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Archives de catégorie Austérité-Neolibéralisme

Déficit de la sécurité sociale : un mensonge d’Etat

le Média : « Il n’y a eu aucune explosion des dépenses sociales. Le problème vient des ressources. Revenant sur sa parole, l’État a décidé de ne plus compenser à la Sécurité sociale les exonérations de cotisations sociales. Soit au total environ 5 milliards, c’est la cause essentielle du déficit affiché. L’État fait le généreux avec l’argent de la Sécurité sociale. Il lui impose en contrepartie de baisser les prestations. »

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Vous vous souvenez des quelques mesures « gilets jaunes » lâchées début décembre 2018 par Emmanuel Macron, alors que le pouvoir vacillait ? Presque un an après, surprise : alors que le budget de la Sécu est voté aujourd’hui à l’assemblée, on découvre que c’est la Sécu qui va payer 3 milliards de ces mesures ! Autrement dit, Macron se sert dans nos salaires pour payer ses mesures d’urgence…

[RADIO] Un entretien de Jérémie Younes avec Gérard Filoche à écouter ici : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/macron-fait-payer-les-mesures-gilets-jaunes-par-la-secu

En 2018, les inégalités et la pauvreté ont fortement augmenté en France

Par Romaric Godin

Selon l’Insee, l’indice de Gini qui mesure les inégalités devrait avoir connu en 2018 une progression inédite depuis 2011, tandis que le taux de pauvreté progresserait également. C’est le fruit direct de la politique économique et budgétaire du gouvernement.

 

C’était le 23 août 2019. Avant la réunion en grande pompe du G7 de Biarritz, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée 34 dirigeants de multinationales pour qu’elles s’engagent « à la réduction des inégalités ». Toute la novlangue néolibérale est mobilisée pour l’occasion : il faut une « coalition des entreprises » pour une « croissance inclusive » et chacun y va de son engagement, la main sur le cœur. Le lendemain, sur la côte basque, le chef de l’État assure dans son intervention sur TF1 que les sept dirigeants réunis à l’Hôtel du Palais vont « prendre des mesures concrètes » pour lutter contre les inégalités. Le thème sera pourtant absent du maigre communiqué final. Symbole d’un gouvernement schizophrène qui aggrave ce qu’il entend réparer.

Emmanuel Macron et Édouard Philippe le 8 mai 2019. © Reuters Emmanuel Macron et Édouard Philippe le 8 mai 2019. © Reuters

Deux mois plus tard, les promesses des grandes entreprises ont été oubliées, mais leurs dirigeants, eux, ont encaissé les fruits de la politique du gouvernement. Et les premières estimations de cette politique ne laissent aucun doute : sous l’effet des choix économiques d’Emmanuel Macron et Édouard Philippe, les inégalités se sont creusées dans le pays et la pauvreté a progressé. L’Insee a publié ce 16 octobre une évaluation préliminaire du coefficient de Gini pour l’année 2018, année au cours de laquelle des mesures de défiscalisation du capital et de ses revenus ont été prises en priorité, dès le 1er janvier. Ce coefficient indique le niveau de dispersion des revenus : plus il est proche de 1, plus les inégalités sont grandes, plus il se rapproche de 0, plus elles sont faibles.

En 2018, l’Insee s’attend à une progression de 0,005 point de cet indice à 0,294. En soi, ce chiffre n’est guère parlant. Mais cela ferait de 2018 l’année au cours de laquelle cet indice, et donc les inégalités, a le plus augmenté depuis 2010. Grâce à son matelas social et à son système de redistribution, la France avait en effet réussi à effacer la forte hausse des inégalités observées pendant la crise où l’indice était monté de 2009 à 2011, de 0,290 à 0,306. En 2013, l’indice était retombé à 0,288, soit un niveau inférieur à celui de 2006. Il était depuis stabilisé autour de ce niveau. Mais c’en est désormais terminé. Si l’évaluation de l’Insee se confirme, l’indice de Gini sera, en 2018, supérieur à celui de 2009. Sauf qu’en 2009, la France avait connu une contraction du PIB de 2,8 % alors qu’en 2018, elle a connu une croissance de 1,2 %. Voilà donc pour la « croissance inclusive ».

Une telle ampleur de la hausse annuelle de l’indice de Gini et donc des inégalités ne s’est rencontrée que deux fois depuis 1996, soit depuis vingt-trois ans : en 1998, au moment de la « bulle Internet » et en 2010 en conséquence de la grande crise financière. Mais cette fois, c’est une construction politique consciente. L’Insee n’en fait pas mystère : la hausse de l’indice de Gini trouve son origine dans la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), la fameuse « flat tax » qui limite à 30 % la fiscalité sur les revenus du capital. Et ce, par deux mécanismes.

Le premier est connu et évident : le PFU a réduit les prélèvements fiscaux sur ces revenus qui concernent les plus fortunés puisque ce sont eux qui étaient auparavant taxés avec des taux plus élevés. Ceci a compté pour 0,001 point d’indice. Mais surtout, en incitant au versement de dividendes pour des raisons fiscales, ce PFU a creusé encore davantage les inégalités. Les versements de dividende ont en effet fortement augmenté, concentrant la distribution avant redistribution sur les plus riches et faisant bondir l’indice de Gini de 0,004 point. Et comme la redistribution n’a plus joué, les inégalités issues de ces revenus du capital sont restées.

Évolution de la croissance de l'EBE des entreprises et de celle des dividendes versées. © Insee, note de conjoncture de juin 2019. Évolution de la croissance de l’EBE des entreprises et de celle des dividendes versées. © Insee, note de conjoncture de juin 2019.

Le PFU est donc une machine formidable à inégalités, comme nous le soulignions dès fin juin dans cet article : il concentre la richesse sur les revenus mobiliers et bloque toute redistribution. Il favorise le versement de dividendes disproportionnés au regard de la rentabilité des entreprises. Le gouvernement se vante de son succès en indiquant que le niveau de versement des dividendes lui permet de récupérer les recettes perdues par la limitation du taux. Mais comme, par ailleurs, le gouvernement ne pratique plus de politiques redistributives significatives, ce « succès » n’est pas utile à la lutte contre les inégalités.

Il ne l’est pas davantage pour le prétendu objet de ce PFU : l’investissement productif. Au reste, on ne le rappellera jamais assez, le secteur privé français ne manque pas de moyens d’investir : l’épargne des ménages est abondante et atteint un niveau record (15 %), tandis que l’épargne des entreprises est surabondante (le taux d’autofinancement des entreprises atteint 100 % de l’investissement) et la politique monétaire permet de disposer d’un accès bon marché et abondant aux crédits.

Bref, le PFU n’était pas une urgence sur le plan économique. Et ce n’est donc pas étonnant que même le très bienveillant comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital n’ait pu trouver d’éléments économiques concrets favorables à cette réforme et demande, ainsi, de la « patience »… Débarrassé de cette rationalité, il n’est donc plus que ce qu’il produit : un mécanisme de contre-redistribution visant à favoriser les classes aisées de la société.

Il est d’ailleurs important de noter que cette première estimation ne prend pas en compte, « pour des contraintes de disponibilité de données », les effets de la suppression de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune et sa transformation en simple impôt sur la fortune immobilière (IFI). Or, ces effets s’annoncent encore immense : une étude de 2019 citée par l’institut statistique a jugé qu’elle devrait creuser de 0,002 point l’indice de Gini, ce qui porterait la hausse annuelle à 0,007 point à 0,296, un niveau jamais atteint si on exclut la période 2010-2012 touchée par la crise et l’austérité des années 2010 et 2011. Bref, l’effet négatif sur les inégalités est sans doute beaucoup plus grave que ce que l’on peut aujourd’hui juger. L’estimation complète de l’indice de Gini pour 2018 sera publiée en septembre 2020.

Un changement en 2019 et 2020 ?

Reste évidemment une question : la situation va-t-elle changer avec les mesures fiscales 2019 et 2020, notamment la fin de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages et la baisse de l’impôt sur le revenu pour les contribuables soumis aux deux premières ? Une évaluation de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée le 18 octobre a permis de mettre en évidence un « rééquilibrage » des mesures vers les « classes moyennes », entendues au sens large. Selon l’IPP, ce seraient alors, sur la période 2018-2020, la partie de la population comprise entre les 25 % les plus pauvres et les 25 % les plus riches qui seraient les grands gagnants des mesures fiscales de ces trois années avec des gains de revenus disponibles autour de 3 %, tandis que les 1 % les plus riches, eux, verraient ces gains s’établir à 2 %.

Impact des mesures budgétaires de 2018 à 2020. © IPP Impact des mesures budgétaires de 2018 à 2020. © IPP

Mais cela amène une première remarque : cette politique de rééquilibrage n’est pas le fruit de la « politique du gouvernement », mais d’une crise sociale que ce gouvernement cherche à éteindre sans revenir sur ses réformes passées.

Au reste, il faut alors prendre garde : l’effet signalé par l’Insee d’un changement de comportement induit par des versements accrus de dividendes liés au PFU pourrait perdurer et augmenter d’autant les gains pour les plus riches. Ces derniers, par ailleurs, cesseront de payer l’ISF sur le patrimoine mobilier et donc réalisent de facto ce gain chaque année, même si ce gain n’est pas enregistré comme tel dans les statistiques.

Par ailleurs, comme l’a noté l’économiste de l’OFCE Pierre Madec, en euros, les gains moyens montrent encore des écarts considérables : 4 462 euros en moyenne pour les 1 % les plus riches contre 800 à 1 300 euros pour les classes moyennes. À noter enfin qu’en fin de quinquennat interviendra la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus riches.

Enfin et surtout, les grands perdants, sans aucune contradiction possible, de ces mesures sont les personnes figurant dans le premier décile, autrement dit les 10 % les plus pauvres en termes de revenus. Pour eux, les gains sont faibles et parfois même nuls ou négatifs. Ce sont eux qui participent le plus au financement des baisses d’impôts pour les classes moyennes. Soit par la pression exercée sur la dépense sociale : contemporanéité du calcul des allocations logement (1,4 milliard d’euros d’économies en 2020), la réforme de l’assurance-chômage (800 millions d’euros), la désindexation des allocations sociales… Dès lors, le verdict devrait inévitablement conduire de nouveau à un creusement des inégalités, particulièrement entre les deux extrêmes de l’échelle sociale.

Effet du budget 2018-2020 sur les ménages par déciles en euros. © IPP/ Pierre Madec (OFCE) Effet du budget 2018-2020 sur les ménages par déciles en euros. © IPP/ Pierre Madec (OFCE)

L’Insee a en effet également donné son estimation du taux de pauvreté pour 2018 et il est inquiétant puisqu’il aurait augmenté de 0,6 point à 14,7 %. Ce serait le taux le plus élevé depuis les années 1970 ! Ce taux traduit la partie de la population vivant sous le seuil de 60 % du revenu médian, autrement dit du revenu qui divise la population en deux parties égales.

Il faut cependant immédiatement relativiser cette hausse qui prend en compte la baisse des allocations logements dans le logement social mais pas la baisse des loyers qui l’a accompagnée. Le taux de pauvreté étant en effet calculé sur le revenu médian, une baisse de dépense n’est pas prise en compte alors que l’est la baisse des allocations. Notons cependant que ce calcul n’est pas incohérent : les loyers peuvent être à nouveau relevés, mais l’allocation, elle, est perdue.

