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L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste

L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste

Par martine orange Mediapart

Les ministres des finances de la zone euro pensent en avoir fini avec la Grèce. Mais le plan de sortie proposé à Athènes ne fait que gagner du temps, en assurant les premières échéances : il laisse le pays écrasé par une montagne de dettes, sans possibilité de relancer une économie exsangue, et aux mains des marchés financiers.

La dernière réunion de l’Eurogroupe du 21 juin, prévue pour entériner le plan de sortie de la Grèce, n’a pas failli à la tradition. Comme lors des précédents débats, le sujet a donné lieu à une foire d’empoigne entre les ministres des finances de la zone euro, opposant les tenants d’une ligne dure et ceux qui se voulaient plus conciliants. Au milieu de la nuit, un accord a finalement pu être annoncé, au grand soulagement de tous les participants.

Dix ans après le début de la crise, les ministres des finances ont l’impression d’en avoir fini avec la Grèce. Après de multiples plans de sauvetage, d’ajustement, de rigueur, d’austérité, Athènes est censé, à partir du 21 août, pouvoir avancer seul, sans l’assistance de l’Europe, en se finançant par elle-même sur les marchés.

Officiellement, la période du plan de sauvetage, négocié dans des conditions dramatiques en juillet 2015, est en train de se refermer. « C’est un moment exceptionnel. La crise grecque s’achève ici ce soir au Luxembourg », insistait Pierre Moscovici, commissaire européen de l’économie, qui va même, sur son blog, jusqu’à évoquer « la fin de l’Odyssée » d’Ulysse. « La Grèce est en train de tourner la page. Nous avons tous construit un ensemble de mesures pour quitter le programme avec confiance », soulignait le ministre grec des finances, Euclid Tsakalotos, en se félicitant que son pays soit traité comme l’Irlande et le Portugal à leur sortie du plan d’aide européen et ne soit pas placé en résidence surveillée, avec visites périodiques de la Troïka, comme certains membres européens le souhaitaient.

Mais au-delà de cette faveur consentie au gouvernement grec, rien ne change. Ce plan de sortie européen ressemble à tous les précédents concernant Athènes : irréaliste. Une nouvelle fois, les responsables européens se sont contentés d’acheter du temps, en espérant qu’une solution magique finira par être trouvée. Car l’Europe ne répond pas à la question fondamentale : la soutenabilité de la situation financière grecque. La dette du pays, toujours plus lourde, est insupportable sur le long terme. Elle atteint désormais 180 % du PIB.

Depuis des années, l’Europe est inflexible sur le sujet. En dépit de toutes les études, tous les avertissements appelant à une nécessaire restructuration de la dette, les responsables européens ont refusé à nouveau tout effacement de l’endettement grec. Leur seule concession a été de la repousser dans le temps. Selon l’accord annoncé, les Européens acceptent de différer le remboursement des 96 milliards de prêts qu’ils ont consentis à Athènes, soit environ 40 % du total, pendant dix ans. Les premiers remboursements n’interviendront qu’en 2033 au lieu de 2023.

De plus, les échéances – la maturité – des émissions obligataires vont être allongées de dix ans. Le remboursement par la Grèce de l’intégralité des dettes contractées auprès du mécanisme européen de stabilité (MES) courra jusqu’à 2069. Dans son communiqué, les responsables européens promettent de réexaminer la situation de la dette grecque et de procéder à d’éventuels effacements, à partir de 2032. Autant dire aux calendes grecques.

Même si les termes ne sont guère généreux, ce compromis a été obtenu dans la douleur. Selon un scénario bien connu, les Allemands et les pays du nord de l’Europe se sont opposés à tout aménagement qui pourrait les amener à payer pour la Grèce. Jusque-là, la crise grecque n’a pas été une mauvaise affaire pour les Européens. De l’aveu même de Mario Draghi, la Banque centrale européenne a réalisé 7,8 milliards de plus-values sur les titres grecs entre 2012 et fin 2016. La Bundesbank à elle seule a totalisé 2,9 milliards d’euros de gains grâce à la Grèce. Dans le cadre de l’accord du 21 juin, la BCE se propose de reverser les gains obtenus au gouvernement grec, au rythme d’un milliard par an. Pourquoi ne pas reverser la totalité tout de suite ? Mystère. Sans doute pour ne pas donner un sentiment de facilité au gouvernement d’Alexis Tsipras.

Mais les Européens savent qu’il faut malgré tout faire quelques gestes pour donner un peu de crédibilité au dispositif arrêté. Pour accompagner la Grèce dans les premiers temps, ils ont prévu un coussin financier de sécurité, au cas où l’accès aux marchés financiers serait rendu difficile. Là encore, le montant des sommes pouvant être alloué a donné lieu à d’âpres discussions, Berlin voulant le limiter à 11 milliards d’euros, quand d’autres voulaient le porter à 20 milliards. Selon la bonne méthode européenne, un compromis a été élaboré autour de la somme de 15 milliards d’euros.

 © Cour européenne des comptes © Cour européenne des comptes

Ce qui semble être une mesure d’accompagnement généreuse n’est en fait qu’une décision de précaution technique. Comme l’a relevé la cour européenne des comptes, la Grèce doit, dès sa sortie, faire face à un mur financier quasiment infranchissable. « En 2019, les besoins bruts de financement s’élèveront à 21 milliards d’euros en principal et en intérêts », écrit-elle. Ces paiements sont essentiellement dus à des créanciers privés.La Grèce, qui n’a pas eu accès aux marchés financiers pendant près d’une décennie, est incapable de faire face à de tels remboursements, surtout s’il lui faut emprunter à 3 % ou 4 % au lieu de 1 %. Comme lors des plans précédents, l’aide avancée par l’Europe semble donc destinée à assurer le paiement des premières échéances, afin d’éviter le défaut, de sauver les créanciers, à commencer par ses banques, en laissant des miettes à la Grèce .

Comme à chaque fois, cette aide est accordée sous conditions. Selon les termes fixés par l’Europe, le gouvernement grec doit s’engager à réaliser un surplus budgétaire (avant paiement des intérêts de la dette) d’au moins 3,5 % du PIB jusqu’en 2022 et de 2,2 % du PIB en moyenne pendant les 37 années suivantes. Avec ces critères, l’Europe impose une politique d’austérité et de réformes structurelles toujours plus régressive et récessive.

Une économie en cage

« Aucun pays n’est capable de maintenir sur le moyen terme de tels excédents budgétaires », ont prévenu à plusieurs reprises les économistes du FMI. À leur côté, de nombreux économistes jugent ces exigences contre-productives et asphyxiantes. Ces analyses ont été balayées par l’Eurogroupe. Tout aménagement ne pourrait être, selon eux, qu’une incitation au laxisme. Et ils attendent des marchés financiers qu’ils incitent en permanence la Grèce à la vertu.

Un peu à la manière du commissaire allemand au budget, Günther Oettinger, qui avait souligné que « les marchés allaient apprendre aux Italiens à bien voter », le directeur général du MES, Klaus Regling, résume cet état d’esprit : « Si le gouvernement grec ne met pas en place les réformes dures nécessaires, la confiance des investisseurs sera plombée et les marchés se vengeront », a-t-il déjà prévenu.

Mais ces mesures adoptées par l’Eurogroupe sont-elles vraiment de nature à inspirer confiance aux marchés financiers ? Dès la sortie de la réunion, la directrice du FMI, Christine Lagarde, n’a pu s’empêcher de faire part de « réserves » sur les aménagements accordés par les Européens. La situation d’endettement de la Grèce sur le long terme lui paraît toujours aussi problématique.

Rien dans le plan européen ne permet de desserrer l’étau financier dans lequel se retrouve la Grèce. Le pays risque de se voir maintenu en cage, interdit pendant des années de tout projet de relance, ou même de soutien économique.

Or c’est d’un plan de reconstruction que le pays a besoin. Les 2,3 % de croissance affichés au premier trimestre de 2018 n’effacent pas les 30 % de chute de PIB en quelques années. Non seulement la saignée qui a été imposée à la Grèce – du jamais vu dans le monde occidental – a précipité la population dans le chômage, mais elle a détruit ou affaibli durablement un outil productif qui était déjà réduit. Le rebond noté depuis quelques trimestres est essentiellement le fait du tourisme. Mais l’économie grecque est dans son ensemble dans l’incapacité de répondre au moindre sursaut, faute d’investissements.

La Grèce se retrouve condamnée à voir son économie évoluer comme un soufflé, redescendant à peine monté, car ne pouvant s’appuyer sur aucun relais de croissance durable. D’autant qu’à côté d’un État à qui l’Europe interdit tout endettement autre que pour repayer ses dettes, les banques ne peuvent prendre la suite.

Le système bancaire est dans un état de délabrement avancé. La BCE qui a apporté son aide à tout le système bancaire européen, en achetant à tour des bras des obligations d’État ou des obligations d’entreprises depuis des mois, a exclu les banques grecques de ce système de refinancement. Résultat : les bilans des banques grecques, plombés par des créances douteuses ou impayées pour 40 à 50 % des encours, n’ont pas connu un début de restructuration. Selon une estimation de la Banque centrale européenne, les principales banques grecques ont au moins besoin de 15 milliards d’euros de recapitalisation dans les prochains mois.

Pas plus qu’elle ne lui apporte un soutien dans l’accueil des migrants, l’Europe s’apprête à abandonner la Grèce, avec ses problèmes économiques et financiers essentiels, sans lui fournir un début de solution ou de financement. Même en respectant toutes les mesures européennes, l’accès de l’État grec, de ses banques et de ses entreprises aux marchés financiers est tout sauf garanti, ou à des prix prohibitifs. Tant nombre d’investisseurs doutent de la légende européenne sur le redressement grec.

À la sortie de l’Eurogroupe, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, semblait lui-même assez dubitatif, saluant surtout sur le fait que « les ministres des finances étaient prêts à envisager d’autres mesures de protection, dans le cas où des scénarios économiques adverses se matérialiseraient ».

Même s’ils n’en parlent pas, ce qui s’est passé sur le marché italien fin mai est dans de nombreux esprits. La brève déroute financière sur les marchés obligataires, à la suite de l’imbroglio politique italien, a montré qu’il fallait peu de choses pour que la crise de l’euro se ranime. En quelques heures, toute la liquidité qui existait sur le marché italien s’est volatilisée, entraînant une hausse rapide des taux italiens mais aussi espagnols ou portugais.

Cette fois-là, la Grèce a été épargnée car elle était sous régime de protection. Mais si un incident identique ou plus grave se reproduit dans les mois à venir – ce qui ne peut être exclu compte tenu de la décomposition rapide du consensus européen –, les marchés pourraient bien se venger, comme le prédit le directeur du Mécanisme européen de stabilité (MES). La Grèce risque d’être la première visée, non pas en raison de ses erreurs mais parce qu’elle est le maillon faible  d’une zone euro déséquilibrée dont vont se servir les marchés financiers, comme ils l’ont fait en 2010.

Contrairement aux espoirs des responsables européens, ils n’en ont pas encore fini avec la Grèce. Ils pourraient même retrouver le dossier beaucoup plus vite que prévu.

 

Centre de santé Elleniko menacé d’expulsion

Grèce. L’immobilier de luxe chasse un dispensaire social

Vendredi, 15 Juin, 2018 Rosa Moussaoui l’Humanité

Le centre de santé solidaire d’Elleniko, fondé en 2011, a reçu un avis d’expulsion. Il doit quitter les terrains de l’ancien aéroport, cédés au milliardaire Latsis.

L’ultimatum est sans appel. Soignants et patients doivent déguerpir avant le 30 juin. Installé sur les terrains de l’ancien aéroport d’Athènes, le dispensaire social d’Elleniko est prié d’évacuer les lieux par la société chargée de liquider le foncier. Sans proposition alternative d’hébergement. Fondé en 2011 par le cardiologue Giorgos Vichas, ce lieu a pourtant fait la preuve de son utilité publique, dans la longue nuit austéritaire qui s’est abattue sur la Grèce. De la médecine générale à l’oncologie, plus de 90 praticiens bénévoles y dispensent gratuitement des soins aux patients de toute la région Attique privés de couverture sociale après la perte de leur emploi. « Au mois d’août 2011, j’ai assisté à un concert de Mikis Theodorakis, notre grand compositeur. Il a fait un discours passionné et il a dit, entre autres, ce que je pensais depuis un bon moment, que les médecins devaient entreprendre quelque chose pour aider les gens ayant perdu leur assurance-maladie. Cela m’a beaucoup perturbé, raconte le Dr Vichas. Le concert a eu lieu ici, sur le terrain de l’ancien aéroport. Alors, j’ai eu une idée : il y avait tous ces locaux vides et j’ai pensé qu’on pourrait établir un centre de santé libre dans un de ces bâtiments. Le maire était prêt à nous aider. Il nous a prêté ce bâtiment tout en prenant en charge les frais d’électricité et d’eau. »

Depuis, ce centre de santé, ouvert tous les jours de 16 heures à 20 heures sans jamais désemplir, a rendu possibles 64 000 consultations médicales. Les malades peuvent aussi s’y procurer des médicaments collectés par des réseaux de solidarité. L’expérience d’Elleniko a essaimé dans toute la Grèce, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de structures de santé de ce type, organisées sur le mode de l’autogestion démocratique et de l’indépendance économique et politique. Pour ceux qui offrent leur temps pour les faire vivre, médecins, dentistes, infirmiers, pharmaciens, psychologues, il s’agit de faire face à l’urgence, tout en revendiquant le rétablissement d’une couverture sociale pour tous.

