Mort subite La chronique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Dans cette rubrique il revient sur la situation de la clinique sociale Elliniko menacée d’expulsion et le désengagement du gouvernement actuel avec cette photo terrible   » Ellinikón n’est pas à vendre… avec Alexis Tsípras en 2014 « .

Mort subite

La Terre finira par incarner sa seule histoire des minerais et des roches, à défaut de celle de l’humanité. Énième été grec sous le nouveau régime troïkanisé depuis 2010, essor paraît-il en ce moment du tourisme, exactement sous le soleil, mais surtout en ce juin 2018… la mort subite programmée pour la Clinique Sociale et Métropolitaine d’Ellinikón. Mort autant subite que programmée après celle de la gauche, le tout, sous le cynisme intéressé du bouffon Alexis Tsípras et de sa bande. Les masques sont tombées depuis déjà longtemps.

“Urne”. Athènes, 2018

Le Centre ou Clinique Sociale et Métropolitaine d’Ellinikón, a été fondé en décembre 2011 d’après l’initiative du médecin cardiologue Yórgos Vichas, pratiquement au même moment que ce blog “Greek Crisis”. Deux besoins urgents… devenus chroniques, ceci, à travers comme vous le savez tant de chroniques consacrées à l’irracontable. (Je voudrais d’ailleurs d’emblée et à cette occasion, solliciter toute l’indulgence des lectrices/lecteurs et ami(e)s de “Greek Crisis” car votre blog n’ayant pas encore pu résoudre toutes ses difficultés techniques (comme au demeurant celles liées à sa subsistance plus chroniques que jamais), il espère toutefois pouvoir revenir à son rythme plus régulier dans ses publications d’ici une, à deux semaines).

Été… oblige, c’est à travers son communiqué en ce début de juin 2018, que la Clinique alerte ceux qui peuvent et qui veulent encore être alertés de l’ultime menace pesant ainsi sur son existence, faisant très exactement suite à la “vente” (en réalité il a été offert aux promoteurs) du site de l’ancien aéroport d’Ellinikón. Nous relayons ainsi à l’instar d’autres sites, le communiqué publié par la Clinique Sociale Métropolitaine d’Ellinikón traduit en français, d’après le texte original sur son site. “Nous disons NON et ne céderons pas sans lutte! Le 31 mai 2018, Ellinikón S.A., une agence quasi-gouvernementale, nous a adressé un avis d’expulsion. La Clinique Sociale Métropolitaine d’Ellinikón devra quitter les lieux le 30 juin 2018 au plus tard, afin qu’Ellinikón S.A. puisse transférer la propriété des terrains à ses acquéreurs formels d’après les obligations signées par les parties concernées.”

Les masques tombent. Athènes, juin 2018
Temps des luttes. Ellinikón en 2014 (presse grecque)
Alexis Tsípras dévorant… la gauche. Presse grecque, 2014

“La copie de l’avis d’expulsion avait été envoyée au Ministre aux Finances, M. Tsakalotós, au Ministre d’État M. Flabouraris, au Secrétaire Générale Coordonnateur Gouvernementale M. Papayannakos et à d’autres ministres et PDG de la Société de Privatisation des biens publics grecs (TAIPED).”

“À ce jour, on ne nous a pas proposé de solution ou d’alternative pour relocaliser notre Centre. On attend qu’on ramasse nos affaires et qu’on s’en aille avant le 30 juin. On nous a ordonné de fermer nos portes et d’arrêter immédiatement notre intense activité au bénéfice de la communauté.”

“Depuis décembre 2011 nous avons traité 7.366 patients et réalisé 64.025 consultations. Nous sommes pionniers dans le domaine du recyclage de médicaments dans notre pays et grâce aux médicaments que nous avons rassemblés, plusieurs centaines d’organisations et d’agences de toute la Grèce ont ainsi sollicité et reçu de l’aide de notre part. En plus de les dispenser à nos propres patients, nous avons envoyé médicaments et matériel, non seulement à d’autres cliniques sociales mais aussi à des hôpitaux du secteur public, aux services sociaux et aux organisations qui soignent des personnes handicapées, aux crèches, aux centres de réfugiés comme à bien d’autres entités.”

