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Portugal : un redressement économique et social qui prend Bruxelles à contre-pied

Le Portugal n’a presque plus de déficit budgétaire, bénéficie d’une des meilleures croissances de la zone euro, a fait baisser son chômage et attire les investisseurs. Le petit miracle économique et social portugais s’est réalisé en moins de 2 ans avec une politique pourtant opposée aux demandes de la Commission européenne. Doit-on parler désormais du modèle portugais plutôt que du modèle allemand ou suédois ?

Il y a un an, en juillet 2016, la Commission européenne entamait une procédure pour « déficit excessif » contre le gouvernement de Lisbonne. Le Portugal risquait une amende, selon Bruxelles, puisque il était censé ramener son déficit à 2,5 % de son PIB en 2015 au lieu des 4,4 % annoncés. La procédure a été abandonnée un mois plus tard. Etonnement, la France n’était pas soumise à la même pression, alors qu’elle n’avait pas — elle non plus — tenu ses engagements : 3,4% de déficit au lieu des 3% requis. Depuis, le phénomène s’est radicalement inversé : le Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016 et devrait le ramener à 1,5% cette année. La France, elle, a abaissé péniblement son déficit à 3,3% en 2016 et table sur 3,2% cette année quand elle s’est engagée à atteindre… 2,8%. L’Espagne est encore à 4,5%.

Mais l’économie portugaise n’a pas réussi à réduire ses déficits par la baisse des dépenses publiques, des réformes structurelles du travail visant à « assouplir » les droits des salariés, ou en abaissant les protections sociales, comme le préconise la Commission européenne. C’est même l’inverse qui a été pratiquée au Portugal depuis un an et demi. Un choix qui explique certainement l’irritation très nettement affichée par Bruxelles au printemps 2016, lors des annonces de Lisbonne.

Voir l’article complet ici

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 3eme partie

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

Partie 3 par Eric Toussaint

Yanis Varoufakis fait remonter à 2011 sa collaboration avec Alexis Tsipras et son alter ego, Nikos Pappas. Cette collaboration s’élargit progressivement, à partir de 2013, à Yanis Dragasakis (qui est devenu, en 2015, vice-premier ministre). Une constante dans les rapports entre Varoufakis et Tsipras : Yanis Varoufakis plaide en permanence pour modifier l’orientation adoptée par Syriza. Varoufakis affirme que Tsipras-Pappas-Dragasakis veulent eux-mêmes clairement adopter une orientation différente, nettement plus modérée, de celle décidée par leur parti.

La narration faite par Varoufakis ne manque pas de piment. À travers son témoignage, on voit comment, à des étapes très importantes, des choix sont faits dans le dos de Syriza au mépris des principes démocratiques élémentaires.

Varoufakis s’attribue un rôle central et, en effet, il a exercé une influence sur la ligne adoptée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis. Il est également certain que Tsipras et Pappas ont cherché à construire, en dehors de Syriza, des rapports plus ou moins étroits avec des personnes et des institutions afin de mettre en pratique une politique qui s’est éloignée de plus en plus de l’orientation que Syriza avait faite sienne. Varoufakis n’est pas la seule personne à avoir été contactée mais effectivement, à un moment donné, Tsipras et Pappas ont considéré qu’il était l’homme de la situation pour aller négocier avec les institutions européennes et le FMI.

Début 2011, premiers contacts de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Varoufakis décrit sa première rencontre avec Alexis Tsipras et Nikos Pappas début 2011. Pappas lui avait donné rendez-vous dans un petit hôtel restaurant proche du local de Syriza.

  • « Quand je suis arrivé à l’hôtel, Alexis et Pappas étaient déjà en train de commander leur déjeuner. Alexis avait une voix chaleureuse, un sourire sincère et la poignée de main d’un éventuel ami. Pappas avait un regard plus illuminé et une voix plus haute. […] Il était évident qu’il avait l’oreille du jeune prince et qu’il lui servait à la fois de guide, de frein et d’aiguillon, une impression que j’aurai toujours au fil des années tumultueuses qui suivraient : deux jeunes hommes du même âge mais de tempéraments différents, qui agissaient et pensaient comme un seul homme. |1| »

Varoufakis explique que Tsipras hésitait sur l’orientation à prendre quant à une sortie éventuelle de la zone euro.

  • « Depuis 2011, Syriza était déchiré par les divisions internes face au problème : fallait-il officiellement soutenir le Grexit (quitter la zone euro, mais pas nécessairement l’Union européenne) ? Je trouvais l’attitude d’Alexis face à la question à la fois cavalière et immature. Son objectif était de maîtriser les tendances rivales au sein de son parti plus que de se faire une opinion claire et personnelle. À en juger par les regards complices de Pappas, il était évident qu’il partageait mon point de vue. Il comptait sur moi pour l’aider à empêcher le leader du parti de jongler avec l’idée du Grexit.
  • J’ai fait de mon mieux pour impressionner Alexis et le convaincre que viser le Grexit était une erreur aussi grave que de ne pas s’y préparer du tout. J’ai reproché à Syriza de s’engager à la légère (…). »

Tsipras a soumis à Varoufakis l’idée de menacer les dirigeants européens d’une sortie de la Grèce de la zone euro, en cas de refus de leur part de remettre en cause la politique mémorandaire. Varoufakis lui a répondu qu’il éviter de sortir de la zone euro car il était possible par la négociation d’obtenir une solution favorable à la Grèce, notamment une nouvelle restructuration de sa dette.

Tsipras a répliqué que des économistes renommés, comme Paul Krugman, affirmaient que la Grèce irait bien mieux sans l’euro.

Varoufakis poursuit son récit : « Je lui ai répondu qu’on irait bien mieux si on n’était jamais entrés dans la zone euro, mais ne pas y être entrés était une chose, en sortir était une autre. […] Pour le persuader d’abandonner ce raisonnement paresseux, je lui ai fait le tableau de ce qui nous attendait en cas de Grexit. Contrairement à l’Argentine qui avait renoncé à la parité entre le peso et le dollar, la Grèce n’avait pas de pièces ni de billets à elle en circulation. » Pour le convaincre, Varoufakis fait observer à Tsipras que : « Créer une nouvelle monnaie demande des mois. »

En réalité cet argument qui a été utilisé à de multiples reprises par Varoufakis et d’autres opposants à la sortie de l’euro n’est pas solide. En effet, il était possible d’adopter une nouvelle monnaie en utilisant les billets en euro après les avoir estampillés. Les distributeurs automatiques des banques auraient délivré des billets en euro qui auraient été préalablement marqués d’un sceau. C’est notamment ce que James Galbraith a expliqué dans une lettre à son ami Varoufakis en juillet 2015 |2|.

En réalité, ce que souhaite Varoufakis, c’est convaincre Tsipras qu’il est possible de rester dans la zone euro tout en rompant avec la politique anti sociale appliquée jusque-là : « nous exigerons une renégociation qui impliquera un new deal pour la Grèce et qui nous permettra d’avoir une économie sociale viable au sein de la zone euro ; si l’UE et le FMI refusent de négocier, nous n’accepterons plus le moindre prêt empoisonné payé par les contribuables européens. Et s’ils répliquent en nous poussant hors de l’euro, ce qui aurait un coût considérable pour eux et pour nous, laissez-les choisir la politique du pire. »

Pour Varoufakis, il ne faut donc pas préparer la sortie de la zone euro et s’il faut un jour y passer, cela sera la pire des solutions.

Varoufakis poursuit :

  • « Pappas hochait la tête avec enthousiasme, mais Alexis avait l’esprit ailleurs, jusqu’à ce que je l’oblige à sortir de son silence. Sa réponse m’a confirmé qu’il était davantage préoccupé par les rapports de force au sein de Syriza que prêt à prendre le taureau par les cornes à propos du Grexit. Je ne me suis pas laissé impressionner. Notre rendez-vous arrivait à sa fin, et, au risque de paraître condescendant, je lui ai donné un conseil bienveillant, non sollicité, qui n’avait rien à voir. Il aurait pu le prendre mal.
  • – Alexis, si tu veux être Premier ministre, il faut que tu apprennes l’anglais. Prends des cours, c’est essentiel. »

Quand Varoufakis rentre chez lui, son épouse, Danaé lui demande comment s’est passé le rendez-vous et il répond : « Le type est sympa, mais je ne pense pas qu’il ait la carrure. »

Varoufakis, l’audit de la dette et la suspension du paiement

Dans sa narration des évènements de l’année 2011, Varoufakis ne mentionne à aucun moment l’importante initiative d’audit citoyen de la dette à laquelle il a refusé de participer.

Il est utile de préciser que les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en termes de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de comptes ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’État – des plus grands, comme par exemple ceux des récents Jeux olympiques, jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! » |3|.

De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce par la presse imprimée et par les réseaux sociaux, l’économiste Costas Lapavitsas défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans un de ses papiers, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette. » (article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia |4|).

Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en termes de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis m’interviewe et titre « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » |5|. Le quotidien explique que « Le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa. ».

En effet, Sofia Sakorafa, qui a rompu avec le Pasok quand celui-ci a accepté le mémorandum de 2010, était intervenue en décembre 2010 au parlement pour proposer la création d’une commission d’audit de la dette grecque en s’inspirant de l’expérience équatorienne. Le parlement ne l’avait pas suivie.

Costas Lapavitsas, qui résidait à Londres où il enseignait et dont les positions trouvaient un écho important en Grèce, prend alors contact avec moi et me propose de collaborer au lancement d’une initiative internationale pour la création d’une commission d’audit, ce que j’accepte immédiatement.

Simultanément Giorgos Mitralias du CADTM Grèce prenait contact avec Leonidas Vatikiotis qui était en pointe dans l’activité pour faire avancer sur le terrain en Grèce la création d’une telle commission.

Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomsky avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler, à l’époque rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali ainsi que de nombreux économistes, …

Dans ma recherche de signatures je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus, lorsque Yanis Varoufakis a expliqué publiquement pourquoi il refusait de souscrire à l’appel de la création de la commission d’audit |6|. Il raconte qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer cet appel ou non. Il déclare qu’il lui a recommandé de ne pas le faire. Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis justifie son refus de soutenir la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun. Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.

En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines ou mois auparavant. Le processus de création a été stimulé par l’ampleur de la crise en Grèce.

Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 et dans lequel Hugo Arias (économiste équatorien qui a été l’un des principaux animateurs de la commission d’audit créée en 2007 par le président Rafael Correa) et moi-même intervenons longuement, a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité et au bienfondé d’annuler la partie illégitime et odieuse de celle-ci |7|. Dans les 6 premières semaines de la sa diffusion sur internet, Debtocracy a été téléchargé par plus d’un million et demi de Grecs.

Parmi les personnalités grecques qui ont signé l’appel en 2011, on retrouve Euclide Tsakalotos (devenu ministre des finances du gouvernement Tsipras, en remplacement de Yanis Varoufakis, à partir de début juillet 2015, il a gardé ce portefeuille ministériel dans le deuxième gouvernement Tsipras mis en place fin septembre 2015), Panagiotis Lafazanis (un des principaux dirigeants de la plate-forme de gauche dans Syriza, ministre de l’énergie dans le gouvernement Tsipras entre janvier et le 16 juillet 2015, leader de l’Unité populaire, créée fin août 2015 par le secteur qui a quitté Syriza en s’opposant au 3e mémorandum), Nadia Valavani (membre également de la plate-forme de gauche, vice-ministre des finances du 27 janvier au 15 juillet 2015, membre également de l’Unité populaire), Sofia Sakorafa (élue eurodéputée Syriza en mai 2014 et siégeant comme indépendante depuis septembre 2015 car en désaccord avec la capitulation), Georges Katrougalos (vice-ministre de la réforme administrative de janvier 2015 à juillet 2015, devenu ensuite ministre du travail à partir de août 2015, reconduit dans les mêmes fonctions dans le cadre du 2e gouvernement formé par Alexis Tsipras. A partir de novembre 2016, il a occupé la fonction de vice-ministre des affaires étrangères), Notis Maria (élu eurodéputé en mai 2014 sur la liste du parti souverainiste de droite Anel, siégeant comme indépendant depuis janvier 2015).

Varoufakis ne mentionne pas non plus la conférence internationale réalisée à Athènes en mars 2011 par Synaspismos (la principale composante de Syriza présidée par Alexis Tsipras) et par le Parti de la Gauche européenne, à laquelle il a pourtant lui-même participé. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Oskar Lafontaine (ex-ministre social-démocrate des Finances en Allemagne, un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche Européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos, Yannis Dragasakis, moi-même et plusieurs autres invités.

À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne |8|.

Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulantzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU |9|. Si je mentionne cette conférence, c’est pour indiquer qu’à l’époque, il était évident de mettre au programme une intervention sur la nécessité de l’audit de la dette, thème qui est totalement évacué par Varoufakis, tant dans l’orientation qu’il a défendu que dans la narration de ce qui s’est passé en 2011.

En mai 2011, la conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3 000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani |10|, qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué, avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs, à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe de soutenir la conférence et d’adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré).

Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011 (extraits)Nous appelons à soutenir :

• L’audit démocratique des dettes comme un pas concret en direction de la justice en matière d’endettement. Les audits de la dette avec participation de la société civile et du mouvement syndical, tels que l’Audit citoyen de la dette au Brésil, permettent d’établir quelle part de la dette publique sont illégales, illégitimes, odieuses ou simplement insoutenables. Ils offrent aux travailleurs/euses les connaissances et l’autorité nécessaires au refus de payer la dette illégitime. Ils encouragent également la responsabilité, la reddition de comptes et la transparence dans l’administration du secteur public. Nous exprimons notre solidarité avec les audits en Grèce et en Irlande et nous tenons prêts à y apporter notre aide en termes pratiques.

• Des réponses souveraines et démocratiques à la crise de la dette. Les gouvernements doivent répondre en premier lieu à leur peuple, et non aux institutions de l’UE ou au FMI. Les peuples de pays comme la Grèce doivent décider quelles politiques sont à même d’améliorer leurs chances de reprise et de satisfaire leurs besoins sociaux. Les États souverains ont le pouvoir d’imposer un moratoire sur le remboursement si la dette détruit les moyens de subsistance des travailleurs/euses. L’expérience de l’Équateur en 2008-9 et de l’Islande en 2010-11 montre qu’il est possible de donner des réponses radicales et souveraines au problème de la dette, y compris en répudiant sa part illégitime. La cessation de paiements justifiée par l’état de nécessité est même reconnue légale par des résolutions de l’ONU.

• Une restructuration économique et une redistribution, pas d’endettement. La domination des politiques néolibérales et le pouvoir de la finance internationale ont mené à une croissance faible, des inégalités croissantes, et à des crises majeures tout en sapant les processus démocratiques. Il est impératif de changer les fondements des économies par des programmes de transition qui comprennent le contrôle sur les capitaux, une régulation stricte des banques et même leur transfert au secteur public, des politiques industrielles qui reposent sur des investissements publics, le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et le respect de l’environnement. Le premier objectif doit être de protéger et d’augmenter l’emploi. Il est aussi crucial que les pays adoptent des politiques redistributives radicales. La base d’imposition doit être étendue et devenir plus progressive en taxant le capital et les riches, permettant ainsi la mobilisation de ressources internes comme alternative à l’endettement. La redistribution doit aussi inclure la restauration des services publics de santé, d’éducation, de transport et des retraites ainsi que renverser la pression à la baisse sur les salaires.

Il s’agit là des premiers pas vers la satisfaction des besoins et aspirations des travailleurs/euses, mesures qui par ailleurs renverseraient le rapport de forces au détriment du grand capital et des institutions financières. Elles permettraient aux peuples d’Europe, et plus largement du monde entier, de maîtriser davantage leurs moyens de subsistance, leurs vies et le processus politique. Elles offriraient également de l’espoir à la jeunesse d’Europe dont l’avenir semble aujourd’hui bien sombre, avec peu d’emplois, des salaires bas et l’absence de perspectives. Pour ces raisons, soutenir la lutte contre la dette en Grèce, en Irlande, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe est dans l’intérêt des travailleurs/euses, où qu’ils/elles se trouvent.

Athènes, le 8 mai 2011

La déclaration est signée par : Initiative pour une Commission d’audit grecque (ELE)
European Network on Debt and Development (Eurodad)
Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM)
The Bretton Woods Project, Grande-Bretagne
Research on Money and Finance, Grande-Bretagne
Debt and Development Coalition Irlande
Afri – Action from Ireland
WEED – World Economy Environment Development, Allemagne
Jubilee Debt Campaign, Grande-Bretagne
Observatorio de la Deuda en la Globalización, Espagne

Source : http://www.cadtm.org/Declaration-de-la-Conference-d

Lors d’une discussion que Varoufakis et moi avons eue le 9 novembre 2016 à Athènes |11|, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas soutenu l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Il m’a répondu que cette initiative n’était pas bonne car elle remettait en cause la légitimité et la légalité de la dette. Selon lui, il n’y avait pas lieu de remettre en cause la légalité ou la légitimité de la dette grecque.

Varoufakis a adopté une position d’économiste borné qui ne voit la dette qu’en termes de soutenabilité financière et d’accès aux sources de financement. Il n’a pas du tout saisi l’importance de l’audit citoyen. Alors que dans son livre il insiste sur l’importance du mouvement d’occupation des places qui a eu lieu en juin-juillet 2011 en Grèce, il ne s’est pas aperçu de l’écho que l’initiative d’audit citoyen a obtenu au cours de ce puissant mouvement.

J’ai donc été témoin direct du refus de Varoufakis de soutenir l’audit citoyen en 2011 et j’ai constaté sa capacité à convaincre James Galbraith de ne pas signer l’appel international que nous avions lancé avec Costas Lapavitsas. Après avoir lu attentivement le livre de Varoufakis, je suis convaincu qu’il est intervenu activement pour convaincre Tsipras, au moins à partir de mai-juin 2012, d’abandonner le soutien à l’audit de la dette et à la revendication de la suspension du paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit.

Au sein de la direction de Syriza et des conseillers économiques de Tsipras, plusieurs personnes clés étaient également opposées à l’audit de la dette et à la suspension de paiement. Yannis Dragasakis, un des responsables de Syriza en matière économique (devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Tsipras I et II) n’y était pas favorable, il l’avait déclaré à Giorgos Mitralias lorsque celui-ci avait tenté de le convaincre dès 2010 de soutenir la perspective de la création d’une commission d’audit. Georges Stathakis de l’équipe d’économistes qui entourait Tsipras avait, de son côté, déclaré à la presse qu’il n’y avait pas de quoi soulever la question de la dette odieuse dans le cas de la Grèce car la partie odieuse ne représentait pas plus de 5 % de la dette totale. Stathakis est ministre de l’Economie du gouvernement Tsipras II.

Fin 2011, renforcement de la collaboration de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Fin 2011, Varoufakis a été recontacté par Pappas pour avoir un nouvel entretien.

  • « Ce deuxième rendez-vous, comme ceux qui allaient suivre, m’a surpris en bien : Alexis était transformé. Finies la complaisance, les luttes internes de Syriza qui l’obsédaient et la désinvolture vis-à-vis du Grexit. Il avait fait ses devoirs […]. Il m’a même annoncé fièrement qu’il avait engagé un professeur d’anglais et progressait. […] L’avantage le plus évident de ces discussions fut la clarification et la mise au point de notre objectif commun. »

2012, Varoufakis aide Tsipras à trouver un écho dans le milieu démocrate aux États-Unis

Varoufakis, alors qu’il travaillait aux États-Unis, a tenté d’ouvrir des portes à Tsipras dans les milieux Démocrates.