L’oligarque s’est porté acquéreur d’une vaste friche de 620 hectares

Si le dispensaire social d’Elleniko doit aujourd’hui faire place nette, c’est que les terrains de l’ancien aéroport ont été privatisés. Comme les ports d’Athènes et de Thessalonique, les quinze aéroports régionaux, la Compagnie des eaux d’Athènes, l’opérateur ferroviaire Trainose et tant d’autres actifs de l’État grec, ces terrains font partie des biens publics soldés sur ordre des créanciers d’Athènes. Ils sont aujourd’hui livrés à la spéculation immobilière. Le bénéficiaire de cette opération ? Lamda Development, une filiale du groupe tentaculaire sur lequel règne le milliardaire grec Spiros Latsis (banque, immobilier, pétrole, construction navale). Allié à un consortium d’investisseurs chinois et émiratis, cet oligarque s’est porté acquéreur, à prix cassés, de cette vaste friche de 620 hectares en bord de mer, qu’il destine à l’immobilier de luxe. Montant de la transaction : 915 millions d’euros. Les travaux d’aménagement des réseaux d’eau et d’électricité restent, bien sûr, à la charge de l’État. On parle même d’une autoroute qui pourrait relier le futur complexe immobilier au nouvel aéroport. L’affaire est belle. Sa négociation a été facilitée par une certaine Evangelia Tsitsogiannopoulou, experte en spéculation immobilière, qui a occupé, d’avril 2015 à mai 2017, les fonctions de directrice exécutive du Taiped, le fonds chargé de liquider les biens publics grecs. Elle en est toujours, aujourd’hui, administratrice. Il se trouve qu’elle a fait ses premières armes dans le monde des affaires… chez Lamda Development. Les Grecs ont une expression très imagée pour décrire ces arrangements entre amis : ils parlent des « intérêts enchevêtrés » que cultive l’oligarchie. Spiro Latsis en est familier : il se trouve au cœur d’autres transactions litigieuses liées à l’acquisition de biens publics. En 2015, dans un rapport de 200 pages, le parquet anticorruption concluait à la sous-estimation de la valeur raisonnable de 28 bâtiments publics cédés à deux établissements financiers, Ethniki Pangaia et Eurobank Property, filiale de la banque grecque Eurobank, propriété de Latsis. Montant du préjudice pour l’État grec : 580 millions d’euros. L’enquête avait abouti à la mise en examen de six experts et membres du conseil d’administration du Taiped pour « abus criminel de biens sociaux ». Tous ont finalement été relaxés sous pression de Bruxelles, qui conditionnait le versement à Athènes d’une tranche de prêt de 7,5 milliards d’euros à la levée des poursuites. « Des marges de manœuvre satisfaisantes devraient être garanties à tous les experts européens qui aident la Grèce à redresser son économie », avait alors justifié le porte-parole de la Commission européenne, Margaritis Schinas.

Le dispensaire social n’est pas la seule structure d’intérêt public menacée par l’obscure privatisation des terrains d’Elleniko. Ceux-ci accueillent aussi les locaux de la municipalité, des écoles, des clubs sportifs. Opposés à ce bradage comme au bétonnage de leurs 3,5 kilomètres de côte appréciés des promeneurs, les riverains ont multiplié les recours jusqu’au Conseil d’État, qui a finalement donné, en février, son feu vert à la transaction. Un appel de soutien au centre de santé d’Elleniko circule ces jours-ci en Grèce et bien au-delà de ses frontières. Ses signataires soulignent son « immense contribution sociale et humanitaire » et sa valeur d’« exemple novateur de gestion communautaire des biens publics et de l’espace urbain ». Aux antipodes des arrangements entre « experts européens » et gros affairistes pour braquer tous les biens communs, ils appellent à soutenir la lutte du dispensaire social d’Elleniko « pour continuer sur la voie de la solidarité, de la dignité, du respect et de l’humanisme ».

La prison des peuples européens

La prison des peuples européens . Par Costas Lapavitsas

Mardi, 29 mai 2018

Le coup d’État

Le refus du président italien Sergio Mattarella d’accepter le schéma gouvernemental proposé par le Mouvement Cinq Étoiles et la Ligue constitue très clairement un coup d’État politique. Ce détournement donné comme tel de la volonté du peuple et de la démocratie ne s’est pas produit en Italie depuis la chute de Mussolini en 1943.

Tout aussi surprenante s’avère l’argumentation de Mattarella. Mon rôle, a-t-il déclaré, est de protéger les intérêts du pays, ce qui signifie ne pas mettre en danger, sous quelle que forme que ce soit, son appartenance à l’euro. Les Italiens peuvent bien avoir le gouvernement qu’ils veulent, pourvu qu’il accepte l’UEM.

Le fait que de source officielle on reconnaisse de manière absolument cynique que l’euro est une prison pour les peuples européens reste sans objet. Mattarella a rencontré un soutien sans faille auprès de l’establishment italien mais également auprès des puissantes forces de l’UE. En premier lieu le président Macron, celui-là même qui doit apporter le grand changement démocratique en Europe, a rendu publiquement hommage à sa « responsabilité ».

L’échec de l’Italie dans l’UEM

Il ne fait aucun doute que la participation de l’Italie à l’UEM s’est révélée désastreuse pour son économie. Le pays n’a encore pas retrouvé le niveau de son PIB de 2007, lorsque la crise mondiale a éclaté, et son taux de croissance est absolument anémique.

La raison principale en est l’austérité constante exigée par l’UEM, avec les coupes dans les dépenses publiques et la fiscalité qui ont durement frappé la demande intérieure et l’activité économique. Il s’agit d’une situation désastreuse pour un grand nombre de PME qui dépendent du marché intérieur. C’est une situation également désastreuse pour les salariés car les salaires sont le plus souvent orientés à la baisse quand le chômage reste élevé, poussant ainsi la jeunesse italienne à émigrer. Il s’agit, enfin, d’une situation désastreuse pour l’État car, outre que les services publics se voient sans cesse limités et les infrastructures se trouvent dans un état d’usure sans précédent, la dette publique a dépassé 130% du PIB, conséquence logique de l’absence de croissance.

Mais tout n’est pas négatif pour tout le monde. La réduction de la demande intérieure restreint les importations, tandis que parallèlement la pression salariale vers le bas a bénéficié à l’industrie d’exportation. L’Italie est le seul pays d’Europe doté d’un grand complexe industriel pouvant concurrencer l’Allemagne. La politique que lui a imposée l’UE a réussi à créer de légers excédents pour le commerce extérieur ces dernières années. Mais il n’existe aucune certitude que la hausse des exportations conduise à une accélération de la croissance dans la mesure où l’économie intérieure connaît une réduction constante.

Les finances absurdes et les signes de la rupture

Les économistes de bonne foi ne peuvent qu’être d’accord sur le fait que l’Italie a besoin d’une stimulation directe de sa demande intérieure, par une levée de l’austérité et une diminution de la fiscalité, de façon à redonner du souffle à son économie. C’est exactement ce qu’a proposé le programme économique du gouvernement Cinq Étoiles-Ligue. Mais le problème est que le durcissement institutionnel de l’austérité dans l’UE ces dernières années exige précisément l’inverse. En d’autres termes, un pays comme l’Italie avec une dette publique supérieure à 130% devra réaliser un excédent de 1,5% du PIB, et donc accroître l’austérité.

S’agissant des finances, on danse sur un volcan, ou peu importe l’image qu’on pourrait employer. Et ce sont justement ces finances absurdes qui dominent dans l’UE et l’UEM qu’on présente aux entreprises internationales comme une politique « sérieuse » et « responsable » par opposition aux « stupidités » des « populistes ». Ce sont ces finances qu’a été chargé de mettre en œuvre M. Carlo Cottarelli, celui sur lequel s’est porté le choix de Mattarella après le coup d’État, nouveau Premier ministre par intérim bénéficiant d’une longue expérience au FMI (pouvait-il en être autrement ?).

Le choix de Mattarella suscitera certainement des réactions et s’ensuivront de fortes turbulences politiques dans les mois à venir, très probablement avec des élections à la clé. Une situation que les marchés financiers internationaux ont bien comprise de sorte que le spread des obligations italiennes à dix ans a immédiatement explosé à 1,83%. Les signes de la crise ont commencé à devenir évidents, notamment si l’on tient compte de la difficile situation des banques italiennes qui détiennent de gros volumes de prêts improductifs, tandis que le pays est complètement en panne depuis environ deux décennies.

Pour la zone euro, le danger est évidemment immense. En pratique, aucune structure n’a changé en mieux ces dernières années. La situation s’est stabilisée après l’application d’une austérité sévère, de privatisations et d’une déréglementation des marchés, mais plus particulièrement à travers la production d’argent bon marché par la BCE de M. Draghi. Les contradictions fondamentales de l’union monétaire, qui proviennent de la domination du capital allemand, restent cependant inchangées. L’UEM pourrait difficilement survivre après une crise italienne généralisée.

La rupture

Pour les peuples européens, dans la prison de l’euro, les choses ont désormais commencé à se rapprocher des conditions de survie. Il est évident qu’aucune réforme dans le sens d’une amélioration pour les intérêts populaires ne peut voir le jour. La seule perspective réaliste qui s’offre est celle de la rupture.

Mais la rupture n’est pas encore quelque chose de facile, même en Italie. Comme je l’ai déjà mentionné, le grand capital industriel d’exportation en Italie, qui est concentré au Nord, est rentable et s’est adapté à l’UEM. Il ne veut pas du danger politique et social de la rupture. La masse des PME, d’un autre côté, est impitoyablement frappée et réagit. Le travail salarié et les couches populaires défavorisées, enfin, font face à une pression constante, mais ne réagissent pas de manière coordonnée.

Le pays tout entier est en train d’étouffer, sans qu’apparaissent clairement les forces de classe permettant de résoudre le problème.

L’apathie sociale se reflète dans le chaos politique. La Ligue est une formation d’extrême droite ayant des caractéristiques fascistes dans laquelle personne ne peut placer la moindre confiance. Le Mouvement Cinq Étoiles est un patchwork de protestations sans pouvoir ni structure. Le parti de droite de Berlusconi se définit par son absence de fiabilité et son insolvabilité. Mais la tragédie concerne le Parti Démocrate, le principal héritier de la grande gauche italienne, que le malheureux Matteo Renzi a transformé en terminus européiste craintif de l’establishment italien. Pour le moment aucun leadership politique fort pouvant réellement créer la rupture en faveur des couches laborieuses et populaires ne transparaît.

Et dans notre pays ?

Enfin, concernant la Grèce, son peuple a toujours laissé une marge pour la rupture, comme l’a montré de manière éclatante l’été 2015. Son principal adversaire n’était pas Wolfgang Schäuble. C’était l’establishment grec, qui a fait alliance avec les créanciers et a œuvré contre vents et marées pour que le pays reste dans l’euro à tout prix. La raison était évidente. La rupture serait ce qu’il peut advenir de plus dangereux pour les mécanismes de classe qui dominent la situation grecque.

Les couches laborieuses et populaires n’avaient pas la force de s’organiser de manière indépendante pour imposer leurs propres intérêts. Elles ont demandé du soutien auprès du système politique, ont cherché quel leadership pourrait gérer la rupture. Le tort immense qu’a fait et continue de faire Syriza, c’est qu’il a fermé les yeux sur la rupture et a transigé pleinement avec l’ordre établi du pays, humiliant la volonté populaire.

Dans cette situation d’essoufflement qu’affronte aujourd’hui la Grèce, il est bon de nous rappeler qu’aucune condition de stabilité sociale et politique n’existe ni n’est envisageable dans la prison de l’euro. Quoi que puissent en penser les propriétaires et les occupants, la perspective de la rupture est et sera présente parce qu’elle porte la promesse de la croissance économique, de la renaissance sociale, de la démocratie et de la souveraineté populaire. L’Italie a beaucoup à nous apprendre concernant la voie que notre pays devra suivre.

Traduction : Vanessa de Pizzol

Costas Lapavistas est professeur d’économie à l’École des études orientales et africaines de l’Université de Londres. Élu député de Syriza en janvier 2015, il a fait partie du groupe de députés et de militants qui ont quitté le parti en septembre 2015 pour créer le nouveau parti Unité Populaire (Laiki Enotita), après l’acceptation par le Premier ministre Tsipras du 3ème Mémorandum imposé par l’Eurogroupe, en dépit du « Non » massif des électeurs lors du référendum de juillet 2015.

