Publications par catégorie

Archives de catégorie Dette-Système bancaire

L’Allemagne fait des profits sur la Grèce

L’Allemagne a engrangé plus d’un milliard de profits sur la Grèce

Les Echos Le 12/07

Le ministère des Finances allemand affirme avoir réalisé 1,3 milliard d’euros de bénéfices en prêtant à la Grèce. Les profits réalisés via la BCE sont les plus importants.

C’est un sujet qui sème la zizanie en Allemagne. En effet, la posture du gouvernement d’Angela Merkel sur le dossier grec soulève des critiques. Notamment de la part des Verts, qui regrettent un manque de solidarité avec Athènes. C’est à leur demande que le ministère des Finances a dû dévoiler les profits réalisés sur les prêts accordés à la Grèce. Selon le quotidien Süddeutsche Zeitung, les bénéfices s’élèvent à 1,34 milliard d’euros au total.

Depuis le début de la crise grecque en 2009, l’Allemagne, comme tous les partenaires européens, a participé au sauvetage du pays en accordant différentes sortes de prêts, soit de manière bilatérale soit via les fonds européens de stabilité créés à cette époque, ou encore à travers la Banque centrale européenne (BCE). Le montant révélé par le ministère comprend notamment un bénéfice de 393 millions d’euros réalisé sur le prêt de 15,2 milliards d’euros accordé par la banque de développement KfW depuis 2010.

Profits issus du programme de la BCE

Mais la part la plus importante provient des obligations détenues par la BCE. Celle-ci a mis en place entre 2010 et 2012 le « Securities Market Program » (SMP), un programme d’achats d’emprunts d’Etat destiné à soutenir les pays en grande difficulté de la zone euro et principalement la Grèce. Le journal allemand indique que depuis 2015, la banque centrale allemande, la Bundesbank, a dégagé un profit total de 952 millions d’euros provenant de ce programme.

De 2013 à 2015, les Européens sont tombés d’accord pour que la BCE reverse les profits réalisés sur les obligations grecques aux Etats membres de la zone euro, afin que ceux-ci les transfèrent à Athènes, dans le but d’alléger un peu son fardeau. Mais cette procédure a été stoppée en 2015, en raison des fortes tensions entre les créanciers du pays en crise et le gouvernement grec, en particulier son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, déterminé à renégocier complètement l’accord avec la Troïka.

Reprise des versements mentionnés lors du dernier Eurogroupe

Signe du dégel des relations, lors de l’Eurogroupe du mois dernier, la reprise du versement des profits des banques centrales a de nouveau été mentionnée dans le communiqué final. « Si la Grèce met complètement en oeuvre le programme d’ajustement d’ici à 2018, alors les profits réalisés en 2017 sur les titres détenus dans le cadre du programme de la BCE pourront lui être restitués, mais pas ceux réalisés en 2015 et 2016 », précise l’équipe de Citi. Selon une source proche de Bercy, au total, la Grèce pourrait recevoir de ses partenaires un montant « qui se chiffre à plusieurs milliards d’euros ».

En 2015, le stock de dette grecque détenu par la BCE – la dette n’ayant pas expiré et sur laquelle Athènes devait continuer de verser des intérêts – s’élevait à 27 milliards d’euros. L’ancien ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, alors en fonction, envisageait de faire défaut sur cette dette : son plan, baptisé « plan X », consistait ainsi à forcer la Troïka à revoir ses conditions envers Athènes . Il a dû démissionner avant de pouvoir l’activer.

A noter : La Commission européenne a annoncé ce mercredi la clôture prochaine de la procédure de déficit excessif contre la Grèce.

A.N-R et I.Co

Préface au livre d’Eric Toussaint sur la dette grecque par Zoe Konstantopoulou

Grèce : La lutte contre la dette odieuse et illégitime

Préface au livre d’Eric Toussaint sur la dette grecque  par Zoe Konstantopoulou

Annonce de la présentation publique du livre d’Eric Toussaint le 11 juillet 2017 à Athènes

C’est avec une joie toute particulière et le sens de mon devoir historique que j’ai accepté d’écrire la préface au recueil d’articles d’Éric Toussaint qui est publié, en grec, en 2017, par RedProject.

Ma collaboration avec Éric Toussaint, depuis février 2015 et les premiers jours de mon mandat de Présidente du Parlement hellénique, jusqu’au moment où je rédige ces lignes, en juillet 2017, constitue pour moi un honneur particulier et une expérience précieuse.

En cette période historique où tout est extrêmement instable, où la démocratie et la volonté populaire exprimée lors du référendum du 5 juillet 2017 sont violemment bafouées, où les engagements politiques du Gouvernement sont enfreints avec cynisme et où toutes les garanties fondamentales de la liberté et de la prospérité du peuple sont remises en cause, en cette période historique où le régime des mémorandums et de la debtocratie sont imposés avec violence, Éric Toussaint est un modèle de cohérence, de travail infatigable et désintéressé au service d’idéaux, de principes et de valeurs supérieures liées à la défense de l’être humain et de notre dignité, à la récupération de la souveraineté et des droits du peuple grec. Il est un véritable allié du peuple grec dans sa lutte pour sa libération. Un allié qui ne se rend pas, ne baisse pas le drapeau, et se bat constamment pour révéler la vérité sur la Dette de la Grèce et pour l’émancipation des citoyens, avec pour armes l’information, le savoir, la désobéissance.

Ses articles, repris dans la présente édition, sont un échantillon petit mais caractéristique du long travail réalisé par Éric Toussaint sur l’histoire de la dette et des mécanismes ayant permis de l’imposer en Grèce. Une histoire qui remonte aux toutes premières années de la Guerre pour l’Indépendance il y a deux siècles. Il s’agit également d’un échantillon caractéristique des connaissances approfondies de l’histoire, de la politique et de l’expérience révolutionnaire d’autres pays et d’autres peuples (Amérique Latine, Monde Arabe et autres), qui ont été transformés en victimes par l’arme de soumission qu’est la dette mais qui ont aussi résisté à cette imposition. Dans ce livre, l’analyse historique est utilisée pour comprendre la réalité contemporaine et mettre en lumière les évènements qui déterminent les destins des peuples.

De manière active, en acte et en pratique, Éric Toussaint écrit et agit pour forger les conditions qui permettront d’éliminer le joug économico-politique des mémorandums et du système dette. Il transmet ses connaissances avec le talent qui caractérisent le vrai maître, celui qui vulgarise le savoir et s’adresse au citoyen en tant que participant à part entière à la lutte historique que sont appelées à mener les générations actuelles.

Grande est l’importance des articles et de l’ouvrage d’Éric Toussaint, car leur contenu-même constitue un savoir précieux et nécessaire aux citoyens pour qu’ils prennent conscience du point historique et politique à partir duquel ils doivent agir. Mais c’est dû aussi à la personne-même d’Éric Toussaint et à sa contribution décisive à la préparation de la lutte de notre peuple pour revendiquer sa liberté.

La valeur de cet ouvrage réside précisément dans son contenu vivant qui, peut à lui seul réveiller et provoquer une réaction contre l’ensemble du plan stratégique du Régime visant à instaurer la déception, le découragement et le renoncement à un peuple qui veut pourtant reconquérir sa propre histoire, sa vie et son avenir.

Valeur d’autant plus grande si l’on se rappelle que les articles publiés dans cet ouvrage ne sont qu’une petite partie des articles dont Éric Toussaint est l’auteur et de ses interventions publiques de ces dernières années, tant sur la dette de la Grèce que sur le Système-dette dans son ensemble. Mais encore, si l’on pense que cet homme voyage depuis des décennies dans le monde entier, en soutien aux peuples qui ont besoin de s’opposer et de résister à leurs tyrans économiques et politiques. Si l’on pense également au fait que, dès la fin de septembre 2015, non seulement il n’a pas abandonné les Grecs et la Grèce mais il a accepté de continuer à travailler pour l’audit de la Dette du pays. Il a poursuivi sa contribution à la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, transformée en association après avoir été la cible du gouvernement pro mémorandum de Tsipras II.

Dans les articles sélectionnés, Éric traite de manière systématique de l’Histoire en analysant le parcours du système de la dette, en Grèce, de la Guerre d’indépendance à ce jour. En consignant les évènements historiques contemporains et en les analysant. En mettant en avant les similitudes et les analogies criantes dans l’activité des créanciers en Grèce, depuis deux siècles, par le biais de la mise sous tutelle du pays par des puissances étrangères et de l’implication spéculative des banques et des banquiers. Et, enfin, en formulant des propositions et des solutions. Des solutions qui passent par les citoyens et les Gouvernements que les citoyens soutiendront pour mettre en œuvre des programmes politiques radicaux de libération sociale.

Ce qui n’est pas dit dans les articles sélectionnés, c’est le rôle d’Éric Toussaint lui-même dans la formation de l’Histoire, par le biais de son précieux travail en tant que Coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, pour le déchiffrement et la délégitimation de la dette imposée à notre peuple et notre pays.

C’est donc ce rôle historique d’Éric Toussaint, lors de notre collaboration, de février 2015 à ce jour et notamment dans la période critique de février à septembre 2015, que j’entreprendrai de mettre en avant dans les pages qui suivent.

J’estime que c’est là mon devoir.

Car Éric Toussaint n’est pas un observateur de l’histoire. Il est un transformateur actif de l’histoire.

En 2015, avec la formation de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, nous avons engagé ensemble une bataille historique qui n’est pas encore achevée, qu’il est important de consigner et de poursuivre jusqu’à la fin.

Je parlerai donc ici de l’Histoire de la Commission du Parlement hellénique pour la Vérité sur la Dette publique et du rôle central d’Éric Toussaint. Je parlerai des conditions dans lesquelles a commencé cette entreprise historique de la première commission institutionnelle d’audit de la dette d’un État membre de l’Union européenne, à ce jour.

Cela permettra d’ajouter une pièce nécessaire à la mosaïque précieuse des articles de l’auteur, concernant l’auteur lui-même.

POUR L’HISTOIRE
MA RENCONTRE AVEC ÉRIC TOUSSAINT ET LA CRÉATION DE LA COMMISSION POUR LA VÉRITÉ SUR LA DETTE

En février 2015, le téléphone spécial du Président du Parlement a sonné : c’était un ministre du Gouvernement de l’époque.

« Zoé, Éric Toussaint est là. Nous étions en train de discuter et il voudrait te rendre visite pour discuter. »

« Dis-lui de venir à mon bureau, aujourd’hui. Je le cherchais, moi aussi. »

Le vif souvenir que j’avais d’Éric Toussaint, que je n’avais pas rencontré personnellement, remontait au grand festival de la jeunesse de Syriza, en octobre 2012, alors que le parti était devenu premier parti d’opposition, alors que l’avenir était ouvert devant lui. Éric avait prononcé un discours enflammé et avait été porté aux nues.

