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Grèce : expulsion d’un des 35 accusés de Moria

I.T., originaire de Guinée vient d’être expulsé vers la Turquie par une procédure qui présente de telles irrégularités qu’elle doit être qualifiée d’illégale. Débouté en première instance de sa demande d’asile, il avait explicitement manifesté son intention de faire appel. I.T. fait partie de 35 de Moria, arrêtés dans le tas après les incidents du 18 juillet 2017 dans le hot-spot de Moria. Le rejet de sa demande d’asile lui a été communiqué pendant sa période de détention préventive et, étant donné l’absence d’avocat et de traducteur qualifié, il n’avait aucun moyen de comprendre le sens du document qui lui a été remis.  La décision de la Commission d’Asile lui fut notifiée en décembre 2017 tandis qu’il était emprisonné à Athènes ; qui plus est ce document porte le code et la signature d’un interprète en français.

Après le procès et la condamnation  de 32 de ses codétenus à 26 mois de prison en sursis de,   I.T. fut remis en liberté et transféré à Lesbos du fait du confinement géographique dans les îles de tous ceux qui sont rentrés après la déclaration commune UE-Turquie. Le 12 juin il fut de nouveau arrêté. Ce n’est qu’à ce moment que le dossier comportant le rejet de sa demande a été communiqué à ses avocats. Ceux-ci ont immédiatement fait savoir à la police leur intention de faire appel  pour que sa demande soit examinée par la Commission de Recours, un droit inaliénable dans un état de droit. Cet appel serait déposé hors délais, étant donné que I.T. n’a pas été en mesure de comprendre le document au moment où celui-ci lui a été notifié. L’introduction d’un recours hors délais est une procédure dérogatoire habituelleμ prévue par la loi, laquelle exige juste que les motifs du retard soient explicités. Le HCR avait également prévenu les autorités de l’intention de  I.T. de faire appel. Le lendemain, lorsque ses avocats se sont présentés pour déposer le recours, ils ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que leur client venait d’être expulsé à la Turquie. Cette expulsion illégale constitue une violation flagrante des droits les plus élémentaires garantis, par la légalisation grecque et européenne.  (source Efimeride tôn Syntaktôn)

Voir aussi le communiqué de Legal Centre of Lesbos où d’autres expulsions non conformes à la législation sont dénoncées et de ce cas précis il est dit :  “The second individual was deported on the morning of 13 June 2018. This was despite the fact that for days he had been expressing to the police his desire to appeal the rejection of his asylum claim. Lawyers from HIAS and the Legal Centre also spoke with the Mytilene police department the day before he was deported and informed the police that they would be filing an appeal on his behalf. On the morning of 13 June 2018, he was deported to Turkey. This individual, a Guinean national, claims that he was a victim of torture, and will be subject to persecution if returned to his country. Regardless of whether his claim is credible, he has the right to appeal the rejection of his claim. Even though untimely, it is not the police who have the authority to accept or reject his appeal, but the Asylum Service. His right to appeal was clearly denied, and his deportation was illegal as police were aware that he would be appealing the denial of his claim and they proceeded with the deportation in any case.”

Le communiqué  du Legal Centre Lesbos où plusieurs autres violations de droits sont dénoncées Report on Rights Violations and Resistance in Lesvos

Film La tourmente grecque en accès libre

Le documentaire de Philippe Menut : « LA TOURMENTE GRECQUE,  un coup d’État financier » (version intégrale en HD) en ligne ci-dessous .

Il avait présenté ce documentaire lors de son passage à Grenoble le 10 octobre 2016. Voici la version actualisée.

Les causes et les conséquences de la crise grecque. Quels enseignements pour la France et l’Europe. Le néolibéralisme est à l’œuvre en Grèce… Privatisation des profits et socialisation des pertes.
La Grèce est un laboratoire  (à la fois pour les politiques libérales imposées à un peuple), mais aussi pour les, forces progressistes d’Europe et du Monde.

La démocratie existe-t-elle en Grèce?

La démocratie existe-t-elle en Grèce? Revendications historiques d’une assemblée constituante et de l’indépendance nationale  Iskra24/06/2018

Intervention de Panayotis Lafazanis, secrétaire du Conseil politique d’Unité Populaire, à l’Unity Festival le samedi 23 juin à l’Université d’Agriculture

« La démocratie existe-t-elle en Grèce ou bien notre pays est-il tombé dans quelque chose de pire qu’une république bananière ? »

« La restauration d’une vraie démocratie, de bout en bout, par une assemblée constituante et la réalisation de la souveraineté et de l’indépendance nationales sont les deux grands problèmes actuels de notre pays et les revendications historiques de notre époque ».

Panayotis Lafazanis a poursuivi, en soulignant : « Qui sont donc ceux qui ont autorisé les Tsipras-Kaménos et avec eux un président de la démocratie-fantôme à signer la décision d’une instance informelle de l’UE, l’Eurogroupe, avec laquelle le pays se vend et se compromet depuis des décennies ?

Où et quand y a-t-il eu un débat concernant cette décision et quel corps populaire représentatif l’adoptera ?

De quel droit Tsipras-Kaménos et leurs autres béquilles mémorandaires, dans un Parlement sans opposition, ont-ils accepté comme prétendue réforme de la dette une normalisation qui ne la réduit pas même d’un euro, mais simplement en transfère davantage tout le fardeau à ceux qui ont la malchance d’être affaiblis depuis dix ans ?

Avec quelle autorisation et de quel droit Tsipras-Kaménos et leur gouvernement désintégré ont engagé (ou plutôt, c’est ce que pensent ceux qui les utilisent) le pays, sans que le peuple ni même le Parlement aient leur mot à dire sur une austérité courant environ jusque 2060 ?

Comment, jusqu’à quel point et dans quelle démocratie un gouvernement peut en quelques mois engager un peuple et hypothéquer un pays pour des décennies ?

Comment, jusqu’à quel point et de quel droit Tsipras-Kaménos-Tsakalotos ont signé à l’Eurogroupe pour brader les entreprises publiques stratégiques et rentables comme : DEI (entreprise grecque d’électricité), AIA (Aéroport international d’Athènes), DESFA (compagnie grecque du gaz), ELPE (Compagnie grecque du pétrole), les ports de plaisance de Alimos, Egnatia, DEPA (entreprise publique du gaz), Eydap (Compagnie des eaux d’Athènes), Eyath (Compagnie des eaux de Thessalonique) et les ports périphériques d’Igoumenitsa, Corfou, Alexandroúpolis, Kavala, etc. ?

Comment, sans aucune approbation populaire et sans que le peuple soit consulté, peut-on livrer à des états étrangers et des intérêts multinationaux tout le Bien public, acquis par la sueur et les larmes, comme s’il s’agissait du fief des gouvernants ?

« Il est dramatique », a continué Panayotis Lafazanis, que « Tsipras-Kaménos et à leurs côtés le Président de la République ,Prokopis Pavlopoulos, avec les autres mémorandaires en société au parlement fonctionnent comme des expéditionnaires de la troïka et de la classe financière européenne, comme des fiduciaires d’une oligarchie intérieure asservie à l’étranger et d’un européisme totalitaire, étouffant la terre, l’économie , la société et le futur de la jeunesse grecque ».

« Les deux grandes revendications historiques de notre époque », a constaté Panayotis Lafazanis, « pour lesquelles nous nous battons, afin que notre terre et notre peuple respirent et renaissent, sont d’une part le rétablissement profond et total de la démocratie, à travers une assemblée constituante qui mettra fin au diktat totalitaire et financier de l’euro et d’autre part la souveraineté nationale et l’indépendance par rapport à une Grèce qui s’est transformée en soutien euroatlantique politique et militaire, hypothéquant sa sécurité et plus encore son intégrité.

À présent, un nouveau patriotisme contemporain, au côté de l’internationalisme, devient absolument nécessaire pour une Gauche du XXIe siècle, s’agissant pour cette dernière de s’affirmer à nouveau comme force hégémonique nationale concernant les profondes transformations sociales et l’indispensable sauvegarde et la refondation de notre patrie ».

Traduction : Merci à Vanessa de Pizzol

Source https://unitepopulaire-fr.org/2018/07/10/la-democratie-existe-t-elle-en-grece-de-p-lafazanis-lae/

La Grèce après l’accord du 21 juin

  À la merci d’un courant violent : la Grèce après l’accord du 21 juin

Du Parlement allemand à l’Assemblée hellénique, les déclarations faites ces derniers jours par les dirigeants européens permettent de se faire une idée plus précise de la situation qui sera celle de la Grèce à compter du 20 août prochain  et de proposer une lecture de l’accord conclu le 21 juin à rebours des déclarations célébrant «la fin de l’Odyssée» (Moscovici), la «renaissance» grecque («Le Point»), la concorde européenne retrouvée.

L’accord de l’Eurogroupe prévoit un rééchelonnement sur 10 ans d’une part conséquente de la dette grecque [2] (extension de la maturité des titres), un «coussin de sécurité» de 15 milliards d’euros faisant office de réserve de précaution et le reversement au compte-gouttes des bénéfices réalisés par la BCE sur ses titres de dette hellénique ; ces dispositions sont conditionnées par l’obligation faite aux autorités grecques de dégager au cours des années qui viennent un excédent primaire correspondant à 3,5% (puis à 2,2%) du PIB, objectif ne pouvant être poursuivi qu’au prix d’un prolongement à durée indéterminée des politiques d’austérité [3].

Sur les questions cruciales de la dette, du financement, de la politique sociale et du «retour à la croissance» :

▶ Un pays surendetté, contraint de contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les emprunts antérieurs, dont la dette s’aggravera mathématiquement à moyen et long terme et dont les excédents resteront dédiés au désendettement. Rien de neuf, donc, sinon le fait que le ratio dette / PIB obtenu après huit années d’austérité sévère [4] signe l’échec des politiques imposées par le FMI et les instances européennes. En Grèce, sous des formes chaque fois différentes, le refrain d’une «sortie des mémorandums» scande l’actualité politique depuis le début de la crise. L’accord de l’Eurogroupe s’inscrit dans cette logique et doit d’abord être lu comme une énième tentative de camoufler l’échec initial. Le déni originel (faire comme si l’État grec n’était pas en faillite mais simplement confronté à un défaut ou une pénurie de liquidités) est reconduit : il s’agit à présent de faire comme si cette dette était soutenable alors que l’imposition d’une politique frappant croissance et productivité à la racine et grevant lourdement le produit intérieur brut ne cesse de l’alourdir. La figure qui s’impose n’est pas celle d’Ulysse revenant au pays natal après dix ans d’errance [5] mais celle de Sisyphe.

▶ Un pays à la merci des marchés et qui devra s’acquitter de taux d’intérêt plus élevés que ceux qui lui étaient demandés dans le cadre du «programme d’assistance» qui s’achève. Comme l’indique Olivier Passet, la question des taux d’intérêt réels et des écarts de crédit est plus que jamais au cœur des divergences et des fractures de la zone euro. Les pays du sud à fort taux de chômage subissent actuellement, selon les termes de cet analyste, une «double peine» : des taux d’intérêt nominaux plus élevés, qui intègrent «une prime de risque sur la dette souveraine», «pénalisent l’investissement» et «freinent la croissance». Dans le cas de la Grèce, deux précédentes ventes d’obligations test ont été réalisées à des taux d’intérêt trois fois supérieurs à ceux assurés dans le cadre des programmes soutenus par la BCE ; ces taux pourraient s’avérer plus importants encore à partir de la fin août.

Les agences de notation, qui ont joué un rôle-clef dans le déclenchement / dévoilement de la crise [6], continuent de situer la Grèce dans la catégorie des États à risques. Certains investisseurs seront dissuadés d’investir dans les obligations grecques ; d’autres exigeront un rendement élevé, variant en fonction de la conjoncture et de la conformité du gouvernement grec aux orientation néo-libérales. Après avoir légèrement rehaussé la note de la Grèce, les analystes de Moody’s et de Standard & Poor’s rappellent que l’accord serait tenu pour caduc si le gouvernement venait à remettre en cause les mesures austéritaires passées et à venir. À compter du 20 août, les diktats de la Troïka seront simplement remplacés par ceux des fonds d’investissement et des agences de notation ; le commandement sera directement exercé par «les marchés», mais son contenu ne changera pas.

▶ Une politique économique «sous étroite surveillance» (à défait d’être «sous tutelle») et sans marge budgétaire réelle. Si les revues régulières opérées par la Troïka ne sont plus à l’ordre du jour, le Premier ministre grec n’a pas obtenu le «Clean Exit» demandé mais une «surveillance renforcée» ; les initiatives du gouvernement grec continueront d’être scrutées à la loupe [7]. Le thème de l’indépendance recouvrée («la Grèce peut désormais se libérer de la tutelle européenne ; les sacrifices consentis par la société grecque, soutenus par la solidarité européenne, ont porté leurs fruits») est d’ailleurs accueilli sur place avec ironie, indifférence ou scepticisme.

▶ La poursuite des politiques d’austérité (coupes sur les retraites, abaissement du seuil d’imposition au détriment de foyers à revenus modestes ou faibles jusqu’alors exemptés) demeure la condition sine qua non des dispositions ouvrant la voie au refinancement de la Grèce sur les marchés. Le pays devra, selon le FMI, poursuivre sur la voie des réformes et ne pas faire machine arrière ; toute «dépense sociale ciblée» devra être approvisionnée par la diminution des pensions et l’abaissement du seuil d’imposition ; l’accent devra être mis sur «l’amélioration de la compétitivité», donc sur «la dérégulation du marché du travail». Aux antipodes des envolées lyriques du commissaire français à l’économie, le ministre des finances allemand précisait ces jours-ci devant le Bundestag [8] que les réformes ne s’arrêteraient pas en Grèce avec l’achèvement du troisième mémorandum. «Nous veillerons à ce que la Grèce poursuive la politique de réformes entreprise ces dernières années.»

▶ Les chiffres attestant d’un «retour de la croissance» doivent être replacés dans le contexte qui est le leur : récession de longue durée, chômage structurel élevé, baisse de près de 30% du PIB en huit ans. Comme le remarque par ailleurs O. Passet, «la reprise conjoncturelle du sud» n’offre que «l’illusion d’une convergence retrouvée en Europe» : «[Les pays périphériques] sont certes repartis d’un point de vue conjoncturel», mais «il s’agit d’un effet de rebond mécanique après une purge sans précédent». Avant d’affirmer que ce mouvement est pérenne, il conviendrait de scruter en profondeur «les moteurs de long terme de la croissance», où «le constat est sans appel» : «toujours pas le moindre souffle de productivité». Rien d’étonnant à cela, puisque ces pays ont vu migrer nombre de leurs jeunes diplômés [9] et ont sacrifié «plusieurs années d’investissement stratégique». Seuls les pays du cœur et du nord de l’Europe disposent en définitive de «la puissance de feu budgétaire» qui leur permettrait de faire face à un choc ou un retournement conjoncturel. Si la Grèce est en fort excédent, cet excédent «restera dédié au désendettement» ; or, «la faiblesse du parachute budgétaire participe dans les récessions à l’érosion du potentiel de croissance.»

L’accord de l’Eurogroupe peut être effectivement interprété comme un «tournant» [10]. Les formules de «sortie de crise» ou de «fin des mémorandums» n’en sont que l’emballage, mais la «sortie sur les marchés», elle, est bien réelle, et rappelle la mise à l’eau d’un navire dont chacun sait qu’il risque d’émettre un signal de détresse dès sa sortie au large. Peut-être les dirigeants européens ont-ils simplement voulu saisir au vol une occasion favorable («l’amélioration conjoncturelle» évoquée plus haut) et «risquer une sortie»? On peut cependant remarquer qu’en cas d’accident, de choc ou de retournement, la Grèce ne pourra désormais plus s’en prendre qu’à elle-même, le débat sur la responsabilité de l’UE dans la fragilisation de l’économie locale et dans l’opération initiale de renflouement de banques privées par de l’argent public étant (une fois de plus) escamoté.

