À bas les dettes illégitimes : ici et maintenant !

Plénière d’ouverture de la Ve Université d’été du CADTM Europe par Camille Bruneau

Rythmée par les slams de Peter Assaghle (ATTAC Gabon), cette plénière permit de souligner l’ampleur et les enjeux de la crise de la dette, son caractère odieux, illégitime, illégal et insoutenable… et le besoin urgent de changement, d’actions et de désobéissance.

Introduction

Cette 5e Université d’été témoigne de l’envie de débattre, de réfléchir et de penser collectivement aux stratégies à mettre en place pour porter un coup d’arrêt aux cycles d’endettement qui sans cesse se renforcent.

Dans de nombreux pays, des gens luttent contre les dettes illégitimes, pour leur audit et leur annulation, contre les diktats des créanciers ou encore les fonds vautours. Sans oublier l’oppression des femmes et l’exploitation de la nature. Nous nous indignons face à l’Europe forteresse qui nous prive de la présence de deux militantes : Samia Lakraker d’ATTAC Maroc et Assa Souko de la CAD Mali. Le CADTM condamne fermement ce déni des droits fondamentaux qui nous empêche de travailler ensemble.

Depuis la dernière Université d’été, nous avons changé de nom : le CADTM est devenu le Comité pour l’Abolition des dettes illégiTiMes. En effet, les champs d’actions se sont élargis non seulement aux dettes du Nord suite à la crise financière de 2008 mais aussi aux dettes privées. Le terme abolition est plus fort que celui d’annulation dans le sens où il revendique la disparition même du concept de l’endettement illégitime. Le réseau CADTM s’étend avec l’adhésion en 2016 d’ATTAC au Gabon, au Luxembourg et en Italie.

Nous sommes ici car nous sommes toutes et tous convaincuEs que le système ne tombera pas tout seul, parce que nous ressentons l’urgence de désobéir et de développer des dynamiques de rupture ensemble. Presque 30 ans jour pour jour, Thomas Sankara (président du Burkina Faso) donnait son discours à l’Organisation de l’Unité Africaine, où il condamne la dette comme outil de domination et invite, urge même, les autres pays à refuser de la payer. Il leur disait, si vous ne m’aidez pas, je ne serais pas là à la prochaine réunion. En effet, trois mois plus tard, il fut assassiné, avec la collaboration des autorités françaises.

En honneur à Thomas Sankara, Peter partagea son premier slam dans lequel il affirme : « Sankara, à chaque fois que je désobéis, tu vis en moi ».


Cadrage historique de la dette et actualité sur le front de la dette illégitime – Eric Toussaint

Dans le cœur et les esprits des jeunes générations africaines, Sankara inspire toujours, en tant qu’homme exemplaire et pionner dans de nombreux domaines. En effet, il se battait également pour l’égalité homme-femme, la souveraineté alimentaire, etc. Lors de son discours, malgré les applaudissements, le visage de nombreux dirigeants africains avait déjà fixé son destin. En effet, eux étaient prêts à aller à Washington pour rembourser la dette et se débarrasser, en collaboration avec la France, de ce président qui dérangeait. Depuis deux siècles, le capitalisme a accumulé dans l’atmosphère ce qui provoque le réchauffement climatique et considère la nature comme un réservoir à exploiter. C’est un système qui pousse les peuples à produire pour les autres, et à ne pas consommer ce qu’ils produisent. C’est un système qui développe des centrales nucléaires, un système qui renforce l’oppression et l’exploitation des femmes.

Le système dette a précédé le capitalisme comme en témoigne la mise en esclavage pour dette qui a sévi dans le monde antique pendant des siècles. C’est un système parcouru de nombreuses révoltes, de la Grèce antique au mouvement Occupy Wall Street ou à l’Inde où des paysans en colère luttant pour l’annulation des dettes se sont récemment fait tuer. C’est un système traversé des luttes des femmes qui s’opposent au micro-credits, des étudiantEs qui se lèvent face au fardeau des dettes étudiantes (+- 100 milliards de dollars aux USA) ou encore des familles victimes des crédits hypothécaires abusifs et des expulsions.

Il pourrait y avoir des dettes légitimes, par exemple pour financer la transition écologique, et il y en a eu. Mais les dettes publiques aujourd’hui sont essentiellement illégitimes car elles financent des politiques extractivistes, militaires, le remboursement d’anciennes dettes illégitimes ou les sauvetages bancaires. Depuis des années, notre combat veut agir à la base et partout, si besoin, nous serons là pour aider à mettre en place des audits !