Lui-même ne s’en souvient pas du tout, comme il me l’a révélé plus tard, car il était particulièrement abattu : il avait constaté, ce jour-là, que Tsipras commençait déjà à faire marche arrière sur ses engagements concernant l’audit et l’annulation de la dette, chose que la majorité d’entre nous, qui n’avons pas participé à la trahison qui allait venir, avons beaucoup tardé à réaliser, malheureusement.

Dans mon discours d’ouverture en tant que Présidente du Parlement, le 6 février 2015, immédiatement après mon élection, j’avais annoncé que le Parlement allait contribuer activement à l’audit et à l’annulation de la dette.

À la première réunion du groupe parlementaire après cette séance, le député des écologistes avait demandé, très angoissé, s’il « était permis de dire des choses pareilles en pleine négociation, alors que le Premier ministre et le ministre des finances n’utilisent absolument pas ces termes. » Je lui ai alors répondu que c’était le programme sur la base duquel nous avions été élus et que nous devions non seulement le dire, mais aussi le faire. Personne n’osa me contredire. Toutefois, il était déjà clair que le Gouvernement lui-même n’entreprendrait aucune initiative concernant un audit ou une annulation de la dette et que le groupe parlementaire restait impuissant face aux développements.

Il apparut très vite qu’une telle initiative devait s’appuyer sur des personnes disposant des connaissances nécessaires mais également ayant déjà une expérience analogue dans le domaine de l’audit de la dette et du rejet des dettes odieuses et illégales. Éric Toussaint était de toute évidence la figure emblématique de cette lutte qui soutenait avec ferveur, par ses interventions publiques et ses visites en Grèce, que la dette devait être auditée et que, dans la mesure où elle s’avérait odieuse, illégale, illégitime et/ou non viable, elle devait être annulée. Une position parfaitement en phase avec le droit international, la protection internationale des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

16 février 2015, ma première rencontre avec Éric Toussaint

Notre première rencontre ne dura pas longtemps. Je connaissais son expérience précieuse et sa contribution à l’audit de la dette et, notamment, sa participation à la Commission d’audit de la dette de l’Équateur. Il était clair pour moi qu’il s’agissait d’une personne qui, depuis des décennies, avait contribué avec désintéressement à révéler le mécanisme de soumission des peuples par le biais de la dette et à lutter pour libérer les peuples et les citoyens du joug de la dette illégitime. Je voulais qu’il me parle de son expérience et tout ce qu’il me dit fut effectivement particulièrement éclairant.

Je lui demandai alors s’il était disposé à entreprendre l’audit de la dette grecque pour le compte du Parlement hellénique et s’il pouvait rester en Grèce pour que nous nous rencontrions une semaine plus tard pour discuter des modalités de cet audit. Il me répondit par l’affirmative aux deux questions. J’ai demandé que soit immédiatement publié un bulletin de presse du Parlement concernant ma rencontre avec Eric Toussaint, afin de lancer le message : nous avançons vers la réalisation de nos engagements.

Vers l’instauration de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique

Les jours qui suivirent furent denses et dramatiques. Élection du Président de la République, le 18 février 2015. Communication de l’accord du 20 février 2015. En apprenant par les médias le contenu de cet accord le 20 février, je sentis la terre se dérober sous mes pieds : il contenait la reconnaissance de la dette et l’engagement de la responsabilité de son remboursement ! Je demandai à voir Tsipras immédiatement. Je le vis le lendemain, le 21 février, dans son bureau au Parlement, immédiatement après la réunion du Conseil. Flambouraris attendait dehors, entrant et ressortant constamment et faisant pression pour qu’ils partent à Égine.

Je dis à Tsipras que cet accord était un mémorandum et que nous devions nous en dégager au plus tôt. Qu’il fallait immédiatement révoquer la formulation concernant la dette, par le biais de communications officielles par tous les acteurs. Qu’il fallait suivre une stratégie précise. Réaliser un audit de la dette. Agir concernant les dettes allemandes à l’égard de la Grèce suite à l’invasion et à l’occupation nazie au cours de la seconde guerre mondiale. Ouverture de l’affaire Siemens et de toutes les affaires de corruption. Tsipras s’efforçait de me convaincre que l’accord n’était pas un mémorandum. Il prétendait que la reconnaissance de la dette ne portait que sur les paiements qui seraient effectués au cours des 4 mois à venir et, en même, temps, il marquait avec embarras son accord avec mes suggestions.

J’étais présente lorsqu’il expliqua à Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, que « ce que nous avons obtenu n’est pas blanc, n’est pas noir, nous avons réussi le gris. »

Je quittai cette rencontre après avoir annoncé à Tsipras que j’entamerai immédiatement l’audit de la dette au Parlement et constituerai la Commission pour les dettes allemandes, après avoir obtenu son consentement.

Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau Éric.

Il était morose et préoccupé.

Je commençai à parler avec lui de la commission qu’il fallait mettre sur pied pour mener l’audit de la dette. Je lui dis que je pensais à une commission conforme à une disposition spéciale du règlement du Parlement qui permettait au Président de l’Assemblée de constituer des commissions composées de personnes extraparlementaires et dont l’objet portait sur des affaires n’ayant pas trait aux affaires courantes du Parlement. Je lui expliquai que j’envisageais cette commission comme une commission internationale et nationale, composée de scientifiques et de citoyens, dont le mandat serait clairement de déchiffrer les conditions dans lesquelles la dette publique grecque avait été créée et gonflée et d’élaborer l’argumentaire permettant de dénoncer toute partie de la dette qui serait jugée illégale, odieuse et non remboursable. Il était positif, mais réservé.

« Je vois que quelque chose te préoccupe. Je veux que nous parlions de manière directe », lui dis-je.

« Zoé, je suis très angoissé. Quelle est ta position à propos de l’accord du 20 février ? »

« Éric, je considère que cet accord est un véritable camouflet. Je l’ai dit au Premier ministre et je l’ai informé sur mon intention d’entreprendre les initiatives nécessaires pour renverser cet accord, et il m’a donné son consentement. La Commission d’audit de la dette dont je te propose d’entreprendre la coordination scientifique est une initiative cruciale dans ce sens. »

Il me regardait toujours d’un air scrutateur.

« Quant à ce qui te préoccupe, d’après ce que je comprends, voilà ce que j’ai à te dire : j’ai prévenu formellement le Premier ministre de ne pas présenter cet accord au Parlement. » Je répétai la même chose à la réunion du Groupe parlementaire, dans les jours suivants. Lors du vote qui s’est tenu au sein du groupe, le 25 février, je votai NON au texte de l’accord, ce qui mit le feu aux poudres et fit immédiatement de moi une cible. « Ce que j’ai à te dire c’est que si, malgré tout, cet accord était présenté au Parlement, moi je ne le voterai pas. »

Son visage s’éclaira, il semblait soulagé. Je voyais qu’il était encore préoccupé par l’évolution globale, mais il était important pour lui de savoir qu’il pouvait compter sur notre entente. Bien plus tard, il me confirma qu’il s’était agi d’un moment déterminant car il avait compris que la personne qui lui demandait de s’engager et de s’impliquer dans cette lutte frontale contre les mécanismes de soumission entendait bien aller au bout de ce qu’elle disait.

C’est ainsi que tout a commencé.

« Je veux que tu assumes le poste de Coordinateur scientifique de la Commission et que tu me dises ce que tu attends de moi », lui dis-je.

« C’est toi qui doit présider la Commission et ses travaux, pour garantir que tout sera réalisé sans obstacles », me dit-il.

C’est ainsi qu’est née la première et unique commission institutionnelle d’audit de la dette sur le sol européen à ce jour.

Tout simplement.

Par des gens de parole.

Le passage à l’action

Le 17 mars 2015, lors d’une conférence de presse avec Éric Toussaint et Sofia Sakorafa, députée européenne que j’avais invitée pour qu’elle se charge de la liaison entre la Commission et le Parlement européen et les Parlements des États membres de l’Union, l’on annonça la constitution et la composition d’une commission spéciale du Parlement pour l’audit de la dette. La commission serait internationale, composée de scientifiques étrangers et Grecs, d’activistes, de membres de mouvements mais aussi de simples citoyens.

Et le 4 avril 2015 eut lieu la Réunion d’inauguration de la Commission pour la vérité sur la dette publique, au sein du Parlement, en accès libre pour les citoyens et en retransmission directe, dans toute la Grèce, via la chaîne télévisée du Parlement.

La Commission a réalisé des réunions ouvertes et des conférences de presse. Elle s’est penchée sur des dossiers pénaux liés aux mémorandums. Elle a ouvert des dossiers pénaux portant sur des affaires de corruption. Elle s’est déplacée dans des ministères, mais elle a aussi auditionné des témoins. Tout cela, dans une période de rebondissements quotidiens et au milieu d’un véritable bombardement de propagande et de dénigrement de la Commission par les médias qui en ciblaient les membres. Éric devint la cible de la presse à scandale qui commentait ses sandales, sa chemise verte, sa queue de cheval. Mais il ne se trouva personne pour contester ses compétences scientifiques de manière argumentée. Et, contrairement à la guerre que lui menaient les médias, les citoyens du pays l’accueillaient partout avec enthousiasme, en l’embrassant et en le remerciant pour ce qu’il faisait pour notre pays.

Les 17 et 18 juin 2015, lors d’une réunion publique, la Commission publia et présenta son rapport préalable, dans lequel elle documentait pourquoi la dette grecque est illégale, illégitime, odieuse et non viable. Elle y exposait et analysait de manière approfondie les raisons pour lesquelles cette dette qui est un levier et un instrument de chantage ne peut pas et ne doit pas être remboursée.

Ce rapport a été envoyé et officiellement remis au Président de la République, au Premier ministre, à tous les ministres et aux membres du Parlement. Il a été envoyé à tous les Présidents des Parlements de l’Union européenne. Il a été envoyé au Président du Parlement européen et à tous les eurodéputés.

Il n’a été utilisé par aucun acteur gouvernemental. Pas même au moment le plus critique des négociations, quelques jours plus tard. Pas même à l’heure de l’ultimatum. Pas même pendant la semaine avant le référendum. Pas même pendant la semaine après le référendum qui a abouti à la grande trahison du 13 juillet 2015, où Tsipras s’est rendu aux créanciers, en acceptant entièrement la dette illégale et en soumettant le pays aux termes de remboursement les plus dégradants, cristallisés dans les préalables au 3e mémorandum et dans le 3e mémorandum lui-même.