Varoufakis explique que son séjour au Texas « [lui] a aussi permis de construire un pont entre Washington et [ses]nouveaux amis de Syriza, qui n’étaient pas des alliés naturels des États-Unis. » Il explique : « Comme il y avait des chances qu’un gouvernement Syriza provoque un affrontement violent avec l’Allemagne, la Commission européenne et la BCE, la dernière chose dont Alexis et Pappas avaient besoin était de se retrouver face à une administration américaine hostile. De 2012 à 2015, grâce à l’aide de Jamie Galbraith et à son réseau, j’ai tout fait pour convaincre les leaders d’opinion américains et l’administration Obama qu’ils n’avaient rien à craindre d’un éventuel gouvernement Syriza, dont la priorité serait de libérer la Grèce d’une dette écrasante. »

Varoufakis contre le programme électoral de Syriza de mai-juin 2012

Varoufakis résume sa position :

  • « Je voulais que Syriza présente un programme simple, progressiste, pro-européen, cohérent et non populiste, un socle sur lequel on pourrait bâtir l’image d’un gouvernement crédible, qui négocierait un autre plan avec l’UE et le FMI. Alexis et Pappas inclinaient vers un programme politique différent, qui optimisait les gains électoraux à court terme aux dépens (d’après moi) d’une cohérence logique à long terme. En 2012, quand j’ai découvert la partie politique économique du manifeste électoral de Syriza, j’étais tellement irrité que je ne suis pas allé jusqu’au bout. Le lendemain, un journaliste de la télévision grecque m’a demandé de le commenter. J’ai dit que j’aurais tendance à soutenir Syriza, mais je ne voterais pour eux que si je pouvais modifier le programme économique. »

Que contenait le programme électoral de Syriza qui irritait tant Varoufakis ?

Le programme de Syriza en 40 points pour les élections du 6 mai 2012

Le programme de Syriza était clairement radical, il contenait une quarantaine de points. Le premier point portait sur la dette et était libellé comme suit : Audit de la dette publique, renégociation des intérêts à payer et suspension des paiements jusqu’à ce que la croissance économique et la création d’emplois aient repris.

Parmi les autres mesures, on peut mettre en exergue, à côté d’une série de mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire : l’augmentation de l’impôt sur le revenu à 75 % de prélèvement sur tous les revenus supérieurs à 500 000 euros ; l’augmentation des impôts sur les grandes entreprises ; l’abolition des privilèges financiers de l’Église et des armateurs ; la réduction drastique des dépenses militaires ; l’augmentation du salaire minimum afin de le ramener au niveau d’avant le mémorandum de 2010 (soit 750 euros par mois) ; l’utilisation des bâtiments du gouvernement, des banques et de l’Église pour les sans-abri ; la nationalisation des banques ; la nationalisation des entreprises publiques qui ont été privatisées dans des secteurs stratégiques pour la croissance du pays ; des mesures pour restaurer les droits des travailleurs et les améliorer ; l’adoption de réformes constitutionnelles pour garantir la séparation de l’Église et l’État ; la réalisation de référendums sur les traités et autres accords avec l’Europe ; l’abolition des privilèges pour les députés ; la suppression de l’immunité pour les ministres et l’autorisation pour les tribunaux d’engager des poursuites contre des membres du gouvernement ; des mesures de protection des réfugiés et des migrants ; l’augmentation du financement de la santé publique de manière à l’amener à la moyenne européenne (la moyenne européenne est de 6 % du PIB tandis qu’en Grèce elle était de 3 %) ; la gratuité des soins de santé publics nationaux ; la nationalisation des hôpitaux privés ; l’élimination de la participation du secteur privé dans le système national de santé ; le retrait des troupes grecques de l’Afghanistan et des Balkans ; l’abolition de la coopération militaire avec Israël ; le soutien à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 ; la négociation d’un accord stable avec la Turquie et last but not least : la fermeture de toutes les bases étrangères en Grèce et retrait de l’OTAN |12|.

Avec ce programme, Syriza, qui ajoute le mot d’ordre « Pas de sacrifice pour l’euro », voit multiplier par 4 son résultat électoral entre 2009 et mai 2012, passant de 4 % à 16 %.

Le programme de Syriza de 2012 est tout à fait intéressant et utile. Il contient les principales mesures à mettre effectivement en pratique.

Il y avait néanmoins des points faibles :

- Il n’y a pas de hiérarchisation dans les 40 points, or il s’agit d’avancer ce qu’un gouvernement fera en premier (disons dans les 100 ou les 200 premiers jours). Le programme n’est pas présenté de manière opérationnelle. Or il est important de présenter une feuille de route précisant comment ce gouvernement prévoyait de réaliser les objectifs fixés. Dans ce cas, il est aussi important de présenter un plan A et un plan B. Le plan A est le premier qui sera appliqué et le plan B est une solution de recours si plusieurs obstacles empêchent la réalisation du plan A. Exemple : le plan A propose une réduction très importante de la dette passant par un accord à l’amiable avec les créanciers (c’est ce que proposait le programme de Thessalonique adopté en 2014 – voir plus loin). Si les créanciers du pays refusent cette réduction radicale de la dette, il s’agit de dire dans les grandes lignes ce que ferait le gouvernement dans le cadre d’un plan B (suspension du paiement de la dette, audit de la dette à participation citoyenne, mesures ciblées de répudiation de dette – voir plus loin).

- On y affirme la nécessité de réformes constitutionnelles, mais sans dire s’il faut convoquer des élections générales pour élire une assemblée constituante. Or, se prononcer sur la manière de réaliser des réformes constitutionnelles est très important. Ce n’est pas du tout la même chose de trouver une majorité qualifiée à l’intérieur du parlement tel qu’il est constitué que de d’initier une démarche ouverte à toute la société en passant par la convocation d’une assemblée constituante.

Les élections de mai 2012 en Grèce ne permettent pas à un parti ou à une coalition de partis de constituer un gouvernement, ce qui conduit à de nouvelles élections dès le mois de juin 2012. Entre les deux élections, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) : 1. l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ; 2. l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ; 3. l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ; 4. un audit des banques grecques ; 5. la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Lors des élections de juin 2012, Syriza a obtenu 26,5 % des voix avec cette orientation radicale que remettait en cause Varoufakis.

Malgré le désaccord de Varoufakis avec le programme de Syriza de 2012, Tsipras et Pappas lui demandent de rédiger un programme de gouvernement

Entre les deux élections, Varoufakis a été recontacté par Pappas et une nouvelle rencontre a lieu avec Tsipras. Pappas lui déclare :

  • « – Tu te rends compte, que, si on gagne, c’est toi qui va mener les négociations avec l’UE et le FMI ! »

Pappas demande à Varoufakis de préparer un document expliquant les grandes lignes de la meilleure stratégie de négociation au cas où Syriza remporterait les élections le 17 juin, trois semaines plus tard.
Varoufakis se met au travail le soir même et il développe l’idée que le capital des banques grecques doit passer sous contrôle européen.

Selon Varoufakis, il convenait de transformer « les contribuables européens en propriétaires des banques grecques : de facto les banques ne seraient plus sous la responsabilité de l’Etat, mais soutenues par le peuple européen ; et en demandant aux institutions européennes de les gérer pour eux. C’était la seule façon de restaurer la confiance dans les banques. » Comme indiqué dans la première partie de cette série, en proposant de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs dans les banques du pays, Varoufakis réalisait un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Selon Varoufakis, cela faciliterait la restructuration de la dette publique.

Il ajoutait une seconde proposition : « Deuxièmement, tout remboursement de la dette à l’UE et au FMI devait être soumis à une condition : que la relance du pays soit un minimum avérée. C’était la seule façon de permettre à l’économie nationale de redémarrer. »

Il est important de préciser que pour Varoufakis la suspension du paiement de la dette envisagée plus haut fait partie de la négociation. Cette suspension devait être autorisée par les créanciers et ne pas constituer un acte souverain. Varoufakis poursuit l’évocation de sa chimère : « S’ils étaient activés de concert, ces deux leviers de restructuration annonceraient une nouvelle ère : l’UE et le FMI ne seraient plus comme Ebenezer Scrooge, l’avare du Conte de Noël de Dickens. Ce seraient de vrais partenaires, engagés à promouvoir le rétablissement de la Grèce, sans lequel leurs prêts de renflouement seraient de toute façon largement décotés. »

Au lieu de suspendre unilatéralement le paiement de la dette, Varoufakis propose de refuser tout nouveau crédit : « si vous êtes prêts à proposer des conditions raisonnables et sensées, tout en refusant de nouveaux prêts […], l’UE et le FMI accepteront de s’asseoir autour d’une table avec vous – ça leur coûtera trop cher de refuser, financièrement et politiquement. »

Tsipras dubitatif face à la proposition de Varoufakis concernant les banques grecques

  • « – Tu voudrais que j’annonce qu’on file les banques grecques aux étrangers ? Comment veux-tu que je vende ça à Syriza ? » lui a demandé Tsipras au cours d’une rencontre ultérieure au QG du parti.
  • « – C’est exactement ce que tu dois faire. » (…)
  • Alexis a pigé. Ce qui ne veut pas dire que l’idée lui plaisait. D’autant que le comité central de Syriza penchait naturellement vers la nationalisation des banques. »
  • Tsipras objecta quand même qu’ « un gouvernement qui n’aurait aucun pouvoir sur les banques commerciales opérant en Grèce ne pourrait jamais mettre en œuvre une politique industrielle ni un plan de développement et de reconstruction. Comment faire avaler la pilule au comité central ? »
  • Varoufakis, voyant que Tsipras « avait marqué un point », rétorqua : « Comme nous sommes de vrais internationalistes et de vrais Européens progressistes, nous arracherons les banques en faillite aux Grecs corrompus pour les confier aux Européens ordinaires, aux citoyens qui injectent leur argent dans ces banques. »

Les contacts décrits par Varoufakis ont eu lieu après les élections générales qui se sont tenues le 6 mai 2012.

Vu l’impossibilité de constituer un gouvernement, de nouvelles élections générales ont été convoquées pour le 17 juin 2012.

Varoufakis explique que, lorsqu’il prend connaissance du discours de Tsipras du 24 mai dans lequel celui-ci détaille la politique économique de Syriza, il se rend compte qu’un abîme sépare ce qui était proposé et ce qui pouvait être concrètement mis en œuvre dans la zone euro. « Dans l’heure qui a suivi, j’ai envoyé un mail cuisant à Alexis et Pappas en soulignant tous les défauts de construction de leurs promesses […]. »

Tsipras prend un tournant à droite qui le rapproche un peu plus de Varoufakis après les élections de mai – juin 2012

J’apporte ma contribution au récit de Varoufakis sur la base du contact direct que j’ai eu avec Tsipras en octobre 2012.

En l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours de Tsipras et des autres dirigeants de Syriza. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.

Au cours d’une entrevue avec Tsipras, début octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquaient explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : « Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement.

J’ai également dit à Tsipras que j’avais constaté qu’il ne parlait plus des cinq propositions qu’il avait avancées comme prioritaires après les élections de mai 2012 et que la question de l’audit n’était plus mise en avant. Il m’a répondu sans conviction qu’il maintenait ces cinq propositions et qu’il ne fallait pas s’en faire là-dessus.

Le lendemain, Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3 000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas apprécié par lui |13|.

Je suis convaincu que c’est après les élections de mai-juin 2012 que Tsipras et Pappas ont vraiment fait le choix de miser sur Varoufakis pour faire partie d’un gouvernement. Jusque-là, ils le rencontraient pour puiser des idées et ensuite réfléchir tous les deux sur la façon de s’émanciper des décisions de Syriza.

Varoufakis revient sur sa collaboration avec Tsipras et Pappas début 2013

Varoufakis raconte qu’il a rédigé le discours que Tsipras a prononcé à la Brookings Institution, un think tank basé à Washington, assez proche des Démocrates. Varoufakis résume le discours en deux points. Premièrement, Syriza était un parti pro-européen qui ferait tout pour que la Grèce reste dans la zone euro ; pour rester dans la zone euro et pour que celle-ci survive, il fallait un nouveau plan dont la priorité des priorités était la restructuration de la dette, suivie par des réformes qui mineraient l’emprise de l’oligarchie grecque sur l’économie. Deuxièmement, les États-Unis n’avaient rien à craindre de la politique économique ou étrangère d’un éventuel gouvernement Syriza.

Cette orientation défendue par Varoufakis et assumée par Tsipras était clairement en opposition au programme de Syriza qui promettait la sortie de la Grèce de l’Otan.

Varoufakis rencontre l’équipe des économistes de Syriza en mai 2013

En mai 2013, à Athènes, Varoufakis fait connaissance avec l’équipe d’économistes de Tsipras.

  • « Outre Pappas et Dragasakis, ministre des Finances fantôme, elle comprenait deux autres députés Syriza que je connaissais et que j’aimais bien : Euclide Tsakalotos, collègue et ami de l’Université d’Athènes, et George Stathakis, professeur d’économie de l’Université de Crète. »

Il explique qu’il leur a soumis la proposition de programme que Tsipras lui avait demandée.

  • « Ils étaient tous en ébullition, ce qui montrait que j’avais réussi à dissuader Alexis de viser le Grexit et de le brandir comme une menace. J’ai perdu beaucoup d’amis de la gauche au sens large et de Syriza, qui ne m’ont jamais pardonné d’avoir contribué à exclure le Grexit des objectifs de Syriza. En revanche, la garde rapprochée des économistes d’Alexis avait à cœur de trouver une solution viable au sein de la zone euro. »

Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »

Je reviens avec un témoignage personnel qui a trait à la deuxième réunion de travail que j’ai eue avec Tsipras. Elle s’est déroulée à Athènes fin octobre dans son bureau de député dans l’enceinte du parlement grec. Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Équateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et, bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais, dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest et des conditions de remboursement très avantageuses. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise. Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait de mon interview que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014 quasiment le jour où la réunion avec Tsipras a eu lieu. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime […] mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale |14|. »

Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014.

Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussions et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 |15|. Je me suis rendu compte dès ce moment que Tsakalotos n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Son plan était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.

La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement aux années 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.

Revenons au récit présenté par Varoufakis. Quelques jours après la rencontre que j’ai eue fin octobre à Athènes avec Tsipras, celui-ci s’est rendu au Texas à un séminaire organisé par Varoufakis et son ami et collègue James Galbraith.

Novembre 2013, Varoufakis organise la venue de Tsipras à l’université Lyndon B. Johnson à Austin, au Texas

  • « En novembre 2013, Jamie et moi avons organisé un colloque de deux jours à l’Université du Texas sur le thème « La zone euro peut-elle être sauvée ? » Alexis, Pappas et Stathakis, très attendus, devaient intervenir. Le but était de présenter les trois dirigeants de Syriza à quelques figures des élites européenne et américaine, à des dirigeants de syndicats, des universitaires et des journalistes. […]
  • Au cours du colloque, Pappas et lui ont assisté à un débat particulièrement houleux entre ma pomme et Heiner Flassbeck, un économiste allemand de gauche, ancien ministre des Finances du gouvernement Schroeder. Flassbeck affirmait qu’il était impossible de libérer la Grèce de sa prison pour dettes tout en la maintenant dans la zone euro. Un gouvernement Syriza devait viser le Grexit, disait-il, en tout cas c’était la meilleure menace à brandir contre ses créanciers – c’était d’ailleurs le point de vue de la Plateforme de gauche, une faction de Syriza qui comptait parmi ses membres un tiers du comité central du parti. Ce jour-là, à Austin, j’ai acquis la conviction qu’Alexis n’était pas d’accord avec cette analyse ; si quelqu’un menaçait le pays du Grexit, ça devait être la troïka, pas Syriza. »

Juin 2014, nouvelle rencontre avec l’équipe des économistes de Tsipras

« Ce mois de juin 2014, rentré en Grèce pour les vacances d’été, j’ai retrouvé Alexis et sa petite bande d’économistes pour les prévenir qu’une nouvelle menace se profilait. » Varoufakis explique qu’il les a mis en garde contre l’action que la BCE comptait mener à partir de début 2015 : fermer le robinet des liquidités aux banques de certains pays de la zone euro et ne leur ouvrir que le robinet des liquidités d’urgence. Cela visait notamment la Grèce.

  • « Deux jours plus tard, j’ai eu un nouveau rendez-vous avec Alexis et Pappas.
  • – Tu te rends compte que tu es le seul à pouvoir superviser la mise en œuvre de la stratégie que tu proposes ? m’a demandé Pappas. Tu es prêt ? »
  • Varoufakis continue : « Une semaine plus tard, Wassily Kafouros, un ami que j’avais connu quand j’étais étudiant en Angleterre, a semé de nouveaux doutes dans mon esprit. D’après lui, j’étais la dernière personne à ignorer que Dragasakis était extrêmement proche des banquiers.
  • – Quelle preuve tu as, Wassily ?
  • – Je n’ai pas de preuves mais ça se sait, il est connu pour entretenir d’excellentes relation avec les banquiers, depuis son passage au Parti.
  • Je pensais que c’était une accusation infondée »

Varoufakis montrait clairement sa méconnaissance de Syriza et de ses dirigeants. En effet, Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même avait été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza était une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques avaient relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au PASOK dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. Alors qu’avant janvier 2015, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, était… Dragasakis. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie à l’époque. Dragasakis était clairement opposé à ce qu’on touche aux intérêts des banques privées grecques, il était également opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement. Il était favorable au maintien dans la zone euro.

Août 2014, les doutes sur Dragasakis et la volonté de changer le programme de Syriza

En août 2014, Varoufakis finit par faire part de ses doutes sur Dragasakis.

  • « – Ecoute, Alexis, j’ai entendu dire que Dragasakis est extrêmement proche des banques. Et, plus généralement, qu’il ferait semblant de trouver une issue, alors qu’il cherche à maintenir le statu quo.
  • Il ne m’a pas répondu tout de suite. Il a regardé au loin vers le Péloponnèse avant de se retourner en lâchant :
  • – Non, je ne pense pas. C’est bon.
  • J’étais déconcerté par son laconisme. Est-ce parce qu’il avait aussi des doutes mais préférait croire à la probité d’un camarade plus âgé ? Était-ce une façon d’ignorer ma question ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Sur le moment il m’a dit que je n’avais pas le choix : de toute façon, je serais amené à jouer un rôle essentiel dans les négociations. »

Varoufakis confirme que Tsipras peut compter sur lui mais pose une condition : il veut pouvoir intervenir dans l’élaboration du programme économique de Syriza avant les élections. Tsipras accepte.

Varoufakis : contre le programme de Thessalonique de septembre 2014

« Un mois plus tard, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. » Varoufakis fait une déclaration publique pour critiquer durement le programme et s’attend à ce que cela mette fin à la collaboration avec Tsipras.

