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Allemagne. Des millions de seniors propulsés dans la pauvreté

L’Humanité, 19 décembre 2019

Les réformes des retraites instaurées voilà plus de 15 ans ont grevé le système par répartition, faisant fondre le montant des pensions. Au point que l’indigence des retraités est devenue outre-Rhin l’un des sujets les plus sensibles du débat public.

« Je me fais un sang d’encre. Je ne dors plus la nuit. » La Berlinoise Inge Vogel, qui travaille encore pour quelques mois dans une société spécialisée dans le matériel paramédical, s’apprête à prendre sa retraite. « J’ai plein de projets et je sais que je ne manquerai pas d’activités diverses dans le domaine politique ou culturel », précise-t-elle pour bien indiquer que ce n’est pas du blues classique du nouveau retraité dont elle souffre. Non l’angoisse d’Inge Vogel tient au brutal décrochage annoncé de son niveau de vie dès lors qu’elle sera pensionnée. À l’aube de sa cessation d’activité, Inge (66 ans) touche un salaire correct, environ 2 500 euros net par mois. Ce revenu va être réduit de plus de la moitié, compte tenu de l’évolution outre-Rhin du taux de remplacement (la différence entre le dernier salaire net et le montant de la première pension). Ce qui va ramener ses revenus à environ 1 200 euros, soit tout juste au-dessus du niveau du salaire minimum. « Et je ne suis pas la plus à plaindre », lâche la bientôt ex-salariée. Quelqu’un payé aujourd’hui 1 500 euros net – « ce n’est malheureusement pas une rémunération exceptionnellement basse ici », précise Inge – ne va plus percevoir qu’un peu plus de 700 euros par mois pour ses vieux jours. « Une misère. » Et l’ex-assistante médicale ne mentionne même pas le cas de ses compatriotes innombrables qui ne toucheront pas le taux plein car ils n’auront pas accompli les exigibles 45 à 47 annuités.

Des mesures ressemblant à celles déployées par Emmanuel Macron

L’extension de la pauvreté chez les seniors et la perspective généralisée de retraites peau de chagrin provoquent un tel traumatisme dans la société allemande que ces thèmes figurent parmi les sujets les plus sensibles, régulièrement en première ligne du débat public. Les réformes lancées en 2002 et 2005 par l’ex-chancelier Gerhard Schröder furent présentées comme « le seul moyen de sauvegarder » le système et singulièrement la retraite de base par répartition dont l’écrasante majorité des Allemands demeure tributaire aujourd’hui. Encouragement fiscal aux plus riches à souscrire des assurances privées, amélioration de la compétitivité d’entreprises qui crouleraient sous les « charges sociales », instauration d’un indice dit de « durabilité » (Nachhaltigkeit) permettant de faire évoluer la valeur du point sur lequel est calculé le montant des retraites versées par les caisses légales (Gesetzliche Kassen) par répartition, allongement de la durée du travail et report à 67 ans de l’âge de départ à taux plein : la panoplie des mesures adoptées par le gouvernement SPD-Verts de l’époque ressemble à s’y méprendre à celle déployée aujourd’hui par Emmanuel Macron pour justifier sa réforme. Jusqu’aux éléments de langage sur « la nécessité absolue de moderniser le système ».

Pour se faire une idée des effets pratiques à moyen terme de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, il suffit ainsi de jeter un œil de l’autre côté de la frontière. Le bilan social des transformations allemandes, plus de quinze ans après leur entrée en vigueur, est dévastateur. La part des retraités allemands, précipités sous le seuil de pauvreté, a explosé. 16,8 % des seniors sont touchés aujourd’hui. Un retraité allemand sur deux – soit quelque 8,6 millions de personnes – doit survivre avec une pension inférieure à 800 euros par mois. Une enquête prospective publiée en septembre dernier par l’institut de recherche économique de Berlin (DIW) montre que plus d’un retraité sur 5 (21,6 %) sera misérable à l’horizon 2039. Et cette estimation est sans doute très optimiste puisque les auteurs de l’étude ont choisi de se baser sur la poursuite bon an mal an de la conjoncture économique favorable de ces dernières années (avec taux de chômage réduit).

L’introduction de la retraite Riester par capitalisation, présentée comme le troisième pilier du « modèle » germanique, a profondément ébranlé le système de base par répartition. Les placements réalisés par les citoyens généralement les plus aisés, attirés par d’alléchantes incitations fiscales, ont mécaniquement asséché les ressources des caisses légales qui organisent le financement solidaire des retraites par les cotisations des salariés actifs. Le manque à gagner sera d’autant plus conséquent qu’une partie des fonds est déjà drainée vers les retraites « maison » des entreprises, particularité ancienne du « modèle » et deuxième pilier du système reposant sur la capitalisation. Sachant qu’à ce titre seule une minorité de salariés appartenant le plus souvent aux plus grands groupes bénéficie aujourd’hui d’une rente complémentaire digne de ce nom.

La peur que le passage au troisième âge rime avec un rapide déclassement social, hante toute une société. Si bien que la question s’impose outre-Rhin depuis plusieurs années tout en haut du débat public. La grande coalition a dû bricoler des pare-feu en catastrophe pour éviter un emballement de la mécanique enclenchée par les réformes. On a suspendu d’ici à 2025 l’effet de l’indexation de la valeur du point de la retraite par répartition sur le montant des pensions en bloquant jusqu’à cette date à 48 % un taux de remplacement. Celui-ci avait dégringolé de plus de 10 % sur les dix dernières années.