Corrigé de cet élément statistique, le taux de pauvreté se situe à 14,3 %, soit une hausse de 0,2 point. Cela se traduirait cependant par une troisième année consécutive de hausse avec un taux de pauvreté qui serait le plus élevé depuis 2011 et qui n’a été dépassé qu’à deux reprises depuis vingt-trois ans : en 1996 et en 2011. Bref, malgré la correction, c’est un mauvais chiffre qui laisse 9,1 millions de personnes en France en situation officielle de pauvreté…

Là encore, on voit combien le discours du gouvernement sur les hausses de certains minima sociaux n’était que de façade. Pour la masse des plus pauvres, la situation ne s’améliore pas. D’une part parce que les transferts sociaux demeurent sous pression et, d’autre part parce que les salaires des plus fragiles progressent moins vite que les autres. L’Insee explique ainsi cette progression du taux de pauvreté par « l’augmentation du niveau de vie médian », notamment en raison de « salaires relativement dynamiques ». Mais si cette augmentation laisse davantage de personnes sous la barre des 60 % de ce niveau médian, c’est que, précisément, les revenus des plus pauvres ne progressent pas aussi vite que ceux des autres. Cela signifie donc que les hausses de revenu sont concentrées en haut de l’échelle sociale.

C’est la conséquence directe de la précarisation et de la libéralisation du marché du travail dont la raison réelle est bien de favoriser la formation « correcte » du prix. Autrement dit, la pression pour modérer les salaires les plus modestes pour les travaux les moins productifs est naturellement plus forte que sur les autres. On voit ici l’effet direct des « réformes structurelles » tant vantées par le gouvernement et d’autres… Il faut, à cela, ajouter le fait que le versement disproportionné des dividendes en 2018 en raison du PFU a conduit à cette hausse relative.

Dès lors, il est difficile de définir autrement que comme une politique clairement de classe la politique d’Emmanuel Macron. Son rééquilibrage en faveur des classes moyennes pour faire accepter par ces dernières ses réformes structurelles, du marché du travail aux retraites en passant par les privatisations et l’assurance-chômage. Mais il semble déjà possible de dire que ce quinquennat restera comme celui d’un grand changement : le renversement, sans crise économique majeure, de la dynamique des inégalités en France. Une première.

Il n’y a là rien d’étonnant : le néolibéralisme qu’Emmanuel Macron met en œuvre dans le pays avec ses certitudes économiques liées au « ruissellement » est une machine idéologique à créer des inégalités et de la pauvreté. Il favorise ouvertement sous couvert d’une illusoire « efficacité économique » les classes les plus aisées au détriment des plus fragiles. Ce phénomène s’est déjà réalisé en Suède, un des modèles de l’actuel pouvoir, où l’indice de Gini est passé entre 1990 et 2017 de 0,21 à 0,28.

Jusqu’ici, la France avait résisté en voyant ses inégalités contenues. Emmanuel Macron a fait le choix d’en finir avec cette capacité de l’économie française. Il favorise les détenteurs de capitaux mobiliers, mais il prend ainsi un risque politique considérable dans un pays qui est très peu tolérant avec le creusement des inégalités. En cela, à un moment délicat où la croissance française stagne à un niveau bas et où celle du monde s’affaisse, il joue plus que jamais avec le feu. En tout cas, une chose est certaine, il existe une raison suprême pour laquelle Emmanuel Macron n’a jamais pu se débarrasser de son qualificatif de président des riches : c’est que cette locution résume parfaitement sa politique.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/161019/en-2018-les-inegalites-et-la-pauvrete-ont-fortement-augmente-en-france?onglet=full

France : Plan d’urgence pour sauver l’hôpital public 

Lettre à Emmanuel Macron : Pour un « Plan d’urgence pour sauver l’hôpital public »

 par Collectif

Des drames se produisent, touchant toutes les catégories professionnelles de l’hôpital mais également les patients. Ces pertes de chance liées au manque de moyens sont inacceptables. On ne peut plus, vous ne pouvez plus attendre de nouveaux drames pour mettre en œuvre un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public.

M. le Président de la République Française
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg -Saint-Honoré
75008 Paris

Paris, le 26 septembre 2019

Monsieur le Président,

Le Grand débat que vous avez organisé a réclamé « plus de service public ». Il a mis au premier rang la Santé et l’Hôpital public.

Pourtant la situation sur le terrain est devenue réellement intenable : les difficultés d’accès aux soins s’accroissent, la qualité et la sécurité des soins se dégradent et nous observons l’épuisement et l’inquiétude des personnels hospitaliers.
Ces difficultés, les usagers de l’hôpital public les constatent tous les jours et en parlent dans les courriers qu’ils adressent aux directions hospitalières.

Des drames se produisent, touchant toutes les catégories professionnelles de l’hôpital mais également les patients. Ces pertes de chance liées au manque de moyens sont inacceptables. On ne peut plus, vous ne pouvez plus attendre de nouveaux drames pour mettre en œuvre un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public.

Nous, usagers de la santé et citoyens, soutenons la demande des personnels hospitaliers d’un financement supplémentaire, nécessaire pour :

  • assurer l’ouverture de lits afin que les malades puissent être hospitalisés quand c’est nécessaire et qu’ils ne passent plus des heures voire des jours à attendre couchés sur des brancards ;
  • embaucher le personnel nécessaire dans tous les services pour assurer l’accueil, la sécurité, la qualité et la continuité des soins ;
  • revaloriser les salaires des personnels hospitaliers sachant que nous sommes en 26e position sur les 35 pays de l’OCDE pour le salaire des infirmières.

L’hôpital public a besoin de réformes mais aussi et surtout de moyens pour assurer ses missions dans des conditions acceptables pour les patients et pour les soignants.

Croyez, Monsieur le Président de la République, à notre meilleure considération.

Marie CITRINI, représentante des usagers, APHP
Thomas SANNIE, représentant des usagers, APHP

Personnalités ayant signé cette lettre à la demande du Collectif inter-hôpitaux et du Collectif inter-urgences, rassemblant médecins, personnels paramédicaux et usagers :

  • Christophe ANDRE psychiatre et auteur,
  • Pierre ARDITI comédien,
  • Yvan ATTAL comédien
  • Sébastien BALIBAR, physicien membre de l’Académie des sciences,
  • Christian BAUDELOT professeur de sociologie,
  • Jean BENGUIGUI, comédien
  • Tahar BENJELLOUN écrivain,
  • Alain BERTHOZ professeur au Collège de France
  • Dominique BLANC, comédienne,
  • Richard BOHRINGER comédien
  • Romane BOHRINGER comédienne,
  • Valérie BONNETON, comédienne,
  • Jean-Philippe BOTTON président de Médecin du monde,
  • Rony BRAUMAN ancien président de Médecins sans frontières,
  • Julia CAGE, professeur d’économie,
  • Alain CAILLE professeur émérite de sociologie,
  • Stéphane CARISTAN, ancien athlète de haut niveau,
  • Philippe CAUBERE comédien auteur
  • Patrick CHENE journaliste,
  • Jérôme COMMANDEUR, comédien,
  • Daniel COSTANTINI ex-entraîneur de l’équipe nationale de handball,
  • Thomas COUTROT économiste,
  • Jérôme CREEL économiste,
  • Pierre DELION, professeur émérite de pédo-psychiatrie,
  • Marie DESPLECHIN écrivaine,
  • Brigitte DORMONT professeur d’économie de la santé,
  • Didier FASSIN professeur au collège de France,
  • Cynthia FLEURY professeur de philosophie,
  • Florence FORESTI comédienne,
  • Jean GADREY professeur honoraire d’économie ,
  • Charlotte GAINSBOURG comédienne et chanteuse,
  • Anouk GRINBERG comédienne,
  • Robert GUEDIGUIAN cinéaste,
  • Claire HEDON, présidente ATD Quart Monde,
  • François HERAN professeur au Collège de France,
  • Eric HEYER professeur d’économie,
  • Emmanuel HIRSCH professeur d’éthique médicale,
  • Georges-François HIRSCH, ancien directeur de l’Opéra national,
  • Delphine HORVILLEUR Rabin,
  • Agnès JAOUI comédienne,
  • Hélène JOLIOT-LANGEVIN, physicienne
  • Axel KAHN, ancien président d’université,
  • Sandrine KIBERLAIN,
  • Bernard LAHIRE professeur de sociologie,
  • Philippe LANCON,
  • Thierry LANG professeur de santé publique
  • Guillaume LECOINTRE professeur du muséum d’histoire naturel
  • Céline LEFEVE philosophe, directeur de la chaire « Philosophie à l’hôpital »
  • Vincent LINDON, comédien,
  • Jean-Louis LIVI comédien, producteur de cinéma,
  • LOMEPAL, chanteur,
  • Clara LUCIANI, chanteuse,
  • Claire MARIN professeur de philosophie,
  • Dominique MEDA, professeur de sociologie,
  • Gilbert MONTAGNE chanteur auteur-compositeur,
  • Gérard MORDILLAT, écrivain,
  • François MOREL comédien,
  • Gérard NOIREL, historien
  • Albert OGIEN, directeur de recherche CNRS en sociologie
  • Corine PELLUCHON professeur de philosophie,
  • Thomas PIKETTY économiste
  • Mazarine PINGEOT écrivaine,
  • Dominique PLIHON, professeur émérite d’économie
  • Denis PODALYDES comédien,
  • Pierre SALAMA, professeur émérite d’économie
  • Malik SALEMKOUR président de la ligue des droits de l’homme
  • Véronique SANSON chanteuse,
  • Fabienne SERVAN-SCHREIBER productrice de film
  • Alexis SPIRE politiste, directeur de recherche au CNRS,
  • Antoine SPIRE journaliste
  • Henri STERDYNIAK économiste,
  • Alain SUPIOT professeur émérite au Collège de France
  • Bertrand TAVERNIER réalisateur,
  • Philippe TORRETON comédien,
  • Philippe VILAIN, écrivain,
  • Michel VINAVER écrivain de théâtre,
  • Florence WEBER professeur de sociologie
  • Jacques WEBER acteur et réalisateur,
  • Frédéric WORMS philosophe

SIGNATURE sur le site CHANGE.ORG « Il faut un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public

Crises sociales, crises démocratiques, crise du néolibéralisme

Crises sociales, crises démocratiques, crise du néolibéralisme Par Romaric Godin

Le monde se hérisse de tensions sociales avec un point commun : le rejet des inégalités et de la perte de contrôle démocratique. Le moteur de la contestation pourrait bien être la perte de pertinence du néolibéralisme face aux défis du moment. En cherchant la fuite en avant, il aggrave sa propre crise et ouvre la porte à l’affrontement. 

Les militaires dans les rues de Santiago du Chili, la place Urquinaona de Barcelone en flammes, des barricades qui hérissent les rues de Beyrouth… Pendant que la France politique et médiatique se passionne pour un voile, le monde semble s’embraser. Car ces scènes d’émeutes violentes qui ont marqué les derniers jours ne sont pas isolées. Elles viennent après des scènes similaires en Équateur, en Haïti (où le soulèvement populaire se poursuit), en Irak, en Égypte, en Indonésie, à Hong Kong, en Colombie… Sans compter les mouvements moins récents au Zimbabwe, au Nicaragua, en Roumanie et en Serbie durant l’hiver dernier ou, bien sûr, le mouvement des gilets jaunes en France.

Évidemment, il est possible de ne voir dans tous ces événements que des mouvements locaux répondant à des cas précis : la pauvreté endémique en Haïti, la persistance du militarisme de la droite chilienne, la dollarisation partielle ou totale des économies équatorienne et libanaise, le refus de l’Espagne de reconnaître l’existence d’une « question catalane » ou encore l’aspiration démocratique de Hong Kong. Toutes ces explications sont justes. Mais sont-elles suffisantes ? Les mouvements sociaux ou démocratiques locaux ont toujours existé, mais qu’on le veuille ou non, la particularité du moment est bien qu’ils surgissent au même moment. Immanquablement, cet aspect contemporain des révoltes sur les cinq continents amène à penser qu’il existe bien un lien entre elles.