Coup de théâtre, Pappas lui téléphone, gai comme un pinson, comme si de rien n’était en lui proposant une nouvelle rencontre. Varoufakis exprime son étonnement et Pappas lui répond : « – Arrête, ça ne change rien. Le Programme de Thessalonique était un cri de ralliement pour nos troupes. Pas plus. On compte sur toi pour mettre en forme le vrai programme économique de Syriza. » Varoufakis consent dans ces conditions à poursuivre la collaboration et finira par accepter de devenir ministre des Finances. Il explique qu’à la réunion au cours de laquelle il a donné son accord, l’échange suivant a eu lieu :

  • « – Comme vous le savez, j’ai de sérieuses réserves sur le Programme de Thessalonique. J’ai même très peu de respect pour ce programme. Puisqu’il a été présenté au peuple grec comme votre profession de foi économique, je ne vois pas comment je pourrais, en toute honnêteté, endosser la responsabilité de le mettre en œuvre en tant que ministre des Finances.
  • Pappas a sauté sur l’occasion pour me dire et me redire qu’en aucun cas je ne devais considérer ce programme comme une contrainte.
  • – Tu n’es même pas membre de Syriza.
  • – D’accord, mais vous ne vous attendez pas à ce que je le devienne si j’accepte le poste ?
  • – Non, en aucune façon, est intervenu Alexis, dont la réponse était très étudiée. Je ne veux pas que tu sois membre de Syriza. Je ne veux pas que tu pâtisses des prises de décision collectives longues et alambiquées du parti. »

Conclusion

Varoufakis était un électron libre, sans influence dans Syriza (il n’en était pas membre). Tsipras considérait qu’il pourrait, en cas de nécessité, le démissionner sans provoquer de grands remous dans le parti. Le profil de Varoufakis correspondait au casting défini par Tsipras et Pappas : économiste universitaire, brillant, bon communicateur maniant la provocation et la conciliation avec le sourire, dominant parfaitement l’anglais.

Alexis Tsipras a décidé de fonctionner en petit comité dans le dos de son propre parti plutôt que de mettre en pratique une orientation politique décidée de manière collective au sein de Syriza et approuvée démocratiquement par la population grecque. Nommer Yanis Varoufakis ministre des Finances et lui recommander de ne pas devenir membre de Syriza correspondait à une logique de gouvernance technocratique selon laquelle la responsabilité de Varoufakis ne pourrait être engagée ni devant Syriza, ni devant les électeurs grecs, mais uniquement devant Alexis Tsipras et son petit cercle. Il est évident que l’absence de participation populaire et de mécanismes démocratiques dans l’élaboration de l’orientation politique allait à l’encontre de la nécessité, pour un gouvernement de gauche, de faire appel à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire. Le rappel des événements intervenus entre 2011 et fin 2014 est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015.

Fin de la troisième partie de la série « Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même »


Partie 1 : Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
Partie 2 : Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 3, p. 57. Toutes les citations proviennent des chapitres 3 et 4. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Voir le texte de cette lettre dans James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Le Seuil, 2016, http://www.seuil.com/ouvrage/crise-…

|3| « Ouvrez les livres de comptes de la dette publique ! » http://cadtm.org/Ouvrez-les-livres-de-compte-de-la

|4| http://cadtm.org/Commission-Internationale-d-audit

|5| En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en termes de tirage (100 000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?ca… Voir la version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi

|6| Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon…. , publié le 11 avril 2011

|7| Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy ». http://cadtm.org/Dette-les-grecs-et-la-Debtocracy, publié le 13 juillet 2011.

|8| Voir le diaporama de mon exposé : Eric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_C… . Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Éric Toussaint, « Huit propositions urgentes pour une autre Europe », publié le 4 avril 2011, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour

|9| Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs clés de Syriza y apparaissent. Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) :
Introduction. Section 1 – Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révélé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclide Tsakalotos (ministre des finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective

Section 2 – The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU – The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.

Section 3 – Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union – Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles

Section 4 – The PIGS as (Scape) Goats. Portugal – Marianna Mortagua
Ireland – Daniel Finn
Greece – Eric Toussaint
Spain – Javier Navascues
Hungary – Tamas Morva

Section 5 – Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yannis Dragasakis (vice-premier ministre des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les institutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Populaire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.

Section 6 – The Crucial Role of the European Left – Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.

Le livre est disponible en PDF : http://www.cadtm.org/Public-Debt-an…

|10| Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels. Elle soutient Unité populaire depuis août-septembre 2015.

|11| Daniel Munevar a également participé à cette discussion. Il a fait partie de l’équipe des conseillers de Varoufakis lorsque celui-ci était ministre des Finances.

|12| Source http://links.org.au/node/2888 (traduction en français à partir de l’anglais)

|13| Voir Éric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Le-peuple-grec-se

|14| Voir « L’appel d’Alexis Tsipras pour une Conférence internationale sur la dette est légitime », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014.

|15| Euclide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume-Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupait toujours cette fonction début 2017 dans le gouvernement Tsipras II.

http://www.cadtm.org/Comment-Tsipras-avec-le-concours

Falsifications des statistiques grecques- procès Georgiou

Grèce  : le procès Georgiou ou l’affaire de la falsification des statistiques grecques pour justifier l’intervention de la Troïka   17 août par Constantin Kaïmakis

CC – Flickr – Ken Teegardin

Un procès sans fin

Ce n’est pas moins de 4 ans d’instruction judiciaire, deux procès initiaux et une réouverture du dossier que vient de clore la condamnation d’Andréas Georgiou. En effet, le 1er août 2017, le Tribunal correctionnel d’Athènes a condamné cet ancien Directeur de l’office des statistiques grecques (Elstat) à deux ans de prison avec sursis pour «  manquement au devoir  ». Voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1 août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission européenne) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. |1| »

Comme l’écrit Éric Toussaint : « Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. » « Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17). |2| »

Le travail d’expertise de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque

La Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques. La trentaine d’experts qui ont travaillé à ce remarquable travail de vérité font notamment état de l’évolution et de l’histoire de la dette grecque. Ils démontrent avec minutie comment Papandréou a dramatisé la situation de la dette et du déficit pour justifier une intervention étrangère qui apporterait suffisamment de fonds pour répondre à la situation des banques. C’est là qu’interviennent les faux chiffres et les méthodes douteuses d’A. Georgiou à Elstat. Georgiou a créé de toutes pièces les éléments qui ont permis de «  gonfler  » artificiellement les chiffres du déficit et de la dette publique grecs. Les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ont décrit ces falsifications :
- les falsifications concernant les obligations des hôpitaux publics qui ont ainsi permis d’augmenter une première fois le déficit ;
- les falsifications portant sur 17 entreprises grecques et sur les organismes publics comme les services de l’électricité, le téléphone et les télécoms, le rail, la télévision publique etc, qui ont permis d’augmenter à nouveau le déficit ;
- enfin les fameux swaps de Goldman Sachs (contrats d’échanges de taux d’intérêts) qui sont venus gonfler rétroactivement les chiffres de la dette à compter de 2009.

Ainsi la falsification des statistiques est directement liée à la dramatisation de la situation budgétaire et de la dette publique. Cela a été fait pour que l’opinion publique en Grèce, en Europe et au niveau international soient convaincue de la nécessité d’un « plan de sauvetage » de l’économie grecque en 2010, avec toutes les conditions strictes et conséquences sociales imposées à la population du pays. Les parlements des pays européens ont voté pour le « sauvetage » de la Grèce en s’appuyant sur ces statistiques falsifiées.

Sous prétexte de fournir une aide à la Grèce, dans le cadre de la solidarité, on a en fait masqué la socialisation des pertes bancaires.

Tant par son style que ses méthodes, Andréas Georgiou a été mis en cause, notamment par son administration. Les chiffres sont contestés, et pour les vérifier on va créer un conseil d’administration de sept membres. Les relations entre Georgiou et ce conseil sont difficiles voire inexistantes : il ne les réunit pas et ne les informe pas. Ce CA va être dissous, et ses membres remerciés. Deux d’entre eux décident de témoigner devant la commission pour la vérité contre leur ancien chef ; c’est le cas notamment de Zoé Georgantou, universitaire reconnue. Elle estime qu’Andreas Georgiou aurait gonflé les chiffres du déficit à dessein en y incluant par exemple les dettes des hôpitaux publics.

Un soutien inconditionnel de la Commission européenne

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales, a affirmé que «  les données sur la dette grecque pour la période de 2010 à 2015 ont été fiables et communiquées avec exactitude  ». Dans cette situation, la justice grecque avait estimé en décembre 2016 qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour envoyer Georgiou devant le tribunal… Mais un courageux procureur de la Cour suprême, Xeni Dimitriou a demandé le réexamen de l’affaire. A l’issue d’un nouveau procès, Georgiou a donc été condamné le 1er août 2017. Ses avocats et lui-même ont fait savoir qu’ils feraient appel.

La porte-parole de la Commission européenne, Mme Annika Breidthardt, a renouvelé son soutien total à Georgiou en déclarant que cette décision n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et a réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’Elstat au cours de la période 2010-2015 et au-delà ». Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, dans une interview au Financial Times a déclaré que « l’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres est un pilier important du fonctionnement de l’euro et un des éléments qui construisent la confiance entre les pays-membres de la zone euro ». Il en est de même de toute la nomenclature européenne qui clame son soutien à Georgiou via les Moscovici, Mario Draghi et autres… La pression des autorités européennes est constante soit de façon formelle soit via les médias européens. Et le prochain Eurogroupe de septembre 2017 envisage même d’en parler.

Rappelons que le gouvernement d’Alexis Tsipras a déjà plié devant les exigences des dirigeants européens dans une autre affaire. Voici ce qu’écrivait Maria Malagardis du quotidien français Libération à propos de l’abandon de poursuites contre trois experts techniques de Taiped, l’organisme mis en place pour gérer les privatisations http://www.cadtm.org/La-justice-ou-l-argent-L-etrange). Trois experts étrangers faisaient en effet, jusqu’à très récemment, l’objet de poursuites pénales :

« En cause : la manière dont a été gérée en 2014 la vente de 28 biens immobiliers concernant un grand nombre de ministères et d’installations publiques. Prix total de la transaction au profit de deux opérateurs privés (Eurobank Property et Ethniki Pangaea) : 261 millions d’euros.
Afin d’éviter le déménagement des nombreux services concernés, il avait été prévu que les nouveaux propriétaires loueraient ces bâtiments à ceux qui les occupent. Pendant vingt ans. A l’issue de cette période, l’État grec pourrait racheter ces propriétés, au prix courant du marché.

Sauf qu’un groupe d’avocats du Pirée va contester cette transaction et montrer comment le prix total de vente déjà sous-évalué, selon eux, se révélait de surcroît nettement inférieur au total des loyers encaissés au cours de la période concernée (580 millions d’euros). L’État grec était donc perdant, ont-ils estimé, conclusion reprise par le parquet dans un réquisitoire de 200 pages.

De surcroît, les heureux acquéreurs ont bénéficié d’une clause supplémentaire qui prévoit que le rachat éventuel par l’État grec serait exempté de toute taxe ou impôt. Autant de pertes supplémentaires pour le Trésor.

À l’issue de l’instruction préliminaire, des poursuites ont donc été engagées. Notamment contre un Espagnol, une Italienne et un Slovaque, tous conseillers auprès de Taiped à l’époque des faits. Rappelons que Taiped ne rend de comptes ni au Parlement grec, ni au gouvernement, sur la manière dont il gère les privatisations. Un vrai modèle de transparence donc.

Mais après l’annonce des poursuites, les membres de l’Eurogroupe, ont exigé et obtenu en 2016 l’impunité des membres de Taiped. Restait à éteindre l’action en justice.

Dès le 15 juin à Luxembourg, au moment où se finalisait l’accord pour les 8,5 milliards d’euros, le ministre des Finances espagnol, Luis de Guindos avait tapé du poing sur la table, en menaçant de bloquer l’aide si les poursuites n’étaient pas abandonnées. Visiblement, les représentants grecs ont dû donner ce jour-là quelques garanties sur leurs capacités à bloquer l’action de la justice, puisque l’argent fut débloqué. D’ailleurs, moins de deux semaines plus tard, la Cour suprême grecque, sollicitée par les avocats des trois experts, annulait purement et simplement les poursuites. »

Les ingérences des créanciers de la Grèce dans les affaires de justice a amené l’Union des juges et des procureurs de Grèce à vivement réagir dans un communiqué : « Les autorités judiciaires grecques et les lois grecques doivent traiter sur un pied d’égalité tous les citoyens indépendamment des relations spéciales que ces derniers pourraient avoir avec des services relevant de la Commission européenne. L’interprétation correcte et l’application des lois sont confiées par la Constitution aux institutions judiciaires dont le jugement ne doit pas être influencé par des tendances politiques, des pressions ou des incitations ». Et de conclure : « L’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres peut certes constituer un pilier important de l’union économique et monétaire selon la Commission, mais l’indépendance et la liberté de jugement des juges et des procureurs d’un pays sont la pierre angulaire du régime démocratique ».

À noter que, depuis début août 2017, Elstat a supprimé la parution des données flash sur le PIB grec… La raison ? Les données ne seraient pas fiables… tiens donc !

Pour terminer sur une note positive qui s’ajoute à celle de la condamnation de Georgiou, en juillet 2017, un ex-ministre socialiste a été condamné vendredi par un tribunal d’Athènes à huit ans de prison avec sursis pour « blanchiment d’argent » provenant de pots-de-vin versés par l’entreprise allemande Siemens pour la signature en 1997 d’un contrat avec la société grecque de télécommunications OTE |3|.

Notes

E.Toussaint sur les propositions de Y.Varoufakis 2eme

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même

Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

Partie 2

17août par E Toussaint

Dans son dernier livre Adults in the Room (https://www.theguardian.com/books/2…), Yanis Varoufakis donne sa version des raisons qui ont conduit à la capitulation honteuse du gouvernement Tsipras en juillet 2015. Il analyse essentiellement la période 2009-2015 tout en faisant des incursions dans des époques plus lointaines.

Dans un premier article au sujet de ce livre (http://www.cadtm.org/Les-propositio…), j’ai analysé de manière critique les propositions faites par Varoufakis avant de participer au gouvernement de Tsipras en janvier 2015, en montrant qu’elles menaient à l’échec. Ce deuxième article porte notamment sur les liens entretenus par Yanis Varoufakis avec la classe politique dirigeante grecque (tant le PASOK historiquement lié à la social-démocratie, que le parti conservateur Nouvelle Démocratie) depuis plusieurs années.

Yanis Varoufakis met l’accent à plusieurs reprises sur le large éventail de ses relations dans le milieu politique grec. Il insiste sur son amitié passée avec Yanis Stournaras (l’actuel directeur de la banque centrale de la Grèce, allié de Draghi et des banquiers privés grecs et étrangers), sur ses bons rapports en 2009 avec Georges Papandréou (qui a mis en œuvre la politique conduisant au premier mémorandum), sur ses relations avec Antonis Samaras (qui a dirigé le gouvernement grec après le deuxième mémorandum) et il consacre une partie importante des 4 premiers chapitres du livre à relater la construction de rapports étroits de collaboration et à certains moments de complicité avec 3 dirigeants de Syriza. Il s’agit d’Alexis Tsipras (qui a conduit le peuple grec au troisième mémorandum), Nikos Pappas (l’alter ego de Tsipras, devenu ministre d’Etat dans le gouvernement Tsipras I) auquel s’est ajouté, en cours de route, Yanis Dragasakis (avant que celui-ci devienne vice-premier ministre des gouvernements Tsipras I et II).

Dans cette deuxième partie, je vais aborder le récit du début de la crise grecque ainsi que les relations de Varoufakis avec la classe politique traditionnelle grecque.

Varoufakis dénonce les banquiers grecs mais la solution qu’il a proposée à Alexis Tsipras à partir de juin 2012 consistait à transférer la propriété des banques grecques à l’Union européenne.

Varoufakis relate de manière très discutable l’enchaînement des évènements qui ont conduit à l’imposition du premier mémorandum de mai 2010. Tout en s’en défendant, il conforte la narration officielle selon laquelle la cause de la crise réside dans l’incapacité de l’Etat grec à faire face à la dette publique. Bien qu’il dénonce l’état lamentable dans lequel les banques privées grecques s’étaient placées |1|, il met l’accent sur l’incapacité de l’Etat grec à faire face à la situation et déclare que celui-ci aurait dû se déclarer en faillite. Il écarte la possibilité qui était “offerte” à l’Etat de refuser d’assumer les pertes des banques. Son raisonnement sur la faillite de l’Etat grec tient au fait que, selon lui, le passif (=les dettes) des banques privées était, qu’on le veuille ou non, à charge de l’Etat. Le passif des banques privées était tellement élevé que l’Etat grec était incapable d’y faire face. Pourtant, à différents moments de l’histoire, des Etats ont refusé d’assumer les pertes des banques privées. L’Islande l’a fait à partir de 2008 lors de l’effondrement de son secteur bancaire privé et s’en est très bien tirée. Elle a su faire face victorieusement aux menaces de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas |2|.

Il ne suffit pas de dire que la Grèce n’est pas l’Islande, il ne suffit pas d’affirmer que la Grèce fait partie de la zone euro et devait y rester pour mettre fin au débat. Varoufakis adopte une attitude en réalité conservatrice du point de vue économique et social. Il dénonce les banquiers grecs mais la solution qu’il a proposée à Alexis Tsipras à partir de juin 2012 consistait à transférer la propriété des banques grecques à l’Union européenne |3|.

Par ailleurs, il est évident qu’il fallait remettre en cause le paiement de la dette publique qui avait fortement augmenté principalement dans les années 1990 du fait de la poursuite d’objectifs illégitimes (dépenses militaires excessives, financement des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux plus riches, financement par la dette de la baisse des cotisations sociales qui étaient à charge du patronat…) ou du financement de cette dette à des conditions illégitimes (taux d’intérêt abusif prélevés par les banques), et suivant des modalités qui étaient marquées par la corruption et d’autres facteurs d’illégalité (voir le chapitre 1 de http://www.cadtm.org/Rapport-preliminaire-de-la).

Varoufakis et le gouvernement de Georges Papandreou (PASOK) 2009-2011

“En automne 2009, un nouveau gouvernement grec a été élu avec la promesse suivante : dépenser plus pour aider la montagne du revenu de la nation à se reconstruire. Sauf que le nouveau Premier ministre et son ministre des Finances, issus du parti social-démocrate, le Pasok, n’ont pas compris. La faillite de l’État était déjà là, avant même qu’ils prêtent serment. |4| »

Il est faux d’affirmer que l’Etat grec était en faillite. Ce discours conforte la présentation mensongère donnée par la Troïka et les médias dominants.

Il est faux d’affirmer que l’Etat était en faillite. Ce discours conforte la présentation mensongère donnée par la Troïka et les médias dominants.
Ce que ne dit pas Varoufakis, c’est que Papandréou a dramatisé la situation de la dette publique et du déficit public au lieu de faire supporter le coût de cette crise bancaire aux responsables, tant étrangers que nationaux (à savoir les actionnaires privés, les administrateurs des banques, les banques étrangères et autres sociétés financières qui avaient contribué à générer la bulle spéculative). Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas dans les années précédant la crise pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais en 2009 pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17 de http://www.cadtm.org/Rapport-preliminaire-de-la). Varoufakis ne dénonce pas la falsification, il prend pour argent comptant les affirmations de Papandréou, de son ministre des Finances sur l’état dramatique des finances publiques.

Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. Andréas Georgiu, directeur en 2009-2010 de l’office grec des statistiques ELSTAT (alors qu’il occupait encore un mandat au FMI) a été condamné en août 2017. Sous le titre : « En Grèce, condamnation de l’ancien chef des statistiques, qui avait maquillé les chiffres du déficit public », voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1er août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. |5| »

Contrairement à ce qu’affirme Varoufakis, les banques privées n’ont pas stoppé les crédits à l’Etat grec en 2009, ce sont les crédits aux secteurs privés grecs qui ont été interrompus

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Varoufakis, les banques privées n’ont pas stoppé les crédits à l’Etat grec en 2009 |6|, ce sont les crédits aux secteurs privés grecs qui ont été interrompus au cours de cette année. A l’automne 2009, l’Etat grec réussissait sans difficulté à lever des fonds. L’arrêt des crédits des marchés financiers à l’Etat grec a eu lieu en 2010, après que Papandréou a dramatisé la situation et au moment du lancement du processus du 1er mémorandum.