Les travailleur pauvres grossissent le flot des retraités miséreux

CDU et SPD se sont mis aussi laborieusement d’accord sur l’introduction d’une retraite plancher (Grundrente), une revalorisation des pensions soutenue par l’État pour qu’elles atteignent le niveau des… minima sociaux (de 600 à 900 euros par mois). La mesure est censée éviter à nombre de retraités pauvres de prendre le chemin humiliant du bureau d’aide sociale pour toucher un complément de revenu pour accéder au minimum vital. Beaucoup préfèrent en effet effectuer n’importe quel petit boulot plutôt que d’avoir à mendier une aide. Là encore les chiffres des études les plus récentes sont aussi éloquents qu’effarants : plus d’un million de seniors, souvent âgés de plus de 70 ans, sont contraints aujourd’hui d’exercer des « mini-jobs » pour survivre. Soit une hausse d’environ 40 % sur dix ans. On les voit de plus en plus fréquemment dans les rues allemandes, ombres furtives qui distribuent des prospectus publicitaires, portent des journaux à domicile ou ramassent à la sauvette des canettes de verre ou de plastiques à la terrasse des cafés dans l’espoir de récupérer des consignes pratiquées sur ces produits outre-Rhin un maximum de centimes.

Cette pauvreté qui se répand si massivement chez les seniors allemands n’est pas sans lien avec l’extrême précarité imposée à de nombreux salariés par les lois Hartz de dérégulation du marché du travail. Lancées au même moment que les réformes des retraites, elles ont été présentées de la même façon qu’elles comme une étape majeure pour propulser « la compétitivité » (financière) des firmes allemandes. Les travailleurs pauvres, ou ceux dont la carrière a été entrecoupée de longues périodes de travaux sous-rémunérés et le plus souvent exonérés de cotisations sociales, contribuent évidemment à faire grossir le flot des retraités miséreux. Là encore, le parallèle avec la logique macronienne est frappant. L’aménagement au forceps du Code du travail décidé au début du quinquennat accroît la précarité, ce qui va accentuer l’appauvrissement programmé de la majorité des salariés par la réforme française des retraites.

Les effets contre-productifs des réformes antisociales engagées outre-Rhin au début de la décennie 2000 deviennent de plus en plus manifestes. L’apparition d’une société cloisonnée, devenue très inégalitaire, où « l’ascenseur social ne fonctionne plus », est dénoncée de plus en plus régulièrement dans les travaux de plusieurs économistes. Un handicap profond qui n’est pas sans lien avec l’entrée en stagnation, depuis quelques mois, de la première économie de la zone euro.

Bruno Odent
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Procès du parti néonazi grec Aube dorée : acquittement requis

Le ministère public a provoqué l’indignation mercredi au palais de justice d’Athènes en requérant l’acquittement du chef et des principaux cadres du parti néonazi grec Aube dorée, en procès depuis plus de quatre ans.

Dans son réquisitoire, la procureure Adamantia Economou a estimé que la culpabilité du dirigeant du parti et d’une quinzaine d’autres responsables d’Aube Dorée ne pouvait pas être établie dans le meurtre d’un rappeur antifasciste en 2013 près d’Athènes.

Un procès fleuve de plus de quatre ans

Le fondateur et dirigeant du parti, Nikos Michalokialos, qualifié de « führer » dans l’acte de renvoi devant la justice grecque, est accusé en particulier de « direction et constitution d’organisation criminelle » et d' »instigation morale » du meurtre de Pavlos Fyssas, 34 ans.

La procureure a estimé, dans un communiqué lu à la cour, que le meurtre de ce rappeur antifasciste, poignardé le 19 septembre 2013 par un membre présumé du parti Yiorgos Roupakias, était « non prémédité » et qu’aucun ordre » n’avait été donné pour le commettre par des responsables d’Aube dorée.

La mère de la victime, Magda Fyssa, s’est dite scandalisée par le réquisitoire après plus de quatre ans de procès. « Tout ce temps, et c’est tout ce qu’ils ont compris ? », a-t-elle fustigé, se demandant si elle pourrait « en supporter davantage ».

Ce réquisitoire constitue une surprise pour les observateurs du procès fleuve.

Le meurtre de Pavlos Fyssas, dans une apparente embuscade tendue par des sympathisants d’Aube dorée, avait choqué le pays et enclenché ce procès qualifié d' »historique » par la partie civile.

Mais la procureure s’est demandée mercredi selon quelle logique Aube dorée aurait commandité un meurtre sur la place publique. « Quel gain possible en aurait-il tiré ? Un meurtre en un lieu central ? Si Fyssas avait été une cible, ils auraient pu le tuer dans un endroit caché », a-t-elle plaidé.

Sur la base d’enregistrements de conversations téléphoniques entre des membres d’Aube dorée la nuit où Pavlos Fyssas a été tué, les magistrats instructeurs avaient argué que le meurtre avait été commis alors que des cadres du parti en avaient connaissance.

« Organisation criminelle »

Les 700 pages de l’acte d’accusation sont catégoriques sur le fait qu’aucune des violences imputées aux membres du parti ne se seraient produites « si elles n’avaient pas été ordonnées et soutenues par l’organisation criminelle/le parti, notamment son niveau de commandement le plus élevé ».

L’accusation estimait qu’Aube dorée agissait comme une organisation criminelle de type militaire, qui encourageait les violences, voire les meurtres, contre les immigrés et les opposants politiques.

Michalokialos, qui fut un proche du dictateur défunt Georges Papadopoulos, avait admis la responsabilité politique de la mort de Pavlos Fyssas, mais pas la responsabilité pénale.

Début novembre, lors de sa première comparution, le dirigeant d’extrême droite avait plaidé « non coupable », s’insurgeant contre « un complot politique ayant comme cible le parti ».

