux dires de tout le monde, le gouvernement brasse beaucoup d’air ces derniers jours. La prétendue fameuse “controverse” au sujet de la restructuration la dette grecque, c’est une arlésienne. Alexis Tsipras et les siens prétendront une fois de plus qu’il y aurait blocage dans les “négociations” entre “nous” et la Troïka élargie ; tout cela bien entendu, dans l’indifférence générale. Réalités fallacieuses, futur suspendu.

Temps du… renard. Athènes, mai 2017

Les Grecs aiment se raconter volontiers que l’air du temps actuel, est de ce “temps du renard” forcément, autrement-dit, qu’il faut se méfier de tout et de tous et que la suspicion, elle règne naturellement partout en maître. Et c’est très précisément ce temps du… renard, que le réalisateur et journaliste Italien Fulvio Grimaldi et sa compagne Sandra , ont voulu filmer la semaine dernière à Athènes. Fulvio prépare un documentaire, en partie consacré à la crise grecque, surtout maintenant… que “l’affaire grecque est certainement réglée”, d’après la doxa des médias dominants.

Je l’ai accompagné dans sa démarche athénienne, ainsi nous avons croisé nos regards, comme nos manières d’interpréter les gestes et les paroles des personnes et des situations rencontrées. Pour Fulvio, la crise grecque est déjà moins visible de première vue et certainement plus… sournoise que la crise argentine entre 1998 et 2002. L’effondrement grec n’est pas si soudain, ni autant généralisé d’ailleurs. Pourtant, la situation du pays n’est plus du tout celle de 2010, et cela bien entendu, au-delà des apparences, celles notamment familières au… champ visuel touristique.

Fulvio, pour les besoins de son film a interviewé trois personnalités politiques toutes issues de la gauche grecque (dans l’ordre, Alékos Alavános, Katerína Thanopoúlou et Panagiótis Lafazánis), et aussi, Babis Zabatis, chef de service chef au pôle oncologie et chimiothérapie à l’hôpital (Santé Publique) Ágios Sávvas d’Athènes, et enfin Polyxeni, pharmacienne et responsable volontaire au Centre Solidaire médical d’Ellinikón (MKIE), au Sud d’Athènes.

Fulvio Grimaldi en filmant. Athènes, mai 2017
Alékos Alavános, interviewé par Fulvio Grimaldi. Athènes, le 27 mai 2017
Katerína Thanopoúlou, interviewée par Fulvio Grimaldi. Athènes, le 27 mai 2017

Alékos Alavános, ancien chef de SYRIZA avant Alexis Tsipras, ayant quitté cette formation dite de la “Gauche Radicale”, est depuis 2013 le chef du petit mouvement du ‘Plan-B’ (dont le programme prône le retrait de la Grèce de la zone euro, voire de l’UE).

Nous l’avons rencontré sur la terrasse d’un café athénien. Il venait tout juste de participer au débat organisé autour du livre de Katia Charalambaki, psychiatre et analyste: “Familles grecques aux années difficiles. Notes d’une psychiatre” .

Alékos, nous a d’abord exprimé… combien il s’est senti gêné en participant à un tel débat… sur le livre de son épouse (Katia Charalambaki) ! L’ouvrage, évoque d’abord un certain nombre d’expériences (cas cliniques) et en même temps témoignages, tous issus de ceux qui s’expriment (si possible) devant leur psychothérapeute. L’initiation (au sens je dirais multiple et entier du terme) de la crise grecque (économique et sociale), au même titre que sa pérennisation par la suite, auront profondément bouleversé la vie familiale, du point de vue matériel (survie, ressources) et ainsi psychique. Inévitablement, les relations entre ses membres en sortent bouleversées. En réalité, le lien familial a énormément souffert depuis la crise, et dans de bien nombreux cas, il n’existe plus tout simplement, estime alors Katia Charalambaki.

Alékos Alavános, présentation du livre de Katia Charalambaki. Athènes, mai 2017
Panagiótis Lafazánis, interviewé par Fulvio Grimaldi. Athènes, le 28 mai 2017
La réunion nationale de l’Unité Populaire. Athènes, le 28 mai 2017

Ainsi, pour la thérapeute familiale confrontée à ces expériences si nouvelles, une autre approche devient alors nécessaire. Pour y arriver, Katia Charalambaki a également voulu évoquer l’œuvre de ceux qui par le passé, l’avaient influencé dans sa pratique et dans ses travaux et cela de manière essentielle. Notamment, l’anthropologue Américain Gregory Bateson , le psychiatre Mony Elkaim , et le psychologue Belge Jacques Pluymaekers .

Alékos Alavános, architecte et aussi psychanalyste de formation, se dit autant conscient de cette nécessité… “Il faut aller plus loin, bien au-delà” comme il dit, “en termes de sens”. Ceci, est évidemment valable également en politique, “toute réorientation radicale du pays, surtout pour ce qui est de l’euro et de l’UE, doit être expliquée, portée et profondément soutenue pour ne pas dire initiée, d’en bas. SYRIZA a commis un énorme crime politique… Tout est beaucoup plus dur maintenant” (cité de mémoire).

Katerina Thanopoúlou (elle a quitté le Comité Central SYRIZA pour rejoindre l’Unité Populaire en août 2015), ex-vice-présidente de la Région d’Attique chargé des Affaires Sociales, partage pour ainsi dire ce même avis. “La réaction doit s’organiser d’en bas… sauf qu’elle ne vient pas”. Au même moment, un animal si bienveillant, avait-il… enveloppé de tout son regard la camera de Fulvio Grimaldi durant une bonne partie de l’interview de Katerina. La réaction, elle doit certainement venir de… quelque part, c’est évident.

Monument à la gloire des combattants communistes (KKE). Athènes, mai 2017
Cabane d’un sans-abri. Athènes, mai 2017
Un autre regard… sur la camera de Fulvio Grimaldi. Athènes, mai 2017

Plus… fantaisiste dans ses prévisions je dirais, Panagiótis Lafazánis estime de son côté, “qu’un grand mouvement de révolte est en train de couver et que par exemple, à l’occasion de la date du 5 juillet, c’est-à-dire, deux ans tout juste après le référendum de 2015, ce grand moment du ‘NON’ du peuple grec, ce même peuple se mobilisera”. Le chef de l’Unité Populaire, avait auparavant participé à une réunion du Comité national de son parti. Vers la fin des… travaux, la salle se vidait ainsi peu à peu.