Varoufakis explique à plusieurs endroits du chapitre 2 qu’il entretenait, malgré des divergences évidentes, de bons rapports avec Papandréou :
« En janvier 2010, au cours d’un entretien à la radio, j’ai prévenu le Premier ministre, que je connaissais personnellement et avec qui j’avais des rapports plutôt amicaux, en lui disant : « Quoique tu fasses, ne va pas chercher des emprunts d’État chez nos partenaires européens pour essayer, en vain, d’éviter la banqueroute. |7| »

Sur ce dernier point, Varoufakis a raison : il ne fallait pas aller chercher des crédits du côté de la Troïka. Par contre, Varoufakis a tort quand il affirme que l’Etat grec aurait dû se déclarer en faillite. Une alternative, opposée à la politique mise en pratique par Papandréou et différente de celle avancée par Varoufakis (= mise en faillite de l’Etat), était pourtant possible et nécessaire. Suite à sa victoire électorale de 2009 obtenue grâce à une campagne dénonçant les politiques néolibérales menées par Nouvelle Démocratie, le gouvernement de Papandréou, s’il avait voulu respecter ses promesses électorales, aurait pu et aurait dû socialiser le secteur bancaire en organisant une faillite ordonnée des banques et en protégeant les déposants. Plusieurs exemples historiques attestent qu’une faillite était tout à fait compatible avec le redémarrage rapide des activités financières au service de la population. Il fallait s’inspirer de ce qui se faisait en Islande depuis 2008 |8| et de ce qui avait été réalisé en Suède et en Norvège dans les années 1990 |9|. Papandreou a préféré suivre l’exemple scandaleux et catastrophique du gouvernement irlandais qui a sauvé les banquiers en 2008 et allait en novembre 2010 devoir accepter un plan d’aide européen qui a eu des effets dramatiques pour le peuple irlandais. Il fallait aller plus loin que l’Islande et la Suède avec une socialisation complète et définitive du secteur financier. Il fallait faire supporter les pertes de la résolution de la crise bancaire par les banques étrangères et par les actionnaires privés grecs tout en poursuivant en justice les responsables du désastre bancaire. Une telle démarche aurait permis à la Grèce d’éviter la succession de mémorandums qui ont soumis le peuple grec à une crise humanitaire dramatique et à l’humiliation sans pour autant assainir véritablement le système bancaire grec.


Varoufakis et Antonis Samaras

A plusieurs reprises Varoufakis se réfère aux contacts qu’il entretenait avec des personnalités de premier plan de la classe politique grecque qu’elle soit du PASOK ou du principal parti conservateur, la Nouvelle Démocratie.

Concernant Samaras, d’aucuns se seraient posé la question : « N’est-ce pas inquiétant de recevoir des compliments d’un des dirigeants clés du parti conservateur ? ». Cela n’a pas été le cas de Varoufakis.

« Un soir (de 2011, NDLR), en rentrant chez moi après une émission de l’ERT, la radio et la télévision publiques grecques, le fixe a sonné. J’ai décroché et j’ai reconnu la voix d’Antonis Samaras, dirigeant de la Nouvelle Démocratie, le parti conservateur, qui, à l’époque, représentait l’opposition officielle. (…) « On ne se connaît pas, M. Varoufakis, me dit-il, mais je viens de vous regarder à la télévision et il fallait absolument que je vous appelle. Je crois que je n’ai jamais entendu des propos aussi profonds et touchants sur un plateau de télévision. Je voulais vous remercier pour votre prise de position. » Samaras n’est pas le seul membre de l’establishment grec à avoir pris contact avec moi. Ma croisade m’avait amené à avoir de nombreuses discussions en aparté avec des ministres socialistes, des députés conservateurs de l’opposition, des dirigeants de syndicats et autres, qui sentaient bien que je représentais autre chose. Dès que je leur avais fait part de mon analyse, ils étaient d’accord, tous sans exception. (…) Les conservateurs, en tout cas jusqu’en novembre 2011, étaient un peu plus audacieux : comme leur dirigeant, Antonis Samaras, avait adopté un point de vue anti-austérité et anti-renflouement, ils étaient plus libres pour me suivre. |10| »

Après avoir reçu un coup de téléphone comme celui de Samaras, d’aucuns se seraient posé la question : « N’est-ce pas inquiétant de recevoir des compliments d’un des dirigeants clés du parti conservateur ? ». Cela n’a pas été le cas de Varoufakis.


L’amitié entre Stournaras et Varoufakis

Varoufakis ne consacre pas moins de quatre pages à la relation d’amitié qu’il a liée avec Yanis Stournaras |11|. Entre la fin des années 1990 et la période des mémorandums, Yanis Stournaras est passé du PASOK à la Nouvelle Démocratie. Varoufakis explique : « C’est lui qui avait réussi à convaincre Bruxelles et Berlin d’intégrer la Grèce à la zone euro. Une fois le pays définitivement admis, en 2000, le Premier ministre, membre du Pasok, l’avait remercié en lui offrant le poste de PDG et Président de la Banque commerciale de Grèce |12|. C’est à cette époque que nous avions fait connaissance. En dépit de son emploi du temps bousculé, Stournaras se rendait toujours disponible pour enseigner, avec plaisir et avec dévouement. Nos points de vue d’économiste et nos opinions politiques divergeaient, mais son engagement à l’université et nos affinités naturelles ont donné naissance à une profonde amitié. »

Même si à l’époque Varoufakis n’occupait aucune fonction officielle, il entretenait des relations avec des dirigeants clés et certaines de ses idées n’étaient pas rejetées par les dirigeants conservateurs, loin de là.

Varoufakis raconte qu’ils ont passé ensemble, dans l’appartement de Stournaras, la soirée électorale du 4 octobre 2009 qui a vu la victoire du PASOK. A cette époque, Stournaras était un des hauts conseillers des « socialistes » et avait épousé l’orientation pro-mémorandaire de Papandréou. Varoufakis poursuit : « En 2010, année cruciale pour la Grèce, Stournaras a fait un choix qui en a surpris plus d’un en devenant président d’un think-tank d’économistes créé à l’origine par la Confédération nationale des industries de Grèce, l’organisation patronale la plus puissante et la plus établie du pays, traditionnellement liée à la Nouvelle Démocratie. » Cela n’a pas affecté leur amitié. Un mois avant les élections de mai 2012, Varoufakis de passage à Athènes a appelé Stournaras : « je l’ai retrouvé le lendemain dans le café d’un hôtel situé au pied de l’Acropole. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre (…). Puis nous sommes passés aux choses sérieuses et je l’ai briefé sur les discussions que j’avais eues à Berlin avec des représentants de la BCE et du gouvernement allemand, avec des journalistes financiers et d’autres. J’ai également mentionné une conversation que j’avais eue avec George Soros. Qui était d’accord avec mon analyse de la situation de la Grèce et avec l’essentiel de mes propositions de politique économique pour l’Europe en général. » Varoufakis explique que Stournaras et lui ne sont pas tombés d’accord sur la viabilité du mémorandum mais qu’ils se sont quittés en se promettant de conserver intacte leur amitié. Les choses se sont gâtées quand Stournaras quelques mois plus tard a accusé Varoufakis de spéculer avec Soros sur les titres de la dette grecque. C’est à ce moment que leur relation s’est interrompue. Entretemps, Stournaras était devenu ministre de la Compétitivité (mai-juin 2012). Après les élections de juin 2012, il est devenu ministre des Finances du gouvernement d’Antonis Samaras. Ensuite, à partir de juin 2014, Samaras l’a placé à la tête de la banque centrale de la Grèce où il se trouve encore.

J’ai pris la peine de résumer ce passage du livre de Varoufakis, parce qu’il est révélateur de l’aisance avec laquelle il évoluait dans les milieux de la classe politique grecque. Même si à l’époque il n’occupait aucune fonction officielle, il entretenait des relations avec des dirigeants clés et certaines de ses idées n’étaient pas rejetées par les dirigeants conservateurs, loin de là. Manifestement, cela ne le gênait pas puisqu’il en fait largement état dans son livre.

Partie 1 : Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

Notes

|1| De mon côté j’ai analysé la crise des banques grecques dans « Grèce : Les banques sont à l’origine de la crise » http://www.cadtm.org/Grece-Les-banques-sont-a-l-origine Voir aussi Patrick Saurin, “La « Crise grecque » une crise provoquée par les banques”, http://www.cadtm.org/La-Crise-grecque-une-crise

|2| CADTM – Le tribunal de l’AELE rejette les réclamations « Icesave » contre l’Islande et ses habitants, publié le 29 janvier 2013, http://www.cadtm.org/Le-tribunal-de-l-AELE-rejette-les

|3| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 3, p. 65. Je reviendrai là-dessus dans le prochain article.

|4| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 2, p. 31. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|5| En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/europe/articl… A signaler que ce type d’article est très rare dans le quotidien Le Monde. La presse conservatrice grecque (notamment le quotidien Kathimerini) souligne le mécontentement de la Commission européenne. La porte-parole de la Commission, Mme Annika Breidthardt, a déclaré le 1er août 2017, que la décision du tribunal n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’ELSTAT au cours de la période 2010-2015 et au-delà »

|6| Je publierai un nouvel article sur la question avant la fin de l’année 2017. Je montrerai que plusieurs graphiques publiés par des organismes officiels, notamment le FMI, sont faux.

|7| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 2, p. 31. A la page suivante, Varoufakis écrit : « Convaincu que la faillite était certaine, quelles que soient nos paroles apaisantes, j’ai continué à enfoncer le clou. Par ailleurs, le fait que j’avais rédigé des discours pour le Premier ministre Papandreou a retenu l’attention de la BBC et d’autres organes de presse étrangers. »

|8| Renaud Vivien, Eva Joly, « En Islande, les responsables du naufrage bancaire n’ont pas pu acheter leur procès », publié le 20 février 2016, http://www.cadtm.org/En-Islande-les-responsables-du

|9| Mayes, D. (2009). Banking crisis resolution policy – different country experiences. Central Bank of Norway.

|10| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 2, p. 38-39.

|11| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 2, p. 68 à 72.

|12| Cette banque a ensuite changé de nom, elle s’est appelée Emporiki et a été achetée par la banque française Crédit Agricole.

http://www.cadtm.org/Le-recit-discutable-de-Varoufakis

E.Toussaint au sujet des propositions de Y.Varoufakis

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

Première partie

11 août par Eric Toussaint

Dans son dernier livre Adults in the Room (https://www.theguardian.com/books/2…), Yanis Varoufakis donne sa version des raisons qui ont conduit à la capitulation honteuse du gouvernement Tsipras en juillet 2015. Il analyse essentiellement la période 2009-2015 tout en faisant des incursions dans des époques plus lointaines.

Avec ce livre volumineux (550 pages dans la version originale en anglais), Yanis Varoufakis démontre qu’il est un grand narrateur. Il réussit par moment à émouvoir le lecteur. Son style direct permet de suivre de manière vivante le cours des évènements.

Ce premier article porte sur les 4 premiers chapitres d’un livre qui en compte 17. Il concerne les propositions que faisaient Varoufakis avant de participer au gouvernement en janvier 2015.

De la démonstration faite par l’auteur, on peut clairement conclure que son comportement et l’orientation politico-économique qu’il a défendue ont contribué à conduire au désastre. En effet, Yanis Varoufakis revendique clairement un rôle de premier plan dans l’élaboration de la stratégie qu’a adoptée avant la victoire électorale de janvier 2015 une poignée de dirigeants de Syriza : Alexis Tsipras, Yanis Dragasakis, Nikkos Pappas essentiellement.

Varoufakis ne plaide pas coupable : il est convaincu que si Tsipras avait réellement appliqué l’orientation qu’il lui a proposée et que Tsipras a acceptée à la fin 2014, cela n’aurait pas débouché sur une défaite pour le peuple grec.

Mais, contrairement à la conviction de Varoufakis, une lecture attentive de son livre aboutit à la conclusion qu’il a contribué à la défaite.

Contrairement à la conviction de Varoufakis, une lecture attentive de son livre aboutit à la conclusion qu’il a contribué à la défaite du peuple grec

Varoufakis explique comment progressivement il a convaincu Tsipras, Pappas et Dragasakis de ne pas respecter l’orientation adoptée par Syriza en 2012 puis en 2014. Il explique qu’il a élaboré avec ceux-ci une nouvelle orientation qui n’a pas été discutée dans Syriza et qui était différente de celle présentée par Syriza lors de la campagne électorale de janvier 2015. Cette orientation conduisait au mieux à l’échec, au pire à la capitulation.


L’orientation défendue par Varoufakis

Varoufakis résume le contenu de l’accord qu’il a passé avec Alexis Tsipras, Dragasakis et Pappas en novembre 2014 lors d’une réunion tenue dans l’appartement de Tsipras. Cette réunion avait été organisée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis afin de convaincre Varoufakis d’accepter de devenir ministre des Finances dans le gouvernement qui serait formé prochainement par Syriza. « C’est là qu’Alexis m’a fait une offre, tranquillement et sous le regard vigilant de Dragazakis. – Si on gagne, or il n’y a plus aucun doute qu’on va gagner, je voudrais que tu sois ministre des Finances. » |1|

Varoufakis résume 6 mesures prioritaires qu’il a proposées à Tsipras, Dragazakis et Pappas et que ceux-ci ont acceptées. Ces mesures impliquaient de rester dans la zone euro.

Varoufakis écrit : « j’ai cru bon de récapituler nos objectifs communs :

  • la restructuration de la dette vient en premier lieu ;
  • deuxièmement, excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité ;
  • troisièmement, réductions d’ampleur des impôts des sociétés ;
  • quatrièmement, privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements ;
  • cinquièmement, création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension publics ;
  • sixièmement, politique de transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE (…).

Une fois de plus, ils étaient partants, encore plus convaincus » |2|.

Varoufakis déclare très clairement que ces mesures devaient se substituer au programme de Thessalonique présenté par Tsipras en septembre 2014.

Voici ce qu’il écrit à propos de ce programme :

  • « …, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. Je me suis tout de suite mis au boulot. Moins d’une demi-heure plus tard, j’avais un article que le Premier ministre Samaras utiliserait pour fustiger Syriza devant le Parlement : « Même Varoufakis, votre gourou économique, estime que vos promesses sont bidons. » Et elles l’étaient.
  • Le « Programme de Thessalonique » (…) promettait des augmentations de salaire, des subventions, des bénéfices et des investissements qui seraient financés par des mannes imaginaires, ou illégales. Il comprenait également des engagements que nous ne devrions même pas avoir à tenir. Enfin, il allait à l’encontre de toute stratégie de négociations raisonnable pour maintenir la Grèce dans la zone euro, tout en affirmant qu’elle devait y rester. Le programme était tellement bancal que je n’ai même pas pris la peine de le critiquer point par point. Voilà ce que j’ai préféré écrire :
  • « J’aurais tellement aimé lire un autre discours de la part d’Alexis Tsipras ! Vous imaginez un discours qui commencerait par « Pourquoi voter pour nous ? » et répondrait, « Parce que nous vous promettons trois choses : du sang, de la sueur et des larmes ! »

 

  • Du sang, de la sueur et des larmes, voilà ce que Churchill a promis au peuple britannique en 1940 quand il a pris la tête du gouvernement. Et pourquoi ? Pour gagner la guerre. |3| »

Prendre comme référence positive W. Churchill dans une critique publique adressée au programme de Thessalonique, c’est toute une affaire. Churchill a organisé la répression sanglante des manifestations et des grèves qui ont secoué la Grèce à la fin de l’année 1944 lorsque, dans le cadre des Accords de Yalta, la Grande-Bretagne a pris le contrôle du pays en réprimant les principales forces qui avaient libéré le pays de l’occupation nazie.

Revenons sur les mesures telles que résumées par Varoufakis

1. Restructuration de la dette

Varoufakis propose une restructuration de la dette sans réduction du stock.
La réalisation de cette première mesure très modérée dépend en réalité de la bonne volonté de la Troïka. Il s’agit d’un vœu pieux. Sans recourir à une suspension de paiement, combinée à d’autres actes unilatéraux dont la réalisation d’un audit (avec participation citoyenne), il était impossible de contraindre les créanciers d’accepter une véritable réduction radicale de la dette. La proposition principale de Varoufakis en matière de restructuration de la dette s’inscrit, comme il l’indique lui-même, dans la continuité du texte intitulé : « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro » (https://www.yanisvaroufakis.eu/wp-c…). La réalisation de cette proposition qui consistait à mutualiser les dettes publiques de la zone euro aurait impliqué une décision commune des gouvernements de la zone afin de soulager les finances publiques et d’abandonner des politiques d’austérité. C’est techniquement possible, c’est politiquement souhaitable du point de vue de la relance économique et d’un nouveau contrat social néokeynésien mais, malgré le caractère modéré de la proposition, c’est totalement incompatible avec la politique menée par la plupart des gouvernements concernés. Il faut vraiment être très naïf pour penser que les gouvernants en place dans la plupart des capitales européennes pourraient être favorables à une relance keynésienne. Fonder une solution sur une telle hypothèse, c’est faire preuve d’un manque total de conscience des rapports de force et des motivations des dirigeants européens.

Toute la proposition de Varoufakis en matière de dette était et est inacceptable d’un point de vue de gauche car elle supposait d’écarter tout débat sur la légalité et la légitimité des dettes réclamées à la Grèce

La dernière version proposée par Varoufakis fin 2014-2015 impliquait les orientations suivantes en matière de dettes : ne pas remettre en cause et ne pas réduire la dette due au FMI et aux créanciers privés, et arriver à un arrangement avec les partenaires européens sur les points suivants :
- 1. « le gouvernement émettrait des obligations perpétuelles, qui auraient la même valeur nominale que les obligations appartenant à la BCE, avec un taux d’intérêt faible, mais sans date de maturité ni d’expiration. » ;
- 2. « les dettes obligataires du fonds européen de renflouement seraient échangées contre de nouvelles obligations du gouvernement grec de trente ans, là encore ayant la même valeur que la dette existante (donc pas de décote formelle), mais avec deux conditions : d’abord, les remboursements annuels devaient être suspendus jusqu’à ce que le revenu du pays ait atteint un certain seuil ; deuxièmement, le taux d’intérêt serait lié aux taux de croissance de l’économie grecque » |4|.

Commentaire : Ces deux propositions étaient tout autant irréalisables du point de vue politique que la mutualisation des dettes.

En outre, toute la proposition de Varoufakis en matière de dette était et est inacceptable d’un point de vue de gauche car elle supposait d’écarter tout débat sur la légalité et la légitimité des dettes réclamées à la Grèce. La proposition Varoufakis s’opposait frontalement à l’orientation adoptée par Syriza en 2012 : la suspension unilatérale du paiement de la dette et la réalisation d’un audit de celle-ci (je reviendrai là-dessus plus loin). Par ailleurs, et c’est important, dans sa proposition, Varoufakis n’inclut pas explicitement l’abandon des conditionnalités imposées par les créanciers.

Varoufakis explique lui-même que sa proposition est hyper modérée :

  • « Il s’agissait de mesures modérées et politiquement acceptables pour les créanciers puisqu’elles ne comprenaient aucune décote directe. Vis-à-vis du public et des investisseurs potentiels, c’était également le signe que l’UE accepterait d’avoir sinon le beau rôle, du moins un rôle nouveau : non plus le créancier impitoyable d’un État insolvable, mais le partenaire de la croissance de la Grèce puisque les remboursements de ce pays seraient proportionnels à l’augmentation de son revenu nominal.