Source https://unitepopulaire-fr.org/2018/06/17/la-prison-des-peuples-europeens-costas-lapavitsas/

Casinos vs santé La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Casinos vs santé

Ciel gris, admirables orages ce week-end sur la Grèce. À Athènes, la lourdeur est autant politique, entre le mémorandum 4bis adopté cette semaine, et en prime, cette parodie d’accord présumé sur l’affaire dite macédonienne, imposée par les États-Unis, l’Otan, Bruxelles et Berlin à la marionnette Tsípras, et voila que toute la Grèce se rebiffe. Nous y reviendrons. Cependant, un autre événement a eu lieu cette semaine et il a été malheureusement ignoré des… grands médias. Une conférence de presse exceptionnelle avait été tenue par les responsables du Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón jeudi 14 juin, émotion alors et aussi espoir, le blog “Greek Crisis” y était invité.

Ceux d’Ellinikón à Bruxelles en 2015 (presse grecque)

Au beau milieu de cette Grèce du chaos ordonnancé, le Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón vient de recevoir il y a peu, “sa” lettre d’expulsion. La société Ellinikón S.A. ayant “acquis” l’ensemble du site de l’ancien aéroport sous la “gouvernance” Tsípras, tout doit… entrer visiblement dans le nouvel ordre des choses et des affaires, l’ultimatum adressé aux médecins bénévoles, ainsi qu’à l’ensemble des solidaires du centre Médical avait été fixé pour la fin du mois de ce juin 2018. Les… investisseurs ne doivent plus attendre, c’est bien banal.

Le cardiologue Yórgos Vichas, co-initiateur du Centre, a expliqué lors de la conférence de presse que dans un premier temps, le gouvernement est resté indifférent et muet devant le scandale de son expulsion, de même que l’Ordre des médecins d’Athènes comme d’ailleurs, à l’exception notable de l’Ordre des dentistes du Pirée. Solidarité disons soluble. Yórgos Vichas a également insisté sur le fait que le Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón ne quittera pas les lieux, tant qu’une véritable solution de délocalisation ne soit trouvée, proposée et débattue.

“Ceci est d’ailleurs une obligation de la Politeía, autrement-dit du gouvernement, et cela sous ces seules conditions alors posées par nous: Que notre Centre Médical Solidaire puisse poursuivre dans sa mission sans la moindre modification ni interférence dans son mode de fonctionnement. N’oublions pas que notre centre rempli une mission d’intérêt public, nous accueillons entre 700 et 1000 patients par mois, et notre action est pour tout dire connue et reconnue jusqu’à l’étranger. Cette semaine, une manifestation de soutien à notre Centre a eu lieu devant les représentations diplomatiques grecques à Bruxelles, et ce n’est qu’un début dans les réactions.”, Yórgos Vichas durant la conférence de presse (le 14 juin 2018).

Chaos, Athènes, années dites de crise
Ambulance… Grèce, années dites de crise (presse grecque)
“Les médecins grecs émigrent en Allemagne” (presse grecque, 2014)

“Nous venons d’apprendre que Panos Skourlétis, Ministre (SYRIZA) de l’Intérieur vient d’intervenir cette semaine à l’Assemblée en faveur de notre Centre et ceci, après plus de deux semaines de silence. Que s’est-il alors passé ? D’après nos informations, il y aurait eu un mail de la Troïka (‘Institutions’), exigeant du gouvernement que de ne pas expulser notre structure avant de trouver une solution définitive et durable.”

“Cette issue, vraisemblablement positive avait été entre autres, le résultat de nombreuses pressions internationales, faisant suite à toute cette formidable chaîne de solidarité qui nous entoure et qui nous encourage depuis les autres pays en Europe et même ailleurs.” Un peu ‘off the record’, les bénévoles du Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón ont encore indiqué que comme la… formule bien trouvée, laquelle avait été lancée ces derniers jours à Bruxelles fut: “Casinos vs Santé”, et que comme cette formule a été jugée visiblement préjudiciable pour l’image de marque des… investisseurs, alors, la Troïka aurait finalement jugé bon d’intervenir pour indiquer au gouvernement grec que le Centre Médical Solidaire devait rester en place faute de solution de relocalisation.

Non à l’expulsion du Centre. Ellinikón, 14 juin 2018
Yórgos Vichas lors de la conférence de presse du 14 juin

Ceux du Centre, ont à l’occasion rappelé que leur bel exemple si réussi aux dires et aux yeux de tous, est autant un cas d’école, car le fonctionnement s’opère sans aucune hiérarchie entre les bénévoles, et que cette structure libre n’a pas d’existence juridique officielle.

“Notre grande force, c’est celle des citoyens ; et nous pratiquons à la fois la solidarité, la dénonciation des responsabilités, et la résistance. C’est pour cette raison que notre Centre n’a pas voulu recevoir le Prix qui lui a été décerné par le Parlement européen en 2015… Les bourreaux ne peuvent pas en même temps nous récompenser pour nos actions”, conférence de presse du 14 juin 2018.

“Le site de l’ancien aéroport n’est pas à vendre”, luttes des années 2011-2017
La… zone euro. Presse grecque, années dites de crise
Sur un certain Tsípras. Place de la Constitution, 2016 (presse grecque)

Il a été également évoqué que depuis ses débuts en 2011, près de 70.000 patients se sont adressés au Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón, et 7.000 d’entre eux ont été suivis et pris en charge de manière constante. Actuellement, près de 9.000 boîtes de médicaments sont administrées par le centre chaque mois, tandis qu’en moyenne 30.000 autres boîtes sont offertes chaque mois par le Centre d’Ellinikón à d’autres structures qui en font la demande suivant leurs besoins urgents.

L’action du Centre, ce sont aussi près de 4.900 examens médicaux (imagerie et laboratoire) effectués par ses soins, ainsi que 128 interventions chirurgicales urgentes que certaines structures privées ont voulu prendre entièrement et gratuitement en charge au bénéfice des patients suivis à Ellinikón.

“Nos actions sont à la fois larges et ciblées”, a voulu préciser Yorgos Vichas. “Nous avons été à l’origine de 48 pièces de théâtre, comme nous sommes à l’origine de nombreuses structures informelles de solidarité et d’échange de services entre chômeurs. Au départ, nous avions même instauré une ‘banque de temps’, sauf que très rapidement elle n’a plus été nécessaire. Les échanges se font alors spontanément, suivant les besoin et voilà que la nécessité de compter a aussitôt disparu.”

Manifestantes. Athènes, temps de crise
“Après la crise ?” MuCEM, Marseille, 2014

“Notons que parmi les structures qui nous ont sollicités pour recevoir les médicaments de notre part, on compte certains hôpitaux publics et parfois militaires, les autres Centres de Santé solidaires bien entendu, l’Église, l’administration pénitentiaire, les Centres d’accueil pour refugiés et migrants, les dispensaires publics surtout ceux des îles, Médecins du Monde, d’autres ONG et enfin, certains établissements scolaires publics.”

“Notre mission publique est ainsi complémentaire à celle du système de Santé, surtout lorsque ce dernier ne peut plus remplir son rôle ni ses missions, d’où d’ailleurs cet oxymore alors de taille: L’État fait appel à nous en reconnaissant notre rôle et en même temps ce même État… organise et met en exécution la fermeture brutale de notre Centre.”

Lorsque j’ai co-organisé en 2014 MuCEM à Marseille cette émouvante semaine riche en débats et en manifestations sous le titre “Après la crise ?”, Yórgos Vichas avait été parmi les nôtres dès le départ. Comme il y a déjà quatre ans, ses actes rejoignent les paroles, et son verbe est toujours aussi aiguisé.

“Nous exposons la situation de la Santé en Grèce sous la Troïka, nous dénonçons cette politique à travers l’Europe et le monde, nous considérons que cette politique introduite et planifiée par l’Union Européenne, par le FMI, par la BCE et par les gouvernements grecs est une forme de génocide. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion d’en débattre de manière très constructive avec certains juristes internationaux lors d’un conférence en Suisse il y a quelques mois, sur cette dimension juridique de l’affaire grecque”, précise-t-il Yórgos Vichas (conférence de presse du 14 juin à Athènes).

Malade d’une tumeur ? Athènes, mai 2018
Vieux café. Athènes, 2018

Et nous avons bu ensuite toute notre tasse des impressions du jour dans un vieux café d’Athènes, sous le regard des retraités, tout comme sous celui des animaux adespotes (sans maître) des lieux. Nous savons que depuis… le fait si bien accompli de la dite crise, les retraités couverts certes par la Sécurité Sociale grecque, représentent désormais près de la moitié des patients qui trouvent… refuge au Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón.

“Ils viennent vers nous car leur semblant de retraite (souvent de moins de 400€ par mois) ne leur permet pas de couvrir les frais de participation pour ce qui tient des médicaments prescrits. Dans la même logique, nous recevons de plus en plus ceux qui ne sont ni retraités, ni actifs, personnes alors âgées entre 55 et 60 ans, génération dont la détresse est alors évidente”, précisent-ils les responsables du Centre d’Ellinikón.

Dans le même ordre d’idées, la “gouvernance” SYRIZA se met désormais à octroyer depuis quelques mois, des aides allant de 100 à 300 euros par mois, à une petite fraction des larges paupérisés du pays, après les avoir dépouillés de leurs biens, tout comme, après les avoir privés de travail. Les conditions d’octroi de ce type d’aide sont draconiennes, notamment, les tristes… élus ne doivent pas posséder grand-chose en immobilier ou autre type de bien.

Sous entendu: Bradez vos biens car vous ne retrouverez plus de travail et encore moins la moindre manière d’entreprendre… d’en bas. Ainsi, le système d’assistanat globalisant fera de vous des assistés, qui plus est, chroniquement dépressifs, dépendants, et historiquement inoffensifs pour les globalisateurs. Le tout, avec l’aimable participation de la sous-traitance clientéliste de SYRIZA, comme autant des autres partis politiques participant à la mascarade pseudo-démocratique actuelle, et pour tout dire, très exactement payés pour. C’est décidément pour cette raison que la législation SYRIZA/Troïka du moment se soucie alors davantage des casinos que de la santé publique.

Trière sacrée, céramique antique, Athènes, 2018
Notre poète Elytis. Années 1990
Dormir en paix. Athènes, mai 2018

Il est ainsi loin le temps des Trières sacrées des Anciens, de même que celui de notre poète Elytis pour qui, la poésie commence là où la mort n’a pas le dernier mot. br />
Elytis s’est d’ailleurs longtemps posé la question d’Hölderlin “à quoi bon des poètes dans ces temps si sombres?”. Oui, à quoi bon des poètes et des bénévoles, à l’image de ceux Centre Médical Solidaire et Métropolitain d’Ellinikón ? Peut-être, parce que la poésie commence là où la mort n’a pas le dernier mot.

Sous le regard des animaux adespotes. Athènes, mai 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Mort subite La chronique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Dans cette rubrique il revient sur la situation de la clinique sociale Elliniko menacée d’expulsion et le désengagement du gouvernement actuel avec cette photo terrible   » Ellinikón n’est pas à vendre… avec Alexis Tsípras en 2014 « .

Mort subite

La Terre finira par incarner sa seule histoire des minerais et des roches, à défaut de celle de l’humanité. Énième été grec sous le nouveau régime troïkanisé depuis 2010, essor paraît-il en ce moment du tourisme, exactement sous le soleil, mais surtout en ce juin 2018… la mort subite programmée pour la Clinique Sociale et Métropolitaine d’Ellinikón. Mort autant subite que programmée après celle de la gauche, le tout, sous le cynisme intéressé du bouffon Alexis Tsípras et de sa bande. Les masques sont tombées depuis déjà longtemps.

“Urne”. Athènes, 2018

Le Centre ou Clinique Sociale et Métropolitaine d’Ellinikón, a été fondé en décembre 2011 d’après l’initiative du médecin cardiologue Yórgos Vichas, pratiquement au même moment que ce blog “Greek Crisis”. Deux besoins urgents… devenus chroniques, ceci, à travers comme vous le savez tant de chroniques consacrées à l’irracontable. (Je voudrais d’ailleurs d’emblée et à cette occasion, solliciter toute l’indulgence des lectrices/lecteurs et ami(e)s de “Greek Crisis” car votre blog n’ayant pas encore pu résoudre toutes ses difficultés techniques (comme au demeurant celles liées à sa subsistance plus chroniques que jamais), il espère toutefois pouvoir revenir à son rythme plus régulier dans ses publications d’ici une, à deux semaines).

Été… oblige, c’est à travers son communiqué en ce début de juin 2018, que la Clinique alerte ceux qui peuvent et qui veulent encore être alertés de l’ultime menace pesant ainsi sur son existence, faisant très exactement suite à la “vente” (en réalité il a été offert aux promoteurs) du site de l’ancien aéroport d’Ellinikón. Nous relayons ainsi à l’instar d’autres sites, le communiqué publié par la Clinique Sociale Métropolitaine d’Ellinikón traduit en français, d’après le texte original sur son site. “Nous disons NON et ne céderons pas sans lutte! Le 31 mai 2018, Ellinikón S.A., une agence quasi-gouvernementale, nous a adressé un avis d’expulsion. La Clinique Sociale Métropolitaine d’Ellinikón devra quitter les lieux le 30 juin 2018 au plus tard, afin qu’Ellinikón S.A. puisse transférer la propriété des terrains à ses acquéreurs formels d’après les obligations signées par les parties concernées.”