«Stocker les problèmes pour les renvoyer à plus tard» : le diagnostic établi par l’association Finance Watch dans une étude européenne publiée ces jours-ci s’applique de toute évidence à cette fausse sortie de crise. Les dirigeants européens tablent-ils sans le dire sur une restructuration future de la dette grecque, lorsque les circonstances politiques seront réputées plus favorables, que les contribuables allemands, hollandais ou français et leurs parlements respectifs seront mieux disposés à envisager une remise de dette réelle [11]?

Le tableau est pour l’heure celui d’un pays condamné à long terme, au moins jusqu’en 2060, à une forme de stagnation, durablement étranglé par ses obligations de remboursement et qui n’aura d’autre choix, au nom du maintien dans la zone euro et du service de la dette, que de continuer à pressurer la main-d’œuvre locale, à brader ses richesses, ses territoires et son potentiel touristique, dans le sens d’un tourisme de masse aux conséquences environnementales désastreuses [12]. La Grèce des mémorandums fait d’ores et déjà l’objet d’un gigantesque transfert de titres de propriété et cette tendance, plutôt que d’être freinée par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement se réclamant de la «gauche radicale», s’est considérablement accentuée à partir de juillet 2015.

S’il n’est pas certain que la confiance des marchés revienne, la défiance des citoyen.ne.s, elle, ne cesse de monter ; à partir de l’écrasement des négociations de l’été 2015, cette défiance s’exprime en Grèce comme dans le reste de l’Europe à travers toutes les variantes de l’exploitation politique du sentiment national — du souverainisme au néo-fascisme. Confrontée à ce qui lui apparaît comme un courant porteur, une partie de la gauche se laisse entraîner dans le piège par ressentiment, «anti-germanisme» voire refus de la défaite et de la mélancolie [13] ; comme si, à partir de l’écrasement de la gauche grecque, l’initiative et la dynamique politiques avaient basculé de l’autre côté de l’échiquier politique et comme si les signifiants nationaux étaient parvenus à occuper la place, laissée vacante par la défaite de 2015, qui était auparavant celle des revendications de justice, de solidarité et de préservation des ressources naturelles.

Ce délitement impose de procéder à une analyse précise des causes de la défaite grecque. Si le gouvernement grec a effectivement perdu la partie en juillet 2015, c’est d’abord, à mon sens, pour avoir perdu la bataille de l’opinion européenne ; pour n’avoir pas su contrer la propagande massive qui, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas ou dans les pays baltes, est parvenue à neutraliser la conscience de classe (intérêts et ennemis communs) de retraité.e.s modestes ou pauvres, de précaires courant de mini-jobs en mini-jobs, d’employé.e.s miné.e.s par la crainte du chômage, pourtant confronté.e.s, quels que soient les pays, aux mêmes maux. La logique néo-libérale l’a d’abord emporté sur ce terrain, rien d’autre que celui des classes sociales, en parvenant à retourner les classes moyennes et populaires des pays créanciers contre les classes moyennes et populaires des pays endettés, en encourageant le ressentiment d’une infirmière allemande à l’égard de sa camarade grecque (ou portugaise, italienne, espagnole…) et en instrumentalisant à cette fin le sentiment national (caricatures racistes de tel quotidien hollandais, couvertures du «Spiegel», sarcasmes de tel éditorialiste du «Monde» imitant l’accent grec sur les ondes de France-Culture, sortie ouvertement raciste du président de l’Eurogroupe, refrain en boucle : travailleurs vertueux du Nord appelés à payer pour le Sud fainéant…). Une offensive idéologique fondée sur l’opposition nord / sud et sur l’application d’une grille de lecture morale aussi simpliste qu’efficace («Il faut toujours payer ses dettes» [14]) à la réalité complexe, opaque au plus grand nombre, des mécanismes contemporains de l’endettement, est ainsi venue se greffer sur les déséquilibres structurels de la zone euro, et les a renforcés.

La manœuvre de longue haleine consistant à instiller des signifiants et des préjugés nationaux afin de diviser celles et ceux qui se trouvent également en butte, à travers tout le continent, au démantèlement de l’État-providence n’est pas que le fait de l’extrême-droite : elle est au cœur de la stratégie de domination néo-libérale et s’est avérée particulièrement payante dans le cas de la Grèce. Ce constat devrait, a contrario de l’illusion nationaliste, nous engager à rechercher les voies d’une alliance de classes porteuse des expériences, revendications et initiatives politiques des victimes de l’austérité.


(Athènes, 5 juillet 2018) {Le titre de cet article est emprunté au très beau roman d’Henry Roth Mercy of a Rude Stream (éd. de l’Olivier, 1994, pour la traduction française). La première partie de cet article a été publiée le 25 juin sous le titre Souveraine dette.}


[1] Arrivée à échéance du troisième Mémorandum, d’un montant de 86 milliards d’euros, signé par le gouvernement grec quelques semaines après le référendum de juillet 2015 par lequel près de 62% des votants avaient rejeté un plan de réformes analogue.

[3] Lire à ce sujet L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste, Martine Orange, Mediapart.

[4] La dette grecque se monte aujourd’hui à 320 milliards d’euros, soit 179% du PIB.

[5] Lire à ce sujet le texte publié par Pierre Moscovici sur son blog au lendemain de l’Eurogroupe du 21 juin.

[6] Lire ce calendrier des premières années de la crise grecque.

[7] En particulier par le Fonds européen de stabilité.

[8] Le Parlement allemand a validé ce vendredi par un scrutin nominal l’accord de l’Eurogroupe sur la Grèce par 410 votes pour, 226 votes contre, et 7 abstentions.

[9] Comme le rappelle Michel Husson dans un article récent à propos de la Grèce : «Environ un tiers de la population de 15 à 29 ans, pour une bonne partie des personnes qualifiées, a quitté le pays» (Un long calvaire s’annonce pour la Grèce, «Alternatives économiques»).

[10] Selon l’expression de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, dans un entretien au «Figaro ».

[11] Lire à ce sujet l’entretien accordé par Klaus Regling, directeur du Mécanisme européen de stabilité, au journal «Ta Nèa» : la surveillance de la Grèce «devra se poursuivre jusqu’à ce que tout l’argent soit remboursé». Jusqu’en 2060 ? «Oui. La Commission arrêtera quand 75 % auront été remboursés, mais pas nous. Nous surveillerons jusqu’à l’échéance finale.»

[12] A propos de l’importance cruciale du secteur touristique, lire Michel Husson, Un long calvaire s’annonce pour la Grèce, «Alternatives économiques».

[13] C’est notamment le cas, en Grèce, de la prise de parole du compositeur Míkis Thèodorákis, figure historique de la gauche grecque, lors d’un rassemblement organisé par la droite, l’ultra-droite et l’Église orthodoxe contre la proposition de résolution du conflit sur le nom de la Macédoine ; cette intervention publique a malheureusement reçu le soutien de l’ancienne présidente du Parlement grec sous le premier gouvernement Tsípras, Zoé Konstantopoúlou, et de certaines figures emblématiques de la contestation des politiques d’austérité, au nom de la défense d’un «grand mouvement populaire».

[14] Lire à ce sujet l’introduction de Dette : 5000 ans d’histoire (David Graeber, éd. Les Liens qui Libèrent, 2013, pour la traduction française).

Grèce : Protéger les droits des migrants

Grèce : il faut agir immédiatement pour protéger les droits de l’homme des migrants

Migreurop  Print Greece: immediate action needed to protect human rights of migrants Athènes, Greece 29/06/2018.

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La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, rencontre les bénéficiaires d’un programme de vie semi-autonome pour les mineurs non accompagnés à Athènes, en Grèce. © CoE / 2018 / Giorgos Moutafis

« L’humanité et l’hospitalité dont la population et les autorités grecques ont fait preuve envers les migrants ces dernières années sont vraiment remarquables. Malgré ces efforts, la situation reste toutefois préoccupante et des mesures supplémentaires sont nécessaires pour protéger les droits de l’homme des personnes contraintes de fuir leur pays », a déclaré Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à l’issue de sa visite de cinq jours en Grèce, qui était aussi consacrée aux effets de l’austérité sur les droits de l’homme.

Notant la baisse significative des arrivées de migrants en Grèce ces deux dernières années, la Commissaire a souligné que, si les flux actuels restent difficilement gérables par ce seul pays, l’Europe dans son ensemble peut cependant y faire face sans difficultés majeures. « Il est grand temps que tous les États membres du Conseil de l’Europe, unis autour des valeurs qui fondent l’Organisation, traitent cette question dans un esprit de responsabilité collective et de solidarité », a estimé la Commissaire.

Il est nécessaire que les autorités grecques agissent rapidement pour améliorer les conditions d’accueil des migrants, notamment dans les hotspots. La restriction géographique imposée aux nouveaux arrivants soumet les îles de la mer Égée orientale (où sont situés les hotspots) et leur population à une forte pression, ainsi que la Commissaire a pu le constater à Lesbos. « Je suis très préoccupée par les mauvaises conditions de vie qui prévalent dans le centre d’accueil et d’identification de Moria, où le nombre de migrants est plus de trois fois supérieur à la capacité théorique et qui s’est déjà agrandi de manière anarchique. Cette situation met en danger les droits de l’homme des personnes hébergées. Si des dispositions ne sont pas prises immédiatement, le surpeuplement, l’insécurité et le manque d’hygiène, exacerbés par la hausse des températures, risquent d’avoir des conséquences catastrophiques cet été pour des migrants qui sont dans l’incertitude quant à leur avenir », a indiqué la Commissaire, qui a également mis en garde contre les tensions qui ne manqueront pas d’augmenter entre les personnes hébergées dans le centre, mais aussi entre les autres habitants de l’île. Soulignant la nécessité d’agir rapidement, la Commissaire a appelé les autorités grecques à transférer davantage de personnes vers le continent. Elle les a aussi appelées à accélérer le traitement des demandes d’asile, tout en garantissant pleinement le caractère équitable des procédures, à augmenter la capacité des structures d’accueil de tout le pays et à améliorer leur qualité. « Les normes peuvent être respectées dans des camps temporaires, comme je l’ai observé dans le camp de « Kara Tepe », un centre ouvert géré par la municipalité de Mytilène ; toutefois, compte-tenu de la durée de la procédure d’asile, il est également nécessaire d’augmenter le nombre de structures d’accueil adaptées à un séjour prolongé », a-t-elle ajouté. La Commissaire a salué le travail inestimable accompli par les acteurs de la société civile et par les partenaires internationaux dans ce domaine.

En outre, Dunja Mijatović a souligné la nécessité d’améliorer et d’accélérer la procédure d’évaluation de la vulnérabilité, pour mieux protéger les droits de toutes les personnes vulnérables, dont les victimes de la traite et de la violence sexuelle ou sexiste, les personnes handicapées et les personnes ayant des problèmes de santé mentale ; ces dernières sont de plus en plus nombreuses car un séjour prolongé dans un centre d’accueil où les conditions de vie sont mauvaises a des effets délétères. En outre, la Grèce compte actuellement 3 500 mineurs non accompagnés, dont les besoins en matière de soins et d’hébergement ne sont toujours pas satisfaits. La Commissaire a noté avec préoccupation que beaucoup d’entre eux seraient sans abri ou sont privés de liberté en application du régime de la « détention de protection ». « La nouvelle loi sur le placement en famille d’accueil va dans le bon sens et j’espère que sa mise en œuvre sera concluante. Si les enfants ayant droit au regroupement familial rejoignent rapidement leurs proches installés ailleurs en Europe, cela contribuera aussi à améliorer la situation. De plus, j’encourage les autorités à développer les modes alternatifs de prise en charge, tels que le programme de vie semi-autonome géré par l’ONG METAdrasi, dont j’ai rencontré des bénéficiaires », a-t-elle ajouté.

Enfin, la Commissaire a observé que la Grèce est devenue un pays de destination, après avoir été un pays de transit. « En conséquence, l’intégration est d’une importance capitale, pour les migrants eux-mêmes et pour la cohésion sociale de la Grèce. Les ONG mènent plusieurs projets dans ce domaine et je note que le ministère de la Politique migratoire a l’intention de développer les programmes d’intégration. Je salue ces initiatives et j’encourage les autorités grecques et leurs partenaires à intensifier leurs efforts en ce qui concerne l’apprentissage de la langue et la formation professionnelle, le regroupement familial et les possibilités d’obtenir un permis de séjour de longue durée, puis d’accéder à la naturalisation », a déclaré la Commissaire.

Pour ce qui est des effets des mesures d’austérité, Dunja Mijatović a noté que plusieurs droits de l’homme avaient été durement impactés, notamment les droits à la santé et à l’éducation. Les coupes budgétaires pratiquées dans le secteur de la santé, associées à la baisse générale des salaires et des pensions, ont entravé l’accès aux soins, dans une période où la crise économique faisait augmenter les besoins, notamment en matière de santé mentale. « Dans ce contexte très difficile, l’adoption, en 2016, d’une loi sur la couverture médicale universelle a constitué un progrès majeur. Toutefois, comme j’ai pu le constater lors de ma visite du centre social métropolitain d’Elliniko, un certain nombre de patients n’ont toujours pas accès aux soins requis par leur état. J’encourage donc les autorités à améliorer la mise en œuvre de cette loi et à lever les obstacles qui entravent l’accès aux soins », a dit la Commissaire.

L’austérité a également eu de lourdes conséquences pour le droit à l’éducation. « Les fusions et les fermetures d’établissements scolaires, les réductions de budget et de personnel et la baisse du volume horaire d’enseignement ont soulevé des questions importantes du point de vue de l’accès à l’éducation et de la qualité de l’éducation pendant la crise économique. Je salue la décision d’augmenter le budget de l’éducation en 2017 et 2018, et j’encourage les autorités à intensifier leurs efforts dans ce domaine, de manière à garantir à tous le plein accès à une éducation de qualité et inclusive », a déclaré la Commissaire.

« La fin du troisième programme d’ajustement économique offre une occasion de remédier aux effets négatifs de l’austérité sur les droits de l’homme et la Grèce ne devrait pas la manquer», a estimé Dunja Mijatović. « J’appelle les autorités grecques à profiter de ce changement de circonstances pour renforcer la protection effective des droits à la santé et à l’éducation, et à soumettre toute nouvelle mesure à des études d’impact sur les droits de l’homme et l’égalité », a-t-elle ajouté.

Au cours de sa visite, la Commissaire a rencontré le Président de la République hellénique, le Président du Parlement, le ministre de la Justice, de la Transparence et des Droits de l’homme, le ministre de la Santé, le vice-ministre de l’Éducation, de la Recherche et des Cultes, le vice-ministre de la Politique migratoire, l’Ombudsman et des membres de la Commission nationale des droits de l’homme. Elle s’est aussi entretenue avec des responsables locaux et des représentants de la société civile et d’organisations internationales.

La Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en Grèce.

https://www.coe.int/en/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/greece-immediate-action-needed-to-protect-human-rights-of-migrants?_101_INSTANCE_ugj3i6qSEkhZ_languageId=fr_FR

Néocolonialisme et “crise des migrants »

Néocolonialisme et  » crise des migrants » ( Il Manifesto) par Manlio DINUCCI

Des États-Unis à l’Europe, la “crise des migrants” suscite de vives polémiques intérieures et internationales sur les politiques à adopter à propos des flux migratoires. Partout cependant ceux-ci sont représentés selon un cliché qui inverse la réalité : celui des “pays riches” obligés de subir la croissante pression migratoire des “pays pauvres”.

On dissimule ainsi la cause de fond : le système économique qui dans le monde permet à une minorité restreinte d’accumuler de la richesse aux dépens de la majorité croissante, en l’appauvrissant et en provoquant ainsi l’émigration forcée.