 

  • Pas une seule fois je n’ai entendu un représentant du FMI ou de l’UE critiquer la logique qui sous-tendait ces propositions. Comme le fit remarquer le PDG d’une des plus grosses banques d’investissement américaines après les avoir découvertes : Vous leur proposez le genre de deal qu’un avocat spécialiste des faillites à Wall Street imaginerait. »

Commentaire : Il est évident que cette orientation était également explicitement contraire au refus légitime de poursuivre le paiement d’une dette odieuse.

2. La deuxième proposition de Varoufakis :
« Excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité. »

Commentaire : S’engager à dégager un excédent primaire de 1,5 % est totalement incompatible avec une véritable politique de relance de l’activité économique, de l’emploi public et privé, du pouvoir d’achat des masses populaires… En Grèce, un gouvernement de gauche qui veut réellement mettre en place une politique de relance et répondre à la crise humanitaire doit appliquer une politique de déficit public pendant plusieurs années et refuser de dégager un excédent primaire.

3. Troisièmement, réductions d’ampleur des impôts des sociétés

Concernant cette mesure que Varoufakis résume ainsi : « Ceci demanderait de fortes réductions de la TVA et des impôts sur les sociétés car il fallait redonner de l’énergie au secteur privé. »

Croire que la réduction des impôts des sociétés va augmenter la contribution de celles-ci dans le revenu fiscal total relève davantage d’une incantation libérale que d’un raisonnement argumenté

Il mentionne une question de Tsipras :

  • « – Pourquoi les boîtes devraient payer moins ? m’a demandé Alexis.
  • Je lui ai expliqué : le secteur privé devait payer plus en ce qui concerne le revenu fiscal total, mais la seule façon d’augmenter sa contribution globale alors que les ventes étaient au point mort et les banques en faillite, incapables de fournir des crédits aux entreprises rentables, c’était de réduire les impôts sur les sociétés. Dragasakis était d’accord, ce qui a apaisé Alexis et Pappas. »

Commentaire : Promettre une réduction des impôts des sociétés de manière indifférenciée est tout à fait incompatible avec une politique de gauche. Il faut augmenter le taux d’imposition des grandes sociétés et le faire respecter. Simultanément, il est tout à fait possible de baisser le taux d’imposition des petites entreprises. Par ailleurs, croire que la réduction des impôts des sociétés va augmenter la contribution de celles-ci dans le revenu fiscal total n’est nullement démontré et relève davantage d’une incantation libérale que d’un raisonnement argumenté.

4. Quatrièmement, privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements.

Varoufakis précise : « Quant aux privatisations, si nous voulions un accord avec l’UE et le FMI, il fallait accepter des compromis. Le refus de principe de Syriza devait être remplacé par une politique d’analyse au cas par cas. Il fallait arrêter de brader les holdings publiques, mais les actifs tels que les chemins de fer et les ports devaient être accessibles à condition qu’il y ait un minimum de niveau d’investissement, que l’acheteur s’engage à fournir aux travailleurs des contrats dignes et le droit de représentation syndicale, et que l’État demeure un actionnaire important, y compris minoritaire, car les dividendes de ses actions lui serviraient à soutenir les fonds de pension. »

Varoufakis était favorable à l’acceptation de la poursuite de certaines privatisations, condamnant le gouvernement à la soumission face aux grandes entreprises et au capital étranger.

Commentaire : Alors que Syriza se battait pour mettre fin aux privatisations et pour renationaliser une série d’entreprises privatisées, Varoufakis, comme il l’a mis en pratique quand il est devenu ministre, était favorable à l’acceptation de la poursuite de certaines privatisations. Cela condamnait le gouvernement à la soumission face aux grandes entreprises et notamment au capital étranger. Cela réduisait à l’impuissance les pouvoirs publics.

5. Création d’une banque de développement

  • « Cinquièmement, création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension publics. »

Varoufakis propose la création d’une banque de développement croupion comme lot de consolation à la poursuite des privatisations et au transfert des banques grecques aux créanciers étrangers (voir la proposition 6).

Varoufakis écrit :

  • « Les actifs qui restaient propriété publique devaient être transmis à une nouvelle banque de développement publique qui les utiliserait comme garanties ou collatéraux pour lever des fonds, lesquels seraient investis dans ces mêmes actifs afin de booster leur valeur, créer des emplois et augmenter les revenus à venir. Ils ont également acquiescé là-dessus. »

Commentaire : Varoufakis présente la mesure de création d’une banque publique de développement afin de faire avaler les propositions 4 et 6 qui sont en contradiction totale avec une stratégie de gauche. La mesure 4 consiste à poursuivre les privatisations et la mesure 6 consiste à abandonner le pouvoir que les pouvoirs publics grecs avaient encore sur les banques grecques. La mesure 5 servait de leurre afin de faire croire que les pouvoirs publics allaient se doter d’un véritable instrument public de développement.

6. La sixième proposition : le « transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE » (sic !)

Varoufakis précise qu’il s’agissait de « confier la gestion et la propriété de ces banques à l’UE. C’était une proposition ultra-audacieuse pour un parti qui penchait vers la nationalisation du secteur bancaire »

Commentaire : L’État grec était l’actionnaire principal de toutes les banques grecques et la position de Syriza consistait à ce que les pouvoirs publics exercent réellement leur pouvoir sur les banques. En proposant à Tsipras, Pappas et Dragasakis de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs, Varoufakis réalise un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

En proposant de transférer à l’UE les actions détenues dans les banques par les pouvoirs publics grecs, Varoufakis réalise un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Après avoir résumé les 6 propositions acceptées selon lui par Tsipras-Pappas-Dragasakis, Varoufakis en vient à la stratégie qu’un gouvernement Syriza devrait appliquer dans la négociation avec l’UE. Il explique que si l’UE décidait de saboter directement le gouvernement, ce serait la BCE qui serait chargée du sale boulot. Elle couperait la liquidité aux banques grecques et les obligerait à fermer comme elle l’a fait en mars 2013 à Chypre selon Varoufakis.

Varoufakis précise qu’il a obtenu de Tsipras-Pappas-Dragasakis un accord pour répondre de la manière suivante :

  • « Leur assentiment devait comprendre ma stratégie de négociation, dont l’élément dissuasif clé, la menace de décote des obligations SMP, et le système de paiement parallèle destiné à gagner du temps en cas d’impasse et de fermeture des banques. »

Je reviendrai sur la stratégie de négociation dans un prochain article où j’aborderai la période qui a suivi les élections de janvier 2015.

Varoufakis affirme que suite à la réunion avec le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis il a accepté le poste de ministre des Finances. Dragasakis de son côté occuperait le poste de vice-premier ministre et superviserait directement trois ministères clés dont celui des Finances.

Fin de la première partie.

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, p. 98. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Op. cit., p. 102.

|3| Op. cit., p. 88-89.

|4| Cette citation, comme toutes celles qui suivent, proviennent du chapitre 4.

http://www.cadtm.org/Les-propositions-de-Varoufakis-qui

L’avenir de la Grèce par Costas Lapavitsas

The future of Greece Une interview avec Costas Lapavitsas publié le 9/8/17 sur EReNSEP.

Syriza continue de superviser la mise en œuvre de l’austérité. Mais tout n’est pas sans espoir en Grèce.

En Grèce, il n’est pas tout à fait exact de parler de la «montée et de l’automne» du parti de gauche Syriza. «Rise and plateau» serait plus approprié.

Syriza est entrée au pouvoir en janvier 2015 en promettant d’affronter la «troïka» – la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international – pour sortir de la crise de la dette grecque et mettre fin à l’austérité sous laquelle les Grecs souffraient. Ainsi, ont commencé cinq mois de négociations dramatiques qui ont abouti à un référendum national dans lequel le peuple grec a déclaré un «non» retentissant – «Oxi» – à l’accord offert par la troïka.

Pourtant, face à cette réponse historique, le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, s’est adressé aux créanciers, en signant un troisième mémorandum qui démissionnait du pays de l’austérité et des privatisations croissantes .

La capitulation sans précédent de Tsipras a été suivie d’une autre: sa décision de rester au pouvoir pour mettre en œuvre les termes du mémorandum. Pour beaucoup, la montée rapide de Syriza vers le pouvoir de l’État, ses discussions difficiles dans les négociations et ses feintes vers «Grexit» ont marqué une accélération de la lutte des classes en Grèce. Sa capitulation s’est avérée une fin abrupte de ce processus fébrile. Maintenant, le parti travaille sur des mesures anti-travailleur et anti-gauche d’une grandeur historique.

Costas Lapavitsas a accompagné chaque étape de ce processus vertigineux en tant que député de Syriza et membre de la plate-forme de gauche, un bloc au sein du parti qui a appelé à la sortie de l’Union monétaire européenne et à la préparation du peuple grec pour la confrontation avec les créanciers internationaux. Si la plate-forme de gauche gagnait l’argument stratégique et politique à Syriza, la Grèce aurait probablement marqué un chemin très différent.

Aujourd’hui, ni Lapavitsas ni la Plate-forme de gauche ne font partie de Syriza. Pourtant, Lapavitsas n’a pas abandonné l’ assertion centrale de la plate-forme de gauche: que l’assujettissement de la classe ouvrière grecque n’est pas inévitable.

Ici, George Souvlis, candidat à un doctorat en histoire à l’Institut universitaire européen à Florence, et Petros Stavrou, ancien conseiller Syriza et membre actuel de l’initiative radicale ARK, parlent avec Lapavitsas pour les jacobins au sujet du gouvernement Syriza, la lutte contre l’austérité à travers L’Europe et les perspectives de relance de la gauche grecque.

GS: à titre d’introduction. Voulez-vous vous présenter en mettant l’accent sur les expériences formatives académiques et politiques qui vous ont fortement influencé?

CL: Je viens de la génération qui a commencé à comprendre le monde après la chute de la dictature en Grèce. Au cours de cette période, la radicalisation était une caractéristique cruciale de la société grecque. Ma propre famille était à gauche, alors j’ai été naturellement radicalisée longtemps avant que je commence mes études universitaires. Mais le contexte plus large des années 80 au Royaume-Uni était crucial pour ma formation. Au cours de cette période, je me suis rendu compte que le monde était beaucoup plus grand et que les problèmes idéologiques et politiques en jeu étaient beaucoup plus importants que ce que j’avais connu en Grèce dans les années 1970. Une grande partie de mon échéance politique, en d’autres termes, s’est produite en Grande-Bretagne. Depuis, j’ai été actif dans les rangs de la gauche britannique. Une autre expérience intellectuelle cruciale pour moi a été de découvrir le marxisme japonais il y a près de trois décennies. Cela m’a fourni un aspect encore plus large du marxisme et de l’économie, ainsi que d’une manière plus large de voir le capitalisme.

GS: Pourriez-vous citer certains intellectuels, tels que les économistes et les théoriciens politiques, qui ont été cruciaux pour votre formation intellectuelle en tant qu’économiste marxiste?

CL: Le premier livre que j’ai lu dans l’économie politique était Sweezy et le Monopoly Capital de Baran , quand j’étais plutôt jeune. C’est un excellent livre, l’une des contributions les plus importantes au marxisme au vingtième siècle, et m’a donné un respect durable pour l’économie de Sweezy. Inutile de dire, j’ai lu attentivement la plupart des écrits de Marx, mais je ne les ai jamais traités comme des textes saints. Pour moi, Marx était un grand penseur et révolutionnaire, mais il en est ainsi. J’ai également lu le complément habituel des classiques marxistes. Je devrais détailler Trotsky en particulier, dont les écrits sur la Révolution russe, le développement de l’Union soviétique et l’émergence du fascisme dans les entre-deux-guerres m’ont beaucoup influencé. J’ai longtemps appartenu à la partie de la gauche qui est fortement critique, même rejetant, de l’Union soviétique. Enfin, ma compréhension spécifique de l’économie marxiste est un mélange de, d’abord, la renaissance marxiste anglo-saxonne des années 1970 et 1980 et, deuxièmement, du marxisme japonais de l’école Uno. Je dois beaucoup à beaucoup mais je voudrais choisir Ben Fine et Laurence Harris au Royaume-Uni et Makoto Itoh et Tomohiko Sekine au Japon.

GS: Discutez de la Grèce. SYRIZA – après la défaite du nouveau sauvetage – a créé un récit sur la nature inévitable de ce développement, ce qui suggère que c’était le seul moyen d’aller de l’avant. Partagez-vous cette compréhension des événements? Sinon, quel était l’autre sens? En termes d’économie, qu’est-ce que SYRIZA aurait fait pour éviter ces développements?

CL: Il est intéressant de noter que l’argument principal qui vient de la direction actuelle de SYRIZA est qu’il n’y avait rien d’autre qui aurait pu être fait. C’est aussi exactement l’argument déployé par New Democracy, PASOK et tous les autres qui ont couru la Grèce depuis des décennies. Pourtant, SYRIZA est montée au pouvoir en promettant une autre manière qui apporterait des changements réels en Grèce et en Europe. J’ai soutenu SYRIZA à l’époque, car une autre façon était vraiment possible. Sinon, quel était exactement le point de SYRIZA? Avoir Alexis Tsipras comme Premier ministre au lieu d’Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie? Avoir des gens au gouvernement qui se disent «à gauche» et, espérons-le, mettre en œuvre les politiques de sauvetage plus «doucement»? Je rejette complètement cette vue.

Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas qu’il n’y avait pas d’autre façon. Le véritable problème était que la stratégie adoptée par son leadership n’était pas dès le départ. C’était une mauvaise politique, une mauvaise économie, une mauvaise compréhension du monde. Bref, ils visaient à s’opposer aux prêteurs et à transformer la Grèce, tout en restant dans l’union monétaire européenne. Cela n’a jamais été possible, comme je l’ai soutenu à l’époque avec plusieurs autres à SYRIZA. Nous avons combattu, nous sommes opposés à la direction et défendons un chemin alternatif en sortant de l’UEM et en défaillant sur la dette nationale. C’était la seule alternative réaliste pour la Grèce, qui aurait pu ouvrir un nouveau chemin de changement social radical. Les événements ont montré que nous avions absolument raison et que la stratégie du leadership était absurde. Mais nous n’avons pas été en mesure de gagner l’argument politique, et c’était l’essentiel. Après l’échec de sa stratégie, Tsipras s’est rendu aux prêteurs et a adopté ses politiques. La reddition de SYRIZA est une marque noire pour l’ensemble de la gauche européenne.

GS: Ce que vous proposez ci-dessus est à un niveau macroéconomique. Ne pensez-vous pas qu’il y avait d’autres alternatives tactiques à court terme? (Par exemple, organiser un référendum antérieur, imposer, dès le premier jour, ils ont pris le pouvoir et les contrôles bancaires). Parce que ce qui s’est passé à la fin était d’imposer des contrôles de capitaux à la dernière minute dans une conjoncture très difficile lorsque l’état grec Était presque paralysé économiquement.

CL: Pour quoi? Quel aurait été le point de l’application tactique antérieure des contrôles, si SYRIZA n’était pas prêt à aller jusqu’à la sortie de l’UEM et à la défaillance de la dette?

GS: Ce n’est pas mon poste, mais certains affirment que ces mouvements auraient obtenu de meilleurs résultats dans les négociations entre SYRIZA et la Troïka par rapport à ce que l’accord de sauvetage a apporté. Partagez-vous ce poste?

CL: Une meilleure négociation pour réaliser quoi? C’est juste une mauvaise pensée. Le problème de SYRIZA n’était pas une tactique, même si les méthodes de négociation de Tsipras, Varoufakis et les autres étaient également maladroites depuis le début. Quel est le but d’aggraver les prêteurs avec un style provocateur et un verbiage quand vous n’avez pas l’acier pour aller jusqu’au bout? Il est préférable de porter un costume et une cravate, mais soyez prêt à déclarer le défaut lorsque cela est nécessaire. Le problème avec SYRIZA, cependant, n’était pas ses méthodes, mais sa stratégie. Ils ne comprenaient pas ce qu’était l’Europe, combien les prêteurs étaient implacables. Surtout, ils ne comprenaient pas que la seule façon de lutter contre l’énorme pouvoir de la Banque centrale européenne sur la disponibilité de liquidités dans l’économie était de produire une monnaie nationale. Il n’y avait pas d’autre option pour un gouvernement de gauche. J’ai dit à Tsipras cela dans une conversation privée, mais il ne voulait pas l’entendre, car cela aurait impliqué une vraie rupture avec les institutions de l’UE. Et une pause n’était pas ce qu’il voulait par la formation, la disposition et les perspectives politiques.

GS: Je pense que c’était crucial pour l’échec de SYRIZA – et ceci est mon avis – que le parti n’a pas dit aux Grecs la vérité pendant la période des négociations. La vérité de ce qui se passait entre les deux parties et les intérêts étaient en jeu. Je suis sûr que vous vous souvenez que le discours principal produit au nom du parti au cours de cette période était que tout était sous contrôle, qu’il y aurait un accord équitable pour que les deux parties en profitent, etc. Je pense que c’était un mauvais pas tactique Parce que de cette façon, SYRIZA a démobilisé les gens, déléguant le processus de négociations à un groupe de spécialistes, l’équipe autour de Tsipras. De cette façon, SYRIZA a fait croire aux gens que tôt ou tard il y aurait une solution en faveur de leurs intérêts. Les gens n’étaient pas précisément informés de ce qui se passait à Bruxelles et n’étaient pas prêts à protester en masse contre les menaces de la troïka. Je crois que le Plan B aurait impliqué la préparation du peuple grecque autant que nécessaire pour un freinage possible avec l’UE. Qu’est-ce que tu penses?

CL: Le soutien populaire et la préparation politique de la classe ouvrière et des couches sociales plus larges auraient été d’une importance primordiale pour tout gouvernement radical qui souhaitait vraiment changer les choses en Grèce. SYRIZA a eu l’opportunité de s’engager dans cette situation après les élections de 2012, alors qu’elle est devenue l’opposition officielle, mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, le leadership a suivi la voie de la promotion d’Alexis Tsipras en tant que prochain Premier ministre et un personnage de la gauche mondiale. Après avoir pris le pouvoir, ils ne se sont jamais trompés sur des questions clés, même si les gens voulaient des réponses. Le seul point sur lequel ils étaient catégoriques était qu’ils voulaient rester dans les institutions européennes. C’est l’un des rares problèmes sur lesquels ils étaient honnêtes. Ils étaient, et restent, des Européens engagés. Comment, alors, ont-ils préparé les gens pour un conflit majeur avec les prêteurs européens? Même à l’époque du référendum de juillet 2015, qui aurait évidemment été un point de rupture, ils ont évité méticuleusement de préparer les gens à la bataille. Des centres puissants en Grèce et à l’étranger essayaient systématiquement d’effrayer le peuple grec en disant qu’un «non» signifierait sortir de l’UEM et de la catastrophe. SYRIZA et ses dirigeants ne l’ont jamais exprimé, mais ont toujours déclaré que le référendum n’était qu’une autre arme dans les négociations avec les prêteurs. Et à la fin, ils se sont rendus et ont transformé «Non» en «Oui». Ils n’ont jamais voulu un véritable combat.