Les conclusions de la Commission pour la Vérité sur la Dette sont bien là. Et elles étayent pleinement le peuple grec dans sa lutte pour se libérer du joug de la dette.

Ces conclusions sont, de manière décisives, le résultat du désintéressement, des efforts infatigables, du dévouement d’Éric Toussaint dans son soutien essentiel à notre peuple. Elles sont dues au choix transparent des collaborateurs internationaux et des personnes irréprochables qui ont contribué à leur élaboration. Elles sont dues à la persévérance des membres qui voulaient que la Commission pour la Vérité remplisse sa mission, en dépit d’une propagande digne de Goebbels dont elle a été la cible dès sa constitution.

Pour éviter que cette Commission – ainsi que d’autres commissions cruciales – poursuive ses travaux, le Parlement a été dissout au mois d’août 2015.

Car il était impossible autrement de contourner l’existence d’un organe institutionnel du Parlement qui contestait et déconstruisait de façon documentée la dette par laquelle nous avons été soumis à l’esclavage. Ils ne voulaient pas non plus permettre une mise en relation avec le travail réalisé sur les dettes de l’Allemagne ou sur l’affaire Siemens et, en général, sur la corruption, grâce aux travaux de la Commission pour la Vérité sur la Dette. Il ne fallait pas que l’audit progresse au point qu’on puisse identifier et désigner ceux qui étaient à l’origine du surendettement du pays et ceux qui avaient profité de ce processus scandaleux.

Même après la dissolution de l’Assemblée et avant la prestation de serment du nouveau Parlement, la Commission a tenu sa réunion programmée, fin septembre 2015. Et elle a publié son 2e rapport, qui documente le caractère illégal de la nouvelle dette liée au 3e mémorandum.

Immédiatement après cette dernière réunion parlementaire de la Commission, notre action commune passa à un autre niveau. La Commission devint la cible privilégiée du nouveau régime. Ses conclusions furent retirées du site web du Parlement. Ensuite, on lui retira ses bureaux. On proclama la clôture de ses travaux. Les archives personnelles et les effets de ses membres furent saisis et l’accès aux conclusions restantes fut interdit.

Avec Éric, nous nous sommes lancés dans une course à l’information des citoyens et de la communauté internationale sur la véritable situation de la dette grecque, avec des discours en France, Espagne, Amérique, Belgique, Portugal, Allemagne, Danemark, France. En mars 2016, nous avons transformé la Commission pour la vérité en association, en en maintenant la composition initiale. En novembre 2016 à Athènes s’est tenue la première réunion internationale de la Commission pour la Vérité sur la Dette dans une salle comble du Barreau d’Athènes.

La question de la dette a été intégrée au programme de l’Initiative paneuropéenne « Plan B ». En même temps, Éric a transmis l’expérience de la Grèce aux collectivités locales d’Espagne, là où les élus étaient prêts à entreprendre des initiatives radicales du même genre.

La lutte continue.

En rédigeant cette préface, je souhaite et j’espère qu’il ne s’agit pas uniquement de la préface d’une édition mais le prologue des étapes à venir d’un parcours historique, difficile mais victorieux, vers la libération de notre peuple du Régime de la dette et des mémorandums.

Avec Éric pour compagnon de route, combattant sur la ligne du front.


Traduit du grec par Corinne Cooreman. Révision de la traduction par Marie-Laure Coulmin

Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Dans cet article de Dylan Gamba paru dans Libération le 16 juin l’auteur y cite une intervention d’Eric Toussaint.

Athènes évite (temporairement) le défaut de paiement

Les créanciers de la Grèce se sont mis d’accord pour débloquer une aide de 8,5 milliards d’euros. Mais le pays est encore loin d’être sorti de la crise qui dure depuis 2009.

Et bis repetita. Les capitales européennes se sont à nouveau félicitées après l’accord conclu jeudi soir en deux heures sur le déblocage d’une nouvelle aide financière à la Grèce. «Je crois que l’on peut dire que la Grèce est sortie d’affaire, s’est même enthousiasmé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Nous avons trouvé avec nos partenaires de la zone euro un bon accord qui doit permettre au pays de sortir des difficultés économiques.» A l’issue des discussions, les créanciers de la Grèce (FMI, BCE et Mécanisme européen de stabilité) ont donc consenti un prêt de 8,5 milliards d’euros, prélevé sur l’enveloppe du troisième plan d’aide à la Grèce (86 milliards d’euros), adopté pendant l’été 2015. Certes, la Grèce évite ainsi le défaut de paiement. Mais aussitôt encaissés par Athènes, la quasi-intégralité des 8,5 milliards repartira dans les caisses des créanciers de la Grèce. Athènes est donc en mesure d’honorer les 7 milliards de dette qui arrive à échéance en juillet.

Mais la pilule risque d’être amère pour les Grecs, puisque en échange de cette nouvelle tranche financière, le Premier ministre, Aléxis Tsípras, a dû accepter une quatorzième réforme des retraites, une nouvelle révision de l’impôt sur le revenu et diverses mesures d’austérité budgétaires (à hauteur de 5 milliards d’euros) imposées par le FMI.

Reste que la question de la soutenabilité (ou non) de la dette grecque est toujours un objet de discussions. Certes, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, se dit prête à faire en sorte que le FMI mette la main à la poche pour participer au troisième plan d’aide… Mais il faudra, comme par le passé, remplir une condition: «Que la dette soit jugée soutenable.» Et là, tout dépend des taux de croissance futurs de la Grèce qui seront retenus. Le FMI se montre désormais prudent et préfère ne pas gonfler le taux de croissance, alors que la Commission européenne se montre plus optimiste.

En attendant, «laccord global va permettre à la Grèce de tourner la page d’une période difficile», veut croire le commissaire européen aux affaires économiques Pierre Moscovici. «On est très loin d’une résolution de la crise grecque, tempêre Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM). Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre et ce prêt ne sert qu’à rembourser le FMI et la BCE.» Pour cet économiste, rien n’est fait pour relancer la croissance de la Grèce, alors que le gouvernement a revu ses prévisions à la baisse pour 2017, passant de 2,7 à 1,8%. «Ces politiques continueront d’avoir un impact récessif. Et cet accord prolonge une politique qui enfonce la Grèce dans une situation de stagnation.»

Le fardeau de la dette

Sur Twitter, Aléxis Tsípras a salué d’un accord qui «répond aux sacrifices du peuple grec» et qui permet au pays de «tourner la page». Mais la Grèce est encore loin d’être sortie de la crise. Le Washington Post a publié un échéancier de la dette du pays, qui court en théorie jusqu’en… 2059. Dès la rentrée, la Grèce devra encore rembourser plusieurs milliards d’euros à des détenteurs de bons du Trésor.

Pour Eric Toussaint, «les Grecs ont été les victimes expiatoires. C’était une menace à peine voilée aux autres pays qui voulaient rompre avec l’austérité. Pourtant, on voit bien que ces politiques ne fonctionnent pas : lors du premier plan d’aide à la Grèce en 2010, la dette était de 110% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 170%».

Lors des discussions, l’Eurogroupe s’est une nouvelle fois engagée, «si nécessaire», à des allégements de la dette grecque à partir de la fin du plan d’aide, fin 2018. Des mesures insuffisantes pour Eric Toussaint, qui estime que pour sortir de cette spirale, 90% de la dette du pays devrait être annulée. Inimaginable au regard de la position allemande et française, d’autant plus inflexible que des élections législatives auront lieu outre-Rhin en septembre. Mais si rien n’est fait en ce sens, les réunions de la dernière chance pour la Grèce risquent encore de se succéder.

Dylan Gamba

http://www.liberation.fr/planete/2017/06/16/athenes-evite-temporairement-le-defaut-de-paiement_1577275

Nikos Chountis à Moscovici et Dombrovskis au sujet de l’UEM

COMMUNIQUE DE PRESSE

Les peuples d’Europe peuvent et doivent trouver des modes alternatifs de coopération économique en dehors et loin des liens de l’Euro.

L’eurodéputé de l’Unité populaire, Nikos Chountis, a formulé une critique sévère à l’encontre de l’UEM (Union économique et monétaire) et de l’euro, au cours du débat en séance plénière du Parlement européen concernant le renforcement de l’UEM.

Plus précisément, s’adressant aux Commissaires Moscovisi et Dombrovskis, Nikos Chountis a indiqué que : « l’UEM et l’euro se sont révélé un mécanisme économique et politique d’exécution de politiques concrètes, au profit des pays les plus forts économiquement et du capital ». Il a également souligné que, « en 18 ans d’existence de l’UEM et plus particulièrement pendant les années de crise, au nom de la stabilité financière l’austérité la plus dure qui soit a été appliquée, accentuant au final les inégalités sociales et régionales ».

Poursuivant son intervention, l’eurodéputé de l’Unité populaire a vertement critiqué l’euro, soulignant que « les gouvernements mémorandaires, comme celui de la Grèce, ainsi que les institutions européennes, au nom des règles et de la stabilité de l’UEM, ont violé les traités européens, la charte des droits fondamentaux, les constitutions nationales, ont annulé les référendums, ont discrédité la volonté des peuples et la démocratie ». D’où il tire la conclusion que, « actuellement, la nécessité d’un renforcement de l’UEM, requiert au fond davantage d’austérité, davantage de coupes budgétaires touchant les salaires et les retraites, davantage de privatisations des secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, moins de droits pour les travailleurs, davantage de chômage et d’insécurité ».

Vous trouverez ci-dessous le lien vers la vidéo de l’intervention : https://www.youtube.com/watch?v=L82ePCRv48s

Suit la prise de position de l’eurodéputé de l’Unité populaire, Nikos Chountis :

« L’UEM et l’euro se sont révélé un mécanisme économique et politique d’exécution de politiques concrètes, au profit des pays les plus forts économiquement et du capital.

En 18 ans d’existence de l’UEM et plus particulièrement pendant les années de crise, au nom de la stabilité financière l’austérité la plus dure qui soit a été appliquée, accentuant au final les inégalités sociales et régionales. 

Certains pays excédentaires et déficitaires, au nom de la monnaie commune et de la politique commune de change, ont lancé une très grande attaque contre les travailleurs, comportant des coupes dans les salaires, les retraites et les dans les dépenses sociales.

Le capital et les puissants de chaque pays, au nom de la libre circulation de capitaux, exploitent la moindre occasion pour frauder, spéculer sur les marchés financiers et protéger leurs propres intérêts.

Des pays comme la Grèce ont été soumis aux mémorandums pour que les banques et l’euro soient sauvés.