“Camarades, je pense qu’il faut faire venir Mélenchon, dans le cadre des actions de l’Unité Populaire. Bonne idée, non ?” Voilà pour ce qui tient de la dernière idée… comme du dernier orateur. En somme et sans fioritures, après deux ans de “pouvoir” SYRIZA, le pays s’est en réalité… vidé de sa gauche, sa page avait été ainsi tournée, pour ne pas dire déchirée par Alexis Tsipras du paysage politique (et désertique) grec.

Période quasiment estivale, et les Athéniens se rueront sur les plages de l’Attique. Maria la voisine qui s’en sort tout juste, femme aux faibles revenus… faiblement renforcés par ceux de Thanássis, son compagnon, ne s’intéressera plus jamais à la politique (celle des partis) et encore moins aux déclarations d’Alékos, de Katerina ou de Panagiótis, censées ou pas d’ailleurs.

“Il y a un temps pour tout… Thanássis et moi, nous partons enfin durant ce long week-end à Kythnos, notre si belle Cyclade. Nous avons trouvé une chambre pour 40€ par jour, car en plein été c’est impossible. Je ne me plains pas, je travaille… à mon compte et à ma manière. L’État, ainsi que les politiciens sont nos ennemis. Ils veulent nous exterminer. Résister pour survivre, c’est aussi avoir le moins possible de relations avec l’État et avec l’administration. Nous vivons avec peu de moyens et peu de besoins, mais ce peu est bien à nous. En plus, nous n’avons aucune dette, c’est aussi primordial.”

Poésie et peinture: “Temps dur”. Athènes, mai 2017
Au port du Pirée. Mai 2017
Thémistocle… porte d’entrée pour la croisière. Le Pirée, mai 2017
Au port du Pirée, café en faillite. Mai 2017

Au même moment à Athènes, ceux par exemple de la cabane des sans-abri (animaux compris), s’agissant d’un ancien kiosque… reconverti, installé en d’autres temps et circonstances près de l’Hôpital Ágios Sávvas, ceux-là ne partiront pas, sauf qu’ils apprécient comme rien au monde, tout simplement la fin de l’hiver.

Devant leur kiosque, un monument du parti communiste grec (KKE), célèbre… seul la mémoire des combattants qui sont tombés à la bataille d’Athènes (Guerre Civile, décembre 1945), “contre la classe bourgeoise et contre l’impérialisme Anglais”. Fulvio a fait remarquer que ce petit monument est bien invisible, en réalité, il est condamné à l’oubli, signe des temps sans doute.

Et au Pirée, tandis que la croisière peut toujours s’amuser, certains cafés resteront fermés, nous l’avons déjà évoqué, la crise grecque est déjà moins visible de première vue, et certainement plus… sournoise que la crise en Argentine. L’effondrement grec n’est pas soudain, ni général d’ailleurs. Sauf à Ágios Sávvas, grand Hôpital de la Santé Publique, spécialisé en cancérologie. Nous y avons rencontré Babis Zabatis, chef de service oncologie et chimiothérapie.

Polyxeni, au Centre médical solidaire d’Ellinikón. Le 29 mai 2017
Emballage d’un médicament. Prix en drachmes. Ellinikón, mai 2017
“Solution claire ou la crise”. “Quotidien des Rédacteurs”, le 27 mai
“Le pas suivant d’Alexis Tsipras”. “Ta Néa”, 27 mai
Terrasse d’un café à Athènes. Mai 2017
“Schäuble… Con”. Athènes, mai 2017

Souriant devant la camera de Fulvio Grimaldi (29 mai), c’est par toute sa bonté d’abord, que le docteur Babis Zabatis tenta en vain d’éponger cette amertume de l’air du temps actuel, “temps de renard” forcément.

“La crise pour nous, c’est surtout le manque cruel de personnel. Plusieurs milliers de médecins ont quitté la Grèce. Au lieu de onze internes dans mon service par exemple, je n’en dispose que de deux actuellement, nous ne pouvons plus faire face aux besoins des patients… alors ils meurent, ou ils meurent plus rapidement car souvent ils restent longtemps sans traitement. Fait alors nouveau… nous avons remarqué une surmortalité, jamais vue jusque là chez les médecins. Depuis ces trois ou quatre dernières années de la crise, nous ne tenons plus la route de notre mission, nos efforts sont surhumains, j’ai perdu ainsi cinq collègues, d’un cœur qui lâche, d’un AVC… voire, d’un cancer fulgurant. C’est terrible…”

Polyxeni, pharmacienne volontaire au Centre médical Solidaire d’Ellinikón au sud d’Athènes a également répondu aux questions de Fulvio et de Sandra, en plus, dans un italien impeccable (29 mai).

“Le gouvernement Tsipras a enfin ouvert la porte des hôpitaux aux ‘Sans-Sécu’ (près du tiers de la population du pays tout de même). Sauf que le manque de personnel, de matériel, des ambulances… tout cela rend de fait la situation ingérable. La prise en charge est longue, trop longue, six mois d’attente pour un malade souffrant de cancer devient alors synonyme de… condamnation, puis, il y a l’épineux problème des médicaments. Même au cas où il ne reste qu’une participation à régler pour les patients, nombreux sont ceux qui ne le peuvent pas, assurés ou non d’ailleurs. Ils arrivent finalement au Centre médical Solidaire, pour que nous fournissions tous ces médicaments gratuitement, autant que le lait pour bébés ou encore les couches-culottes.”

Toujours à Ellinikón et sur le coin d’une étagère ainsi nommé… “Musée de la drachme”, les pharmaciens du Centre, collent les emballages de certains médicaments remarqués, car datant du temps d’avant, aux prix exprimés en drachmes. Humour ?

“Ne jamais oublier notre poète Elytis”. Archives à Athènes, mai 2017
“Taxi pour animaux”. Athènes, mai 2017
La demeure du Général Ioánnis Metaxás. Kifissiá, mai 2017

Les journaux quant à eux, ils préféreront s’en inquiéter de la dernière (supposée) négociation entre Tsiprosaures et Troïkans ; “Une solution claire ou sinon la crise” (“Quotidien des Rédacteurs”), ou: “Le pas à faire d’Alexis Tsipras” (devant le précipice), (“Ta Néa”). Kóstas Zachariadis, directeur du groupe des parlementaires SYRIZA bien installée dans l’air du temps, vient de déclarer (radio 99,5 FM, 26 mai 2017):

“Nous, nous le confessons. Nous disons que le pays est au garde-à-vous, il est sous tutelle. Essentiellement, pour ce qui tient de la politique économique et fiscale, nous co-gouvernons avec les institutions, avec la Troïka. Et alors à plusieurs reprises, ils s’emparent de notre main et pour tout dire, ils rédigent ainsi directement nos lois.” C’est le stade suivant de la métadémocratie, après avoir évidemment “gouverné” par décrets ou par ordonnances.