GS: pensez-vous que ce choix stratégique est lié à la stratégie que les partis eurocommunistes ont adoptée au cours des années 1970, ou était-ce strictement une décision des habitants de Tsipras? Par exemple, Giorgos Stathakis, actuel ministre de l’Environnement et de l’Energie et l’un des plus importants conseillers économiques de Tsipras, était l’un des plus sincères de SYRIZA, après avoir déclaré à partir de novembre 2016 que la seule option réaliste pour le parti au pouvoir était immédiatement De signer un mémorandum avec la troïka. Quelle est votre opinion à ce sujet? Ce choix peut-il être expliqué en fonction de raisons idéologiques, économiques ou personnelles, ou est-ce une intersection de ces facteurs qui peuvent décoder efficacement la stratégie adoptée?

CL: Je ne pense pas que nous puissions relier directement le sinistre de SYRIZA à la tradition eurocommuniste. Il y avait beaucoup de courants historiques de gauche qui entraient à SYRIZA. Certains provenaient de l’eurocommunisme, mais certains des plus éminents venaient de la tradition stalinienne du Parti communiste grec. Une bonne proportion des cadres dirigeants de SYRIZA étaient des cadres du parti communiste en ligne et non pas un eurocommuniste. Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas l’eurocommunisme, mais comment le parti a été constitué et ce qu’il est devenu. Il a débuté de façon incertaine au début des années 1990, principalement sous le nom de Synaspismos, une émancipation du Parti communiste qui était toujours lourd et non enracinée dans la classe ouvrière. Il est devenu SYRIZA dans les années 2000, une petite tenue qui s’est considérée comme un joueur potentiellement important dans la politique grecque, car elle semblait offrir une nouvelle façon de faire des politiques pluralistes, démocratiques, etc. Le changement majeur de SYRIZA s’est produit sous la direction d’Alekos Alavanos, qui était probablement le politicien le plus talentueux de sa génération sur la gauche. SYRIZA a acquis les caractéristiques d’un nouveau parti de masse qui pourrait attirer de nombreux courants différents de la gauche dans un environnement de discussion constante et d’échange d’opinion. C’était aussi consciencieusement déménager.

L’erreur désastreuse commise par Alavanos était de nommer Tsipras et son petit groupe comme nouvelle direction de SYRIZA, pensant qu’il ouvrait la voie à une génération nouvelle, nouvelle et radicale. Tsipras s’est avéré énormément ambitieux et était également habile à prendre le parti. Il a poussé SYRIZA vers un grand succès électoral en 2011-12. Autour de 2010, SYRIZA était juste un petit parti parmi beaucoup à gauche et, pour être franc, il a jeté les plus grandes bêtises quant à la nature de la crise qui se déroule. Tsipras l’a hardiment poussé à participer aux manifestations de masse qui se sont produites dans les places des villes grecques. Surtout, Tsipras était prêt à dire qu’il était prêt à gouverner, contrairement à tous les autres leaders de la gauche. La combinaison de sa volonté de gouverner et de l’implication de SYRIZA dans le mouvement des Squares a propulsé la fête aux élections de 2012. Il est devenu le gouvernement en attente.

Pendant un court laps de temps, il semblait que SYRIZA représentait une nouvelle forme d’organisation qui pourrait être l’avenir de la gauche non seulement en Grèce, mais aussi en Europe. Une alliance lâche de divers courants engagés dans un débat constant, avec un cadre puissant, qui pourrait attirer le soutien électoral et devenir le parti du gouvernement. La réalité est devenue claire en 2015. SYRIZA n’était pas une nouvelle façon de faire de la politique pour la gauche, mais simplement la dernière façon dont l’establishment politique grec pouvait continuer à dominer. Le débat politique sans fin et le mouvement ne sont ni une garantie de démocratie interne, ni un défi pour le capitalisme. SYRIZA s’est révélée complètement antidémocratique dans le gouvernement, un organe politique amorphe avec un leader tout-puissant au sommet et pas de véritable débat politique. C’est une machine électorale qui s’est imbriquée avec l’état grec et cherche seulement à se maintenir au pouvoir. Il n’y a pas d’avenir pour la gauche dans le modèle SYRIZA, c’est sûr.

GS: une devise discursive qui informe le récit officiel du gouvernement grec après l’accord de juillet 2015 est que sa gouvernance, en dépit des nombreuses difficultés auxquelles elle est confrontée jusqu’à présent, peut être définie comme une réussite en raison de sa performance financière augmentant l’excédent budgétaire principal de l’État À environ 4% du PIB en 2016. Partagez-vous cet optimisme au nom du gouvernement grec? Pourrions-nous définir sa performance économique en tant que réussie?

CL : Permettez-moi de mettre les choses en contexte. La grande contraction économique en Grèce s’est terminée en 2013. Depuis 2014, l’économie grecque a effectivement stagné: un petit peu, un peu plus bas. La pire partie de la crise était déjà d’un an avant que SYRIZA ne ​​prenne le pouvoir. Il est donc ridicule de dire que SYRIZA a donné un certain succès à la Grèce ou au peuple grec. En termes factuels, après que SYRIZA a repris, l’économie est revenue à une légère récession et a continué sur un chemin indifférent tout au long de 2016 et jusqu’à présent en 2017. Bien sûr, dans la politique grecque, il est possible de créer une réalité parallèle à travers la répétition constante des mensonges , Et SYRIZA est très bon à ce sujet. Mais la vérité est évidente dans les figures et dans l’expérience vécue des gens.

En termes de politiques économiques réelles, SYRIZA s’est avéré être le gouvernement le plus obéissant que la Grèce a eu depuis le début de la crise. Ils ont accepté les politiques économiques des prêteurs, ont signé le troisième accord de sauvetage en août 2015 et ont été méticuleux dans l’application. Il n’y a aucune preuve d’indépendance, pas d’exercice de la souveraineté. À cet égard, le dernier accord qu’ils ont signé en mai 2017, complétant le deuxième examen du troisième plan de sauvetage, a de nouveau obéissait aux prescriptions des prêteurs. Au cours de son ascension au pouvoir, SYRIZA a fait de grands efforts pour négocier fort, être dur et se tenir debout envers les prêteurs, contrairement aux précédents gouvernements grecs « doux ». En pratique, ils ont prouvé les pires négociateurs que la Grèce a eu pendant la crise. Les prêteurs les ont complètement dominés, imposant de l’austérité, des taxes et des réductions de pension, sans alléger la dette.

Le futur semble sombre pour la Grèce. Il continuera probablement à stagner: la croissance va peut-être ramasser un peu, puis il va diminuer un peu, puis encore la même chose. Il deviendra un pays avec un taux de chômage élevé et une inégalité élevée des revenus; Un pays pauvre dont la jeunesse formée partira; Un pays vieillissant écrasé par une énorme dette; Un petit pays non pertinent sur les franges de l’Europe. Sa classe dirigeante a accepté cette éventualité, c’est une faillite historique de sa règle. SYRIZA joue également un rôle dans cette catastrophe.

GS : Et qu’en est-il de la dette? SYRIZA a affirmé qu’il y aurait bientôt un allégement de la dette.

CL: En mai 2016, l’Eurogroupe, qui est l’organisme qui gère essentiellement l’union monétaire, a décidé un cadre pour la dette grecque, que SYRIZA a acceptée. Il n’y aura pas de «coupe de cheveux», car il n’y a pas de mécanisme au sein de l’union monétaire pour qu’un État puisse prendre les pertes de la politique d’un autre. Selon le cadre, la dette grecque sera considérée comme durable tant que le coût total du service (intérêts et principal) ne dépassera pas 15% du PIB annuel. La Grèce pourrait bénéficier d’une aide pour atteindre cette «durabilité» en allongeant la durée de certains des prêts existants et en réduisant les intérêts. C’est le meilleur que la Grèce peut espérer de ses «partenaires» dans l’UE. Pour cette raison, la Grèce devra définir sa politique budgétaire pour atteindre un excédent primaire très important pendant une longue période. Autrement dit, les faibles dépenses du gouvernement et la fiscalité élevée, c’est-à-dire une profonde austérité, depuis des décennies. Par implication, les taux de croissance seront abaissés. C’est une terrible situation qui rend la dette grecque décidément non viable à moyen et à long terme.

En mai 2017, le gouvernement SYRIZA a signé un autre accord fondé précisément sur ce cadre. Ils ont promulgué de nouvelles mesures, réduisant les pensions et imposant des taxes pour assurer une austérité arrosante de 3,5 pour cent d’excédents primaires par an jusqu’en 2022. Ils ont également accepté de réaliser d’autres excédents de 2% par an jusqu’en 2060! En dépit de légiférer sur ces mesures extraordinairement sévères, ils n’ont reçu absolument aucune concession sur la dette. C’est une incompétence incroyable. Ils ont capitulé, abandonnant tous les derniers vestiges de la souveraineté nationale et imposant des mesures sévères aux travailleurs, tout en abaissant abyssalement les conditions qui permettraient à l’économie grecque de se redresser, réduisant ainsi le chômage. Le gouvernement SYRIZA est une honte pour le peuple grec, mais aussi pour la gauche internationale.   

GS: Pensez-vous que cette situation en Grèce peut être comparée à celle des États d’Amérique latine pendant la crise des années 1980, puisque la crise de la dette était une caractéristique déterminante dans les deux cas?

CL: Dans une certaine mesure, oui, car la crise grecque était en substance une crise de la balance des paiements. En outre, la crise a été traitée par le FMI, de sorte qu’on peut trouver des résultats similaires en Amérique latine. Cependant, le véritable analogue pour la Grèce n’est pas l’Amérique latine, mais la crise allemande après la Première Guerre mondiale, la crise de la guerre-réparations. Après avoir perdu la guerre, l’Allemagne a été obligée de faire d’énormes réparations, surtout pour la France victorieuse, tout en faisant face à des restrictions sur son économie qui réduisaient sa capacité d’exportation et donc à faire les paiements nécessaires. Tout au long des années 1920, l’Allemagne a été placée dans une position impossible, comme John Maynard Keynes l’a réalisé immédiatement. Le résultat final a été, bien sûr, la montée de Hitler, qui a dénoncé la dette et militarisé l’économie en prévision de la Seconde Guerre mondiale. La Grèce occupe une position similaire aujourd’hui. Il a une énorme dette extérieure et est obligé de faire des paiements à l’étranger, mais il ne peut pas générer les excédents externes puisque l’union monétaire ne l’autorise pas efficacement. Les excédents budgétaires à l’heure actuelle sont créés par la compression de l’économie domestique, réduisant ainsi les perspectives de croissance. C’est une situation impossible pour la Grèce, qui ne peut être résolue qu’en cas de rupture forcée du piège.

GS: L’ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis a approuvé récemment qu’il y avait un Plan B. Croyez-vous cette déclaration? S’il y en a eu une, pourquoi l’équipe de Tsipras n’a-t-elle pas utilisé une option lors des négociations avec la Troïka quand il y avait encore du temps et des manœuvres? Dans le cas où Tsipras jouerait à cette carte, quel impact pensez-vous que cela aurait en termes économiques et politiques?

CL: Il est commun de créer un récit sur le passé qui vous permet de vivre avec vous-même. Il est également courant de réinventer le passé pour mieux répondre aux besoins du présent. Les gens le font souvent en politique, même si je tente personnellement de l’éviter autant que possible. Il n’y a jamais eu de plan B, c’est-à-dire un plan visant à retirer la Grèce de l’union monétaire et à rompre avec l’Union européenne. Au plus, il y avait des exercices d’arrière-plan sur quoi faire si la pression des prêteurs devenait trop grande. Ils ne représentaient jamais un plan B tel que je continuais à exiger – et à proposer – c’est un ensemble cohérent qui serait basé sur un soutien populaire. Et il ne pourrait pas exister pour SYRIZA car un tel plan aurait nécessairement entraîné la sortie de l’UEM. Les dirigeants de SYRIZA, y compris Yanis Varoufakis, ont été des Européens engagés qui n’accepteraient pas une rupture avec l’Europe. Les membres de SYRIZA qui n’étaient pas européanistes et demandèrent une pause, furent finalement poussés par Tsipras.

GS: Récemment, vous et Theodore Mariolis ont écrit un rapport analytique intitulé «L’échec de la zone euro, les politiques allemandes et un nouveau chemin pour la Grèce», publié par l’Institut RL, dans lequel vous décrivez les étapes qu’un futur gouvernement devrait mener pour Grexit Pour être un projet réalisable sans conséquences destructrices pour la majorité des personnes grecques. Que devrait faire un futur gouvernement pour que Grexit puisse être une réussite, même à long terme? 

CL: Les étapes de Grexit ont longtemps été bien comprises. Il n’y a pas de mystère. Grexit exige, tout d’abord, la souveraineté monétaire par un acte parlementaire, redéfinissant ainsi la soumission légale de la nation. Un taux de conversion de 1: 1 serait appliqué immédiatement sur les contrats, les flux d’argent et les sommes d’argent qui sont prévues par la loi grecque. Dans le même temps, il y aurait la nationalisation des banques, les contrôles de capitaux, les contrôles bancaires et les étapes pour s’assurer qu’il y a un approvisionnement régulier en médicaments, en nourriture et en énergie dans la période initiale jusqu’à l’émergence de l’économie. Le problème économique le plus grave serait la dévaluation du New Drachma, dont l’étendue dépendra de l’état du compte courant et de la solidité de l’économie. Dans le cas de la Grèce, il n’est pas facile de l’estimer, mais je suppose qu’une dévaluation de 20 à 30% dans la nouvelle position d’équilibre serait probable. La dévaluation serait positive pour l’industrie grecque, qui doit compenser la compétitivité sur les marchés internationaux et sur le marché intérieur. Les travailleurs bénéficieraient également à moyen terme car l’emploi serait protégé, mais ils nécessiteraient un soutien à court terme, en particulier par des subventions et des allègements fiscaux. Ce n’est pas un chemin facile par toute l’imagination, mais c’est parfaitement réalisable et nécessite une détermination et une participation populaire. Il y aurait peut-être une période de difficultés considérables, peut-être de six à douze mois, mais l’économie se retournerait.

La sortie, cependant, n’a jamais été un remède pour les problèmes grecs. Je l’ai toujours compris comme faisant partie d’un ensemble différent de politiques économiques qui changeraient l’équilibre des forces sociales en faveur du travail et contre le capital, mettant ainsi le pays sur un chemin différent. La Grèce a besoin d’une sortie progressive, en d’autres termes. Pour cela, deux étapes sont fondamentales. Tout d’abord, le gouvernement devrait lever l’austérité, abandonnant l’objectif ridicule et destructeur de 3,5% pour les excédents primaires. Il devrait stimuler les dépenses publiques pour l’investissement et d’autres choses, principalement pour les services parce que c’est là où l’emploi pourrait être rapidement créé. Deuxièmement, le gouvernement devrait adopter une stratégie industrielle utilisant les ressources publiques pour rééquilibrer l’économie en faveur de l’industrie et de l’agriculture plutôt que des services. Si ces politiques étaient adoptées, les bénéfices pour les travailleurs seraient substantiels, l’équilibre du pouvoir de classe changerait, les conditions du travail salarié seraient améliorées et il y aurait marge de redistribution des revenus et des richesses. Il serait possible de parler de la Grèce entrant dans une voie de développement différente avec un caractère fortement anticapitaliste qui pourrait conduire à la réorganisation socialiste de la société.

GS: Dans un scénario possible de Grexit, où une Grèce en dehors de l’UE pourrait-elle s’inscrire dans l’économie mondiale, qu’est-ce qu’elle échange avec qui; Attendrait-il une guerre commerciale avec l’UE?

CL: L’argument de la «guerre commerciale» est habituellement employé par des personnes qui souhaitent poursuivre les politiques de renflouement ou ont trop peur, même pour envisager des changements radicaux. La Grèce serait certainement confrontée à des difficultés si elle allait dans la voie de la rupture, notamment parce qu’elle devait inévitablement refuser sa dette. Mais, il est largement connu et accepté que la dette grecque est insoutenable. La défaillance est une affaire sérieuse, mais aujourd’hui elle ne mène pas à la guerre, aux boycotts et à d’autres résultats colorés. Les pays continuent à fonctionner et à survivre. Après tout, c’est l’état qui serait par défaut, et non les agents productifs individuels. Beaucoup plus risqué que le défaut est la perspective d’une rupture avec l’Union européenne, ce qui ne se produirait pas seulement en raison de la défaillance, mais aussi parce que la Grèce adopterait des politiques économiques contradictoires avec celles de l’UE. La Grèce devrait être préparée pour cela afin de remettre son économie en ordre. Il n’y a pas de raccourci. Il faudrait négocier des conditions spéciales, des exemptions, etc., et il faudrait se préparer à un combat pour adopter les politiques dont il a besoin. Si les travailleurs et les strates populaires étaient déterminés, le pays pourrait réussir.

GS: Passons maintenant aux développements de l’UE. Que pensez-vous, c’est l’avenir de la zone euro et comment voyez-vous les scénarios de la Commission européenne pour une Europe à grande vitesse, qui semble être le plan que l’Allemagne a actuellement pour l’UE?

CL : La crise de la zone euro comme période distincte dans le développement historique de l’UE est pratiquement terminée. L’Allemagne a imposé sa propre solution et a vaincu toute opposition. Le point à retenir: l’Allemagne a prévalu et a imposé sa volonté sur l’Europe au cours des sept dernières années. Il est apparu comme le pays incontestablement dominant. Comme cela s’est produit, il est également devenu évident que la nouvelle Europe est une entité hautement stratifiée, dotée d’un noyau et de plusieurs périphéries. L’ancienne distinction de noyau et de périphérie dont les marxistes parlent a réémergé en Europe de manière nouvelle et virulente. Le noyau, plus précisément, est la base industrielle de l’Allemagne qui se compose principalement de voitures, de produits chimiques et de machines-outils. Il n’y a pas d’autre complexe industriel en Europe comparable à celui de l’Allemagne, à l’exception éventuelle de l’Italie du Nord.

Le noyau a défini plusieurs périphéries, dont deux se distinguent. Le premier est immédiatement attaché au noyau industriel allemand: la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette périphérie agit comme un arrière-pays de la capitale industrielle allemande, fournissant du travail, des ressources et de la capacité de production, tous se sont vus sur l’Allemagne. La deuxième périphérie se trouve au sud: la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Ce sont des économies avec une industrie faible, une faible croissance de la productivité et une faible compétitivité, qui possédaient un grand secteur public qui fournissait un emploi mais ne pouvait plus le faire. Leur rôle est de fournir du personnel de travail qualifié au noyau allemand.

Cette stratification de l’Europe constitue le fondement d’un énorme pouvoir politique allemand. L’ascendance de l’Allemagne n’a pas résulté d’un plan du bloc historique allemand, mais après un point, il est devenu une politique consciente. Le levier le plus important pour assurer l’ascendance de l’Allemagne a été l’union monétaire, qui a fourni à l’Allemagne les moyens de dominer l’Europe dans le commerce et a servi de base à la capitale industrielle allemande pour exporter vers la Chine, les États-Unis et ainsi de suite. Grâce à l’union monétaire, l’Allemagne est apparue comme une puissance mondiale majeure. Mais, comme tout processus capitaliste de ce type, des tensions et des contradictions internes ont également émergé. Ceux-ci ont surtout à faire avec le noyau de l’Europe, et deux questions revêtent une importance primordiale.

La première concerne l’Allemagne elle-même. La montée de l’Allemagne qui a exporté du capital industriel s’est produite chez les travailleurs allemands: l’austérité continue en Allemagne, la contrainte des salaires, le resserrement des dépenses publiques, le manque d’investissement intérieur et la compression de la demande intérieure. C’est la base de la domination capitaliste allemande de l’Europe et a fourni les moyens pour que la capitale allemande gagne du terrain sur le marché mondial. Il s’agit clairement d’une situation instable et intenable à long terme. Les deux tiers du travail allemand survivent en termes précaires, avec de faibles salaires et des conditions de travail difficiles.