Concernant les flux migratoires vers les États-Unis, le cas du Mexique est emblématique. Sa production agricole s’est écroulée quand, avec le NAFTA (l’accord nord-américain de “libre” commerce), les EU et le Canada ont inondé le marché mexicain avec des produits agricoles à bas prix grâce à leurs propres subventions publiques. Des millions de paysans se sont retrouvés sans travail, venant grossir le bassin de main d’oeuvre recrutée dans les maquiladoras : des milliers d’établissements industriels le long de la ligne de frontière en territoire mexicain, possédés ou contrôlés, pour la plupart, par des sociétés étasuniennes, dans lesquels les salaires sont très bas et les droits syndicaux inexistants.

Dans un pays où environ la moitié de la population vit dans la pauvreté, a augmenté la masse de ceux qui cherchent à entrer aux États-Unis. D’où le Mur le long de la frontière avec le Mexique, commencé par le président démocrate Clinton quand en 1994 est entré en vigueur le Nafta, poursuivi par le républicain Bush, renforcé par le démocrate Obama, ce même mur que le républicain Trump voudrait maintenant compléter sur tous les 3000 Km de frontière.

Concernant les flux migratoires vers l’Europe, est emblématique le cas de l’Afrique. Elle est richissime en matières premières : or, platine, diamants, uranium, coltan, cuivre, pétrole, gaz naturel, bois précieux, cacao, café et de nombreuses autres.

Ces ressources, exploitées par le vieux colonialisme européen avec des méthodes de type esclavagiste, se trouvent aujourd’hui exploitées par le néocolonialisme européen s’appuyant sur des élites africaines au pouvoir, une main d’œuvre locale à bas coût et un contrôle des marchés intérieurs et internationaux.

Plus de cent compagnies cotées à la Bourse de Londres, britanniques et autres, exploitent dans 37 pays de l’Afrique sub-saharienne des ressources minières d’une valeur de plus de 1000 milliards de dollars.

La France contrôle le système monétaire de 14 ex colonies africaines par le biais du Franc CFA (à l’origine acronyme de “Colonies Françaises d’Afrique”, recyclé en “Communauté Financière Africaine”) : pour conserver la parité avec l’euro, les 14 pays africains doivent verser au Trésor français la moitié de leurs réserves monétaires.

L’État libyen, qui voulait créer une monnaie africaine autonome, a été démoli par la guerre en 2011. En Côte d’Ivoire (aire CFA), des sociétés françaises contrôlent le gros de la commercialisation du cacao, dont le pays est premier producteur mondial : aux petits cultivateurs restent à peine 5% de la valeur du produit final, si bien que la majeure partie vit dans la pauvreté. Ce ne sont que quelques exemples de l’exploitation néo-coloniale du continent.

L’Afrique, présentée comme dépendante de l’aide extérieure, fournit à l’extérieur un paiement net annuel d’environ 58 milliards de dollars. Les conséquences sociales sont dévastatrices. En Afrique sub-saharienne, où la population dépasse le milliard et se compose à 60% d’enfants et jeunes d’âge compris entre 0 et 24 ans, environ les deux tiers des habitants vivent dans la pauvreté et, parmi ceux-ci, environ 40% – c’est-à-dire 400 millions – dans des conditions de pauvreté extrême.

La “crise des migrants” est en réalité la crise d’un système économique et social insoutenable.

Manlio Dinucci

Edition de mardi 26 juin 2018 de Il manifesto

Traduit de l’italien par M-A P.

Photo : Alami Stock Photo

Source https://www.legrandsoir.info/neocolonialisme-et-crise-des-migrants-il-manifesto.html

Un long calvaire s’annonce pour la Grèce

Par Michel Husson

Le troisième « plan de sauvetage » de la Grèce (Memorandum of Understanding) va s’achever au mois d’août, même si elle n’est pas encore sortie d’affaires, comme l’a bien montré Jacques Adda. L’accord « final » conclu entre la Grèce et ses créanciers repose au fond sur trois faux-semblants : il voudrait effacer les effets sociaux de près de dix ans d’austérité aveugle ; il s’appuie sur des perspectives économiques incohérentes ; enfin, il instaure une mise en tutelle à durée indéfinie de la Grèce.

Novlangue européenne

L’accord a souvent été accueilli par des commentaires exprimant un soulagement obscène, compte tenu de l’état de délabrement du pays. La palme revient sans doute à Pierre Moscovici qui n’hésite pas à écrire sur son blog : « Tel Ulysse de retour à Ithaque, la Grèce arrive enfin à destination aujourd’hui, dix ans après le début d’une longue récession. Elle peut enfin souffler, regarder le chemin parcouru et contempler de nouveau l’avenir avec confiance. » C’est le coup de pied de l’âne à un peuple que l’on a délibérément maltraité, et cet étalage d’autosatisfaction a quelque chose d’intolérable. Le commissaire salue les sacrifices du peuple grec qui étaient nécessaires pour éloigner « le plus grand péril de cette odyssée » qui, pour lui, n’était ni la misère, ni le chômage, ni les maladies, ni les suicides, ni les exils, mais ce « monstre appelé Grexit. »

Le « rapport de conformité » (Compliance Report) de la Commission européenne est lui aussi un long satisfecit qui décrit point par point la bonne mise en oeuvre par le gouvernement grec des conditions associées à « l’aide » reçue. Tout au long de ce texte, une insupportable novlangue est de règle. Prenons l’exemple de la santé publique : pour la Commission, « les autorités ont rempli leur engagement de continuer à rationaliser les dépenses globales de santé. » Cette assertion est d’un cynisme effarant, au regard de la situation réelle qui est celle-ci : « le système national de santé grec a été démantelé par l’application d’un ensemble de mesures imposées depuis 2010 par les créanciers de la Grèce dans les secteurs de santé primaire, secondaire et pharmaceutique » comme l’analyse la chercheuse Noëlle Burgi, dans un article très documenté.

Des conditions de vie dantesques

Une enquête menée à Athènes dresse un tableau saisissant des conditions de vie. 43 % des ménages déclarent ne pas avoir les moyens de payer le chauffage de leur logement ; 52 % disent qu’ils ne pourraient faire face à une dépense imprévue de 500 euros, 49 % qu’ils n’ont pas les moyens de partir en vacances. Six personnes interrogées sur dix sont restées au chômage plus de deux ans. 10 % seulement des chômeurs sont indemnisés, à 360 euros par mois.

Toujours à Athènes, la consommation de psychotropes a été multipliée par 35 entre 2010 et 2014, celle des benzodiazépines par 19 et celle des antidépresseurs par 11. Ces dernières données sont tirées d’un article du Monde diplomatique qui résume les résultats d’une étude originale menée sur les eaux usées de la ville.

Comment, dans ces conditions, la Grèce peut-elle « contempler de nouveau l’avenir avec confiance » ?

Déconomie

Si un tel déni est difficilement supportable, les projections économiques accompagnant l’accord sont, elles, proprement hallucinantes. Le document de référence reproduit le même scénario qui a fait long feu depuis 2010. La Grèce est censée maintenir un excédent primaire élevé tout en renouant avec la croissance. L’excédent primaire – soit la différence entre les recettes et les dépenses hors intérêts de la dette – est la variable-clé, qui mesure la capacité de la Grèce à honorer ses engagements. En très bon élève, la Grèce a pour l’instant tenu, et au-delà, cet objectif. Il était de 0,5 % du PIB en 2016 et ce fut 3,9 % ; puis 2 % en 2017, et ce fut 4,2 %.

Pour complaire à ses créanciers, le gouvernement grec a présenté une stratégie budgétaire à moyen terme entérinée par la Commission européenne dans son rapport de conformité. Elle est manifestement délirante : le scénario postule une croissance qui augmente progressivement jusqu’à 2,6 % en 2020 avant de ralentir à 1,9 % en 2022. C’est évidement optimiste, mais c’est surtout totalement déraisonnable quand en même temps l’excédent primaire devrait augmenter progressivement de 3,5 % du PIB en 2018 à 4,3 % en 2022.

Une telle prévision sort complètement des clous et on pourrait lui adresser la formule utilisée par la Cour des comptes européenne dans son rapport sur l’intervention de la Commission dans la crise financière grecque : « La commission a établi des projections macroéconomiques et budgétaires séparément et ne les a pas intégrées dans un modèle. » Mais croire qu’il pourrait exister un modèle capable d’engendrer une telle trajectoire est une pure fiction. Tous les économistes sérieux savent qu’on ne peut maintenir longtemps un tel excédent primaire, comme le rappelait le FMI en 2016 dans son analyse de soutenabilité de la dette grecque : « un excédent primaire de 3,5 % du PIB est difficile à atteindre et à maintenir à long terme, en particulier après de longues périodes de récessions et face à un chômage structurel élevé. »

Impossible reprise

Plutôt que de dépenser son énergie à critiquer les supposées erreurs commises par les auteurs de ces scénarios rocambolesques, il vaut mieux mettre les pieds dans le plat et dire que ces idiots utiles n’en ont au fond rien à faire. Il s’agit d’un habillage technocratique du seul chiffre qui importe, à savoir l’excédent primaire, parce qu’il représente la capacité de la Grèce à payer ses intérêts. Il n’y a que cela qui compte. La contrepartie de cette saignée est la poursuite des réformes structurelles, notamment la baisse des dépenses sociales, en particulier les pensions dans le cas de la Grèce, ainsi que le blocage de tout investissement public.

Cette trajectoire est incompatible avec une reprise de la croissance. Jusqu’à la crise, l’investissement tirait la productivité horaire du travail. Depuis la crise, son volume a été divisé par trois, retrouvant à peine son niveau de 1990 ; et la Grèce est l’un des rares pays européens, peut-être le seul, où la productivité horaire du travail recule, au rythme de 1 point par an. Cette tendance sera d’autant plus difficile à inverser que les forces vives sont parties : environ un tiers de la population de 15 à 29 ans, pour une bonne partie des personnes qualifiées, a quitté le pays. Cette perte de substance va encore aggraver le déséquilibre démographique et l’impact des réformes des retraites, d’autant plus que le nombre de naissances a baissé depuis le crise.

Le commerce extérieur de la Grèce est aujourd’hui à peu près équilibré. Mais ce résultat n’a pas été atteint par une reprise des exportations qui auraient été dopées par les fameuses « réformes » : c’est l’effet mécanique de la chute des importations pendant la crise. Toute reprise véritable conduirait à de nouveau à un déficit en raison de la dépendance de la Grèce notamment en biens d’investissement, et cela dans un contexte où les capitaux étrangers seraient évidemment réticents à financer ce déficit.

C’est en regardant du côté des exportations de la Grèce que l’on peut discerner à quoi le pays est destiné. Ses principales ressources spécifiques sont, en simplifiant un peu, la flotte commerciale (mais les armateurs grecs paient peu d’impôts et les ports seront peu à peu vendus à des groupes chinois ou autres) et le tourisme. Ce dernier est à peu près le seul secteur en expansion et représente en 2016 un quart des exportations et 7,5 % du PIB. Selon le rapport du World Travel & Tourism Council sur la Grèce, les effets induits du tourisme sur l’économie conduisent à une contribution totale de 18,6 % du PIB en 2016. Près d’un quart (23,4 %) de l’emploi total serait lié à l’industrie touristique. La stratégie est donc toute trouvée : continuons à attirer les touristes qui abandonnent les pays à risque, avec des tarifs attractifs.

Une dette insoutenable

Les négociations sur la dette grecque sont au fond une fantasmagorie. Personne ne croit vraiment à la soutenabilité à moyen ou long terme de la dette grecque. Le FMI s’est retiré du jeu parce qu’il n’y croit pas, et même la Commission européenne a émis de discrètes réserves. L’Eurogroupe fait semblant de croire au rétablissement de la soutenabilité de la dette grecque en prétendant que le ratio dette/PIB devrait diminuer progressivement pour passer de 188,6 % en 2018 à 168,9 % en 2020, puis 131,4 % en 2030 et 96,8 % … en 2060.

Mais cela, encore une fois, n’est que de l’habillage pour récuser toute nouvelle annulation de la dette. Le refus des créanciers n’est pas fondé sur la confiance dans la validité de leurs scénarios, mais s’explique par la volonté de discipliner leur débiteur grec. Leur objectif est au fond de se donner les moyens de récupérer un maximum d’argent et de reporter le plus tard possible leurs pertes éventuelles.

Il suffit pour s’en rendre compte d’examiner l’échéancier qui vient d’être entériné (il est régulièrement compilé par trois journalistes du Wall Street Journal sur la page Greece’s Debt Due). Le profil est aberrant : après un léger retrait en 2018 (8 milliards de dollars), les remboursements bondissent à près de 12 milliards en 2019. Puis, ils baissent à 4 milliards en 2020 et 2021. Les montagnes russes s’enchaînent : un creux un peu après 2040 et puis, brusquement, cela repart comme un feu d’artifice pendant cinq ans (après une petite pause en 2051) jusqu’à l’annulation finale en 2060 !

La Grèce, endettée… jusqu’en 2060 !

Echéancier annuel des remboursements de la dette grecque

En milliards de dollars. Source: Wall Street Journal

Cette trajectoire chaotique s’explique par le traitement différencié des dettes auprès des différents créanciers. Aujourd’hui la dette de la Grèce est de 294 milliards de dollars qui se répartissent comme suit:

Répartition des détenteurs de la dette grecque (en milliards de dollars)
FESF (Fonds européen de stabilité financière) 131
Gouvernements de la zone euro 53
MES (Mécanisme européen de stabilité) 37
Investisseurs privés 34
Détenteurs de Bons du trésor 15
Fonds monétaire international 12
Banque européenne d’investissement 12

Source : Wall Street Journal

Les Etats et institutions européennes, qui détiennent 80 % de la dette grecque, n’auraient-ils pas pu se concerter, ne serait-ce que pour réduire le « mur » de 2019 où « les besoins bruts de financement s’élèveront à 21 milliards d’euros en principal et en intérêts » comme le souligne la Cour des comptes européenne ? La moitié de ce besoin de financement correspond à la Banque centrale européenne, la même qui refuse de fournir des liquidités en échange de titres de la dette grecque. Une partie des profits réalisés sur les achats de titres grecs par les pays de l’eurozone sera finalement restitué à la Grèce, mais au compte-goutte (voir cette pétition citoyenne de WeMove.EU). L’accord prévoit néanmoins une réserve de précaution de 15 milliards d’euros (contestée au Parlement allemand), ce qui est un moyen d’admettre que le calendrier n’est pas réaliste.

Tout est donc en place pour que le mécanisme infernal de boule de neige s’enclenche à nouveau : la Grèce devra emprunter de nouveau sur les marchés pour faire face à ses échéances, mais à 3, 4 ou 5 %.

Le secret de Polichinelle

Klaus Regling, le directeur général du Mécanisme Européen de Stabilité (ESM, European Stability Mechanism), tire évidemment un bilan positif de l’action de l’Eurogroupe. Dans un discours prononcé devant l’Hellenic Bank Association, le 12 juin dernier, il commence par « féliciter le peuple grec et ses dirigeants politiques pour cette évolution vers une économie plus moderne. » L’objectif est maintenant que la Grèce ait accès aux marchés après l’achèvement du programme : c’est important pour la Grèce mais aussi, soit dit en passant pour l’institution qu’il dirige, puisque elle en est « le principal créancier. » Et il est vrai que l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé, le 25 juin, qu’elle relevait la note de la dette grecque B à B+, ce qui n’empêchera pas que la Grèce devra se financer à des taux élevés. On peut en effet se demander qui se risquerait à prêter à la Grèce sans une prime de risque « rassurante ».