Les gouvernements mémorandaires, comme celui de la Grèce, ainsi que les institutions européennes, au nom des règles et de la stabilité de l’UEM, ont violé les traités européens, la charte des droits fondamentaux, les constitutions nationales, ont annulé les référendums, ont discrédité la volonté des peuples et la démocratie.

Actuellement, la nécessité d’un renforcement de l’UEM, requiert au fond davantage d’austérité, davantage de coupes budgétaires touchant les salaires et les retraites, davantage de privatisations des secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, moins de droits pour les travailleurs, davantage de chômage et d’insécurité. 

Pour les peuples européens, l’UEM et l’euro ne proposent pas de perspectives de prospérité et de développement pour eux et leurs enfants.

Les peuples d’Europe peuvent et doivent trouver des modes alternatifs de coopération économique en dehors et loin des liens de l’Euro.

*Une union économique et monétaire, couramment abrégée par les sigles UEM ou EMU (pour l’anglais Economic and monetary union), est un groupe de pays qui ont adopté une monnaie unique et ouvert leurs marchés économiques pour former une zone de libre-échange, c’est-à-dire la zone euro, qui est souvent dénommée simplement Union économique et monétaire.

Le service de presse 13.06.2017 

Merci à Vanessa de Pizzol pour la traduction du Grec.

Article sur Unité populaire :

https://unitepopulaire-fr.org/2017/06/17/n-chountis-a-moscovisi-le-renforcement-de-luem-signifie-davantage-dausterite/

La dette de la Grèce reste entière

La dette de la Grèce reste entière par Martine Orange Médiapart

À l’issue du sommet de l’Eurogroupe, jeudi 15 juin, rien n’a changé pour la Grèce. Les milliards d’aide promis par l’Europe serviront à payer les créanciers et à éviter le défaut du pays. Aucune annulation de la dette et pas même un réaménagement n’a été consenti.

« Je pense que nous avons fait un grand pas en avant. » « La lumière est au bout du tunnel. » Au sortir du sommet de l’Eurogroupe, jeudi 15 juin au soir, les tweets des responsables européens crépitaient. Tous se félicitaient du « grand accord » trouvé sur la Grèce : les créanciers européens s’étaient enfin entendus pour verser une aide de 8,5 milliards d’euros attendue depuis des mois par Athènes.

Dans les faits, la « grande avancée » n’est que l’exact respect des termes inscrits dans le plan de sauvetage de 86 milliards d’euros signé en juillet 2015. Il y était alors prévu que l’Europe verse quelque 7 milliards d’euros à la Grèce pour l’aider à rembourser ses dettes arrivant à échéance à l’été 2017. Si les responsables européens ont rejoué le drame connu depuis le début de la zone euro, des réunions sans fin, des tergiversations, c’est pour arracher, par chantage au gouvernement grec, de nouvelles concessions, de nouvelles réformes allant vers toujours plus d’austérité, toujours plus de réduction des dépenses, qui n’étaient pas prévues dans le cadre initial. Car qui pouvait croire un instant que les responsables européens, devenus les principaux créanciers d’Athènes, allaient laisser le gouvernement grec faire défaut, au risque de provoquer une nouvelle crise de la zone euro ?Et c’est exactement le but du « grand accord » trouvé entre les partenaires européens, jeudi soir : l’aide versée à la Grèce va directement servir à rembourser les créanciers, comme d’habitude. Les Européens vont débloquer tout de suite 7,4 milliards d’euros afin de permettre au gouvernement grec de rembourser ses crédits contractés auprès de la Banque centrale européenne (BCE), du Fonds monétaire international (FMI), et auprès des investisseurs privés pour le reliquat. La somme promise restante – un milliard environ – ne sera débloquée qu’une fois que les créanciers européens auront toutes les preuves qu’Athènes a bien rempli toutes les conditions exigées et mis en place les réformes requises.

Pour le reste, rien n’a changé : les Européens continuent de maintenir la Grèce juste la tête hors de l’eau, pas plus. Aucune annulation de dettes, aucun rééchelonnement n’est prévu tout de suite. Les Européens ne s’engagent à réexaminer le fardeau de la dette grecque (180 % du PIB) qu’à la fin du plan, c’est-à-dire fin 2018. C’est exactement le calendrier souhaité et annoncé par le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, lors de la précédente réunion de l’Eurogroupe.Pour le gouvernement grec, la défaite est cuisante. En contrepartie d’efforts immenses pour respecter des ratios exorbitants de surplus budgétaires – 3,5 % du PIB –, de mesures toujours plus impopulaires qui l’amènent politiquement à ne plus tenir qu’à un fil, il espérait obtenir quelque assistance de la part de ses créanciers pour permettre au pays de repartir. Une nouvelle fois, il revient les mains vides, sans pouvoir promettre à sa population la moindre échappatoire à une austérité sans fin.

Le fait de n’avoir pas pu obtenir le moindre allègement de dettes n’est pas seulement une défaite politique, un problème de long terme. C’est aussi une question de survie immédiate : la Grèce, qui est le pays de la zone euro qui en a le plus besoin, reste exclue du programme de rachats de dettes (Quantitative easing) de la BCE, car elle ne remplit pas les conditions d’endettement requises. Sans cette garantie en dernier ressort de la banque centrale européenne, Athènes reste privée d’accès à tout marché financier, à tout investissement extérieur. Impossible de trouver les capitaux pour faire repartir une économie totalement effondrée – le PIB a chuté de 30 % en sept ans –, de nettoyer et restaurer un système bancaire en faillite, plombé par des portefeuilles de mauvaises créances qui ne cessent de s’accumuler au fur et à mesure que la crise se poursuit.

Cette réunion de l’Eurogroupe est d’autant plus cruelle pour le gouvernement grec, qu’elle marque un alignement complet des responsables européens sur les positions dures défendues par l’Allemagne. Tous les alliés sur lesquels la Grèce espérait pouvoir compter se sont soit révélés de peu de poids face à Berlin, soit lui ont fait défaut.

Le soutien de la France, en tout cas, lui a été de peu de secours. Ces derniers jours, l’Élysée n’a pourtant pas ménagé sa peine pour soutenir la cause du gouvernement grec et tenter d’ouvrir une nouvelle page de la crise de la zone euro. Jugeant que l’annulation de tout ou partie de la dette grecque est « inévitable », comme il l’a répété à plusieurs reprises, Emmanuel Macron a multiplié les gestes et les propositions en faveur d’Alexis Tsipras. La veille du sommet européen, le ministère de l’économie reparlait même de l’idée de lancer des obligations liées à la croissance, afin de donner quelque bouffée d’air à l’économie grecque et de lier le sort des créanciers à son rebond. La proposition avait été avancée il y a deux ans par Yanis Varoufakis, éphémère ministre des finances du gouvernement de Syriza.

À son arrivée au sommet de l’Eurogroupe, le nouveau ministre de l’économie, Bruno Le Maire, tenait des propos martiaux : « Je viens avec une détermination totale pour aboutir à un accord sur la question de la dette grecque. » La suite prouve que des déclarations fortes ne suffisent pas à inverser le cours des choses, qu’en matière de négociation européenne, le rapport de force seul compte. Et l’Allemagne est passée reine en la matière : elle est le « maître des horloges » européennes, selon l’expression favorite de l’Élysée. La France, si elle veut à nouveau peser sur la conduite européenne, ferait bien de retenir la leçon.

La caution du FMI

Mais l’abandon le plus amer pour Athènes est sans doute celui du FMI. Depuis le début de la crise, la Grèce entretient des relations orageuses avec l’institution internationale. Sur le terrain, les émissaires du fonds, dictant leurs conditions et leurs remèdes féroces, ont souvent été contestés voire malmenés par les gouvernements grecs successifs. Mais dans le même temps, Athènes a prêté une oreille attentive aux aveux du FMI, reconnaissant pas à pas, au vu des résultats catastrophiques obtenus, qu’il s’était trompé sur toute la ligne dans le traitement de la crise grecque. Avoir à ses côtés un allié de ce poids qui demandait également une révision du programme, qui conditionnait son soutien financier à l’allègement de la dette et un abaissement des ratios délirants de surplus budgétaire, donnait au gouvernement grec le sentiment qu’il n’était pas totalement isolé.

Cette illusion vient de se dissiper. Berlin et le FMI, comme le laissait supposer la rencontre entre Angela Merkel et Christine Lagarde en février, ont trouvé un terrain d’entente. Lors de la réunion de l’Eurogroupe, Christine Lagarde s’est ralliée avec armes et bagages à la position défendue par les Européens et leur a apporté sa caution. Le FMI ne réclame plus une annulation de la dette, un allègement des conditions budgétaires, en contrepartie de sa participation. La seule promesse que les créanciers européens réexamineront le problème à la fin du plan de sauvetage, fin 2018, lui suffit pour l’instant, comme l’a confirmé Christine Lagarde à la sortie de la réunion : « Je proposerai au comité exécutif du FMI d’approuver le principe d’un nouvel accord avec la Grèce. L’accord [obtenu lors de l’Eurogroupe] permet de prendre plus de temps pour mener les négociations sur le niveau nécessaire d’allègement de la dette. »

Dans les faits, la participation du FMI au plan de sauvetage de la Grèce est purement formelle. Le fonds s’engage à apporter deux milliards d’euros d’aide, mais une fois que les Européens auront trouvé une entente et pourront proposer un projet d’allègement de la dette qui semble crédible. Mais cette parole suffit : l’important pour les Européens était de ramener le FMI à bord du plan de sauvetage. L’Allemagne et les Pays-Bas avaient tous les deux conditionné leur aide à la Grèce à la participation du FMI. Ce dernier s’y engageant, ils peuvent donc participer eux aussi au plan d’aide, sans renier leurs engagements politiques.

Des observateurs veulent croire que l’accord de l’Eurogroupe n’est qu’un moyen de temporiser, en attendant les élections législatives allemandes en septembre. « Impossible de vendre à une opinion allemande très hostile aux Grecs le moindre effacement de dette », expliquent-ils. Mais tout pourrait changer après, selon eux. D’ailleurs, soulignent-ils, l’Eurogroupe envisage de faire un premier réexamen de la dette à la fin 2017.

Pour la Grèce, ce sera trop tard : la BCE a prévu d’achever son programme de rachats de dettes souveraines justement à cette date. Compte tenu des pressions multiples qui s’exercent déjà sur le président de la banque centrale, Mario Draghi, pour sortir au plus vite de sa politique monétaire ultra-accommodante et revenir à une stricte orthodoxie monétaire, il paraît difficile d’envisager un prolongement d’un tel programme. Même s’il obtient un allègement de sa dette qui lui ouvrirait de nouveau l’accès aux marchés financiers, le gouvernement grec serait alors condamné à emprunter en payant les primes de risque les plus élevées.

