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La dette grecque : Quelques repères utiles

La dette grecque : Quelques repères utiles par CADTM Belgique

Cet article correspond au Premier Chapitre de la brochure Comprendre la dette grecque, réalisée et éditée par le CADTM et ZinTV.

La dette est un rouage clé du système capitaliste. Elle permet en effet un transfert de richesses de la majorité de la population vers les détenteurs de capitaux. Autrement dit, elle est un outil d’enrichissement, une source de profit pour les plus riches. On parle ainsi de la dette comme levier d’accumulation du capital.

« La dette d’État, c’est-à-dire l’aliénation de l’État – qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain – marque de son empreinte l’ère capitaliste […]. La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée. »

Karl Marx, Le Capital, Livre 1, 1867,
Édition et traduction sous la responsabilité de Jean-Pierre Lefevre,
Voir https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf, p. 897 et p. 847

Si les traces de systèmes de crédit sont très (très) anciennes et précèdent largement l’avènement du système capitaliste, la dette publique apparaît comme un des mécanismes d’accumulation primitive du capital dès les 14e et 15e siècles dans les républiques marchandes de Venise et de Gênes, puis se généralise dans les puissances européennes à l’époque des conquêtes coloniales et de la création de manufactures (du 16e au 18e siècles). Au 19e siècle, l’endettement public accompagne la formation du capitalisme industriel.

Ce transfert de richesses inhérent au mécanisme d’endettement ne procède pas du seul fait du remboursement des intérêts. En effet, la dette s’avère un outil de dépossession. En témoignent les privatisations massives des années 80 et 90 imposées par les institutions financières internationales dans les pays du Sud sous programmes d’ajustement structurel ou bien en Grèce aujourd’hui, où le patrimoine public est bradé. Notons que les dettes privées peuvent aussi être le moyen de déposséder les classes populaires de leurs biens. Ce fut le cas, entre 2400 et 1400 avant JC., en Mésopotamie lorsque l’État prenait les terres des paysan·ne·s pour impayés. Un phénomène similaire a lieu actuellement en Grèce avec la mise aux enchères de maisons suite à des crédits ou factures non payés [1]. Ces dépossessions et ces transferts de propriété se font toujours en faveur des créanciers, c’est-à-dire de ceux qui possèdent de l’argent et en prêtent ; et au détriment des autres qui faute d’avoir des capitaux doivent en emprunter.

Le caractère profondément politique du mécanisme d’endettement doit aussi être pris en compte, dans la mesure où les dettes sont des armes de domination, de contrôle et de coercition puissantes. La dette publique est ainsi utilisée par les puissances économiques pour servir leurs intérêts économiques et les intérêts privés qui y sont liés, que ce soit en termes d’acquisition de marchés ou de ressources, mais aussi en termes de conquête de territoires et d’expansions impérialistes, (étroitement liées aux intérêts économiques). La colonisation de la Tunisie en 1881 et du Maroc en 1912 par l’État français ou encore de l’Égypte à partir de l’invasion franco-britannique de 1882 en sont quelques exemples. Le non remboursement de pays de la périphérie envers les pays du centre ou les banques de ces mêmes pays a servi dans de nombreux cas à asseoir des menaces d’interventions militaires. Dans le cas du Mexique, ces menaces ont été mises à exécution. Après que le président Benito Juárez eut répudié des dettes illégitimes en 1861, les principales puissances créancières s’accordent pour intervenir militairement dans le pays. En janvier 1862, la France envahit le Mexique puis y installe en 1864 un prince autrichien qui prend le titre de Maximilien Ier, empereur du Mexique.

Mais cette domination politique de certains pays rendue possible par la dette publique est plus indirecte qu’une conquête territoriale. C’est le cas de la Grèce ou des pays du Sud, qui sous prétexte de niveaux d’endettement trop élevés se sont vu imposer des mesures politiques dictées par les grandes puissances au détriment de leurs intérêts et leur souveraineté.

Dès 1821, la Grèce contracte des prêts auprès de banques de Londres pour financer la guerre d’indépendance contre l’empire ottoman. Notamment deux emprunts qui équivalent à 120% du PIB du pays à l’époque. Une bonne partie de ces prêts sert à l’achat d’armement et autres équipements produits au Royaume-Uni. Les taux d’intérêt pratiqués sont très élevés (8,33%), tandis que les montants réellement transférés par les banques londoniennes à la Grèce sont largement inférieurs aux montants empruntés (en raison de commissions prélevées par les banquiers) mais doivent être remboursés dans leur intégralité. Le coût de ces emprunts pour la Grèce s’avère donc exorbitant. Si bien qu’en 1826, elle décide de suspendre le paiement de sa dette. En effet, en plus du coût des opérations militaires, en pleine crise, les banques européennes ont fermé le robinet du crédit refusant à la Grèce de contracter des nouveaux emprunts pour rembourser les anciens.

Le Royaume-Uni, la France et la Russie profitent alors de cette situation pour mettre à la tête du pays un prince allemand qui a pour tâche principale de continuer à honorer les dettes du pays.

Il s’agit de la première Troïka européenne de l’histoire grecque. À l’instar de la Troïka actuelle, celle-ci va d’abord soutenir les banquiers britanniques en s’assurant que les remboursements des emprunts seront effectués par la Grèce. Pour cela, elle va demander à une banque française d’émettre un emprunt pour le compte de la Grèce, tout en se portant garante auprès des banques en cas d’un non-paiement grec. Seulement 20 % de la somme empruntée vont être perçus par l’État grec, le reste ira dans une commission perçue par la banque Rothschild, une indemnisation de l’empire Ottoman suite à l’indépendance grecque ; le Royaume-Uni, la France et la Russie vont également en prendre une partie et enfin une somme non négligeable servira à couvrir les frais du prince Othon et à l’achat d’armes. Bien évidemment cette Troïka va exiger de la Grèce qu’elle rembourse l’intégralité de cet emprunt illégitime.

Ces trois puissances vont exercer une tutelle stricte sur le budget grec (et ce en violation de la nouvelle constitution du pays), exigeant une augmentation des taxes et impôts et une réduction des dépenses sociales et des investissements publics.

En 1843, suite à l’impossibilité où se trouvait la Grèce de rembourser ses dettes, les trois puissances européennes lui imposent un programme d’austérité sévère, tel un mémorandum, afin qu’elle poursuivre le remboursement. Parmi les mesures, on trouve le licenciement des fonctionnaires, la suppression des services de santé, la suspension du versement des retraites…

Puis, après une restructuration de la dette publique grecque en 1878 au bénéfice des créanciers, une « Commission financière internationale » est mise en place par les puissances européennes en 1898, qui institutionnalise la tutelle financière de la Grèce afin d’assurer les remboursements et de préserver les intérêts des grandes banques privées de ces pays.

Ça ne vous rappelle rien ?

Pour aller plus loin :
Toussaint Éric, « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse », CADTM, avril 2016.
Toussaint Éric, « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale », CADTM, mai 2016.

L’utilisation des dettes (publiques comme privées) comme outils de transfert de richesses et armes politiques est donc loin d’être un phénomène nouveau et spécifique à la Grèce. Toutefois, on ne peut nier qu’aujourd’hui le cas de la Grèce devient emblématique de la violence et l’injustice de ce système dette, que ce soit du point de vue de l’appauvrissement de la majorité de la population engendré par le remboursement d’une dette qui n’est pas la sienne tandis que d’autres s’enrichissent grâce à cette même dette, ou de la mise sous tutelle de la Grèce qui atteint un niveau tel que l’on peut qualifier aisément le pays de « colonie européenne de la dette ».

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LES 3 MEMORANDUMS

Mai 2010
1er mémorandum : 110 mds d’euros

Prêt du FMI (30 mds prévus → 20 mds ont été déboursés ) + prêts bilatéraux des pays européens (80 mds prévus → 52,9 mds ont été déboursés)

Mars 2012
2e mémorandum : 159,8 mds d’euros

Prêt du Fond européen de stabilité financière – FESF (141,8 mds prévus → 130,9 mds ont été déboursés et utilisés) + prêt FMI (18 milliards prévus → 12 mds ont été déboursés)

Juillet 2015
3e mémorandum : 86 mds d’euros

Prêt du Mécanisme européen de stabilité – MES


LA CRÉATION DE LA COMMISSION POUR LA VÉRITÉ SUR LA DETTE GRECQUE

La Commission pour la vérité sur la dette grecque a été créée le 4 avril 2015 via décret par la présidente du parlement hellénique Zoé Konstantopoulou. La coordination scientifique des travaux a été confiée à Éric Toussaint, porte-parole du réseau CADTM. Cette commission se compose d’une trentaine de membres : la moitié de Grecques et Grecs, l’autre d’internationaux (de dix nationalités différentes). Cette commission a eu pour mandat d’analyser la dette publique grecque entre 2010 et 2015 et d’en identifier les parties illégitimes, odieuses, illégales et insoutenables ainsi que de formuler des arguments juridiques, qui pourraient justifier son annulation.



Le FMI c’est quoi ?

Le FMI (Fonds Monétaire international) est une institution financière internationale créée en 1944 à Bretton Woods (en même temps que la Banque mondiale, son institution jumelle). 189 pays en sont membres. Son but officiel est de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux. Pour se faire le FMI accorde des prêts aux pays en difficultés financières. La contrepartie de ces prêts est la signature d’un accord imposant des mesures d’austérité. Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification de l’application effective des mesures exigées. Certaines tranches pouvant être suspendues si le pays ne satisfait pas aux exigences.
Le FMI est dirigé par une personnalité européenne. Depuis juillet 2011, sa directrice est la Française Christine Lagarde, qui a succédé à Dominique Strauss-Kahn.


La BCE c’est quoi ?
La BCE (Banque centrale européenne) est une institution européenne créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matière monétaire. La BCE est donc responsable de la mise en œuvre de la politique monétaire dans ladite zone. Dans cette optique son objectif principal est d’assurer la stabilité des prix en visant une inflation annuelle maximale de 2%. Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est dirigée par d’anciens banquiers et influencée par les établissements financiers privés. Et bien que ses statuts la limitent à des compétences monétaires, la BCE se prononce régulièrement sur des enjeux liés aux affaires internes de pays, au marché du travail…
Les statuts de la BCE ainsi que le traité de Lisbonne lui interdisent (tout comme aux banques centrales de l’Union européenne) de prêter directement aux États. Elle prête donc aux banques privées qui à leur tour prêtent aux États à un taux plus élevé.


Le FESF, c’est quoi ?
Le FESF (Fonds européen de stabilité financière) est une société anonyme de droit luxembourgeois créée en 2010 dans le contexte de la crise des dettes souveraines en Europe. Son objectif officiel est de garantir la stabilité financière de la zone euro. Pour se faire, elle prête de l’argent aux pays en difficultés financières. Ces prêts sont conditionnés à la mise en œuvre de mesures d’austérité. On dit souvent que le FESF est une sorte de FMI européen. Pour financer ses prêts, le FESF emprunte de l’argent sur les marchés financiers. Des emprunts qui sont garantis par les pays de la zone euro en cas de défaut. Le FESF a été remplacé par le MES en 2012, mais il continue à gérer les remboursements des prêts effectués.


Le MES, c’est quoi ?
Le MES (Mécanisme européen de stabilité) est créé en 2012 pour prendre le relais du FESF, qui était mis en place de manière temporaire. Il poursuit donc les mêmes objectifs et a les mêmes modalités d’action. Toutefois, contrairement à son prédécesseur, le MES est une institution financière internationale vouée à perdurer dans le temps.


La Troïka, c’est quoi ?
La Troïka est un trio d’institutions informel qui n’est prévu dans aucun traité et ne dispose pas de statuts. Elle se compose de la BCE, du FMI et de la Commission européenne. Son rôle est d’assurer le suivi des pays confrontés à d’importantes difficultés financières et bénéficiant de prêts accordés par l’Union européenne et le FMI. Afin de vérifier la mise en œuvre des réformes exigées en contrepartie des prêts, la Troïka organise des visites d’inspection dans les pays signataires : on parle de « revues ». Lors de ces revues, la Troïka n’hésite pas à demander la suppression de certaines mesures prises par les organes démocratiques du pays ou encore de réécrire un projet de loi avant que celui-ci soit examiné par les instances parlementaires. Si la Troïka estime que sa revue n’est pas satisfaisante elle peut retarder le versement des tranches des prêts. La Troïka est intervenue à trois reprises en Grèce (2010, 2012 et 2015), en Irlande en novembre 2010, au Portugal en mai 2011et à Chypre en mars 2013.


La Commission européenne, c’est quoi ?
La Commission européenne est une institution créée en 1958 par le traité de Rome. Elle est l’organe exécutif de l’Union européenne. C’est elle qui en définit l’orientation politique et stratégique. Elle est composée d’un·e commissaire européen·ne par État membre, soit 28 commissaires, et d’un·e président·e. Le président actuel est Jean-Claude Juncker. À l’origine elle a été pensée comme « le moteur de l’intégration » en prétendant être garante de l’intérêt général de l’Union européenne. Le contraire a depuis longtemps été prouvé puisque les décisions et actions de la Commission européenne préservent en réalité les intérêts des grosses entreprises et du capital européen.


C’est quoi l’Eurogroupe ?
L’Eurogroupe c’est la réunion mensuelle au Luxembourg des ministres des Finances des États de la zone euro. Il a été créé en 1997 par le Conseil européen et sa première réunion s’est tenue en juin 1998. L’Eurogroupe est un organe informel, sans statuts ni existence juridique. Pourtant en deux décennies il est devenu l’un des principaux organes décisionnels en matière de politique économique et monétaire de l’Union européenne. Depuis décembre 2017, c’est le ministre portugais Mario Centeno qui est le président de l’Eurogroupe, succédant au Néerlandais Jeroen Dijsselbloem (2013-2018) et au Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (2005-2013).


Voir tableau sur l’Évolution du taux d’endettement public de la Grèce et Qui détient la dette publique grecque aujourd’hui ? sur le site du CADTM



Notes

[1] Pour en savoir plus sur les mises aux enchères aujourd’hui en Grèce voir cet entretien : Betavatzi Eva et Filippides Filippos, « Les banques et l’État grecs essaient de prendre nos maisons tous les mercredis au tribunal de paix », CADTM, décembre 2016.