Mais Klaus Regling ne dissimule pas un certain pessimisme : « Permettez-moi de dire en même temps que l’accès de la Grèce aux marchés reste fragile. Retrouver la confiance des investisseurs implique de faire preuve d’un engagement total en faveur des réformes, mais même cela pourrait ne pas suffire dans le cas de la Grèce. » Il faudra donc la surveiller, notamment grâce au Système d’alerte précoce (Early Warning System) dont dispose l’ESM et cette surveillance devra, dans le cas de la Grèce, être « plus serrée et plus complète que dans n’importe quel pays. »

Quelques jours plus tard il livre le fond de sa pensée, dans une interview assez incisive et reproduite sur le site de l’ESM. A la question de savoir si la dette de la Grèce pourrait être déclarée soutenable à long terme, Klaus Regling répond par la négative, suivie d’une formule ampoulée sur le rôle des mesures à moyen terme. Et combien de temps faudra-t-il, lui demande-t-on, que la Grèce fasse des réformes pour rassurer les marchés ? Là encore, la réponse en dit long : « la mise en œuvre des réformes est une tâche permanente. Elle n’est jamais achevée. C’est vrai pour tous les pays du monde, pour tous les pays de l’Union européenne et donc aussi pour la Grèce. Peut-être un peu plus dans le cas de la Grèce, en raison de l’histoire récente de l’économie grecque qui met fin à une période d’ajustement difficile. »

Pas de sortie de crise à l’horizon

Le chef de l’ESM se fait encore plus précis : la surveillance de la Grèce, via le Early Warning System « devra durer jusqu’à ce que tout l’argent soit remboursé ». Jusqu’en 2060 ? demande l’interviewer et Regling répond : « Oui. La Commission arrêtera quand 75 % auront été remboursés, mais pas nous. Nous surveillerons jusqu’à l’échéance finale ». Et il y aura même une « surveillance renforcée » avec « une évaluation tous les trois mois » mise en place pendant « un certain nombre d’années. »

La déclaration finale de l’Eurogroupe du 22 juin, contient d’ailleurs une clause de revoyure : « L’Eurogroupe examinera à la fin de la période de grâce du FESF, en 2032, si des mesures supplémentaires sont nécessaires. » Cette surveillance sert à vérifier que « les engagements sont honorés et qu’il n’y a pas de retour en arrière sur les réformes importantes qui sont nécessaires pour ramener la Grèce sur un sentier de croissance plus élevé. » Bref, la Grèce reste sous tutelle.

Le simili-accord conclu entre la Grèce et ses créanciers européens a été présenté comme une sortie définitive de la crise. C’est doublement faux. L’accord ne peut pas effacer les dommages systématiquement infligés à la société grecque et dont les effets ne sont pas effacés. Il n’ouvre pas non plus une nouvelle trajectoire pour l’économie grecque. Et ces deux constats ne sont pas sans rapport.

Source https://www.alternatives-economiques.fr/un-long-calvaire-sannonce-grece/00085215

Migrants et migraines La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Migrants et migraines

Juillet et ses températures déjà entières. En mer, on peut parfois croiser imprudemment un de ces géants du grand large transportant l’ultime pacotille de notre si bas monde, tandis que sur terre, c’est carrément le cloaque. Sous l’Acropole, à part nos animaux adespotes attitrés bien en leur place, seuls les orages de la météo sont passés, les idiots utiles qui “gouvernent” alors demeurent.

Sous l’Acropole. Athènes, juin 2018

Alexis Tsípras s’est rendu à Thessalonique mercredi 4 juillet pour une réunion avec ses homologues, bulgare, serbe et roumain, sauf que pour la première fois dans pareils cas, la réunion s’est tenue au sein de l’hôtel près de l’aéroport et non pas en ville, par crainte d’affronter la colère des manifestants de Thessalonique… très remontés il faut dire. Tous les accès conduisant à l’hôtel de l’aéroport ont été barrés par les forces de l’ordre… afin de protéger le Premier ministre le plus haï en Grèce depuis 1945. Tsípras, qualifié à juste titre de traître partout en Grèce et d’abord dans ses régions du nord, Épire, Macédoine et Thrace, n’a donc pas quitté l’hôtel, sauf pour reprendre l’avion vers Athènes le même soir.

En cette Grèce du nord depuis l’accord paraphé entre la “Grèce” de Tsípras et l’ARYM du Premier ministre Zoran Zaev, les élus SYRIZA sont pris à partie et même parfois ils sont quasiment agressés par les citoyens, dès qu’ils osent se montrer en public, comme cette semaine à Kavala pour le député SYRIZA Yórgos Papaphilippou… sauvé de justesse grâce à sa bonne garde policière.

Athènes, juillet 2018

Ensuite, l’autre dernière histoire drôle du pantin Tsípras, c’est qu’il acceptera en Grèce bon nombre de migrants que l’Allemagne refoulera après avoir fait son tri et son marché au détriment comme toujours des autres pays de la pseudo UE. C’est Angela Merkel qui vient d’annoncer son accord avec le valet Tsípras, ce dernier n’aura même pas informé au préalable le “Parlement”, (quotidien “Kathimeriní” du 4 juillet 2018). Encore une fois, et faisant suite à l’affaire macédonienne, Alexis Tsípras “décide” seul, contre l’immense majorité du peuple grec et contre les intérêts du pays. Jusqu’à quand ?

Sur le thème macédonien, le ministre Yórgos Katroúgalos (SYRIZA), joint au téléphone par le journaliste de la radio 90,1 FM, vient de déclarer que même si la majorité des citoyens s’oppose à la politique de l’exécutif sur le dossier macédonien, “le gouvernement n’organisera pas de référendum comme il ne considère pas non plus, que sa décision doit être validée à l’Assemblée de manière large, c’est-à-dire, approuvée par les deux tiers des députés. Et ceci, étant donné que sur ce type de dossiers hautement émotionnels, on ne doit pas poser les questions par référendum, qui plus est, en ce moment et sur ce dossier, lorsque le peuple ne raisonne nullement par un procédé d’une logique disons froide, mais seulement, il s’agite sous la seule force et influence d’un processus affectif”, (émission de Dimítris Takis, le 3 juillet 2018, et c’est à la minute 40’ du fichier sonore archivé sur le serveur de la radio).

Nos animaux adespotes attitrés. Athènes, juin 2018
Nos animaux adespotes photographiés. Athènes, juin 2018

Notons que Katroúgalos, Stalinien dans sa jeunesse, puis Pasokien, notamment durant un moment, conseiller au cabinet de la gouvernance de Yórgos Papandréou, sous l’influence comme on sait des… “thaumaturges” de Soros, est très précisément ce ministre ayant proposé et même… donné son nom à la dernière loi assassine des retraites et ceci, de manière… automatique et permanente.

Comme l’écrit ailleurs à sa manière Nicolas Bonnal, Katroúgalos appartient à cette “droite néocon et libertaire contrôlée par les bobos (un lecteur de Blondet parle de clones: Tsípras, Macron, Sanchez ou Casado, Trudeau, etc.), les féministes humanitaires – et sans enfants – dans le genre de May ou Merkel (elles sont de droite, pas vrai ?) – laquelle droite – continuera de rendre des comptes aux bourreaux-comptables de la mondialisation et de sacrifier un peuple rendu distrait par son Smartphone ou par ses matches de foot.”

Le schéma, pleinement discernable, devient désormais classique. Katroúgalos, Tsípras et consorts, agitateurs au verbiage historiquement gauchisant ayant toujours prétendu s’exprimer au nom du peuple sans jamais y croire en réalité, autant personnages politiques largement minoritaires dans la société du pays réel (SYRIZA fut un parti du 3% avant la dite crise grecque), arrivent ainsi au pouvoir préparées par les mondialisateurs et par le mensonge, sans la moindre morale de l’intérêt public, ni du pays, ni de la nation, somme toute, pour assassiner à la fois leur gauche, le peuple et le pays. Vaste chantier…

Athènes, juillet 2018
Propagande. Paris, juillet 2018 (photo de mon ami Arnauld)
Faire les poubelles. Athènes, juillet 2018

Approchés et finalement intégrés par le systémisme, entre autres celui du financier Soros, ils appliquent en bonnes marionnettes toutes les instructions de son programme ubuesque qui vise à démanteler les pays (déjà) de l’Europe, leur culture ainsi que leur identité, par exemple en exacerbant (voire en fabriquant) les différences et les différents ethniques, à la manière par exemple de l’ex-Yougoslavie ou de la Syrie. Et maintenant, c’est le tour de l’Espagne avec la mise en place du cabinet Sanchez fils spirituel de Soros, et de la Grèce avec Tsípras, fils… adoptif de Soros.

Les moyens mis en œuvre dans ce but sont variés, l’austérité, la surimposition, la prédation immobilière, la destruction du travail et de son cadre juridique après près de deux siècles de luttes sociales, la récupération enfin des migrants de partout y compris d’Allemagne, ceci via des ONG aux affaires bien juteuses sans la moindre légalité sur le terrain du (non) contrôle des frontières, et d’ailleurs, sans jamais poser la question du choix démocratique aux peuples concernés, quant à l’accueil ou non, d’un nombre de migrants alors croissant.

Ainsi, comme pour d’autres réalités implacables et similaires, l’argumentaire (face au journaliste de 90,1 FM) du ministrion Katroúgalos, est issu de cette même affirmation élitiste et la croyance dans la puissance et les privilèges de cette élite, affirmation volontairement et autant renforcée par la déshumanisation et la dégradation de… l’ennemi, c’est-à-dire du peuple. Pauvres pays de l’extrême, ancien et nouveau monde, et pour notre cas grec, pauvre pays d’Épicure, de surcroît très touristique !

Pays… d’Épicure. Grèce, 2018
Hôtel à vendre. Île d’Égine, juillet 2018
Hôtel à vendre. Île d’Égine, juillet 2018

Cependant, tout le monde en Grèce, s’accorde pour observer que sur l’affaire macédonienne, les… apatrides de SYRIZA ont largement sous-estimé la portée de leurs actes, autant que le caractère tectonique de la réaction populaire alors suscitée. Leurs maîtres, ainsi que le gotha des spécialistes en matière de mécanique sociale leur auraient très probablement suggéré que le crime passerait presqu’inaperçu dans la mesure où les Grecs dans leur grande majorité sont quotidiennement occupés et pour tour dire accablés, par leurs propres affaires déjà de survie.

Seulement, la presse fait encore et en partie son travail, ainsi, les Grecs sont par exemple désormais informés que l’accord de Tsípras – Zaev n’est déjà pas conforme à la Convention de Vienne quant aux conditions préalables et nécessaires pour la rédaction et la réalisation d’un traité international entre deux pays. Ceci, parce que par exemple, aucune possibilité de désengagement n’est prévue en cas de la non-validation de l’accord par les deux parlements.

Ensuite l’équilibre et la symétrie quand au processus de validation de l’accord dans les deux pays ne sont pas non plus respectés. D’une part, il y a la réalité du référendum sur l’accord que le gouvernement de Skopje a très justement annoncé pour l’automne prochain, et en même temps du côté grec, il y a le refus de référendum en Grèce de la part des criminels Syrizistes.

Après, l’accord, contrairement aux usages internationaux, ne précise pas les termes utilisés, notamment, lorsqu’il est question “d’irrédentisme à proscrire dans les propos publics et privées”, ce dernier terme (son contenu) n’est aucunement expliqué, sachant que l’irrédentisme officiel (annexion de l’ensemble des territoires de la Macédoine géographique) est formellement exprimé dans la Constitution de l’ARYM, ainsi qu’à travers les manuels scolaires de ce pays. Notons enfin, que le Comité pour la défense de la Macédoine grecque est très officiellement appelé aussi, Comité pour défendre le non-changement des frontières dans les Balkans, c’est donc clair, pas de revendication territoriale du côté grec.

De même, cet accord ne prévoit pas le recours automatique à la Cour internationale de Justice (CIJ), siégeant à La Haye, au cas où, un futur différent pourrait surgir. Ce qui veut dire qu’entre autres, comme le droit à la libre expression des opinions est protégé par la Constitution grecque, le fait de proscrire ce qui pourrait être caractérisé comme relevant de l’irrédentisme constitue une manière indirecte de céder des éléments de la souveraineté du pays.

Local associatif des anciens marins. Égine, juin 2018
Bateau Liberty. Anciens marins. Égine, juin 2018
Immeuble à vendre. Égine, juin 2018

Pour Alexis Tsípras, certaines décisions et réformes ne sont pas populaires en Grèce, sauf qu’il estime que sont gouvernement doit… foncer dans le progressisme, tel est également le sens de son propos au moment où il été interviewé par les journalistes du Point. Et à travers le même nouvel ordre d’idées, Dimítris Vitsas, Ministre de la (non) politique migratoire, vient de déclarer que 151 députés (sur un total de 300) suffisent pour valider l’accord macédonien, (quotidien “Kathimeriní” du 5 juillet 2018).

Visiblement, comme le fait également remarquer à juste titre le journaliste Lámbros Kalarrytis (et ses invités) sur la radio 90,1 FM, “Tsípras donne tout de cette la Grèce, celle qui n’a jamais été la sienne. Les droits des Grecs, la souveraineté, les frontières, la patrie. Et pour ce qui est du programme électorale présenté à Thessalonique par Tsípras en septembre 2014, aucune mention n’a été faite à la politique migratoire, et encore moins au dossier macédonien.”.

“Ainsi, Tsípras présente la petite faveur, au demeurant minable, accordée par Angela Merkel, lui permettant de retarder de quelques mois seulement l’augmentation du taux de la TVA appliqué aux îles de mer Égée orientale, comme légitimant l’accord de son ‘gouvernement’ avec Berlin au sujet de l’accueil forcé et pour tout non désiré par l’immense majorité des Grecs, des migrants que l’Allemagne refoulera”, (émission du 2 juillet 2018). Autrement-dit, la dette très contestée a imposé à la Grèce la politique impériale de Berlin et des rapaces internationaux, dont la politique austéritaire et l’augmentation de l’imposition. La politique économique de la Grèce se décide entre Berlin et Bruxelles, Tsípras a offert en gage et pour 99 ans l’ensemble des biens publics et des richesses existantes et futures du pays (voir hydrocarbures et gaz naturel) aux Troïkans, et voilà que pour n’appliquer que l’unique et alors inique politique migratoire de Berlin au détriment des autres pays de l’Européisme réellement existant, Merkel accorde un… petit miroir à l’indigène Tsípras, comme demain elle l’offrira à l’aborigène Mitsotakis.

Église. Égine, juin 2018
Église. Égine, juin 2018

“Ceux du gouvernement évoquent la présence en Grèce de 58.000 migrants, un chiffre entièrement faux évidemment. Sauf qu’en Grèce (où d’ailleurs, migrants et refugiés ont été dans un premier temps accueillis avec tant d’humanité entre 2014 et 2015), nous avons dépassé le seuil de faisabilité acceptable, tant du point de vue démographique, économique et culturel quant à l’accueil et l’installation des populations de ce type sur notre sol. L’Allemagne, une fois de plus, elle exporte ses problèmes contre la volonté, contre les intérêts et contre l’identité culturelle en partie commune des peuples européens.”

“La présence massive de populations en majorité musulmanes en somme inassimilables, et l’abolition des frontières signifient de fait l’abolition des pays concernés et en même temps de leur souveraineté nationale, entre autres, sous la pression des ONG illégales, pratiquant de fait le trafic d’êtres humains et le commerce humanitaire. Et c’est en même temps la fin de l’UE, car de nombreux pays réagissent à très juste titre à cette situation, pour enfin défendre leurs intérêts nationaux”.

“Et ceci lorsque des centaines de milliers de musulmans s’installent et s’installeront en Grèce, pays de dix millions d’habitants, où 700.000 jeunes Grecs ont quitté le pays, obligés à le faire par la crise et pour tout dire ouvertement incités par les mondialisateurs. Il y a pourtant plus de 1,5 millions de chômeurs au pays lorsque l’ensemble du système politique reste indifférent à leur sort, et nous vivons alors au quotidien cette mélancolie permanente des parents, car pratiquement toutes les familles grecques sont concernées par cette forme de deuil”.

Au pays des figues. Grèce, juillet 2018
Au pays des chats. Athènes, juillet 2018

“Et l’on observe qu’au moment où il n’y a plus d’investissements productifs en Grèce et pour cause, les capitaux sont toujours trouvés pour gonfler les effectifs des ONG à la Soros. J’ai récemment appris qu’une seule ONG emploie en Grèce plusieurs centaines de personnes, et que les Syrizistes, placent alors leurs enfants sans travail au sein des ONG de ce type. Le but même, à peine caché de SYRIZA, c’est d’accorder à terme la nationalité grecque aux milliers de migrants pour enfin se maintenir électoralement, lorsqu’il a trahi le peuple grec et ainsi, il est définitivement détesté par l’immense majorité des citoyens”, Lámbros Kalarrytis (et ses invités) sur la radio 90,1 FM, le 2 juillet 2018.