Les masques tombent. Athènes, juin 2018
Temps des luttes. Ellinikón en 2014 (presse grecque)
Alexis Tsípras dévorant… la gauche. Presse grecque, 2014

“La copie de l’avis d’expulsion avait été envoyée au Ministre aux Finances, M. Tsakalotós, au Ministre d’État M. Flabouraris, au Secrétaire Générale Coordonnateur Gouvernementale M. Papayannakos et à d’autres ministres et PDG de la Société de Privatisation des biens publics grecs (TAIPED).”

“À ce jour, on ne nous a pas proposé de solution ou d’alternative pour relocaliser notre Centre. On attend qu’on ramasse nos affaires et qu’on s’en aille avant le 30 juin. On nous a ordonné de fermer nos portes et d’arrêter immédiatement notre intense activité au bénéfice de la communauté.”

“Depuis décembre 2011 nous avons traité 7.366 patients et réalisé 64.025 consultations. Nous sommes pionniers dans le domaine du recyclage de médicaments dans notre pays et grâce aux médicaments que nous avons rassemblés, plusieurs centaines d’organisations et d’agences de toute la Grèce ont ainsi sollicité et reçu de l’aide de notre part. En plus de les dispenser à nos propres patients, nous avons envoyé médicaments et matériel, non seulement à d’autres cliniques sociales mais aussi à des hôpitaux du secteur public, aux services sociaux et aux organisations qui soignent des personnes handicapées, aux crèches, aux centres de réfugiés comme à bien d’autres entités.”

Le sens de notre époque. Presse grecque 2015
Tsípras et les siens. Athènes, 2016 (presse grecque)
Le sens de notre époque. Presse grecque 2015

“La liste est très longue, car tous ceux qui s’adressaient à nous trouvaient toujours les portes grandes ouvertes ainsi qu’une assistance immédiate de la part des volontaires de notre Centre et de tous ceux qui nous aident à fonctionner. Des milliers de personnes et d’organismes ont donné des médicaments, du matériel et des fournitures, ainsi que leur travail, tant en Grèce que depuis l’étranger.”

“Notre action a motivé la venue de nombreux journalistes de tous les coins de la planète qui nous ont visité, ainsi que des universitaires comme d’autres groupes qui souhaitaient établir des structures similaires à cette clinique gratuite que nous avons créé. Ils veulent tous savoir comment nous avons fait, comment nous travaillons. Notre Centre a aidé (et n’en doutez pas qu’il continuera à le faire) tous ceux qui ont besoin de nous, et ceci dans un esprit de solidarité et de respect de chaque être humain.”

“Hier même, au 31 mai, dans une Assemblée Générale convoquée d’urgence, nos volontaires ont décidé à ne pas céder sans lutte. Aucun de nous ne pourra plus regarder dans les yeux nos patients… si nous admettons la défaite sans résister.”

“Nous déclarons que nous ne quitterons pas les lieux et que nous résisterons à toute mesure prise pour nous empêcher l’accès jusqu’à ce qu’on trouve une alternative adéquate. Notre devoir primordial est, et sera toujours de soigner nos patients. Nous ne resterons pas les bras croisés pendant qu’on détruit devant nos yeux les fruits de sept ans de travail. Nous avons rassemblé des médicaments et du matériel médical d’une valeur de centaines de milliers d’euros. Ils ne doivent pas être réduits à devenir des déchets, mais ils doivent distribués aux patients pour rétablir ou pour améliorer leur santé. Le 14 juin nous donnerons une conférence de presse pour expliquer le fonctionnement de la clinique et la nécessité pour que notre œuvre puisse continuer.”

Ellinikón n’est pas à vendre… avec Alexis Tsípras en 2014 (presse grecque)
Notre si belle année… 2018 (presse grecque)
Le goût de la vie. Athènes, 2018
Sous un certain regard. Athènes, mai 2018

J’ai connu Yórgos Vichas en 2012 autour d’un verre de vin athénien, c’était du du temps de l’espoir encore politique, puis, c’est au MuCEM à Marseille, qu’il a été parmi nos invités parmi les plus attendus, lorsque j’ai co-organisé en 2014, une semaine consacrée à la dite “crise grecque”.

Mon ami Olivier Delorme, rapportait déjà en décembre 2016 et à son propos l’épisode suivant:

“Ce cardiologue a, dès les débuts de la crise, créé le Dispensaire social métropolitain d’Ellinikón (sur le site de l’ancien aéroport et base aérienne américaine d’Athènes, voué par le gouvernement SYRIZA à une très lucrative opération immobilière) qui, avec l’aide de médecins et de personnels de santé bénévoles, grâce à la solidarité (et, pour notre petite part, celle de mes étudiants retraités de l’Université interâges de Créteil et du Val de Marne qui m’apportent régulièrement leurs médicaments non utilisés…), soigne ceux (de plus en plus nombreux) qui, du fait des politiques coloniales germano-européennes relayées par tous les gouvernements grecs depuis 2010, ont perdu tout accès aux soins.”

“Lors de son intervention au MuCEM, Vichas raconta notamment comment le dispensaire accueillait (c’était en 2014) des diabétiques qui, faute d’insuline, étaient devenus aveugles, ou qu’on devait amputer, des cancéreux non pris en charge et dont les chances de survie étaient diminuées d’autant plus qu’ils l’étaient tardivement, etc. Voilà donc ce qu’écrit cet homme-là, aujourd’hui, à propos de Theodorakis et de Tsípras (la violence de la lettre du premier est d’autant plus significative qu’il est lié au second par des liens familiaux…).”

Míkis Theodorakis. Athènes, 2018 (presse grecque)

“À l’occasion de la lettre ouverte de Míkis à Tsípras, je me suis rappelé les moments que j’ai vécu avec Míkis en février 2012. Je vous raconte ici quelque chose qui n’est pas public, mais que j’ai vécu en première ligne et qui concerne Míkis et Tsípras.”

“Le 11 février 2012, une journée avant le vote à la Vouli (‘Parlement’) du 2ème mémorandum, nous sommes chez Míkis et nous faisons les plans pour la manifestation du jour suivant. Míkis et Glézos ont décidé de descendre à Sýntagma et de manifester avec les milliers de citoyens. Moi je devais les accompagner en tant que médecin, parce qu’ils savent tous les deux qu’ils vont être attaqués par la police. Dans les plans, il est prévu que Tsípras sorte du Parlement, devant le Soldat Inconnu, où il doit rencontrer Míkis et Glézos, puis tous les trois doivent manifester avec le peuple. L’entente entre Míkis et Tsípras se fait devant moi au téléphone. Míkis est enthousiaste !”

“Le 12 février 2012, nous sommes arrivés devant le Soldat Inconnu. Le peuple défile par centaines de milliers dans le centre d’Athènes. Police et MAT partout. Tsípras nulle part. Les MAT (CRS grecs) ne perdent pas de temps et ils jettent les premiers lacrymos sur Míkis et Glézos. Très vite Athènes est noyée sous les lacrymos. Tsípras n’est nulle part ! Après quelques heures nous rentrons au sein du Parlement avec Míkis. Accablé par les lacrymos, sur son fauteuil roulant, il crie dans l’Assemblée: ‘Assassins, aujourd’hui vous votez la mort de la Grèce’.”

Alexis Tsípras, presse grecque 2017
Le rêve des Grecs. Athènes, 2017
Monument à la mémoire des suicidés. Athènes, 2015

“C’est un des nombreux moments de cette journée où j’ai compris de quels métaux rares est forgé cet homme. Tsípras, visiblement informé que Míkis est entré dans la Vouli (‘Parlement’), sort de l’Assemblée et vient vers nous. Míkis (dans son fauteuil roulant, accablé physiquement mais avec un très bon moral et une âme d’adolescent): ‘Tu nous as vendus, on t’attendait, pourquoi tu n’es pas descendu ?’.”

“Tsípras (en costume, sans cravate, bien repassé) visiblement embarrassé, comme un gamin qu’on dispute, avec un sourire hors de propos: ‘Nous nous battons ici, Míkis’. Míkis: ‘Non Alexis, c’est dehors qu’ils se battent, le vrai combat se donne dehors à cet instant et ta place était là-bas, pas ici.’ Tsípras a bafouillé indistinctement et il s’est éloigné… Édifiant, n’est-ce pas ? Tellement édifiant ! Si nous avions su, alors, des choses comme celles-là, peut-être aurions-nous été moins dupes de l’imposture SYRIZA…”

“Comme le précise Marie-Laure Koutsaftis, Vichas répond à cette objection qu’il avait déjà raconté cet épisode sur le moment… Mais sans doute n’a-t-on pas trop voulu entendre, alors, ce genre de choses. Je me souviens de Vichas, au MUCEM, alors que l’échéance des législatives n’était pas encore fixée… Il était en effet très circonspect sur les perspectives de l’arrivée au pouvoir de SYRIZA… J’avais mis cela sur le compte de la fatigue face aux situations qu’il devait affronter, gérer… Il y avait probablement plus que cela et je n’ai pas trop voulu le voir. Plusieurs amis grecs m’avaient également mis en garde…” (blog d’Olivier Delorme, le 4 décembre 2016).

Éric Toussaint du Comité sur la dette grecque. Athènes, 2011
Monument du Soldat Inconnu. Athènes, 2018
Mémoire du… Citoyen Inconnu. Athènes, 2018

J’avais été approché par un Syriziste pour participer à un comité composé de scientifiques bénévoles entre 2014 et 2015. Ce Comité auquel Yórgos Vichas participerait également, aurait travaillé sur le thème des suicides en Grèce et plus amplement, sur celui de la mortalité directement causée par les politiques austéritaires, s’agissant en réalité d’une forme de génocide, pour reprendre la formule de Yórgos Vichas, génocide certes lent, et néanmoins nettement planifié par les tenants de l’européisme germano-compatible (entre autres).

Ce comité aurait plus exactement prolongé et complété l’excellent travail d’Éric Toussaint et de son Comité sur la dette grecque, rien que par le renforcement des données dans le but de plaider si possible un jour devant les instances internationales adéquates. Car comme le fait remarquer Éric Toussaint:

“Les dettes réclamées par la Troïka ont été contractées par ses gouvernements successifs pour mener des politiques contre les intérêts de sa population. Les gouvernements français et allemand notamment ont créé la Troïka pour prêter de l’argent à la Grèce à condition que celle-ci rembourse les intérêts aux banques privées de leurs pays respectifs et qu’elle privatise, réduise les salaires et les retraites, ferme des hôpitaux… En outre, les créanciers avaient tous les éléments pour savoir qu’ils dictaient des conditions allant à l’encontre des intérêts du peuple grec, et violant la Constitution du pays tout comme le droit international. On est presque face à une dette odieuse pure.”

La… vraie nature de l’UE (site Internet du Plan-B). Athènes, 2014-2018

Le Comité formé par Éric Toussaint a été dissous depuis le côté officiel grec et il même été littéralement expulsé par les Syrizistes de l’après juillet 2015. Et quant à notre autre Comité sur les suicides, d’ajournement en ajournement il n’a tout simplement jamais vu le jour. Depuis, j’ai été informé qu’au niveau de la Région Attique dirigé par l’opportuniste Rena Doúrou, “notre” Comité aurait été sciemment saboté depuis son propre cabinet, de même que par le surplus suffisant de SYRIZA… d’en haut.

Pour la petite histoire, le Syriziste avec qui le premier contact avait été pris dans ce but, a préféré la poursuite et la continuité de l’après 2015, et surtout son heure de gloire entre le népotisme et le clientélisme de son administration d’origine comme de sa… longue vie au sein de la “mafiaisation” alors galopante au parti de l’escroc Alexis Tsípras, lequel à mon humble avis, il aurait été “préparé” depuis bien longtemps pour ce à quoi il a été destiné finalement à servir.

Dans ce contexte, on peut alors comprendre aisément, combien cette mise à mort du Centre Social et Métropolitain d’Ellinikón constitue autant un acte de malveillance criminelle, politique et même symbolique, ainsi voulu et programmé par les marionnettes du milieu SYRIZA. Notons enfin, comme le remarque sur son blog mon ami Jean-François Aupetigendre, que le centre d’Ellinikón ne fonctionnant qu’avec des bénévoles, sans le moindre euro en caisse (c’est même une règle imposée par le docteur Vichas). Seuls les dons matériels et le temps offert sont acceptés. Justement, c’est aussi cette extraordinaire réussite de l’homme, de sa solidarité, de sa bienveillance qui a si profondément gêné, autant les Troïkans, que leurs marionnettes de la dernière gauche à Athènes comme ailleurs.