Rompre le tabou sur les dettes odieuses et leur répudiation

par Eric Toussaint , Nicolas Vrignaud
Eric Toussaint est docteur en sciences politiques et porte-parole du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes). Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec Zoé Konstantopoùlou et dissoute le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec. Son dernier livre Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, aux éditions Les liens qui libèrent, en 2017, traite de nombreux cas de répudiations de dettes durant l’Histoire. C’est entre autre autour de ce thème que nous l’avons rencontrés.

LVSL –Trouvez-vous que la dette soit un sujet trop peu discuté dans les médias traditionnels ? Si oui, pour quelles raisons selon vous ?

Eric Toussaint – Elle est souvent évoquée mais elle ne l’est jamais dans le sens où le CADTM et moi l’abordons. Le discours des médias dominants et des gouvernements consiste à dire qu’il y a un excès de dette, trop de dépenses publiques des États, et, en conséquence, qu’il faut payer la dette et réduire ces dépenses publiques. Avec le CADTM, nous essayons tout d’abord de nous demander d’où viennent les dettes, est-ce que les buts poursuivis via l’accumulation des dettes étaient légitimes, et est-ce qu’elles ont été contractées de manière légitime et légale ? Voilà l’approche que nous essayons d’avoir et il est certain en effet que celle-ci n’est jamais évoquée dans les médias dominants. Ceux-ci n’y voient pas d’intérêt, et puis cette question est selon eux déconnectée de leur réalité.

LVSL – Vous typologisez justement les dettes selon qu’elles soient illégitimes et peut-être odieuses. Pouvez-vous nous présenter les caractéristiques de ces types de dettes ?

E.T : Il y a eu tout d’abord l’élaboration d’une doctrine sur la dette odieuse par un juriste conservateur russe et professeur de droit à l’Université de Saint-Pétersbourg pendant le régime tsariste (Petrograd à l’époque, était la capitale de l’empire russe), Alexander Nahum Sack. Il a élaboré celle-ci en réaction à la répudiation de la dette à laquelle le pouvoir soviétique a recouru en 1918. Lui n’était pas d’accord, il s’est exilé en France et a alors commencé par recenser tous les litiges en matière de dettes souveraines entre la fin du 18e et les années 1920. Il a étudié les arbitrages internationaux, les jurisprudences, les actes unilatéraux. De tout cela, il a pu construire une doctrine de droit international (http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Alexander_Sack_DETTE_ODIEUSE.pdf) qui s’applique en partie aujourd’hui. Celle-ci établit un principe général qui affirme que même en cas de changement de gouvernement, de régime, il y a continuité des obligations internationales.

Néanmoins, cette doctrine intègre une exception fondamentale, celle de la dette odieuse qui se fonde sur deux critères. Le premier critère est rempli si l’on peut démontrer que les dettes réclamées à un État ont été contractées contre l’intérêt de la population de cet État. Le deuxième critère est rempli si les prêteurs étaient conscients de ce fait ou s’ils ne peuvent pas démontrer qu’ils étaient dans l’impossibilité de savoir que ces dettes étaient contractées contre l’intérêt de la population. Si ces deux critères se trouvent ainsi satisfaits, alors ces dettes contractées par un gouvernement antérieur sont odieuses, le nouveau régime et sa population ne sont pas tenus de les rembourser. Pour le CADTM, cette doctrine doit être actualisée car la notion de ce qui est contraire à l’intérêt d’une population donnée a évolué depuis les années 1920, tout simplement car le droit international a évolué (http://www.cadtm.org/La-dette-odieuse-selon-Alexandre-Sack-et-selon-le-CADTM). C’est surtout le cas après la seconde guerre mondiale, où l’on a construit des instruments juridiques contraignants comme le PIDESC (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/cescr.aspx) ou le PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx), qui permettent de déterminer ce qui est conforme ou contraire à l’intérêt d’une population.

À propos de la dette illégitime, celle-ci peut être définie en termes moins contraignants, il n’y a pas la visée explicite d’aller à l’encontre de la population. Cette dette est qualifiée de « seulement » illégitime du fait qu’elle a été accumulée pour favoriser l’intérêt de minorités privilégiées. Par exemple, c’est le cas quand une dette publique est contractée pour sauver les grands actionnaires de banques, alors que ces banques sont responsables d’un marasme dû à une crise bancaire. Dans ce contexte-là, des dettes accumulées depuis la crise bancaire de 2007-2008 dans des pays tels que la France ou les États-Unis sont des dettes illégitimes. Le CAC (Collectif pour un audit citoyen de la dette publique) a d’ailleurs déterminé par ses travaux que 59 % des montants de la dette réclamée à la France sont illégitimes (cc https://www.audit-citoyen.org/2014/05/27/que-faire-de-la-dette-un-audit-de-la-dette-publique-de-la-france/ et https://static.mediapart.fr/files/note-dette.pdf). Cette masse correspond en partie au sauvetage bancaire mais aussi à toute une série de cadeaux fiscaux dont bénéficient les très grandes entreprises, et qui ne respectent pas les principes de justice fiscale et sociale. Par ailleurs, le renoncement des États de la zone euro à financer la dette étatique auprès de la banque centrale et la mise sur le marché de la dette oblige ces États à payer des taux d’intérêts supérieurs à ceux qu’ils auraient dû payer s’ils pouvaient se financer auprès de la banque centrale. Nous devrions donc déduire le montant de dette accumulée résultant de cette différence de taux.


LVSL – Au sujet de leur répudiation, comment les dettes sont-elles répudiées ? Vous citez, dans votre livre, beaucoup d’exemples de répudiation de dette, dès lors y voyez-vous une continuité dans les contextes politiques qui favorisent ces répudiations ?

E.T : Tout d’abord, de manière générale, il y a un changement de régime ou de gouvernement qui aboutit à une remise en cause de ce qui a été accumulé comme dette jusqu’au moment du changement. Par exemple, en 1837 aux États-Unis, il y a eu une rébellion citoyenne dans quatre États qui aboutit au renversement de leurs gouverneurs, accusés par les populations d’être corrompus, d’avoir passé des accords avec des banquiers pour financer des infrastructures qui n’ont pas été réalisées. Les nouveaux gouverneurs ont répudié des dettes et les banquiers affectés par ses répudiations sont allés jusque devant la justice fédérale des États-Unis. Mais ils y ont été déboutés ! C’est un cas fort intéressant. La répudiation a été la résultante d’une mobilisation citoyenne, d’une dénonciation du comportement de certaines autorités par une population outrée, et qui s’est insurgée contre le paiement des dettes.

Autre exemple, au Mexique, le gouvernement du président Benito Juarez, libéral au sens du 19e siècle, c’est-à-dire pour la séparation de l’État et de l’église, pour l’enseignement public gratuit, laïque et obligatoire, est renversé en 1858 par les Français et les conservateurs locaux. Ceux-ci empruntent aux banquiers français, suisses et mexicains pour financer leur gouvernement illégal. En 1861 quand Benito Juarez revient au pouvoir avec le soutien du peuple, il répudie les dettes contractées par les conservateurs. En janvier 1862, le gouvernement français de Bonaparte déclare la guerre au Mexique sous le prétexte d’obtenir le remboursement de la dette due aux banquiers français. Un corps expéditionnaire français qui a atteint 35 000 soldats impose alors le règne du prince autrichien Maximilien Ier, qui est proclamé empereur du Mexique. Mais Benito Juarez revient au pouvoir, encore une fois, avec l’appui populaire et il décide de répudier les dettes contractées par le régime de Maximilien d’Autriche entre 1862 et 1867. Cela a donné de bons résultats pour le pays. Toutes les grandes puissances ont reconnu le régime de Benito Juarez et ont signé des accords commerciaux avec lui, y compris la France après la chute de Bonaparte en 1870.

Enfin, on peut évoquer la révolution russe où la population était opposée aux dépenses du régime tsariste, et aux guerres que celui-ci menait. Et lorsque les soviets prennent le pouvoir en Octobre 1917, en conséquence de leur prise de pouvoir, un des décrets qui est adopté est d’abord la suspension de paiement, et puis la répudiation de la dette.

Ces exemples témoignent d’actes que l’on peut qualifier d’unilatéraux.

Il peut y avoir également d’autres exemples dans lesquels on retrouve cette-fois-ci une intervention internationale. En 1919, au Costa Rica, il y a un renversement d’un régime anti-démocratique et un retour à un régime démocratique, associé à une décision du congrès costaricain de répudier des dettes contractées par le régime antérieur. Face à la menace d’intervention britannique, le Costa Rica demande alors un arbitrage neutre. Les deux pays s’accordent pour désigner le président de la Cour Suprême des États-Unis comme arbitre, et celle-ci délibère en faveur du Costa Rica ! C’est intéressant au niveau de la jurisprudence, et cela sert de référence à A.N. Sack car celui-ci est un admirateur des États-Unis. Or, le président-juge de la Cour Suprême des États-Unis, William H. Taft, affirme que la dette réclamée au Costa Rica par une banque britannique, la Royal Bank of Canada, est une dette accumulée par le Président Federico Tinoco pour son bénéficie personnel et contre l’intérêt de la population. La banque n’a pas pu démontrer qu’elle ne savait pas que cet argent était emprunté par F. Tinoco en sa seule faveur. Surtout, à aucun moment dans le jugement, W.H. Taft ne se réfère au caractère despotique du régime, et A.N. Sack en ressortira dans sa doctrine que peu importe la nature du régime antérieur, cela n’a pas d’importance, ce qui compte dans l’appréciation de la dette est l’utilisation qui est faite de l’argent emprunté. Et de mon point de vue, cela est fondamental car pendant des années, il y a eu une interprétation erronée de la doctrine de A.N. Sack, qui limitait l’applicabilité de répudiation de la dette odieuse à des régimes dictatoriaux. Pour A.N. Sack, sa doctrine se fonde à propos d’un gouvernement régulier sur un territoire donné, à un régime qui exerce un pouvoir réel, et qu’il soit légitime ou non, là n’est pas la question.

A.N. Sack, même s’il ne parle pas de « peuple » mais de « nation », et c’est toute la différence du contexte historique avec aujourd’hui et l’évolution parallèle du droit, mentionne clairement les intérêts de la population, notamment à partir d’un cas très précis : le traité de Versailles de Juin 1919. Celui-ci dit que les dettes contractées par l’Allemagne pour coloniser la Pologne ne peuvent pas être mises à charge de la Pologne restituée dans son existence en tant qu’État indépendant car justement cette dette a été contractée pour coloniser la Pologne et donc contre l’intérêt du peuple polonais. Dans le même traité il est dit que les dettes contractées par l’Allemagne pour coloniser ses territoires d’Afrique (Namibie, Tanganyika, Cameroun, Togo, Ruanda-Urundi) ne peuvent pas être mises à charge des populations de ces territoires. Là intervient la notion d’intérêt des populations, avec laquelle A.N Sack ne sympathise pas, mais qui a pris du sens à partir de cette période. Effectivement, le Président des États-Unis de l’époque, Woodrow Wilson, publie une déclaration en Janvier 1918 qui proclame le droit des peuples à l’autodétermination (https://www.herodote.net/8_janvier_1918-evenement-19180108.php). Dès lors, une dette accumulée pour coloniser une population donnée remet en cause le droit de ce peuple à l’autodétermination. Cette évolution du droit justifie ma position qui est de dire : reprenons les critères élaborés par A.N. Sack sur la base de la jurisprudence mais tenons compte de l’évolution du droit international.


LVSL – Si l’on regarde alors le cas de la Grèce en 2015, on retrouve un changement de régime avec l’arrivée du pouvoir de Syriza et Alexis Tsipras, et un appui social important. Pourtant au final, celui-ci a déconsidéré et ignoré le travail de la Commission sur la vérité de la dette publique grecque pour laquelle vous avez œuvré. Quels sont les paramètres politiques qui ont empêché ce mouvement propice vers une possible répudiation d’une partie de la dette grecque ?

E.T : Oui, c’est extrêmement important évidemment d’analyser ce cas. Il s’agit tout simplement là de l’incapacité de Tsipras à adopter une stratégie adaptée au contexte réel dans lequel la Grèce se trouvait. Si l’on regarde le programme de Thessalonique présenté en Septembre 2014, sur lequel il a été élu (voir les extraits du programme dans mon article : http://www.cadtm.org/Des-le-debut-Varoufakis-Tsipras), il y avait toute une série d’engagements très importants qui impliquaient notamment une réduction radicale de la dette. Il y avait en effet des mesures qui devaient provoquer des changements radicaux par rapport à l’austérité la plus brutale qui avait été menée, par rapport aux privatisations, et par rapport à la manière dont les banques grecques avaient été sauvées. Lui a entrepris une démarche qui n’était pas du tout cohérente avec le programme et les engagements qu’il avait pris. Sa stratégie fut celle d’une concession très rapide à la Troïka, composée de la BCE, de la Commission et de l’Eurogroupe, ce dernier étant d’ailleurs une instance qui n’a pas de statut juridique, qui n’existe pas dans les traités. Mais c’est bien dans ce dernier que le gouvernement Tsipras a accepté d’être enfermé. Varoufakis allait négocier et signer des accords avec l’Eurogroupe, présidé alors par Jeroen Dijsselbloem. Selon moi, c’est cette stratégie qui a amené à une première capitulation le 20 Février 2015, quasiment d’entrée. Le fait d’accepter de prolonger le mémorandum de quatre mois, de respecter le calendrier de paiements, et de s’engager à soumettre des propositions d’approfondissement des réformes à l’Eurogroupe, c’est poursuivre dans la servitude (voir http://www.cadtm.org/La-premiere-capitulation-de). Beaucoup ont interprété cela comme l’adoption d’une attitude intelligente, tactique de la part de Tsipras. En réalité les termes de l’accord du 20 février 2015 constituaient un renoncement. Cela l’a définitivement emmuré. Or il aurait dû revenir en arrière en admettant devant son peuple et devant l’opinion internationale qu’il avait été naïf en acceptant les termes du 20 Février. Face au refus de la Troïka de respecter les vœux émis par le peuple grec, il aurait dû déclarer qu’en faisant des concessions, il avait cru à tort que l’Eurogroupe allait également en faire. Dès lors, il aurait pu conclure sur la nécessité de changer d’approche. Mais il ne l’a pas fait alors qu’il avait la légitimité pour le faire et nous l’avons ensuite vu lors du référendum qu’il a gagné. Mais même après celui-ci, il n’a pas appliqué la volonté populaire alors qu’il s’était engagé à l’inverse ! C’est donc Tsipras lui-même qui a empêché que l’on aille, entre autres, vers une répudiation de la dette.