Outre le meurtre de Pavlos Fyssas, deux autres crimes sont jugés: l’attaque contre quatre pêcheurs égyptiens près du Pirée en juin 2012 et « la tentative d’homicide », en 2013, de membres du syndicat communiste Pame.

Au total quelque 70 personnes sont poursuivies dans ce procès pour divers chefs d’accusation pour lesquels elles encourent de 5 à 20 ans de prison.

Le verdict est attendu début 2020.

350 jours d’audience

Entamé le 20 avril 2015, ce procès inédit compte déjà 350 jours d’audience, autant de témoins, plus d’une centaine d’avocats et un dossier d’instruction pesant 1,5 teraoctets.

Le procès a entraîné le déclin du parti qui n’a pas réussi à faire élire de député lors des dernières élections de juillet. Aube dorée était entré pour la première fois au Parlement en 2012, surfant sur la crise et le discrédit dont souffrait alors la classe politique.

Source https://fr.euronews.com/2019/12/18/proces-d-aube-doree-acquittement-requis

Enfants réfugiés en Grèce

Des personnes réfugiées près du camp de Moria, en Grèce, le 29 novembre 2019 (ARIS MESSINIS / AFP)

Réfugiés en Grèce : “Les enfants ont le regard de ceux qui ont perdu tout intérêt pour la vie”

Médecins sans frontières (MSF) alerte depuis des années sur les conditions de vies inhumaines dans les camps de réfugié.e.s des îles grecques. Enfants aux pensées suicidaires, politiques européennes délétères… Le président international de l’ONG, le docteur Christos Christou, revient pour “Les Inrocks” sur cette situation, tout en enjoignant l’UE d’agir.

A priori, il n’y a pas plus oxymorique que les mots “enfant” et “suicide”. Et pourtant, d’après le témoignage du président international de Médecins sans frontières (MSF) Christos Christou, sur les îles grecques, des petits garçons et des petites filles réfugié.e.s sont de nos jours confronté.e.s à des pensées suicidaires – trois enfants ont même tenté de mettre fin à leurs jours cet été d’après l’ONG. En cause : les conditions de vie inhumaines sur les camps installés sur les îles de Lesbos ou encore de Samos, où, selon MSF, près de 40 000 personnes vivent. En effet, la Grèce est redevenue, depuis 2019, le pays par où arrivent le plus de migrants tentant de se réfugier dans d’autres pays européens.

Si les autorités grecques ont annoncé mi-novembre qu’elles comptaient évacuer d’ici la fin 2019 les trois camps les plus surpeuplés en les remplaçant par des structures fermées, Christos Christou, chirurgien de profession, appelle de son côté à une “évacuation immédiate” de ces endroits dont il est revenu “profondément choqué”. Mineur.e.s s’auto-mutilant, crise humanitaire, “faillite collective des états européens”… Dans un entretien aux Inrocks, le docteur Christou fait le point sur la situation tout en appelant l’Union européenne a, enfin, “traiter ces personnes comme des humains plutôt que comme un fardeau”.

Dans une lettre ouverte aux dirigeants européens, vous écrivez avoir été “choqué” par ce que vous avez vu lors de votre séjour sur les îles grecques. Pourquoi ?

Christos Christou – Quand j’ai visité les îles grecques de Lesbos et Samos, j’ai été profondément choqué de constater l’étendue de l’urgence sur place, sans compter les témoignages livrés par mes collègues. C’est la raison principale pour laquelle j’ai souhaité envoyer cette lettre aux dirigeants européens.

Au-delà des conditions de vie inhumaines dans lesquelles 40 000 personnes vivent, et l’état d’urgence chronique auquel elles sont confrontées, j’ai été également choqué de voir notre staff médical se sentir si impuissant. Chaque membre de nos équipes ressent de la frustration mais aussi du désespoir : ils et elles doivent soigner des patients atteints de maladies physiques ou psychologiques complexes, mais, au lieu de les orienter vers des centres spécialisés afin que ces personnes puissent recevoir les soins adéquats, ils et elles n’ont d’autre choix que de les raccompagner dans leurs tentes en plastique, sous les arbres.

Ce que j’ai vu est comparable à ce que MSF constate ailleurs dans le monde dans des zones de guerre, ou après des catastrophes naturelles. C’est inacceptable de voir de telles conditions de vie en Europe, un continent censé être sûr. Et c’est par ailleurs scandaleux de réaliser que tout cela est le résultat de choix politiques délibérés.

Quelle est la situation des personnes réfugiées actuellement en Grèce ? Particulièrement pour les enfants ? Dans votre lettre, vous évoquez des cas d’auto-mutilation ou des pensées suicidaires chez des jeunes garçons et filles, quand vos collègues basés sur place, eux, évoquent même des tentatives de suicide…

C’est très difficile de trouver les mots pour décrire la situation. Dans certaines sections du centre d’accueil pour réfugiés du camp de Moria (Lesbos), il y a par exemple une latrine pour 200 personnes. Sur l’île de Samos, c’est une pour 300 personnes, alors que les standards internationaux du HCR prévoient une latrine pour 20 personnes. A Samos, certaines personnes n’ont même pas accès à suffisamment d’eau potable, MSF a donc dû installer un système de camions citernes – soit des dispositifs que nous mettons habituellement en place dans les pays en voie de développement, lors de graves situations d’urgence.

J’ai eu l’occasion de visiter une tente utilisée pour les personnes en attente d’enregistrement dans le camp de Moria. Plus de 50 personnes dormaient là, à même le sol, sur des cartons, sans même que les femmes et les hommes n’aient leurs espaces propres. La majorité de nos patients vivent dans ce camp depuis plusieurs mois, voire depuis plus d’un an et demi pour certains. A Samos, j’ai rencontré des personnes qui vivent depuis trois ans sous des bâches en plastique.