La seconde concerne les relations entre l’Allemagne, la France et l’Italie. C’est un point de grande faiblesse. La France est bien sûr un pays du noyau, mais elle ne peut pas survivre avec l’Allemagne car elle n’a pas la base industrielle, la compétitivité et la capacité de façonner l’union monétaire. En effet, son bloc historique manque d’un plan stratégique sur la façon d’affronter l’Allemagne et devient rapidement à la base de Berlin. L’Italie est encore pire. Il a une base industrielle importante, mais sa présence dans l’union monétaire est profondément problématique car elle ne peut pas concurrencer à des conditions raisonnables et son taux de croissance est très faible. L’Italie a été dans un état d’austérité de bas niveau depuis des années. Cela ne peut persister à jamais et les tensions éclateront à un moment donné. En résumé, la montée de l’Allemagne a stratifié l’Europe d’une manière qui n’a jamais été vue auparavant, créant d’énormes tensions. C’est là que j’attends de voir les éruptions et l’accélération de l’histoire dans les années à venir.

GS : Pensez-vous que ces éruptions viendront de haut ou de bas? 

CL : Au cours des dernières années, nous avons vu la montée du populisme de droite et de l’autoritarisme, souvent sous forme fasciste, dans plusieurs régions d’Europe. Ceci est le résultat de la stratification de l’Europe et de l’émergence de la domination allemande. C’est aussi le résultat de la retraite de la démocratie alors que l’Europe est devenue de plus en plus inégale. L’échec de la démocratie parlementaire, qui est manifeste dans toute l’Europe, et le fait que le processus politique s’est détaché des préoccupations des travailleurs, fait partie intégrante de l’ascendance de la capitale allemande en Europe. La réaction a inévitablement pris la forme d’exiger plus de souveraineté, et elle vient d’en bas: les gens pensent qu’ils ont perdu le pouvoir sur leur vie, où ils travaillent, qui fait les lois, qui applique les lois, qui sont responsables et Comment. Il existe une demande de souveraineté populaire et nationale en Europe.

Dans le passé, les forces de la gauche en Europe auraient formulé ces exigences pour exprimer les besoins et les aspirations des travailleurs, en s’opposant aux grandes entreprises et à l’ascendance allemande en Europe. La tragédie est que la gauche n’a pas joué ce rôle en Europe depuis des années et, par conséquent, le droit a pris de l’importance, s’appropriant même souvent le mode d’expression de la gauche et donnant un tournant autoritaire aux exigences populaires. Mais il n’y a rien d’inévitable à propos de ce développement. Tout dépendra de la réaction de la gauche à partir de maintenant. Il n’y a pas de lien ferme entre les travailleurs de l’extrême droite en Europe. La vraie question est de savoir si la gauche peut agir ensemble et commencer à intervenir efficacement. Le potentiel existe. Ce qui manque, c’est une compréhension claire des problèmes politiques brûlants en Europe, car la majeure partie de la gauche continue de fonctionner dans le cadre des années 90 et 2000. Il est temps pour la gauche de sortir de cela et jouer de nouveau son rôle historique en Europe.

L’article original http://www.erensep.org/index.php/en/articles/politics/364-the-future-of-greece

La Belgique a déjà touché autour de 300 millions pour son aide à la Grèce

En 2010, la Banque nationale de Belgique rachète des obligations grecques dans le cadre du programme européen SMP (Security Market Programme). La Belgique finance donc une partie de la dette grecque. Toutes les banques centrales de la zone euro et la Banque centrale européenne font de même. Une manière de venir en aide à la Grèce au bord de la faillite. En tout, l’Eurosystème rachète pour 55 milliards de titres grecs, sans préciser quelle banque nationale finance quelle partie. Les chiffres ne sont pas publics, impossible de savoir combien la Belgique achète précisément.

Toujours est-il que la Belgique détient des obligations grecques qui lui rapportent des intérêts. Eric Dor, économiste à l’Université Catholique de Lille, a fait les comptes. Selon lui la Belgique a déjà touché 328 millions d’intérêts sur les obligations grecques: « Il n’y a rien de supplémentaire que la Grèce a payé par rapport à ce qu’elle aurait dû payer de toute façon. Ses obligations, elles avaient été émises dans le passé, elles étaient détenues par des investisseurs privés, elles sont simplement changé de détenteur. Et évidemment, depuis lors, ces obligations sont toujours en portefeuille des banques centrales, dont la Banque nationale de Belgique. Et ces obligations rapportent des intérêts.« 

Solidarité européenne

La Belgique n’est évidemment pas le seul pays à toucher des intérêts. Le ministère des Finances allemand a reconnu avoir gagné 1,3 milliards d’euros grâce à ses prêts à Athènes. Toucher des intérêts lorsqu’on prête de l’argent, quoi de plus normal? Sauf qu’ici on parle de la Grèce. Alors, est-il vraiment légitime de s’enrichir sur le dos d’un pays surendetté ? Pour Bernard Bayot, économiste et directeur de l’asbl Réseau Financité, « c’est clair que cela pose d’énormes questions en termes de solidarité européenne. D’ailleurs, au départ, il était prévu que les pays européens rétrocédaient à la Grèce le montant des intérêts perçus, ce qui a d’ailleurs été réalisé en 2013 et 2014. Et dès lors que le gouvernement grec commence a renégocier, fait un référendum, il y a un véritable chantage qui a eu lieu. Le résultat, c’est qu’on ne rétrocède plus ces intérêts aux Grecs. Mais au-delà de l’éthique, de la morale ou de la solidarité, il y a simplement la question de l’efficacité. Quand une personne ou un pays est en état de surendettement, il faut lui permettre de sortir la tête de l’eau. Et si ce n’est pas le cas, on l’enfonce. Et ça, évidemment, même d’un point de vue strictement cynique, c’est complètement stupide.« 

L’Eurogroupe, les ministres des Finances de la zone euro, a malgré tout décidé de revenir à un taux zéro à l’avenir. Avec une condition : que la Grèce respecte les strictes mesures d’austérité dans les prochaines années. 

La Belgique a par ailleurs soutenu la Grèce par d’autres moyens (prêts bilatéraux, Mécanisme européen de Stabilité et Fonds européen de Stabilité Financière). Les profits de la Belgique dans ces cadres-là sont difficiles à évaluer.

https://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-belgique-a-deja-touche-autour-de-300-millions-pour-son-aide-a-la-grece?id=9667653

 

À bas les dettes illégitimes : ici et maintenant !

Plénière d’ouverture de la Ve Université d’été du CADTM Europe par Camille Bruneau

Rythmée par les slams de Peter Assaghle (ATTAC Gabon), cette plénière permit de souligner l’ampleur et les enjeux de la crise de la dette, son caractère odieux, illégitime, illégal et insoutenable… et le besoin urgent de changement, d’actions et de désobéissance.

Introduction

Cette 5e Université d’été témoigne de l’envie de débattre, de réfléchir et de penser collectivement aux stratégies à mettre en place pour porter un coup d’arrêt aux cycles d’endettement qui sans cesse se renforcent.

Dans de nombreux pays, des gens luttent contre les dettes illégitimes, pour leur audit et leur annulation, contre les diktats des créanciers ou encore les fonds vautours. Sans oublier l’oppression des femmes et l’exploitation de la nature. Nous nous indignons face à l’Europe forteresse qui nous prive de la présence de deux militantes : Samia Lakraker d’ATTAC Maroc et Assa Souko de la CAD Mali. Le CADTM condamne fermement ce déni des droits fondamentaux qui nous empêche de travailler ensemble.

Depuis la dernière Université d’été, nous avons changé de nom : le CADTM est devenu le Comité pour l’Abolition des dettes illégiTiMes. En effet, les champs d’actions se sont élargis non seulement aux dettes du Nord suite à la crise financière de 2008 mais aussi aux dettes privées. Le terme abolition est plus fort que celui d’annulation dans le sens où il revendique la disparition même du concept de l’endettement illégitime. Le réseau CADTM s’étend avec l’adhésion en 2016 d’ATTAC au Gabon, au Luxembourg et en Italie.

Nous sommes ici car nous sommes toutes et tous convaincuEs que le système ne tombera pas tout seul, parce que nous ressentons l’urgence de désobéir et de développer des dynamiques de rupture ensemble. Presque 30 ans jour pour jour, Thomas Sankara (président du Burkina Faso) donnait son discours à l’Organisation de l’Unité Africaine, où il condamne la dette comme outil de domination et invite, urge même, les autres pays à refuser de la payer. Il leur disait, si vous ne m’aidez pas, je ne serais pas là à la prochaine réunion. En effet, trois mois plus tard, il fut assassiné, avec la collaboration des autorités françaises.

En honneur à Thomas Sankara, Peter partagea son premier slam dans lequel il affirme : « Sankara, à chaque fois que je désobéis, tu vis en moi ».


Cadrage historique de la dette et actualité sur le front de la dette illégitime – Eric Toussaint

Dans le cœur et les esprits des jeunes générations africaines, Sankara inspire toujours, en tant qu’homme exemplaire et pionner dans de nombreux domaines. En effet, il se battait également pour l’égalité homme-femme, la souveraineté alimentaire, etc. Lors de son discours, malgré les applaudissements, le visage de nombreux dirigeants africains avait déjà fixé son destin. En effet, eux étaient prêts à aller à Washington pour rembourser la dette et se débarrasser, en collaboration avec la France, de ce président qui dérangeait. Depuis deux siècles, le capitalisme a accumulé dans l’atmosphère ce qui provoque le réchauffement climatique et considère la nature comme un réservoir à exploiter. C’est un système qui pousse les peuples à produire pour les autres, et à ne pas consommer ce qu’ils produisent. C’est un système qui développe des centrales nucléaires, un système qui renforce l’oppression et l’exploitation des femmes.

Le système dette a précédé le capitalisme comme en témoigne la mise en esclavage pour dette qui a sévi dans le monde antique pendant des siècles. C’est un système parcouru de nombreuses révoltes, de la Grèce antique au mouvement Occupy Wall Street ou à l’Inde où des paysans en colère luttant pour l’annulation des dettes se sont récemment fait tuer. C’est un système traversé des luttes des femmes qui s’opposent au micro-credits, des étudiantEs qui se lèvent face au fardeau des dettes étudiantes (+- 100 milliards de dollars aux USA) ou encore des familles victimes des crédits hypothécaires abusifs et des expulsions.

Il pourrait y avoir des dettes légitimes, par exemple pour financer la transition écologique, et il y en a eu. Mais les dettes publiques aujourd’hui sont essentiellement illégitimes car elles financent des politiques extractivistes, militaires, le remboursement d’anciennes dettes illégitimes ou les sauvetages bancaires. Depuis des années, notre combat veut agir à la base et partout, si besoin, nous serons là pour aider à mettre en place des audits !

Liens entre dette publique et dette privée. Quelles luttes pour mettre fin au « système dette » ? – Lucile Daumas

Lucile commença par exprimer son malaise de représenter ATTAC Maroc en tant que Française, car les marocainEs n’ont pu obtenir de visa. « Il y en a marre que ce soit toujours comme ça, il faut lancer une campagne qui dénonce cette politique inhumaine des visas ! A Montréal, lors du Forum social mondial de 2016, le même problème est survenu et certainEs en ont conclu que la solution serait de faire ces rencontres dans des pays du Sud. Non ! Cela voudrait dire que nous acceptons le fait que nous, blancs/ches européenNEs pouvons aller partout et que les gens du Sud soient cantonnés au Sud. Nous refusons d’accepter ça ».

Depuis 2001, il est très dur pour ATTAC Maroc de poursuivre ses activités car l’association n’a pas de récépissé légal : elle n’est pas interdite mais tolérée. Ce qui permet toutes les répressions sans aucune justification par les autorités. Tout au long du weekend, circulera une pétition en support à ATTAC Maroc pour sa reconnaissance légale.

Les liens entre dette privée et dette publique, non évidents au sein du réseau CADTM il y a quelques années encore, se sont progressivement affirmés notamment au-travers de la lutte contre le micro-crédit : ce sont les mêmes mécanismes de domination qui entrent en jeu, au Sud comme au Nord (qui commence à souffrir des conséquences de l’austérité, reproduction implacable des Plans d’ajustements structurels). La dette privée est ancienne. On peut par exemple citer les dettes des employeurs envers les employés, qui avançaient la première rémunération et plaçait donc les ouvriers dans un cycle d’endettement, parfois intergénérationnel. En Inde, encore aujourd’hui, certains enfants naissent endettés ! Et finalement, la dette est un moyen de recolonisation. À travers la réinstallation des entreprises privées étrangères dans les pays du Sud, celles-ci augmentent leurs profits et leurs emprises alors que les consommateurs s’endettent face aux prix exorbitants du privée. La dette privée facilite la société de consommation et crée donc un marché pour les biens industriels – en Argentine, on peut littéralement tout acheter à crédit ! Son augmentation constante depuis 1968 peut aussi être considérée comme un levier de contrôle des luttes ; le crédit permet en effet de consommer même en périodes difficiles et donc de calmer le mécontentement général, tout en gardant en place ce système d’asservissement. Elle garantit de surcroit le profit des sociétés de services et la reproduction du système. Comme on peut le voir avec les emblématiques luttes paysannes en Inde, la dette privée correspond bel et bien à une privatisation de l’exploitation et l’endettement devient la lourde facture de la destruction de la solidarité.

De nombreuses luttes s’opposent aux dettes privées illégitimes. Pensons à la « révolution des pingouins », la lutte des étudiantEs chilienNEs contre les frais d’éducation exorbitants, ainsi que les inégalités et discriminations dans l’enseignement, ou alors aux luttes en Espagne contre le crédit hypothécaire, ou encore à la campagne de « naming and shaming » (faire honte publiquement aux créancier), centrale dans le mouvement 15M. Elles contribuent toutes à la reconstruction des solidarités.

Comment la lutte contre la dette en Grèce continue malgré la trahison en 2015 du gouvernement de Syriza ? Le devoir de désobéir – Zoé Konstantopolou

Zoé a tout d’abord remercié le CADTM pour son soutien dans l’audit de la dette grecque, véritable procès de libération du peuple. Depuis 2010, la Grèce est plongée dans une misère grandissante. Dès 2011, le peuple est conscient qu’il n’a pas à continuer à payer cette dette au nom de laquelle on l’asservit et se mobilise pour un audit citoyen, revendiqué notamment depuis le mouvement des places occupées. En 2012, Syriza s’engage à réaliser l’audit. Il est élu en 2015, année où le Comité Parlementaire pour la Vérité sur la Dette Grecque rend son premier rapport (avec le soutien de notamment Eric Toussaint) où il qualifie la dette d’illégitime, d’odieuse, d’illégale et d’insoutenable. Avec un tel rapport, le gouvernement Syriza avait une arme, qu’il n’a pas utilisée, et ce, à plusieurs reprises, trahissant, finalement, le peuple grec en juillet 2015 en acceptant un 3e mémorandum alors que la population s’y était opposée via referendum. En acceptant de rembourser, le gouvernement Tsipras se plie à la volonté des créanciers. Il dissout simultanément le Parlement qui avait créé le comité d’audit. Ce dernier n’arrête pas pour autant ses travaux et continue de condamner le mémorandum qui en s’opposant au referendum viole la constitution grecque ! Dès lors, commença une chasse aux sorcières contre les membres du comité qui voient leurs archives se faire saisir et leurs textes censurés. Alors que faire ? La réponse a un nom bien connu : la désobéissance.

Le comité s’est clairement engagé sur cette voie, notamment en continuant ses travaux et en organisant la deuxième séance publique de l’audit en automne 2017. Se développe actuellement en Grèce un mouvement populaire contre les saisies de maisons, qui se font maintenant de façon électronique ! Aussi une action de revendication historique se met en place. Alors que les retraites en Grèce sont coupées (200 euros par mois) et que le chômage touche 72 % des jeunes femmes, n’est jamais mentionnée la dette historique de l’Allemagne vis-à-vis de la Grèce. L’Allemagne n’a jamais signé d’accord de paix avec la Grèce car cela aurait impliqué une compensation massive. En 2014, le Ministère des finances a estimé cette dette à un montant de 341 milliards d’euros. Jusqu’à aujourd’hui, 72 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, aucun gouvernement n’a revendiqué cette dette. L’Allemagne refuse de la reconnaitre également, protégée par le gouvernement grec actuel. Nous demandons la justice pour touTEs et allons continuer nos travaux et actions : il faut désobéir de manière générale !

Continuons à lancer des alertes ! – Antoine Deltour 

Apres avoir travaillé deux ans dans un cabinet d’audit au G.D. du Luxembourg, Antoine Deltour copie des documents avant de démissionner en 2014. Ceux-ci témoignent du non-paiement de taxes par des sociétés multinationales basées au Luxembourg pour profiter du paradis fiscal. Il avait été interpellé et choqué en constatant que ces sociétés n’employaient pas une seule personne au Luxembourg : il copia donc toutes ces données. D’autres indices alarmant l’avaient amené à se poser des questions, comme le fait que certains mécanismes secrets appelés « tax rulings » octroient aux sociétés des traitements fiscaux spéciaux établis à l’avance, ainsi que le fait que beaucoup d’employéEs de sociétés ont pour consignes de ne pas coopérer avec les douaniers, mais de tout de suite appeler la direction en cas de contrôles. Dans un contexte de crise économique, il est d’autant plus inacceptable que des sociétés multinationales gagnent des fortunes, qu’elles prêtent ensuite aux États dont les caisses sont « vides », car ils n’ont pas récolté d’impôts de la part de ces mêmes sociétés ! Ceci a motivé Antoine Deltour à prendre le risque de devenir un lanceur d’alerte, ce qui a eu une certaine répercussion dans l’UE. Depuis, la Commission européenne impose le partage des données fiscales et des enquêtes sont en cours concernant McDonalds et Amazon entre autres. Les arguments contre ces sociétés ne sont pas que « des trucs de gauchiste » comme l’explique Antoine Deltour, mais on peut aussi franchement dire qu’avec ces fraudes fiscales, les sociétés faussent le marché, à leur avantage !

L’affaire Luxleaks a eu d’autres répercussions juridiques qui se sont in fine exercées non pas contre les responsables de cette évasion fiscale à grande échelle, mais bien contre les lanceurs d’alerte qui se retrouvent menacés d’une peine de plusieurs mois à plusieurs années d’emprisonnement. Finalement, suite à des procédures en appels et recours, le verdict de la justice luxembourgeoise fut surprenant : il serait désormais acceptable de briser le secret professionnel s’il s’agit de défendre l’intérêt général !

De façon plus générale, mais pas moins importante, cette affaire a permis de démontrer qu’il faut entamer des actions pour mieux protéger les lanceurs d’alerte et que c’est bien la mobilisation qui permet de continuer à dénoncer sans passer sous silence ! En effet, sans support populaire, l’affaire Luxleaks aurait pu tourner autrement. Mobilisons-nous, désobéissons !

http://www.cadtm.org/A-bas-les-dettes-illegitimes-ici

Le retour de la Grèce sur les marchés ?

Le retour de la Grèce sur les marchés est-il une si bonne nouvelle ? par Romaric Godin Médiapart

La Grèce s’apprête à faire de nouveau appel au marché pour financer sa dette, après trois ans d’absence et sept ans de crise. Mais ce retour n’a rien de l’épilogue d’une crise interminable. C’est bien plutôt une impasse de plus qui, cependant, met en relief l’exigence d’une réduction du stock de dettes.