LVSL – Peut-il aujourd’hui advenir une situation similaire avec l’Italie ? N’y a-t-il pas une volonté de la part des institutions européennes d’être beaucoup plus fermes avec des gouvernements de gauche, progressistes, plutôt qu’avec d’autres ?

E.T : Alors, avec l’Italie, nous sommes à un stade où l’on a l’impression, basée sur des éléments réels, que le gouvernement Salvini, pour lequel je n’ai aucune sympathie évidemment, est un peu plus ferme que le gouvernement de Tsipras face aux diktats des dirigeants de Bruxelles. C’est néanmoins à relativiser car, pendant la campagne, Salvini demandait un mandat au peuple italien pour une sortie de l’euro et dès qu’il a participé à la conception du gouvernement avec Di Maio, il a accepté le cadre et le carcan de l’euro. Là où le gouvernement italien à l’air de rester ferme, c’est sur le refus de la stricte discipline budgétaire. Mais attendons la suite, car le plus important reste à venir. Si l’affrontement se poursuit et se durcit, quelle attitude le gouvernement italien va-t-il adopter au bout du compte ? Nul ne le sait. Il est en tout cas des plus regrettables de constater que c’est un gouvernement en partie d’extrême droite qui désobéit à l’UE avec l’argument du refus de l’austérité à tout prix, alors que cette posture devrait être celle adoptée par un gouvernement démocratique et progressiste. Il est très dommage de voir le gouvernement polonais désobéir à l’austérité, le gouvernement hongrois désobéir sur d’autres aspects, et de voir d’autres gouvernements rester dociles par rapport aux politiques injustes dictées par les dirigeants de Bruxelles. Par exemple en Espagne, le gouvernement Pedro Sanchez a déposé un budget conforme aux règles édictées depuis Bruxelles.

D’un autre côté, il est absolument certain qu’il y a une volonté des institutions européennes d’être plus dures avec des gouvernements de gauche démocratique et progressistes qu’avec d’autres. Mais en même temps chez les premiers et notamment dans le cas de la Grèce, il n’y a pas eu de désobéissance. Ce qui est extraordinaire quand même et ce sur quoi il faut absolument insister dans le cas de Tsipras, c’est que quelques jours après son élection en Janvier 2015 et la constitution de son gouvernement, alors qu’il n’avait encore pris aucune mesure, le 4 Février, la BCE a coupé les liquidités normales aux banques (http://www.cadtm.org/Des-le-debut-Varoufakis-Tsipras et http://www.cadtm.org/Varoufakis-Tsipras-vers-l-accord). C’était une déclaration de guerre. D’un autre côté, des gouvernements de droite et d’extrême droite désobéissent, mais où sont les mesures fortes de l’UE contre eux ? On ne les a pas encore vues.


LVSL – Justement, mettons-nous en situation à la manière de l’article récent de Renaud Lambert et Sylvain Leder dans le Monde diplomatique « Face aux marchés, le scénario d’un bras de fer ». Prenons le cas d’un pays comme la France qui voit l’élection d’un gouvernement de gauche progressiste et résolument déterminé à rompre avec le néolibéralisme. Le gouvernement annonce rapidement un moratoire sur la dette pour envisager la répudiation de sa partie illégitime. Comment dès lors éviter la panique financière et les dommages collatéraux économiques et sociaux qui s’en suivraient ?

E.T : Je ne dirais pas qu’il s’agirait d’éviter la panique bancaire mais : comment la gérer ? Celle-ci sera là quoi qu’il arrive et il faut s’y préparer. Pour la limiter, j’avance un instrument qui n’est pas évoqué dans l’article du monde diplomatique et j’ai d’ailleurs eu un échange avec Renaud Lambert à ce propos qui ne l’avait pas en vue. La Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre du Quantitative easing (QE) -voir encadré- a acheté pour un peu plus de 400 milliards de titres français à des banques privées. Elle a cela dans son bilan (Site officiel de la BCE, Breakdown of debt securities under the PSPP, https://www.ecb.europa.eu/mopo/implement/omt/html/index.en.html , consulté le 3 novembre 2018). Elle les a achetés aux banques privées, mais c’est le trésor français qui paie les intérêts à la BCE, et le capital à l’échéance des titres. Or, si la BCE fait mine à l’égard d’un gouvernement de gauche en France d’adopter une mesure comme elle l’a prise par rapport au gouvernement Tsipras, le gouvernement français peut décider de ne pas rembourser, face à la volonté de la BCE de l’empêcher d’accomplir son mandat démocratique. C’est un argument d’une puissance considérable qui inverse le rapport de force que la BCE pensait dominer. Je suis étonné qu’aucun des économistes consultés par Le Monde diplomatique n’y ait pensé. Le Quantitative easing n’est pas suffisamment analysé par les économistes en général, y compris les hétérodoxes de gauche, qui ne voient pas cette arme qui est mise aux mains des États à partir du moment où ceux-ci décident de désobéir. La Troïka serait dans une situation terrible.

Quantitative Easing ou politique d’assouplissement monétaire : il s’agit de la politique appliquée par la BCE à partir de 2015 dans la foulée de celle menée par la Réserve fédérale des États-Unis entre 2008 et 2014. La BCE rachète massivement des titres de la dette privée et publique aux banques de la zone euro ainsi qu’à de grandes entreprises. En faisant cela, elle vient en aide aux banques et aux autres grandes entreprises privées en les gavant de liquidités que celles-ci utilisent pour spéculer en agrandissant les risques de nouvelles crises. La relance économique n’est pas au rendez-vous. En principe, la BCE doit mettre fin à ce programme de rachat à partir de la fin 2018 mais en réalité elle a décidé de maintenir constant le stock d’environ 2200 milliards d’euros de titres souverains qu’elle a acheté aux banques privées entre 2015 et fin 2018. Cela signifie que quand des titres souverains arriveront à échéance elle rachètera des titres pour un montant équivalent et elle continuera à injecter des liquidités aux banques à laquelle elles rachètera les titres souverains. De plus, elle se servira du QE pour faire du chantage à l’égard des gouvernements qui ne mèneraient pas une politique d’austérité et de réformes néolibérales suffisamment dure. En effet à l’échéance de titres français, elle pourrait décider de racheter des titres allemands ou hollandais plutôt que des titres français.

Par ailleurs, je partage avec les auteurs de ce très intéressant article du Diplo la stratégie qui consiste également à vouloir diviser les créanciers. Par exemple, pour revenir encore sur le cas grec, Tsipras aurait pu dans un premier temps se concentrer sur le FMI. En effet, les six milliards qu’il fallait rembourser avant le 30 Juin 2015 concernaient seulement le FMI. Le gouvernement grec aurait dû cibler frontalement le FMI.

Aussi, lorsqu’on parle de panique sur les marchés et de menace de dégradation de la note de la France, si celle-ci affirme vouloir se financer autre part que sur les marchés, qu’importe alors la note que les agences lui attribueront. Il faut mettre en œuvre une politique alternative de financement en réalisant un emprunt légitime. Le gouvernement devrait imposer aux entreprises les plus importantes d’acquérir un montant donné de titres de la dette française à un taux d’intérêt fixé par les autorités publiques et pas par les « marchés ». Cela renvoie à ce que l’on appelait le circuit du trésor qui a fonctionné entre la deuxième guerre mondiale et les années 1970. Pour cela, il faut vraiment lire la thèse, éditée en livre, de Benjamin Lemoine et intitulée L’ordre de la dette https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_ordre_de_la_dette-9782707185501.html. Cet ouvrage dit tout sur ce circuit du trésor qui a été oublié dans la mémoire.


LVSL – Comment expliquez-vous que lorsqu’on traite l’histoire des faits économiques, notamment à l’Université, la question de la dette ne soit jamais ou très peu traitée ?

Oui c’est un impensé car tout simplement c’est un tabou. C’est vraiment impressionnant alors qu’il n’y a pas que des auteurs hétérodoxes qui écrivent là-dessus. Par exemple, il y a des personnes comme Kenneth Rogoff, qui a été économiste en chef au FMI, et Carmen M. Reinhart, qui fournit des papiers pour le NBER (National Bureau of Economic Research), qui ont co-écrit un livre dont le nom était « Cette fois, c’est différent : Huit siècles de folie financière » dans lequel ils évoquent profondément la question de ces dettes souveraines. La littérature sur la dette par des économistes classiques ou néo-classiques est très importante mais elle est très peu enseignée dans les universités effectivement. Elle commence cependant à l’être au niveau du droit dans les universités américaines, notamment par des pointures telles que Mitu Gulati, Professeur à l’Université de Duke, ou Odette Lienau, Professeure associée de droit à l’Université Cornell et qui a produit une thèse intitulée : « Repenser la question des dettes souveraines ». C’est dans les Universités européennes que ce sujet socioéconomique et juridique vital est absent. Mais à mesure que la dette publique va prendre de nouveau une place centrale, les dinosaures et autres conservateurs dans les universités ne pourront plus éviter le débat sur des sujets comme la dette odieuse, la suspension de paiement et sur la répudiation.

Source http://www.cadtm.org/Rompre-le-tabou-sur-les-dettes-odieuses-et-leur-repudiation?fbclid=IwAR1nwUTvwWmNau_734bvgeF8omdMEgnuzTNympHNiPvpS-B5VF3nv9pXxlw#.W_6K5bAmEFw.facebook

Tsipras dans le champ de mines de la crise prolongée

Publié par Alencontre le 18/10/18 Par Antonis Ntavanellos

Dans des conditions normales, les semaines en cours devraient être un temps politique marqué par le triomphe pour le gouvernement Tsipras – qui prétend avoir conduit le pays vers «la sortie des mémorandums»  – et, pour le parti SYRIZA, une étape de reconstruction et de contre-offensive politique visant la récupération de son influence sociale et électorale.

Mais ce qui se passe, c’est que ce gouvernement semble perdre le contrôle politique des questions importantes, l’une après l’autre, alors qu’au sein de SYRIZA règne un état de mort-vivant en tant qu’organisme politique. Et cela s’aggrave. Les polémiques désormais publiques devenant de plus en plus aiguës, une situation qui incite à réfléchir sur le «lendemain» et sur la question du rapport de force à l’intérieur du parti, suite à la lourde défaite politique et électorale qui se profile

Cela se passe ainsi parce que, justement, les conditions en Grèce ne sont guère normales. En dépit des affirmations de Tsipras, le capitalisme grec est toujours plongé dans la crise et les références publiques à un scénario argentin» [1] sont le meilleur révélateur des pensées et sentiments intimes des personnalités de l’establishment grec.

Une autre raison pour laquelle cela se passe ainsi c’est parce que, selon l’expression grecque, le mensonge a toujours les pattes courtes. Les déclarations de Tsipras à la Foire Internationale de Thessalonique (septembre 2018) étaient totalement mensongères: l’engagement ferme du gouvernement grec sur le caractère pérenne et non modifiable de toutes les lois et dispositifs découlant des mémorandums et l’acceptation d’une «surveillance renforcée» par les instances représentant les créanciers jusqu’en 2060, conformément à l’esprit et la lettre des mémorandums, ne peuvent en aucun cas être présentées de manière crédible comme «une sortie des mémorandums» la surveillance de la Grèce, quasi quotidienne, est maintenue.

Cette dure réalité se manifeste tous les jours et à chaque moment politique, annulant les effets de la politique de communication du gouvernement, faisant émerger de nouveaux fronts de conflits et conduisant le gouvernement et le parti SYRIZA vers une situation politique désespérée.

Que se passe-t-il avec les banques grecques?

Au moment où Tsipras assurait que «l’économie se portait bien», le 3 octobre s’est révélé être un «mercredi noir» pour les 4 banques dites systémiques [2] et la Bourse d’Athènes. La chute incontrôlée du cours de leurs actions, continuant pendant les jours qui ont suivi, a entraîné une chute de leur capitalisation boursière qui se situe actuellement à moins de 5 milliards d’euros, contre 26,9 milliards d’euros en 2013 et 11,6 milliards d’euros fin 2015.

Cet effondrement ne peut être interprété par des facteurs conjoncturels (par exemple, les conséquences du «conflit» italien avec l’UE portant sur le déficit budgétaire).

Il est notoire qu’une grande partie des prêts accordés par les banques – estimés à plus de 88 milliards d’euros – sont désormais classés dans la catégorie «rouge ou la catégorie de «non performants».

Le «mercredi noir» a été précédé par la publication d’estimations selon lesquelles les tests de résistance étaient trop « souples » par rapport à la situation réelle des banques grecques, trop « favorables » pour le gouvernement Tsipras. Cet effondrement a été également précédé par la publication des estimations que les banques grecques ne parviennent pas à réduire les «Non performing exposures» (NPE) [3] au rythme et dans les délais fixés dans l’accord avec la Troïka (qui veut un pourcentage à un seul chiffre de prêts créance douteur d’ici fin 2021, estimés actuellement à 50% des actifs). Ces résultats ont déclenché la chute des actions.

Pour faire face à cela, le gouvernement propose la mise en place d’un Fonds commun de créances (Special Purpose Vehicle – SPV) [4], voire de plusieurs FCC/SPV spécialisés par domaines d’activité, pour débarrasser les banques des créances douteuses, dites «rouges», un plan qui paraît d’emblée boiteux pour plusieurs raisons:

 La mise place de tels Fonds communs de créances (SPV) a été conçue pour contourner la restriction de «l’intervention de l’Etat » imposées par la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne (DG COMP). Ces montages doivent donc inclure des «investisseurs privés». L’invitation faite aux fonds spéculatifs internationaux à acheter des «emprunts rouges» grecs (dans le but de les revendre ensuite avec des profits) pour trouver du répondant dans les conditions actuelles nécessite des garanties et des financements publics. Ces garanties ne peuvent être assurées qu’en puisant dans le «coussin amortisseur» [5] mis en place par l’accord entre Tsipras et l’Eurogroupe, sauf que le but de l’existence de ce «coussin» serait de garantir le remboursement des futures dettes de la Grèce.