Le sens de notre époque. Presse grecque 2015
Tsípras et les siens. Athènes, 2016 (presse grecque)
Le sens de notre époque. Presse grecque 2015

“La liste est très longue, car tous ceux qui s’adressaient à nous trouvaient toujours les portes grandes ouvertes ainsi qu’une assistance immédiate de la part des volontaires de notre Centre et de tous ceux qui nous aident à fonctionner. Des milliers de personnes et d’organismes ont donné des médicaments, du matériel et des fournitures, ainsi que leur travail, tant en Grèce que depuis l’étranger.”

“Notre action a motivé la venue de nombreux journalistes de tous les coins de la planète qui nous ont visité, ainsi que des universitaires comme d’autres groupes qui souhaitaient établir des structures similaires à cette clinique gratuite que nous avons créé. Ils veulent tous savoir comment nous avons fait, comment nous travaillons. Notre Centre a aidé (et n’en doutez pas qu’il continuera à le faire) tous ceux qui ont besoin de nous, et ceci dans un esprit de solidarité et de respect de chaque être humain.”

“Hier même, au 31 mai, dans une Assemblée Générale convoquée d’urgence, nos volontaires ont décidé à ne pas céder sans lutte. Aucun de nous ne pourra plus regarder dans les yeux nos patients… si nous admettons la défaite sans résister.”

“Nous déclarons que nous ne quitterons pas les lieux et que nous résisterons à toute mesure prise pour nous empêcher l’accès jusqu’à ce qu’on trouve une alternative adéquate. Notre devoir primordial est, et sera toujours de soigner nos patients. Nous ne resterons pas les bras croisés pendant qu’on détruit devant nos yeux les fruits de sept ans de travail. Nous avons rassemblé des médicaments et du matériel médical d’une valeur de centaines de milliers d’euros. Ils ne doivent pas être réduits à devenir des déchets, mais ils doivent distribués aux patients pour rétablir ou pour améliorer leur santé. Le 14 juin nous donnerons une conférence de presse pour expliquer le fonctionnement de la clinique et la nécessité pour que notre œuvre puisse continuer.”

Ellinikón n’est pas à vendre… avec Alexis Tsípras en 2014 (presse grecque)
Notre si belle année… 2018 (presse grecque)
Le goût de la vie. Athènes, 2018
Sous un certain regard. Athènes, mai 2018

J’ai connu Yórgos Vichas en 2012 autour d’un verre de vin athénien, c’était du du temps de l’espoir encore politique, puis, c’est au MuCEM à Marseille, qu’il a été parmi nos invités parmi les plus attendus, lorsque j’ai co-organisé en 2014, une semaine consacrée à la dite “crise grecque”.

Mon ami Olivier Delorme, rapportait déjà en décembre 2016 et à son propos l’épisode suivant:

“Ce cardiologue a, dès les débuts de la crise, créé le Dispensaire social métropolitain d’Ellinikón (sur le site de l’ancien aéroport et base aérienne américaine d’Athènes, voué par le gouvernement SYRIZA à une très lucrative opération immobilière) qui, avec l’aide de médecins et de personnels de santé bénévoles, grâce à la solidarité (et, pour notre petite part, celle de mes étudiants retraités de l’Université interâges de Créteil et du Val de Marne qui m’apportent régulièrement leurs médicaments non utilisés…), soigne ceux (de plus en plus nombreux) qui, du fait des politiques coloniales germano-européennes relayées par tous les gouvernements grecs depuis 2010, ont perdu tout accès aux soins.”

“Lors de son intervention au MuCEM, Vichas raconta notamment comment le dispensaire accueillait (c’était en 2014) des diabétiques qui, faute d’insuline, étaient devenus aveugles, ou qu’on devait amputer, des cancéreux non pris en charge et dont les chances de survie étaient diminuées d’autant plus qu’ils l’étaient tardivement, etc. Voilà donc ce qu’écrit cet homme-là, aujourd’hui, à propos de Theodorakis et de Tsípras (la violence de la lettre du premier est d’autant plus significative qu’il est lié au second par des liens familiaux…).”