Au pays des figues et des chats rien ne va plus, sauf que la boucle de l’exégèse est on dirait désormais bouclée. Bouclée comme une cravate à Tsípras, bouclée comme une corde autour du cou du pays. Le système politique, largement hétéronome et mafieux, alors fait semblant de s’emballer. Panos Kamménos, ministrion de la Défense, allié de Tsípras et chef du parti des Grecs Indépendants en décomposition a déclaré lundi matin dans une conférence de presse qu’il ferait tomber le gouvernement si l’accord macédonien n’est pas validé par 180 députés ou sinon par référendum. Le même soir, il déclarait à la télévision qu’il ne quittera pas le gouvernement et qu’il soutiendra Tsípras jusqu’au bout, (presse grecque du 4 juillet 2018). Le pouvoir rend aveugle… et alors crétin.

Au même moment, le parti finissant de “la Rivière” et de Stávros Theodorakis, pur produit des… créationnistes de Bruxelles et de Berlin, étiqueté compatible Soros, se sépare de sa coalition avec les anciens népotistes historiques des débris du PASOK. C’est, officiellement, pour “servir le pays et épauler un futur gouvernement dans le but de faire adopter l’accord macédonien”. Stávros Theodorakis a même commenté sa rencontre cette semaine avec le… Proconsul Pierre Moscovici, évoquant précisément “l’éventualité de voir en Grèce la formation d’un futur gouvernement plus dynamique” .

Voiliers loués. Cap Sounion, juin 2018
Caïque… musée. Égine, juin 2018

Les marionnettes s’agitent et les maîtres fous du jeu préparent alors le nouveau spectacle sur le théâtre des opérations. Encore, et comme par hasard, le chef de la Nouvelle démocratie, le germano-compatible Kyriákos Mitsotakis, le… favori des sondages évidemment, a déjà usé de sa motion de censure à l’encontre du gouvernement et qui n’est pas passée comme prévu, sachant qu’il ne pourra pas y revenir avant six mois.

Parallèlement, et comme les néonazis de l’Aube dorée ne remplissent plus tellement leur rôle, à la fois d’épouvantail et d’entrave à toute résistance patriotique organisée du pays réel, le système s’apprêterait à créer de nouveau, un faux parti de la dignité et de la résistance, cette fois situé à droite, après… avoir adopté comme on sait l’animal de compagnie politique SYRIZA. Le but c’est de canaliser le choix politique des Grecs, surtout dans l’éventualité d’une insuffisance alors largement avérée des pseudo-partis politiques actuels.

Bateau et touristes. Égine, juin 2018

Récapitulons, en tout cas pour le moment. La dette, la dite austérité, la Troïka, l’affaiblissement du pays, la destruction des droits des travailleurs et de l’économie réelle, la perte de sa souveraineté ainsi que le danger démographique et identitaire que constitue la question migratoire, forment alors un ensemble explosif.

Alexis Tsípras poussera alors jusqu’au bout cette politique totalitaire façonnée dans les ateliers du mondialisme et de l’Européisme, où d’ailleurs, lui et ses autres amis de la dernière mafia politique picorent depuis déjà un moment. En parfaite d’ailleurs concordance avec l’entreprise Soros, “ce vilain garçon qui a appauvri les gens dans le monde entier avec ses machinations financières et qui a travaillé dur pour perturber et détruire les cultures et les sociétés locales en utilisant les initiatives de l’Open Society, sa firme activiste aux multiples tentacules”.

Ainsi, comme l’a fait remarquer le journaliste Andréas Mazarakis dans son émission radio, aussitôt Tsípras a-t-il accordé le nom de “Macédoine du nord” aux voisins Slavomacédoniens de l’ARYM, comme par hasard, les Antifa d’Athènes (liés comme on sait à Soros), appellent via leurs affiches, au changement du nom de la région grecque de la Macédoine, en “Macédoine du sud”, en promotion ouverte de l’irrédentisme de Skopje (autant financé par Soros), visant entre autres au dépeçage de la Grèce, (émission du 4 juillet 2018, radio 90,1 FM). Contrairement à ce que Tsípras raconte depuis deux semaines, son accord macédonien n’apaise pas les passions balkaniques, bien au contraire, il met en danger la bien précaire déjà situation géopolitique dans la région.

Alexis Tsípras entame une politique de reculades au caractère dangereusement stratégique dans l’ensemble des dossiers de la politique étrangère grecque, contre de gains pitoyables et d’ailleurs éphémères en matière de politique politicienne interne. Rien que pour cette attitude et pour le référendum trahi par son Putsch parlementaire en 2015, Alexis Tsípras devrait un jour être jugé pour haute trahison.

Il impose en même temps toute une série de mesures facilitant l’installation de migrants que le pays ne désire pas, comme il ne peut pas les intégrer, qui plus est, en transformant à terme de nombreux territoires grecs en terres musulmanes, ce qui permettra si le processus n’est pas stoppé, à réaliser le rêve géopolitique de reconquête de la Grèce chrétienne (par exemple celle des îles grecques de la mer Égée), par une Turquie islamisée et néo-Ottomane.

Déjà, sans trop l’annoncer dans les médias, SYRIZA, ce “gouvernement” de l’euthanasie nationale et historique ainsi que les ONG, lesquelles le plus souvent le remplacent sans la moindre légitimité démocratique, installent ici ou là à travers toute la Grèce continentale de structures accueillant les migrants, avec il faut le noter, l’aimable participation des élus locaux, ces derniers ayant toujours couru derrière les affaires juteuses, et de l’argent dans cette affaire il y en a.

Retraités manifestants. Athènes, juin 2018

Et lorsque le Grecs accablés posent alors la question tout à fait rationnelle, pourquoi ce pays qui fait partir ses enfants et qui sombre devait être forcé d’accueillir les migrants depuis la Turquie comme depuis d’Allemagne, qui plus est, sous de conditions lamentables, avec à la clef le remplacement partiel mais suffisant de sa population, la réponse de l’internationale mondialiste (Européistes, Syrizistes, Antifa et consorts), remâche alors le vieux cannabis avarié du  droit-de-l’hommisme, de l’humanitarisme et du multiculturalisme à toutes les sauces.

Le tout, contre l’avis et la volonté des citoyens, qui sont les seuls pouvant légalement et légitimement décider du degré et du moment d’ouverture et de fermeture de leur pays. Enfin en Grèce, après huit années de “gestion” comme de mutation, et de mutilation troïkannes, ceci, entre humiliations et atteintes à la dignité du peuple grec et d’abord à la Constitution du pays, l’immigration de masse imposée par les mêmes centres de pouvoir impériaux et autant par la Turquie, ne peut que provoquer une blessure de plus et de trop au sentiment populaire de souveraineté nationale.

Rappelons également, ce que Cornelius Castoriádis faisant remarquer (en 1984) au sujet des empires coloniaux, à travers le cas de la Nouvelle Calédonie: les “populations immigrées minoritaires qui comme toujours dans ces cas-là sont plutôt du côté de la puissance dominante (un peu comme les Indiens en Afrique du Sud) ; ces derniers en particulier n’ont aucune envie de voir les Canaques établir un État indépendant”, Cornelius Castoriádis, “Thucydide, la force et le droit”.

Actuellement, les mondialisateurs impériaux (la puissance dominante) qui détruisent États et nations en Europe et ailleurs, organisent cette massification de la présence de migrants sur le sol de l’Europe, sachant que les migrants (très sélectivement Musulmans) sont et seront de leur côté. D’ailleurs ces migrants, déjà déracinés (généralement par ces mêmes mondialisateurs) partagent avec les européistes (dont la classe politique à la SYRIZA qui nous serinent les insanités postmodernes) et avec les administrateurs coloniaux, ce même usage des termes… comme des terres. Pour les uns, comme autant pour les autres, les pays de l’Europe ne doivent être que de simples terrains d’exploitation et de conquête, d’en bas comme d’en haut, sans évidemment partager (lorsqu’ils ne lui sont pas hostiles) ni l’histoire, ni la culture et encore moins les usages des peuples d’Europe, pour l’instant encore majoritaires chez eux.

La maison de Níkos Kazantzákis. Égine, juin 2018

Sous un autre angle, c’est très exactement le propos des dirigeants politiques de la Turquie, affirmé ouvertement depuis d’ailleurs bien longtemps. “Le problème gréco-turc sera résolu par la démographie” avait ainsi argumenté Turgut Özal en son temps, préfigurant le courant néo-ottomaniste d’Ahmet Davutoglu, repris par Recep Tayyip Erdogan. Ce n’est pas par hasard non plus que c’est face aux îles grecques dont la population est à 100% chrétienne et que la Turquie revendique ouvertement, que les dirigeants de la Turquie et leurs passeurs, ONG comprises, font… patienter tant de milliers de jeunes musulmans, au demeurant déracinées et malheureux.

Et lorsque Tsípras et plus amplement les Syrizistes… apatrides, estiment qu’en accordant massivement la nationalité grecque aux migrants, ils remplaceront ainsi… les électeurs qui leur manquent et qui leur manqueront de plus en plus, eh bien, ils se trompent. Un des axes centraux de la politique de la Turquie actuelle, explicitement décrite dans l’ouvrage phare d’Ahmet Davutoglu , “Profondeur stratégique” .

C’est le renforcement du rôle politique des populations musulmanes dans tous les Balkans sous le contrôle de la Turquie, entre autres, par la création de partis politiques musulmans et/ou turco-musulmans, et ce c’est qui se passerait alors en Grèce comme déjà en Bulgarie. Je dois également remarquer ce que peu de médias évoquent, et pour cause. Le “gouvernement” SYRIZA/ANEL ne tient que par une majorité de 152 députés sur 300 au total dans l’hémicycle (145 SYRIZA et 7 ANEL), mais deux députés SYRIZA sont issus de la minorité musulmane de Thrace, ces derniers seraient suffisamment “confirmés et encadrés” par Ankara. C’est aussi une… grille de lecture possible et parallèle des événements en cours !

Notons aussi qu’à chaque fois que le président Erdogan entre en pourparlers avec les Européens, les flux de migrants qui entrent en Europe depuis la Turquie s’arrêtent pour quelques heures, histoire de monter qui est réellement le maître du jeu géopolitique dans l’affaire.

Au pays d’Alexis Zorbás et de son auteur Níkos Kazantzákis, la saison se dit touristique et fière de l’être… lorsque Airbnb finit par détruire ce qui subsistait de l’équilibré des réalités urbaines à Athènes, faisant suite à huit années de la dite crise grecque.

En ce mois de juillet aux températures déjà entières, la boucle est bouclée et nous le savons. Entre le dossier macédonien, les mensonges de Tsípras – Moscovici sur la situation de la Grèce, et enfin le dossier migratoire qui est surtout géopolitique et ensuite seulement humanitaire, en dépit de la propagande ambiante, la… vraie crise grecque ne fait que commencer. Le pays, son peuple, son territoire sont en danger de mort.

Décidément, sur terre c’est carrément le cloaque. Maigre consolation pourtant, sous l’Acropole, nos animaux adespotes attitrés sont toujours bien en leur place.

Animal adespote. Athènes, juillet 2018

* Photo de couverture: Au large… Grèce, juin 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Solidarité organique et solidarité politique

Conférence de Christiane VOLLAIRE  Pour la XVIIIe conférence de l’IAHPE (International Association of Health Policy in Europe)

Association Internationale pour les Politiques de Santé en Europe Université Aristote – Thessalonique Du 21 au 24 septembre 2017

SOLIDARITÉ ORGANIQUE ET SOLIDARITÉ POLITIQUE

SUR LE TERRAIN DES LUTTES POUR LA SANTÉ, EN GRÈCE

1. Figures de l’archipel

2. Figures de la santé politique

3. Figures des perversions du politique

4. De la désorientation juridique à la répression policière

5. De la gouvernementalité dans les jeux stratégiques qui la subvertissent

6. La mélancolie peut-elle constituer une dynamique politique ?

Écrivant en 1865 l’Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernard employait le terme de « solidarité organique » pour définir le fonctionnement physiologique du corps humain sur le mode de l’interdépendance entre les organes, dont la désolidarisation est l’annonce même de la mort. Et le texte lui-même y introduisait une analogie politique.

C’est cette analogie que nous avons tenté d’exploiter, Philippe Bazin et moi, par un travail associant photographie documentaire et philosophie de terrain, mené à partir de Thessalonique en juillet-août 2017.

La santé ne nous y est pas apparue comme un simple élément du contrôle social (qu’elle est aussi, dans l’analyse qu’en donne Michel Foucault), mais comme un facteur d’énergie et de vitalité porté par la solidarité politique et la conviction d’une force commune.

Le terme de « solidarité » est d’abord un terme juridique, avant de devenir un terme politique. Et, en tant que terme juridique, il a d’abord un sens économique, lié, dès le XVème siècle, à la question de la dette : être solidaires, c’est assumer en commun une obligation à l’égard d’un créancier. C’est au XIXème siècle qu’il prendra le sens politique d’une interdépendance entre des sujets au sein d’un corps social. La solidarité désigne donc cette interdépendance indissociable de l’égalité, qui empêche les rapports d’assujettissement. C’est ce concept qui prendra corps dans celui d’une « sécurité sociale » égale pour tous, que les politiques néolibérales tentent de saborder. Mais en les sabordant, c’est pour cette raison même à une forme de suicide politique qu’elles se livrent. Et c’est cette parfaite irrationalité d’une démarche qui se prétend rationnelle qu’il faut mettre en évidence.

En Grèce, les luttes d’émancipation de la guerre d’Indépendance, de 1821 à 1830, impliquent un soutien des puissances occidentales qui commence, dès 1893, à forger une rhétorique de la dette. Mais cette histoire est aussi l’histoire parallèle des mouvements de solidarité qui n’ont pas cessé de construire ses alternatives. Et dont nous pouvons, nous aussi, quelles que soient nos origines, nous sentir solidaires.

1. Figures de l’archipel

Sur ce point, l’histoire de la Grèce pose aussi des jalons pour aider à comprendre comment la mémoire politique, dans une forme d’inconscient collectif, travaille avec les réactivations de la violence qui produit, en réaction, des formes spécifiques de solidarité sur ce territoire. C’est en y allant, en parlant, en écoutant mes interlocuteurs, que j’ai saisi une donne géographique : celle d’un territoire qui n’est pas seulement ouvert sur la mer, mais construit à partir d’elle, comme un archipel. Les îles grecques ne sont pas des annexes de la Grèce, mais son mode de constitution et les lieux de sa configuration politique, qui subvertit les usages du centre et de la périphérie. Michel Foucault écrivait, dans un entretien avec Yves Lacoste et la revue Hérodote en 1976 :

Il n’y a qu’une notion qui soit véritablement géographique, c’est celle d’archipel. Je ne l’ai utilisée qu’une fois, pour désigner, et à cause de Soljenitsyne, l’archipel carcéral, cette dispersion et en même temps le recouvrement universel d’une société par un type de système punitif.1

Pourquoi est-ce la « seule notion véritablement géographique » ? Parce que c’est elle qui permet d’écrire un lien entre des terres que la présence de la mer semble avoir dissociées. Les noms des îles de la Grèce, évocateurs de ses traditions littéraires et intellectuelles tout autant que de ses dieux et de ses héros, ne sont pas seulement devenus des objets de la projection touristique. Ils sont aussi les noms de décisions politiques : noms de lieux de déportation et d’enfermement, comme ils sont devenus, dans les politiques européennes contemporaines, des espaces de réalisation tout autant du désir d’accueil que de la violence et de l’absurdité des politiques migratoires. Lesbos, d’où vient la poésie de Sapho, est actuellement un lieu emblématique de cette violence. Makronisos, face au temple de Poseidon sur le cap Sounion, était le lieu de torture privilégié de la dictature de Métaxas et Georges II (de 1936 à 1941), puis de l’Occupation allemande (de 1941 à 1944), avant de devenir celui de la junte des colonels de 1967 à 1974. Ikaria, dont la mythologie dit qu’elle est née de la chute d’Icare, était pendant la guerre civile grecque, de 1946 à 1949, un lieu de déportation des communistes. Devenue par cela même un espace de solidarité de la population locale, et le point d’ancrage d’une transmission des traditions de gauche. L’un de nos interlocuteurs, médecin de santé publique, nous en fait le récit autobiographique, comme origine de son propre désir militant, dans l’expérience fondatrice d’un rapport de classe :

Mon père avait son cabinet de médecine, avec une dame comme secrétaire qui était de l’île d’Icaria. Elle habitait chez nous comme bonne. Là, on a reçu une très importante influence, parce que c’est elle qui était en charge des enfants. On est allés maintes fois dans son village sur cette île. Et cette île est l’île communiste de la Grèce. On reste encore avec toute cette famille qui est restée notre famille : on est en famille. Il y avait une tension entre ma mère et cette dame, parce que ma mère voyait l’influence. Elle disait : « C’est moi la mère, ici ! ».