 L’utilisation de la totalité ou d’une partie importante de ce «coussin amortisseur» (estimée à plus de 10 milliards d’euros) pour sauver les banques, fera émerger un nouveau «piège de la dette» lorsqu’il faudra payer les versements échelonnés à partir de 2020. Et cela signifierait une obligation réelle pour le capitalisme grec de contracter des emprunts «sur les marchés». Au moment de la rédaction de ces lignes, le taux d’intérêt de l’obligation grecque à 10 ans a atteint un taux prohibitif de 4,65% (avec une pointe à 4,667% le mercredi 10 octobre 2018; taux des obligations à 10 ans de l’Etat allemand, la référence européenne, se situaient à 0,464%). Ces estimations appuient le scénario de la faillite, le scénario dit «de l’Argentine», au moment culminant d’une longue période de contre-réformes néolibérales et d’austérité violente pour les travailleurs et les classes populaires en Grèce.

3° Cette voie aura également des conséquences politiques sérieuses. Cela signifie que les ventes aux enchères de logements des ménages populaires vont se multiplier de façon spectaculaire pour soulager les banques des prêts hypothécaires «rouges» (les «créances douteuses hypothécaires qui constituent une part importante de l’actif vacillant des banques). Il s’agit aussi de convaincre les fonds spéculatifs internationaux que leur implication dans ce pillage ne va pas devoir s’affronter à la résistance populaire organisée. Voilà pourquoi Tsipras et ses amis dans le gouvernement, de manière éhontée, n’ont pas hésité à franchir le pas d’engager des poursuites pénales contre Panayiotis Lafazanis dans le but de porter un coup, non seulement à Unité Populaire (LaE), mais à l’ensemble des forces militantes qui résistent à leur politique [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 15 octobre 2018]

En réalité, il s’agit d’un transfert colossal des titres de propriété de biens immobiliers urbains, transfert des propriétaires vers les banques et de ces dernières vers les professionnels de la spéculation. Le fait que bon nombre de ces biens soient les uniques logements de foyers populaires (la «résidence principale et unique) ne diminue en rien l’avidité de ceux du haut de la pyramide des richesses et du pouvoir. De surcroît, le fait que la Banque du Pirée [6] – qui avait les années précédentes «phagocyté» la Banque Agricole [7] – se retrouve, elle aussi, dans l’œil du cyclone de la crise bancaire indique que la prochaine étape du pillage sera celle des terres agricoles.

Une crise au sein du tissu des entreprises grecques

Peu à peu, Tsipras et ses amis découvriront encore d’autres formes de complications politiques. Il est bien connu qu’une grande partie des prêts non performants sont des prêts bancaires aux grandes, petites et moyennes entreprises. La vente de ces prêts sur le «marché» est associée à l’éventualité de changement de propriété dans de nombreuses entreprises, modifiant ainsi radicalement la carte du «monde des affaires» dans le pays. Une telle opération ne pourra en aucun cas avoir lieu pacifiquement, sur la base des prétendues règles du marché. Elle sera associée à des conflits, des coups bas, des changements violents dans les rapports politiques à l’intérieur de la classe capitaliste, etc. La lune de miel du gouvernement avec les grandes familles du capital grec et les groupes d’entreprises peut rapidement se transformer en un paysage fait de sables mouvants.

Ce tableau d’impasse ne se limite pas au secteur bancaire. La publication des données financières de la Compagnie Publique d’Électricité (DEI/DEH) [8] démontre que le démantèlement néolibéral que SYRIZA a accepté en signant le 3e mémorandum a littéralement amené la Compagnie publique d’électricité à la limite de sa survie. Il faut souligner que DEI n’est pas un quelconque «véhicule boursier», comme, par exemple, l’était l’entreprise Folli-Follie [9]. En vendant continuellement au privé des parts de DEI (DEH), en favorisant l’entrée de «fournisseurs» privés dans tous les domaines de son activité, en garantissant des accords de financement scandaleux pour les grandes entreprises et leur octroyant de l’électricité à très bon marché, le gouvernement Tsipras risque de devenir un gouvernement qui, au XXIe siècle, ne pourrait plus garantir la fourniture publique d’électricité dans son pays.

Qu’aurait-il au bout de cette route? Quelle serait la perspective de la politique communément acceptée par les créanciers et Tsipras lors de l’Eurogroupe de juin dernier? Alekos Papadopoulos, ex-ministre des Finances des gouvernements du PASOK et social-libéral convaincu, en analysant les données budgétaires présentées au Parlement grec, a conclu en juillet 2018 que la Grèce chemine vers une deuxième faillite et à un second appel à la «protection»  du FMI, aux conséquences encore plus douloureuses que celles du premier «mémorandum» en 2010. Alekos Papadopoulos titre son article: «Le pays glisse sur la voie de l’Argentine».

Le conflit politique

Il a toujours été constaté que ceux qui appliquent dans le domaine de l’économie des politiques néolibérales réactionnaires, inexorablement dérivent vers des politiques également réactionnaires et liberticides dans le domaine des droits civiques et des rapports sociaux.

Le rejet par le peuple de la République de Macédoine (quels que soient les motifs et «l’argumentation» de l’abstention lors du récent référendum) [10] de l’accord de Prespa [région «partagée» entre l’Albanie, la Grèce, la République de Macédoine] est un camouflet pour la démagogie de Tsipras. Il dénude tous ses soi-disant arguments «internationalistes» et pacifistes et le laisse à découvert face à des accusations politiques réellement graves: avec ses homologues du gouvernement Zaev [11]. Ils ont sans hésitation privilégié le plan d’expansion de l’OTAN dans les Balkans occidentaux, en négligeant complètement les sensibilités nationales des peuples de la région et leur droit à l’autodétermination. Il est aujourd’hui bien établi que cette politique ne peut être poursuivie qu’avec des méthodes autoritaires profondément antidémocratiques.

Il en est de même pour la question brûlante des réfugié·e·s. La situation à Moria [un camp de rétentions de migrant·e·s, le plus important et le plus surpeuplé, se trouvant sur l’île de Lesbos] et dans d’autres camps de concentration de réfugié·e·s est une grave insulte à l’histoire de la Gauche de ce pays, une provocation aux sentiments de toute personne démocrate.

Le fait que les actes et omissions de SYRIZA permettent au parti de Nouvelle démocratie de Kyriakos Mitsotakis de demander une enquête sur l’utilisation des fonds européens destinés aux aides spécifiques pour les réfugié·e·s constitue, de surcroît, un vrai forfait politique.

A l’intérieur de ce paysage, apparaît une convergence fondamentale entre Alexis Tsipras et Kyriakos Mitsotakis. Tous deux conviennent que dans les mois à venir, la priorité sera donnée au renforcement de «l’esprit d’entreprise», et cela toujours au nom de la «croissance». Tous deux conviennent de réduire l’impôt sur les bénéfices des entreprises et les cotisations des employeurs, et d’apporter des modifications au droit du travail encore plus favorables au capital.

Kyriakos Mitsotakis est cyniquement honnête: il promet de mettre en œuvre cette politique par un «assaut» politique néolibéral massif [12] dans le but de transformer la défaite de SYRIZA en une défaite stratégique des idées et des politiques auxquelles se référaient et se réfèrent pour une partie de ce qui en reste le mouvement ouvrier et la Gauche. Il ne cache pas sa conviction en faveur du «modèle» de Margaret Thatcher.

Alexis Tsipras affirme qu’il soutiendra ces mêmes politiques, mais avec un certain «visage humain». D’après l’expérience des années 2015-2018, nous savons qu’il ment de manière indigne. Mentionnons une note de bas de page: les uniques avantages concrets et substantiels (en termes de salaire et de budget) que Tsipras a annoncés à la Foire Internationale de Thessalonique concernent les juges, les officiers de police et le personnel militaire. Cela signifie que la direction de SYRIZA sait que la continuité de sa politique s’appuiera de plus en plus sur ces secteurs spécifiques, sur le noyau dur de l’État et les mécanismes de répression.

La Gauche anticapitaliste radicale n’a plus le luxe du temps. Le dilemme répugnant «Tsipras ou Mitsotakis» s’approche rapidement. Nous serons sommés de présenter nos possibles réponses dans quelques mois. La question concerne essentiellement l’Unité Populaire (LaE), ainsi que les autres forces de la Gauche radicale exclues de SYRIZA lors l’été 2015 et ANTARSYA. Toute analyse, toute ligne politique évitant les responsabilités politiques résultant de ce constat, indépendamment des intentions et des arguments, risquent d’être entendue comme une incompréhension de la lutte politique frontale, avec toutes les conséquences pour le monde du travail et les forces de la Gauche radicale qui seront sur le champ de bataille le lendemain de l’affrontement électoral. (Traduction du grec par Manolis Kosadinos de l’article paru dans la publication bimensuelle de DEA, Ergatiki Aristera)

Notes du traducteur

[1] «Scénario argentin»: référence est faite, ici, comme ailleurs dans le texte, à la crise économique qui a culminé en Argentine en 2001-2002 et qui risque aujourd’hui de se répéter. La crise en Argentine fut le résultat de l’application de plusieurs années de politiques néolibérales et d’ancrage du peso au dollar (sous Carlos Menem et son ministre des Finances Domingo Cavallo) et de l’intervention du FMI.

La phase qui s’ouvre depuis deux mois suite à la dévaluation du peso et à l’accord passé avec le FMI, pur un montant de 57 milliards de dollars, non seulement abouti à des atteintes graves contre contres revenus des salarié·e·s avec un taux d’inflation qui atteint déjà 32,6% depuis le début de l’année.

En Grèce, sous la gouvernance de SYRIZA-ANEL (Grecs indépendants) qui prolonge et amplifie les politiques des précédents gouvernements de droite et sociaux-libéraux, la dérégulation du travail, les privatisations massives, la casse des politiques sociales et l’austérité conduisent la société et l’économie vers l’impasse et risqueraient de produire une nouvelle crise majeure. Cette estimation n’est pas seulement celle de la Gauche Radicale, mais elle est également partagée par certains porte-parole de l’establishment politique.

[2] Les quatre banques dites systémiques, dont la faillite aurait des effets dominos, sont: Banque de Grèce (BG), Alpha, Eurobank et la Banque du Pirée

[3] Expositions non performantes (Non- performing exposures, NPE): terme utilisé pour désigner collectivement les actifs saisis à la suite du défaut du débiteur, ainsi que les prêts «performant » dont le risque de devenir non performants (au-delà de l’échéance de 90 jours) est élevé, notamment les prêts sous surveillance et les prêts restructurés performants.

[4] Fonds commun de créances : un fonds commun de créances qui permet la titrisation de créances bancaires, autrement dit la transformation de créances en titres, matérialisée par des parts du FCC. Il aussi connu, dans le langage financier anglo-saxon, sous le nom de Special purpose vehicle (SPV) ou Special purpose entities (SPE) qui sont des entités légales créées par une autre entité le «Sponsor» qui transfère un ou plusieurs actifs dans le SPV.

[5] Parmi les clauses de l’accord de juin 2018 entre l’Eurogroupe et le gouvernement grec, il y a l’autorisation octroyée à la Grèce de mettre de côté des fonds à hauteur de 24,1 milliards d’euros, somme appelée familièrement «coussin amortisseur», qui permet de disposer à tout moment de liquidités pour subvenir aux besoins de remboursement de dettes, présentes et futures. Selon l’accord, cette somme n’est pas censée être utilisée dans un autre but.

[6] Banque du Pirée (Trapeza Piraeos): une des 4 banques grecques dites systématiques. La Banque du Pirée a été privatisée en 1991, passant sous propriété du grand capital grec. Depuis cette banque ne cesse de croître en achetant plusieurs autres banques, tant en Grèce qu’à l’étranger. Son acquisition des succursales grecques de la Banque de Chypre en 2013, garantie et encouragée par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a donné lieu à des soupçons de corruption et à une controverse juridique. Des hauts responsables ont été convoqués par la justice de Chypre. En 2012, la banque a fait l’acquisition de la Banque Agricole (Agrotiki Trapeza). Comme les autres banques grecques systémiques, elle a été recapitalisée par des fonds publics, puis une grande partie de ses actifs a été cédée à prix dérisoire à des fonds spéculatifs étrangers. La Banque du Pirée détient aujourd’hui 30% des prêts bancaires en Grèce.

[7] Banque Agricole (Agrotiki Trapeza – ATEbank): initialement banque publique, fondée en 1929 dans le but de soutenir le développement agricole en Grèce, sous toutes ses formes. Elle a accédé au statut de Société Anonyme (SA) en 1991, introduite en Bourse en l’an 2000. Lors de la restructuration de la dette publique grecque en 2012 (PSI-Private sector involvement), la banque a souffert la dévalorisation massive de ses actifs, ce qui a inexorablement conduit à sa faillite. Elle a été acquise alors par la Banque du Pirée pour intégrer le groupe dirigé par celle-ci et ensuite fusionner. La Banque Agricole détenait au moment de sa fusion des dettes d’environ 21’500 paysans grecs.

[8] Compagnie Publique grecque d’Électricité (DEI/DEH): créée en août 1950 DEI (DEH), compagnie issue de la nationalisation de la production et distribution d’électricité, avait la prérogative exclusive de la construction, de l’exploitation de centrales hydroélectriques et thermiques, de l’utilisation (préférentielle) de combustibles nationaux et de l’obligation de construire un réseau national de transport et de distribution d’électricité, ainsi que du monopole de la distribution et vente de l’électricité produite. Depuis fin 2000 DEI (DEH) est une Société Anonyme (SA), cotée sur les Bourses d’Athènes et de Londres. Aujourd’hui la transmission de la haute tension et de l’ultra haute tension incombe à ADMIE/ADMHE (un holding, opérateur indépendant de transport d’électricité), avec une participation de l’Etat à hauteur de 51%. Le transport et la distribution de la moyenne tension incombent à DEDDIE/DEDDHE (Opérateur du réseau de distribution d’électricité), détenu à 100% par DEI (DEH), mais fonctionnant de manière autonome. Aujourd’hui la compagnie ne possède plus l’ensemble du réseau national de transport et de distribution, d’une longueur totale d’environ 208’000 km. Le dépeçage et la privatisation larvée de la Compagnie d’Électricité correspondent aux directives de l’UE «sur la libre concurrence et l’abolition des marchés monopolistiques». Les gouvernements fidèles aux mémorandums, notamment le dernier de SYRIZA-ANEL, ont accéléré le processus de privatisation de la compagnie avec pour résultats l’augmentation des factures et la baisse de la qualité des services. Le processus de privatisation était censé s’achever octobre 2018.