Liens entre dette publique et dette privée. Quelles luttes pour mettre fin au « système dette » ? – Lucile Daumas

Lucile commença par exprimer son malaise de représenter ATTAC Maroc en tant que Française, car les marocainEs n’ont pu obtenir de visa. « Il y en a marre que ce soit toujours comme ça, il faut lancer une campagne qui dénonce cette politique inhumaine des visas ! A Montréal, lors du Forum social mondial de 2016, le même problème est survenu et certainEs en ont conclu que la solution serait de faire ces rencontres dans des pays du Sud. Non ! Cela voudrait dire que nous acceptons le fait que nous, blancs/ches européenNEs pouvons aller partout et que les gens du Sud soient cantonnés au Sud. Nous refusons d’accepter ça ».

Depuis 2001, il est très dur pour ATTAC Maroc de poursuivre ses activités car l’association n’a pas de récépissé légal : elle n’est pas interdite mais tolérée. Ce qui permet toutes les répressions sans aucune justification par les autorités. Tout au long du weekend, circulera une pétition en support à ATTAC Maroc pour sa reconnaissance légale.

Les liens entre dette privée et dette publique, non évidents au sein du réseau CADTM il y a quelques années encore, se sont progressivement affirmés notamment au-travers de la lutte contre le micro-crédit : ce sont les mêmes mécanismes de domination qui entrent en jeu, au Sud comme au Nord (qui commence à souffrir des conséquences de l’austérité, reproduction implacable des Plans d’ajustements structurels). La dette privée est ancienne. On peut par exemple citer les dettes des employeurs envers les employés, qui avançaient la première rémunération et plaçait donc les ouvriers dans un cycle d’endettement, parfois intergénérationnel. En Inde, encore aujourd’hui, certains enfants naissent endettés ! Et finalement, la dette est un moyen de recolonisation. À travers la réinstallation des entreprises privées étrangères dans les pays du Sud, celles-ci augmentent leurs profits et leurs emprises alors que les consommateurs s’endettent face aux prix exorbitants du privée. La dette privée facilite la société de consommation et crée donc un marché pour les biens industriels – en Argentine, on peut littéralement tout acheter à crédit ! Son augmentation constante depuis 1968 peut aussi être considérée comme un levier de contrôle des luttes ; le crédit permet en effet de consommer même en périodes difficiles et donc de calmer le mécontentement général, tout en gardant en place ce système d’asservissement. Elle garantit de surcroit le profit des sociétés de services et la reproduction du système. Comme on peut le voir avec les emblématiques luttes paysannes en Inde, la dette privée correspond bel et bien à une privatisation de l’exploitation et l’endettement devient la lourde facture de la destruction de la solidarité.

De nombreuses luttes s’opposent aux dettes privées illégitimes. Pensons à la « révolution des pingouins », la lutte des étudiantEs chilienNEs contre les frais d’éducation exorbitants, ainsi que les inégalités et discriminations dans l’enseignement, ou alors aux luttes en Espagne contre le crédit hypothécaire, ou encore à la campagne de « naming and shaming » (faire honte publiquement aux créancier), centrale dans le mouvement 15M. Elles contribuent toutes à la reconstruction des solidarités.

Comment la lutte contre la dette en Grèce continue malgré la trahison en 2015 du gouvernement de Syriza ? Le devoir de désobéir – Zoé Konstantopolou

Zoé a tout d’abord remercié le CADTM pour son soutien dans l’audit de la dette grecque, véritable procès de libération du peuple. Depuis 2010, la Grèce est plongée dans une misère grandissante. Dès 2011, le peuple est conscient qu’il n’a pas à continuer à payer cette dette au nom de laquelle on l’asservit et se mobilise pour un audit citoyen, revendiqué notamment depuis le mouvement des places occupées. En 2012, Syriza s’engage à réaliser l’audit. Il est élu en 2015, année où le Comité Parlementaire pour la Vérité sur la Dette Grecque rend son premier rapport (avec le soutien de notamment Eric Toussaint) où il qualifie la dette d’illégitime, d’odieuse, d’illégale et d’insoutenable. Avec un tel rapport, le gouvernement Syriza avait une arme, qu’il n’a pas utilisée, et ce, à plusieurs reprises, trahissant, finalement, le peuple grec en juillet 2015 en acceptant un 3e mémorandum alors que la population s’y était opposée via referendum. En acceptant de rembourser, le gouvernement Tsipras se plie à la volonté des créanciers. Il dissout simultanément le Parlement qui avait créé le comité d’audit. Ce dernier n’arrête pas pour autant ses travaux et continue de condamner le mémorandum qui en s’opposant au referendum viole la constitution grecque ! Dès lors, commença une chasse aux sorcières contre les membres du comité qui voient leurs archives se faire saisir et leurs textes censurés. Alors que faire ? La réponse a un nom bien connu : la désobéissance.