La Grèce s’apprête donc à « revenir sur les marchés » et à émettre une dette de marché d’un montant de 4 milliards d’euros et pour une maturité de cinq ans. Même si selon le site grec Macropolis, l’opération devrait avoir lieu la semaine prochaine seulement, le succès de la manœuvre semble acquis, trois ans après la dernière apparition de la République hellénique sur le marché. À cette époque, le gouvernement de « grande coalition » d’Antonis Samaras avait levé 4,5 milliards d’euros à trois et cinq ans. Sans doute son successeur, Alexis Tsipras, devenu premier ministre en janvier 2015, célébrera-t-il ce retour comme un succès de sa politique économique, laquelle est en réalité entièrement inspirée par les « institutions » qui pilotent le troisième plan « de sauvetage » lancé en août 2015.

Qu’en est-il exactement ? Cette future levée de fonds est-elle le signe réel d’une sortie de crise de la Grèce, huit ans après ses commencements ? Ce sera sans doute la narration dominante. Si des investisseurs sont disposés à prêter des fonds à Athènes à cinq ans, c’est qu’ils estiment désormais que le pays ne fera pas défaut dans les cinq prochaines années. Bref, la confiance est revenue. Et dans ce scénario de rêve, cette émission devra annoncer la « sortie du programme » en 2018, autrement dit la capacité de la Grèce à retrouver la « normalité » du refinancement des États, lequel, rappelons-le, consiste à disposer de la capacité à émettre de la dette pour rembourser la dette passée. Dès lors, le pays pourra « voler de ses propres ailes » et en finir avec la crise. C’est un scénario qui rappelle celui du Portugal, désormais présenté comme un succès sur les marchés.

Alexis Tsipras à Athènes le 8 juillet 2017 © Reuters Alexis Tsipras à Athènes le 8 juillet 2017 © Reuters

Mais il faut d’emblée rappeler que la décision de faire appel au marché est largement politique et symbolique et se situe dans un moment favorable. Le gouvernement d’Alexis Tsipras n’a pas besoin de fonds. Il vient de recevoir 8,5 milliards d’euros de ses créanciers pour rembourser 6,8 milliards d’euros durant l’été et faire face à ses besoins jusqu’au prochain déblocage. Cette levée de fonds ne correspond donc pas à un besoin. En réalité, le gouvernement tente, après deux ans d’échec de sa politique de résistance face aux institutions et de durcissements du programme, de redorer son blason alors que son parti, Syriza, est largement distancé dans les sondages par les conservateurs de Nouvelle Démocratie. Il doit donc imposer l’idée d’un succès économique sanctionné par le marché, mais il pourrait aussi souhaiter utiliser ce succès pour freiner les privatisations demandées par les créanciers.C’est ce qu’a sous-entendu le gouverneur de la Banque centrale de Grèce (et ancien ministre des finances d’Antonis Samaras) Yannis Stournaras dans une interview récente au Wall Street Journal. Le banquier central, connu pour son opposition au gouvernement, avait en effet estimé que celui-ci aurait dû d’abord privatiser et ensuite revenir sur les marchés. À Chypre, en 2014, l’accès retrouvé au marché avait permis au gouvernement de renoncer à plusieurs privatisations très impopulaires. Si Alexis Tsipras suit cette voie, il pourra prétendre avoir évité les privatisations et essayer de faire revenir vers lui plusieurs électeurs de gauche aujourd’hui tentés par l’abstention. Mais pour éviter les privatisations exigées par l’Eurogroupe, il faudra qu’Alexis Tsipras lève assez d’argent pour ne plus avoir besoin de l’argent du programme. On verra que c’est une tâche bien difficile. 

Évolution du taux à dix ans grec © Agence grecque de gestion de la dette publique (PDMA) Évolution du taux à dix ans grec © Agence grecque de gestion de la dette publique (PDMA)

Or, pour réaliser cette opération politique, le moment est idéal. Les marchés obligataires sont encore à la recherche de rendements élevés (les taux des grands émetteurs européens sont encore très bas), tout en étant encore relativement prêts à prendre des risques. Cet automne, avec l’annonce possible d’un durcissement de la politique monétaire de la BCE et la perspective d’élections italiennes fort incertaines en février 2018, leur humeur pourrait changer.

Mais pour l’instant, le marché est optimiste : une récente émission de bons à 100 ans de l’Argentine – ancien paria des marchés – à un taux de 8 % a été un succès complet ! De plus, il y a un « flux de nouvelles » positif pour la Grèce : la fin du énième bras de fer avec l’Eurogroupe et la décision de la Commission européenne de sortir le pays de la procédure de « déficit excessif ». Ces deux éléments ne signifient rien en eux-mêmes : les fonds débloqués par l’Eurogroupe, on l’a vu, vont vite disparaître en remboursement et la procédure de déficit excessif ne signifie rien pour un pays sous perfusion et direction de ses créanciers. Bref, le marché est, comme souvent, aveuglé. C’est donc le moment où il faut lui demander de l’argent.

Un retour possible et souhaitable ?

Mais un « retour » définitif est-il réellement possible ? Rien ne dit que la Grèce va pouvoir, d’ici à août 2018, fin du programme d’aide, maintenir l’appétit des investisseurs et refinancer systématiquement sa dette sur le marché. En effet, la question de la soutenabilité du niveau actuel de la dette publique grecque déchire toujours le FMI et les créanciers européens, à commencer par l’Allemagne. Le FMI considère que la dette publique – actuellement à 180 % du PIB, ce qui est 50 points de plus que le niveau du Portugal – est insoutenable. Elle maintiendrait à ce niveau un besoin de financement élevé du gouvernement grec jusqu’en 2059, faisant peser une charge considérable sur l’économie et, partant, sur la capacité du pays à rembourser sa dette.

Le FMI, dans une étude récente révélée par le quotidien grec Kathimerini, a estimé qu’Athènes ne pourrait plus honorer sa dette après 2030, lorsque le pays devra rembourser 10 % de son PIB chaque année. Les premiers en danger, alors, seraient les investisseurs privés. Le marché n’a pas entièrement oublié l’annulation de 208 milliards d’euros de dette privée en 2012, un record à ce jour. Cette annulation a prouvé que les investisseurs privés étaient la variable d’ajustement lorsqu’ils n’étaient pas naturellement les banques européennes. De quoi limiter les appétits et un retour complet sur les marchés de la Grèce.

Cette vision de l’insoutenabilité de la dette – défendue dès 2012 par Syriza – est largement acceptée désormais, mais pas par l’Allemagne qui refuse de consentir la moindre remise de dette au détriment de ses contribuables. Résultat : l’Eurogroupe du 15 juin a refusé de s’engager sur une restructuration de la dette, reportant la décision à la fin de la conclusion du programme. Cette querelle qui dure depuis août 2015 entre Berlin et le FMI fait peser une réelle menace sur le programme, puisque Berlin a fait de la participation du FMI la condition de ce troisième plan, mais elle coûte également fort cher à la Grèce qui a dû accepter, pour séduire le FMI, de nouvelles mesures d’austérité cette année et un engagement à mener jusqu’en 2022 des excédents budgétaires primaires élevés.

Profil de la dette grecque par année de refinancement. © Agence grecque de gestion de la dette publique (PDMA) Profil de la dette grecque par année de refinancement. © Agence grecque de gestion de la dette publique (PDMA)

Or le pays n’est certainement pas prêt à supporter de tels excédents, qui constituent une ponction forte sur l’économie par le double effet des hausses d’impôts et des coupes dans les dépenses. Certes, la Commission européenne prévoit une croissance de 2,1 % cette année. Mais compte tenu de l’effondrement du PIB et du revenu des ménages depuis 2009 (respectivement d’un quart et d’un tiers), il s’agit plutôt d’une stabilisation fragile. En dehors du tourisme, les moteurs de l’économie sont inexistants : l’austérité a détruit une capacité productive qui était tournée vers la demande intérieure et a conduit à une forte précarisation des Grecs, au-delà du taux de chômage qui est encore à 21,7 % de la population active. Il faudra de longues années pour reconstituer une croissance durable. En attendant, sous la pression des exigences d’excédents et de l’absence de vraies réductions de dette, la croissance grecque restera nécessairement faible. Et c’est aussi un vrai risque pour ceux qui, aujourd’hui, achèteraient de la dette hellénique.

Mais au-delà même de cette question, on peut s’interroger sur l’opportunité pour la Grèce de revenir sur les marchés. Bien sûr, lever des fonds permettrait de réduire la dépendance vis-à-vis des créanciers et de ne pas leur demander de fonds pour, par exemple, rembourser l’emprunt de 3 milliards d’euros levé en 2014 sur les marchés et qui arrive à maturité en 2019. Mais financièrement, la manœuvre n’est intéressante que pour autant que l’on remplace de la dette privée déjà émise. Ainsi, si la levée de fonds à venir se fait avec un taux proche de 4,5 %, cela représentera une petite baisse de la charge financière par rapport à l’obligation de 2014 à trois ans qui exigeait un taux de 4,95 %. Mais l’effet global sera faible, puisque la dette privée ne représente que 12 % du total de l’endettement grec.

Pour le reste, le taux demandé par le marché sera plus élevé que le taux actuellement visé. Autrement dit, si selon le rêve des institutions, la Grèce se refinançait intégralement sur le marché à partir de 2018, elle verrait sa charge d’intérêt – et donc sa dette publique qui viendrait la financer – exploser selon le fameux « effet boule de neige » qui s’emballe lorsque les taux réels demandés à un créancier sont très élevés. Rappelons que, selon le calcul du rapport du Comité pour la vérité sur la dette grecque réalisé en 2015, l’augmentation de la dette publique hellénique entre 1980 et 2007 s’explique à 69 % par cet effet, notamment en raison des taux réels élevés demandés dans les années 1980 au pays.

Or l’inflation en Grèce est actuellement à 1 % ; le taux réel exigé du marché devrait donc être autour de 3,5 %, ce qui, aujourd’hui, est un taux élevé. Le taux moyen des prêts du Mécanisme européen de stabilité, le MES (qui a repris ceux du Fonds européen de stabilité financière, FESF), est de 0,7 % et des mesures ont été prises pour qu’il ne dépasse pas 2 %. On voit que, même à ce niveau, les taux sont déjà lourds pour la Grèce : ils seraient donc insupportables aux prix du marché puisque, lors du refinancement d’un prêt du MES, l’État grec devrait supporter une charge financière supplémentaire de 1,5 % à 2,8 % chaque année (en envisageant une stabilité du taux). Une charge qu’elle devra financer par… de la dette supplémentaire.

Composante de la hausse de la dette grecque de 1980 à 2007 selon la Commission pour la vérité sur la dette grecque. © CADTM Composante de la hausse de la dette grecque de 1980 à 2007 selon la Commission pour la vérité sur la dette grecque. © CADTM

Au taux du marché, l’État grec n’aurait alors pas le choix : pour ne pas voir son endettement s’envoler encore davantage et conserver son accès au marché, il devrait dégager des excédents primaires encore supérieurs à ceux exigés actuellement par ses créanciers. Autrement dit, il devrait durcir davantage la politique d’austérité, ce qui ne manquera pas de détruire un peu plus l’économie et de rendre la dette encore plus insoutenable. Le tout dans un contexte de hausse des taux dans l’ensemble de l’économie, puisque les taux payés par le secteur public déterminent les taux du privé. C’est exactement l’argument avancé par le FMI. 

Bref, le refinancement sur le marché est une impasse et la narration du « retour » une farce. On mesure donc combien la stratégie du gouvernement Tsipras est là à courte vue et que la logique du programme, qui vise à « ramener la Grèce sur le marché », est absurde. La seule option pour un « retour à la normale » du gouvernement grec est donc bel et bien une coupe drastique dans la dette publique dès maintenant, afin de réduire les besoins futurs de refinancement et permettre une charge d’intérêt raisonnable, même avec des taux réels de 3,5 %. Cette question de la réduction du stock de la dette publique qui, rappelons-le, n’est plus envisagée désormais (on n’évoque que des aménagements de taux et de maturité) est donc incontournable. C’est clairement le prix à payer par les créanciers pour conserver la Grèce dans la zone euro. Les Hellènes ont payé – et largement – leur écot à ce maintien dans l’union monétaire. Les créanciers accepteront-ils de faire de même ? Rien ne permet de le dire aujourd’hui.

Grèce : Le rejet des dettes illégitimes, un combat qui rassemble

19 juillet par Eric Toussaint

Près de deux cents personnes s’étaient rassemblées dans le cinéma en plein air Dexameni (dans le quartier de Kolonaki) à Athènes le lundi 17 juillet pour assister à une conférence et à la projection de deux documents réalisés en liaison avec le CADTM. L’activité était organisée conjointement par la Commission pour la Vérité sur la dette grecque et par l’association Justice pour tous. La vidéo d’animation intitulée « La dette grecque, une tragédie européenne » a été projetée en début de séance. Cette vidéo qui a été réalisée par l’équipe liégeoise des productions du Pavé et par le CADTM a été très applaudie.

Parmi les militants et militantes qui s’étaient réunis ce soir là on reconnaissait différentes figures provenant d’un large éventail de la gauche qui résiste aux mémorandums : Zoe Konstantopoulou (l’ex-présidente du parlement grec, qui est aussi fondatrice du mouvement politique Trajet de Liberté), trois ex-ministres du gouvernement Tsipras 1 (Panagiotis Lafazani, Dimitri Stratoulis et Nadia Valavani, membres tous les trois d’Unité Populaire), le juriste Nikos Konstantopoulos (ex-président de Syriza, au début des années 2000), Aris Chatzistefanou (le réalisateur des films Debtocracy, Catastroïka,… et animateur du site Infowar), Leonidas Vatikiotis (co scénariste de Debtocracy et de Catastroïka), Moisis Litsis du CADTM grec, Kostas Bitsani (compagnon de l’eurodéputée Sofia Sakorafa, retenue à Bruxelles ce soir-là), Antonis Ntavanelos (ex-membre du bureau politique de Syriza) et Sotiris Martiris (tous deux membres de DEA et d’Unité Populaire), Stathis Kouvelakis (ex-membre du Comité central de Syriza, membre d’Unité populaire), Diamantis Karanastasis, un des animateurs de Trajet de Liberté, Marie Laure Coulmin, coordinatrice du livre collectif Les Grecs contre l’Austérité ; des militants syndicaux, et beaucoup de citoyens et de citoyennes qui ne participent pas habituellement aux réunions de la gauche radicale. Une vraie réussite dans un contexte où l’unité d’action entre celles et ceux qui résistent est plus nécessaire que jamais. Il est rare de voir une telle diversité et c’est important de souligner que la lutte contre les dettes illégitimes constitue une thématique qui peut faire converger tout ce monde.
Ce n’était pas facile à réaliser.

Le lieu de la projection n’avait pas été choisi par hasard : le cinéma en plein air appartient au syndicat des travailleurs de l’entreprise publique de distribution d’eau, que le gouvernement grec est disposé à privatiser sous la pression des créanciers. Dans le sous-sol du cinéma qui est situé sur un flan de la colline Licabeth, se trouve le principal château d’eau d’Athènes. Après l’intervention très applaudie d’un dirigeant syndical qui a expliqué le combat contre la privatisation de l’eau, trois prises de parole ont été réalisées : Léonidas Vatikiotis, Nikos Konstantopoulos et moi-même. Dans mon intervention qui était consacrée au thème Allemagne/Grèce : qui doit à qui ?, j’ai annoncé que le mercredi 19 juillet, une délégation de la gauche allemande allait remettre à l’eurogroupe à Bruxelles une pétition signée en Allemagne par 170 000 personnes qui se prononcent contre la privatisation de l’eau en Grèce. Andrej Hunko, député au Bundestag fera partie de la délégation qui la remettra. Léonidas Vatikiotis a dénoncé la campagne orchestrée par le gouvernement et par la presse dominante sur le thème : la Grèce retourne sur les marchés financiers, tout va bien. Nikos Konstantopoulos a plaidé pour une bataille en faveur du rétablissement de la primauté des droits humains par rapport aux droits des créanciers.

La séance a dû être interrompue car, fait exceptionnel à Athènes en juillet, il s’est mis à pleuvoir. Zoe Konstantopoulou a dû prendre la parole dans le bar du cinéma et il n’a pas été possible de procéder à la projection du film L’audit de la dette de Maxime Kouvaras. Ce sera partie remise.

L’activité du lundi 17 juillet a été précédée dix jours plus tôt par une conférence internationale organisée par le parti Unité populaire (LAE) créé en août-septembre 2015 par la gauche de Syriza, qui a protesté contre la capitulation de juillet 2015.

La conférence a eu lieu le vendredi 7 juillet dans un quartier populaire d’Athènes, il y avait dans la salle plus de 200 participants attentifs. Le titre de la conférence : La réponse de la gauche en Europe contre l’Union Européenne du néolibéralisme, de l’austérité et du racisme. Ont pris la parole Nikos Chountis, eurodéputé d’Unité populaire, ex-vice ministre dans le premier gouvernement Tsipras ; Yannis Albanis, ex porte-parole de Tsipras, membre du réseau de gauche radicale grecque ; Djordje Kuzmanovic, de la France Insoumise ; Jesús Romero, député de Podemos, membre d’Anticapitalistas, Andalousie-Espagne ; Filipe Teles, du magazine « Praxis », Portugal ; Constantin Braun, Die Linke, Allemagne ; John Rees, écrivain et activiste, Royaume-Uni ; et moi-même pour le CADTM.

La conférence était réellement intéressante. Dans la salle étaient présent-e-s Zoe Konstantopoulou, qui anime le mouvement politique Trajet de Liberté (qui a pris la parole le lendemain à une autre conférence réalisée dans le cadre de ce festival organisé par unité populaire), Costas Isychos, ex-vice ministre de la défense (janv – juin 2015), Dimitris Stratoulis (ex-vice ministre des retraites (janv – juin 2015), Panagiotis Lafazanis (ex ministre du nouveau modèle productif et de l’énergie (janv – juin 2015), de nombreux syndicalistes…

Le Conseil d’administration de la commission pour la vérité sur la dette grecque s’est réuni à Athènes le 11 juillet avec la participation de Zoé Konstantopoulou, Giorgos Kassimatis, Leonidas Vatikiotis, Thanos Contargyris et moi-même.

Nous avons fait le point sur les activités que la commission a réalisées à Athènes ces derniers mois. Notamment la réunion publique du 4 avril 2017 (2 ans après le début officiel des travaux de la commission au parlement grec) avec près de 150 personnes, 60 personnes ont laissé leurs coordonnées en souhaitant apporter leur soutien à la poursuite des travaux. Le Conseil d’Administration de la commission a discuté des prochaines activités et de la participation des 60 volontaires répartis en plusieurs groupes de travail.

Un livre en grec reprenant une partie de mes travaux sur la Grèce, publié par RedMarks, a été présenté à Athènes le 11 juillet en soirée dans le centre culturel La Commune. Une centaine de personnes étaient présentes. La salle principale était tout à fait remplie avec plus de 70 personnes. Une trentaine de personnes suivaient la présentation via écrans et diffuseurs dans 3 autres pièces. Le média alternatif Pressproject transmettait en streaming. Sont intervenus au cours de la présentation : Panos Kosma, Panagiotis Lafazanis (ex ministre du gouvernement Tsipras 1, leader de l’Unité populaire), Zoe Konstantopoulou (ex-présidente du parlement grec, dirigeante du mouvement politique Trajet de Liberté) et moi-même.

En résumé : la lutte pour l’abolition des dettes illégitimes réclamées à la Grèce se poursuit.

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