[9] Folli-Follie: société internationale basée en Grèce – dont l’actionnaire principal (35.1%) est le milliardaire Dimitris Koutsolioutsos – qui fabrique et distribue des bijoux de luxe, des montres et des accessoires de mode. Cotée à la Bourse d’Athènes depuis 1997, elle est active dans 25 pays et dispose de 380 points de vente. En mai 2018, il a été découvert que la société gonflait son chiffre d’affaires, notamment par le biais de ses succursales en Chine et en Asie. Cette révélation a conduit à l’effondrement du cours de son action en bourse et à l’enregistrement d’incidents de paiement (rejet d’un ordre de paiement par une banque suite à un défaut d’approvisionnement).

[10] Référendum en République de Macédoine : un référendum a eu lieu le 30 septembre 2018 en République de Macédoine, ou Ancienne république yougoslave de Macédoine. La population était amenée à se prononcer sur l’accord conclu avec la Grèce, entraînant notamment un changement du nom du pays en Macédoine du Nord. Plus de 90 % des votants se prononcent favorablement. Néanmoins, sur un peu plus de 1,8 million d’inscrits, un peu moins de 667’000 se sont déplacés, soit un peu plus de 36% de participation, bien en deçà du quorum de 50%. Le résultat est ainsi constitutionnellement invalide faute d’une participation suffisante.

/Le Parlement de Macédoine a voté vendredi le lancement du processus en vue de changer le nom du pays en «République de Macédoine du nord»,/

[11] Zoran Zaev: président du gouvernement de Macédoine, en fonction depuis le 31 mai 2017, issu du parti social-démocrate. Il a soutenu le «oui au référendum.

[12] Voir le Blitzkrieg annoncé par François Fillon en 2017.

Source http://alencontre.org/europe/grece/grece-tsipras-dans-le-champ-de-mines-de-la-crise-prolongee.html#more-52396

L’épouvantail de la dette

Par Pierre Khalfa Coprésident de la Fondation Copernic, membre du Conseil scientifique d’Attac

La question de la dette publique semble revenir dans l’actualité en France avec l’intervention d’économistes orthodoxes comme C. Wyplotz dans Les Échos ou J. Pisani-Ferry dans Le Monde. Tous s’inquiètent du niveau de la dette publique française : « 100 % du PIB, c’est dangereux ». Ils reconnaissent pourtant à juste titre que le risque est faible. Alors, où est le problème ?

Le président Macron poursuit son offensive contre les droits sociaux. Après le Code du travail et la formation professionnelle, c’est le tour de l’assurance chômage et bientôt des retraites de faire les frais de l’ajustement structurel néolibéral. Cela, au nom de la réduction des dépenses publiques et sociales, avec un leitmotiv sur le niveau trop élevé de la dette publique. Ce dernier est un marronnier au sein de la profession des économistes orthodoxes[1].

Tous s’inquiètent du niveau de la dette publique française : 100 % du PIB, c’est dangereux. Ils reconnaissent pourtant à juste titre que le risque est faible, car l’État français emprunte sur dix ans à un taux nettement inférieur à 1 %, un taux bien en dessous de celui de l’inflation. Bref, la France s’enrichit en empruntant et la remontée des taux par la BCE, même si elle était brutale, ce qui est peu probable, ne changerait pas grand-chose à la situation actuelle parce que l’augmentation de la charge annuelle des intérêts ne sera que très progressive.

Alors où est le problème ? Une raison principale est avancée pour justifier l’inquiétude répandue dans l’opinion publique. Nous nous endetterions pour consommer et non pas pour investir. Dette serait donc synonyme de gabegie et de mauvaise gestion. Il n’est que trop facile d’ironiser sur cette supposée frénésie de consommation, qui fait fi des millions de nos concitoyen.nes qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, soumis au chômage, à la précarité, à des salaires de misère ou aux petites retraites. Mais surtout, il faut se demander ce qui permet à nos économistes d’être si catégoriques. Ces économistes devraient savoir qu’une partie des dépenses de fonctionnement correspondent en réalité à un investissement pour l’avenir, c’est le cas en particulier des dépenses d’éducation. De plus, on doit s’interroger sur l’indicateur retenu par les contempteurs de la dette : la dette au sens de Maastricht, une « dette brute », qui ne permet pas de réellement comprendre la situation financière réelle du pays. Les différentes administrations publiques possèdent en effet des actifs, physiques et financiers,  qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de la dette brute, l’indicateur de référence dans la vision maastrichtienne de la dette. Or, contrairement à ce que dit la doxa néolibérale, nous ne laissons pas à nos enfants une dette : selon la comptabilité nationale, les actifs des administrations publiques sont de 3 200 milliards d’euros, soit presque une fois et demie le montant de leur dette. Que laissons-nous donc en héritage ? Un patrimoine précieux : des hôpitaux pour être soignés, des crèches, des maternelles, des lycées et des universités pour se former, des bibliothèques et des musées pour se cultiver, des rails pour circuler s’ils sont entretenus !

La seconde raison de l’inquiétude de nos économistes est que la trajectoire de la dette serait « répétitive et malsaine ». Elle augmente lors des périodes de récession. Ces économistes, prévoyant réalistement un nouveau choc économique ou financier, proposent de réduire aujourd’hui la dette afin de retrouver des marges de manœuvre, demain. Il ne s’agit donc pas d’agir en amont pour prévenir ces chocs en mettant la finance sous contrôle et en menant une politique macroéconomique adaptée, mais d’attendre qu’ils aient lieu et d’utiliser alors l’arme du déficit public pour les amortir. Le fait que les politiques d’austérité menées conjointement en Europe ont abouti à une récession généralisée et ont été une des causes de l’accroissement des déficits publics n’est même pas évoqué. La crise financière et la récession sont considérées comme inévitables.

Au-delà des raisons peu convaincantes de l’inquiétude sur la dette publique, deux questions pourtant décisives sont ignorées. Tout d’abord, un déficit est la marque d’un décalage entre les dépenses et les recettes, ce qui pose la question de la fiscalité. Deux rapports datant de 2010 disent tout du problème. Le rapport Champsaur-Cotis au président de la République indique qu’« en l’absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui ». Celui de Gille Carrez, député de droite et à l’époque rapporteur du budget, pointe que, si la fiscalité était restée au niveau de l’an 2000, la France aurait été en excédent budgétaire en 2006, 2007 et 2008 et le déficit public n’aurait été que de 3,3 % au lieu de 7,5 % en 2009, année de la plus forte récession depuis la seconde guerre mondiale. Ceux qui ont conçu le programme économique d’Emmanuel Macron sont silencieux sur les cadeaux fiscaux, se comptant par dizaines de milliards d’euros, dont viennent de bénéficier les ménages les plus riches et les employeurs : baisse d’imposition sur les revenus du capital (flat tax), suppression de l’ISF, transformation du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de cotisations pour les employeurs (40 milliards au total pour l’année 2019), sans parler de l’évasion fiscale d’un montant égal au déficit de l’État.

Enfin, on ne nous dit rien de l’obligation faite aux États de n’emprunter que sur les marchés financiers internationaux. Car, l’existence d’un marché de la dette publique est le résultat d’un choix politique qui vise à faire de l’État un emprunteur comme un autre, avec l’objectif de le mettre sous la pression des marchés financiers et ainsi de le discipliner. C’est ce que matérialise l’interdiction faite par les traités européens aux banques centrales, la BCE en tête, de prêter directement aux Etats C’est pourquoi, pour pouvoir emprunter à des taux raisonnables sur le marché, l’État doit aujourd’hui se plier aux désirs des investisseurs. La dette publique devient ainsi un élément fondamental de la domination des marchés.

On le voit, résoudre le problème de la dette publique suppose de s’attaquer aux fondements des politiques néolibérales. Ce n’est pas le choix du gouvernement et des économistes qui, de près ou de loin, le conseillent. À force de ressasser les mêmes dogmes surannés et démagogiques, les peuples se mettent à douter de la démocratie. Là est le vrai risque.

Ce point de vue, signé par Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, Pierre Khalfa, Dominique Plihon, Jacques Rigaudiat, économistes membres d’Attac et de la Fondation Copernic, a été publié sur lemondefr.

[1]Parmi les derniers en date : C. Wyplotz, Les Échos, 6 septembre 2018 ; J. Pisani-Ferry, Le Monde, 5 octobre 2018.

Quand un tribunal invente le délit de citoyenneté

Par Dans une décision du 27 septembre 2018, les juges du tribunal administratif de Grenoble ont condamné trois citoyens défendant leur collectivité contre les pratiques mafieuses des banques à payer 1 200 euros au titre des dépens dans le cadre d’une action en justice, créant de ce fait un nouveau délit : le délit de citoyenneté.

Les banques ont escroqué les collectivités locales…

La Métropole de Grenoble fait partie des milliers de collectivités abusées par les banques qui leur ont fait souscrire des emprunts toxiques. Ces emprunts spéculatifs ont permis aux banques d’encaisser des marges colossales pendant des années en toute illégalité car les collectivités n’ont pas le droit de souscrire des produits spéculatifs. Lorsque la crise financière de 2007-2008 a éclaté, les taux de ces crédits ont explosé. Les collectivités se sont retrouvées piégées avec pour seule alternative : soit continuer à payer des intérêts dépassant souvent les 20 %, soit rembourser l’emprunt mais en versant à la banque une indemnité pouvant représenter plusieurs fois le montant de la somme empruntée.

… avec la complicité du gouvernement…

Face au refus des banques de renégocier ces emprunts à des conditions honnêtes, beaucoup de collectivités ont alors décidé d’agir en justice et ont obtenu gain de cause car le taux effectif global (TEG)[1]qui devait être mentionné sur le contrat n’y figurait pas ou était inexact. Mais pour les empêcher de gagner sur ce motif, le gouvernement au pouvoir à l’époque a fait voter par le Parlement le 10 juillet 2014 une loi scélérate de validation rétroactive de ces emprunts illégaux. Avec cette loi la mention du TEG n’était plus une condition obligatoire et cette disposition valait aussi pour tous les emprunts déjà souscrits. Pour faire passer la pilule, la loi créait un fonds de soutien doté de 3 milliards d’euros… financé par les administrés. Il restait toutefois d’autres moyens de droit à invoquer pour attaquer ces emprunts, tels que leur caractère spéculatif, le manquement par la banque à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde, la tromperie, le dol, etc. Pourtant, peu d’élus ont décidé d’engager le bras de fer contre les banques pour contester le paiement de ces dettes illégales et illégitimes. Pour tenter de pallier cette inertie, quelques collectifs d’audit citoyen ont décidé d’engager le combat.

… et le soutien de la justice.

Aux ordres du pouvoir, les juges civils et administratifs ont systématiquement rejeté les demandes des collectivités qui avaient engagé des actions. Les autres collectivités ont cédé à la pression des préfectures et ont préféré passer un accord avec la banque pour sortir des emprunts mais en payant des indemnités colossales. Dans quelques-unes de ces collectivités, des citoyens rassemblés dans des CAC (collectifs d’audit citoyen) ont attaqué les délibérations votées par les conseils municipaux ou communautaires. À Nîmes, Vichy, Dijon et Grenoble des actions citoyennes ont été engagées.

À Nîmes, le 6 mars 2018, les membres du CAC 30 ont obtenu l’annulation de 3 délibérations de la Métropole de Nîmes au motif du manquement du président de la Métropole de Nîmes à son devoir d’information. Dans cette affaire, la banque (le Crédit Foncier, filiale de BPCE) a fait payer à la collectivité une indemnité faramineuse de 58,6 millions d’euros en plus des 10 millions de capital remboursé. Mais les juges du tribunal de Nîmes se sont bien gardés de remettre en cause la légalité des contrats des emprunts toxiques ainsi que des conditions dans lesquelles ils ont été mis en place. Une nouvelle délibération a été prise par la collectivité et un nouveau recours a été engagé par les membres du CAC 30.

À Vichy, un recours engagé par trois citoyens est toujours en attente d’une décision.

Contre le délit de citoyenneté inventé par les juges administratifs à Grenoble…

À Grenoble, des citoyens ont attaqué les délibérations votées par la Métropole. Dans une décision du 27 septembre 2018, non seulement les juges du tribunal administratif de Grenoble ont rejeté leurs demandes légitimes en rendant la justice au nom de la caste des banquiers, mais ils ont condamné les trois plaignants à payer 1 200 euros à Grenoble Alpes Métropole, créant de ce fait un nouveau délit : le délit de citoyenneté. Le message est clair et il est politique : il s’agit de dissuader les citoyens de s’attaquer aux banques et de les intimider en les menaçant de condamnations.

… Opposons la lutte l’impératif de solidarité !

Pour dénoncer ce simulacre de justice et l’impunité dont bénéficient les banques, au-dessus des lois, il est essentiel de faire circuler cette information et de soutenir nos camarades de Grenoble. Nous pouvons les aider de plusieurs façons :

Apporter un soutien financieren faisant un chèque à l’ordre de : ATTAC 38 (préciser au dos du chèque « action CAC38 »)[2], à adresser à :

Attac Isère

Maison des associations

6 Rue Berthe de Boissieux

38000 Grenoble.

Interpeller les responsables politiques de Grenoble Alpes Métropole pour qu’ils refusent que leur collectivité, qui prône en permanence la « participation citoyenne », exige le paiement des 1 200 euros auprès des trois citoyens qui ont défendu les intérêts de la collectivité. Pour ce faire, il suffit d’adresser un courriel au Président de Grenoble Alpes Métropole pour réclamer la non-application de cette condamnation scandaleuse. Les messages[3]sont à envoyer directement au président de la métropole à l’adresse suivante : christophe.ferrari@lametro.fr

La victoire en trompe-l’œil de Sassenage

Sassenage est une des rares collectivités dont le maire a poursuivi le combat contre Dexia. Le 4 octobre dernier, la Cour d’appel de Versailles a rendu un jugement dans lequel elle ordonne à Dexia de reverser à la collectivité 30 % des intérêts réclamés par la banque à la collectivité entre 2011 et 2015. La cour justifie ce versement au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance pour la collectivité. Mais cette décision n’est qu’une victoire en trompe-l’œil car l’essentiel du surcoût d’intérêts reste à la charge de la commune et les juges se sont bien gardés de déclarer spéculatifs les emprunts toxiques. Les juges ont bien pris soin de rappeler dans leur arrêt que leur décision était motivée par le fait que Sassenage était une petite collectivité et qu’elle avait passé, en dehors des emprunts, une convention de conseil avec la banque. Sachant que la quasi-totalité des collectivités en attente de décision dans des procès qui les opposent aux banques n’ont pas signé ce type de convention, le message envoyé par les juges est clair : les collectivités vont perdre.