J’ai montré à Fulvio la demeure du Général Ioánnis Metaxás à Kifissiá, quartier de la grande bourgeoisie grecque. En dépit de la fascination de son régime dictatorial (1936-1941), Metaxás était d’abord plus proche des démocraties occidentales que de l’Axe sur le plan diplomatique. Mussolini lui envoya le 28 octobre 1940 un ultimatum prévu pour être inacceptable par l’intermédiaire d’Emanuele Grazzi, alors ambassadeur d’Italie en Grèce. Grazzi s’était rendu à Kifissiá à 3h du matin en ce 28 Octobre, exigeant que La Grèce autorise l’occupation par les armées italiennes de tous ses sites stratégiques. Metaxás a eu son célèbre mot qu’il répondit: “NON” dans cette maison.

Camion orné. Le Pirée, mai 2017
Les chattons… nouveaux. Athènes, mai 2017
En Golfe Saronique, années 1960. Souvenirs !

L’Italie envahit le 28 octobre la Grèce depuis son protectorat albanais, déclenchant la guerre entre les deux pays. La défense grecque fut héroïque, repoussant les Italiens en Albanie. Mussolini a perdu sa… guerre, cela jusqu’à l’intervention d’Hitler en avril 1941. “C’est notre histoire commune”, avons-nous dit, Fulvio et moi. C’était le temps du ‘NON’ mais les temps historiques peuvent changer.

Au Pirée, certains camions… passéistes demeureront ornés des symboles du pays, les chattons nouveaux sont déjà nés, puis, dans les quartiers aisés de la Riviera d’Athènes, certains… professionnels proposent leurs services… de taxi pour animaux de compagnie.

Période quasiment estivale. Le gouvernement brasse beaucoup d’air ces derniers jours, peine perdue.

Temps actuel, “temps de renard” forcément, sous le regard alors impénétrable des animaux adespotes (sans maître) face à la mer. Regard camera ?

Animal adespote. Riviera d’Athènes, mai 2017
* Photo de couverture: Babis Zabatis, chef de service oncologie et chimiothérapie, interviewé par Fulvio Grimaldi. Athènes, le 29 mai 2017

mais aussi pour un voyage éthique “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !” http://greece-terra-incognita.com/

Témoignage: vivre à Athènes en 2017

Depuis 2009, la Grèce est au bord de la faillite. Mise sous tutelle par la Troïka, elle voit s’enchaîner les plans d’austérité. Mais à quoi ressemble la vie des Grecs en 2017?

Un constat social alarmant

Nikos Kokkalis a 35 ans et vit à Athènes. Titulaire d’une licence en sciences politiques, il travaille en tant que traducteur dans le secteur juridique. Il nous raconte les changements survenus dans son quotidien depuis le début de la crise.

« Beaucoup de choses ont changé depuis le début de la crise. Lorsque je suis entré sur le marché du travail, je touchais 800 euros par mois, et j’étais considéré comme un travailleur précaire. Aujourd’hui, je n’en touche plus que 600, et je me sens particulièrement privilégié. Se rendre au travail est devenu beaucoup plus difficile, car la fréquence de passage des bus a été réduite d’1/3. Certains quartiers d’Athènes ne sont carrément plus couverts par le réseau de transport. Beaucoup de mes amis ont quitté le pays, et beaucoup continuent à partir chaque année pour trouver du travail et envoyer de l’argent à leur famille restée en Grèce. La plupart de ceux qui sont restés sont au chômage, ou travaillent pour une misère dans des conditions de précarité extrêmes« , explique-t-il.

Outre le chômage et les conditions de travail, les purges imposées par l’Europe et le FMI ont également impacté les services publics et le pouvoir d’achat: « Tous les prix ont augmenté en raison d’une forte hausse de la TVA et des taxes sur les produits alimentaires. En parallèle, on a subit une baisse des salaires, des pensions de retraites, et des coupes dans les minima sociaux. Les budgets gouvernementaux de la culture, de la santé et de l’éducation se sont effondrés. De plus, la privatisation massive des services publics a produit simultanément une hausse des tarifs et une baisse de la qualité des prestations, comme c’est le cas pour les compagnies aériennes et ferroviaires. Mais ce n’est pas fini, aujourd’hui, c’est l’accès à l’eau qu’ils veulent privatiser« .

Grexit et investissement, le duo gagnant de la gauche radicale

Comme beaucoup de Grecs, Nikos a cru que la situation allait s’améliorer après la première victoire de Syriza début 2015. Toutefois, ses espoirs se sont bien vite envolés. « Je savais que Syriza disposerait de marges de manœuvres très faibles, mais j’avais bon espoir que Tsipras et son parti tiennent tête à la Troïka » confie-t-il. « Mais rien de tout cela ne s’est passé, et il a même cédé à chacune de leurs exigences. Si nous continuons dans la voie de l’austérité, l’avenir s’annonce plus que sombre pour le peuple grec« , ajoute-t-il.

Militant pour l’organisation d’extrême-gauche Xekimina, Nikos a des solutions à proposer pour sortir son pays de la crise. « [La bureaucratie européenne ne connaît que l’austérité néo-libérale. Cette politique est en train de la ronger de l’intérieur, en provoquant la montée des nationalismes, la crise économique, et des disparités croissantes entre les États du Nord et du Sud. La seule solution pour la Grèce, c’est de quitter cette Europe qui se meurt. Une fois la sortie de la zone euro, seule une politique d’investissement audacieuse pourra permettre aux grecs de sortir de la crise]i », explique le jeune hellène. « Nationalisation du secteur bancaire, renationalisation des secteurs économiques clés (énergies, santé, transports, télécommunication…), plafonnement des bénéfices pour les compagnies pétrolières et agroalimentaires, augmentation des impôts pour les 1% de la population les plus riches, politique de grands travaux et embauches massives de fonctionnaires » sont autant de solutions qu’il préconise.

En ce mois de mai 2017, Nikos est vent debout contre la nouvelle réforme des retraites annoncée par le gouvernement d’Alexis Tsipras. En l’espace de huit ans, il s’agit du 10e plan d’austérité imposé à la Grèce par la Troïka. Si le jeune militant parle pour l’instant d’une « mobilisation qui n’a pas l’ampleur des grandes grèves de 2011/2012« , il reste confiant et « croise les doigts pour que la rue l’emporte« , malgré l’adoption de la réforme par le parlement grec jeudi 18 mai 2017.