Concernant les enfants, nos équipes sont les témoins des dommages de long terme qui leur sont infligés. Un des psychologues m’a parlé d’un garçon de 12 ans qui, ayant perdu toute forme d’espoir, avait commencé à se couper le visage avec un couteau : à travers ces souffrances auto-infligées, il essayait de trouver un sens à sa situation, qui n’en a justement aucun. Ce n’est qu’un exemple parmi les nombreuses situations désespérées d’enfants, qui en viennent à s’automutiler ou à avoir des pensées suicidaires.

En tant que chirurgien impliqué auprès de MSF, je me suis rendu dans des pays marqués par des conflits, et j’ai déjà été exposé à de nombreuses situations très dangereuses. J’ai été confronté à énormément de souffrance humaine. Et le plus difficile est toujours de regarder les yeux des petits enfants. Dans leur regard, vous pouvez voir la peur, la souffrance, ou encore le dénuement. Mais ce que j’ai vu en Grèce est pire : chez les enfants, là-bas, j’ai vu des regards vides. Le regard d’enfants qui ont perdu tout intérêt pour la vie, un regard sans espoir. Ce qui me rend dingue, c’est que ces enfants ont fui des zones de guerre, mais que c’est en Europe qu’ils ont perdu leur enfance.

Selon l’UNICEF, 23 000 enfants (réfugiés ou demandeurs d’asile) sont arrivés en Grève, en Italie et en Espagne en 2018. Et selon la Convention internationale des droits de l’enfant, tout enfant a le droit à une protection jusqu’à sa majorité. En Grèce actuellement, c’est donc loin d’être le cas…

Les enfants demandeurs d’asile qui arrivent en Grèce sont confrontés à un système de négligence, qui ne leur garantit ni un endroit sûr pour dormir, ni de la nourriture, ni un accès aux services médicaux. En tant que docteur, c’est de ma responsabilité de protéger les enfants abusés ou maltraités, de même que de rapporter de telles situations. Cependant, pour de nombreux enfants à Athènes, mais aussi pour ceux retenus sur les îles grecques, le système étant censé les protéger les met plutôt en danger.

Le camp de Moria est d’après MSF particulièrement problématique, avec un taux de surpopulation extrêmement élevé [environ 13 000 personnes pour une capacité de 3 000 places, ndlr]. Sur votre site web, il est écrit ceci : “En créant une nouvelle crise humanitaire, en Grèce cette fois-ci, il semblerait que l’Europe essaie de décourager les arrivées dans le pays.” Que voulez-vous dire par là ?

Depuis des années, les équipes de MSF traitent les conséquences extrêmement néfastes de cette situation, où la santé des personnes les plus vulnérables est affectée par les politiques européennes, sans aucune considération pour leurs besoins. Nous sommes obligés de faire le travail que les autorités européennes, et particulièrement grecques, refusent tout simplement de faire.

Plutôt que de s’occuper de ces énormes besoins en termes médicaux, hommes, femmes et enfants sont de plus en plus confrontés à des murs, que ce soit pour accéder à des services médicaux ou à des médicaments basiques. Ils et elles demandent l’asile, mais se retrouvent finalement coincé.e.s dans un labyrinthe fait de restrictions légales toujours plus importantes, sans compter les obstacles liés à l’argent, le langage ou la culture. Les autorités grecques et européennes devraient mettre ces besoins au coeur même de leur agenda politique, plutôt que d’essayer de trouver tous les moyens possible pour réduire la protection de ces personnes et les renvoyer d’où elles viennent.

Que demandez-vous à l’Union européenne ? Vous dénoncez notamment l’accord controversé passé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016 [lequel prévoit qu’en échange du renvoi d’un migrant arrivant en Grèce depuis la Turquie, un autre migrant basé en Turquie soit envoyé dans un pays de l’UE, ndlr]

En 2016, MSF avait déjà alerté sur le fait que l’accord entre l’Union européenne et la Turquie allait avoir de graves conséquences humanitaires, tout en mettant le statut de réfugié ou de demandeur d’asile en grand danger. A l’époque, en guise de protestation, nous avions même refusé des financements européens. Malheureusement, nos peurs sont devenues réalité.

Ce qui se passe en Grèce est le symbole d’une faillite collective des états européens concernant l’accueil de demandeurs d’asile sur le continent. Nous avons demandé à la nouvelle Commission européenne de reconnaître le caractère nuisible et attentatoire des politiques visant à tenir ces personnes éloignées. Nous avons demandé à l’Union européenne et au gouvernement grec d’évacuer immédiatement les îles grecques, en apportant aux personnes concernées un logement sûr sur le continent, et en augmentant la solidarité des autres Etats européens, de façon à ce qu’ils accueillent plus de personnes [jeudi 12 décembre, après cette interview, la France a annoncé l’accueil prochain de 400 demandeurs d’asile, ndlr].

Ce n’est pas en niant le problème et en essayant de dissuader par tous les moyens les réfugiés et demandeurs d’asile de venir que se réglera l’enjeu actuel du déplacement de populations. C’est complètement irréaliste, tout en menant à des politiques et des mesures inhumaines. Nous demandons donc aux dirigeants européens de changer de paradigme, de changer complètement leur approche globale concernant les migrations. Ils doivent cesser de traiter ces gens comme des envahisseurs, comme une menace, un problème à régler, un fardeau à porter. Ils doivent enfin commencer à les traiter comme des humains : hommes, femmes, enfants, qui doivent pouvoir recevoir assistance et protection. Le tout en respectant leur dignité, comme n’importe quel être humain.