(Mauvaise) moralité de l’histoire

Ainsi, en France, le pouvoir politique et les juges à sa botte préfèrent condamner des citoyens qui défendent le bien public, l’intérêt général, et laisser les banques libres de poursuivre leurs exactions.

Aujourd’hui, ce n’est pas la justice qui dit le droit mais les banques et les escrocs de la finance grossièrement dissimulés derrière des marionnettes en robe noire. Cette mascarade s’appelle justice de classe.

Il est grand temps de rendre la justice au nom du peuple français et de placer les banques sous contrôle citoyen au moyen de leur socialisation.

[1]Le TEG est le taux qui récapitule le coût exact du crédit en intégrant tous les coûts liés à celui-ci.

[2]Dans l’éventualité où les fonds solidaires recueillis sur ce compte excèderaient les frais à payer à Grenoble Alpes Métropole, le surplus serait reversé à d’autres collectifs citoyens agissant en justice.

[3]Texte de courriel possible :

« Mr le Président de Grenoble Alpes Métropole,

Je vous adresse ce message pour vous faire part de mon soutien plein et entier envers les trois membres du CAC 38 qui ont été scandaleusement condamnés par la justice à payer à votre collectivité 1 200 € de frais de justice.
Je considère que leur action citoyenne est particulièrement juste, responsable et soucieuse des finances de leur agglomération.
Je vous demande en conséquence de ne pas exiger le paiement de cette somme comme vous en avez la possibilité.

Avec mes salutations citoyennes déterminées »

Le virage répressif du gouvernement Syriza

Grèce : le virage répressif du gouvernement Syriza par Stathis Kouvélakis et Costas Lapavitsas

Certain.e.s dans les rangs de la gauche européenne persistent à croire que la situation en Grèce va en s’améliorant, et que le gouvernement Syriza reste une force de gauche qui protège les intérêts des travailleurs et des défavorisés, dans des conditions très difficiles. Parmi eux, Iñigo Errejon, l’un des principaux dirigeants de Podemos, qui a déclaré dans un récent entretien que « compte tenu de ces contraintes, le bilan [de Tsipras] est plutôt satisfaisant »[1]. Pour ceux qui partagent ce point de vue, le tour que prennent les événements apparaîtra comme une mauvaise surprise.

La réalité est que, depuis leur capitulation en juillet 2015 à la Troïka des créanciers de la Grèce (UE, Banque centrale européenne, FMI), Tsipras et son gouvernement ont appliqué de façon inflexible les mêmes politiques néolibérales de choc que tous les gouvernements grecs qui se sont succédé depuis 2010, date du premier Mémorandum signé avec la Troïka. Le gouvernement Syriza a ainsi procédé à une réduction drastique des dépenses publiques, à la poursuite de la déréglementation et à une vague sans précédent de privatisations[2]. Les salaires stagnent au niveau atteint après plusieurs années de chute drastique, les retraites et des aides sociales de nouveau amputées. L’investissement public (et privé) s’est effondré, tandis que les impôts indirects et directs ont atteint des niveaux sans précédent, frappant impitoyablement les ménages à revenus faibles et moyens.

La seule différence avec les prédécesseurs est que Tsipras et son parti ont été élus en janvier 2015 précisément dans le but de renverser ces politiques. Leur revirement de l’été 2015 – survenu quelques jours seulement après un référendum au cours duquel 61% des électeurs ont rejeté l’imposition d’un plan d’austérité – fût un choc traumatique pour la société grecque. Au cours des trois années qui ont suivi, le cynisme de Syriza a entraîné une profonde démoralisation qui imprègne tous les domaines de la vie publique. La passivité et le découragement ont été les principaux facteurs qui ont permis la mise en œuvre de nouvelles mesures d’austérité sans rencontrer d’opposition majeure.

Tsipras a de la sorte rendu d’excellents services à la Troïka, qui lui valent de chaleureux compliments de la part des Moscovici, Juncker et de leurs semblables[3]. Mais la poursuite de telles politiques, qui écrasent la majorité de la population, est impossible sans recourir à la répression et à la mise en place un cadre coercitif. Les coupes dans les services publics, les baisses de pensions et dépenses sociales, les augmentations d’impôts et la surexploitation des salariés ne peuvent s’appliquer sans mettre au pas les oppositions et intimider celles et ceux qui refusent de se soumettre.

L’expérience de l’Europe occidentale, des États-Unis et de plusieurs autres pays au cours des quatre dernières décennies confirme amplement ce constat. De 2010 à 2015, lorsque les gouvernements successifs du PASOK et de la droite mettaient en œuvre les plans d’austérité, la Grèce a connu une avalanche de mesures répressives. Lentement, sûrement – et inexorablement – le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est engagé dans la même voie.

Ce qui a accéléré cette évolution au cours des derniers mois renvoie aux difficultés auxquelles sont confrontées les banques grecques. Si le slogan « aucune maison entre les mains des banques » était naguère scandé dans les meetings de Syriza, c’est désormais un gouvernement Syriza qui réprime celles et ceux qui tentent d’empêcher les ventes aux enchères des logements.

Serrer les vis

Pour comprendre l’importance politique croissante de la lutte contre les saisies immobilières, il faut se pencher sur la situation critique des banques et ses répercussions sur le gouvernement et la société grecque. Car c’est justement pour éviter un nouveau cycle de déstabilisation des banques que le gouvernement recourt à des méthodes de plus en plus répressives.

Suite à la crise du début des années 2010, le secteur bancaire grec est passé entre les mains de quatre banques dites « systémiques », qui contrôlent plus de 90% des dépôts et des actifs. Pour éviter leur propre faillite et se prémunir d’une éventuelle nationalisation, ces banques sont devenues les plus fervents défenseurs des plans d’austérité. Elles ont utilisé leur énorme pouvoir économique et social pour contraindre les gouvernements grecs successifs, y compris celui de Syriza, à se conformer aux exigences de la Troïka.

Depuis 2010, deux recapitalisations majeures des banques ont été engagées, la dernière sous un gouvernement Syriza. Le coût total a dépassé les 45 milliards d’euros. Il a été entièrement financé par des emprunts publics, remboursés par les contribuables grecs. Pourtant, en dépit de ce monstrueux fardeau imposé à la population, les banques grecques détiennent actuellement le record européen des « créances douteuses » et ont de fait cessé de soutenir l’activité économique. Les dites créances comprennent des « prêts non performants » (NPL), qui enregistrent un retard de remboursement de plus de 90 jours, mais aussi des « fonds non performants » (NPE), une catégorie plus large qui inclut les prêts dont on pense qu’ils ne seront pas intégralement remboursés, même si aucun retard formel n’a été enregistré[4].

La réduction de l’exposition des banques grecques aux NPE et aux NPL est depuis des années une priorité absolue pour la Banque centrale européenne. Depuis 2016, le gouvernement Tsipras a docilement obéi à ses injonctions en facilitant une vague de saisies de propriétés, y compris de logements principaux, ainsi que la vente à des fonds vautours de « packages » de créances douteuses à des prix bradés. Les ventes aux enchères de logements sont à cet égard à cet égard d’une importance stratégique.

L’incapacité des banques à résoudre ce problème n’a rien de surprenant, elle découle du dispositif mis en place par le gouvernement de Tsipras. En résumé, les banques grecques devaient progressivement assainir leurs bilans du poids des créances douteuses par le biais de ventes aux enchères et de pratiques de recouvrement des prêts plus rigoureuses. Ce processus prendra certainement plusieurs années. Dans le même temps, les banques étaient censées soutenir l’activité économique en fournissant de nouveaux crédits. Toutefois, comme c’était entièrement prévisible, les banques ont eu tendance à réduire l’octroi de nouveaux prêts tout en essayant de nettoyer leur bilan des créances douteuses. Cette limitation drastique du crédit a en fait compromis la reprise, aggravant le problème des créances irrécouvrables pour l’économie. La baisse globale du crédit signifie également que les créances douteuses représentent un ratio plus élevé du total. Il s’agit d’un exemple parfait de l’absurdité des plans de « sauvetage » mis en œuvre par le gouvernement Syriza.

L’échec des banques grecques à réduire le poids des « créances douteuses » a entraîné un effondrement de la valeur de leurs actions à la bourse d’Athènes depuis le début de l’été 2018, effondrement qui s’est accéléré au cours du dernier mois. En réalité, l’ensemble du secteur bancaire grec a été considérablement dévalué depuis la signature du plan de « sauvetage » de Tsipras. Des rumeurs circulent sur la nécessité d’une nouvelle recapitalisation, ou de formes de prise en charge des créances douteuses par l’Etat[5]. Si une telle perspective se concrétisait, ce serait un désastre complet pour le gouvernement, qui doit faire face à de multiples échéances électorales en 2019.

L’accélération du programme de liquidation des créances douteuses est ainsi devenue l’une des priorités de la Troïka et de leurs dociles serviteurs dans l’actuel gouvernement. Comme le problème semble être plus aigu pour les crédits immobiliers et les crédits à la consommation, des objectifs extrêmement ambitieux, et sans doute irréalistes, ont été fixés en matière de saisies et de vente aux enchères : 8 à 10 000 logements pour 2018, chiffre porté à 50 000 pour 2019.

Cibler les actions de protestation

Depuis la capitulation de l’été 2015, la question des saisies et des ventes aux enchères est devenue l’un des problèmes les plus épineux pour Tsipras et son parti. L’accélération du processus sous la pression des banques et de la Troïka a conduit à un affrontement majeur entre le gouvernement et un mouvement dynamique qui s’oppose aux ventes aux saisies et aux ventes enchères de logement. Ce mouvement a pris un nouvel élan après la relance des ventes aux enchères à l’automne 2016. La mobilisation continue de groupes d’activistes déterminés dans les salles d’audience des tribunaux a réussi à annuler des centaines de ventes, ce qui a considérablement ralenti l’ensemble des procédures[6]. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les banques n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs.

La réaction du gouvernement, obtempérant aux instructions de la Troïka, a consisté à transférer à partir l’été 2017 la procédure de vente aux enchères vers une plate-forme électronique, activée par des notaires à l’intérieur de leur cabinet, plutôt que d’organiser les ventes dans les tribunaux. Cela a certainement rendu les actions de protestation plus difficiles à organiser. De nouvelles dispositions législatives, votées en décembres 2017, ont créé un délit spécifique qui prévoit des peines d’emprisonnement de trois à six mois pour celles et ceux qui tentent d’entraver le processus de vente aux enchères[7]. Les actions se sont toutefois poursuivies, même si leur ampleur a été affectée, empêchant de nombreuses ventes aux enchères et rendant les notaires moins enclins à prêter leur concours[8].

Au cours de cette période, les affrontements avec la police devant les bureaux des notaires se sont multipliés. Des militants filmés et identifiés pendant les actions ont été systématiquement inculpés. Depuis le début de l’année, des dizaines de militants à travers le pays font face à des poursuites judiciaires. Parmi eux, citons Spiros Milios, conseiller municipal d’Ambelokipi-Menemeni, dans la région de Thessalonique, et militant d’Antarsya, la coalition d’organisation d’extrême-gauche. Dans la petite ville de Volos, pas moins de 20 militants sont le coup de poursuite, de même que 15 autres à Argos et Nauplie[9]. Le procès de trois militants anti-saisies a débuté à Athènes le 21 septembre.

Les poursuites à l’encontre des activistes anti-saisies ne sont que l’exemple le plus patent des pratiques autoritaires dont fait preuve le gouvernement de Tsipras. La répression a également touché les militants mobilisés contre le projet minier d’exploitation à ciel ouvert par le géant canadien Eldorado Gold à Skouries, dans le nord de la Grèce. Plus généralement, le gouvernement a eu recours à la force pour réprimer les manifestations contre sa politique, en particulier lorsqu’elles paraissent susceptibles de s’étendre. L’utilisation de la police anti-émeute contre les retraités n’en est que l’exemple le plus flagrant. Une tendance de fond a commencé ainsi à se dessiner : pour faire face aux réactions que suscite sa politique, le gouvernement s’appuie sur les mécanismes répressifs de « l’État profond ».

Les poursuites à l’encontre de Panagiotis Lafazanis

Un seuil symbolique dans cette escalade répressive a été franchi le 26 septembre, quand Panagiotis Lafazanis, une figure respectée de la gauche radicale, a reçu une convocation pour répondre à des accusations concernant sa participation à des actions de protestation hebdomadaires contre les saisies et les ventes aux enchères[10]. Lafazanis était ministre de l’énergie au sein du premier gouvernement Syriza (janvier à juillet 2015) et la figure de proue de la « Plate-forme de gauche», qui regroupait à l’époque la majeure partie de l’aile gauche de Syriza. Il est maintenant secrétaire national d’Unité Populaire, un front politique créé l’été 2015, principalement par les forces de la Plateforme de gauche, qui ont quitté Syriza et ont été rejointes par d’autres organisations de la gauche radicale.

C’est la première fois depuis la chute de la dictature (1974) – au cours de laquelle Lafazanis a été persécuté pour ses activités clandestines au sein du mouvement étudiant et de l’organisation de jeunesse du parti communiste – qu’un dirigeant d’un parti de gauche fait l’objet de poursuites pour son activité politique. Les chefs d’accusation à son encontre concernent des infractions présumées à pas moins de 15 articles du code pénal, sanctionnées par des peines de prison pouvant aller jusqu’à deux ans. S’il est reconnu coupable de toutes les accusations, la peine pourrait aller jusqu’à neuf ans.