Le néolibéralisme veut vivre et aggrave sa propre crise

Ce lien pourrait bien se trouver dans la grande crise dans laquelle le monde est entré en 2007-2008. Au-delà de ce qu’en retiennent la plupart des observateurs, le « grand krach » qui a suivi la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, cette crise est bien plus profonde et elle s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Car ce n’est pas une simple crise financière ou économique, c’est la crise d’un mode de gestion du capitalisme, le néolibéralisme, qui se fonde sur la mise au service du capital de l’État, la financiarisation de l’économie et la marchandisation de la société.

Comme celle des années 1930 ou 1970, la crise actuelle remet en cause profondément le fonctionnement contemporain du capitalisme. Ces crises sont souvent longues et accompagnées de périodes de troubles. Comme l’a montré l’historien Adam Tooze dans Le Déluge (Les Belles Lettres, 2015), la crise de 1929 n’est pas le début d’une perturbation du capitalisme, laquelle a commencé pendant la Première Guerre mondiale et n’a réellement trouvé son issue qu’après cette Grande Guerre. Quant au néolibéralisme, il ne s’est imposé que dans les années 1990, vingt ans après le début de la crise de l’ancien paradigme.

Aujourd’hui encore, la crise est longue et s’approfondit à mesure que le néolibéralisme se débat pour ne pas mourir. Or en voulant survivre, il pousse le monde dans l’abîme. Car, certes, le néolibéralisme a survécu au choc de 2008 et il a même pu revenir après 2010 pour proposer comme solutions au monde l’austérité budgétaire et les « réformes structurelles » visant à détruire les protections des travailleurs et des plus fragiles. Mais en cherchant à rester dominant, le néolibéralisme a encore approfondi sa propre crise.

Le premier salut de ce système économique mondial a été en effet une fuite en avant dans la croissance menée principalement par un régime chinois soucieux de continuer à alimenter la demande occidentale, dont vit son système économique. Et cette fuite en avant s’est traduite par une surproduction industrielle inouïe qui n’est pas pour rien dans la dégradation brutale de la situation climatique actuelle. Quelques chiffres le prouveront aisément. La Chine produit en deux ans plus d’acier que le Royaume-Uni, qui fut longtemps le premier producteur mondial, en 150 ans et plus de ciment que les États-Unis au cours de tout le XXe siècle. Cette stratégie a échoué. Elle a conduit à un ajustement de l’économie chinoise qui a frappé directement ses fournisseurs émergents, du Brésil à l’Argentine en passant par l’Équateur et le Venezuela. Tous ont vu disparaître la manne des matières premières et ont dû ajuster leurs politiques.

L’autre moteur de la sauvegarde du néolibéralisme a été la politique monétaire conçue comme un moyen d’éviter toute relance budgétaire dans les pays occidentaux, mais qui, en réalité, n’est parvenue à sauver que le secteur financier et les grands groupes multinationaux. Ce plan de sauvetage du néolibéralisme a profondément échoué. La croissance mondiale n’a pas redécollé et la productivité est au plus bas malgré la « révolution technologique ». Le secteur privé investit trop peu et souvent mal. Depuis quelques mois, l’économie mondiale est entrée dans une phase de nouveau ralentissement.

Dans ces conditions, l’application continuelle des réformes néolibérales pour sauvegarder les marges des entreprises et les revenus des plus riches a eu également un effet aggravant. On l’a vu : les profits sont mal ou peu investis, la productivité ne cesse de ralentir et la richesse à partager est donc moins abondante. Mais puisque, pour réagir à ce ralentissement, on donne encore la priorité aux riches et aux entreprises, donc à ceux qui investissent mal ou peu, alors les inégalités se creusent encore plus. Dans cette logique, dès qu’un ajustement doit avoir lieu, on réclame aux plus modestes une part d’effort plus importante : par une taxe proportionnelle comme celle sur les appels Whatsapp au Liban, par la fin des subventions pour les carburants en Équateur ou en Haïti ou encore par la hausse du prix des transports publics au Chili. Toutes ces mesures touchent de plein fouet les besoins des populations pour travailler et générer des revenus.

Quand bien même le différentiel de croissance rapprocherait les économies émergentes de celles de pays dits plus avancés et ainsi réduirait les inégalités au niveau mondial, dans tous les pays, les inégalités nationales se creusent plus que jamais. C’était le constat que faisait l’économiste Branko Milanović dans Inégalités Mondiales (2016, traduit par La Découverte en 2018) qui y voyait un retour de la question des classes sociales. C’est donc bien à un retour de la lutte de classes que l’on assiste au niveau mondial.

Longtemps, on a pensé que la critique du néolibéralisme était un « privilège de riches », réservée aux pays les plus avancés qui ne connaissaient pas les bienfaits de ce système. D’une certaine façon, la hausse des inégalités était le prix à payer pour le développement. Et il fallait l’accepter au nom de ces populations que l’on sortait de la misère. Mais ce discours ne peut plus fonctionner désormais et c’est la nouveauté de la situation actuelle. La contestation atteint les pays émergents. Le coup d’envoi avait été donné dès 2013 au Brésil, juste après le retournement du marché des matières premières, avec un mouvement social inédit contre les mesures de Dilma Rousseff prévoyant une hausse du prix des transports publics. Désormais, la vague s’intensifie et touche des pays qui, comme le Chili, ont longtemps été présentés par les institutions internationales comme des exemples de réussite et de stabilité.

Dans ces pays émergents, le ressort du néolibéralisme s’est aussi brisé. Son besoin de croissance et de concurrence le mène dans l’impasse : alors que la croissance est moins forte, la réalité des inégalités apparaît tandis que les hausses passées du niveau de vie font perdre de la compétitivité dans un contexte de ralentissement du commerce mondial. Le mirage d’un rattrapage des niveaux de vie avec les pays les plus avancés, la grande promesse néolibérale, disparaît avec les mesures déjà citées. Aucune solution n’est proposée à ces populations autre qu’une nouvelle paupérisation.

Le retour de la question sociale

Mais le néolibéralisme n’en a que faire. Enfermé dans sa logique de croissance extractiviste et comptable, il s’accroche à ses fantômes : la « théorie du ruissellement », la courbe de Laffer ou encore le « théorème de Coase » voulant que les questions de justice distributive doivent être séparées de la réalité économique. Il le fait grâce à un autre de ses traits saillants : « l’encadrement » de la démocratie. « L’économique » ne saurait relever du choix démocratique, il doit donc être préservé des « affects » de la foule ou, pour reprendre le mot devenu célèbre d’Emmanuel Macron, de ses « passions tristes ». Mais cet enfermement est de moins en moins possible alors que les inégalités se creusent et que la crise climatique s’exacerbe. Après cinq décennies de démocratie encadrée, les populations réclament que l’on prenne en compte leurs urgences et non plus celles des « marchés » ou des « investisseurs ».

La crise actuelle du néolibéralisme a donc trois faces : une crise écologique, une crise sociale et une crise démocratique. Le système économique actuel est incapable de répondre à ce qui devient trois exigences profondes. Face à l’urgence écologique, il propose de répondre par les marchés et la répression fiscale de la consommation des plus faibles. Face à l’urgence sociale et démocratique, la réponse est l’indifférence. Car en réalité, répondre à ces demandes supposerait un changement profond de paradigme économique.

Investir pour le climat supposerait ainsi de réorienter entièrement les investissements et de ne plus fonder l’économie uniquement sur une croissance tirée par les bulles immobilières et financières. Cela supposerait donc une remise à plat complète du système de création monétaire, ce qui est en germe dans le Green New Deal proposé aux États-Unis et qui effraie tant les économistes néolibéraux. Car, dès lors, la transition climatique ne se fera plus contre les classes sociales fragilisées mais avec elles. En assurant une redistribution massive des ressources au détriment des plus riches, on donnera ainsi aux classes les plus modestes les moyens de vivre mieux sans détruire la planète. Enfin, une association plus étroite des populations aux décisions permettrait de contrôler que ces dernières ne se font pas pour l’avantage des plus riches et du capital, mais bien de l’intérêt commun. Or, c’est précisément ce que le néolibéralisme a toujours rejeté : cette capacité de la démocratie à « changer la donne » économique. Précisément ce dont le monde a besoin aujourd’hui.

Autrement dit : ces trois urgences et ces trois exigences sont profondément liées. Reposer la question sociale, c’est nécessairement aujourd’hui poser une question démocratique et écologique. Mais comme ce changement est profondément rejeté par le néolibéralisme et les États qui sont acquis à sa logique, il ne reste alors que la rue pour exprimer son besoin. C’est ce qui est sur le point de se cristalliser aujourd’hui. Selon les régions, les priorités peuvent être différentes, mais c’est bien un même système qui est remis en cause, ce néolibéralisme global. Au reste, tous les mouvements connaissent une évolution où la question démocratique et sociale se retrouve, parfois avec des préoccupations écologiques conscientes. Partout, donc, la contestation est profonde et touche au système économique, social et politique.

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux samedi 19 octobre, on voit des policiers espagnols frappant les manifestants indépendantistes catalans dans les rues de Barcelone. Sur le mur, un graffiti en catalan se détache : « aço és llutta de classe », « ceci est une lutte de classe ». Derrière la question nationale catalane s’est toujours placée la revendication d’une société plus juste et redistributive. Lorsque frappe la répression, cette réalité reprend le dessus. La volonté de reprendre le contrôle démocratique en Catalogne traduit aussi des priorités sociales et écologiques (un des condamnés par la justice espagnol, Raül Romeva, a été un élu écologiste avant de rejoindre le mouvement indépendantiste).

En France, le mouvement des gilets jaunes ne s’est pas arrêté à une simple « jacquerie fiscale » et la fin de la hausse de la taxe carbone n’a pas mis fin au mouvement. Ce dernier a remis en cause la pratique démocratique du pays et la politique anti-redistributive du gouvernement et le mouvement a même rejoint les mouvements écologistes, comme l’a montré l’occupation d’Italie 2 début octobre. Les angoisses de « fin du mois » et de « fin du monde » commencent à converger. En Équateur, la situation est assez comparable : la lutte contre la fin des subventions à l’essence a permis de mettre en avant l’ampleur des inégalités touchant les populations autochtones, lesquelles sont depuis des années en révolte contre la logique extractiviste de gouvernements à la recherche de dollars.

Au Liban, où sept personnes détiennent l’équivalent d’un quart du PIB, le rejet du plan de « réformes » prévoyant taxes pour les plus pauvres et privatisations s’est aussi accompagné d’un rejet du gouvernement qui, pourtant, regroupe l’essentiel des partis du pays. Ce lien entre mouvement social et démocratisation est également évident au Chili. À Hong Kong, la contestation démocratique contre un régime chinois qui cherche à tout prix à cacher la crise de son modèle économique a pris un tournant social évident.

Cette crise n’est qu’un début. Rien ne permet d’espérer que cette crise néolibérale se règle rapidement, bien au contraire. Aux pressions sociales vont s’ajouter les catastrophes climatiques à répétition, comme celles qu’ont connues les Caraïbes depuis quelques années, qui ne feront que dégrader les conditions sociales. Surtout, les États semblent incapables de trouver d’autres solutions que celles issues du bréviaire néolibéral. Certes, en Équateur ou au Liban, les manifestants ont obtenu satisfaction avec le retrait des projets contestés. Au Liban, une mesure redistributive, une taxe sur les bénéfices bancaires a même été accordée. Mais ces victoires sont fragiles et, comme on l’a vu, elles n’épuisent ni les problèmes sous-jacents, ni les revendications démocratiques.

Confronté à ce conflit permanent et à la contestation de son efficacité, le néolibéralisme pourrait alors se durcir et se réfugier derrière la « violence légitime » de l’État pour survivre. Comme Emmanuel Macron en France qui justifie toutes les violences policières, Pedro Sánchez en Espagne, qui n’a visité que des policiers blessés à Barcelone ce 21 octobre ou Sebastián Piñera, le président chilien invité du G7 de Biarritz en septembre, qui a fait ses annonces sous le regard de militaires comme jadis Augusto Pinochet… Ce dernier a ouvertement déclaré : « Nous sommes en guerre », à propos des manifestants. La guerre sociale devient donc mondiale et elle implique le néolibéralisme et ses défenseurs contre ses opposants.