Propos recueillis par Amélie Quentel

Source https://www.lesinrocks.com/2019/12/13/actualite/monde/refugies-en-grece-les-enfants-ont-le-regard-de-ceux-qui-ont-perdu-tout-interet-pour-la-vie/

Décryptage des annonces du Premier ministre sur la réforme des retraites

Décryptage des annonces du Premier ministre : le gouvernement modifie l’emballage sans toucher au contenu de sa réforme des retraites mercredi 11 décembre 2019, par Collectif

Après 2 ans et demi de concertations menées par Jean-Paul Delevoye, Edouard Philippe a « dévoilé », ce mercredi 11 décembre au CESE le projet de réforme des retraites du Gouvernement. Ces annonces ne changent ni l’horizon du gouvernement sur la réforme des retraites, ni ses conséquences pour les retraité·e·s actuel·le·s et futur·e·s. Décryptage.

Comme on pouvait s’y attendre, Emmanuel Macron et son gouvernement s’obstinent face à la colère et à la mobilisation de masse actuellement en cours. Pour briser la solidarité entre générations, Edouard Philippe n’hésite pas à avoir recours à l’argument le plus méprisable : ne vous inquiétez pas ces mesures ne vous frapperont pas ; elles ne toucheront que vos enfants.

Quelle meilleure preuve que la réforme est néfaste, qu’elle n’est pas favorable aux actifs !

Mais les personnes qui ne seront pas concernées par la réforme “à points” seront concernées par des nouvelles mesures de baisse, via l’instauration d’un âge “d’équilibre” à 64 ans dès 2027.
Alors que E. Philippe affirme que le système “financera un haut niveau de solidarité”, ce qui nécessiterait un financement bien plus important qu’aujourd’hui compte tenu des inégalités actuelles à corriger, la part de solidarité sera simplement maintenue à son niveau actuel, au début de la mise en oeuvre. Comme elle sera sortie du système de retraite pour être financé par l’impôt, il y a fort à craindre que cette part soit rapidement rognée au nom des baisses de dépenses publiques.

Nouvel “âge d’équilibre” pour les plus de 47 ans (nés avant 1975), réforme à points pour les autres, tout le monde reste perdant !

Malgré les aménagements quant aux générations concernées par le système à points ou par des économies de court-terme, il n’y a pas d’évolution sur le plafonnement du financement des retraites à 14% du PIB… voire une baisse de cette part.

Les personnes qui ne seront pas concernées par le système à point seront fortement touchées par l’autre partie de la réforme : les économies à court terme, et notamment par un nouvel âge d’équilibre fixé à 64 ans en 2027. Toute personne qui partira avant cet âge subira une décote, quel que soit son nombre d’annuités. La nouvelle décote sera calculée en prenant le plus défavorable de deux critères pour chacun, entre durée de cotisation, et écart à cet âge d’équilibre. Une perte qui peut se chiffrer en centaines d’euro par mois. Et ce dès les prochaines générations.

Les générations nées après 1975 seront concernées par le nouveau système à point, calibré pour ajuster les pensions à la baisse à mesure que l’espérance de vie s’allonge. Ainsi, la réforme ne s’appliquera qu’aux personnes nées en 1975 et après, soit en 2037. D’ici là, dès 2022, les jeunes cotiseront au nouveau régime, ce qui veut dire que pendant 17 ans, les régimes existants vont être de plus en plus déficitaires, de plus en plus dans la main de l’État.

La conséquence de ces choix : une baisse des taux de remplacements brutale et plus forte que celle prévue par les précédentes réformes.

Des garanties en trompe l’œil :

  • L’indexation du point ne garantit pas le niveau des pensions

L’annonce de l’indexation de la valeur des points acquis sur les salaires se veut rassurante. Mais le niveau des pensions (niveau de la retraite par rapport au dernier salaire) n’est en aucun cas garanti. Ce qui importe n’est pas la valeur du point (qui n’est qu’un indice), mais le “taux de remplacement”, c’est à dire la part de pouvoir d’achat qu’on conserve lorsqu’on passe de l’emploi à la retraite. Et celui-ci va baisser, plus fortement qu’aujourd’hui. Ce que le gouvernement fait mine de garantir avec la valeur du point, il le reprend avec une décote variable.

  • Un minimum de pension à 1000€ (pour une carrière complète) pour les uns, la capitalisation pour les autres ?

Avec une baisse massive du niveau des pensions, une partie écrasante de la population française sera logée à la même enseigne : le nouveau « minimum de pension » à 1000€ (pour une carrière complète). Toutes les personnes n’atteignant pas l’âge pivot ou ayant une carrière incomplète auront beaucoup moins. C’est un des « alibis sociaux », les gagnants de la réforme : celles et ceux qui pourront prétendre au minimum après une vie de travail. Par ailleurs le gouvernement utilise les femmes comme alibi de la réforme en n’hésitant pas à les qualifier de “grandes gagnantes”, alors même que leurs droits et leur autonomie financière sont gravement menacés par de nombreuses dispositions (prise en compte de toute la carrière, pension de réversion dégradée, abandon des majorations de durée d’assurance pour les enfants). Pour les personnes pouvant se le permettre, il s’agira désormais de se tourner vers la capitalisation privée, grandement facilitée par le gouvernement et son Plan Epargne Retraite. Ce sont d’immenses opportunités pour les fonds de pensions, largement défiscalisés, et donc autant de manque à gagner pour les caisses de l’État.

En clair, ces annonces confortent le coeur de la réforme qui concerne tou·te·s les actif·ve·s du pays, soit la réduction du niveau des retraites dans notre système solidaire et un effet d’éviction vers les solutions de capitalisation privée. Dans le détail beaucoup de flou persiste sur la réelle prise en compte de la diversité des situations et des carrières. Les centaines de milliers de grévistes et de manifestant·e·s réuni·e·s depuis le début du mouvement semblent plus que jamais déterminé·e·s à continuer le mouvement, dès demain jeudi 12 décembre, et ce jusqu’au retrait définitif de son projet de réforme.