C’est pourtant le scénario le plus favorable. Rien ne dit, en effet, que l’Allemagne, même après les élections, accepte un allègement de la dette grecque. Les libéraux, la force montante en Allemagne, avec lesquels la CDU-CSU d’Angela Merkel pourrait être amenée à former une coalition au lendemain des législatives, font du strict respect des règles européennes un cheval de bataille dans leur campagne. Tout aménagement, selon eux, est le signe d’une grave dérive laxiste. Pas besoin de pousser très fort la droite dure de la CDU, incarnée par le ministre des finances Wolfgang Schäuble, pour aller dans cette voie.

Les Allemands se sentent d’autant plus légitimes à demander cette stricte orthodoxie au sein de la zone euro que, pour eux, tout danger est écarté : les forces populistes, tant aux Pays-Bas qu’en France, qui représentaient un risque d’éclatement, ont été balayées lors des élections. La voie leur semble donc libre pour revenir à leur ordre. Et la Grèce doit servir d’exemple à tous les récalcitrants. Quitte à anéantir le pays, s’il le faut.

Grèce : la violence imbécile des créanciers

2 juin 2017 par Michel Husson pour Alencontre

Euclide Tsakalotos et Mario Draghi

Le 18 mai 2017, le Parlement grec a voté à une courte majorité (les députés de Syriza et ANEL : soit 153 députés sur 300) un nouveau train de mesures d’austérité qui couvre la période 2018-2021. En réalité, il s’agit de la transposition d’un volumineux document de 941 pages préparé par les créanciers et de la mise en musique de « l’accord » conclu avec la Commission européenne le 2 mai. Le document préparatoire, le Draft Preliminary Agreement |1| (que le site Keep Talking Greece a fait fuiter) donne un aperçu de l’étendue des champs couverts. La Grèce n’est plus une démocratie : ce sont les créanciers qui rédigent les lois.

L’acharnement

Cela n’a pourtant pas suffi. La réunion du 22 mai de l’Eurogroupe (la réunion des ministres des finances) devait acter la bonne mise en œuvre des réformes en cours. Cela aurait permis de débloquer une nouvelle tranche de prêt de 7,5 milliards d’euros permettant de faire face à une échéance de 7 milliards en juillet et de rendre les titres de la dette grecque éligibles à la BCE (Banque centrale européenne). Mais les ministres européens ont refusé de donner quitus à leur collègue grec, certaines des réformes, notamment des retraites, n’étant pas assez avancées à leurs yeux.

La position des Européens était dictée par Wolfgang Schäuble et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Elle consiste à maintenir une pression constante sur les Grecs et à repousser autant que possible toute discussion sur un nouvel allègement de la dette grecque que demande le FMI. Les motivations sont évidemment d’ordre politique (les prochaines élections en Allemagne), doctrinal (le respect des règles) et punitif (tuer toute velléité de politiques alternatives).

Il existe par ailleurs une divergence de vues entre les institutions européennes et le FMI. Ce dernier souffle le chaud et le froid : il déclare que la dette grecque est insoutenable, mais préconise en même temps des mesures supplémentaires encore plus dures que celles des Européens. Cette position difficile à interpréter renvoie à la volonté de ne plus reproduire l’erreur commise en 2010, qui avait consisté à violer ses statuts qui lui interdisent de prêter à un pays dont la dette est insoutenable |2|. A l’appui de cette interprétation, on peut remarquer que le FMI débat actuellement des State-contingent Debt Instruments for Sovereigns. Il s’agit de titres de la dette publique dont les intérêts et le principal sont indexés sur le PIB (GDP-linked bonds) ou à maturité variable (sovereign ‘cocos’ contingent convertibles). Mais les directeurs exécutifs sont partagés comme le montre le compte-rendu de la discussion sur le rapport du staff du FMI |3|, publié par coïncidence le même jour que la réunion de l’Eurogroupe. Le FMI est donc divisé, en butte aux obstructions des représentants européens en son sein.

La feuille de route de Bruno Le Maire

Yanis Varoufakis rappelait récemment |4| les promesses de soutien en faveur d’une « solution durable » que lui avait faites Emmanuel Macron, alors qu’ils étaient tous deux ministres. Mais Hollande et Sapin avaient mis leur veto. Aujourd’hui, rien n’empêche plus Macron de tenir ses promesses. Selon Mediapart |5| son projet est toujours de « trouver un accord prochainement pour alléger dans la durée le poids de la dette grecque. » Telle était donc « la feuille de route » du nouveau ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Grâce au site grec Euro2Day qui a fait fuiter les minutes |6| de la réunion de l’Eurogroupe, on peut constater que le nouveau ministre (Lemaire dans le compte-rendu) n’a pas réussi à se faire un nom et que sa prestation a été aussi lamentable que celles de son prédécesseur. Comme Michel Sapin il a, pour reprendre une formule de Varoufakis, émis « quelques bruits discordants mais très subtils (…) pour finalement se plier à la ligne de Doc Schäuble. » |7|

Dans sa première intervention, Le Maire félicite la Grèce pour les mesures adoptées et se plaint du « manque de clarté » qui fait obstacle à un compromis que la France est prête à soutenir. Il a des difficultés avec les hypothèses de croissance du FMI (mais pas avec celles de la Commission européenne), bref c’est le FMI qui bloque.

Vers la fin de la réunion, Le Maire précise qu’il est d’accord (« en même temps ? ») avec ses deux nouveaux copains, Euclide (Tsakalotos) et Wolfgang (Schäuble) et que, décidément, le FMI doit faire un geste. Mais sa vraie préoccupation est ailleurs : il espère que « nous serons capables de communiquer positivement à la réunion de ce soir [la conférence de presse], c’est important pour les marchés. » C’est après tout ce qui compte vraiment, et de manière très cohérente, Le Maire s’est empressé, dès la sortie de la réunion, d’annoncer qu’il fallait reporter toute décision concernant le projet de taxe sur les transactions financières et « attendre de mesurer toutes les conséquences du Brexit. » |8|

Des prévisions de croissance « fake »

Dans ses prévisions de février dernier |9| la Commission européenne faisait preuve d’un optimisme débordant. Elle discernait « des signes de reprise en lien avec la mise en œuvre du programme ». Selon elle, les perspectives s’amélioraient sur tous les fronts : demande intérieure, le marché du travail, finances publiques. Bref, la Commission n’hésitait pas à prévoir une croissance de 2,7 % en 2017, puis de 3,1 % pour 2018.

Patatras, les chiffres de la croissance tombent : le PIB a reculé de 1,2 % au dernier trimestre de 2016, et de 0,1 % au premier trimestre de 2017. La Commission européenne remet alors l’ouvrage sur le métier et, en mai dernier, révise ses prévisions à la baisse : ce sera dorénavant 2,1% en 2017 et 2,5 % en 2018 |10|. Elle est même un peu en dessous des prévisions du FMI d’avril (respectivement 2,2 % et 2,7 %) |11|. Mais elle ne renonce pas à son bel optimisme : « Après un recul au quatrième trimestre de 2016, la reprise devrait redémarrer cette année. » Ce n’était donc qu’un incident de parcours.

Tout cela est affligeant. La réalité est qu’après avoir baissé d’un quart, le PIB de la Grèce est plat depuis le début de 2013, soit quatre années pleines. Comment dans ces conditions oser parler d’amélioration, sans prendre en compte l’émigration, les retraités, la précarisation, la grande braderie des privatisations, la charge des réfugiés ? Comment ignorer les réactions du peuple grec à ce qui n’est rien d’autre qu’un nouveau mémorandum ? |12|.

Même en restant dans le domaine de l’économie « pure », comment postuler que, par miracle, la croissance va faire un bond en avant dans les années à venir ? Le graphique ci-dessous permet de vérifier que le volume trimestriel du PIB oscille autour de 46 milliards d’euros de 2010 depuis 2013. Selon les prévisions de la Commission, il devrait franchir une marche d’escalier dès cette année, suivie d’une autre en 2018. Mais il n’y a aucune raison de penser que l’application d’un programme d’austérité forcené pourrait produire un tel résultat. Il y a au contraire toutes les raisons de penser que ces prévisions sont faites au doigt mouillé par des tricheurs qui n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec l’économie.

JPEG - 90.7 ko

Source : Elstat |13|, Commission européenne[9] [10]

Est-ce d’ailleurs une coïncidence si l’OCDE, moins impliquée dans les « négociations » avec la Grèce, est beaucoup plus prudente ? Dans ses dernières Perspectives économiques parues en décembre 2016 |14|, elle table sur une croissance de 1,3 % pour 2017, puis de 1,9 % en 2018. Quant au Parliamentary Budget Office du Parlement grec, son dernier rapport publié en mars 2017 |15| évoquait avec raison la menace de « nouveaux cercles vicieux et de stagnation durable », si les hypothèses de croissance n’étaient pas vérifiées. On ne saurait mieux dire.

En réalité, le programme ne fonctionnera pas si tant est qu’il s’agisse de relancer l’activité économique en Grèce. Il n’est pas conçu pour cela, et c’était déjà le pronostic de la Commission pour la vérité sur la dette grecque dès septembre 2015 : le troisième mémorandum est aussi insoutenable que les deux précédents |16|.