Devant la violence de cette guerre et l’incapacité des gouvernants à dépasser le néolibéralisme, on assisterait alors à une convergence du néolibéralisme, autrement dit de la défense étatique des intérêts du capital, avec les mouvements néofascistes et nationalistes, comme cela est le cas depuis longtemps déjà dans les anciens pays de l’Est ou, plus récemment, dans les pays anglophones, mais aussi désormais en Inde et en Chine. Le besoin de stabilité dont le capital a si impérieusement besoin ne pourrait alors être acquis que par une « militarisation » de la société qui accompagnerait sa marchandisation. Le néolibéralisme a prouvé qu’il n’était pas incompatible avec cette évolution : son laboratoire a été… le Chili de Pinochet, un pays alors verrouillé pour les libertés, mais fort ouvert aux capitaux étrangers. Ce retour de l’histoire pourrait être un présage sinistre qui appelle désormais à une réflexion urgente sur la construction d’une alternative sociale, écologique et démocratique.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/211019/crises-sociales-crises-democratiques-crise-du-neoliberalisme?onglet=full

 

Grèce : 2015 une dystopie politique

2015, une dystopie politique : ce que « l’expérience grecque » nous apprend de la nature et du futur de la politique par Alexis Cuxier


(CC – Flickr – Global Justice Now)

Ce texte constitue une contribution au colloque international organisé par l’Ecole Nationale d’Architecture de Saint-Etienne en lien avec la revue d’architecture « Après la révolution », sur le thème des pratiques politiques et de leurs rapports à l’architecture, qui a eu lieu les 4 et 5 octobre 2019 à l’école Polytechnique d’Athènes. Il s’agit d’un témoignage, suivi d’une analyse, visant initialement à expliquer d’une manière simple aux étudiant.e.s présent.e.s à ce colloque ce qui s’est passé en Grèce en 2015, et à partir de là à leur donner un aperçu de ce qu’est la politique d’un point de vue marxiste ; ainsi qu’à mettre en discussion quelques-unes des propositions qui auraient permis d’éviter cette catastrophe politique et de mettre en œuvre une politique démocratique et au service des classes populaires. Je remercie Xavier Wrona, Manuel Bello-Marcano et Marianna Kontos, pour leur invitation et l’occasion qu’ils et elles m’ont donné de revenir sur cette séquence et d’essayer d’expliquer de la manière la plus simple possible cette expérience politique, dont la critique demeure cruciale pour penser de futures victoires, et des mouvements révolutionnaires à venir, en Grèce, en Europe, et ailleurs.

Introduction

Je vais parler de l’année politique 2015 en Grèce, lors de laquelle le parti de gauche radicale Syriza est arrivé en tête des élections, porté par l’espoir et la promesse d’en finir avec l’austérité et les mémorandums ; puis a formé un gouvernement avec un parti de droite souverainiste et a négocié avec l’Union européenne un premier accord, le 20 février, qui revenait à accepter la légitimité des mémorandums ; puis a organisé un référendum au sujet d’un nouvelle proposition de mémorandum, qui a vu le NON l’emporter et une nouvelle vague d’espoir se lever, pour finalement signer aussitôt un troisième mémorandum plus néfaste encore que celui que le NON populaire avait rejeté ; et enfin organiser de nouvelles élections et être réélu avec un discours du moindre mal : il ne serait désormais plus possible de faire mieux que de ratifier et gérer le traitement de choc de baisse des salaires, des pensions et des dépenses publiques prescrits par les institutions européennes. C’est une « dystopie » au sens non pas d’un récit cauchemardesque imaginaire mais d’une dystopie réalisée – du contraire de ce que le philosophe marxiste Erik Olin Wright a appelé des utopies réelles projetant des possibilités révolutionnaires à partir d’expérimentations autogestionnaires concrètes : c’est un scénario politique catastrophique qui a bien été écrit et approuvé par certains mais que beaucoup n’osaient pas imaginer, et qui est arrivé en partie à cause de ce manque collectif d’imagination du pire, qui aurait sans doute permis de mettre en échec ce scénario et d’en faire prévaloir un autre. Ce scénario dystopique est le résultat à la fois d’erreurs répétées, de renoncements progressifs et d’une trahison organisée par quelques-uns, je vais y revenir. Mais en tout cas cette dystopie réelle constitue une dynamique négative qui, depuis le passé hante le présent et le futur, parce qu’elle n’est pas métabolisée collectivement, si bien qu’elle ne cesse ensuite de produire ses effets dans la totalité du mouvement ouvrier européen, et de menacer de se répéter. Cette séquence reste pour un bon nombre de grecs et militants étrangers un mystère, et pour certains un traumatisme qui conduit à de la dénégation. C’est une séquence difficile à connaître car les principales décisions ont été prises à la Commission Européenne et au Palais Maximou, les bureaux du premier ministre, dans ces deux lieux de pouvoir obscurs qu’aucune mobilisation publique d’ampleur n’est venue éclairer et qu’aucun processus démocratique efficace n’est venu défier. J’ai pour ma part fait une enquête, académique et militante, en partant de mon expérience, que je veux pour commencer vous raconter rapidement pour expliquer de quel point de vue je vais parler.

I. Présentation

Je suis un philosophe marxiste et militant franco-grec. Avant 2015, j’avais suivi, sans y participer réellement, l’émergence du cycle de mouvements sociaux et d’auto-organisation en Grèce suite à la crise de 2008 et au premier mémorandum en 2010, ainsi que l’ascension politique de Syriza à partir de 2012. Début 2015, j’avais du temps et l’envie de m’engager autant que possible dans la tentative annoncée de rupture démocratique avec les politiques néolibérales, austéritaires et autoritaires, mises en œuvre en Grèce – et déjà à l’époque et plus encore depuis, partout en Europe. J’étais membre d’un mouvement politique de la gauche radicale, Ensemble, qui faisait partie du Front de gauche, en lien notamment avec des militants qui avaient participé aux Forum Sociaux Européens, particulièrement celui d’Athènes en en 2006, avec environ 30 000 participants. J’étais en train de travailler sur le philosophe marxiste grec Nikos Poulantzas qui à l’époque était une référence intellectuelle centrale dans Syriza, et surtout j’avais prévu la réalisation d’un livre d’entretien sur les événements politiques en cours en Grèce avec Stathis Kouvélakis, collègue marxiste franco-grec qui était à l’époque membre du Comité Central de Syriza, et suivait donc de l’intérieur les débats dans ce parti politique. De janvier à juillet 2015, j’ai passé l’essentiel de mon temps à participer puis à animer les réunions du collectif unitaire national « Avec les Grecs » à Paris et à organiser des initiatives (notamment des manifestations, depuis les premiers rassemblements début février 2015 jusqu’à la manifestation de 10 000 personnes fin juin au moment de la campagne du référendum), à faire des notes de synthèse pour mon parti et le Front de gauche ainsi que des articles sur l’évolution de la situation politique en Grèce, à chercher à faire des contacts entre la gauche anticapitaliste dans Syriza et la gauche anticapitaliste en France, à participer à des réunions d’information et des discussions militantes en France au sujet de l’expérience grecque en cours, et à réaliser les entretiens qui sont devenus le livre L’Europe, la Grèce et l’Europe néolibérale, paru à La Dispute fin 2015. Je suis venu à Athènes à deux reprises, puis durablement à partir de juin 2015 – et ai donc aussi participé autant que possible à la campagne du référendum puis, suite à la décision de certains membres du gouvernement de signer un nouveau mémorandum en dépit du NON du 5 juillet 2015, à des discussions avec celles et ceux qui, dans Syriza, ne se résignaient pas à cette décision anti-démocratique et ont choisi de quitter ce parti pour rejoindre l’opposition de gauche.

J’ai ainsi été directement témoin par exemple du fait que certains membres du gouvernement, l’essentiel des membres du comité central et bien entendu des militants de Syriza, n’étaient pas au courant des décisions de Tsipras, Varoufakis et de leur cercle rapproché ; que le cabinet du premier ministre cherchait à freiner les mobilisations dans la rue qui auraient pu déborder son agenda, et n’hésitait pas à mentir, y compris aux alliés étrangers, par exemple en faisant circuler des fausses rumeurs de coup d’État pendant la semaine de campagne du référendum afin de diffuser un climat de peur propice à la victoire du OUI (c’est seulement ensuite que j’ai compris qu’ils avaient déjà depuis longtemps décidé de signer un nouveau mémorandum quel que soit le résultat d’un éventuel référendum). J’ai été témoin que, contrairement à ce que retient l’histoire écrite par les vainqueurs, il existait bien dans Syriza et dans la population grecque des forces réelles pour mettre en œuvre des propositions alternatives, notamment le non-paiement de la dette porté au niveau institutionnel par la Commission parlementaire pour la vérité sur la dette grecque, et la sortie de l’euro portée dans Syriza notamment par la Plateforme de gauche. Mais j’ai compris ensuite comment Tsipras et Varoufakis (et d’autres) s’y sont pris pour que ce « Plan B » ne soit pas discuté et rendu public, et pour qu’au moment où ces propositions alternatives sont devenues majoritaires dans le Comité central de Syriza, la décision démocratique de changement de cap soit neutralisée, notamment en appelant sans aucune concertation à de nouvelles élections sur des bases beaucoup plus modérées qu’en janvier 2015, forçant ainsi la gauche marxiste à quitter Syriza. Pour le reste, vous pouvez lire Conversations entre adultes de Yanis Varoufakis, qui explique notamment que lui, Alexis Tsipras, Nikos Pappas, Yannis Dragasakis et d’autres avaient prévu depuis 2012 de ne pas faire ce qu’ils allaient dire (rompre avec les mémorandums) et de ne pas dire ce qu’ils allaient faire (négocier un troisième mémorandum). Depuis 2015, j’ai passé beaucoup de temps à enquêter sur qui s’était passé, notamment avec Costas Lapavitsas, économiste marxiste et ancien député de la gauche de Syriza, et Eric Toussaint, porte-parole du CADTM qui avait été le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Et aussi à discuter et écrire, dans divers cadres, sur les raisons de cet échec catastrophique pour la gauche radicale grecque mais aussi européenne, et à développer au prisme de cette expérience ma réflexion académique et militante au sujet de ce dont je vais vous parler, la question de la nature et du futur de la politique.

II. Comment expliquer la capitulation politique de 2015 ?

Mais d’abord, voici le résumé du récit, tel que je l’ai compris, et quelques enseignements. En mai et juin 2012, lors de sa première percée électorale, Syriza défend un programme politique radical, qui comprend des mesures telles que l’abrogation unilatérale des mesures d’austérité ; la suspension de paiement de la dette ou la socialisation des banques ; tandis que la question de la sortie de l’UEM reste ouverte, autour d’un point d’équilibre souvent résumé par le slogan « pas de sacrifice pour l’euro ». Cependant, la perspective d’une victoire électorale imminente ouvre une période de recentrage politique : le programme électoral de Syriza, dit de Thessalonique, prévoyait quatre points : une renégociation des contrats de prêts et de la dette publique ; des mesures sociales : rétablissement du salaire minimum, réinstauration des conventions collectives, mesures pour les plus pauvres ; la reconstruction démocratique de l’État : lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, contre la corruption, réembauche des fonctionnaires licenciés ; un plan de reconstruction productive : arrêt des privatisations, transformation de l’économie par des critères sociaux et écologiques. C’était un programme social-démocrate et keynésien modéré, mais dont l’application, dans la conjoncture politique, aurait nécessité une confrontation directe avec les institutions européennes si elle avait été vraiment soutenue par la direction de Syriza. Cependant à partir de 2012, on assiste aussi à un reflux démocratique dans ce parti, marquée par l’augmentation du pouvoir du président du parti mais aussi par un décalage croissant entre les positions politiques communes et le programme de gouvernement discuté entre les membres du cercle proche du premier ministre. Ainsi, Yanis Varoufakis a raconté ses discussions, en dehors des débats publics du parti, avec des membres de l’aile droite du parti et Alexis Tsipras, en vue de convaincre ce dernier d’abandonner définitivement l’option d’une sortie de l’euro, mais aussi de prévoir une stratégie de négociation avec les institutions européennes centrée sur la démonstration du caractère anti-démocratique de l’UE plutôt que sur la mise en œuvre de mesures unilatérales, et ce en dépit du débat dans Syriza. Vous pourrez lire à ce sujet le livre d’Eric Toussaint à paraître en novembre prochain.