Míkis Theodorakis. Athènes, 2018 (presse grecque)

“À l’occasion de la lettre ouverte de Míkis à Tsípras, je me suis rappelé les moments que j’ai vécu avec Míkis en février 2012. Je vous raconte ici quelque chose qui n’est pas public, mais que j’ai vécu en première ligne et qui concerne Míkis et Tsípras.”

“Le 11 février 2012, une journée avant le vote à la Vouli (‘Parlement’) du 2ème mémorandum, nous sommes chez Míkis et nous faisons les plans pour la manifestation du jour suivant. Míkis et Glézos ont décidé de descendre à Sýntagma et de manifester avec les milliers de citoyens. Moi je devais les accompagner en tant que médecin, parce qu’ils savent tous les deux qu’ils vont être attaqués par la police. Dans les plans, il est prévu que Tsípras sorte du Parlement, devant le Soldat Inconnu, où il doit rencontrer Míkis et Glézos, puis tous les trois doivent manifester avec le peuple. L’entente entre Míkis et Tsípras se fait devant moi au téléphone. Míkis est enthousiaste !”

“Le 12 février 2012, nous sommes arrivés devant le Soldat Inconnu. Le peuple défile par centaines de milliers dans le centre d’Athènes. Police et MAT partout. Tsípras nulle part. Les MAT (CRS grecs) ne perdent pas de temps et ils jettent les premiers lacrymos sur Míkis et Glézos. Très vite Athènes est noyée sous les lacrymos. Tsípras n’est nulle part ! Après quelques heures nous rentrons au sein du Parlement avec Míkis. Accablé par les lacrymos, sur son fauteuil roulant, il crie dans l’Assemblée: ‘Assassins, aujourd’hui vous votez la mort de la Grèce’.”

Alexis Tsípras, presse grecque 2017
Le rêve des Grecs. Athènes, 2017
Monument à la mémoire des suicidés. Athènes, 2015

“C’est un des nombreux moments de cette journée où j’ai compris de quels métaux rares est forgé cet homme. Tsípras, visiblement informé que Míkis est entré dans la Vouli (‘Parlement’), sort de l’Assemblée et vient vers nous. Míkis (dans son fauteuil roulant, accablé physiquement mais avec un très bon moral et une âme d’adolescent): ‘Tu nous as vendus, on t’attendait, pourquoi tu n’es pas descendu ?’.”

“Tsípras (en costume, sans cravate, bien repassé) visiblement embarrassé, comme un gamin qu’on dispute, avec un sourire hors de propos: ‘Nous nous battons ici, Míkis’. Míkis: ‘Non Alexis, c’est dehors qu’ils se battent, le vrai combat se donne dehors à cet instant et ta place était là-bas, pas ici.’ Tsípras a bafouillé indistinctement et il s’est éloigné… Édifiant, n’est-ce pas ? Tellement édifiant ! Si nous avions su, alors, des choses comme celles-là, peut-être aurions-nous été moins dupes de l’imposture SYRIZA…”

“Comme le précise Marie-Laure Koutsaftis, Vichas répond à cette objection qu’il avait déjà raconté cet épisode sur le moment… Mais sans doute n’a-t-on pas trop voulu entendre, alors, ce genre de choses. Je me souviens de Vichas, au MUCEM, alors que l’échéance des législatives n’était pas encore fixée… Il était en effet très circonspect sur les perspectives de l’arrivée au pouvoir de SYRIZA… J’avais mis cela sur le compte de la fatigue face aux situations qu’il devait affronter, gérer… Il y avait probablement plus que cela et je n’ai pas trop voulu le voir. Plusieurs amis grecs m’avaient également mis en garde…” (blog d’Olivier Delorme, le 4 décembre 2016).