En plus, « ils » le savent depuis le début. On ne peut résister à la tentation de rapporter ici la confidence de Christine Lagarde à Yannis Varoufakis lors de leur première rencontre le 11 février 2015 (un mois après la nomination de ce dernier comme ministre des finances). Dans le passionnant récit qu’il vient de publier |17|, Varoufakis rapporte leurs échanges – privés – après l’entrevue officielle : « Christine a approuvé mon plaidoyer en faveur d’un allègement de la dette comme condition préalable à une reprise de l’économie grecque. Puis elle s’adressa à moi avec calme et franchise : “vous avez bien sûr raison, Yanis. Ces objectifs sur lesquels ils insistent ne peuvent pas fonctionner. Mais vous devez comprendre que nous avons trop investi dans ce programme pour pouvoir faire marche arrière. Pour être crédible, il vous faut accepter de travailler dans le cadre de ce programme”. »

L’acharnement incohérent des créanciers

L’enjeu réel du « programme », c’est la mise en place d’un gigantesque roll over de la dette grecque : tout l’argent qui est prêté à la Grèce est immédiatement affecté aux remboursements. La fonction des « réformes » et de l’austérité est de garantir la capacité de la Grèce à faire face aux échéances à venir. Cela passe par l’obtention d’excédents primaires démentiels : Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe n’hésite pas à exiger un excédent primaire d’au moins 3,5 % du PIB pendant cinq ans à partir de 2018. Même un économiste de banque (en l’occurrence Ilias Lekkos, de la Piraeus Bank |18|) peut comprendre cette vérité élémentaire qu’il faut sans cesse rappeler : « On n’a jamais vu un pays non-exportateur de pétrole qui puisse maintenir un excédent primaire de 3,5 % systématiquement pendant plusieurs années (…) Cet objectif ne pourrait être atteint qu’au prix d’une énorme récession. »

JPEG - 156.3 ko
Grève et manifestation, le 25 mai 2017, des motocyclistes livrant de la nourriture

Il faut donc cesser de parler de « négociations » avec la Grèce. Le ministre grec pourrait aussi bien être absent des débats qui opposent deux positions doctrinales : celle du FMI et celle de la Commission européenne. Les voies d’un compromis ne sont pas discutées, alors même que le FMI lui-même les explorait en détail dans son examen de l’économie grecque de février 2017 |19|. Pour rétablir la soutenabilité de la dette grecque, le FMI proposait les mesures suivantes : allongements de maturité allant de 10 à 30 ans ; report des paiements d’intérêt jusqu’en 2040 ; plafonnement des taux d’intérêt à 1,5% pendant 30 ans ; restitution automatique à la Grèce des profits tirés de la détention de titres de la dette grecque par la BCE (programme SMP, Securities Markets Programme ) et par les banques centrales programme ANFA, Agreement on Net Financial Assets).

Ces pistes, et d’autres en discussion aujourd’hui au FMI, rappellent irrésistiblement la logique du plan présenté par Yanis Varoufakis |20| lors de ses premières réunions avec la troïka au printemps 2015. Ce plan était fondé sur l’échange des titres de la dette grecque contre des obligations perpétuelles ou indexées sur la croissance, et il aurait sans doute permis (dans l’abstrait) de trouver un accord raisonnable sans qu’aucune des parties ne perde la face. La distance entre ce possible compromis et l’acharnement désordonné des créanciers permet de mesurer la violence faite au peuple grec.

Source : A l’encontre

Notes

|1| European Commission ; Supplemental Memorandum of Understanding, Draft Preliminary Agreement, 2 mai 2017. Source : « Keep Talking Greece », 9 mai 2017.

|2| Michel Husson, « Grèce : les mea culpa du FMI », A l’encontre, 22 août 2016.

|3| « State-Contingent Debt Instruments for Sovereigns », IMF, mai 2017.

|4| Yanis Varoufakis, « Emmanuel Macron a voulu sauver la Grèce, votez pour lui ! », Le Monde, 2 mai 2017.

|5| Martine Orange, « Les Européens continuent de mettre la Grèce au supplice », Mediapart, 23 mai 2017.

|6| Eurogroup Flash Report, 22 May 2017. Source : « Euro2Day », 25 mai 2017.

|7| Yanis Varoufakis, « Our battle to save Greece », New Statesman, 13 juillet 2015.

|8| Anne-Sophie Jacques, « Taxe sur les transactions financières : la France demande un report. Le Brexit, nouveau prétexte », Arrêt sur images, 26 mai 2017.

|9| European Commission, European Economic Forecast, février 2017.

|10| European Commission, European Economic Forecast, mai 2017.

|11| IMF, World Economic Outlook, avril 2017.

|12| Charles-André Udry, « Grèce. Trois journées de mobilisation face au coup de massue du 4e mémorandum », A l’encontre, 17 mai 2017.

|13| ELSTAT, Hellenic Statistical Authority, Quarterly National Accounts, 15 mai 2017.

|14| OCDE, Perspectives économiques, décembre 2016.

|15| Parliamentary Budget Office, « Quarterly Report October-December 2016 », Parliamentary Budget Office, Hellenic Parliament, mars 2017.

|16| Commission pour la vérité sur la dette grecque, « Le troisième mémorandum est aussi insoutenable que les deux précédents », 1er octobre 2015.

|17| Yanis Varoufakis, Adults in the Room : My Battle With Europe’s Deep Establishment, 2017.

|18| Cité dans Marcus Bensasson et Sotiris Nikas, « Greek Economy Limps Onto Launchpad After Late-Night Vote », Bloomberg, 19 mai 2017.

|19| IMF, Greece : 2017 Article IV Consultation, février 2017.

|20| Tony Barber, « Greece finance minister reveals plan to end debt stand-off », Financial Times, February 2, 2015 ; Thibaut Le Gal, « Grèce : Tout comprendre au plan du gouvernement pour résorber la dette », 20minutes.fr, 4 février 2015.

Grèce : la poule aux œufs d’or de la BCE

De l’art de se faire des bénéfices sur un pays en crise par Anouk Renaud 25 avril 2017

En mai 2010, en plus du premier plan de « sauvetage » octroyé à la Grèce, la banque centrale européenne (BCE) lance le programme SMP (Securities Markets Programme), qui consiste à racheter de la dette grecque sur le marché secondaire, c’est-à-dire le marché de seconde-main des dettes. Les banques centrales nationales lui emboîtent le pas avec le programme ANFA (Agreement on Net Financial Assets). Ces programmes sont alors présentés comme une main tendue vers la Grèce. Une « action charitable » pourtant très rentable… En effet, la BCE a racheté ces dettes à prix cassé (forcément, avec la crise grecque, plus grand monde n’en voulait) mais réclame à la Grèce le remboursement du montant initial. Elle réalise donc une plus-value entre le prix de rachat et le prix auquel lui rembourse la Grèce. La BCE a ainsi dépensé 40 milliards d’euros pour obtenir des titres grecs d’une valeur initiale de 55 milliards |1|.

À cela s’ajoutent les intérêts, bien entendu. Et pas n’importe lesquels, puisque les titres en question sont très rémunérateurs et donnent droit à des intérêts élevés. Jeudi dernier, la Grèce a ainsi remboursé 1,35 milliard d’euros à la BCE à un taux de 5,9 %.

En 2012, alors qu’est mise en place une restructuration de la dette grecque avec réduction de la valeur des titres, la BCE refuse d’y participer. Si bien que son portefeuille de titres grecs reste intact. Les remboursements qui y sont liés aussi…

L’institution de Francfort estime elle-même que ses bénéfices réalisés via cette opération devraient s’élever à 10,4 milliards d’euros. Une estimation basse qui, pour certains, oscille plutôt entre 10 et 22 milliards |2|.

Sans compter que ces rachats massifs ont profité aux grandes banques françaises, allemandes, belges, hollandaises, comme l’a montré la Commission pour la Vérité sur la dette grecque. Celles-ci ont non seulement trouvé repreneur pour les titres grecs qu’elles possédaient et en plus les ont vendus à la BCE à un prix supérieur à celui qu’elles auraient dû concéder à des acheteurs privés si la BCE n’était pas intervenue.

Les bénéfices réalisés seront-ils enfin restitués à la Grèce ?

Mais voilà, quand le profit réalisé par la BCE a commencé à faire scandale, les États membres de l’Union européenne ont pris l’engagement en 2012 de restituer à la Grèce, sur base annuelle, les bénéfices engrangés. Cette rétrocession des profits issus des programmes SMP et ANFA relève de la compétence des États membres, car les profits réalisés par la BCE sont reversés aux banques centrales nationales, qui les reversent ensuite à leurs propres actionnaires, dont les États européens.

Selon la Cour des comptes |3|, les bénéfices que devrait tirer la Belgique atteindraient 351 millions d’euros d’ici 2038 pour le programme SMP. Auxquels s’ajoutent 181 millions entre 2012 et 2020 pour le programme ANFA. Mais la Belgique a-t-elle bien rendu ces profits à la Grèce ? En 2013, les États européens effectuent un premier versement à la Grèce de 2,7 milliards d’euros sur un compte spécial dédié au remboursement de la dette. Depuis, la Grèce n’a plus rien reçu. Pourtant, l’année suivante, en 2014, les pays européens ont bien déboursé l’argent, mais sur un compte intermédiaire du Mécanisme européen de stabilité (MES) au Luxembourg, qui y dort toujours depuis. Pire, à partir de fin juin 2015, l’accord de rétrocession entre la Grèce et les États est tout bonnement gelé, car les autorités grecques ne se plieraient pas entièrement aux exigences de ses créanciers.

Le ministre des finances, J. Van Overtveldt, confirme les intentions des institutions européennes : « dans l’hypothèse d’un nouvel accord, ils [les profits SMP] seront utilisés pour alléger la dette grecque en cas de non-soutenabilité de celle-ci et de la mise en œuvre de mesures de réforme (…) ». Dans la droite lignée de l’Eurogroupe, celui-ci justifie la suspension des virements par un « retrait de la Grèce de la table des négociations sur la prolongation de la durée du deuxième programme. |4| » Et pourtant, le ministre belge ne saurait ignorer que la Grèce a signé un troisième mémorandum qui poursuit -et même renforce- la cure d’austérité dictée par les créanciers.

Mais cela ne suffit pas pour les créanciers de la Grèce qui en veulent toujours plus et qui utilisent la rétrocession des bénéfices issus du rachat des titres grecs comme une arme de chantage. Dès le départ, et d’ailleurs en violation de ses statuts d’institution indépendante politiquement, la BCE conditionne ses programmes de rachats à la bonne application par la Grèce de réformes spécifiques. Puis, en 2012, alors même que les bénéfices abusifs réalisés devenaient notoires, les États européens conditionnent cette fois-ci leur rétrocession à la poursuite de l’austérité. Un moyen de pression supplémentaire utilisé pour faire plier le gouvernement Syriza en lui faisant miroiter une possible restitution des bénéfices…

Ainsi, l’Union européenne n’a pas respecté son propre engagement de rétrocéder à la Grèce les profits abusifs et illégitimes réalisés par la BCE et les banques centrales nationales suite aux rachats de la dette grecque. Et quand bien même l’Eurogroupe venait à les débloquer, ils ne bénéficieront pas à la Grèce mais serviront à rembourser ses créanciers, dans le cadre d’un hypothétique et pseudo allègement de la dette. Cela sans même que les sommes en question ne passent par le sol grec et que le pays ait quoi que ce soit à dire sur leur utilisation.

Les profits des années 2014 et 2015, bloqués à ce jour, s’élèvent à 4,5 milliards d’euros. Parallèlement, la Grèce n’a pas l’argent nécessaire à l’heure actuelle pour rembourser en juillet 3,8 milliards d’euros à la BCE et dépend du versement de fonds supplémentaires dans le cadre du troisième mémorandum. Outre l’urgence économique et sociale du pays, il serait tout à fait légitime que la Grèce ne rembourse pas la BCE, qui a déjà largement profité de la crise grecque.

http://www.cadtm.org/Grece-la-poule-aux-oeufs-d-or-de

A qui profite la dette grecque ?