C’est ce qui explique l’attitude apparemment contradictoire du premier gouvernement Tsipras lors des négociations avec l’Eurogroupe, combinant un discours affiché de contestation radicale des institutions européennes et en réalité un respect absolu des règles du fonctionnement de ces institutions (solidaire d’un frein permanent aux mobilisations dans la rue). La séquence politique de juillet 2015 s’éclaire également dans cette perspective : le référendum du 5 juillet n’avait aucunement pour objectif de légitimer des mesures de désobéissance du gouvernement grec à l’égard de la Troïka, mais de justifier un troisième mémorandum dont le principe était déjà validé de longue date, de manière directe en cas de victoire du « oui » et de manière indirecte en cas de de victoire du « non ». Ce dernier scénario ayant prévalu, le troisième mémorandum a été présenté comme la seule réponse possible du gouvernement grec à une menace d’exclusion de la zone euro dépeinte comme une catastrophe à éviter à tout prix. Et Tsipras, contre les instances du parti, a pu valider cet accord et appeler à de nouvelles élections en suscitant la scission avec l’aile gauche, réalisant ainsi le scénario européen de la « parenthèse de gauche ».

Quelles premières leçons pouvons-nous en tirer ? Il n’y aura aucune rupture avec le néolibéralisme dans le cadre d’un gouvernement de gauche sans : une organisation vraiment démocratique pour éviter l’autonomisation des dirigeants ; des mobilisations sociales massives qui osent s’opposer le cas échéant à un parti ou un gouvernement même de gauche radicale, et l’intensification des formes d’auto-organisation autogestionnaires y compris dans cette période ; une confrontation assumée avec les institutions européennes, sans s’interdire la rupture avec l’UEM et l’UE et en faisant du vote populaire (par exemple par référendum) la base de toute décision. Dans cette perspective, les partis de « gauche radicale » sont très loin d’être à la hauteur, y compris en France et en Espagne par exemple.

III. De la lutte des classes conduite par les capitalistes, et particulièrement du cas de la Grèce, ainsi que des moyens d’une contre-offensive populaire

Ce à quoi nous avons eu à faire en 2015 est un épisode du drame néolibéral, c’est-à-dire de l’offensive politique mondiale, initiée à la fin des années 1970 par la classe capitaliste pour préserver les conditions de l’accumulation du capital, neutraliser les droits acquis par les travailleurs dans la période précédente et aussi cadenasser son hégémonie, mise à mal par la crise de 2007-2008 et par le nouveau cycle de mouvements sociaux post-crise – notamment en Grèce les formes d’auto-organisation et de mobilisation dont on a parlé hier [durant le colloque]. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’instrumentalisation politique de la dette publique grecque par la Troïka (BCE, Commission européenne, FMI) et les mémorandums successifs : il s’agissait d’un point de vue économique de sauver les grandes banques européennes (et notamment la BNP), détentrices de titres publics de l’Etat grec, sans passer par une injection directe de milliards de dollars – ce qui aurait été trop impopulaire étant donné l’instabilité sociale et politique croissante en Europe. La Troïka a donc préféré racheter ces titres, sauvant ainsi les grandes banques, tout en profitant de cette nouvelle position de créancier pour pouvoir imposer un traitement de choc austéritaire à la Grèce (baisse des salaires, des pensions et des dépenses publiques), et ainsi accroître aussi les conditions de la prédation capitaliste en Grèce. Cette position de créancier était aussi une aubaine pour prévoir des privatisations de grande ampleur et un pillage capitaliste des ressources naturelles et publiques grecques, à la manière dont le FMI a organisé par exemple l’endettement économique et la domination politique en Amérique latine ou en Afrique dans la période précédente. La grande différence était qu’en l’occurrence, la Grèce était membre d’une institution supranationale dans laquelle elle était déjà liée aux créanciers, l’Union européenne, dont les règles et le fonctionnement ont constitué le moyen institutionnel de cette exploitation économique et de cette domination politique. D’un point de vue politique, c’est clair, depuis 2010, la Grèce n’est plus une démocratie parlementaire comme les autres : les créanciers peuvent piloter directement les dimensions essentielles des politiques nationales et contrôler directement s’ils le souhaitent les administrations publiques. D’un point de vue économique, c’est un peu technique, je pourrai y revenir dans la discussion, mais retenons fondamentalement qu’il y en Europe un centre économique, l’Allemagne, la France et le nord de l’Italie, et deux périphéries qui sont dominés par ce centre : la périphérie de l’Est et la périphérie du Sud, dont fait partie la Grèce. Dans le développement inégal et combiné des économies européennes, c’est le capitalisme allemand et français qui a gagné le plus grâce aux règles de l’Union européenne tandis que ces sont les travailleurs du Sud (comme en Grèce) qui ont perdu le plus. Ce n’est pas un hasard, puisque les institutions européennes, pour la grande majorité non-élues, sont le quartier général des capitalistes en Europe, et notamment du capitalisme allemand et français, qui leur sert à assurer leur exploitation économique et leur domination politique mais aussi à coordonner spatialement et temporellement les décisions politiques qui les avantagent. Et en Grèce, il y a beaucoup à gagner pour les capitalistes européens, américains et chinois, avec des projets d’extraction de pétrole et de gaz naturel de très grande ampleur, et un enjeu géopolitique majeur, avec des bases de l’OTAN stratégiques en cas de conflit dans le Proche Orient et un point de contrôle fondamental de l’immigration vers l’Europe – l’expérience grecque ayant aussi permis à l’Union européenne (avec le concours du gouvernement Syriza-Anel) de marchander les accords inhumains sur le contrôle des flux migratoires avec la Turquie de 2016.

Que pouvait faire le gouvernement Syriza, alors, et que devrait faire un gouvernement qui voudrait vraiment en finir avec ce pillage, cette exploitation et cette liquidation de la démocratie aussi bien représentative par le Parlement que directe par l’auto-organisation populaire ? La seule manière d’améliorer la situation des classes populaires et d’en finir avec l’austérité et le néolibéralisme autoritaire est d’arrêter de négocier avec l’ennemi et de sortir de la logique du moindre mal qui est en réalité la même que celle de la gouvernance néolibérale ; et de rompre donc avec tous les engagements capitalistes internationaux et nationaux pour mettre en œuvre des mesures unilatérales, offensives et défensives, en appelant d’autres pays à nous rejoindre. Dans le cas de la Grèce, il s’agissait donc par exemple, pour les mesure offensives, de cesser immédiatement la mise en œuvre des mémorandums (et donc rehausser les salaires, les pensions et les dépenses publiques sans négociation avec l’UE) et de ne pas payer les créanciers de la dette publique (déjà plus que remboursée si on ne compte pas les intérêts), afin de privilégier immédiatement le financement de la redistribution des richesses aux plus pauvres, puis d’abolir la partie illégale, illégitime, insoutenable et odieuse après un audit citoyen de la dette publique. Et pour les mesures défensives, de contrôler les flux de capitaux pour éviter que les capitalistes grecs ne vident toutes les caisses et échappent à une forte taxation pour redistribuer aux pauvres ; ou encore de la sortie de l’euro et du retour à une monnaie nationale, pour éviter ce qui s’est passé effectivement le 5 février 2015, c’est-à-dire la décision brutale de la Banque centrale européenne (la meilleure amie des banques privées et des multinationales en Europe, qui les inonde de milliards d’argent sans aucun compte politique à rendre) d’amputer de moitié l’accès de la Grèce à l’euro, la menaçant de faillite dans les six mois et lui permettant de continuer le chantage politique. Vous trouverez ce genre de propositions dans le document collectif, élaboré par des militants de toute l’Europe, « Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe ». Mais vous avez compris l’idée : puisque les capitalistes nationaux et internationaux font la guerre aux classes populaires, un gouvernement populaire doit non pas négocier avec les forces capitalistes sur son territoire et à l’étranger, mais s’en défendre et les attaquer…sinon il n’y aura ni liberté ni égalité, mais même pas un peu plus de pain et de rose pour les classes populaires.

Du point de vue des mouvements sociaux, cela implique de ne pas séparer le social, l’économique et le politique en abandonnant ce dernier à des partis ou instances non démocratiques dans lesquels des coups de force et manipulations peuvent avoir lieu dans le dos de la population. Donc, tout en s’auto-organisant dans les lieux de travail, de vie et dans la rue pour répondre aux besoins et projets immédiats, il s’agit d’intervenir activement et de manière autonome dans la sphère politique, par la mise en place de services publics autogérés et contre-institutions, par des grèves et blocages, des processus constituants, aussi des élections mais à condition qu’il y ait un contrôle populaire direct et systématique, etc. Tant que les plus démocrates des citoyens et des militants désertent l’arène politique, nous aurons des Syriza, mais aussi d’autres partis de la gauche dite radicale en Europe, où il n’y aura aucun contrôle collectif des personnes en situation de responsabilité, aucun véritable processus démocratique, aucune base populaire en réalité, et aussi aucune véritable imagination politique. Et il n’y aura jamais d’amélioration des conditions de vie des classes populaires ni de véritable démocratie. Cette élaboration d’une culture politique et d’une exigence démocratique effective et active (pas seulement délégataire en critiquant les institutions autoritaires pour mieux se replier sur soi-même) dans les mondes du travail et les mouvements sociaux me paraît une des grandes leçons de l’expérience grecque, d’un point de vue marxiste.

Conclusion

Si la séquence politique autour de Syriza a été catastrophique, c’est aussi parce que l’ascension politique de Syriza a été concomitante du déclin du cycle d’auto-organisation populaire qui a suivi 2008, à cause toujours de la conjonction entre une attitude délégataire des mouvements sociaux et une attitude de mépris de la part de la direction de Syriza. Pendant ce temps, rien de fort, durable et sérieux n’avait été préparé et organisé concrètement pour réagir ni au renoncement du gouvernement de Syriza, ni à la trahison du référendum par la signature du troisième mémorandum, ni à la gestion sécuritaire et répressive de l’arrivée de nouveaux migrants, qui a été mise en œuvre déjà sous Syriza, ni pour faire face à l’attaque brutale contre les migrants et les milieux autonomes mis en œuvre dès son arrivée au pouvoir par le gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis. Le moment aujourd’hui semble à l’improvisation pour sauver les meubles, les mouvements sociaux étant ainsi eux-mêmes conduits à adopter malgré eux cette gouvernementalité néolibérale du moindre mal. Il ne s’agit pas de donner des leçons mais de repérer des tendances, et aussi de faire des propositions : tout ce que fait le remarquable mouvement d’auto-organisation populaire en Grèce est utile et nécessaire mais, face à un néolibéralisme autoritaire qui n’est plus prêt à aucune concession, il faut se poser à nouveau la question du pouvoir – sinon les résistances mêmes finiront par disparaître.