Cette configuration de l’archipel produit aussi une subversion des liens de solidarité familiale en même temps qu’une reconfiguration des consciences et des rapports de classe.

Et la grande île de Crète, inscrite depuis les guerres balkaniques de 1912-1913 dans l’appartenance grecque, sera en fait le point d’origine, en 2011, d’un vaste mouvement de solidarité envers des migrants grévistes de la faim pris en charge par les médecins militants de Thessalonique. L’une d’entre eux nous en fait le récit :

En 2011 (janvier et février), en Crète, un groupe de migrants a décidé d’organiser une grande grève de la faim. Ils étaient essentiellement originaire d’Afrique du Nord : Égypte, Maroc, Algérie, Tunisie. C’était avant le printemps arabe. Ils étaient travailleurs agricoles en Crète. Ils ont formé un groupe avec des responsables politiques crétois. On en a discuté pendant deux mois, et on a dit OK pour les aider. Ils ont voyagé jusqu’à Thessalonique.

Nous, comme équipe médicale, on était très engagés pour quinze d’entre nous (médecins et infirmiers). Certains avaient des complications graves, et il fallait être là tout le temps. La grève a duré quarante-cinq jours. Elle s’est arrêtée parce qu’ils ont gagné : ils ont eu des papiers, la permission de travailler et d’avoir des documents de travail, de voyager en Grèce pour rendre visite à leurs familles. Plus tard, on a eu plus de travail, pour les syndromes de réalimentation et pour les complications importantes. Mais, face à tout le système politique, le mouvement était très uni, même si c’était à partir de points de vue différents : trotskystes, anarchistes, groupes de gauche. On a créé quelque chose et ça a marché : après, on était très forts et très unis.

La question de la santé ne concerne donc pas seulement les corps, mais la possibilité de créer du commun aussi bien que du conflit entre les sujets. Et l’archipel en est une des figures. Comme il devient aussi une figure de l’internationalisation des luttes.

C’est donc dans une solidarité internationale que peuvent se penser les formes de lutte contre des modes de gestion globalisants, et c’est pourquoi la question des migrations tient une place centrale dans une telle configuration de l’énergie politique. Un texte du philosophe Étienne Balibar, paru en 2002, s’intitulait « Ce que nous devons aux sans-papiers ». Ce « nous » dit clairement la proximité éprouvée à l’égard de ceux dont la nationalité est supposée « étrangère », là où la distance devient abyssale à l’égard d’une direction politique supposée « représentative ». Et cette question de la représentation, dans toutes les modalités de ses perversions, est devenue un enjeu central non seulement des politiques de santé, mais de la santé politique des populations tentant de vivre actuellement, sédentaires ou migrantes, dans un espace européen clairement dévoyé.

2. Figures de la santé politique

J’ai donc mené, pendant cet été 2017 une cinquantaine d’entretiens, de longueur variable (entre un quart d’heure et deux heures), mais d’intensité constante, avec des personnes dont l’âge variait de 14 à 74 ans, de statuts sociaux différents et d’origines différentes.

Rien ne s’est passé comme je l’avais prévu : le dispensaire solidaire de Thessalonique, où j’avais l’intention de faire ce terrain, a fermé le lendemain de notre arrivée. La frontière Est avec la Turquie, où nous avions l’intention d’aller, s’est avérée un trajet trop long pour le temps dont nous disposions. Les camps de migrants, où j’avais l’intention de mener des entretiens (comme on l’avait fait en Pologne en 2008), se sont avérés d’accès difficile par la méfiance que suscitait souvent notre projet.

En revanche, des pistes que nous n’avions pas envisagées se sont ouvertes :

– l’entreprise Viome, reprise par les travailleurs dans une perspective autogestionnaire avec la recherche des soutiens internationaux

– la mine d’or de Skouries, rachetée par un société canadienne avec les luttes pour exiger sa fermeture pour cause de pollution massive.

Des luttes pour ne pas fermer, des luttes au contraire pour fermer.

À cet égard, il nous est bien apparu, par les entretiens menés et les rencontres, à Viome comme à Skouries, comme avec les équipes des dispensaires solidaires, qu’une puissante interaction fait de l’énergie collective et du sens de la responsabilité commune, dans ses modes clairement autogestionnaires, une condition fondamentale de la santé au sens le plus organique du terme. Soigner dans des dispensaires, ce n’est pas fournir du soin, mais c’est envisager la dimension thérapeutique de l’énergie collective. Et sur ce point, la pensée politique de Spinoza, portée par l’idée d’une puissance vitale co-active, et de ses modes de revendication, nous est apparue comme adéquate aux nécessités contemporaines auxquelles nous sommes affrontés :

Par bien j’entends ici tout genre de Joie et tout ce qui, en outre, y mène, et principalement ce qui remplit l’attente, quelle qu’elle soit. Par mal j’entends tout genre de Tristesse, et principalement ce qui frustre l’attente. Nous avons en effet montré que nous ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne, mais qu’au contraire nous appelons bonne la chose que nous désirons.2

Le moment de la création du dispensaire solidaire de Thessalonique est décrit dans les termes de l’énergie politique qui ne transmet pas seulement de la force (ou ce que Spinoza appelle de la joie) à ceux qui en bénéficient, mais à ceux-là mêmes qui s’y engagent. Et l’idée même de la solidarité a pour finalité que ceux qui en bénéficient puissent aussi s’y engager, comme l’analyse l’une de ses actrices psychologue :

Ça m’a beaucoup aidée, de m’impliquer dans la clinique de solidarité. Je pense que quand on se sent impliqué, ça n’aide pas seulement les autres, mais soi-même. D’abord et avant tout, je voulais faire cela. J’étais dans la même position qu’eux : je n’avais pas de travail stable. J’allais d’une ville à l’autre, les gens étaient d’accord, ils avaient la même idée, on était impliqués en même temps. On était vraiment enthousiastes, alors même que la situation était mauvaise.

Cette situation mauvaise, c’est celle de 2011, où le gouvernement grec de droite, sous pression de la troïka, prend une série de décisions véritablement criminelles sur le plan de la santé :

La première loi qui a interdit les migrants et les a rendus illégaux est tombée cette année-là. Et trois mois plus tard, c’était la fermeture de l’accès direct aux soins pour les Grecs. En quelques mois, trois millions de personnes n’ont plus eu de couverture sociale : un demi-million de Grecs, et des non-Grecs, sur les dix ou onze millions d’habitants que compte la Grèce. Et cela à cause de la Troïka.

La décision de créer la clinique solidaire apparaît comme une véritable riposte, un tir de barrage. Et elle doit se faire avec l’efficacité stratégique de la rapidité, sur laquelle insiste une autre de ses actrices :

Nous avons donc décidé qu’on voudrait créer et être capables de faire vivre une solidarité sociale. On s’est sentis très forts, c’était le bon moment. On ne demandait aucune aide financière : ni à l’union européenne, ni à un marché, ni à un groupe institutionnel. On essayait d’avoir de l’aide des citoyens et non des groupes politiques.

Très vite, le premier mois, l’aide est arrivée. Le secrétariat avec Eva. En deux-trois mois, on avait un groupe. Très vite. Très vite, le groupe est devenu de plus en plus important : quatre-vingt médecins ont accepté d’être référents et qu’on leur envoie des patients. Ils croyaient en nous, et ont accepté chacun cinq patients par mois en référence. On a été très actifs, dans un sens politique, pour créer un mouvement, pour rendre le projet légal. On a été très actifs dans le sens de changer la loi. On était en lien très étroit. On n’était pas comme MSF ou MDM : on faisait un travail politique contre la troïka.

Cette vitesse stratégique va de pair avec une pensée politique du droit. Mais dans le même temps, elle crée une énergie collective qui est un contre-feu à la violence de la décision des dirigeants. Elle produit, par la vivacité même de sa riposte, de la santé politique.

C’est cette santé politique que produisent aussi les universitaires de Thessalonique, en allant informer les gens sur le terrain, dans les écoles, pour permettre que les enfants de migrants y soient intégrés, et opposer ainsi un autre contre-feu à la propagande de l’extrême-droite. L’un d’entre eux en fait le récit :

C’était très facile qu’il y ait des réactions fascistes, mais je suis sûr que la réaction de l’accueil était beaucoup plus grande et stable. Des structures de solidarité atypiques ont été trouvées. On a aussi parlé dans les écoles. On avait au début les réactions des parents. Là, les fascistes ont joué très bien : ils ont multiplié la peur des gens, sur les problèmes de santé en particulier. On a joué beaucoup : on a fait une campagne intense dans les différentes écoles de la région, et on se bagarrait avec les fascistes devant les parents. Et on a gagné.

Ces contre-feux, ils les ouvrent aussi à Skouries, en allant informer la population de Megali-Panagia des risques majeurs, en termes de santé publique, que présenterait l’exploitation de la mine. Le mineur, que j’interroge dans le campement alternatif où s’organise une partie des luttes, se souvient de cette intervention des médecins de Thessalonique qui a déterminé son choix d’opposition :

Pourquoi as-tu décidé de militer contre l’ouverture de la mine de Skouries, alors que tu étais en retraite ?

Le comité « Panagia » a informé les gens et invité l’université de Thessalonique pour expliquer la situation. Et j’ai très vite compris que c’était plus grave qu’avant, grâce aux explications de ces invités. Beaucoup de monde a été convaincu que c’était dangereux. Même si ensuite, avec l’argent, ils ont changé de camp. Pendant des années il y a eu une campagne d’information. Ils ont commencé par lire le projet de la société Eldorado.

Ce qui détermine ce mineur, et bien d’autres habitants du village de Megali Panagia proche de la mine de Skouries, à refuser l’ouverture de la mine, c’est cette intervention de médecins et chercheurs venus s’associer aux militants locaux pour expliciter les raisons rationnelles de ce refus, et soutenir le combat qui le porte. Solidarité entre classes, entre compétences diverses, qui est l’une des définitions majeures de la santé politique, par l’impact qu’elle a sur la défense de la santé physique.

Et cette énergie politique se retrouve dans le combat de Viome, dont une cinéaste militante dit, à propos de l’ouvrier qui en est la figure charismatique :

Makis arrive à formuler ses pensées, il arrive à tirer vers le haut. Son souci est d’avoir de la participation, mais il ne veut pas diriger. Tous les jours, une ou deux heures, ils se retrouvent pour prendre les décisions. Il y a des moments où ils font des heures de discussion. Il faut rayonner et faire qu’il y ait des synergies, qu’ils ne soient pas poussés dehors. Ces gens-là de Viome, et les solidaires, essaient de mettre au monde quelque chose. Au moins, ils résistent. Ce sont des étincelles, et ça vaut la peine de les soutenir.

Un autre ouvrier de Viome nous dira quelle force peut donner l’idée même de solidarité, dans les combats qu’ils mènent pour reprendre en mains leur entreprise :

Il s’agit de créer un mouvement de solidarité avec des comités locaux, car il s’agit aussi d’unité des travailleurs. C’est très important d’avoir une campagne pour les membres. Et que ce soit de la solidarité, non de la charité. La charité, si c’est pour rien, ça crée des problèmes. La solidarité, ça vient du dialogue, d’un soutien. La solidarité permet de soutenir aussi sa famille. Et de chercher à faire de bons produits organiques. On veut produire de façon à la fois accessible (à bas prix) et qui nous rende fiers.

3. Figures des perversions du politique

Mais le contexte dans lequel nous arrivions, à l’été 2017, donnait un sens particulier à ces solidarités. L’année 2015 a en effet été, pour l’ensemble de la gauche radicale grecque et des mouvements solidaires, une véritable conflagration. En janvier, le parti qui la représentait (Syriza : Coalition de la Gauche Radicale) a remporté la victoire aux élections législatives anticipées, frôlant la majorité absolue, sur un programme anti-austérité, contestant les exigences de la troïka (Commission Économique Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International) qui menaient le pays à sa ruine sociale. Et celui qui était, depuis 2012, le président du mouvement, devenait de ce fait Premier ministre, provoquant non seulement une véritable liesse populaire, mais une dynamique transnationale.

Six mois plus tard, en juin 2015, il organisait un referendum pour soutenir sa position face à la troïka autour de la question de la dette grecque, refusant le plan d’austérité, et remportait 60% des voix. Mais en juillet, à l’encontre de ce double soutien massif de son propre électorat, il mettait en place les mesures d’austérité préconisées par la troïka, dans l’actualisation d’un nouveau « memorandum » de la dette publique.

Cette décision, véritable coup d’État politique par le retournement qu’elle opère, n’a pas eu seulement pour effet de livrer le pays à la prédation des banques européennes. Elle a eu aussi l’effet, beaucoup plus pervers, de plonger l’électorat de gauche et les militants dans une redoutable injonction paradoxale. Car, dans le temps même où se mettait en place cette trahison de la représentativité (réforme du régime des retraites, de la législation du travail, etc.), le gouvernement prenait aussi à la marge quelques mesures sociales, parmi lesquelles, sur le plan de la santé, l’accessibilité aux soins pour tous.

Et les militants de Viome ou de Skouries savaient que ce gouvernement, qui avait cessé de soutenir leurs revendications, était malgré tout le plus à même de tenir encore un tant soit peu à distance leurs ennemis. La désorientation politique s’accompagnait donc, dans bien des cas, et précisément chez les plus engagés, c’est-à-dire aussi ceux qui risquaient le plus, de la nécessité de temporiser, à l’encontre même de leur propre culture militante. Les ouvriers de chez Viome savaient que, si Syriza quittait le pouvoir, l’usine serait définitivement fermée et le terrain vendu. Et les protestataires contre l’ouverture de la mine d’or de Skouries savaient que leur campement sauvage serait rasé et leurs activistes exposés à la violence des MAT (police anti-émeutes).

Pour les militants des dispensaires de santé solidaires, comme pour l’ensemble de la population, le choc est rude. Une psychosociologue de la clinique en parle ainsi :

Nous nous sentons tous fatigués et désappointés. La clinique de solidarité était une part du mouvement. Perdre ce pouvoir et cet enthousiasme est difficile. Ce n’était fait qu’à partir de gens, de la part de tous. L’enthousiasme originel n’est plus là. La crise a détruit quelque chose qui ne peut pas être reconstruit. La structure sociale a été détruite, et tout ce qui va avec. Les gens sont déprimés, ils ont à payer beaucoup de taxes qui augmentent et continuent d’augmenter. Le memorandum qui a été signé est insupportable, et nous savons que ça va durer longtemps.

Une médecin le dit en termes de décadence, et montre comment le risque le plus important est celui de la désolidarisation :

Il y a un déclin de ce mouvement pour beaucoup de raisons. C’est comme vivre les années de décadence. Cela se reflète dans l’aspect du mouvement. Il y avait beaucoup de divisions après que Syriza ait pris le pouvoir. L’une des problématiques initiales est de rester ensemble.