Ce qui est également remarquable, c’est que la procédure émane non du procureur mais du « Département pour la protection de l’État et du régime démocratique », une branche spéciale des services de sécurité censée investiguer les activités liées au terrorisme et qui menacent la démocratie. Ce département a été créé en 2000, par les gouvernements « modernistes » du PASOK, alors que la Grèce s’apprêtait à rejoindre l’Union monétaire. Il a été modernisé en 2011, suite à la mise en place des plans d’austérité, et transformé en service de surveillance des actions de protestation. Des dispositions législatives adoptées en février sous l’impulsion du gouvernement Syriza ont encore élargi son éventail d’activités. Il est à noter que, depuis sa création, le département n’a développé aucune activité à l’encontre des néonazis d’Aube Dorée, ni d’aucune autre organisation d’extrême droite ou terroriste.

Lafazanis n’est pas le seul militant à être ciblé par les services de sécurité. Quatre autres activistes, parmi lesquels un membre d’Unité Populaires et deux personnalités connues du réseau « Je ne paie pas », Leonidas et Elias Papadopoulos, ont également été convoqués pour répondre à une longue liste de chefs d’accusation. La nature des pièces incluses dans son dossier ont permis de mettre en lumière le fait que Lafazanis était sous surveillance depuis des mois par une équipe de policiers déguisés en journalistes filmant des actions devant les bureaux de notaires. Ce matériel a été complété par des photos et des vidéos que les services de sécurité ont demandé aux chaînes de télévision. Des publications Facebook ont également été utilisées pour identifier ces militants lors de diverses actions de protestation.

Quelles suites ?

La vague de poursuites judiciaires, et en particulier celles l’encontre de Lafazanis, a forcé les médias grecs à parler de la répression. Elle a également provoqué certaines réactions dans les milieux politiques, notamment une question au parlement adressée au ministre de la Justice par 43 députés de Syriza. Cependant, la position officielle du gouvernement est que cette question relève entièrement du pouvoir judiciaire et de la police et qu’il n’est en rien concerné.

Il n’en reste pas moins que l’initiative des poursuites n’a pas été prise par la justice mais par un service appartenant à l’« État profond », à savoir le « Département de la protection de l’État et du régime démocratique ». Or ce département est placé sous l’autorité du ministre de l’ordre public. Il existe donc une implication et une complicité de la part du gouvernement, qui renvoie aux mesures prévues par le troisième Mémorandum signé en juillet 2015 et à la crise actuelle des banques grecques.

La mise en œuvre des plans d’austérité et des politiques néolibérales exige la répression et le gouvernement Syriza ne saurait faire exception à cette règle. La démocratie en Grèce est déjà en lambeaux et la situation risque de s’aggraver dans les mois à venir. A l’approche des élections, les problèmes des banques vont sans doute occuper une place centrale. Le désastre économique et social causé par la capitulation de Tsipras est devenu évident pour de larges couches de l’électorat et le dégoût se généralise dans la population. Un gouvernement qui a déjà vendu son âme en se faisant l’exécutant de la Troïka n’hésitera pas à faire monter d’un cran la répression à l’encontre de tou.te.s celles et ceux qui s’opposent à sa politique. La solidarité internationale est indispensable pour mettre fin à cette évolution extrêmement préoccupante de la situation en Grèce. C’est une question de défense de la démocratie.

Cet article a été mis en ligne le 6 octobre 2018 par Jacobin magazine[11]

[1] lemonde.fr/europe/article/2018/03/22/europe-les-courants-populistes-ont-cesse-d-etre-des-exceptions-pour-devenir-la-regle_5274743_3214.html

[2] jacobinmag.com/2018/08/greece–tsipras-memoranda-austerity-odyssey

[3] lemonde.fr/idees/article/2018/06/22/le-courage-des-grecs-et-de-tsipras_5319456_3232.html et euractiv.fr/section/affaires-publiques/news/juncker-praises-tsipras-following-weber-jibe/

[4] bankofgreece.gr/BogEkdoseis/Sept18_Report_Operational_Targets_for_NPEs_EN_Final.pdf

[5] reuters.com/article/us-piraeusbank-capital-ceo-exclusive/piraeus-bank-says-debt-plan-on-track-as-shares-drop-30-percent-idUSKCN1MD0TZ

[6] theguardian.com/world/2017/mar/11/greek-activists-target-sales-of-homes-seized-over-bad-debts

[7] thepressproject.gr/article/121452/Perase-i-tropologia-gia-tous-pleistiriasmous

[8] ft.com/content/e7a5732c-3db0-11e8-b7e0-52972418fec4

[9] epitropi3den.blogspot.com/2018/09/blog-post_24.html

[10] ekathimerini.com/232997/article/ekathimerini/news/ex-minister-panayiotis-lafazanis-denounces-government-persecution

[11] jacobinmag.com/2018/10/syriza-repression-foreclosure-banks-tsipras

A propos de l’auteur

Stathis Kouvelakis enseigne la théorie politique au King’s College de Londres. Il a fait partie du comité central de Syriza.

Costas Lapavitsas est professeur d’économie à SOAS et ancien membre du Parlement grec.

Le Tribunal administratif de Grenoble invente le délit de citoyenneté

Emprunt toxique de la Métro : le Tribunal Administratif de Grenoble crée

un délit de citoyenneté !

Le 18 août 2016, le Collectif d’Audit Citoyen 38 a saisi le tribunal administratif de Grenoble pour faire annuler des délibérations de la Métropole de Grenoble du 1er juillet 2016 validant le remboursement des emprunts toxiques à des conditions désastreuses pour la collectivité. La décision des juges a été rendue publique le 29 septembre 2018.

Le Tribunal ne retient aucun des arguments avancés par les 3 requérants agissant au nom du CAC 38. Même « l’absence de connaissance des modalités détaillées du calcul des indemnités de remboursement anticipés » n’est pas jugée susceptible d’influer sur la décision. Il s’agit tout de même de 30 millions d’euros représentant le manque à gagner estimé par la banque prêteuse pour les 7 années d’emprunt toxique de 17 millions d’euros restant à courir. Le tribunal juge qu’il suffit qu’un tiers de confiance (la Banque de France) ait fait la vérification du calcul pour que les élus puissent voter. Étrange conception du rôle d’une assemblée délibérative : les élus sont privés des éléments essentiels pour forger leur décision au profit de spécialistes qui sont les seuls à avoir accès à l’information… Le tribunal statue également qu’il est difficile de considérer les contrats de prêts litigieux comme spéculatifs, alors qu’ils étaient indexés sur les cours des monnaies…

Mais le comble de ce jugement réside dans la condamnation des requérants à verser à la Métropole 1200 € pour les frais de justice. A noter que la Métropole avait demandé 3000 € à des citoyennes et citoyens qui agissaient en lieu et place du Préfet qui, saisi directement par les requérants dès le 8 juillet 2016 n’a pas jugé nécessaire de demander au tribunal administratif de contrôler la légalité des délibérations.

Le tribunal avait pourtant l’opportunité de ne pas accéder à la demande de la Métropole comme le prévoit l’article L 761-1 du code de justice administrative selon lequel : « Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »

Après le « délit de solidarité » créé par la justice française, le tribunal administratif de Grenoble vient d’inventer un nouveau délit, le « délit de citoyenneté », en condamnant d’honnêtes citoyennes et citoyens qui défendent les intérêts de leur collectivité. Par cette décision, non seulement les juges administratifs de Grenoble veulent dissuader toute action citoyenne à venir mais ils encouragent également les banques à poursuivre leurs exactions.

Aujourd’hui en France, les juges ne condamnent pas les banques, les riches contribuables et les grosses sociétés impliquées dans la fraude et l’évasion fiscales, ils préfèrent s’attaquer aux citoyennes et aux citoyens qui dénoncent ces malversations. Le CAC 38 va organiser la riposte citoyenne qui s’impose.

CAC38 (Collectif pour un Audit Citoyen de la dette publique) 1er Octobre 2018
audit.citoyen38@gmail.com

Pour diffuser largement communique CAC38 011018

Dix ans après la crise, les financiers se portent toujours bien, les autres beaucoup moins

 15 septembre par CADTM Belgique

Action du collectif ByebyeTina du 15 septembre 2018 devant la Bourse de Bruxelles – Photo Collectif Krasnyi

Il y a dix ans, le 15 septembre 2008, Lehman Brothers s’effondrait. Cette faillite retentissante marquait le déclenchement d’une crise financière et économique aux contours encore obscures et dont la sortie semble encore fort éloignée. Par la suite, d’autres faillites se sont succédé, des faillites gérées par la plupart par des États selon le fameux principe de socialisation des pertes, un mantra toujours d’actualité. Sans réelles poursuites des responsables, sans réelles conditions pour la suite. Dix ans après, les dettes globales, privées et publiques, sont plus élevées qu’en 2008 et ne sont pas moins risquées malgré les annonces optimistes des « responsables » politiques. Les populations se saignent aux quatre veines, à coup d’augmentations d’impôts et de coupes budgétaires dans des services publics pourtant essentiels, pour rembourser des dettes responsables de l’austérité qu’on leur impose.

Un monde vulnérable aux secousses financières

Les causes structurelles de la débâcle de 2008 sont toujours présentes. Rien n’a été accompli pour réglementer sérieusement les activités spéculatives, l’utilisation des dérivés ou même pour limiter l’effet de levier pratiqué par les banques (celles-ci ont très peu de fonds propres par rapport à tous les crédits qu’elles octroient). Aucune démarche non plus pour protéger nos dépôts des activités de trading à haute fréquence, pour assainir profondément le bilan des banques ou pour en diminuer radicalement la taille.

Tout le monde ne pâtit pas de la crise de la même façon. En 2015, on découvre ainsi que le FMI fait 2,5 milliards d’euros de profits sur ses prêts à la Grèce depuis 2010 [1]. Plus récemment, on apprend que la BCE, via son programme d’assouplissement quantitatif (en anglais QE – quantitative easing), a réalisé 7,8 milliards d’euros de bénéfices grâce aux titres grecs [2]. Rappelons que cette politique d’assouplissement quantitatif a permis aux grandes banques européennes de se débarrasser des bonds d’États en difficulté sans tenir compte de leurs pratiques spéculatives. Hormis quelques rares banquiers jugés au pénal en Islande, les cadres supérieurs du système financier, celui même qui a engendré cette crise financière transformée en une grave crise sociale dans toute l’Europe, sont restés impunis (les deux tiers des cadres de Lehman se sont d’ailleurs recyclés dans d’autres grandes banques).

Par ailleurs, la diminution des taux d’intérêt dans les économies dites « avancées », provoquée par l’injection massive d’argent de la part des banques centrales des pays riches, a poussé les investisseurs à prêter massivement aux pays du Sud. Environ 12 000 milliards de dollars ont été injectés dans le système financier depuis l’effondrement de Lehman Brothers [3].

Ces flux financiers ont provoqué une augmentation de la dette externe de ces pays libellée en dollars, une dépendance économique accrue vis-à-vis des créanciers occidentaux avec, in fine, le risque d’une nouvelle crise de la dette dans les pays appauvris.

L’augmentation des taux d’intérêt déjà à l’œuvre aux États-Unis détourne aujourd’hui l’attention des investisseurs des économies du Sud à vers les économies du Nord et en particulier vers les États-Unis. Le danger pour les pays du Sud deviendra plus important encore avec l’arrêt du programme du QE de la BCE et de la FED prévu depuis longtemps mais repoussé plusieurs fois vu les risques qu’il fait peser de tous les côtés. Leurs dettes en devises fortes, déjà difficilement soutenables, deviendront insurmontables. Sans doute le FMI, l’éternel pompier pyromane, viendra t-il à la rescousse tel un prêteur en dernier ressort ?

Le recours à l’endettement est devenu la règle plutôt que l’exception

La dette globale sans tenir compte de la dette des entreprises financières (principalement du secteur bancaire) est passé de 97 000 milliards au début de la crise en 2007 à 169 000 milliards de dollars au milieu de l’année 2017, soit une augmentation de 74 % [4]. Les entreprises privées non financières ont poursuivi le recours à l’emprunt de manière intensive et leur dette est passée de 37 000 milliards de dollars à 65 000 milliards de dollars mi 2017. Cette augmentation faramineuse est en grande partie due aux entreprises chinoises, désormais parmi les acteurs les plus importants du panorama global, dont la dette a augmenté de 15 000 milliards de dollars depuis 2007. En pourcentage du PIB, celle-ci est passée de 97 % à 163 % du PIB chinois en 2017, l’un des ratios les plus élevés au monde.

Aux États-Unis, la dette des étudiant-e-s a plus que doublé durant ces dix années de crise : de 600 milliards de dollars il y a dix ans, elle dépasse dorénavant les 1 500 milliards de dollars début 2018. La financiarisation de l’accès aux études représente une bulle spéculative susceptible d’exploser.

Les droits sociaux dépouillés par l’austérité

Alors que les banques et assurances ont été en grande partie recapitalisées par les États, les populations, elles, n’en ont pas fini de payer. Mais pourquoi les peuples devraient se priver de leurs droits fondamentaux pour des faillites privées dont la responsabilité incombe à leurs dirigeants et aux agences en charge de leur contrôle ? Pourquoi les laisserait-on répéter encore les mêmes erreurs ?

Alors que les grandes plus entreprises payent de moins en moins d’impôts, une diminution importante des services publics et une casse de la sécurité sociale ont contribué à l’émergence d’une crise sociale réelle. En Grèce, une récente étude universitaire a démontré les liens évidents entre mesures d’austérité et accroissement spectaculaire du taux de mortalité dans le pays, un taux dont la croissance a dépassé de cinq fois celle de la moyenne européenne durant la même période. [5] De plus, les États européens dans l’application des mesures d’austérité, n’hésitent à diminuer l’accès aux soins, à réduire le plafond du salaire minimum, à démanteler les droits des travailleurs, les allocations sociales, etc. alors que le taux de chômage ne finit pas d’augmenter. De plus, l’âge de la retraite a été retardé et le montant des pensions largement réduit, alors que dans certains pays ces revenus représentent la seule chance de survie de milliers de ménages.