Crise grecque. On nous parle d’une dette grecque insoutenable, impayable… mais au fait : à qui cette dette profite ? Qui sont les créanciers de la Grèce ? Pourquoi ont-ils prêté de l’argent à la Grèce et à quelles conditions ? Pourquoi la Grèce n’a pas été « sauvée » ?

Cette courte vidéo animée vous propose quelques éléments de réponses sur les trop peu connus prêts bilatéraux des pays européens, FESF et MES. Élaborée à partir du travail d’audit de la dette grecque, elle sera suivie par d’autres vidéos sur les créanciers de la Grèce.

Aidez-nous à diffuser cette vidéo réalisée par ZinTV et le CADTM Belgique auprès de vos contacts pour que les mensonges sur la dette grecque cessent (n’hésitez pas à l’inclure dans vos newsletters, la publier sur vos sites internet, sur vos réseaux sociaux, etc.)

http://www.cadtm.org/Video-A-qui-profite-la-dette


Dette : déconstruire le discours dominant

Sortir la dette des marchés financiers Par Pierre Khalfa

Pierre Khalfa est syndicaliste, membre du Conseil économique, social et environnemental au titre de Solidaires, co-président de la Fondation Copernic et membre du Conseils scientifique d’Attac France.

« Les candidats face au fardeau de la dette publique » titrait Le Monde (dimanche 12 et lundi 13 mars 2017). C’est ainsi que la pensée dominante voit la dette publique, comme un fardeau, et le quotidien du soir de s’alarmer du niveau de la dette publique française1 – 97,5 % du PIB au troisième trimestre 2016 – et de dicter ses consignes au futur président de la République qui « devra d’abord rassurer les investisseurs et surtout nos partenaires de la zone euro sur sa volonté de respecter les règles budgétaires communes ». Face à ce discours qui justifie la mise en œuvre généralisée de plans d’austérité au nom de l’ampleur de la dette et des déficits publics, sa déconstruction et la mise en avant de solutions alternatives sont des éléments clefs de l’agencement des rapports de forces.

Déconstruire le discours dominant

Tout d’abord, et quitte à manier le paradoxe, il faut affirmer qu’un bon État est un État qui s’endette. En effet la dette joue un rôle intergénérationnel. S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, comme les règles actuelles de l’Union européenne le prescrivent, signifie que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc absurde que leur financement ne soit assuré que par les recettes du moment. Respecter ces règles entraîne l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir, alors même que, par exemple, la nécessité d’amorcer la transition écologique va demander des investissements massifs. La dette permet de faire financer par des générations successives des infrastructures qui seront utilisées par elles. Elle joue donc un rôle fondamental dans le lien entre les générations.

De ce point de vue, la dette publique doit être mise en regard avec le patrimoine public car les administrations publiques détiennent des actifs physiques et des actifs financiers. Si l’on prend en compte le patrimoine public, la France n’est pas endettée mais possède au contraire une importante richesse nette (27 % du PIB). Même si ces actifs physiques ne doivent pas être vendus – il serait de toute façon difficile d’évaluer la valeur marchande exacte de certains d’entre eux -, cela montre que la France n’est pas au bord de la faillite.

Mais surtout, il faut comprendre qu’un État ne rembourse jamais sa dette. Il ne paie que les intérêts de cette dernière, la charge de la dette. Lorsqu’un titre de la dette publique arrive à échéance, l’État emprunte de nouveau pour le rembourser : il « fait rouler » la dette. Enfin remarquons que le ratio dette sur PIB n’est pas particulièrement robuste car on compare là un stock, la dette, à un flux, la richesse créée en une année le PIB. Il serait plus juste de mettre en regard du PIB, un autre flux, celui de la charge de la dette qui représente en France environ 2 % du PIB. Mais difficile alors tenir un discours alarmiste sur le sujet.

La dette publique française est-elle soutenable ?

Une étude célèbre réalisée par deux économistes mainstream Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff2 en 2010 arrivait à la conclusion qu’une dette supérieure à 90 % du PIB aurait des conséquences très négatives sur la croissance… jusqu’à ce qu’un étudiant de l’Université du Massachusetts découvre en 2013 des erreurs de calcul qui en faussaient totalement le résultat. Cette anecdote serait assez drôle si l’article en question, ressassé ad libitum, n’avait pas servi de base théorique pour justifier, au nom de la croissance et donc de l’emploi, l’adoption de politiques d’austérité massive pour réduire la dette.

La dette française est aujourd’hui sous contrôle. Il y a dix ans, la France empruntait à plus de 4 % pour un emprunt à 10 ans. Début janvier 2017, et malgré une légère remontée par rapport à 2016, le taux pour un emprunt de même maturité était de 0,78 %. A mesure donc que l’État renouvelle sa dette pour rembourser des créances plus anciennes la charge de la dette diminue. L’année 2016 a été historique puisque, sur la dette à court terme, le taux moyen auquel la France a emprunté est négatif (- 0,48 %). Le pays s’est donc enrichi en empruntant. Il y a deux raisons à cette situation exceptionnelle. La première renvoie à « la fuite vers la qualité ». La France est, avec l’Allemagne, un pays sûr pour les investisseurs qui fuient les pays considérés comme plus à risque comme l’Espagne ou l’Italie. De plus la politique dite de Quantitative Easing (QE) menée par la Banque centrale européenne (BCE) a abouti à une baisse généralisée des taux.

Faut-il pour autant se satisfaire de la situation actuelle ? Non, et ce pour trois raisons. D’abord, même si la charge de la dette a baissé, elle reste élevée (44,5 milliards en 2016). Une partie de cet argent pourrait être utilisée à des fins utiles socialement. Ensuite, parce que la période de taux bas ne va pas durer éternellement. Déjà la Banque centrale des États-Unis a commencé un mouvement de hausse de ses taux directeurs et même si la BCE refuse pour le moment d’en faire autant, arrivera un moment où la politique de QE prendra fin. Le risque est alors que la dette de la France soit victime de l’effet « boule de neige » : si le taux d’intérêt réel (défalqué de l’inflation) est supérieur au taux de croissance de l’économie, le rapport dette/PIB augmente mécaniquement et cela même si le déficit primaire (avant le paiement des intérêts de la dette) est nul. Ce processus avait été une des causes essentielles de l’aggravation de l’endettement dans les années 1990.

Mais surtout, la dette publique est aujourd’hui sous l’emprise des marchés financiers. Or l’expérience du gouvernement Syriza a montré qu’un pays voulant rompre avec le néolibéralisme pourrait être victime d’un étranglement financier. Il y a donc fort à parier que l’arrivée en France d’un gouvernement de gauche voulant engager un processus de transformation sociale et écologique serait victime d’un tel étranglement qui se traduirait immédiatement par une hausse des taux auxquels la France emprunterait.

Le recours aux marchés : un choix politique

Après la seconde guerre mondiale, la France instaure une série de dispositifs qui rendront inutiles le recours au marché des capitaux3. La mise en place d’une collecte centralisée de l’épargne vers le Trésor public – le circuit du Trésor -, rendue possible par le contrôle du système bancaire, permet de drainer les ressources dont la puissance publique a besoin. Deux dispositifs complètent le système : l’obligation pour les banques de détenir une quantité de bons du Trésor rémunérés à un taux fixé par l’État – procédé dit « des planchers » – et la possibilité pour le Trésor de demander des avances à la Banque de France.

La mise en place d’un marché de la dette publique s’effectue progressivement au fur et à mesure des progrès de la déréglementation financière. Le circuit du Trésor est petit à petit démantelé à partir des années 1960. Les « planchers » sont supprimés dès 1967 et la dérèglementation financière réalisée en 1985 par Pierre Bérégovoy parachève le processus de libéralisation mise œuvre depuis une vingtaine d’années. En 1993, la loi sur l’indépendance de la Banque de France suite à l’adoption du traité de Maastricht supprime le régime des avances directes au Trésor4.

L’existence d’un marché de la dette publique est donc le résultat d’un choix politique qui vise à faire de l’État un emprunteur comme un autre. L’objectif est de le mettre sous la pression des marchés financiers et ainsi de le discipliner. Pour pouvoir emprunter à des taux raisonnables sur le marché, l’État doit se plier aux désirs des investisseurs. La dette publique devient ainsi un élément fondamental de la domination des marchés.

Le traité de Maastricht inscrit cette nouvelle donne dans le marbre des traités européens. Les marchés financiers deviennent l’arbitre des équilibres budgétaires des pays de l’Union européenne ce qui a ainsi favorisé les mouvements spéculatifs à l’origine de la crise de la dette publique au printemps 2010. Cette crise s’est traduite par une augmentation considérable des taux auxquels certains pays étaient obligés d’emprunter sur les marchés, montant jusqu’à 12 % pour la Grèce… alors que les banques se refinancent à l’époque aux alentours de 1 % auprès de la BCE.

L’emprise des marchés financiers sur la dette publique est une spécificité européenne que l’on ne retrouve pas au Japon et aux États-Unis. La dette publique japonaise s’élève à 250 % du PIB, très loin donc de la France et même de la Grèce (180 % du PIB). Et pourtant, il n’y a aucune spéculation sur la dette japonaise. La raison en est simple, la dette publique japonaise est pour l’essentiel hors marché. Les bons du trésor japonais sont achetés par des institutions financières qui les placent en grande partie auprès des épargnants japonais. Les institutions publiques japonaises, dont la Banque centrale, en détiennent environ 38 %. Ainsi le poids des investisseurs non résidents, enclins à spéculer sur la dette, est très faible : ils possèdent moins de 7 % de la dette publique contre plus de 60 % dans le cas de la France. Si le cas des États-Unis est particulier en raison du rôle international du dollar comme monnaie de transaction et de réserve, la dette publique (105 % du PIB) échappe aussi pour l’essentiel aux marchés financiers : les organismes appartenant au gouvernement fédéral en détiennent 28 %, la banque centrale, la Fed, plus de 18 %, les autres banques centrales et les organisations internationales 30 %, les investisseurs privés étrangers seulement 15 %.