Représentations. Athènes, mai 2018
On nous regarde d’en haut. Athènes, mai 2018
La… casse d’en bas. Athènes, juin 2018

Dans Athènes, on nous regarde bien d’en haut parfois, sans trop y comprendre grand-chose dans l’attitude des humains. La nouvelle casse… d’en bas, réelle comme incarnée sous forme d’activité ludique, consiste à acquérir le droit de casser certains objets, suivant le tarif… affiché. Grand succès de la formule paraît-il auprès d’un public jeune.

La Terre finira donc par incarner sa seule histoire des minerais, des roches… et des riches, à défaut de celle de l’humanité. Et surtout celle des animaux bien entendu, plus adespotes que jamais !

Animal adespote. Péloponnèse, mai 2018

* Photo de couverture: Fouilles de jadis dans les Cyclades

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

L’Italie d’abord La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

L’Italie d’abord !

Joli monde. Aux législatives du 4 mars dernier, les Italiens ont massivement voté en faveur de deux formations lesquelles sont porteuses d’un difficile message, espérons-le constructif en dépit des hésitations : Briser le carcan européiste, si cher à Jean-Claude Juncker lequel déclarait en 2015 : “il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés”. Ce n’est pour l’instant certes qu’un message, cependant, ce qui frappe déjà les esprits tient du refus du président Mattarella de nommer Paolo Savona, 81 ans, eurosceptique déclaré, à la tête du ministère des Finances. Une fois de plus (et de trop ?) les masques tombent.

Manifestations d’antan. Athènes, années dites de crise

Nous ignorons très naturellement les suites de l’histoire, celles notamment des prochaines très probables élections en Italie ainsi provoquées par le Putsch permanent européiste pour dire les choses de leur vrai nom. Cependant, depuis Athènes, nous saisissons alors mieux qu’ailleurs, tout le sens inique de ce Putsch, initié par cette politique supposée et présentée comme étant soi-disant unique entre Berlin, Bruxelles et Paris entre autres. Lorsque par exemple Matteo Salvini, (chef du parti de la Ligue), en pleine ascension politique après les législatives du 4 mars, déclare que “les journaux et les politiciens allemands nous insultent: Italiens mendiants, fainéants, adeptes de l’évasion fiscale, pique-assiettes et ingrats. Et nous, on devrait choisir un ministre de l’Economie qui les satisfait ? Non merci ! Les Italiens d’abord”, il a raison, (propos enfin reproduits par les médias français).

Ces propos de Matteo Salvini rappellent ainsi ces déclarations, et autant situations très analogues au sujet de la Grèce, c’était en Janvier 2015. En cette lointaine époque… un certain Alexis Tsipras avait prétendu incarner réellement la Constitution du pays, autrement-dit, celle du peuple supposé souverain, ceci faisant face au diktat des institutions non-représentatives, voire, dépourvues de toute légalité en matière de Droit international, à l’instar de l’Eurogroupe, pour ne nommer que cette salle de torture du seul européisme réellement existant.

Depuis, et faisant comme on sait suite au référendum de juillet 2015, trahit par Tsipras et par sa bande d’escrocs de la coalition SYRIZA/ANEL, le petit pays a été piétiné jusqu’aux entrailles de sa dignité et ainsi vassalisé pour 99 ans, d’après la signature d’Alexis Tsipras, par les forces néo-colonisatrices européistes. Ce qui s’y applique en lieu et place de programme politique autonome, tient du génocide économique, culturel et en fin de compte démographique est toujours en cours en pleine hétéronomie.

Une fin… de l’histoire absolument planifiée, avec l’aimable participation de Tsipras, lequel à mon humble avis, tout comme à l’avis du plus grand nombre en Grèce, avait été de toute évidence… franchement “préparé” pour cette tâche, sans oublier non plus, cette “étrange” neutralisation plutôt volontaire, de l’essentiel des autres forces pseudo-politiques du pays. Joli monde !

Manifestations d’antan. Athènes, années dites de crise
Manifestante. Athènes, 2012
Cultures humaines. Fouilles dans les Cyclades

Nos amis d’Italie doivent retenir la triste leçon du cas grec pour ne pas tomber dans le même piège, quelle que soit d’ailleurs leur sensibilité politique première. N’oublions pas que le carcan européiste a placé un peu partout ses hommes et femmes marionnettes, dont ceux, occupant ces postes généralement sans pouvoir réel et encore moins légitime pour en plus outrepasser le cadre constitutionnel, à l’instar des présidents Mattarella en Italie et Pavlopoulos en Grèce. Au cas où le bon peuple “ d’en bas” fait “fausse route”, ces présidents seront toujours là, pour entraver au cas par cas, le fonctionnement encore subsistant et éventuel des institutions représentatives et démocratiques.

Les colporteurs du situationnisme européiste démâté, iront alors raconter au moyen de leurs medias que leurs contradicteurs, “tantôt de l’extrême-gauche, tantôt de l’extrême-droite incarnent alors les dangereux populismes du moment, dont la montée devrait être jugulée”. Tantôt les Tsiprosaures en 2015, tantôt ceux de la France Insoumise, en passant par la Ligue en Italie entre autres, la liste est bien longue.

Pourtant, le pire des extrémismes en Europe depuis les totalitarismes du Vingtième siècle, n’est autre que celui des institutions européistes méta-démocratiques et pratiquement soviétisées, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris. Ce n’est plus une question de gauche et de droite, en tout cas dans un premier temps, mais d’abord, de résistance comme de survie organisatrice d’un autre projet collectif, voire européen concerté à partir de zéro.

Comme le souligne Philippe Grasset, à travers son analyse sous le titre : “Du Parthénon au Colisée”, “l’Europe a le sens du symbole, ou bien est-ce l’Histoire qui choisit d’imposer aux piètres artisans de la déstructuration qu’ils sont tous les instruments et toutes les circonstances qu’il faut pour donner au symbole qui en émerge toute la force qui importe et ainsi les placer devant le spectacle des ruines qu’ils accumulent… Je l’avoue et je suis sûr que je n’étonnerai personne, je suis partisan du deuxième terme de cette alternative du symbole. Eux, les déconstructeurs qui entropisent comme s’ils étaient anthropophages, ils ne savent pas grand’chose, ni de l’art ni de la puissance du symbole ; quand on fait dans l’entropie, on reste sur sa faim et l’on finit par se manger soi-même… (…)”

Arrogance des ministrions Syrizistes. Athènes, janvier 2018
Garde Evzone Athènes, 2018
Médecins et manifestants. Athènes, années de la Troïka

“Ce qu’on veut faire avec l’Italie aujourd’hui, à peine selon une autre méthode, c’est ce qu’on fit avec la Grèce il y a trois ans. L’Histoire nous impose, avec sa Grâce sans retenue, un symbole qui court du Parthénon au Colisée, de Platon à Julien l’Apostat (…) Il résulte de ce préambule quasi-antique que l’Europe-UE parvient ainsi à mettre les deux berceaux de la civilisation dont elle se réclame dans la même crèche de son imposture.”, article daté du 28/05/2018.

Ceci-dit, tout le monde admettra que l’Italie n’a pas la petite taille démographique ou géopolitique de la Grèce, ce qui n’arrangera sans doute pas les affaires de l’élite allemande et germano compatible qui fait de l’institutionnalisme européiste une sorte de Conférence de Wannsee… alors permanente et sans cesse réactualisée. Jusqu’où ?

Ce qui reste à prouver, tient de la volonté et la persévérance des politiques en Italie, ainsi que du fait que cette même volonté de résistance et de changement constructifs, puisse être partagée par une partie du moins des élites économiques et industrielles de l’Italie, au-delà des prochaines élections législatives, probablement en Septembre. Car au contraire et en Grèce, l’ensemble de la dite élite politique, comme de celle supposée élite intellectuelle et autant économique, tout ce beau monde “ d’en haut”, a très délibérément préféré la mise à mort du pays réel, plutôt que de s’opposer au carcan infligé.

Devant le supposé Parlement. Athènes, mai 2018
Notre époque est hallucinante. Athènes, 2018
Réalités grecques. Athènes, 2018

Notre époque est ainsi largement hallucinante. La garde Evzone veille devant le supposé Parlement grec, et à Rome, c’est la garde d’honneur qui rappelle encore ce que l’Italie doit préserver de sa souveraineté et autant de son identité. En effet… “Les Italiens d’abord”, en somme, les peuples de cette Europe d’abord, où sinon c’est l’Européisme anthropophage qui détruira tout.

Ainsi, et à défaut d’une telle tabula rasa, le moindre retour à un minimum même de démocratie demeurera impossible. Car il n’y a pas de “Plan-B” possible. Dans le même ordre d’idées, la moindre supposée refonte des institutions et constitutions aux pays concernés, une… hypothétique 6ème République en France n’est que fausse route pour ne pas distinguer les évidences. Déjà, les citoyens devenus sujets européistes, devraient comprendre qu’il faut d’abord et définitivement boycotter les dites élections européennes, même si les formations politiques supposées critiques, de gauche comme d’ailleurs de droite iront encore faire campagne.

Un valet du système Karlo Kottareli du FMI devenu Président du Conseil en Italie contre la volonté du peuple Italien, rempli très exactement le rôle du banquier Papadémos, toujours non élu, et installé au poste de Premier ministre à Athènes par Berlin entre 2011 et 2012. C’est alors une période cruciale qui s’inaugure pour nos amis Italiens, lesquels doivent mieux comprendre désormais ce qui les attend, à défaut de réagir à temps.

“Non à l’euro”. Athènes, 2018
“Le cholera politique dehors. Quelle démocratie ?”. Athènes, 2018
Sous l’Acropole. Athènes, 2018

C’est-à-dire, réagir au-delà des fractures de type gauche/droite qui n’ont guère de sens devant le rouleau compresseur du totalitarisme européiste et bancocrate, réagir autant en fonction des seuls intérêts du peuple d’Italie, tout comme de sa survie alors souveraine. L’Histoire nous impose, avec sa Grâce sans retenue, un symbole qui court du Parthénon au Colisée, de Platon à Julien l’Apostat… et en même temps, les masques tombent.

Sous l’Acropole on commente l’actualité de cette Italie si proche sous un brin d’amertume et autant d’espoir. “Non, ils ne vont tout de même pas faire plier l’Italie…”.

Joli monde. Dans Athènes comme à Rome, c’est autant le moment des premiers chattons adespotes (sans maître) de l’année 2018, nos animaux si admirés et pour tout dire… mendiants, fainéants, pique-assiettes et ingrats. Les Italiens, les Grecs, les autres peuples… et les adespotes d’abord !

Chatton adespote et sa mère. Athènes, mai 2018
* Photo de couverture: Expression murale. Athènes, 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Problème technique La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Problème technique

Les démocraties dont on n’use plus depuis longtemps deviennent ridicules. C’est dans l’air du temps. Les “gouvernants”, à l’instar de la marionnette Tsakalotos au ministère des Finances, évoquent cet énième “accord technique” entre eux et la Troïka. Il ne s’agit pas d’un accord car c’est un dictat, et il n’y a rien de technique car c’est de la politique, ou plus exactement de la métapolitique. On habille les termes comme on déshabille leur sens.

Dans Athènes, ceux qui manifestent. Mai 2018

Et lorsqu’il n’y a guère d’autre langage et encore moins de logos, de raison à opposer face à l’hybris, voilà que Boutaris, le pauvre maire de Thessalonique et très largement “open socaty”, il se fait tabasser par la foule dans sa ville même. Désaccord… technique !

Dans Athènes, rue Hermès, il y a ceux qui manifestent pour dénoncer “le scandale de la viande, lié à la souffrance animale”. Et à Thessalonique le 19 mai, lors de la commémoration du génocide des Grecs du Pont Euxin (en Mer Noire) par la Turquie des années 1915 à 1923 (plus de 350.000 victimes), Yannis Boutaris, le maire dont la présence avait été jugée scandaleuse par les nombreux descendants des Pontiques à cause de certaines positions du maire considérées comme pro-turques chez les Pontiques, il a été frappé par une foule déchainée.

La situation sur le terrain grec appauvri alors dégénère et c’est alors comme un bien triste avertissement on dirait, ainsi lancé aux politiciens dont d’abord ceux de la bande à Tsipras. Les démocraties dont on n’use plus depuis longtemps deviennent même dangereuses.

Pays aux apparences pourtant paisibles, à ses concerts bien du moment, ville d’Athena aux ruines contemporaines, où on y expose les photographies d’antan. Pays ainsi splendide, aux belles matinées, lorsque par exemple celles et ceux du service de la voirie ne chôment pas, sous le curieux regard des animaux adespotes et finalement authentiques maîtres des lieux.

Ruines contemporaines. Athènes, mai 2018
Concerts du moment. Athènes, mai 2018
Sous le regard des adspotes. Athènes, mai 2018
En attendant… Athènes, mai 2018
Les eaux territoriales du tourisme de masse débordent déjà pour un mois de mai, entre les voiliers au départ des marinas de la capitale et surtout les très nombreux Airbnbiens et si fiers de l’être. Sinon, bien au cœur vidé du pays réel, les autoroutes, d’ailleurs parfois récentes sont alors désertes, la terre est en friche et les cafés… plutôt remplis !