Le comité s’est clairement engagé sur cette voie, notamment en continuant ses travaux et en organisant la deuxième séance publique de l’audit en automne 2017. Se développe actuellement en Grèce un mouvement populaire contre les saisies de maisons, qui se font maintenant de façon électronique ! Aussi une action de revendication historique se met en place. Alors que les retraites en Grèce sont coupées (200 euros par mois) et que le chômage touche 72 % des jeunes femmes, n’est jamais mentionnée la dette historique de l’Allemagne vis-à-vis de la Grèce. L’Allemagne n’a jamais signé d’accord de paix avec la Grèce car cela aurait impliqué une compensation massive. En 2014, le Ministère des finances a estimé cette dette à un montant de 341 milliards d’euros. Jusqu’à aujourd’hui, 72 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, aucun gouvernement n’a revendiqué cette dette. L’Allemagne refuse de la reconnaitre également, protégée par le gouvernement grec actuel. Nous demandons la justice pour touTEs et allons continuer nos travaux et actions : il faut désobéir de manière générale !

Continuons à lancer des alertes ! – Antoine Deltour 

Apres avoir travaillé deux ans dans un cabinet d’audit au G.D. du Luxembourg, Antoine Deltour copie des documents avant de démissionner en 2014. Ceux-ci témoignent du non-paiement de taxes par des sociétés multinationales basées au Luxembourg pour profiter du paradis fiscal. Il avait été interpellé et choqué en constatant que ces sociétés n’employaient pas une seule personne au Luxembourg : il copia donc toutes ces données. D’autres indices alarmant l’avaient amené à se poser des questions, comme le fait que certains mécanismes secrets appelés « tax rulings » octroient aux sociétés des traitements fiscaux spéciaux établis à l’avance, ainsi que le fait que beaucoup d’employéEs de sociétés ont pour consignes de ne pas coopérer avec les douaniers, mais de tout de suite appeler la direction en cas de contrôles. Dans un contexte de crise économique, il est d’autant plus inacceptable que des sociétés multinationales gagnent des fortunes, qu’elles prêtent ensuite aux États dont les caisses sont « vides », car ils n’ont pas récolté d’impôts de la part de ces mêmes sociétés ! Ceci a motivé Antoine Deltour à prendre le risque de devenir un lanceur d’alerte, ce qui a eu une certaine répercussion dans l’UE. Depuis, la Commission européenne impose le partage des données fiscales et des enquêtes sont en cours concernant McDonalds et Amazon entre autres. Les arguments contre ces sociétés ne sont pas que « des trucs de gauchiste » comme l’explique Antoine Deltour, mais on peut aussi franchement dire qu’avec ces fraudes fiscales, les sociétés faussent le marché, à leur avantage !

L’affaire Luxleaks a eu d’autres répercussions juridiques qui se sont in fine exercées non pas contre les responsables de cette évasion fiscale à grande échelle, mais bien contre les lanceurs d’alerte qui se retrouvent menacés d’une peine de plusieurs mois à plusieurs années d’emprisonnement. Finalement, suite à des procédures en appels et recours, le verdict de la justice luxembourgeoise fut surprenant : il serait désormais acceptable de briser le secret professionnel s’il s’agit de défendre l’intérêt général !

De façon plus générale, mais pas moins importante, cette affaire a permis de démontrer qu’il faut entamer des actions pour mieux protéger les lanceurs d’alerte et que c’est bien la mobilisation qui permet de continuer à dénoncer sans passer sous silence ! En effet, sans support populaire, l’affaire Luxleaks aurait pu tourner autrement. Mobilisons-nous, désobéissons !

http://www.cadtm.org/A-bas-les-dettes-illegitimes-ici

rédaction

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