Sortir du piège de la dette

Il faut d’abord en finir avec les politiques d’austérité. Menée conjointement dans tous les pays de l’Union européenne, elles ne peuvent qu’aboutir à une récession généralisée qui risque de se transformer en dépression. La zone euro a ainsi connu une récession suivie d’une stagnation économique entre 2011 et 2013. On se retrouve dans une situation similaire que dans les années 1930 lorsque les gouvernements avaient mené ce type de politique qui avait abouti à la Grande dépression. Dans cette situation, il est difficile de réduire les déficits publics qui pourraient même s’aggraver si les recettes fiscales chutaient plus vite que la réduction des dépenses. Il faut aussi une réforme fiscale d’ampleur qui redonne des marges de manœuvres à l’action publique et dont la condition est la mise en place d’un contrôle des capitaux. Son point central doit être la mise en place d’une fiscalité de haut niveau sur les rentiers, les ménages les plus riches et les grandes entreprises.

Nous insisterons ici sur la politique monétaire et sur la nécessité de sortir de l’emprise des marchés financiers. Face à un possible étranglement financier piloté par la BCE, une solution pourrait être la création d’un moyen de paiement complémentaire5 ou IOU (« I owe you »), une « monnaie » dont la valeur serait garantie par les recettes fiscales futures. Elle permettrait de retrouver des marges de manœuvres financières en ne recourant plus aux marchés financiers, de relancer l’économie et réduire la dette de court terme, la « dette flottante ». Sa convertibilité au pair avec l’euro, qui resterait la monnaie nationale, étant garantie, un tel dispositif s’apparente en fait à un prêt à court terme que les citoyen-ne-s accordent à leur gouvernement. Il s’agirait alors d’un geste autant politique qu’économique qui renforcerait notablement la position du pays dans ses rapports avec les institutions européennes. Il serait d’autre part possible d’activer des modes de financement direct par l’État des grands programmes publics en reprenant le contrôle des banques à l’image du « circuit du trésor ».

Au-delà, la BCE et les banques centrales nationales doivent pouvoir financer directement les déficits publics par création monétaire. Elles doivent pouvoir le faire à partir d’objectifs économiques, sociaux et écologiques démocratiquement débattus et décidés. Pour contourner les traités européens actuels – les changer nécessite l’unanimité des États -, cela pourrait passer par la création d’un établissement financier dédié à cet effet, comme dans le cas français la Banque publique d’investissement, qui demanderait un prêt auprès de la Banque centrale. Cela est explicitement autorisé par l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Concernant le stock de la dette existant, la BCE pourrait le racheter sur le marché secondaire, amplifiant une politique qu’elle mène depuis la crise. La politique monétaire doit redevenir l’objet de débats politiques et de décisions démocratiques au niveau national comme au niveau européen et les politiques économiques européennes doivent être réellement coordonnées afin d’éviter le chacun pour soi.

Deux objections sont soulevées à cette proposition. La première brandit le spectre de l’inflation. Une création monétaire incontrôlée serait porteuse d’une inflation qui le serait aussi. Remarquons d’abord que cette menace n’est pas évoquée lorsque la BCE déverse des milliers de milliards d’euros dans le système bancaire. Mais, outre qu’il ne s’agit pas dans cette proposition d’une création monétaire incontrôlée, mais au contraire politiquement et démocratiquement contrôlée, cet argument s’appuie sur la vieille théorie quantitative de la monnaie qui relie directement accroissement de la masse monétaire et inflation. Or, contrairement à ce qu’affirme cette théorie, il n’y a aucun effet d’automatisme en la matière. L’effet d’un accroissement de la masse monétaire dépend essentiellement de l’utilisation qui en est faite et de la manière dont elle est répartie. Une création monétaire qui permet la création d’une richesse nouvelle n’est pas inflationniste. Au-delà, durant les « Trente glorieuses », les pays européens ont vécu avec un peu d’inflation et cela ne les a pas empêchés de connaître une certaine prospérité économique6. Un peu d’inflation n’aurait d’ailleurs pas que des effets négatifs car cela aiderait au désendettement des ménages et des entreprises.

La seconde objection est politique et met en avant le fait que cette solution est aujourd’hui refusée par la plupart des pays européens et notamment l’Allemagne. Elle renvoie à la stratégie. Cette nouvelle politique monétaire constituerait une rupture avec l’emprise des marchés financiers. Elle suscitera donc l’opposition des gouvernements conservateurs ou de ceux dominés par le social-libéralisme. Un gouvernement progressiste devrait alors engager un bras de fer avec les autres gouvernements européens comme cela s’est fait à de nombreuses reprises dans l’histoire de la construction européenne. Il devrait prendre des mesures unilatérales en rupture avec les traités européens. D’un point de vue juridique, un tel gouvernement pourrait s’appuyait sur le « compromis de Luxembourg » qui prévoit que les États peuvent déroger aux règles européennes s’ils estiment que leur « intérêt vital » est en jeu. Cette clause dite de l’opt out a d’ailleurs été utilisé par certains pays européens (le Royaume Uni, la Pologne, la Tchéquie) pour refuser l’application de la Charte des droits fondamentaux intégrée au traité de Lisbonne. Ce gouvernement s’adresserait aux peuples européens en tenant un discours prônant la construction d’une Europe démocratique et sociale et en refusant que les populations payent le prix de la crise. Nul doute que l’écho en serait important et permettrait de créer un rapport de forces au niveau européen.

1 Il s’agit de la dette au sens de Maastricht, c’est-à-dire la dette brute de l’État, des organismes divers d’administration centrale (ODAC), des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale.

2 Kenneth Rogoff a été économiste en chef du Fonds monétaire international de 2001 à 2003.

3 Pour une description minutieuse de ces dispositifs et de leur destruction, voir, Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, La Découverte, 2016.

4 Contrairement à une légende tenace – à laquelle d’ailleurs l’auteur de ces lignes a cru aussi – la loi de 1973 réformant le statut de la Banque de France n’a aucunement interdit ces avances. Il faut remercier Alain Beitone d’avoir avec constance mené le débat sur ce point. Voir notamment http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/29/la-loi-pompidou-giscard-rothschild-votee-en-1973-empecherait-l-État-de-battre-monnaie_1623299_3232.html.

5 Cette solution a été particulièrement développée par Bruno Théret. Voir notamment pour le cas grec Bruno Théret, Woytek Kalinowsky, Thomas Coutrot, « L’euro-drachme, ballon d’oxygène pour la Grèce », http://www.liberation.fr/monde/2015/03/15/l-euro-drachme-ballon-d-oxygene-pour-la-grece_1221089.

6 Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de cette période, mais simplement de montrer que le discours catastrophiste sur l’inflation n’a pas de fondement.

Grèce : et un 4eme mémorandum

La Grèce accepte des réformes pour sortir de l’impasse avec ses créanciers

Par AWP Athènes ses créanciers sont parvenus à un accord à la réunion de l’Eurogroupe, après des mois d’un surplace.

Athènes s’est entendue vendredi avec ses créanciers sur les réformes qu’elle doit encore faire pour parvenir à un accord, après des mois d’un surplace qui suscitait une inquiétude grandissante sur le redécollage de l’économie grecque.

« La bonne nouvelle aujourd’hui, c’est que nous avons résolu les gros problèmes concernant les réformes à faire et maintenant, nous n’avons plus qu’à parcourir la dernière ligne droite », a déclaré le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, lors d’une conférence de presse à l’issue d’une réunion des 19 ministres des Finances de la zone euro à La Valette.

« Je veux saluer l’accord de principe qui intervient après plusieurs mois de travail difficile (…) Le moment est venu de mettre fin à l’incertitude sur l’économie grecque », a renchéri le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici.

Le gouvernement grec a accepté de s’engager sur des mesures économiques qu’il devra mettre en œuvre en 2019 et 2020 pour satisfaire ses bailleurs de fonds, ce qui devrait dégager la voie au versement d’une nouvelle tranche de crédit.

Une manne d’argent frais dont Athènes aura bientôt besoin puisqu’elle doit rembourser des créances de plus de sept milliards d’euros en juillet.

Depuis des mois, les discussions piétinaient entre Athènes et ces bailleurs de fonds (zone euro et FMI), ce qui bloquait la poursuite du troisième plan d’aide de 86 milliards d’euros consenti en juillet 2015, qui court jusqu’en juillet 2018.

Selon M. Dijsselbloem, le gouvernement grec est maintenant prêt à effectuer des coupes supplémentaires dans les retraites en 2019 et augmenter les impôts en 2020.

M.Dijsselbloem qui est également ministre néerlandais des Finances, a souligné l’importance d’arriver rapidement à un accord final: « la situation ne s’améliore pas en Grèce et c’est quelque chose dont nous sommes responsables. Cela prend trop de temps », a-t-il dit.

Le retour présumé de la Grèce à la croissance en 2016 – sur lequel tablait Bruxelles – a en effet d’ores et déjà été démenti par les dernières estimations, début mars, de l’Office grec des statistiques, selon lequel le Produit Intérieur Brut (PIB) a stagné l’an passé.

De son côté, le ministre grec des Finances, Euclid Tsakalotos, a promis que les réformes sur lesquelles il s’était engagé pour 2019 et 2020 seraient examinées aussi tôt que possible par le parlement grec, où le parti de gauche -Syriza- auquel il appartient dispose d’une majorité très étroite.

‘Nous serons prêts’

M.Tsakalotos a souligné que les créanciers avaient accepté que si la Grèce parvenait à réaliser les objectifs budgétaires demandés, elle pourrait accroître ses dépenses à caractère social.

Et, selon lui, l’épineuse question de l’allègement de la dette grecque devrait être réglée avant l’été. « Nous serons prêts pour que toutes les pièces du puzzle soient en place pour la discussion sur l’allègement de la dette », a-t-il dit.

« Si les discussions s’enlisent, l’incertitude va revenir », a souligné M. Tsakalotos. « Personne ne veut le retour de la crise grecque », a-t-il martelé, faisant référence au psychodrame de l’été 2015 où la Grèce avait bien failli sortir de la zone euro.

Les créanciers de la zone euro sont divisés sur la question de la dette grecque. Le Fond monétaire international (FMI), pour l’instant simple conseiller technique dans le troisième plan d’aide alors qu’il avait eu un rôle majeur dans les deux premiers, préconise un allègement substantiel de la dette.

Ce que l’Allemagne, principal créancier de la Grèce, refuse. Berlin insiste cependant pour que le FMI participe financièrement au programme.

Ces questions seront très certainement au menu des discussions le 21 et 22 avril lors de la réunion annuelle du FMI à Washington, où participent les ministres de la zone euro.

Déjà tendues, les négociations sont rendues encore plus difficiles par l’approche de l’élection présidentielle en France, le 23 avril et le 7 mai, et surtout des législatives allemandes en septembre.

http://www.bilan.ch/economie/grece-accepte-reformes-sortir-de-limpasse-creanciers

Translate »