Avocats exclus des auditions en zone d’attente

« Longue vie à l’arbitraire ! » Les avocats exclus des auditions en zone (…)

Par une décision du 6 décembre, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître le droit d’être assistées d’un avocat aux personnes étrangères qui font l’objet d’auditions par la police à leur arrivée aux frontières. Encore une preuve du régime dérogatoire réservé aux personnes étrangères aux frontières !

Saisi par une ressortissante nicaraguayenne qui avait subi ces auditions et par nos organisations, le Conseil constitutionnel n’a pas saisi l’opportunité qui lui était ainsi donnée de consacrer l’application du principe fondamental des droits de la défense pendant les auditions de personnes étrangères précédant ou suivant la notification d’une décision de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente.

En déclarant les articles L.213-2 et L.221-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conformes à la Constitution, il a fait de la zone d’attente le seul lieu où la contrainte et la privation de liberté peuvent s’exercer sans la présence d’un avocat.

Or, ces auditions en zone d’attente – autrement dit ces interrogatoires, parfois musclés – sont lourdes de conséquences pour les personnes étrangères, qui risquent non seulement d’être refoulées avant même d’avoir pu entrer en France mais aussi d’être préalablement enfermées pour une durée qui peut aller jusqu’à vingt-six jours. En dépit de la gravité de ces enjeux, la zone d’attente restera hors d’atteinte des droits de la défense.

«  Dis que tu viens travailler ! Avoue ! » : ceci n’est pas un témoignage isolé de pressions policières fréquemment subies par les personnes qui se présentent aux frontières pour leur faire déclarer les raisons présupposées – voire fantasmées – de leur venue sur le territoire Schengen. En refusant que ces auditions soient menées sous le regard des avocats le Conseil constitutionnel permet que de tels comportements perdurent.

Les « sages » du Conseil constitutionnel ne sont-ils pas, pourtant, les garants des libertés constitutionnellement protégées ? Il faut croire que – pas plus que les droits de la défense – la sagesse n’a sa place en zone d’attente.

Dénonçant un inquiétant déni des droits des personnes retenues aux frontières, nos organisations continueront d’exiger la mise en place d’une permanence gratuite d’avocats en zone d’attente, seule garantie d’un véritable accès aux droits pour les personnes qui y sont enfermées.

Organisations signataires
Conseil National des Barreaux
ADDE
Anafé
Gisti
SAF

Source http://www.anafe.org/spip.php?article548

Condamnation de trois opposants aux mines d’or en Grèce

Condamnation de trois opposants aux mines d’or en Grèce – APPEL A DONS

photo : antigoldgr.org

Le jeudi 26 novembre 2019, trois membres du mouvement SOS Chalcidique ont été jugés coupables par le tribunal de Thessalonique, pour avoir participé à un sit-in contre le projet de mine d’or à ciel ouvert de Skouries (dans le nord de la Grèce).

L’un d’eux a été condamné à une peine de 8 mois de prison avec sursis et les deux autres à 6 mois. De plus, chacun devra payer une amende de 600 euros, l’équivalent de leur salaire mensuel. Ils n’ont évidemment pas les moyens de rembourser les frais de justice !
Les trois opposants s’ajoutent à la longue liste des victimes de la répression qui s’abat sur tous ceux qui osent résister à la machine extractiviste. Depuis le début de la lutte contre l’entreprise Eldorado Gold Corporation et son projet mortifère, 500 personnes ont été inculpées pour des motifs semblables.

Vous pouvez soutenir la lutte contre l’extraction minière en Grèce en faisant un don sur le compte de l’association Stopmines23 – n° IBAN : FR43 2004 1010 0610 0018 9N02 768 – ou envoyer vos dons à l’adresse suivante : Stopmines23 – Sugeres Le terrier – 23600 Boussac Bourg. Ces dons permettront de couvrir une partie des frais de justices des trois militants récemment condamnés. Pour tout renseignement écrivez à : niki_velis@yahoo.gr ou contact@stopmines23.fr

Stop à la répression !
Vive la solidarité internationale contre l’extractivisme et son monde !

Pour en savoir plus sur la lutte contre la mine de Skouries :

Bande annonce du documentaire « Nous ne vendrons pas notre avenir », de Niki Velissaropoulou, qui a filmé pendant 5 ans la lutte des habitants de la région et particulièrement la jeunesse contre ce projet minier :    https://vimeo.com/171297546

Grèce : colère étudiante au bord de l’explosion

Chaque année, la commémoration du massacre étudiant de l’université Polytechnique d’Athènes, où les militaires de la junte militaire fasciste (1967 – 73) massacrèrent plusieurs dizaines d’étudiantEs (le nombre exact n’est toujours pas établi) donne lieu à des mobilisations importantes de la jeunesse scolarisée, autour des mots d’ordre toujours d’actualité : « éducation, pain, liberté ». Les jours qui précèdent la manif du 17 novembre donnent lieu à des meetings, des fêtes de solidarité, des manifs de toute sorte, dans un contexte de résistance anti-impérialiste et de défense des droits démocratiques.

Pluies d’attaques antisociales

Cette année, les mobilisations étudiantes ont commencé très tôt. Dès son arrivée au pouvoir début juillet, la droite du rejeton de la vieille famille Mitsotakis a annoncé la couleur : économies sur l’éducation publique, feu vert au privé, le tout sur fond de campagne hystérique de répression des droits, contre les réfugiéEs, contre les travailleurEs, contre la gauche en général, et cela en s’appuyant sur son aile fascisante (cadres de la droite provenant d’anciens groupuscules fascistes) et sur les médias quasi entièrement aux ordres, la 1ère chaine française TF 1 apparaissant presque de gauche face aux chaînes grecques !