Au pays mordu, ses messages sont ainsi de plus en plus mordants. Au bout de huit années de dite “crise grecque” le pays se transforme rapidement d’après une programmation riche en mutations et pourtant si pauvre en harmonie et en sagesse, toute proportion gardée, à l’image de notre si bas monde, lequel se représente alors même Pallas Athéna, déesse de la sagesse, de la stratégie militaire, des artisans, des artistes et des maîtres d’école, de manière fort caricaturale.

C’est ainsi un univers fort en contrastes qui est formé, dont même nos touristes finissent parfois par en saisir les dynamiques, entre autres, demeures d’il y a un siècle à Athènes, aux côtés de commerces chinois. “Athènes, ville des Arts et de l’espoir” peut-on alors lire sur un mur près de l’Acropole. Pas si certain !

Voiliers en Attique. Mai 2018
Voiliers en Attique. Mai 2018
Messages mordants. Athènes, mai 2018
Pallas Athéna. Athènes, mai 2018.
Contrastes. Athènes, mai 2018
“Athènes, ville des Arts et de l’espoir” Athènes, mai 2018

Puis, aux dernières nouvelles… si peu contrastées finalement, le “gouvernement Tsipras” se prépare à dorer la pilule de cette énième diminution des montants des retraites décidée il faut préciser en toute… technicité avec l’aimable participation de la Troïka. D’où toute… cette utopie instable quant à la date probable des futures élections législatives, entre l’automne prochain et l’année 2019, au moment le supposé mandat démocratique des Tsiprosaures irait à son terme et le pays avec.

Ces décisions de toute sorte sont ainsi adoptées actuellement et d’ailleurs en accéléré depuis que Tsipras et son cirque de SYRIZA/ANEL règnent alors en rois bouffons au pouvoir des marionnettes. Sans la moindre consultation démocratique, au détriment du pays, des droits, des règles en matière d’environnement, les gouvernants alors salissent et détruisent tout, laissant derrière eux l’odeur si nauséabonde de l’hybris.

Leur dernière décision en date, si peu présente à travers la presse, tient de ce terrible décret du ministrion de l’Énergie, ayant provoqué déjà l’indignation chez habitants et aux collectivités locales à Agrafa, région montagneuse dont l’autonomie et l’autogestion furent même respectées sous les Ottomans, c’est pour dire.

Le décret, impose sans la moindre consultation la construction de deux immenses parcs d’éoliennes, et un scandale d’après le Mouvement des citoyens pour la protection de l’environnement de la région Evritania/Agrafa. Faisant suite à plusieurs ajournements et rejets, le ministère de l’Environnement et de l’énergie, a finalement accordé la licence d’installation pour deux projets éoliens géants dans cette région d’Agrafa, ces décisions ont été signées par le ministre par simple ordonnance adressée au… Gestionnaire des Énergies, un certain Alexopoulos.

Montagnes de Thessalie. Mai 2018
Thessalie profonde. Mai 2018
Thessalie profonde. Trikala, mai 2018
Thessalie. Ville de Trikala, mai 2018.

Ceux du Mouvement des citoyens pour la protection de l’environnement de la région Evritania/Agrafa rappellent d’abord, que pour ce qui est du grand ensemble montagneux du Pinde, son cœur se situe très exactement à Agrafa. Ainsi, une économie viable et surtout intelligente dans la région, n’est alors possible qu’en mettant l’accent entre autres, sur le tourisme alternatif, sur l’agriculture et sur certaines autres activités traditionnelles.

“Seule une telle option viable peut redonner vie et ainsi espoir aux réalités humaines de la région, pour la maintenir même dans la mesure du possible au sein d’une économie nationale ayant enfin du sens.” Pauvre pays, dévasté durant la décennie 1940 entre l’Occupation et la Guerre Civile, Grèce des montagnes alors vidée de plus de 700.000 habitants et dont le coup de grâce se concrétise sous les escrocs politiques actuels.

Ces derniers, largement téléguidés (et très probablement… concrètement et correctement remerciés) par les constructeurs des éoliennes, éventuellement Allemands ; marionnettes politiques grecques faisant alors de leur… mieux. Deux grandes installations éoliennes doivent être construites aux sommets vierges de la région d’Agrafa et cela à une altitude d’ailleurs inhabituelle en Grèce comme dans le reste monde, se situant entre 1600 et 2000 mètres. L’Hybris et la démesure… qui atteignent des sommets jusque-là inimaginables.

Le tout, dans une zone très protégée et classée Natura… aux conséquences désastreuses alors incalculables, (“Quotidien des Rédacteurs” du 16 mai 2018).

Sur le pont central. Trikala, mai 2018
Vendeur de billets de loterie. Trikala, mai 2018
Souvenir du bus automatisé. Trikala, mai 2018

Pendant ce temps, à Athènes, on exhibe encore les tissus devant les dernières boutiques du genre encore ouvertes entre la rue Éole et la rue Hermès. Notre Hermès bien à nous chez Greek Crisis, fort de ses neuf mois préfèrera ainsi souvent dormir, presque autant que notre Mimi et ses quatorze ans de vie féline. Au village thessalien, Hercule, l’autre chat presque adespote, vient de retrouver mon cousin Kostas, tout juste rentrée d’Allemagne. Il n’y retournera plus, les enfants doivent se débrouiller seuls, ils n’ont guère le choix pense-t-il. Des trois enfants Kostas, deux vivent en Allemagne et le troisième près de Londres depuis la crise. C’est ainsi, en se promenant dans le village, on constate que près de la moitié des habitations sont alors fermées.

D’autres se débrouillent alors comme ils le peuvent, dans la région, certains proposent à la vente du miel trafiqué et acheté au département voisin, tout prétexte est bon pour faire vendre, la parentèle, les supposées amitiés, les devoirs largement familiaux. Survivre, c’est autant faire feu de tout bois… familial au risque même d’aggraver encore davantage certains liens. Travail… famille, patrie !

Survivalisme et clientélisme toujours, l’administration régionale s’apprête à embaucher pour quelques mois seulement, près de mille employés payés moins de 400€ par mois, histoire de faire tomber les chiffres du chômage. Ces gens… travailleurs nouveaux, seront envoyés de manière désordonnée et au-delà des supposées compétences aux différents services… lesquels n’ont même pas les chaises et les bureaux nécessaires pour les installer à ne rien faire. Revenus en sorte… d’existence !

Dans Athènes, marchands de tissu. Mai 2018
Hermès de Greek Crisis. Athènes, mai 2018
Mimi de Greek Crisis. Athènes, mai 2018

Haute actualité, drapeaux exotiques et alors réclames pour ce petit vin grec à boire si possible et seulement… en cas de grand besoin. Les démocraties dont on n’use plus depuis longtemps deviennent ridicules. C’est dans l’air du temps. Pour faire court, rappelons ici ce que le poète Yorgos Séféris avait écrit dans son journal à la date du 1er septembre 1940:

“Pour un homme de l’esprit, lorsqu’il ne peut pas dire la vérité, il devrait peut-être se résoudre au silence”. En exil durant l’Occupation des années 1940, le poète rêvait des paysages d’Attique, pendant que depuis l’Égypte ou l’Afrique du Sud constatait déjà… la mort de la civilisation européenne, occidentale. Nous y sommes toujours et pour tout dire… de manière aggravée car mondialisée.

Séféris, vivait alors avec l’exil au cœur de lui, voyageant souvent, regardant autour de lui et en lui : “J’ai maintenu ma vie, j’ai maintenu ma vie en voyageant – Parmi les arbres jaunes, selon les pentes de la pluie – Sur des versants silencieux, surchargés de feuilles de hêtre. – J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence”.

D’après une bien belle et alors juste analyse, “la terre grecque lui tend ses deux mains pour lui dire ses chimères, lui en exil au cœur de la lumière. Il apparaît dans la poésie grecque comme un solstice d’été et dans son souffle passe la douleur et la grandeur de la résurrection de l’histoire de la Grèce, antique et contemporaine”.

Drapeaux exotiques. Athènes, mai 2018
Petit vin. Athènes, mai 2018
En Attique, mai 2018

Pluie brève et fine sur Athènes dimanche soir, nos touristes n’apprécient pas vraiment il faut dire. Le pauvre maire de Thessalonique a quitté l’hôpital, dimanche soir, fort heureusement rien de bien grave tandis que deux hommes sont en état d’arrestation en rapport avec l’agression. Dans la presse, tout le monde condamne cet acte, dans la rue… c’est alors plus délicat.

Votre blog Greek Crisis, aux difficultés survivalistes que vous connaissez et qui refont alors surface en ce moment, se maintenant alors coûte que coûte, autant à travers sa phase actuelle, où d’ailleurs un problème réellement technique rend sa rédaction encore plus délicate et surtout deux fois plus demandeuse en termes de temps. J’espère le résoudre… et me résoudre à cette technicité avant la fin du mois de mai.

Les démocraties dont on n’use plus depuis longtemps deviennent ainsi ridicules. C’est dans l’air du temps, sous le regard… de notre Hermès, dit parfois le Trismégiste !

Notre Hermès, dit parfois le Trismégiste !. Athènes, mai 2018

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Grèce trois ans après l’espoir

Oiseaux migrants et fonds vautours : la Grèce trois ans après l’espoir

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Crise(s) : la Grèce à l’été 2015 sera passée en quelques jours de la «crise de la dette» à la «crise des réfugiés» sans que le marchandage auquel ce passage a donné lieu («programme d’aide» contre transformation du pays en camp de rétention ou zone d’attente à ciel ouvert, appui politique et financier apporté dans le même temps au régime dictatorial de Recep Tayyip Erdoğan) ne fasse ciller grand-monde [1].

Pour certains, la «crise des réfugiés» aura été l’occasion de faire oublier la «crise grecque», une crise chassant l’autre. Pour d’autres, le principal point commun entre ces deux événements aura été le gaspillage de fonds communautaires par l’administration hellénique [2].

Dans les deux cas, la réponse apportée par les institutions européennes révèle un usage pour le moins vicié des termes d’aide, de sauvetage, de solidarité. «Programme d’assistance» entraînant le démantèlement d’une économie, la mise en vente des actifs d’un pays, la précarisation massive de sa jeunesse et de ses classes populaires, le placement sous tutelle de son gouvernement ; «fonds d’aide» destinés à des réfugiés par ailleurs condamnés à croupir indéfiniment dans un État en faillite, à mourir en mer ou à être remis entre les mains de régimes tortionnaires ou esclavagistes [3].

Crise grecque, crise des réfugiés comme si, aussi, la partie menaçait le tout, la périphérie le centre et comme si les Grecs et les exilés (les premiers s’étant introduits dans l’Union en maquillant leurs comptes, les seconds y ayant pénétré sans titres) étaient comme tels fauteurs de trouble, porteurs de crise.

Mais de quelle(s) crise(s) parle-t-on? Si crise il y a, ne s’agit-il pas de celle du processus politique de construction européenne? La «crise des réfugiés» n’est-elle pas crise des politiques de migration et d’asile et, à travers elles, d’une certaine conception de l’État de droit? La crise grecque ne s’inscrit-elle pas par ailleurs dans le fil de la crise financière mondiale qui a éclaté en 2008? Mêmes outils et mêmes montages financiers, mêmes incitations à l’endettement des ménages, des entreprises et des États, causes aux effets semblables [4]. Une des études les plus pénétrantes consacrées à la fabrication de la «crise grecque» dans l’opinion pointe la façon dont la presse est passée en quelques semaines «d’une critique des spéculateurs à une critique des citoyens grecs» [5].

Tout se passe comme si les dirigeants européens (gouvernements, Commission, Eurogroupe, Banque centrale) avaient décidé de repousser la crise vers la périphérie géographique de l’Union et de répondre par plus de désunion et de divisions aux fractures existantes. Les expressions de «crise grecque» et de «crise des réfugiés» font apparaître comme un feuilleton périphérique ce qui est plus structurellement crise de l’Europe et crise de la finance : crise d’une Europe dont les institutions, les modes de décision [6] et les objectifs n’ont cessé, depuis le tournant de la rigueur du début des années 80 puis l’abrogation du Glass-Steagall Act et la fusion des banques de dépôt et d’investissement (1993), de se caler sur les institutions, les modes de décision et les intérêts du système financier international ; émergence conjointe d’une gouvernance cynique, tablant sur l’indifférence, la division, le repli, réduisant la politique au management [7] et ne parvenant à maintenir un statu quo fragile que par la force, comme l’atteste de nouveau depuis octobre le traitement policier et carcéral réservé aux élus catalans.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, la réponse politique à la crise financière a pris en Europe un accent étonnamment moral, plaçant au centre du débat les notions de devoir, de faute, de réparation, de responsabilité, de culpabilité ; à une époque de généralisation du recours aux mécanismes d’optimisation fiscale, d’opacité croissante des opérations financières, de multiplication des produits dérivés toxiques [8] et de corruption structurelle des élites, il est remarquable que des notions de cet ordre aient été engagées à propos d’opérations bancaires — comme si le système financier et politique s’efforçait de se refaire une moralité sur le dos des peuples. L’explication de ce phénomène peut également être recherchée dans l’histoire allemande. La position actuelle d’une Grèce à la souveraineté limitée n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celle de l’Allemagne mise sous tutelle par les gouvernements alliés et soumise à la politique dite de «rééducation». «Par cette expression dépréciative, les citoyens de la République fédérale (…), fondée en 1949 sur les ruines du nazisme, vilipendaient les efforts de dénazification imposés par les Alliés», rappelait un article récent du Monde [9] consacré au philosophe Jürgen Habermas, qui se définissait lui-même comme un «enfant de la rééducation». Les «enfants de la rééducation» que sont Wolfgang Schäuble et Angela Merkel se sont apparemment estimés en droit d’exiger que des mesures de redressement particulièrement cruelles soient prises à l’encontre d’un pays tiers, comme si la rationalité économique était là surdéterminée ou supplantée par une tout autre logique, celle de la punition et de la faute [10].