Une nouvelle grève générale contre la réforme des retraites

vidéo https://www.youtube.com/watch?v=1By8U7vsV70

source de l’article http://www.podcastjournal.net/Temoignage-vivre-a-Athenes-en-2017_a24102.html

 

Athènes menacée de trébucher avec le FMI

publié le 30 mai2017  sur la tribune de Genève

Crise de la dette. Le premier ministre grec reste confiant de trouver une solution avec les créanciers d’ici au 15 juin.

Poussée par Berlin au mariage forcé avec le FMI, malgré scènes et amorces de rupture, la Grèce est désormais confrontée au risque d’une union bancale avec ce gendarme financier, ne réglant pas les lourds arriérés de sa dette.

En décembre 2015, après sa réélection pour un deuxième mandat, le premier ministre Alexis Tsipras lançait l’offensive contre l’implication du FMI dans son programme de redressement conclu en juillet avec les Européens, la jugeant «non constructive et non nécessaire».

Un an et demi plus tard, le virage est complet: pour le ministre des Finances, Euclide Tsakalotos, la participation du FMI est «le meilleur choix». Car entretemps, Alexis Tsipras a tablé sur le FMI pour arracher à la zone euro l’engagement d’alléger la dette publique du pays dont il a fait son cheval de bataille.

Il se fondait sur les règles de l’institution, qui ne lui permettent pas en principe de participer au renflouement d’un pays insolvable. Le «pire choix» selon Euclide Tsakalotos, serait du coup une union bancale, soit un ralliement formel du FMI au programme grec mais sans garantie préalable sur la dette, qui caracole à près de 180% du PIB.

Compromis boiteux

C’est un tel compromis qui a été proposé le 22 mai par l’Eurogroupe, contraignant la Grèce à faire de l’obstruction pour le bloquer. Une telle solution ne réglerait rien pour la Grèce, selon Euclide Tsakalotos, n’apportant pas aux marchés la «clarification» nécessaire sur la dette pour qu’ils refinancent le pays comme prévu à partir de l’été 2018.

Vu d’Athènes, le compromis apparaît juste calibré pour permettre au gouvernement allemand de se présenter aux élections de septembre arqué sur son refus de toute concession envers la dispendieuse Grèce. Athènes se prépare du coup à un nouveau rendez-vous difficile avec ses créanciers, lors de la prochaine réunion des ministres des Finances de la zone euro du 15 juin.

Le tout alors que l’échéance de juillet, quand le pays devra s’acquitter de créances de plus de 7 milliards approche, sans qu’il y ait encore de déblocage de nouvelle tranche de prêts à Athènes.

Euclide Tsakalotos s’est affirmé lundi «confiant» qu’un accord sera finalement dégagé le 15 juin «clarifiant comment la dette grecque peut être rendue viable». Mais Athènes ne dispose pas de beaucoup d’atouts.

La Grèce a été entrainée dans cette partie complexe par le choix de Berlin, soutenue par La Haye et Helsinki, d’imposer la participation du FMI comme condition au renflouement du pays, souligne Georges Pagoulatos, professeur d’Études européennes à la faculté économique d’Athènes.

Le FMI bras armé de Berlin

«Le FMI a servi d’acteur utile à l’Allemagne pour imposer à la Grèce un ajustement très dur», faisant peu de cas de l’acquis communautaire et des règles sociales européennes, face à une Commission européenne dont Berlin «se méfie», juge Georges Pagoulatos.

«Demandes aberrantes», «mauvaise foi», experts «plutôt idiots», données «mensongères»: le gouvernement grec de gauche a longtemps regimbé contre ce mariage forcé, imputant au FMI d’être l’empêcheur numéro un de sortie de crise. La rhétorique était «surtout à consommation interne» visant l’électorat de gauche de Alexis Tsipras, juge Kostas Melas, professeur en finance internationale à l’université Panteion d’Athènes.

Mais elle a fait long feu: Alexis Tsipras s’est finalement résigné à proroger l’austérité jusqu’en 2021, comme l’exigeait le Fonds, en faisant voter à la mi-mai de nouvelles mesures d’économies d’un montant de 4,9 milliards.

Défauts d’expertise

Faute d’arracher en échange des engagements sur sa dette, le gouvernement grec, en chute dans les sondages et à la majorité parlementaire étriquée, est confronté au risque de sérieuses turbulences. Le FMI a aussi laissé des plumes dans l’aventure, contraint à plusieurs reprises de confesser des défauts d’expertise sur la Grèce.

Pourtant, le FMI «a non seulement accepté mais exigé plus de rigueur, pour que le pays puisse tenir des objectifs budgétaires qu’il ne considère pourtant comme ni réalistes ni souhaitables», relève M. Pagoulatos.

Pour M. Melas, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble pourrait au final réussir à imposer ses vues, en ayant «utilisé à la fois Tsipras et le FMI». (ats/nxp)

http://www.tdg.ch/economie/Athenes-menacee-de-trebucher-avec-le-FMI/story/27502380

Naufrages : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Naufrages

 
Un naufrage sociétal, c’est parfois long à mettre en place. Notre actuel temps, dit de la fin, se prolonge au point de faire oublier que tous les hommes vivant (ou agonisant) dans une même époque et dans un même espace n’ont pas forcément… le même vécu historique. Au soir du jeudi 25 mai, les medias grecs se concentraient déjà sur l’attentat à la lettre piégée qui a blessé l’ex-Premier ministre et banquier Lucas Papadémos. Opéré dans la nuit (du 25 mai), ses jours ne sont pas en danger. Cette même journée du 25 mai, et pour la première fois à Athènes, les livreurs à moto étaient en grève. Dignité, désespoir et journées fort dangereuses.

Lire les titres des journaux. Athènes, mai 2017

Livraison de notre temps, jamais gratuite. On a beau lire les titres de la presse devant les kiosques, en vain ; il ne nous a pas été encore possible d’en trouver la moindre mention. Il faut alors fouiller sur internet, pour découvrir certains chroniqueurs ainsi rendre enfin hommage à nos livreurs à moto.