Ce serait la dystopie réelle du capitalisme néolibéral menée à son terme – en Grèce, sans doute sous la forme d’un fascisme de collaboration avec les grandes puissances capitalistes étrangères prédatrices du travail et destructrices de la nature ; ce vers quoi le gouvernement Mitsotakis, mais aussi malgré lui le gouvernement Tsipras, auront constitué des étapes. Pour reprendre l’image de Walter Benjamin, c’est ce train catastrophique qui est en marche vers la falaise, et la révolution doit commencer par freiner cette catastrophe, par tous les moyens. À défaut d’être encore en situation de poser la question d’une transition après la révolution, fenêtre qui s’est bel et bien ouverte de 2008 à 2015 en Grèce et que la dystopie politique Syriza a refermé, il faut à nouveau avoir la patience et la détermination de se poser de nouvelle manière, une nouvelle fois, la question de la transition vers la révolution.

Auteur.e  Alexis Cukier membre d’Ensemble ! et du réseau ERENSEP (European Research Network on Social and Economic Policies)

Il sont osé : Exarcheia, Rojava, Zad de l’Amassada, les oliviers en Crète

Comprendre notre impuissance politique par Yannis Youlountas 10/10/19

Ces jours-ci, le pouvoir nous attaque partout simultanément : armada policière dans Exarcheia depuis fin août, attaque militaire contre le Rojava depuis trois jours, expulsion de la ZAD de l’Amassada dans l’Aveyron il y a 48 heures et début de l’arrachage des oliviers de Kastelli en Crète hier matin.

COMPRENDRE NOTRE IMPUISSANCE POLITIQUE

Alors qu’à Athènes, le quartier rebelle et solidaire d’Exarcheia reste partiellement occupé par la police et tente de résister aux tentatives d’évacuation des squats et autres lieux autogérés, nous vivons partout ailleurs une semaine désastreuse pour nos luttes sociales et environnementales, en particulier dans nos poches de résistance.

Le Rojava, seule enclave antifasciste et féministe au Proche-Orient, est aujourd’hui sous les bombes. Les blindés du dictateur Erdogan viennent de franchir la frontière avec la bienveillance de Trump pour écraser l’expérience antiautoritaire et écologiste Kurde, au prétexte de créer une zone de sécurité pour un million de réfugiés syriens. Erdogan ose appeler cette opération « Source de paix ». Simultanément, alors qu’il retire ses troupes au nord du Rojava, Trump en rajoute à l’inverse sur les bases américaines en Grèce et offre ses services à Mitsotakis pour renforcer la surveillance des anticapitalistes athéniens avec ses grandes oreilles militaires. Le père de Mitsotakis était, lui aussi, proche de la CIA et avait facilité l’arrivée au pouvoir de la junte des Colonels dans les années 1965-1967.

En France, une ZAD de plus vient de tomber, mardi matin : la commune libre de l’Amassada dans l’Aveyron qui résistait contre un immense projet de transfo sur un site sauvage magnifique en montagne. Malgré les renforts de dernière minute, rien n’a pu empêcher les 200 gendarmes mobiles et leurs blindés de prendre le contrôle de la zone, avec l’appui d’un hélicoptère et de plusieurs drones. Plus à l’ouest, un projet de barrage en forêt de Sivens est à nouveau à l’ordre du jour, cinq ans après la mort de Rémi Fraisse.

En Crète, ce qu’on craignait de longue date vient d’arriver avec les premières pluies : les bulldozers ont surgi hier matin à l’aube à Kastelli, prenant de vitesse tout le monde, et ont commencé à arracher des centaines d’oliviers sur les 200.000 condamnés pour faire place à un projet d’aéroport insensé. Des compagnons de lutte et des photographes sur place ont été menacés, visés et expulsés hors de la zone des travaux, la police allant jusqu’à casser du matériel vidéo et détruire les prises de vue. La zone est quadrillée depuis hier matin. L’effet de surprise a été terrible.

Le problème à la racine

Alors, pourquoi nous échouons partout ? Pourquoi, tôt ou tard, le pouvoir et ses valets parviennent à nous empêcher d’expérimenter autre chose, de nous organiser autrement et de défendre la Terre qui se meurt ?

Tout simplement parce que nous sommes naïfs (et je m’inclus dans le lot). Nous ne retenons pas assez les leçons de l’Histoire et poursuivons nos répétitions passées qui n’ont jamais rien apporté ou si peu. Nous ne prenons pas assez à la racine les problèmes et n’allons pas jusqu’au bout de la démarche nécessaire pour les résoudre définitivement.

Alors que partout dans le monde, le pouvoir nous écrase, nous appauvrit, nous humilie, nous reprend nos conquêtes sociales, nous crève les yeux, nous enferme, nous affame, nous bombarde, nous empêche de filmer, nous menace, nous frappe, nous tue et détruit la Terre, morceau par morceau, nous réagissons comme s’il était encore possible de discuter et de négocier avec notre agresseur récidiviste.

Nous nous comportons comme si nous avions oublié que le pouvoir a toujours agit ainsi et continuera tant qu’il le pourra. Ses variantes dans le temps et l’espace ont commis les pires atrocités sous toutes les formes possibles et avec tous les prétextes imaginables. Toute l’Histoire de l’humanité est là pour en témoigner.

La valse des tyrans

Aujourd’hui, on parle plus de Trump et de Erdogan, un autre jour de Mitsotakis, un autre encore de Macron, puis de Bolsonaro, Assad, Poutine, Merkel, Johnson, Junker, Salvini, Rohani, Netanyahou, Kim Jong il, Al Saoud ou encore Xi Jinping, et ainsi de suite, en oubliant que le problème n’est pas seulement l’une ou l’autre de ces personnes, haïes tour à tour, mais surtout ce qu’elles incarnent, les moyens colossaux dont elles disposent au sommet de l’État et l’attitude engendrée par leur position.

Autrement dit, le problème de fond, encore et encore, et aujourd’hui plus que jamais, c’est le pouvoir.

C’est parce que nous n’allons pas jusqu’au bout, dans notre refus du pouvoir, que continuons de subir la valse des tyrans d’un bout à l’autre du globe, d’années en années, de siècles en siècles. Les visages changent, mais le problème reste le même. Un problème simple : des gens se posent en chefs, encouragés par nos propres erreurs et se permettent de décider à notre place de nos vies.

Mais ce n’est pas tout : ces gens au pouvoir, ces VIP qui s’amusent à se faire la guerre économique et militaire par victimes interposées comme on joue aux échecs ou à la bataille navale, s’entendent parfaitement dès lors qu’il s’agit de nous empêcher de nous libérer. Car leur priorité est, bien sûr, de stopper ce qui les menacent sur leur piédestal, car si l’un d’entre eux tombait pour laisser place à une société véritablement horizontale, libertaire et égalitaire, les autres seraient aussitôt sur la sellette partout ailleurs. C’est ainsi que les différentes figures du pouvoir se sont souvent entendues, implicitement ou explicitement, par exemple contre la Commune de Paris, la révolution de 1936 en Espagne et beaucoup d’autres expériences politiques qui prouvaient à chaque fois que nous pouvions vivre autrement.

Répression et criminalisation du mouvement social

Aujourd’hui, le fait que le pouvoir frappe simultanément le Rojava, Exarcheia et plusieurs ZAD d’un bout à l’autre de l’Europe n’est pas le fruit du hasard. L’offensive du pouvoir contre toute forme de résistance ne cesse de se durcir depuis des années. Tous les mouvements sociaux en France le confirment : la violence de la répression policière a atteint des sommets dans l’hexagone et les moyens technologiques mis en place pour nous surveiller n’ont désormais plus de limites, du Patriot Act à l’État d’urgence. La réalité dépasse la fiction, y compris celle du roman 1984 de George Orwell. Les dispositifs inquisiteurs et oppressants se renforcent partout en Europe, avec la France en tête de file pour la reconnaissance faciale et la Grèce pour la criminalisation du mouvement social avec le classement imminent du groupe anarchiste Rouvikonas en organisation terroriste, alors qu’il n’a jamais tué personne.

Erdogan parle également de terroristes au sujet des femmes kurdes qui luttent pour leur émancipation dans les rang des YPG. De nombreux chefs d’états utilisent aussi ce terme pour parler de celles et ceux qui leur résistent un peu partout, qui défendent la terre, qui défendent la vie.

Car face au pouvoir, nous ne faisons pas autre chose : nous sommes la vie, la foule, les enfants, la nature qui se défendent.

Une société bâtie sur un leurre

Dès lors, posons-nous la question : lutter pour vivre, sauver la vie, survivre aux injustices, vivre dignement, cela ne signifie-t-il pas nécessairement prendre nos vies en main ? La réponse est tout aussi empirique que logique. Car l’Histoire nous prouve que le pouvoir ne nous a jamais libérés et que toute émancipation n’est jamais venue que de nous-mêmes, de notre volonté, de notre clairvoyance, de notre courage, de nos luttes. La logique nous rappelle également qu’une vie digne revient à une vie libre (nul n’est digne que celui qui est responsable et n’est responsable que celui qui est libre). C’est pourquoi il nous revient de prendre nos vies en main pour bâtir un autre futur.

Le pouvoir tente de nous faire croire que le monde est horrible et que l’homme est un loup pour l’homme, ce qui lui permet d’imposer une forme de société (capitaliste et hiérarchique) pour civiliser, ordonner et pacifier le chaos destructeur. En réalité, nous savons bien que c’est tout le contraire (et c’est ce que nous essayons de faire comprendre aux jeunes en souffrance, aux résignés, aux déprimés et aux suicidaires) : ce n’est pas le monde qui est horrible, mais cette société. Ce n’est pas l’homme qui est un loup pour l’homme (pardon pour les loups, la formule est de Plaute, puis reprise par Thomas Hobbes), c’est cette société qui nous conduit à la guerre et à la compétition de tous contre tous.

L’existence même d’un pouvoir conduit à justifier l’idée de compétition et de hiérarchie partout dans la société. Car on ne peut placer quiconque sur un piédestal sans cautionner les rapports de domination et d’exploitation qui en découlent. Outre ce problème de cohérence, nous avons également vérifié à de nombreuses reprises que le pouvoir corrompt, comme nous mettait en garde Louise Michel.

Il n’y a pas de bon pouvoir

Focaliser sur un ou plusieurs dirigeants au lieu de remettre en question la fonction elle-même est donc une erreur. Bien sûr, certains régimes et hommes politiques sont pires que d’autres. Évidemment, il existe des différences. Mais, ces différences n’ont pas été suffisantes depuis plus d’un siècle pour parvenir à tourner la page du capitalisme et encore moins de la hiérarchie. Nous n’avons eu droit, au mieux, qu’à des réformes arrachées par des grèves, bien plus que concédées par les pouvoirs prétendument sympathiques. Par exemple, contrairement à ce que prétend une rumeur, la première semaine de congés payés n’était pas dans le programme du Front Populaire en 1936 et n’a été obtenue qu’à l’issue d’une des plus longues grèves du vingtième siècle en France. De même, ce n’est pas un régime royaliste ou de droite dure qui a massacré la Commune de Paris, mais la jeune Troisième République à ses débuts (avec le maire de Paris en fuite qui n’était autre que Jules Ferry). Cette même Troisième République s’est terminée honteusement en votant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940, après avoir décidé le sinistre embargo sur les armes vers l’Espagne en août 1936, condamnant dès lors l’utopie qui commençait à voir le jour de l’autre côté des Pyrénées.

Le pouvoir, quel qu’il soit, n’est pas un allié et compter sur lui est une folie. Les seules promesses auxquelles nous pouvons croire sont celles que nous faisons à nous-mêmes, c’est-à-dire nos propres engagements réciproques, sur un plan horizontal, pour créer, défendre et bâtir ensemble une société nouvelle sur d’autres bases que la compétition, la domination et l’exploitation.