Le parallèle ne vaut que dans la mesure où il permet d’avancer une explication, psychologique et culturelle, à l’intransigeance de la position allemande [11], qui aura déterminé toutes les autres sur l’échiquier européen. Le parallélisme ne va pas au-delà. Les «fautes» de la Grèce ne sont en rien comparables à celles de l’Allemagne de la Seconde guerre. Ajoutons, comme le rappelait Éric Toussaint dès octobre 2014, qu’il était illusoire, en termes de stratégie politique, de penser qu’une conférence sur la dette grecque pût être organisée sur le modèle de la conférence de 1953 qui entraîna aux premiers temps de la guerre froide la décision d’annuler la dette de l’Allemagne [12].

Reste que l’on sera passé, au nom de la bonne gestion et de l’assainissement des finances publiques, d’une question bancaire à une question morale ; c’est cette dimension (entre «morale de l’épargne» et «éthique du travail») qui a alimenté le racisme particulier de la «crise grecque», lui a aussi donné ses accents d’indignation sincère (à l’épicerie du coin, à table, où chacun se déclarait offensé par la paresse des Grecs, leur «refus de payer leur part» : Nord vertueux et économe contre Sud dépensier, fourmis contre cigales, citoyens européens de plein droit contre «cochons» improductifs de la périphérie, etc.). Le sort de la Grèce s’est joué là : dans l’irrésolution ou la sidération initiales des dirigeants politiques, leur décision de transformer une dette privée en dette publique, dans la facilité avec laquelle les médias dominants ont ensuite relayé une lecture nationale et culturelle de l’événement au détriment d’une analyse systémique.

Ce qui est certain, c’est qu’à partir de 2015 les antagonismes de l’Union éclatent au grand jour ; l’UE apparaît chaque mois davantage comme un champ de rapports de domination et de forces, de coercition, de dépendance et d’humiliation entre pouvoir central et nations ou régions subalternes. Sans doute est-ce sous cet angle, d’abord, qu’il y a crise, dans un sens quasi-lacanien : la crise est ce moment où le semblant (unité de façade de l’Europe, déclarations de principes) ne tient plus et où le réel éclate au grand jour (mise en place par la BCE d’un chantage à l’accès à la liquidité, non-reconnaissance des scrutins, abandon criminel des réfugiés fuyant la guerre, création d’une Europe de 3e zone destinée à faire tampon entre les frontières officielles de l’UE et ses frontières réelles [13]). Le success story du gouvernement Tsipras apparaît aujourd’hui comme une énième tentative de recouvrir ce réel d’un semblant qui ne trompe plus, comme un étrange ballet de patinage artistique sur un lac dont la glace se fendille de part en part.

«Excellentes relations» entretenues entre les institutions européennes et le gouvernement hellénique, «sortie de crise» et «sortie des mémorandums», «retour sur les marchés», «efforts du peuple grec» salués par le secrétaire général de l’OCDE, «amélioration de la situation budgétaire du pays observée à la faveur de la reprise de son économie», «ensemble de réformes ambitieux» [14]… En Grèce, l’actualité est depuis plusieurs mois ponctuée par les annonces optimistes des officiels européens et du gouvernement. Si ces communiqués ont un effet certain sur les opinions publiques européennes, leur impact est bien moindre sur place, dans les quartiers populaires et les camps de réfugiés — sur celles et ceux pour qui ces politiques ne correspondent pas à des chiffres ou des déclarations mais à des données d’expérience et des problèmes d’économie ou de survie quotidiennes. Chacun sait par ailleurs que la ritournelle d’une «sortie des mémorandums» masque le fait que le gouvernement SYRIZA-ANEL a engagé la mise sous tutelle du pays jusqu’en 2060 et que la dette, après l’application de trois plans d’austérité successifs, se monte toujours à près de 180% du PIB national.

Politique-fiction. Il s’agit désormais beaucoup moins de répondre au surendettement abyssal du pays que de profiter des opportunités que ce surendettement génère en termes d’accès à la main-d’œuvre [15] et d’acquisitions à bons prix (infrastructures industrielles ou touristiques, parcs, entreprises [16]). Il s’agit dans le même temps de produire une fiction dont le seul but est d’escamoter le réel.

Les réalités dissimulées sont celles du sacrifice et de l’exploitation des classes populaires, d’une grande partie de la jeunesse, des exilés, et de l’appropriation des actifs grecs par de grands conglomérats ou des fonds vautours [17], à la faveur notamment de la politique de restructuration des banques nationales et de mise sur le marché des créances douteuses. Cette dernière opération fait bien apparaître les aboutissants du marché de la dette ; en entrant en possession de paquets de créances douteuses (les «emprunts rouges»), les dirigeants de ces fonds visent la livre de chair de l’économie réelle derrière l’abstraction et l’opacité apparentes des opérations financières ; l’objectif est de s’approprier des terrains, des immeubles, des maisons, des infrastructures et des routes. Dans le droit fil des privatisations entamées dès la capitulation de 2015 [18], la «crise grecque» et sa gestion continuent d’apparaitre comme une gigantesque opération, à l’échelle d’un pays entier, de transferts de biens, publics d’abord, mais aussi privés (résidences principales). L’intérêt de ces dettes est précisément qu’elles ne peuvent être remboursées et qu’elles devraient permettre à ces fonds vautours de faire main basse sur une partie de la fortune mobilière et immobilière nationale qui, dans ce pays à fort capital touristique, constitue souvent une véritable rente. C’est compter sans la résistance indigène : lutte menée par les collectifs s’opposant aux saisies, à Thessalonique ou Athènes, et dont les créanciers exigent du gouvernement grec la répression sans failles [19] ; combat de longue haleine des habitants de Chalcidique contre l’entreprise d’extraction Eldorado Gold, qui dépend d’un des plus grands fonds d’investissements au monde, la société BlackRock ; apparition de groupes activistes aux actions éminemment symboliques (contre, par exemple, les registres du fonds de privatisation des actifs publics, TAIPED).

Le «non» grec du 7 juillet 2015 apparaît rétrospectivement comme un geste éminemment éthique ; un geste qui, plutôt que de peser et de mesurer précisément le contexte et les risques, s’en affranchit pour affirmer un principe supérieur. Les raisons de ce refus apparaissent même peut-être plus clairement aujourd’hui ; au point où nous en étions arrivés, ce qui était en jeu était rien de moins que la possibilité de changer les choses, de cesser d’aller de concession en concession, chaque concession ouvrant la porte à la suivante et la rendant possible, définissant le terrain ou le rapport de forces sur lequel la concession suivante serait immédiatement engagée, dans un recul sans fin, à tous les niveaux de la vie sociale. Cette situation est précisément décrite à l’échelle d’une entreprise de textile par l’auteur de théâtre Stefano Massini dans la pièce 7 minutes, comité d’usine [20] : arrive un moment où l’on comprend (confusément, intuitivement) que chaque concession n’a pour objet que d’ouvrir le champ à la prochaine, qu’il n’y a pas de négociations ; le glissement conduisant à défaire l’un après l’autre tous les droits (sociaux, économiques, humains) ne connaît pas de terme.

Le jeu ne s’arrête pas à 2015 ni à la «sortie des mémorandums» annoncée aujourd’hui. Le jeu bien sûr ne s’arrête pas non plus à la Grèce. J’avais dans un texte publié il y a deux ans essayé de montrer que la capitulation de juillet 2015 agissait de manière rétroactive, pernicieuse mais malheureusement efficace sur la mémoire même de l’événement qui venait d’avoir lieu. Do not walk outside this area ; le chantage contre la Grèce, la répression contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes [21] ont pour objectif de mettre le possible hors-la-loi ; de démontrer, comme il est écrit sur l’aile des avions, qu’il est interdit de marcher au-delà de cette zone définie par les institutions de marché ; de prouver qu’il n’est pas d’autres institutions possibles que cet assemblage complexe de centres de décision politiques et financiers, européens et internationaux qui, en Grèce, dès la fin de la première phase du gouvernement Tsipras, se sont significativement autoproclamés «les Institutions» comme s’il ne pouvait y en avoir d’autres, comme s’il n’y en avait pas d’autres — ni dans le réel, ni dans le possible.

Le chantage financier auquel le peuple grec a été soumis du mois de janvier au mois de juillet 2015 n’apparaît rétrospectivement comme rien d’autre qu’une attaque massive contre le possible. Cette attaque se poursuit, aujourd’hui, partout où le possible réapparaît, s’affirme, conteste les procédures, les façons de produire, de penser, de faire et de vivre dominantes — au nom de la justice et de l’hospitalité mais aussi, trait d’une époque et d’une civilisation en bout de course, de la préservation de la nature et de l’espèce ; chacun a conscience de vivre désormais dans un monde sapant systématiquement les bases de sa propre reproduction. Comme quelques fictions nous le font entrevoir [22], la fuite en avant adoptée en guise de réponse par les tenants du statu quo n’a pas d’autre horizon que celui d’une société violente et inégalitaire, fragmentée en blocs sociaux étanches et dont les frontières (géographiques et sociales) seront (sont déjà) gardées par la violence des armes. La situation dessinée par la relégation de la Grèce et la violence faite aux migrants et aux voix dissidentes est celle d’une gestion de crise continue où les garanties et le droit peuvent être à tout moment balayés ; paysage morcelé où des formes de vie protégées coexistent (parfois sur le même trottoir, dans la même rue, le même périmètre urbain) avec des situations d’arbitraire et de violence nue. Cette «coexistence» est le trait de notre époque et ce que les intellectuels, outsiders, amateurs et perturbateurs de l’ordre établi [23] doivent s’attacher à formuler et à décrire.

La question de la dissidence est aussi celle de la création artistique, de la production de récits, de fictions et de symboles, l’époque n’étant pas seulement marquée par une confrontation des corps (émeutes, affrontements) et une confrontation d’arguments mais aussi, plus profondément, par une confrontation d’imaginaires. «La culture, énonce un graffiti photographié récemment dans le XVIIIe arrondissement de Paris, est le lieu où le pouvoir trouve toujours des complices.» Cet énoncé recoupe l’assertion de Wilfred Owen rappelée par Edward Saïd dans l’introduction à Des intellectuels et du Pouvoir : «les scribes devant la terre entière récriminent / et face à l’Etat, font allégeance.» [24] Dans la Grèce des mémorandums, les sources de financement du travail artistique sont passées en quelques années de la sphère publique aux fondations privées créés par de grandes entreprises multinationales de marine marchande ou des personnalités emblématiques de l’industrie d’avant-crise [25]. Dans ce contexte, aucune réflexion sur l’art et la pensée critique ne peut faire l’économie d’une analyse des ressources et d’une recherche de modes de financement alternatifs, démocratiques et garants d’indépendance — d’une économie de la société, radicalement distincte du modèle étatique comme de celui de l’économie de marché. Cette recherche passe aussi par une forme de précarité ou d’austérité non pas subie mais assumée et orientée selon nos désirs : une autre précarité, une autre austérité qui, au lieu de nous jeter dans les filets du travail inutile et servile, contribue à enrichir réflexion et imaginaire, à tisser des liens, des façons de vivre, de penser et de faire société éloignées du modèle consumériste. Dans un contexte post-démocratique où la langue du pouvoir est, de plus en plus, celle d’un cynisme cru, la fonction des artistes ne peut être que d’œuvrer parmi d’autres à la construction d’un autre imaginaire — d’un autre imaginaire commun, d’un imaginaire du commun, imaginaire qui n’est peut-être qu’un autre nom du possible — tension vers le futur ayant pourtant déjà une actualité et une effectivité propres.

Dans cette Europe «d’après l’espoir» et à la recherche du possible qu’évoque dans un article récent Christos Giovanopoulos [26], l’espoir est plus que jamais porté par les structures de solidarité, les collectifs locaux en réseaux, les zones à défendre ; un appel récent engageant les cinéastes à se rendre à Notre-Dame-des-Landes et à «filmer et défendre ce territoire qui bat et se bat», ce «lieu réel qui lutte pour construire des imaginaires», est à cet égard éclairant. Le théâtre peut et doit s’inscrire dans ce mouvement parti d’initiatives concrètes (dans les domaines de l’éducation, de l’alimentation, de la santé, de la culture) et d’un refus des formes verticales de délégation politique traditionnelles qui ont en Grèce démontré leur inanité. Il n’est pas certain que l’art ait en l’occurrence, contrairement aux crédos avant-gardistes d’autrefois, la moindre prééminence ; peut-être ses contours apparaissent-ils mieux lorsqu’il se positionne comme une sorte de chambre d’écho ou d’enregistrement de l’intelligence collective à l’œuvre partout où des êtres humains résistent.