Maria Louka par exemple, sous le titre “La mort accidentelle d’un livreur à moto” (site “Inside story”, 23/03/2017) : “Il y a quelques jours, il a été tué en pleine rue un livreur à moto durant son temps de travail. Personne n’a été surpris par cet événement tragique. Les accidents de la circulation représentent 53% sur l’ensemble des accidents pour toute la branche restauration. Plus généralement, le… secteur de la livraison incarne à lui seul… ce royaume de l’arbitraire et de l’abolition absolue de ce qui subsiste encore de la protection comme de la législation du travail.”

“En ce 10 mars, l’annonce de la nouvelle de la mort de Mémos a été à peine remarquée par la presse. Ce ne fut pas tout à fait compréhensible sinon, pourquoi un jeune homme de 22 ans, puisse perdre ainsi sa vie, d’ailleurs, la nouvelle n’a pas été jugée bien importante. (…) Pour les vies ‘invisibles’, les morts sont aussi ‘invisibles’. (…) En déjà, leur travail est précaire, ces employés sont des êtres ‘jetables’ et interchangeables.”

La voiture de Loukás Papadémos après l’attentat. Athènes, le 25 mai (presse grecque)
Livreur à moto à Athènes en 2017 (internet grec)
Livreurs à moto, journée d’action, Athènes, le 25 mai (internet grec)
Livreurs à moto, journée d’action du 25 mai (internet grec)

“À l’instar de notre interlocuteur. C’est un jeune homme de moins de 30 ans, qui travaille ces deux dernières années en tant que livreur de produits alimentaires. Il raconte son histoire comme son expérience. Pour le protéger nous maintiendrons l’anonymat. ‘Voyez-vous, dans ce travail nos propres vies sont en suspens. Neuf livreurs sur dix sont payés trois euros de l’heure. Personnellement, j’en reçois quatre, mais cela après accord avec le patron. Pour moi, il n’y aura ni primes, ni congés. Car, comprenez-le bien, c’est un chantage indirect. Cet argent ne me suffit pas pour vivre, c’est évident. J’ai un deuxième emploi pour m’en sortir.”

“Le client veut que sa commande arrive dans moins de quinze minutes et le patron veut être en règle avec le client, mais non pas vis-à-vis de l’employé. Eh bien, le véritable coût de l’opération, il est finalement payé par le livreur. Si vous ne disposez que de 10 minutes pour l’aller et le retour, vous grillerez le feu rouge ou le stop et vous emprunterez le sens unique à l’envers. Je ne dis pas que c’est bien tout cela, mais nous nous mettons nous mêmes de la pression. Quelque chose nous y pousserait. Et notre collègue Mikael qui est mort, il travaillait dans le quartier de l’avenue Kavala sans freins, il a fait un demi-tour, puis, il été… balayé par un camion.”

“Je précise que nos motos exigent de leurs coûts et autres frais d’entretien, qui restent entièrement à notre charge. Sauf que lorsqu’on fait 150 km par jour, la moto doit être révisée tous les mois pour rester en bon état. La mienne, elle exige de nouveau une réparation, ce qui coûtera près de 450 €, que je dois sortir de ma poche. Et entre deux livraisons, on nous demande d’astiquer les toilettes ou de ranger dans les locaux. Nous sommes ces boys à tout faire. Et si quelqu’un d’entre nous alors proteste, les patrons lui disent: ‘Casses-toi si tu n’es pas content, il y a 20 chômeurs dans la file d’attente.’ Pour les patrons, nous sommes absolument jetables. Les clients de leur côté, ils sont indifférents. Ils ne se soucient que d’être livrés immédiatement. Il n’y a aucune solidarité.”

Univers et réalité décomposés. Athènes, 2013
Même lieu. Athènes, mai 2017
Autocollant… décomposé. Athènes, mai 2017

Nous voilà donc en ce début du XXIe siècle, où nous respirerions les décompositions (découpes) du réel. Tout est parfois dans les détails. Livreurs à motos omniprésents, figures principales mais largement ignorées du panorama de la ville.

Habituellement, nous traitons ces livreurs comme des robots, à la manière des rouages des machines, un peu comme déjà dans les Temps Modernes de Chaplin. Livreurs anonymes forcément, que nous ne nommons pas, des extensions en quelque sorte de leurs motos.

En attendant… la généralisation des robots, en ce début du XXIe siècle et en ce mois de mai, nous commémorons (lorsque nous n’avons pas la mémoire courte), le moment précis de la première grande manifestation populaire à Athènes contre le… proto-mémorandum de Georges Papandréou.

C’était le 5 mai 2010. La rue Stadíou était alors remplie de gens qui manifestaient dans l’une des plus importantes manifestations dans la capitale, contre l’adoption imminente du premier protocole signé entre la Troïka et le “gouvernement” Papandréou. Soudain, de cette foule, se détache un groupe de douze personnes cagoulées qui se dirigent vers la librairie “Ianos”, et vers l’agence de la banque “Marfin Bank” au numéro 23 de la rue Stadíou. Ces individus cagoulés brisent alors les fenêtres et lancent à l’intérieur de nombreux cocktails Molotov.

Chez Marfin, huit employés de la banque resteront piégés à l’intérieur qui est ravagé par le feu et où une épaisse fumée rend l’air irrespirable, puisque la seule issue de sortie restera verrouillée. Des employés joignent leurs proches par téléphone… pour leur dire adieu, tandis que d’autres, ils essaient de repérer une fenêtre pour sauter si possible du côté de la rue. Cinq employés ont été sauvés par les pompiers, mais pas tous. Trois jeunes employés et un enfant qui n’était pas encore né ont trouvé la mort: Épaminondas Tsakális (36 ans), Paraskeví Zoúlia (35 ans) et Angelikí Papathanassopoúlou (32 ans), enceinte.

Chez Marfin Bank au 23 de la rue Stadíou, le 5 mai 2010 (presse grecque)
Chez Marfin Bank au 23 de la rue Stadíou, le 5 mai 2010 (presse grecque)
Chez Marfin Bank au 23 de la rue Stadíou, le 5 mai 2010 (presse grecque)
Chez Marfin Bank au 23 de la rue Stadíou, le 5 mai 2010 (presse grecque)

J’y étais presque au moment des faits, je me trouvais de l’autre flanc de la manifestation, à trois cent mètres de la rue Stadíou. La nouvelle a été aussitôt diffusée très rapidement entre nous. Nos cœurs, nos réactions, ont été figés, et ce fut le premier des chocs apportés à la Résistance des Grecs contre le nouveau Régime des mémoranda.