Une psychologue du Centre pour les migrants d’Arsis l’évoque en termes de dévastation :

Pour nous tous, ça a été dévastateur : on est passés du haut au bas. Ils ont enlevé l’espoir de continuer le combat. Ils ont enlevé le besoin de protester, ils l’ont éradiqué. Mais je ne peux pas les blâmer seulement eux. Après cela, les gens ont cessé d’avoir de l’espoir. On peut faire beaucoup de choses, mais pas si on provoque de la dépression. Il faut donner l’espoir d’une respiration.

Une archéologue le décrit en ces termes :

Le peuple en 2015 a donné tout ce que la gauche voulait. Il a donné son vote son soutien, le referendum. Il a donné toute sa force et tout a été perdu tout d’un coup. Le comportement de Syriza à l’égard du peuple a été le pire de tout : mener à une certaine hauteur, puis la chute absolue.

Et elle le réinscrit dans un contexte historique :

La manière dont le pays s’est constitué au XIXème siècle était aussi une mainmise occidentale. Mais au fil du temps, le pays tant bien que mal a réussi à faire son chemin. Il y a aussi eu les grandes guerres mondiales. Concernant la deuxième, es Grecs ont pu construire une identité différente, via la résistance pendant la guerre, puis la guerre civile. On voyait toujours cet indice, mais il était plus ou moins manipulable par l’État grec. Maintenant, c’est aune autre sorte de mainmise : elle fait perdre la souveraineté. Il n’y a plus du tout de démocratie ou de souveraineté : même le gouvernement grec applique mais ne décide pas.

Perte souveraineté nationale et perte de souveraineté populaire ont bel et bien, ici, le même sens : celui, précisément d’une perte de l’énergie vitale qu’un peuple peut donner à son propre pays en se sentant acteur de la décision politique : la désolidarisation que produit la perte de représentativité conduit à une dévitalisation politique traduite, sur le plan de la santé, en termes de dépression. Et une psychiatre-psychanalyste insiste sur la manière dont celle-ci ne doit en aucun cas être psychologisée. C’est un véritable acte thérapeutique d’en reconnaître la nature socio-politique :

Ce n’est pas un problème psychique, c’est un problème social visible psychiquement. C’est pourquoi il y a beaucoup de travail entre nos mains. Les familles pauvres ont plus de problèmes, et les jeunes générations en particulier. Les 35-40 ans qui perdent leur travail ont des attitudes de passivité, de somatisation et de dépression.

Beaucoup de patients ont juste besoin de parler à quelqu’un, ils n’ont pas besoin de psychothérapie. Je leur donne plutôt l’adresse d’un juriste ou d’un travailleur social. Je ne fais pas de travail psychologique avec eux : je refuse de psychiatriser. Si on leur donne des médicaments, ils se sentent malades et donc passifs. Ils doivent s’organiser, et non pas se sentir malades.

L’étroite corrélation entre santé physique, santé mentale et santé politique doit donc être explorée dans les modalités de leur interaction : le découragement, la fatigue, la lassitude, produisent au niveau micropolitique les effets organiques d’une macropolitique dévastatrice. Ils sont des modes de désolidarisation du corps social, là où, au contraire, l’énergie politique est porteuse de ce que Nietzsche appelait « la grande Santé ».

4. De la désorientation juridique à la répression policière

Du côté de ceux qui travaillent auprès des migrants, cette perte de souveraineté va accompagner les processus de globalisation, induisant une véritable désorientation juridique, sur laquelle insiste une intervenante dans les camps que j’ai pu interroger :

La loi change tout le temps, donc on n’a pas de base solide, tout dépend de l’Union européenne. On ne sait donc pas ce qui va se passer d’un moment à l’autre. Cet endroit est temporaire, ils sont là pour ne pas être mis en prison. Ils restent ici deux à trois mois, et ensuite ils cherchent un abri.

C’était plus facile de visiter les camps avant. C’est plus difficile maintenant, parce qu’il y a plus de contrôle. On dépend du ministère de l’immigration, et ça pousse à la paranoïa.

Et elle en montre l’impact sur les migrants mineurs :

Tout le procédé prend un an. Ils préfèrent donc partir illégalement sans attendre. Donc certains préfèrent aller illégalement, même ceux qui ont la possibilité d’y aller légalement parce qu’ils ont de la famille. Ils sont venus ici, ils n’ont pas de famille, ils avaient une culture différente et ils doivent être incorporés dans la nôtre. C’est difficile car ce sont des adolescents, et ils doivent apprendre une langue, aller à l’école, etc.

Il y a donc des violences ici. Beaucoup de combats entre eux ; pas à cause de leur nationalité, mais à cause de leur situation. Ce n’est pas une place sécurisée avec une vie normale.

Une autre ajoute :

J’ai travaillé à Idomeni de janvier à mai 2016, jusqu’à la fermeture. C’était complètement fou. La situation de janvier à mai changeait tous les mois, puis toutes les semaines. Les frontières ont fermé, et il n’y avait plus de centre. Des gens de Syrie, d’Irak, on ne savait pas quoi leur dire, parce que ça changeait tout le temps. Les gens se demandaient s’ils ne venaient là que pour quelques heures, c’était de mal en pis.

C’était la procédure pour l’accompagnement des enfants qui posait problème : ça changeait, d’abord tous les ans, puis tous les mois, puis toutes les semaines, puis tous les jours. On leur disait de voir sur un mois, puis dans une semaine, puis qu’on ne savait pas.

Et elle en montre les conséquences criminelles en termes de trafic d’êtres humains :

Tout le monde à Idomeni était sous la coupe des passeurs, les frontières n’étaient pas ouvertes. C’était une des choses les plus importantes que j’aie vues. C’était très difficile, et si fou tout le temps. Il y avait un hôtel près du camp, qui était très connu pour être un repaire de passeurs. C’était en partie fermé. Après Idomeni beaucoup de gens y allaient. Maintenant, l’hôtel travaille encore. Pour passer la frontière, ils avaient à faire des choses dans cet hôtel. Il y avait beaucoup de mineurs, nous ne savons pas où ils sont maintenant. Peut-être qu’ils ont passé la frontière, mais en échange de quoi ?

La désolidarisation du corps politique donne ainsi prise à l’émergence des mafias, qu’elle alimente. Une politique qui s’affirme à l’encontre du désir de savoir, à l’encontre du désir de mobilité, à l’encontre du désir de solidarité, à l’encontre du désir de sécurité, ne peut donc que s’imposer à l’encontre de ce qui fonde une existence humaine, comme à l’encontre de ce qui construit un corps politique. Dès lors donc que la représentativité a perdu son sens, la décision dirigeante ne peut se réaliser que par l’exercice de la force. C’est la même logique qui fait muter le droit, qui alimente les mafias, qui persécute les migrants et qui tente de bloquer l’émergence des mouvements sociaux. Et elle ne peut le faire que par le recours à la violence policière. Une psychologue de a clinique solidaire le dit :

Syriza est arrivé au pouvoir. Mais la situation est restée la même, la guerre de l’Europe ne finit pas. Oui nous avons une guerre.

Et l’idée en est reprise par un chercheur en sciences politiques :

En mai-juin 2011, il y a eu une véritable guerre avec les gaz chimiques : une violence directe, avec une utilisation des gaz chimiques augmentant en qualité et en quantité, un usage des armes chimiques en masse. Pas seulement pour contrôler la mobilisation, mais pour créer la peur parmi les militants et une société mobilisée dans sa majorité.

D’où la mutation de la police elle-même :

La police a pris les caractéristiques de devenir plus une armée, avec la fondation de l’Unité Delta, conçue comme une unité spéciale anti-révolte. Ce sont des fascistes. Ça a commencé en 2009, après l’expérience de 2008, pour voir comment on chasse les anarchistes et l’extrême gauche.

Et il précise :

Jusqu’en 1974, l’armée joue un rôle principal dans la vie politique en Grèce, à cause de la dictature. Mais, après la dictature, ce rôle est aboli par le gouvernement, aussi à cause de la question chypriote.

La question est : après la dictature, qui jouera le rôle politique qu’avait l’armée ? La réponse à cette question est donnée quelques années après, pendant la décennie soixante-dix, avec la fondation du MAT (forces spéciales de la police), qui sont un pilier de l’établissement du pouvoir post-dictature, et qui opèrent partout, parce qu’il y a un climat de mobilisation très important.

Analyse qui recoupe celle que propose en 2011 l’anthropologue Didier Fassin du rôle joué par la police en France :

Comment comprendre une telle rupture avec le « pacte républicain » au sein même de l’institution chargée de le faire respecter ? On a récemment souligné la militarisation de la police dans de nombreux pays, au regard de l’évolution des stratégies et des technologies, notamment dans les contextes de désordres urbains. S’agissant des BAC, cependant, un autre phénomène est à l’œuvre : on peut le qualifier de paramilitarisation. 3

Cette paramilitarisation est par excellence la maladie du système républicain, celle qui pervertit la raison d’être même d’une police, pour faire muter en politique sécuritaire l’aspiration légitime à la sécurité. La répression y devient alors la forme ordinaire et banalisée de la gouvernementalité républicaine.

5. De la gouvernementalité dans les jeux stratégiques qui la subvertissent

Mais ces effets de violence peuvent être aussi analysés dans la perspective des jeux stratégiques qui permettent de les contourner. Dans un entretien avec le sociologue Howard Becker paru en 1984, Foucault dit :

Il me semble qu’il faut distinguer les relations de pouvoir comme jeux stratégiques entre des libertés (…) et les états de domination qui sont ce qu’on appelle d’ordinaire le pouvoir. (…) Dans mon analyse du pouvoir, il y a ces trois niveaux : les relations stratégiques, les techniques de gouvernement et les états de domination.4

Ce sont ces trois niveaux qu’il nous faut maintenant interroger. Car la gouvernementalité n’est pas seulement la manière dont les États gouvernent les populations, elle est aussi la manière dont les sujets se gouvernent eux-mêmes, et dont d’autres formes de pouvoir se substituant à celui de l’Etat, produisent des effets en retour sur cette gouvernementalité elle-même. Foucault écrivait déjà, en 1978, pour son cours au Collège de France Sécurité, territoire, population :

L’État n’est peut-être qu’une réalité composite, une abstraction mythifiée, dont l’importance est beaucoup plus réduite qu’on ne croit. Peut-être, ce qu’il y a d’important pour notre modernité, c’est-à-dire pour notre actualité, ce n’est pas l’étatisation de la société, c’est ce que j’appellerais plutôt la « gouvernementalisation » de l’État.5

Que signifie une telle distinction ? Elle signifie d’une part que la question du pouvoir n’est pas nécessairement celle de l’État, et que ce dernier est bien loin d’en avoir le monopole. Pour le meilleur et pour le pire, puisque l’ultralibéralisme contemporain donne l’exemple d’une destitution de l’État au profit de systèmes de gouvernementalité globalisés, dont la situation de la Grèce est actuellement emblématique. De ce point de vue, les « états de domination » tels que les évoque Foucault sont d’autant plus puissants, violents et omniprésents qu’ils sont précisément désétatisés, comme le montrent les systèmes entrepreneuriaux de délocalisation, ou l’exemple de ce qu’on nomme « paradis fiscaux », échappant au contrôle étatique. Comme le montre aussi l’uniformisation destructrice des politiques de santé, sous une hégémonie mondialisée, la question de la santé faisant paradigme de la destruction des politiques publiques.

Mais la distinction opérée par Foucault signifie aussi le niveau des « jeux stratégiques entre les libertés ». La gouvernementalité n’est pas seulement la manière oppressive dont s’exerce un gouvernement. C’est aussi la manière subversive dont se tissent des réseaux qui, dans le même temps où ils peuvent donner prise à ce gouvernement, sont aussi susceptibles de lui échapper. Le fait qu’il y ait gouvernementalité signifie non pas seulement que l’État n’a pas le monopole du pouvoir politique, mais que ce pouvoir ne peut pas être centralisé dans une commande unique, et se présente de façon diffuse. Si toute forme de pouvoir subjective les individus, c’est-à-dire les conditionne aussi bien physiquement que mentalement, cette subjectivation elle-même ne produit pas que de l’uniformité, mais ouvre au possible de la solidarité, de même que toute éducation participe à la construction de ce qui va lui échapper.

Une partie de la gouvernementalité relève de la domination (étatique ou globalisée), mais une autre relève des « jeux stratégiques entre les libertés », c’est-à-dire qu’il y a, dans toute forme de pouvoir, du « jeu » au sens mécanique du terme : ça bouge, ça vacille, ça grince, ça ne colle pas. Et ça produit des réactions. Là se trouvent désignés, entre autres, les effets-retour qu’Internet peut permettre, et la façon dont son instantanéité peut produire des formes de réactivité, ou de contournement brutal des pouvoirs comme on l’a vu, depuis les années deux mille, avec les affaires Assange et Snowden. Et sur ce point, la cybernétique, comme art du gouvernement, est aussi destitutrice de l’hégémonie. Si elle engage des formes d’homogénéisation de la pensée, elle suscite aussi des forces plurielles, dont les effets ne sont jamais prédictibles. La grande conférence Macy de 1947, qui a lancé le concept de cybernétique, s’intitulait Feedback mechanisms and circular causal systems in biological and social systems6.

Foucault en annonçait les effets dans sa préface à L’Histoire de la sexualité :

Il m’a semblé qu’il fallait plutôt se tourner du côté des procédés du pouvoir. (…) Ce qui impliquait qu’on place au centre de l’analyse non le principe général de la loi, ni le mythe du pouvoir, mais les pratiques complexes et multiples d’une « gouvernementalité », qui suppose d’un côté des formes rationnelles, des procédures, techniques, des instrumentations à travers lesquelles elle s’exerce et, d’autre part, des jeux stratégiques qui rendent instables et réversibles les relations de pouvoir qu’elles doivent assurer.7

Que les relations de pouvoir soient « réversibles » nous dit très clairement que l’espace des « jeux stratégiques » ne doit pas être laissé aux nouvelles féodalités créées par la globalisation, mais qu’il peut être aussi investi par les mouvements solidaires permettant non pas seulement des résistances, mais des reconstructions de l’espace public. Un certain nombre de mouvements de revendication contemporains, dont l’ampleur a été potentialisée par la capacité de diffusion et de contournement d’Internet (Occupy, Nuit debout, ou les multiples modalités des « printemps arabes ») en ont ouvert comme une amorce, et peuvent nous donner à repenser à nouveaux frais le concept foucaldien de gouvernementalité. Dans un entretien de 1982, Foucault revenait sur ses propres analyses :

J’appelle « gouvernementalité » la rencontre entre les techniques de domination exercées sur les autres et les techniques de soi. J’ai peut-être trop insisté sur les techniques de domination et de pouvoir. Je m’intéresse de plus en plus à l’interaction qui s’opère entre soi et les autres.8

Ces interactions sont au cœur du rapport contemporain au pouvoir et à la solidarité. Si elles supposent une vigilance sans faille à l’égard des risques que la connexion fait courir aux libertés, elles nécessitent aussi une confiance dans les possibilités nouvelles de lutte offertes par l’outil informatique, qu’on ne peut ignorer. Diffuser une information alternative à celle des grands médias, appeler à un rassemblement, faire circuler une pétition, dénoncer les abus de pouvoir, susciter la colère, proposer de nouvelles voies ou d’autres pistes d’action, internationaliser les solidarités, sont des ambitions qui passent désormais par un outil qui, s’il est celui de la surveillance, peut devenir aussi celui de la revendication. Et de ces modalités contradictoires, il est désormais nécessaire de savoir jouer.

6. La mélancolie peut-elle constituer une dynamique politique ?

On doit donc garder en tête que la création de ce qu’on appelle « démocratie », c’est-à-dire de l’idée démocratique moderne, n’est nullement liée à un désir particulier de bienveillance des pouvoirs à l’égard du peuple, mais à la conviction très pragmatique de la nécessité d’une participation collective au bien commun, sans laquelle l’effet de parasitage ne peut que gangréner la construction économique elle-même. C’est de cette rationalité politico-économique réaliste que procédait originellement la valorisation moderne du travail.

