De l’art de se faire des bénéfices sur un pays en crise par Anouk Renaud 25 avril 2017
En mai 2010, en plus du premier plan de « sauvetage » octroyé à la Grèce, la banque centrale européenne (BCE) lance le programme SMP (Securities Markets Programme), qui consiste à racheter de la dette grecque sur le marché secondaire, c’est-à-dire le marché de seconde-main des dettes. Les banques centrales nationales lui emboîtent le pas avec le programme ANFA (Agreement on Net Financial Assets). Ces programmes sont alors présentés comme une main tendue vers la Grèce. Une « action charitable » pourtant très rentable… En effet, la BCE a racheté ces dettes à prix cassé (forcément, avec la crise grecque, plus grand monde n’en voulait) mais réclame à la Grèce le remboursement du montant initial. Elle réalise donc une plus-value entre le prix de rachat et le prix auquel lui rembourse la Grèce. La BCE a ainsi dépensé 40 milliards d’euros pour obtenir des titres grecs d’une valeur initiale de 55 milliards |1|.
À cela s’ajoutent les intérêts, bien entendu. Et pas n’importe lesquels, puisque les titres en question sont très rémunérateurs et donnent droit à des intérêts élevés. Jeudi dernier, la Grèce a ainsi remboursé 1,35 milliard d’euros à la BCE à un taux de 5,9 %.
En 2012, alors qu’est mise en place une restructuration de la dette grecque avec réduction de la valeur des titres, la BCE refuse d’y participer. Si bien que son portefeuille de titres grecs reste intact. Les remboursements qui y sont liés aussi…
L’institution de Francfort estime elle-même que ses bénéfices réalisés via cette opération devraient s’élever à 10,4 milliards d’euros. Une estimation basse qui, pour certains, oscille plutôt entre 10 et 22 milliards |2|.
Sans compter que ces rachats massifs ont profité aux grandes banques françaises, allemandes, belges, hollandaises, comme l’a montré la Commission pour la Vérité sur la dette grecque. Celles-ci ont non seulement trouvé repreneur pour les titres grecs qu’elles possédaient et en plus les ont vendus à la BCE à un prix supérieur à celui qu’elles auraient dû concéder à des acheteurs privés si la BCE n’était pas intervenue.
Les bénéfices réalisés seront-ils enfin restitués à la Grèce ?
Mais voilà, quand le profit réalisé par la BCE a commencé à faire scandale, les États membres de l’Union européenne ont pris l’engagement en 2012 de restituer à la Grèce, sur base annuelle, les bénéfices engrangés. Cette rétrocession des profits issus des programmes SMP et ANFA relève de la compétence des États membres, car les profits réalisés par la BCE sont reversés aux banques centrales nationales, qui les reversent ensuite à leurs propres actionnaires, dont les États européens.
Selon la Cour des comptes |3|, les bénéfices que devrait tirer la Belgique atteindraient 351 millions d’euros d’ici 2038 pour le programme SMP. Auxquels s’ajoutent 181 millions entre 2012 et 2020 pour le programme ANFA. Mais la Belgique a-t-elle bien rendu ces profits à la Grèce ? En 2013, les États européens effectuent un premier versement à la Grèce de 2,7 milliards d’euros sur un compte spécial dédié au remboursement de la dette. Depuis, la Grèce n’a plus rien reçu. Pourtant, l’année suivante, en 2014, les pays européens ont bien déboursé l’argent, mais sur un compte intermédiaire du Mécanisme européen de stabilité (MES) au Luxembourg, qui y dort toujours depuis. Pire, à partir de fin juin 2015, l’accord de rétrocession entre la Grèce et les États est tout bonnement gelé, car les autorités grecques ne se plieraient pas entièrement aux exigences de ses créanciers.
Le ministre des finances, J. Van Overtveldt, confirme les intentions des institutions européennes : « dans l’hypothèse d’un nouvel accord, ils [les profits SMP] seront utilisés pour alléger la dette grecque en cas de non-soutenabilité de celle-ci et de la mise en œuvre de mesures de réforme (…) ». Dans la droite lignée de l’Eurogroupe, celui-ci justifie la suspension des virements par un « retrait de la Grèce de la table des négociations sur la prolongation de la durée du deuxième programme. |4| » Et pourtant, le ministre belge ne saurait ignorer que la Grèce a signé un troisième mémorandum qui poursuit -et même renforce- la cure d’austérité dictée par les créanciers.
Mais cela ne suffit pas pour les créanciers de la Grèce qui en veulent toujours plus et qui utilisent la rétrocession des bénéfices issus du rachat des titres grecs comme une arme de chantage. Dès le départ, et d’ailleurs en violation de ses statuts d’institution indépendante politiquement, la BCE conditionne ses programmes de rachats à la bonne application par la Grèce de réformes spécifiques. Puis, en 2012, alors même que les bénéfices abusifs réalisés devenaient notoires, les États européens conditionnent cette fois-ci leur rétrocession à la poursuite de l’austérité. Un moyen de pression supplémentaire utilisé pour faire plier le gouvernement Syriza en lui faisant miroiter une possible restitution des bénéfices…
Ainsi, l’Union européenne n’a pas respecté son propre engagement de rétrocéder à la Grèce les profits abusifs et illégitimes réalisés par la BCE et les banques centrales nationales suite aux rachats de la dette grecque. Et quand bien même l’Eurogroupe venait à les débloquer, ils ne bénéficieront pas à la Grèce mais serviront à rembourser ses créanciers, dans le cadre d’un hypothétique et pseudo allègement de la dette. Cela sans même que les sommes en question ne passent par le sol grec et que le pays ait quoi que ce soit à dire sur leur utilisation.
Les profits des années 2014 et 2015, bloqués à ce jour, s’élèvent à 4,5 milliards d’euros. Parallèlement, la Grèce n’a pas l’argent nécessaire à l’heure actuelle pour rembourser en juillet 3,8 milliards d’euros à la BCE et dépend du versement de fonds supplémentaires dans le cadre du troisième mémorandum. Outre l’urgence économique et sociale du pays, il serait tout à fait légitime que la Grèce ne rembourse pas la BCE, qui a déjà largement profité de la crise grecque.
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Greece 2017 | PearltreesPublié le 8:10 pm - Mai 8, 2017
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