Du 23 de la rue Stadíou, les Athéniens avaient fait depuis, un lieu de mémoire. Ils y déposèrent leurs messages, leurs fleurs, leurs dessins, en somme toute leur douleur et autant indignation. Mais en ce mois de mai 2017, j’ai remarqué que les messages ont été enlevés, et que le bâtiment avait été refait… pour accueillir désormais… la boutique d’une enseigne… mondialisatrice, spécialisée dans la commercialisation des articles de sport. Notre temps actuel de la fin… se prétend en plus sportif. Qui sait ?

Au 23 de la rue Stadíou, lieu de mémoire (2010-2016)
AU 23 de la rue Stadíou… articles de sport. Mai 2017
Alexis Tsipras… qui en rit. Presse grecque, mai 2017

Et en ce temps bien actuel, sportif ou pas, Alexis Tsipras et les siens, apparaissent devant les médias bien décontractés, voire hilares. Un auditeur intervenant en direct par téléphone dans l’émission politique de Lámbros Kalarrytis (radio 90.1 FM du Pirée, semaine du 22 mai), a fait remarquer qu’une telle attitude laisse déjà trahir un cynisme alors certain… et d’ailleurs synonyme d’hybris.

Lámbros Kalarrytis lui répondit que c’est aussi peut-être parce que le pouvoir rend alors absolument fou. Et il y aura toujours ceux qui veulent le conserver à tout prix, le plus longtemps possible. En tout état de cause, Alexis Tsipras se déclare prêt maintenant, à accepter le plan de Wolfgang Schäuble au sujet du prétendu allégement de la dette grecque, ce même plan que le “gouvernement” d’Athènes faisait semblant de rejeter il y a à peine une semaine (médias grecs du 25 mai 2017).

Un naufrage sociétal ou politique, c’est parfois long à mettre en place. Mais pas toujours. D’autres naufrages ou même échouages, nous rappelleront toujours et encore combien cependant notre actuel temps de la fin peut se prolonger.

Avenue d’Athènes, mai 2017
Sans-abri. Athènes, mai 2017

Non loin d’Éleusis près des côtes, le visiteur des lieux désormais sans trop de… Mystères, découvrira ce qui en reste du “Mediterranean Sky”, paquebot construit en 1953 au Royaume-Uni, et qui appartenait à la société “Karageorgis Lines”. Le “Mediterranean Sky” était l’un des deux glorieux navires de ligne de la compagnie et de la ligne entre Patras et Ancône en Italie durant les années 1970 et 1980.

Ces deux navires étaient luxueux et d’abord très en avant sur leur temps. Ils furent équipés entre autres, de cabines de luxe, de deux piscines, d’un bar élégant, ce que la clientèle de l’époque comme de la classe moyenne qui ne voyageait pas encore si fréquemment par avion, appréciait énormément. Le “Mediterranean Sky” a effectué son ultime voyage en Août 1996, entre Brindisi à Patras. En 1999, il fut remorqué à Éleusis où il a chaviré, puis, à jamais abandonné pour des raisons financières.

Le “Mediterranean Sky” au port d’Ancône dans les années 1980. (Internet grec)
Le “Mediterranean Sky”, la Compagnie Karageorgis Lines, document de 1977

En face pratiquement du “Mediterranean Sky”, sur l’île de Salamine, on y distingue la petite et dernière maison où vécut le poète Ángelos Sikelianós (1884 – 1951). Transformée en musée, elle reste cependant le plus souvent fermée, “c’est la crise”, apprend-on alors sur place.

Toujours à Salamine, j’ai rencontré Mihális, retraité et ancien capitaine dans la marine marchande. Il prend toujours la mer à bord de son voilier, acquis au moment où il a quitté comme on dit, la vie active. Le montant de sa retraite… par exacte répartition, a été ramené à 1.100€ mensuels, au lieu de 2.600€ initialement.

“Pourtant, notre Caisse des Marins a toujours été indépendante de toutes les autres structures de ce type. Nous versions nos cotisations bien élevées, de même que nos patrons armateurs, sans la moindre participation ou aide de l’État. Et voilà que notre Caisse a été supprimée, incorporée de force dans le système global, ce dernier se trouve d’ailleurs en pleine décomposition. Nous avons été trompés par ce pays et ses politiciens après tant d’années de service en mer”.

Mihális me raconta par la suite ses histoires du temps des Océans, profondément et peut-être définitivement dégouté de la vie des terriens. Il préfère évoquer son passé en mer, on peut comprendre. Histoires alors comme celle d’un skipper Néerlandais, que Mihális avait croisé au beau milieu de l’Atlantique après une tempête. Il naviguait seul à bord d’un voilier de dix mètres. Des années après, Mihális a pu inviter le skipper Néerlandais à bord de son navire qui se trouvait alors à quai à Rotterdam. Hasard ?

La maison du poète Ángelos Sikelianós. Salamine, mai 2017
Le Post-Future, version d’Athènes, mai 2017
La presse dite people, toujours vaillante. Athènes, mai 2017

Ceux de la terre ainsi ferme, s’occuperont du Post-Future, tandis que leur presse dite People ne connaîtrait pas la crise paraît-il.

La bonne nouvelle de la journée c’est que l’état de santé de Loukás Papadémos se stabilise, le problème c’est que sa… politique est pour autant stabilisée, et cela depuis tant d’années déjà.

Apparition furtive d’une baleine. Presse des Cyclades, 24 mai 2017

L’autre bonne nouvelle nous provient de l’île de Syros, capitale des Cyclades, où une baleine Balaenoptera physalus avait été aperçue près des côtes par les passagers d’un voilier, d’après la presse locale. La Grèce et sa capitale sous les orages du moment, mais passagers, pas d’autre baleine en vue certes, sauf que devant Lexikopoleío, notre librairie francophone (et pas uniquement) d’Athènes, tenue par Odile et Yannis, un majestueux animal adespote (sans maître), n’a décidément que faire du naufrage sociétal, long ou pas à mettre en place.

Animal adespote devant la librairie Lexikopoleío. Athènes, mai 2017
* Photo de couverture: Le “Mediterranean Sky”. Près d’Éleusis, mai 2017

mais aussi pour un voyage éthique “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !” http://greece-terra-incognita.com/

Grèce plus de 1,2 millions de retraités avec moins de 500€ par mois

Le système de contrôle et de paiement des pensions «ILIOS » a publié les données qui présentent les baisses de revenus dramatiques pour les retraités grecs tant en matière de pension principale que de retraite complémentaire. 6% des faibles pensions principales sont consacrés aux soins de santé. Ces données prennent en compte les pensions complémentaires et principales mais aussi les pensions en raison de handicaps ainsi que celles pour les veuves.