Fait-on la démonstration qu’aucun autre réel n’est possible en détruisant systématiquement toutes les alternatives? La violence et la destruction ont-elles valeur de preuve? Face à cette violence et cette gouvernance de non droit, le pessimisme est-il forcément de mise? La conviction qui anime les collectifs de résistance ne peut-elle sortir paradoxalement renforcée du constat que ce système politico-financier gangrené par la corruption se trouve aujourd’hui le dos au mur et n’a plus d’autres alternatives que celles du mensonge et de la force brute?

Il est intéressant de se souvenir aujourd’hui, comme nous y invitait l’intellectuel serbe Vojin Dimitrijević au printemps 1991 [27], du pessimisme qui animait la plupart des critiques du socialisme réel avant l’effondrement du mur. Tous ces textes, écrit l’auteur en substance, étaient imprégnés d’un certain pessimisme, presque de la conviction que le système était éternel et indestructible. «Lorsqu’il y avait dans les utopies littéraires un happy end, c’était toujours pour voir les héros s’enfuir dans une oasis mystérieuse et cachée (…). Mais on n’assistait jamais à la faillite de ce système. Dans les études de politologie, les choses n’en allaient pas autrement. (…) Cette faillite était rarement envisagée comme la conséquence de facteurs intérieurs et surtout pas comme la débâcle d’un système victime de sa propre incapacité, de son inefficacité et de son abandon.»

Dans leur aveuglement et leur arrogance, les tenants du néo-libéralisme ont peut-être tendance à oublier ou à omettre que l’origine de leur pouvoir sans partage vient de l’effondrement, comme un château de cartes, d’un système qui paraissait, quelques mois encore avant son effondrement, aussi éternel et aussi indestructible que le leur. À nous d’imaginer les voies que pourrait prendre l’effondrement de l’édifice néo-libéral à partir de notre expérience, de nos besoins et de nos luttes : le néo-libéralisme est dans les faits battu en brèche et contesté à la racine partout où la société s’organise, partout où des êtres humains s’attachent à préserver le futur et la vie.

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[1] À l’exception notable de Stathis Kouvelakis dont le texte La Grèce, la frontière, l’Europe, un des plus complets et des plus éclairants de la période, relève notamment l’importance du terme de périphérie dans l’articulation entre crise grecque et crise des réfugiés et la nécessité de penser ces deux événements simultanément.

[2] C’est en particulier un des chevaux de bataille du journal Libération.

[3] Lire à ce sujet Comment l’Europe finance et légitime des régimes autoritaires pour barrer la route aux migrants et le rapport Expanding the Fortress : la politique d’externalisation des frontières de l’UE publié le 14 mai 2018.

[4] Crédits à la consommation et prêts immobiliers, création d’une bulle de la construction aux États-Unis, en Espagne comme, sous des modes différents, en Grèce, explosion des créances non-recouvrables, déstabilisation des banques à l’origine de cette politique de généralisation du crédit (auprès des classes moyennes mais aussi, comme dans le cas de la crise des subprimes, des plus pauvres).

[5] La crise grecque : un scandale manqué, par Jeremy Morales, Yves Gendron, Henri Guenin-Paracini.

[6] Opacité des prises de décision au sein de l’Eurogroupe, lobbying des grands groupes multinationaux auprès des membres de la Commission.

[7] La crise grecque : un scandale manqué, ibid., p. 13.

[8] L’exemple de la Deutsche Bank, institution bancaire la plus exposée au monde à ces avoirs potentiellement explosifs, est à cet égard particulièrement frappant.

[9] Article de Nicolas Weill du 23 février 2018.

[10] Avec des résultats proprement aberrants d’un point de vue économique.

[11] En particulier sur le chapitre de la restructuration de la dette grecque.

[12] Lire à ce sujet Pourquoi Alexis Tsipras a enterré la suspension du paiement et l’audit de la dette bien avant les élections de 2015, par Éric Toussaint, Stathis Kouvelakis, Benjamin Lemoine (3 octobre 2016), et l’entretien avec Éric Toussaint réalisé en 2014 par Tassos Tsakiroglou (journaliste au quotidien grec Le Journal des Rédacteurs), reproduit dans cet article.

[13] La Grèce, la frontière, l’Europe.

[14] «La Grèce respire», titrent Les Échos dès le 25 septembre 2017 ; «les finances grecques sont en bien meilleur état», déclare le ministre des Finances estonien, dont le pays assure alors la présidence tournante de l’UE, tandis que Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques, évoque avec une émotion feinte «la reconnaissance des terribles efforts et des sacrifices réalisés par les Grecs pour redresser leurs finances publiques». Remarquons que le terme de «réformisme» (efforts réformistes) est dans nombre de ces communiqués synonyme de casse sociale.

[15] Jeunesse formée dans les universités grecques et employée, notamment, dans le Nord de l’Europe, massivement précarisée et employée au rabais en Grèce.

[16] Lire à ce sujet cet article de N. Kadritzke et cet article de M. Orange.

[17] À propos de ces fonds, lire notamment : « Les « fonds vautours » prospèrent sur la misère en spéculant sur l’endettement des particuliers, par Éric Toussaint (11 décembre 2017) ; Appauvris par les memoranda, les Grecs vont perdre tous leurs biens, par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis (30 avril 2018). À propos de l’explosion des créances douteuses dans la Grèce des mémorandums, lire : L’ombre menaçante du FMI sur la Grèce (mai 2018).

[18] Citons parmi d’autres exemples celui des aéroports grecs cédés à l’entreprise allemande Fraport ou le cas d’OTE, premier opérateur national de téléphonie, aujourd’hui géré par Deutsche Telekom.

[19] Par des opérations policières dans l’enceinte des tribunaux mais surtout par la dématérialisation des audiences désormais appelées à se tenir sur Internet.

[20] L’Arche Editeur (2018) pour la traduction française.

[21] Lire à ce sujet : Notre-Dame-des-Landes, place aux utopies concrètes par Luc Gwiazdzinski et Olivier Frérot (Libération, 19 avril 2018).

[22] The Handmaid’s Tale, série inspirée du beau roman dystopique de Margaret Atwood, La Servante écarlate.

[23] Selon les termes d’Edward Saïd dans son recueil d’essais Des intellectuels et du Pouvoir, Seuil, 1996.

[24] Des intellectuels et du Pouvoir, Seuil, 1996, p. 15.

[25] Cf. à ce sujet Fleurs de ruines.

[26] La Grèce après l’espoir : en attendant le possible, réflexions sur le mouvement des solidarités locales, Christos Giovanopoulos, Vacarme, numéro 83.

[27] Lettre Internationale, «C’est l’autre le coupable», printemps 1991.

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L’ombre menaçante du FMI sur la Grèce

À l’occasion des Rendez-vous de printemps FMI-Banque mondiale 2018

7 mai par CADTM

Hommage au pharmacien Christoulas, suicidé politique à Syntagma. Avril 2012 – Photo MLCK.

Grèce : Bien que le Fonds monétaire international (FMI) ne soit pas entré officiellement dans le troisième mémorandum, il y a pesé de tout son poids à travers ses experts qui siègent dans les équipes d’évaluations, en imposant nouvelles baisses de retraite et de salaires et nouvelles réductions du droit du travail, en pleine communion avec le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose de faire contribuer davantage les plus faibles revenus afin de soulager les plus riches

En témoigne le commentaire de Poul Thomsen, directeur danois de la zone Europe au FMI, interrogé sur l’avenir de la Grèce après la fin du 3e programme, lors des Rendez-vous de printemps du FMI et de la Banque mondiale d’avril 2018 à Washington. « Nous n’avons pas d’objectifs précis et nous ne jouerons aucun rôle pour dire « Faites ceci ou cela », mais l’important pour le FMI est que la politique menée par la Grèce soit suffisamment compatible avec la croissance. Le redressement spectaculaire du pays a été atteint grâce à l’augmentation des impôts, mais au détriment de la croissance. Il importe donc d’élargir significativement la base d’imposition ».

« Élargissement de la base d’imposition » est un euphémisme en IMFese, l’étrange langue parlée entre eux par les experts du FMI, pour réclamer la baisse du seuil minimum d’imposition, dès fin 2018, soit une année avant la date prévue [1] par l’une des multi-lois votées par le parlement grec depuis 2015, celle de juillet 2016.

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose donc de faire contribuer davantage les plus faibles revenus afin de soulager les plus riches, trop sollicités fiscalement pour vouloir investir, dixit Poul Thomsen.

C’est au prix de politiques antisociales mortifères que la Grèce a réussi à afficher un excédent primaire de 4% pour 2017

Dans un pays où une personne sur deux vit désormais en danger de pauvreté, avec un seuil de pauvreté descendu à 376 € par mois [2], les remèdes du FMI vont contribuer à accentuer encore l’étau des impôts sur les foyers pauvres. Pourtant les dettes des contribuables augmentent chaque mois de plus d’un milliard, ainsi que le nombre de contribuables en incapacité d’honorer leurs impôts. C’est au prix de politiques antisociales mortifères que la Grèce a réussi à afficher un excédent primaire de 4% pour 2017 [3]. C’est dire combien la pression fiscale s’exerce violemment et injustement puisque, selon les déclarations du gouvernement, et comme le montrent les chiffres, les objectifs sont largement atteints, pour la troisième année consécutive.

En 2008 les créances douteuses n’étaient que de 5,5% du total des créances privées, pour exploser à partir des memoranda à 45,9% de l’ensemble des créances en 2016

Parallèlement, le FMI souligne l’importance de résoudre le problème des crédits en suspension de paiement depuis au moins 3 mois (NPL) des banques grecques, qui s’élèvent à 46,7 % de leurs actifs, en estimant que c’est le principal obstacle à la reprise du financement de la production « et à l’effacement des dernières conséquences de la crise ». Le FMI presse donc depuis le début pour accélérer les mises aux enchères, censées lutter contre la fameuse « culture du non-paiement » supposée caractériser les Grecs. Or en 2008 les créances douteuses n’étaient que de 5,5% du total des créances privées, passant à 7% en 2009 pour exploser à partir des memoranda à 45,9% de l’ensemble des créances en 2016, neuf fois plus que la moyenne de l’UE (5,1%) [4].

La guerre déclarée aux « mauvais payeurs », qui « gardent un revenu mais ne donnent pas la priorité au remboursement de leurs emprunts ou au paiement de leurs impôts », est le cheval de bataille du ministre de l’économie Tsakalotos pour justifier la mise aux enchères des résidences principales, des surfaces agricoles et des outils de production de petites entreprises, désormais chose courante au bénéfice de l’Agence autonome des recettes publiques. Cette Agence sous influence des créanciers, qui remplace le service des Impôts et le service des douanes, gère désormais les budgets des ministères. Elle procède aussi à la saisie des comptes en banque et à la mise aux enchères des biens de contribuables endettés, pour des dettes même peu importantes envers l’administration. Mais ce ne sont pas les gros fraudeurs qui sont visés, ce sont des centaines de milliers ou des millions de petits contribuables qui sont la cible de ces mesures [5] .

La docilité du gouvernement grec est garantie, sous peine de voir activer le ’sécateur’ (koftis), voté en juillet 2016

Commentant la situation grecque, Poul Thomsen a laissé en suspens la question de l’entrée ou non du FMI dans le 3e mémorandum qui arrive à sa fin en août 2018. Selon lui, le FMI doit intervenir suffisamment à temps pour bénéficier d’une évaluation (la quatrième doit démarrer en mai) qui conditionnera le versement de sa contribution. Cela lui permettrait d’augmenter la pression sur le gouvernement grec pour l’application des nouvelles mesures d’austérité, juste avant la fin officielle du troisième programme. La docilité du gouvernement grec est garantie, sous peine de voir activer le ’sécateur’ (koftis), voté en juillet 2016. Ce sécateur permet d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou un vote préalable du parlement grec, en cas de non-respect de l’objectif d’un excédent primaire (hors service de la dette) de 3,5% en 2018 et après – et donc indépendamment de la composition du gouvernement [6]. La tutelle sur la Grèce n’est pas près de se relâcher.

Notes

[1Kathimerini, samedi 21/04/2017

[2Le seuil de pauvreté est indexé sur le salaire minimum qui a été réduit de 751 € en 2009 à 586 € en 2011. Il a donc été rabaissé de 598 € par mois en 2010 à 376 €, rendant un peu moins dramatiques les statistiques sur la néo-pauvreté des Grecs. Voir en grec

[6« La pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions. »
Extrait du IIIe Memorandum of Understanding (MoU) paru dans L’Humanité du 16/07/2015, « Yanis Varoufakis met en lumière les appétits des liquidateurs de la Grèce ».

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