Dettes liées à l’hypothèque

Le droit au logement est plus que jamais menacé par cette crise. L’insolvabilité des ménages (dont les moyens ont été diminués et les frais augmentés) a eu des conséquences sur le droit fondamental que constitue l’accès au logement. Les milliers de ménages qui ne pouvaient pas rembourser leurs prêts, se sont retrouvés attaqués par les banques à coups de ventes aux enchères ou d’expulsions. En Espagne, on estime à 800 000 les familles qui ont perdu leur logement pour cause d’insolvabilité alors qu’au même moment, le gouvernement grec s’est engagé face à ses créanciers à vendre aux enchères 135 000 logements d’ici 2021.

Une décennie d’approfondissement des inégalités
Les entreprises privées contribuent de moins en moins à renflouer l’État via l’impôt sur les sociétés qui leur est attribué. En effet, quand les capitaux ne s’évadent pas dans les paradis fiscaux, ils sont, en toute légalité, de moins en moins taxés. Cette baisse de contribution des entreprises équivaut à un manque à gagner pour l’État qui à son tour est obligé de s’endetter. Un rapport publié mercredi 5 septembre par l’OCDE, nous apprend que « le taux moyen de l’impôt sur les sociétés dans la zone OCDE a reculé de 32,5 % en 2000 à 23,9 % en 2018 ». Parmi les dernières mesures en date, les États-Unis ont approuvé l’année dernière une forte chute du taux d’imposition des entreprises qui est passé de 35 à 21 % et la France prévoit d’abaisser progressivement l’impôt sur les sociétés de 33 à 25 % pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Action du collectif ByebyeTina du 15 septembre 2018 devant la Bourse de Bruxelles – Photo Collectif Krasnyi

Moins ponctionnées, ces sociétés engrangent des profits faramineux. Au niveau mondial, les dividendes qu’elles versent à leurs actionnaires ont atteint le niveau record de 244,7 milliards de dollars au premier trimestre 2018. Oxfam nous rappelle que ce vol organisé se déroule dans un monde toujours plus injuste où seules 62 personnes possèdent autant que la moitié de la population mondiale.

Face à ce délabrement persistant de la finance dérégulée, à l’heure où se profile une nouvelle crise financière, nous continuons de nous mobiliser. Nous soutenons le mouvement « Byebyetina » à Bruxelles et à Liège ainsi que la mobilisation européenne pour fêter à sa manière les 10 ans de la crise : actions de rue, manifestations, conférences, débats pour notre avenir à tous et toutes. Seule la conscientisation de la population peut la mobiliser face aux injustices.

Cet article a été publié (dans sa version courte) pour la première fois sur Politis

Notes

[4Données extraites de l’étude Rising Corporate debt, Peril or promise ?, McKinsey Global Institute, juin 2018.

Source http://www.cadtm.org/10-ans-apres-l-eclatement-de-la-crise-les-financiers-se-portent-bien-les

L’Europe est au bord de l’abîme Entretien avec J Stiglitz

Par Mathieu Magnaudeix

Dans un entretien à Mediapart, le célèbre prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz s’inquiète de la poursuite de l’austérité dans la zone euro. Il s’alarme aussi des politiques de Donald Trump et de l’explosion des inégalités, dix ans après la crise financière de 2008. Plus que jamais, il plaide pour « augmenter les salaires », réguler la finance et lutter contre les « monopoles ».

Lui aussi membre de l’ICRICT, le célèbre prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, professeur à l’université Columbia et ancien chef économiste de la Banque mondiale, a répondu aux questions de Mediapart.

 Panama Papers, Paradise Papers, Swiss Leaks, LuxLeaks, Malta Files, etc. Depuis la crise de 2008, de grandes enquêtes internationales ont prouvé l’ampleur de l’évasion fiscale dans le monde. Mais la situation a-t-elle vraiment changé ?

Joseph Stiglitz. La crise financière de 2008 n’a pas été provoquée par les paradis fiscaux, mais il est assez remarquable de constater la lumière crue qu’elle a projetée sur eux. Et c’est une bonne chose ! Grâce au travail d’investigation de journalistes du monde entier, on s’est rendu compte de la magnitude de l’évasion fiscale, mais aussi de l’évitement fiscal, qui privent les États de ressources cruciales. Les restrictions budgétaires qui ont suivi la crise ont d’ailleurs accru cette prise de conscience et rendu l’opinion très sensible à ces questions.

Plus récemment, je pense que l’élection de Donald Trump a aussi aidé à cette prise de conscience. Le président américain est un expert incontesté du blanchiment d’argent. Avec lui, l’opinion a découvert ce marché obscur où toutes sortes de gens miteux blanchissent de l’argent sale en achetant et revendant des appartements de luxe. C’est exactement le modèle de Trump ! (Il regarde par la fenêtre, au 34e étage d’une tour de Manhattan, qui donne sur des gratte-ciel sur la 3e Avenue).

Tout cela a fini par renforcer le sentiment que dans une ville comme celle-ci, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Les gens ordinaires ne peuvent plus acheter de biens immobiliers. Les plus pauvres habitent à l’extérieur et doivent chaque jour faire de longs trajets. Mais au cœur de la ville, il y a des milliers et des milliers de mètres carrés vides, propriété de riches spéculateurs, qui s’en servent souvent à des fins de blanchiment. Ce genre de choses renforce la colère des citoyens.

Y a-t-il eu des progrès depuis dix ans pour réduire les paradis fiscaux et réguler les marchés financiers ?

Sur la transparence du système financier international et l’évasion fiscale, il y a eu certains progrès. Mais c’est loin d’être suffisant. Le verre reste aux trois quarts vide. Quant au système financier, est-il plus stable qu’il y a dix ans ? Je dirais probablement. Les seuils de capitaux minimums exigés [des banques – ndlr] ont été augmentés, il y a davantage de supervision. Mais ce n’est clairement pas suffisant. Au cours des trois ou quatre dernières années, il y a même eu d’importantes rechutes, avec la remise en cause de régulations financières adoptées après la crise. La pression des grandes banques américaines a été couronnée de succès. À l’instar de Citigroup, elles ne se cachent pas de faire pression au travers d’amendements législatifs écrits par leurs lobbyistes.

La différence avec le monde de 2008, n’est-ce pas que l’urgence est encore plus grande ? Il y a le défi climatique, l’émergence d’énormes entités monopolistiques comme Apple et Amazon (dont les capitalisations boursières dépassent désormais les 1 000 milliards de dollars), l’explosion des inégalités. Le sénateur socialiste américain Bernie Sanders cite souvent ce fait frappant : aux États-Unis, la fortune cumulée de trois milliardaires, Warren Buffett, Bill Gates et Jeff Bezos, est supérieure au bas de laine de la moitié des Américains les plus modestes…

L’urgence de la question des inégalités est en effet la grande différence. En mars 2011, lorsque j’ai fait paraître un article sur la captation par 1 % des Américains du quart des revenus, il n’y avait pas encore de prise de conscience globale. Désormais, on sait qu’au cours des trois ou quatre dernières décennies, presque tous les bénéfices de la croissance sont allés aux plus aisés. Le capitalisme est en échec. Malgré les progrès fantastiques de la recherche médicale, l’espérance de vie aux États-Unis est en train de décliner, c’est inouï. De plus en plus de gens se disent que le rêve américain est un mythe. L’élection de 2016 est la preuve que l’explosion des inégalités a désormais des conséquences politiques et sociales majeures.

Garantir l’emploi

Justement, Donald Trump, le héraut du « Make America great again », a été élu il y a deux ans. Il se vante souvent d’un taux de chômage au plus bas depuis dix-huit ans et des records de la bourse, autant de preuves, dit-il, de son succès. Que penser de ses politiques économiques ?

D’abord, elles ne marchent pas pour la plupart des Américains. Le marché des actions monte parce que les salaires sont faibles et les taux d’intérêt sont bas. En baissant les salaires et en transférant l’argent vers les profits, il n’est pas difficile de faire monter les marchés d’action, a fortiori si vous baissez les impôts des entreprises !

La réforme fiscale de Trump, une baisse d’impôt massive pour les milliardaires et les grandes entreprises, a substantiellement creusé le déficit budgétaire américain [il pourrait atteindre mille milliards de dollars en 2020 selon le Congrès américain – ndlr] mais la croissance supplémentaire créée par ce cadeau fiscal massif est en réalité très faible. C’était une très mauvaise réforme fiscale, dont l’impact ne sera que de très court terme et minime. Rajoutons à ça le protectionnisme de Trump, qui plonge le monde dans l’incertitude…

Que pensez-vous des « guerres commerciales » lancées par Trump avec la Chine, l’Europe, etc. ?

Dans les guerres commerciales, tout le monde perd. Donald Trump s’est donné comme objectif de réécrire les règles du commerce international pour donner un avantage significatif aux États-Unis et réduire le déficit commercial américain. Mais ce sont des fadaises. Ce qui détermine les déficits commerciaux, c’est la macroéconomie, et quoi qu’il fasse, le déficit commercial américain va s’aggraver. Derrière la rhétorique et ses rugissements, il récolte des cacahuètes.

Regardez l’accord avec le Mexique, récemment annoncé en fanfare. Les États-Unis ont en réalité obtenu une concession mineure sur la part de voitures construites en Amérique du Nord : c’est peu et cela risque in fine d’augmenter les coûts de production et donc de détruire des emplois. L’accord avec la Corée du Sud n’aura pas non plus beaucoup d’effet : la Corée a accepté de faire entrer davantage de voitures américaines qui ne respectent pas forcément leurs critères de sécurité. Mais les Coréens ne les achètent pas ! Qu’il y en ait davantage sur le marché ne changera pas la donne.

Dans la presse américaine, on lit fréquemment des analyses qui annoncent une nouvelle crise financière. Certains pointent les excès de la finance, d’autres la bulle énergétique aux États-Unis, d’autres encore le caractère insoutenable de l’endettement des ménages américains. Doit-on craindre une nouvelle crise ?

Pour la Turquie et l’Argentine, on y est déjà. On se doutait que les politiques d’« assouplissement quantitatif » mises en place par les banques centrales après la crise allaient poser un problème pour les économies émergentes lorsque les taux d’intérêt allaient remonter, à cause de leurs déficits et de leurs dettes. C’est ce qui est en train de se passer et on ne connaît pas le degré de contagion. D’un point de vue global, c’est le risque le plus imminent.

Après, il y a ce que vous mentionnez, notamment la dette étudiante des Américains qui atteint 1 500 milliards de dollars. L’effet négatif sur notre économie est déjà là. De très nombreux Américains ne peuvent plus acheter de bien immobiliers, ils retardent leurs projets familiaux, cela affaiblit l’économie. Le problème, c’est que passé son effet cosmétique, la réforme fiscale de Trump va commencer à avoir un impact négatif sur l’économie. On peut donc s’attendre à un ralentissement économique significatif en 2019 ou en 2020. À ce moment-là, les dettes pourraient accélérer les problèmes.

Vous avez depuis longtemps mis en garde contre l’absence de réforme de l’euro et les politiques d’austérité. L’Europe est-elle en train de sombrer ?

Il est décevant de constater qu’alors que le risque grec a diminué, les efforts pour réformer l’euro et la zone euro ont aussi diminué, tandis que les politiques d’austérité ont continué. La Grèce est toujours en dépression avec des objectifs de surplus budgétaires qui risquent de l’étouffer, les jeunes Grecs continuent de fuir leur pays, et l’Europe semble fermer les yeux. Avec son nouveau gouvernement qui envisage une sortie de l’euro, l’Italie est un risque de crise potentielle. Si l’Europe ne réforme pas l’euro, je pense qu’il faut anticiper une crise. Des pays quitteront l’euro, réellement ou de facto en créant des monnaies parallèles.

L’Europe est au bord de l’abîme. Et quand vous restez au bord de l’abîme, il y a une bonne chance que vous tombiez.

Le président français Emmanuel Macron affiche son intention de réformer l’Europe. À domicile, il mène des politiques orthodoxes.

Il a une vision de l’Europe mais elle ne semble pas convaincre l’Allemagne et d’autres pays. Encore une fois, à part une réforme de l’eurozone et de l’euro, la possibilité de politiques expansionnistes est très limitée. En attendant, l’Europe pratique la dévaluation interne, ce qui cause la récession, affaiblit l’économie, compresse les salaires. L’autre piste, c’est une taxe carbone qui stimulerait l’économie.

En France, en Europe, aux États-Unis, les progressistes recherchent des politiques pour résoudre la question des inégalités, répondre aux défis du changement climatique, lutter contre l’autoritarisme et l’extrême droite. Que leur suggérez-vous ?

Une des sources des inégalités, c’est le déséquilibre croissant entre d’un côté le pouvoir toujours plus grand des monopoles, et de l’autre l’affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés. Il faut donc renforcer les syndicats et attaquer les monopoles, à la fois en les régulant et en renforçant la concurrence. Par ailleurs, il faut davantage de redistribution – songez qu’aux États-Unis nous avons un système fiscal non pas progressif, mais régressif ! –, augmenter les salaires des travailleurs, renforcer l’éducation publique, réduire le poids des transferts intergénérationnels avec une taxe sur l’héritage, améliorer la santé, le logement, avoir l’objectif d’un emploi pour tous.

Aux États-Unis, plusieurs figures émergentes du Parti démocrate proposent une « garantie d’emploi » pour les salariés. Ce pourrait même être une des idées phares du candidat opposé à Trump à la présidentielle de 2020. Qu’en pensez-vous ?

C’est une des idées que je soutiens. Pour les classes les plus populaires, et les minorités, le marché ne fonctionne pas comme il devrait. D’un côté, il y a d’énormes besoins, par exemple pour entretenir les villes et apporter des soins aux personnes âgées. De l’autre, plein de gens n’ont pas de travail. Faire se rencontrer les deux réduirait les inégalités, stimulerait l’économie et bénéficierait à toute la société.

Trump est au pouvoir, l’Europe est rongée par l’extrême droite et pourtant vous restez optimiste…

Je n’ai jamais vu les jeunes Américains aussi motivés. Ils réalisent que leur futur est en jeu. Notre démocratie prend l’eau, l’économie est défaillante, mais ils ont encore confiance dans nos processus démocratiques. Ils ont compris que la direction dans laquelle nous entraîne le Parti républicain est un trou noir. Quand je voyage, je sens cela aussi en Europe et dans d’autres parties du monde. Voilà mon espoir.

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