La pension moyenne est à 722 euros par mois, se référant principalement aux retraités du secteur privé du pays. La moyenne de retraite complémentaire est à 170 euros.
Les données se rapportent à la période de Juillet 2015 à Décembre 2016. En Janvier 2017, les revenus des retraités ont diminué encore plus en raison des réductions dans l’allocation de la pauvreté pour les retraités.

Nombre total de pensionnés (pension principale): 2.631.052 (décembre 2016)
Dépenses mensuelles: € 2336678419
0,01 € – 500 € reçus par 649,586 personnes
500 € à 1000 € reçus par 962,466 personnes
(Cf Tableau ci dessous)

En dépit de l’augmentation générale de l’âge de la retraite, 700.000 retraités sont âgés entre 51 et 65 ans. On peut supposer que cela a à voir avec la retraite des membres des forces armées et d’autres groupes de personnel en uniforme qui prennent leur retraite après 25 ans de service. Une autre raison serait le nombre important de retraites anticipées des fonctionnaires après 2010, avec 25 ans de service.

24% des retraités sont âgés de plus de 81 ans
31% ont entre 71 et 80 ans
39% ont entre 51 et 70 ans
1% sont retraités de moins de 25 ans.
Les retraités âgés de 56 à 65 ans reçoivent les montants les plus élevés de retraite, de 1.000 à 1.137 euros.

Des exemples saisissants:
10 retraités reçoivent chacun quatre pensions, quatre retraites complémentaires et deux des dividendes (pour les fonctionnaires)
14 retraités reçoivent la pension complémentaire entre 1,500-2,00 euros et 2 plus de 2500 euros.
Il faut noter qu’en Décembre 2016, le plus grand nombre de nouvelles pensions principales se trouve dans le secteur privé, avec les fonds de sécurité sociale IKA. Le taux était de 41% et concerne les retraités âgés de 56-60 et 61-65 ans.

Avec le chômage qui croit de façon constante à plus de 23%, un chômeur de plus de 50 ans n’a absolument aucune chance d’obtenir un emploi dans le secteur privé. Beaucoup préfèrent partir à la retraite, même avec une faible pension pour échapper à la recherche d’un emploi désespéré. L’indemnité de chômage de 365 euros dure un an seulement. Après cette période, on ne touche plus d’indemnité et on n’a pas non plus la couverture des soins de santé.

Le problème avec les faibles pensions est l’absence de bien-être, alors que les prix à la consommation sont en augmentation permanente. Non seulement en raison de charges fiscales supplémentaires. Par exemple, dans les 2-3 dernières semaines, le prix d’un demi kilo de café filtre est passé de 5 à 8,40 € , alors que le prix d’un litre d’huile d’olive est passé de 4,90€ jusqu’à 7,10 €…

Aucun texte alternatif disponible.

Remembrances : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque  et cette fois-ci un regard sur l’élection en France et l’accord avec les créanciers.

Remembrances

Pays aux souvenirs inusables. Stávros, mécanicien naval confirmé, rencontré à bord du ferry-bac vers Salamine est de bonne humeur. C’est rare en Grèce par les temps qui courent. Il raconte volontiers ses nombreux déplacements en France comme ailleurs, plus exactement à travers les grands ports commerciaux et industriels. Remembrances. “J’aime mon travail, sauf que depuis cette foutue crise je suis moins bien payé. Mon patron en profite. Ainsi je travaille en plus… à mon compte et cela durant pratiquement chaque week-end. Je ne m’en plains pas, j’ai du travail et d’ailleurs je l’aime.” Du bon plaisir, enfin!

La Grèce et ses fruits de saison. Athènes, mai 2017

La Grèce et ses fruits de saison comme d’époque. Stávros, capable d’intervenir sans délai sur toutes les installations, et d’assurer les dépannages mécaniques à bord des navires pour la maintenance préventive et curative sur les matériels comme il aime l’exprimer avec tant de fierté, n’évoquera guère directement le contexte politique et économique. À l’instar de nombreux autres Grecs, il en est d’abord profondément dégouté, et surtout, il sait qu’il n’a plus aucune prise sur les décisions “globales”, élections ou pas d’ailleurs.

Le présentéisme règne, les Grecs s’y installent. À bord du ferry-bac, parmi ces autres passagers qui suivaient la discussion, certains ont été visiblement gênés, voire envieux. Avoir du travail et alors l’aimer de surcroît, n’est plus du tout la règle en ce moment. Ancienne règle donc et qui ne reviendra plus jamais sans changement radical de paradigme économique, ce qui est largement inimaginable à l’échelle grecque pour ne pas dire européenne et pourtant, tous les… damnés de la terre comme de la mer le souhaiteraient.

Une certaine presse. Athènes, mai 2017

Et à défaut d’imagination… il faut d’abord survivre. Ce système politique étant définitivement mort à la suite de la dernière escroquerie SYRIZA, sauf pour maintenir privilèges et autres subsides de caste à certains, les Grecs le savent. Plus besoin d’épiloguer davantage. Comme je l’exprimais récemment à José-Manuel Lamarque qui m’interviewait par téléphone dans le cadre de son émission sur France-Inter (l’interview sera diffusée prochainement), ce n’est plus d’une crise qu’il s’agit, mais d’un changement au forceps de paradigme anthropologique.

Au bout de huit années de “crise grecque”, la société en sort transformée, les liens interpersonnels, amoureux, conjugaux, amicaux, professionnels ne sont plus pratiqués de la même façon qu’avant 2010. La gestion même du temps (comme… du temps existentiel restant), devient alors impossible pour le plus grand nombre. Dans un sens, à défaut de calendrier évident, pas d’espoir manifeste, et point d’avenir, sauf peut-être pour Stávros, toujours… capable d’intervenir sans délai sur toutes les installations.

La presse grecque, médias hertziens et électroniques compris, plus cadavérique que jamais, versera en outre chaque jour, son flot d’atrocités de toute sorte: criminalité “ingénieuse”, meurtres en série (dont infanticides et même filicides), sans oublier les nouvelles… renouvelées sans cesse depuis le front des dites reformes structurelles initiées par la Troïka élargie, avec l’aimable participation des “gouvernements grecs”. Conditionnement… consubstantiel comme on sait d’une certaine mécanique sociale.