Le tabou de la violence

Ne plus être naïf, c’est aussi ne plus s’interdire le tabou de la violence face à un pouvoir qui, lui, ne se gêne jamais. Libre à chacun d’en user ou pas et de résister comme bon lui semble. Si quelqu’un veut prier Gaïa ou quelqu’un d’autre dans des manifs, grand bien lui fasse. Mais qu’il impose sa façon de faire et d’agir, c’est une autre affaire. Notamment quand il s’agit d’appeler explicitement au « respect du gouvernement » et de ses valets.

Nous n’avons pas à respecter nos bourreaux. Nous n’avons rien à négocier avec les tyrans. Nous voulons vivre libres. Nous voulons prendre nos vies en mains. Nous voulons congédier à jamais ceux qui veulent nous en empêcher.

Respecter le pouvoir, c’est le cautionner. On ne discute pas avec ceux qui s’affirment d’emblée supérieurs. De même, on ne lutte pas contre un système capitaliste et hiérarchique en reproduisant ses formes lucratives et verticales. Dès lors qu’on a compris la nécessité de détruire le pouvoir, on doit commencer à le faire à l’intérieur même de nos luttes, dans notre façon de nous organiser.

S’organiser autrement pour lutter

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des partis structurés de façon hiérarchique ; des partis qui cautionnent le manège électoral dont les dés sont pipés, puisque c’est le pouvoir économique qui détermine aisément le pouvoir politique grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des syndicats également structurés de façon hiérarchique ; des syndicats dont le sommet est sourd à certaines des atteintes de la base et dont les dirigeants se reconvertissent parfois au sein même du camp d’en face.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des organisations écologistes structurées elles aussi de façon hiérarchique ; des organisations dont le sommet vaporeux a déjà tout prévu, qui refusent de remettre quoi que ce soit en question et qui imposent une charte de lutte indiscutable à toutes celles et ceux qui s’en rapprochent.

Il est facile de comprendre pourquoi ces structures refusent d’aller jusqu’au bout dans la lutte contre le capitalisme et le hiérarchisme : leurs directions profitent, participent et répètent diversement ce que nous tentons précisément de combattre en leur sein. Elles ne sont ni cohérentes ni déterminées ni libres, contrairement à la société que nous désirons. Elles ne font que reproduire des schémas désuets, modérés et stériles, dans des lourdeurs bureaucratiques, stratégiques et autoritaires.

Multiplier les Rojava, les Exarcheia, les ZAD

Notre impuissance politique est donc à la fois le produit d’une analyse incomplète du problème principal et de la répétition naïve de nos erreurs passées.

Car non, le problème ne se réduit pas à Trump ou Poutine, Erdogan ou Assad, Mitsotakis ou Tsipras, Macron ou Le Pen, et tant d’autres dans la valse des chaises tournantes. C’est le pouvoir lui-même qui est notre éternel ennemi.

Et non, on ne peut lutter contre le pouvoir, sa bureaucratie, sa hiérarchie, sa stratégie de communication, en procédant de la même façon dans nos luttes. C’est d’abord et avant tout parmi celles et ceux qui résistent que nous devons montrer notre capacité à nous organiser autrement pour l’étendre ensuite à toute la société.

Ce n’est qu’à ces deux conditions que nous pourrons enfin sortir de notre impuissance politique. De plus, nous devons absolument nous donner une dimension internationale à nos luttes, par-delà les frontières qui tentent de nous diviser et de nous faire croire que nos intérêts s’opposent. Car il n’en est rien, nous le savons bien : c’est la même lutte partout que nous devons mener, celle de l’émancipation individuelle et sociale pour prendre enfin nos vies en main.

Avec plus de solidarité internationale et plus de résistance locale partout simultanément, les quartiers, ZAD ou régions du monde ne tomberaient pas les uns après les autres, comme des dominos. Nous avons besoin d’autres expériences moins verticales et autoritaires comme le Rojava, d’autres quartiers rebelles et solidaires comme Exarcheia, d’autres ZAD un peu partout et de plus en plus. Ces initiatives sont trop isolées. Nous comptons trop sur elles. Nous les mythifions trop, sur des piédestaux, au lieu de les multiplier, de les réinventer sans cesse et de créer un véritable réseau sans frontières et horizontal dans l’entraide et le soutien mutuel.

Sans chef, il sera beaucoup plus difficile de nous récupérer, de nous corrompre, de nous abattre.

Passer du nom au verbe pouvoir

Pour finir, rappelons-nous que le pouvoir n’est pas seulement un nom, mais aussi un verbe. Et c’est là, précisément, dans la confusion entre ces deux homonymes, que se cache l’un des enjeux de notre époque : sortir enfin de la préhistoire politique de l’humanité. Le pouvoir est un nom : celui de l’autorité qui dirige, qui gouverne, qui exerce tout ou partie des droits d’une autre personne ou de toute une communauté et qui agit pour son compte. Mais pouvoir est aussi et surtout un verbe : il signifie tout simplement être en capacité de faire. Passer du nom au verbe, tel est l’enjeu. Détruire le pouvoir en tant que rapport de domination pour libérer notre capacité à penser et à choisir nos vies.

Ce qui vaut pour la société vaut également pour nos luttes. Donnons à voir partout la société que nous désirons. Cessons d’accepter de nous organiser dans des structures verticales et de courir après des hommes providentiels. Passons à l’étape suivante.

Pour prendre nos vies mains, commençons par prendre nos luttes en main.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2019/10/10/comprendre-notre-impuissance-politique/

 

Entretien avec Thomas Piketty

Thomas Piketty, économiste, auteur du « Capital au XXIe siècle» et «Capital et Idéologie» était invité à la Fête de l’Humanité le samedi 14 septembre .

En attendant de lire son livre une intervention de 31 mn

où il aborde :

– les systèmes de justification des inégalités entre les classes, les retournements du passé, les idéologies,

– le socialisme participatif- propriété privé temporaire et plafonné – limitation des représentations et plafonnement du droit de vote dans les entreprises par un changement du système légal,

– la BCE, les dettes publiques, quel traité pour reconstruire après les crises financières, les partis politiques peuvent se rassembler sur les points d’un programme qui les rassemblent et non qui les différencient,

– l’argument technique pour la légitimer la redistribution fiscale : la propriété est toujours sociale dans ses origines. Les personnes qui se sont enrichies ont utilisé le système éducatif, les connaissances produites par d’autres et construites à partir de centaines d’années (  tentative de s’approprier les connaissance , le capital au sens social et d’y mettre une valeur marchande)

Source https://www.humanite.fr/videos/entretien-avec-thomas-piketty-677022

Prédateurs immobiliers en Grèce

Par Dimítris Konstantakópoulos sur son blog, septembre 2019 traduit par Panagiotis Grigoriou

“La confiscation de notre pays par des prédateurs étrangers n’a pas de fin. L’agence fiduciaire étrangère qui liquide les biens de la Grèce, ainsi que les ‘créanciers’, mettront bientôt la main sur près de 300 000 biens immobiliers et terrains privés dont la déclaration auprès du cadastre reste incertaine. Faisant ainsi suite à la subordination à cette agence et à la confiscation substantielle de tous les biens publics comme de la moitié des biens de l’Église par la Treuhand à la grecque, les forces d’occupation préparent un nouveau plan de confiscation s’agissant de nombreux biens privés.”

“Des centaines de milliers de propriétés, maisons, appartements, magasins, entrepôts, parcelles, etc., et qui ne sont pas déclarées par leurs propriétaires au cours du processus d’enregistrement foncier, ou qui ont été déclarées de manière erronée, sont susceptibles d’entrer comme on dit dans le domaine public d’ici deux ans. Si les omissions ne sont pas corrigées, et étant donné que tous les biens publics appartiennent de fait à l’agence fiduciaire pilotée depuis l’étranger, il est évident que les pillards étrangers auront également accès à cette partie de la propriété privée du pays, au nombre alors estimé à 300.000 biens”,

Augmentation des dépenses publiques -plus-value pour une nation

La charité et le volontariat comme thérapie de choc pour un grand remplacement des services publics. Acte 3 par Carlos Perez

De plus en plus souvent, les missions de l’État providence sont perçues comme un fardeau qui entraîne des « dépenses publiques ». Ces dernières doivent être réduites drastiquement. Carlos Perez nous explique au contraire que ces dépenses sont un investissement qui augmente la plus-value d’une nation. Poursuivant sa réflexion sur la charité et le volontariat, il souligne l’importance d’un secteur non marchand qui échappe en grande partie à l’appétit des capitalistes. Et c’est bien là qu’est tout le problème… (IGA)

Le volontariat en guise de salariat ou comment tirer nos acquis vers le bas en nous faisant croire le contraire. Attention aux réformes des philanthrocapitalistes, l’enfer chez ces gens-là est pavé de bonnes intentions. Ce n’est pas un hasard si la proportion de bénévoles aux États-Unis est la plus forte au monde. La « décence ordinaire » chère à Orwell et le don de soi seraient-ils plus prononcés dans ce pays que dans le reste du monde? Bien sûr que non.

Dans les pays anglo-saxons, le don de soi et la philanthropie ont une action bien plus pragmatique et surdéterminée politiquement. Leur mission est de servir de cache-sexe à la misère sociale. Pas besoin de citer Tocqueville et Hayek, adeptes de l’ordre spontané à l’inverse de Rousseau et son contrat social, pour comprendre à quel point la charité et le mécénat sont enracinés dans l’idéologie de l’élite de ces pays. La charité et le don de soi nourrissent les sentiments que se plaisent à éprouver les riches à l’égard des pauvres. Ils pallieraient efficacement, selon ces bourgeois, les actions de l’État.

Bien qu’il a largement montré ses limites, ce mode de pensée est inscrit dans leurs Constitutions et s’est trouvé stimulé par tous les présidents des États-Unis, démocrates ou républicains. Chacun avec leurs spécificités, ils ont incité le mécénat et le volontariat contre l’État providence qui est une véritable menace pour les capitalistes et leurs représentants au pouvoir. Et ils ne se gênent pas pour le faire savoir.

« Le service citoyen n’appartient à aucun parti, aucune idéologie. C’est une idée américaine à laquelle tout Américain peut souscrire », affirma le président Clinton lors de son discours d’investiture. Se retournant vers l’ancien président Bush, il ajouta alors déplorer le peu de précédents de ce genre dans l’histoire de l’Amérique. C’est pourtant vrai, ce qui nous réunit en tant que citoyens est plus important qu’une personne, un parti, une élection, une idéologie.

Les différents présidents des États-Unis ont toujours eu en commun de détester l’État providence. Que ce soit les républicains avec leur bénévolat privé ou les démocrates avec leur bénévolat public, ils ont intégré les associations de bénévoles dans leurs programmes de politiques sociales, de santé, de logement ou d’éducation. Il faut passer par des associations caritatives bénévoles ou volontaires pour finalement ne pas financer de véritables services publics ni rétribuer correctement des salariés pour assurer les missions. En somme, chez les capitalistes et plus particulièrement chez les Anglo-saxons, la charité et les colis alimentaires doivent remplacer une vraie politique d’équité et de droits sociaux.

Réduire les dépenses publiques est un leitmotiv des capitalistes, quitte à répéter inlassablement les mêmes mensonges. Comme si la dépense dans les services sociaux, la santé, le logement ou l’éducation n’était pas un investissement dans le patrimoine utile et nécessaire qui augmente la plus-value d’une nation. Le but de la manœuvre de ces escrocs est de privatiser le bien commun, l’air, l’eau, les sols et les semences, le patrimoine public et immobilier, les routes, la santé, l’éducation… Bref, tout ce qui peut être commercialisé doit devenir la propriété de quelques multinationales. L’État doit rester subsidiaire, en dernier recours. Son rôle doit être ramené à quelques strictes fonctions régaliennes comme la police, l’armée ou la justice. Les services sociaux, eux, doivent être sous-traités à des bénévoles et des associations, tout en encourageant le mécénat privé.