Éric Toussaint du Comité sur la dette grecque. Athènes, 2011
Monument du Soldat Inconnu. Athènes, 2018
Mémoire du… Citoyen Inconnu. Athènes, 2018

J’avais été approché par un Syriziste pour participer à un comité composé de scientifiques bénévoles entre 2014 et 2015. Ce Comité auquel Yórgos Vichas participerait également, aurait travaillé sur le thème des suicides en Grèce et plus amplement, sur celui de la mortalité directement causée par les politiques austéritaires, s’agissant en réalité d’une forme de génocide, pour reprendre la formule de Yórgos Vichas, génocide certes lent, et néanmoins nettement planifié par les tenants de l’européisme germano-compatible (entre autres).

Ce comité aurait plus exactement prolongé et complété l’excellent travail d’Éric Toussaint et de son Comité sur la dette grecque, rien que par le renforcement des données dans le but de plaider si possible un jour devant les instances internationales adéquates. Car comme le fait remarquer Éric Toussaint:

“Les dettes réclamées par la Troïka ont été contractées par ses gouvernements successifs pour mener des politiques contre les intérêts de sa population. Les gouvernements français et allemand notamment ont créé la Troïka pour prêter de l’argent à la Grèce à condition que celle-ci rembourse les intérêts aux banques privées de leurs pays respectifs et qu’elle privatise, réduise les salaires et les retraites, ferme des hôpitaux… En outre, les créanciers avaient tous les éléments pour savoir qu’ils dictaient des conditions allant à l’encontre des intérêts du peuple grec, et violant la Constitution du pays tout comme le droit international. On est presque face à une dette odieuse pure.”

La… vraie nature de l’UE (site Internet du Plan-B). Athènes, 2014-2018

Le Comité formé par Éric Toussaint a été dissous depuis le côté officiel grec et il même été littéralement expulsé par les Syrizistes de l’après juillet 2015. Et quant à notre autre Comité sur les suicides, d’ajournement en ajournement il n’a tout simplement jamais vu le jour. Depuis, j’ai été informé qu’au niveau de la Région Attique dirigé par l’opportuniste Rena Doúrou, “notre” Comité aurait été sciemment saboté depuis son propre cabinet, de même que par le surplus suffisant de SYRIZA… d’en haut.

Pour la petite histoire, le Syriziste avec qui le premier contact avait été pris dans ce but, a préféré la poursuite et la continuité de l’après 2015, et surtout son heure de gloire entre le népotisme et le clientélisme de son administration d’origine comme de sa… longue vie au sein de la “mafiaisation” alors galopante au parti de l’escroc Alexis Tsípras, lequel à mon humble avis, il aurait été “préparé” depuis bien longtemps pour ce à quoi il a été destiné finalement à servir.

Dans ce contexte, on peut alors comprendre aisément, combien cette mise à mort du Centre Social et Métropolitain d’Ellinikón constitue autant un acte de malveillance criminelle, politique et même symbolique, ainsi voulu et programmé par les marionnettes du milieu SYRIZA. Notons enfin, comme le remarque sur son blog mon ami Jean-François Aupetigendre, que le centre d’Ellinikón ne fonctionnant qu’avec des bénévoles, sans le moindre euro en caisse (c’est même une règle imposée par le docteur Vichas). Seuls les dons matériels et le temps offert sont acceptés. Justement, c’est aussi cette extraordinaire réussite de l’homme, de sa solidarité, de sa bienveillance qui a si profondément gêné, autant les Troïkans, que leurs marionnettes de la dernière gauche à Athènes comme ailleurs.

Représentations. Athènes, mai 2018
On nous regarde d’en haut. Athènes, mai 2018
La… casse d’en bas. Athènes, juin 2018

Dans Athènes, on nous regarde bien d’en haut parfois, sans trop y comprendre grand-chose dans l’attitude des humains. La nouvelle casse… d’en bas, réelle comme incarnée sous forme d’activité ludique, consiste à acquérir le droit de casser certains objets, suivant le tarif… affiché. Grand succès de la formule paraît-il auprès d’un public jeune.

La Terre finira donc par incarner sa seule histoire des minerais, des roches… et des riches, à défaut de celle de l’humanité. Et surtout celle des animaux bien entendu, plus adespotes que jamais !

Animal adespote. Péloponnèse, mai 2018

* Photo de couverture: Fouilles de jadis dans les Cyclades

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

rédaction

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