Eurocapital (société). Athènes, mai 2017
Relations interpersonnelles et contexte grec. Surface dans Athènes, mai 2017
Cristina Fernández de Kirchner visitant l’Acropole. Athènes, mai 2017 (presse grecque)

Et en Grèce, ce conditionnement d’une certaine mécanique sociale, voire d’une mécanique sociale alors certaine, avait été inauguré (pour ce qui est de sa phase actuelle) par la “préparation” de l’opinion devant “l’opportunité positive, incarnée en la personne de Georges Papandréou” (et tous le violons de la presse s’accordèrent), c’était en 2009.

La suite est connue. Georges Papandréou a inauguré l’ère de la métadémocratie mémorandaire en 2010. Depuis, la Constitution est sans cesse violée suivant une série caractérisée par de nombreux Putschs successifs, (pseudo) légalisés par le “Parlement” ou sinon au moyen de la “gouvernance” par décrets (ordonnances). Faire élire sous ces conditions “petit Georges”, comme les Grecs le surnomment le plus souvent, relève alors du Putsch inaugural, s’agissant de cette séquence historique qui est la nôtre, qui plus est, introduite par la bancocratie ambiante.

C’est en ce sens d’ailleurs que les Grecs croient ressentir, et cela avec amertume et tristesse, que l’élection (ou “élection”) d’Emmanuel Macron en France, inaugurerait probablement cette même séquence historique pour les Français, certes toute proportion gardée. Le nouveau régime issu “de la crise” se fait bien long. Cette semaine par exemple… rien qu’en Grèce, la presse publie le texte original du mémorandum-4bis qu’un certain Alexis Tsipras vient de parapher.

L’élection d’Emmanuel Macron vue par la presse grecque, ‘Kathimeriní’ du 9 mai
L’élection d’Emmanuel Macron vue par la presse grecque, ‘Enikos’ du 8 mai

Plus de 140 mesures et reformes dites structurelles y figurent, et cela pour une durée… prévue et ainsi étalée sur cinq ans. Et déjà, l’énième diminution du montant des retraites qui figure dans ce texte vient d’être jugée anticonstitutionnelle par la Cour de Justice compétente à Athènes mardi 9 mai, d’après le reportage du jour, par exemple celui du quotidien “Kathimeriní”, et alors ?

Cette liste est publiée le plus souvent dans son “état brut”, c’est-à-dire en anglais, notons-le également. L’ex-Commissaire Européiste (1999-2004) et par la suite ministre de l’Éducation (2009-2012) Anna Diamantopoúlou (PASOK), avait en son… grand temps proposé l’adoption de la langue anglaise à usage officiel en Grèce. On y arrive presque… En attendant, Cristina Fernández de Kirchner vient de visiter Athènes et l’Acropole, et les dirigeants Syrizistes auront tout fait pour médiatiser ce déplacement à leur profit, mais en vain.

Liana et son mari par exemple, rencontrés dans un café près du Pirée, ne se laisseront plus jamais impressionnés par les politiciens. Liana déjà, elle sait de quoi elle parle. “Je suis infirmière en psychiatrie… ou ce qui en reste. La société s’effondre, les cas relevant de la psychiatrie se multiplient et alors s’aggravent. Nous ne gardons plus les malades en hospitalisation, car les lits disponibles ont été en grande partie tout simplement supprimés. Nous leur administrons les médicaments nécessaires et alors ils rentrent chez eux. Le plus souvent, leurs proches ne peuvent pas et ne veulent plus s’en occuper. La violence au sein des foyers atteint décidément des sommets de paroxysme, les cas de pédophilie également entre autres pour ne citer qu’un exemple précis.”

Près du port du Pirée. Mai 2017
L’ail… du Pirée. Mai 2017
Animal adespote. Le Pirée, mai 2017

“Il y aussi ce nouveau phénomène bien étrange mais… on comprend. Certains hommes, viennent nous voir après avoir commis un acte criminel à caractère pédophile, également attesté par les rapports de la Police, ou encore par ceux de la Justice. En réalité, ils ne sont pas pédophiles, sauf qu’ils veulent apparaître comme tels, surtout suite à avis médical faisant ‘logiquement’ suite à un acte avéré. Ils espèrent ainsi obtenir un certificat médical attestant leur ‘handicap psychique’, rarissime… situation en Grèce comme on sait, ouvrant droit à une petite allocation, pour l’instant non supprimée, et encore.”

Tous ces gens pensent ainsi avoir trouvé… l’astuce de la survie. Ils n’ont plus de travail, et en Grèce, les indemnités-chômage au-delà d’une période de douze mois après le licenciement n’existent pas, tout comme le RMI/RSA. C’est alors ainsi que les gens… inventent, mais alors jusqu’où ?

Nous avons salué Liana et son univers sur le marché du Pirée, où nous avons pu acheter de l’ail… vieille recette grec supposant agir contre le mauvais œil, toujours sous le regard bien détaché des animaux adespotes (sans maîtres) des lieux et peut-être des dieux grecs.

Étrangetés peut-être bien d’ici ; (Simón) Bolívar, surnommé le Libertador (1783-1830) serait plutôt connu pour être un bar de la Riviera d’Athènes, et quant au poète (finalement) français, Jean Moréas (1856-1910), son buste installé dans le jardin botanique d’Athènes ne rappellerait plus grand chose aux promeneurs de notre temps.

Bolivar… d’Athènes. Mai 2017
Buste de Jean Moréas. Athènes, mai 2017

“Poète d’expression française, ce fils d’un magistrat grec apprend tout jeune le français avec une gouvernante tandis qu’il suit des études secondaires à Athènes, Jean Moréas” (…) “s’installe définitivement en France à vingt-six ans et, plus tard, se fait naturaliser. À cette époque il est un véritable dandy à l’allure conquérante, qui fréquente le cabaret du Chat noir où se réunissent quelques poètes. Ils vont former le groupe des décadents, et c’est leur influence qui se manifeste dans son premier recueil de vers, ‘Les Syrtes’ (1884), sous la forme d’un satanisme complaisant et d’une préciosité assez artificielle.”, (Encyclopédie Universalis, mai 2017) .

“Dehors hurlent les vents moroses, les vents des vilaines saisons”, écrivait alors Moréas dans son poème “Remembrances”.

Pays aux souvenirs alors inusables pour Stávros, mécanicien naval confirmé, ou pour Liana, infirmière en psychiatrie.

Le tout, sous le regard devenu incontournable de Mimi (alias Joachim), l’animal… suffisamment despote de ce blog.

Mimi, l’animal… despote de ‘Greek Crisis’, mai 2017
* Photo de couverture: Vers Salamine. Mai 2017

mais aussi pour un voyage éthique “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !” http://greece-terra-incognita.com/

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