Voilà ce que nous disait déjà le mouvement du solidarisme initié en France par Jean-Jacques Rousseau dans son contrat social. L’escroquerie était déjà très claire pour les militants des droits sociaux et les pauvres au 18e siècle. « Pour l’essentiel, Bouglé et Fouillée opposent à la charité une éthique des droits : « L’absolue liberté de la charité  est », dit Fouillée, « un préjugé religieux et moral qui vient  d’une insuffisante analyse des droits ». C’est à ce titre qu’ils s’élèvent avec vigueur contre la charité chrétienne, son injustice, ses aspects culpabilisateurs, son moralisme. Bouglé insiste sur le fait que ce sont les « déshérités » eux-mêmes qui condamnent la charité  « Les déshérités qui crient « À bas Ia charité » montrent une colère farouche contre cette pourriture chrétienne qui entretient l’injustice. »

La bourgeoisie, cette classe de parasites et de prédateurs, veut nous faire croire que soutenir nos services sociaux est une gabegie qui va coûter beaucoup d’argent aux contribuables. C’est faux. C’est même tout le contraire qui se produit, les fonctionnaires sont responsables de la production de la valeur d’usage non lucrative éminemment utile à la collectivité. Le fonctionnaire ne produit pas de plus-value pour le capital marchand et pour les prédateurs, mais pour la société. La part des services non marchands augmente, ce qui est une très bonne chose, car tout n’est pas forcément à vendre. Et si la part des services marchands diminue, c’est tant mieux. Notre terre et nos vies ne sont pas à vendre.

Dans l’économie aujourd’hui, le tiers du PIB est produit en dehors de la pratique capitaliste. La fonction publique et ses services sociaux, c’est une autre façon de produire de la valeur. Pour le dire autrement, les fonctionnaires sont les producteurs de la monnaie qu’on leur paie, ils produisent l’impôt qui les finance. Les fonctionnaires socialisent déjà 45% du salaire, mais plus de 800 milliards d’euros, soit 40% du PIB relève d’une production non capitaliste[1]. En gros, les 40% du PIB relèvent d’une production de valeur d’usage non lucrative produite par les fonctionnaires dans le cadre des services publics et de la sécurité sociale. Ces travailleurs ne sont pas productifs pour le capital, mais ils sont productifs pour le public, le paiement est collectif et validé socialement.

« Face à cette offensive qui vise à détricoter par tous les bouts le manteau collectif qui protège la société, tous les intellectuels dignes de ce nom devraient joindre leurs forces pour expliquer que les travailleurs dans les services non marchands sont productifs », relève l’économiste Jean-Marie Harribey[2].  » Eux, qui fournissent éducation publique, santé publique, services municipaux, services dans les associations à but non lucratif, etc. produisent des choses utiles que l’on peut qualifier de valeurs d’usage. Mais ils produisent aussi de la valeur économique, qui est monétaire, bien que non marchande, et qui n’est pas un prélèvement sur la production marchande. On peut le démontrer logiquement. La part du non marchand par rapport au marchand dans la production totale augmente tendanciellement grosso modo depuis la Seconde Guerre mondiale. L’idée même qu’une part déclinante puisse financer une part croissante est un non-sens. Que faut-il en déduire ? Lesdits prélèvements obligatoires sont effectués sur un PIB déjà augmenté du fruit de l’activité non marchande, et non pas sur le seul produit marchand. »

« Les impôts et cotisations sociales sont le prix collectif, socialisé, des services non marchands. Ils jouent le même rôle que les prix des marchandises achetées et payées individuellement. La différence est que, dans un cas, la validation de l’existence et du paiement collectif de services non marchands passe par une décision politique collective démocratique (pour des besoins sociaux à satisfaire), et que, dans l’autre cas, la validation sociale passe par le marché (pour des besoins solvables, bien que tous ne le soient pas). »

La contribution des fonctionnaires à l’économie n’est absolument plus à mettre en doute, sauf pour les réformateurs qui s’aperçoivent du danger qui pourrait se généraliser à tous les secteurs. La peur de perdre des parts de profits lucratifs est la hantise des classes capitalistes et la généralisation d’un système non lucratif comme celui de la fonction publique est à tout prix ce qu’il faut éviter pour ces réformateurs.

Les fonctionnaires et leur caisse de cotisation sociale, cette grande invention révolutionnaire de la classe ouvrière, ne ponctionne pas par le profit ni par la rémunération capitaliste de la force de travail, ces deux institutions rapaces du capitalisme. Ils les remplacent pour financer une croissance non capitaliste. La collectivité investit dans ces fonctionnaires pour générer de la valeur d’usage utile socialement. Voilà la bonne façon, juste, honnête et véritablement révolutionnaire, d’appréhender cette question. Les fonctionnaires créent une valeur d’usage non lucrative socialement utile et autrement productive. C’est indispensable à l’émancipation des classes populaires en diminuant très fortement la croissance des inégalités sociales d’un pays.

Vouloir à tout prix remplacer les services sociaux par de la charité, c’est-à-dire un droit collectif par une aumône individuelle et des colis alimentaires; limiter et contraindre l’État aux seuls services régaliens en limitant le financement des services sociaux au strict minimum… C’est le propos que se sont assigné les capitalistes qui souhaitent d’une certaine manière le retour d’un État féodal et font de Germinal leur programme social.

[1] https://www.cairn.info/revue-mouvements-2013-1-page-60.htm

[2] https://www.liberation.fr/futurs/2013/10/28/les-fonctionnaires-createurs-de-richesse_942937

Source: Investig’Action

Voir les parties précédentes :

La charité et le volontariat comme thérapie de choc pour un grand remplacement des services publics

La charité et le volontariat comme thérapie de choc pour un grand remplacement des services publics. Acte 2

 

Budget 2020 une ligne anti-sociale

Avec le budget 2020, le gouvernement confirme sa ligne antisociale par Romaric Godin

Ce budget 2020 est la confirmation d’une priorité donnée aux réformes structurelles et à la destruction de l’État social français.

 

Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, n’a cessé, jeudi 26 septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances 2020, d’insister sur la « continuité » de l’action économique du gouvernement. Les slogans – « politique de l’offre », « le travail doit payer », « maîtrise des comptes publics » – étaient d’ailleurs les mêmes que lors des trois années précédentes. Il n’était pas là question d’acte II. Face aux journalistes qui lui reprochaient d’avoir abandonné ses ambitions de réductions de déficit, il a répondu qu’il fallait bien faire face au ralentissement économique et à la crise sociale. Mais aussitôt il repartait à l’assaut : « Les gouvernements précédents n’ont jamais autant réduit les dépenses publiques en rapport avec le PIB. » Et de fustiger cette droite qui réclame plus de coupes dans les dépenses et ne le soutient pas lorsqu’il le fait : « Nous sommes seuls lorsque nous coupons dans le logement social »

Et Bruno Le Maire a raison sur ce point. Ce budget 2020 n’a aucune apparence d’un tournant social ou keynésien. C’est un budget profondément néolibéral, à l’image de la politique du gouvernement et des idées d’Emmanuel Macron. Sa logique est simple. En réduisant les impôts progressifs sur la classe moyenne, il tente d’acheter l’adhésion à ses réformes structurelles et à la forte défiscalisation du capital, et en faisant payer cette baisse d’impôt aux budgets sociaux, il affaiblit durablement la solidarité nationale.

À quoi servent les baisses d’impôts ? S’il s’agissait de simplement faire face au « trou d’air » conjoncturel, un autre moyen, plus efficace et plus logique, s’offrait à l’exécutif : celui de profiter des taux d’intérêt bas pour investir massivement, notamment dans la transition écologique. Il aurait pu aussi dynamiser l’activité par un investissement d’un autre type, dans l’éradication de la pauvreté, du mal-logement ou encore dans une vraie et massive action de formation. C’est à cela que sert la politique monétaire de la BCE : abaisser le coût de l’investissement pour relancer la croissance et l’inflation.

Mais Bruno Le Maire ne fait rien de tout cela et il ne lui sert à rien de se cacher derrière l’argument désormais éculé – mais qui lui donne facilement bonne conscience – de « l’Allemagne-doit-investir-parce-qu’elle-seule-le-peut ». Les taux français concernent l’État français et ils sont bas. Et si la zone euro existe, alors la France doit prendre ses responsabilités. Mais en réalité, le gouvernement ne souhaite pas investir parce qu’il mène une autre politique, une autre stratégie : celle qui consiste à déconstruire l’État social français et à garantir une baisse de la fiscalité des entreprises et des plus riches à long terme. Or, pour cela, la baisse de l’impôt sur le revenu est le meilleur choix possible.

Extrait du collectif “Plein le dos”
Extrait du collectif “Plein le dos”

Dans un premier temps, les baisses d’impôts doivent apaiser la colère qui s’est manifestée dans les rues depuis le 17 novembre 2019 et élargir l’adhésion, toujours étroite, à la politique du gouvernement. Mais les baisses d’impôts progressifs, y compris à la « classe moyenne », ont toujours été des moyens de miner les solidarités. L’argent du bien commun est reporté vers la dépense individuelle. En termes économiques, c’est de la dépense, sauf que l’une est le fait de la collectivité et l’autre de l’individu. Ces baisses d’impôts sont le vecteur de l’individualisation de la société.Ce budget 2020 le prouve avec éclat. La recherche d’économies s’est concentrée sur la sphère sociale. Alors que le gouvernement se montrait très prudent sur la fin des niches fiscales pour les entreprises, il gelait quasiment l’ensemble des prestations sociales, réduisait massivement les dépenses d’assurance-chômage, piochait encore dans les APL.

L’objectif du gouvernement, ce sont les « réformes structurelles » qui visent in fine à favoriser le capital sur le travail et à défaire l’État social. Et contrairement à ce que pensent beaucoup d’observateurs, le choix n’est pas de baisser les impôts plutôt que le déficit, le choix est de préserver ces réformes et d’assurer que d’autres soient mises en place plutôt que de réduire le déficit public. Cela a été le choix cohérent de nombreux leaders néolibéraux de Margaret Thatcher à Gerhard Schröder qui ont su qu’il fallait acheter le consentement aux réformes par un déficit plus élevé pour faire passer leurs réformes. Ces dernières assurent ensuite la baisse du déficit par le redimensionnement des dépenses sociales.

L’exécutif n’a abandonné aucune de ces réformes engagées depuis 2017 et surtout par la défiscalisation du capital via la réforme de l’ISF et la « flat tax » sur les revenus du capital. Et ce n’est pas un hasard s’il attend l’été 2020 pour lancer la réforme des retraites : il compte s’appuyer sur l’effet bénéfique des baisses d’impôts. Mais la priorité reste toujours la même : la transformation de l’économie française au détriment de la solidarité nationale. Ce budget n’est donc ni un budget d’attente, ni un budget de pause, ni un budget de changement : c’est un budget offensif qui confirme l’orientation du gouvernement.Un budget qui montre aussi la fébrilité d’un exécutif passant en force, qui sait qu’il est, sur le fond, sans égards par rapport au corps social français. Le « couac » sur la fin de la niche fiscale sur les aides à domicile des personnes âgées montre bien cette crainte que l’incendie allumé le 17 novembre ne reprenne. D’ailleurs, ce budget est aussi celui du « réarmement du régalien », comme le dit si joliment Bercy, celui d’un gouvernement enfermé dans ses certitudes et retranché derrière sa police. Car ces baisses d’impôts constituent un pari : faire accepter à la majorité des Français une marchandisation et une individualisation de la société. Il n’est pas sûr qu’ils acceptent ce troc en forme de marché de dupes.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/270919/avec-le-budget-2020-le-gouvernement-confirme-sa-ligne-antisociale

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