Dans le secteur éducatif, la nomination d’une bigote fondamentaliste comme ministre, Niki Kerameos, a été suivie de mesures toutes plus antisociales et anti-démocratiques les unes que les autres : fermeture de la fac de droit de Patras, ouverte par le gouvernement Syriza, et de 37 autres sections universitaires, limitation du droit aux études (viré après deux échecs), projet de casser le monopole public de l’université (pour l’instant, les boites privées du supérieur, hyper chères, sont en lien avec des facs étrangères qui les patronnent… et en tirent des revenus), nomination récente comme président de l’Institut de politique éducative d’un provocateur réactionnaire… Et pour faire passer ces attaques sociales de premier plan, la droite a voté cet été une mesure répressive très inquiétante, qui pour beaucoup montre clairement le lien entre cette droite « orbanisée » et la junte militaire des années 1967-73 : la suppression de l’asile universitaire, bien sûr entourée de tout un fatras d’élucubrations accusatrices sur les refuges terroristes dans les facs, les terroristes étant, en vrac, les anars, l’extrême gauche et Syriza!

Mobilisations étudiantes

Le mouvement étudiant ne s’est pas trompé sur la gravité de cette mesure et ses conséquences non dites sur le droit aux études : dès fin juillet, une première manif voyait défiler 5000 étudiantEs à Athènes. Et depuis la rentrée, de nombreuses mobilisations ont eu lieu sur cette question, avec ces dernières semaines de belles manifs et une mobilisation croissante avec comme perspective le 46e anniversaire de Polytechnique, dont beaucoup ont compris le fort enjeu cette année. Du coup, les instances universitaires se mettent au garde-à-vous : conférence des présidents d’université dénonçant les « épisodes » de violence… étudiante et, surtout, décision inouïe de la direction d’ASOEE, fac d’économie d’Athènes, de fermer la fac dans la semaine du 17 novembre, empêchant sa communauté universitaire d’organiser ce qui est un moment important de la vie universitaire et de la politisation. Les étudiantEs de cette fac et d’autres ont organisé une riposte à ce lock-out, entrant dans leur fac pour faire valoir leurs droits. Résultat : une violente intervention policière contre les étudiantEs mais aussi contre des passantEs, des journalistes (tenus à l’écart…), Mitsotakis montrant ainsi à tous ceux et toutes celles qui en doutaient son vrai visage.

« La loi et l’ordre »

Car le slogan de la période pour le pouvoir, c’est « la loi et l’ordre », ce qui n’est pas sans rappeler en Grèce des slogans d’époques bien sombres. Cela s’illustre évidemment par les expulsions des immeubles occupés, notamment dans le quartier d’Exarcheia sinistrement quadrillé par les MAT (CRS), et qui continuent sans que s’y oppose une protestation suffisamment massive. Cela se vérifie aussi avec les droits que s’octroie une police dont on sait à quel point elle est gangrenée par les idées nazies de Chryssi Avgi (Aube dorée) : arrestations  arbitraires, passages à tabac, humiliations diverses, menaces, et déclarations provocatrices de flics se réjouissant que l’esprit de la junte soit revenu…

Alors, bien sûr, tant de provocations et d’impunité font penser à certains que le gouvernement tente d’ouvrir un autre front pour faire oublier le scandale financier dans lequel sont salement englués certains de ses membres, dont le ministre d’extrême droite Georgiadis. Que cet aspect existe, c’est possible. Mais il est évident que sur le fond, ce gouvernement revanchard et sans grande expérience n’a qu’un but : le libéralisme intégral, à la Pinochet comme on le dit ici, et notamment dans le domaine éducatif, avec comme projet de restreindre très fortement le droit aux études.

Ces attaques, le mouvement étudiant les refuse de plus en plus fort ces derniers jours : le jeudi 14 novembre, une très grosse manif a eu lieu dans le centre d’Athènes, et de nombreuses facs sont occupées dans le pays, en vue d’un 17 novembre auquel la jeunesse compte bien donner un caractère bien plus massif que les années précédentes. Toutes raisons pour lesquelles le lien avec le mouvement ouvrier sera décisif… ainsi que la solidarité internationale, notamment contre la répression!

A. Sartzekis

PS (18 novembre) : La commémoration de l’École Polytechnique, le 17 novembre, a été plutôt une bonne et encourageante surprise : des dizaines de milliers de manifestantEs (la police parle de 20 000…), avec des cortèges combattifs. La présence des étudiantEs et de la jeunesse plus largement confirme qu’une reconstruction de la résistance face aux attaques brutales de la droite se prépare…

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-colere-etudiante-au-bord-de-lexplosion

Pour une commission d’enquête parlementaire pour le respect des droits des exilées

Nous demandons une commission d’enquête parlementaire pour le respect des droits des personnes exilées à nos frontières

Amnesty, La Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans frontières et le Secours catholique se mobilisent dans plusieurs villes et demandent la création d’une commission d’enquête parlementaire pour le respect des droits des personnes exilées à nos frontières.

Aujourd’hui, des mobilisations vont avoir lieu dans plusieurs villes-frontières afin d’appeler les député·e·s à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour que soient respectés les droits fondamentaux des personnes migrantes et réfugiées aux frontières intérieures. À midi, au moment où les sirènes des pompiers retentissent partout en France comme autant de symboles de nos alertes, des centaines de personnes seront rassemblées aux frontières à Briançon, à Calais, à Dunkerque ou encore à Hendaye et à Menton mais aussi à Londres, devant l’ambassade de France.