C’est précisément à l’encontre de cette rationalité constructive que s’instaure la réalité de l’exploitation. À cet égard, la notion même de « ressources humaines » telle qu’elle se déploie dans le management contemporain, est exactement antagoniste d’un concept du travail lié à la solidarité sociale : elle renoue – en dépit du vernis contemporain que lui confère son adéquation aux processus de globalisation – avec la pensée discriminante des systèmes féodaux. Il nous paraît indispensable de mettre en évidence cet archaïsme socio-politique d’une prétendue modernisation de l’économie, et de montrer au contraire le potentiel novateur d’une pensée politique de la solidarité, rompant avec les archaïsmes charitables de la bienveillance humanitaire.

Et il nous paraît tout aussi indispensable de poser cette question : quand les principes du commun tels qu’ils étaient pensés par la réflexion politique proposée par le marxisme et les théoriciens de l’émancipation ont-ils été mis en pratique à un niveau macropolitique ? Jamais. En quoi devrions-nous donc être « déçus » par des théories auxquelles n’a pas encore été donnée la possibilité de se réaliser ? À cet égard, l’historien Enzo Traverso, dans son livre sur la Mélancolie de gauche paru en 2016, offre des perspectives éclairantes lorsqu’il écrit :

En Europe, les luttes anti-impérialistes se sont construites dans la continuité des mouvements de la résistance contre le nazisme. (…) Cette vague puissante s’est épuisée dans les années 1980. Son épilogue fut la révolution nicaraguayenne en janvier 1979, qui coïncida avec la découverte traumatique des charniers cambodgiens.9

Mais son principe nous paraît erroné lorsqu’il affirme :

Le XXIème siècle nous a donc apporté une nouvelle forme de désillusion. Après le « désenchantement du monde » décrit par Max Weber il y a un siècle – la modernité comme âge déshumanisé de la rationalité instrumentale – nous avons vécu un second désenchantement, né de l’échec de ses alternatives. Cette impasse historique est le produit d’une dialectique bloquée.10

Tenter de faire de la mélancolie un moteur de l’action politique (ce que tente Traverso), nous paraît proposer l’usage d’un moteur d’occasion qui aurait coulé une bielle pour engager la traversée d’un désert. La « bile noire », qui définit depuis Hippocrate l’humeur mélancolique et l’état dépressif qui en est la conséquence peut être une source de créativité littéraire et iconique, ou de recentrement narcissique ; on voit difficilement en quoi elle pourrait mobiliser une action politique ou une énergie collective. Si la mélancolie de gauche est une réalité incontestable, et fort bien analysée dans ses moments historiques par Traverso, elle nous paraît plutôt être un facteur d’analyse des échecs d’une pensée de gauche et de ses difficultés à se réaliser, qu’un élément de dynamisation de l’action. Et s’il est nécessaire de la prendre en compte, c’est bien plutôt pour tenter d’y trouver des parades efficaces et de réels contre-poisons. Car, clairement, le culte de la mélancolie est un luxe que le danger politique ne permet guère. Et lutter pour la santé politique ne nous paraît pouvoir se faire que dans les perspectives de la vitalité.

De fait, le regard rétrospectif ne nous offre pas que la vision de l’échec et d’une « dialectique bloquée ». Il nous offre aussi un inépuisable modèle d’énergie, de courage, d’esprit d’entreprise, de volonté collective et de sens du commun, dont le réservoir alimente la pensée autant que l’action. De ce qui a été réalisé, on peut dire que c’est sorti du possible pour entrer dans l’ordre du réel ; et de ce qui a échoué, on peut chercher les causes de l’échec dans des données historiques dont les soubassements restent à examiner. Enfin, de la réalité des soulèvements, on peut tirer argument non pas seulement pour dénoncer leur répression, mais pour établir leur légitimité, et, plus encore, la possibilité de leur réémergence à de nouvelles conditions.

De ce point de vue, l’activité intellectuelle n’est pas affaire de regard mélancolique sur les deuils ou la déploration, mais bien plutôt de regard prospectif en vue des mobilisations. Et le regard rétrospectif sur l’analyse des échecs ne prend son sens politique que s’il a en vue d’en tirer des enseignements stratégiques. Dans le cas contraire, il ne fait qu’offrir des munitions à l’ennemi.

Qu’une pensée de gauche ne se définisse pas du côté du pouvoir, ne signifie pas pour autant qu’elle se définisse du côté des vaincus, mais bien au contraire qu’elle situe ceux qui semblent les vainqueurs temporaires dans la perspective de leurs défaites futures, et qu’elle contribue à les préparer.

1 Michel Foucault, « Questions à Michel Foucault sur la géographie », in Hérodote n°1, janvier-mars 1976. in Dits et écrits, t. II, Gallimard, 2001, p. 32.

2 Ibid., Prop IX. Scolie, p. 173.

3 Didier Fassin, La Force de l’ordre, une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, 2011, p. 265.

4 Idem, « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », op. cit, p. 1547.

5 Idem, « La gouvernementalité », op. cit., p. 656.

6 Mécanismes d’effet-retour et systèmes de causalité circulaire dans les systèmes biologiques et sociaux.

7 Michel Foucault, « Préface à l’histoire de la sexualité », op. cit., p. 1401.

8 Michel Foucault, « Les techniques de soi », op. cit., p. 1604.

9 Enzo Traverso, Mélancolie de gauche. La force d’une tradition cachée (XIXe-XXIe siècle), La Découverte, 2016, p. 19.

10 Ibid., p. 17.

 

Grèce : Sur le pseudo accord sur la dette

Grèce. L’accord Tsipras-Eurogroupe sur la dette grecque: une cravate tel un nœud de pendu Publié par Alencontre le 29 – juin – 2018 Par Antonis Ntavanellos

Alexis Tsipras avait promis à ses homologues de changer de style et de porter une cravate quand le problème de la dette serait résolu et l’économie grecque serait sortie de la politique barbare des mémorandums appliquée sous la tutelle de la troïka des créanciers.

En effet, en présentant au public à Zappeion [le monument situé dans le Jardin national d’Athènes, au centre de la capitale grecque] l’accord du dernier Eurogroupe tenu à Luxembourg [finalisé dans la nuit du 21 au 22 juin 2018], le Premier ministre grec portait… une cravate! Il s’agissait d’une tentative visant à souligner le «message» du gouvernement SYRIZA-ANEL selon lequel la politique des années dernières, celle mise en œuvre depuis 2015 – une politique de prolongement et d’approfondissement de la rigueur des mémorandums initiés en 2010 – serait, en fait, une sorte de success story, qui a fini par mener le pays hors de l’époque des mémorandums si détestés.

Cette tentative de lancer une politique de communication convaincante est vouée à l’échec, puisqu’elle est tellement éloignée de la réalité. Derrière la démagogie d’une supposée «fin des mémorandums» se cache la vérité de l’engagement impérieux de suivre la politique des mémorandums pour une période de durée impensable, en fait pour toute une époque historique.

L’accord de cet Eurogroupe a été inférieur aux attentes de l’équipe de Tsipras. La «proposition française» (d’un Macron pas trop «radical») – de lier le remboursement de la dette et la croissance du PIB en ayant recours aux «mécanismes» censés réduire les tranches de paiement en fonction du déroulement de la situation – a été tacitement abandonnée.

Pratiquement, la décision pourrait être résumée dans la «prolongation» des échéances en ce qui concerne seulement un tiers de la dette (les 96 milliards d’euros des prêts par le EFSF dans le cadre du deuxième mémorandum) et la création d’une réserve de trésorerie (cash buffer) qui devrait permettre aux gouvernements futurs de couvrir leurs obligations de remboursement, si le retour acclamé de la Grèce sur les marchés financiers s’avérait impossible en dernière instance

La décision est calquée sur les exigences des créanciers et de l’UE.

D’une part, elle leur permet de déclarer que désormais «aucun pays européen ne se trouve sous un mémorandum», c’est-à-dire de tenter de renforcer l’image de cohésion de l’Espace économique européen, en vue de l’accentuation plausible des conflits ouverts par la politique de protectionnisme et de guerre commerciale entamée par Trump.

D’autre part, elle protège leurs intérêts concrètement et sur une longue durée.

La création d’une réserve de trésorerie, qui a été jugée nécessaire, est fondée sur le calcul que les plans de Tsipras-Tsakalotos de sortir rapidement sur les marchés financiers sont tout simplement des surestimations très exagérées.

Il y a quelques semaines, suite à l’épisode de la crise italienne, le taux d’intérêt à dix ans des titres de créance grecs a atteint 4,84% (au même niveau environ qu’avant la faillite qui a ouvert la route pour le premier mémorandum de 2010-2011). Suite à la déclaration de la décision de l’Eurogroupe, il s’est légèrement infléchi à 4,14%, c’est-à-dire à un niveau encore prohibitif.

Le «délai de grâce» – sans paiement des intérêts et du capital – de 10 ans (2032 et non pas en 2022) pour les 96 milliards de créances du Fonds européen de stabilité financière (EFSF) – ce qui n’est assurément pas un cadeau puisqu’il ajoute une décennie d’intérêts profitables pour les créanciers – doit faciliter les remboursements du reste de la dette et implique en même temps un nouveau jalon de la crise de la dette grecque: en 2032 (au lieu de 2022, avec la supervision qui en découle).

Pour reprendre les mots d’un journal du système, To Vima [La Tribune], lequel attribue cette estimation aux «experts» anonymes: «Le deal est astucieux. Les Allemands n’ont pas donné grand-chose à la Grèce, ils ont plutôt octroyé le strict nécessaire, pour faire sortir le pays de la zone de danger à moyen terme. Nous allons avoir besoin d’eux de nouveau en 2032, s’il n’y a pas une relance rapide de l’économie.»

En retour, le gouvernement de Tsipras a «cédé» sur les points suivants:

L’engagement que la totalité des lois signées dans le cadre des mémorandums, les réformes et les contre-réformes de toute la période des huit ans de la crise, resteront en place sans la moindre modification, même de deuxième ordre, même après la fin supposée des mémorandums. Ce que Tsipras qualifie de sortie de mémorandums est en fait la transformation des contre-réformes néolibérales contenues dans les mémorandums 1, 2 et 3 en mesures permanentes pour des décennies!

L’engagement de prendre des mesures additionnelles de rigueur extrême qui consistent: dans la réduction des retraites déjà mises en route pour 2019; dans l’augmentation des impôts payés principalement par les milieux populaires; dans l’abolition du plafond du revenu non imposable dès 2020; dans l’augmentation de l’impôt foncier [ENFIA] par l’«ajustement» des valeurs objectives des biens immobiliers; dans la démolition de la protection sociale même rudimentaire par la réduction des prestations de sécurité en 2018; et encore, dans le programme galopant de privatisations qui comporte non seulement l’entreprise publique de l’électricité (DEI), mais aussi le système de distribution de l’eau à Athènes et à Thessalonique ainsi que tous les terrains publics dont la valeur immobilière est estimée valorisable.

L’engagement de resserrer la politique économique et sociale future dans l’espace extrêmement étroit prévu par l’accord sur les excédents budgétaires primaires (avant le paiement des intérêts de la dette), ce qui va continuer, sans relâche, à pousser la société plus profondément dans la barbarie néolibérale. L’accord stipule que la Grèce devra dégager un excédent correspondant à 3,5 % de son produit intérieur brut jusqu’en 2022, puis de 2,2 % en moyenne durant 37 années supplémentaires, c’est-à-dire jusqu’au 2060!

Même ces économistes qui ont toujours soutenu les mémorandums notent qu’aucun autre pays du monde dans l’histoire de l’économie n’a jamais visé à dégager des excédents de cette ampleur pour une période d’une durée si longue.

Et pourtant, Tsipras ne se fait pas de souci, bien que l’expérience grecque des derniers huit ans démontre que ces excédents sont payés par le sang des travailleurs et les classes populaires les plus pauvres. Les créanciers ne se font pas de souci non plus, puisque l’accord de l’Eurogroupe met en place un mécanisme draconien pour la surveillance et la garantie des excédents: des audits trimestriels, des rapports de conformité, des mécanismes impliquant la prise de mesures additionnelles lorsque les objectifs budgétaires ne seraient pas atteints. On dirait un quatrième mémorandum… après le fin du troisième.

Comme nous l’avons noté auparavant, le déroulement «normal» de cet accord présuppose un passage plus ou moins rapide de l’économie grecque vers un état de croissance perpétuelle. Le cas échéant, l’accord prévoit les stades suivants de l’intervention drastique des créanciers, premièrement en 2022 et puis, probablement de façon encore plus dramatique, en 2032.

D’ailleurs, Christine Lagarde (FMI) et Mario Draghi de la BCE déclarent que cet accord est considéré viable à moyen terme, jusqu’en 2032 (donc il y a encore un délai pendant lequel la Grèce peut continuer d’être exploitée), mais la dette grecque n’est toujours pas viable à long terme.

Pourtant, il est plus probable que le problème va ressortir plus tôt, puisque l’accord ne prend pas en compte les prévisions sur la croissance de l’économie grecque et ne la facilite pas non plus

L’engagement de dégager des excédents correspondants à 3,5% du PIB signifie que les investissements publics (l’instrument traditionnel de la «croissance» du capitalisme grec) ne seront pas augmentés. Par contre, ils seront encore réduits. En réponse, l’état-major de Tsipras promet déjà des investissements privés et il souligne qu’ils ne vont hésiter devant rien pour les faciliter. Or, malgré l’anéantissement des salaires et des droits des travailleurs, les investissements par les capitalistes grecs restent à un niveau de 30% (!) par rapport aux investissements avant la crise. N. Christodoulakis, ministre social-démocrate de l’époque de Kostantinos Simitis (PASOK, premier ministre de 1996 à 2004), fait état d’un «manque d’investissements à hauteur de 100 milliards en Grèce aujourd’hui. Il propose de réduire les excédents primaires à 1,5% du PIB, pour que le reste des ressources fiscales puisse être dirigé vers des «investissements dans la production», ce qui pourrait soutenir les chances d’une croissance économique. Alexis Tsipras va vite comprendre la valeur de la position historique de la gauche que la seule politique viable face à la dette consiste à la répudier et à la supprimer.

Du point de vue des travailleurs et des travailleuses ainsi que des classes populaires, l’accord de SYRIZA avec les créanciers et la Troïka constitue un grave danger. La reconnaissance des investissements privés (nationaux et internationaux) en tant qu’espoir unique pour le progrès social mène à l’assujettissement absolu aux appétits du capital. Les salaires, les retraites, les dépenses sociales, le droit du travail, la protection de l’environnement, les espaces publics, les droits sociaux au sens large, seront mis sous pression et sous des mises en question additionnelles. Les «sacrifices» exigés seront d’une barbarie accrue et le résultat restera encore plus incertain qu’en comparaison au premier mémorandum (qui prévoyait la sortie de la crise en… 2012!).

Face à cette politique, la seule réponse qui ait une consistance réside dans l’organisation et la relance de luttes d’ampleur pour aboutir à la mettre en cause.

Face à cette politique, la Nouvelle Démocratie (de Kyriakos Mitsotakis) et l’extrême droite (Aube dorée), qui ont essayé de construire un mouvement nationaliste de masse sur le thème de la Macédoine, manifestent maintenant un comportement plutôt mou. Ils condamnent les «coups ratés» de Tsipras, ils tentent de profiter du mécontentement populaire face aux mesures planifiées. Mais elles prennent soin de laisser hors d’atteinte le noyau de la politique prévue par l’accord. Pour la droite, la voix du capital c’est depuis toujours «la voix de Dieu».

Dans ces conditions nouvelles, le fardeau de la résistance et du renversement tombe de nouveau sur la gauche radicale. (25 juin 2018; traduction Sotiris Siamandouras)

Source Grèce. L’accord Tsipras-Eurogroupe sur la dette grecque: une cravate tel un nœud de pendu

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