De Grande Synthe à Menton, en passant par la vallée de la Roya et par Hendaye, les frontières françaises sont les lieux d’atteintes inacceptables aux droits fondamentaux des personnes exilées. Absence de tout dispositif sanitaire et social, destruction d’abris, obstacles à la demande d’asile, non-protection des mineur·e·s isolé·e·s, refoulements systématiques, comportements brutaux, harcèlement des personnes qui, par solidarité, tentent d’apporter une aide aux exilé·e·s… La liste d’atteintes aux droits humains est longue.

Malgré les dizaines de rapports venant d’autorités publiques indépendantes et d’ONG qui documentent ces violations, le gouvernement reste sourd à ces alertes. Pourtant, la protection des droits et libertés fondamentales de toute personne constitue un impératif commun sur lequel nous ne pouvons transiger et dont nous appelons la représentation nationale à s’emparer.

Nos associations s’adressent aujourd’hui aux député·e·s pour demander la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de procéder à des investigations aux frontières et surtout de proposer des mesures pour que les droits des personnes migrantes et réfugiées soient enfin respectés.

Partout sur les territoires frontaliers, des dizaines d’associations agissant en soutien aux personnes exilées se joignent à cet appel.

Les constats de nos cinq associations et de tous les acteurs locaux sont alarmants. L’état de santé physique et/ou psychologique de ces personnes est dramatique, que ce soit, comme à la frontière italienne, en raison de leurs arrestations, refoulements et privations de liberté dans des conditions indignes, ou en raison du harcèlement et de la destruction de leurs abris, notamment à la frontière britannique.

Rares sont les obligations, prévues par la loi française et le droit international, qui sont respectées aux frontières italienne et espagnole : les personnes ne sont pas informées de leurs droits, ne peuvent pas demander l’asile et certaines sont même détenues pendant des heures sans fondement légal. Ces frontières sont devenues des zones de non-droit, à l’image du lieu d’enfermement situé à Menton, où même des élu·e·s de la République se sont vues refuser l’accès, en octobre et novembre dernier. Sur le littoral nord, les personnes exilées se font expulser de leurs campements précaires sans solution digne d’hébergement.

Tous les jours, les acteurs de terrain recueillent des témoignages de mineurs isolés : leur minorité est rarement prise en compte par les forces de l’ordre aux frontières, qui les refoulent, au mépris des lois françaises et des conventions internationales, aggravant leur précarité et leurs traumatismes. Une fois sur le territoire, leur situation n’est pas meilleure, comme le dénoncent les associations de terrain, notamment à Calais et à Grande Synthe, où ces jeunes survivent en attendant d’essayer d’aller au Royaume-Uni.

Face aux manquements de l’État, de nombreux citoyens, des collectifs et des associations viennent en aide aux personnes exilées. Mais, au lieu de voir leurs missions encouragées, ils doivent faire face à des pratiques d’intimidation, de harcèlement, des poursuites et, dans certains cas, à des condamnations en justice. Le droit international est pourtant très clair : aider des personnes réfugiées et migrantes n’est pas une infraction et aucune poursuite pénale ne devrait avoir lieu.

Source https://www.lacimade.org/presse/nous-demandons-une-commission-denquete-parlementaire-pour-le-respect-des-droits-des-personnes-exilees-a-nos-frontieres/

Télécharger le dossier de presse ici.

Signataires :
Amnesty International France
La Cimade
Médecins du Monde
Médecins sans Frontières
Secours Catholique-Caritas France
Anafé
MRAP
Syndicat des avocats de France

Frontière franco-espagnole
Diakité
Collectif Etorkinekin – solidarité migrants
Ongi Etorri Errefuxiatuak – Pais Vasco
SOS Racismo – Bizkaiko SOS Arrazakerria

Frontière franco-italienne
Adn Association pour la démocratie à Nice
Collectif Kesha Niya
Diaconia Valdese
Emmaüs Roya
Ligue des droits de l’homme – Nice
OdV Caritas Intemelia
Pastorale des migrants du diocèse de Nice
Roya Citoyenne
Tous Migrants
WeWorld

Frontière franco-britannique
ADRA France antenne de Dunkerque
AMIS (Aide Migrants Solidarité Téteghem)
ASR adhérents
Auberge des Migrants
Bethlehem
Cabane Juridique
Cercle de Silence Hazebrouck
Collectif Cambresis pour l’Aide aux Migrants
ECNOU
Emmaüs Dunkerque
Flandre Terre Solidaire
Fraternité Migrants Bassin Minier 62
Help Refugees
Ligue des droits de l’Homme – Dunkerque
Refugee Women’s Centre
Refugee Youth Service
Salam Nord /Pas-de-Calais
SAVE
Solidarity Border
Terre d’Errance Steenvoorde
Terre d’Errance Norrent-Fontes
Utupia56 Calais

UE : nouveaux dirigeants, anciens problèmes

UE : nouveaux dirigeants, anciens problèmes par Attac Allemagne – Groupe de projet sur l’Europe


Commission européenne à Bruxelles, Belgique (CC – Flickr – Fred Romero)

Sur la situation de l’UE au moment de l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne.

1. Lors de la campagne électorale pour le Parlement Européen en mai dernier, les partis établis et les grands médias ont réussi à donner l’impression qu’après une décennie de multiples crises les choses iraient mieux. Le taux de participation a augmenté et le grand journal Frankfurter Allgemeine Zeitung s’est réjoui de constater : « Les alarmes exacerbées et la dramatisation historique de la campagne électorale – mot-clé « vote déterminant pour notre destin » – ont peut-être semblé à certains être exagérées. Mais cela a eu l’effet escompté. »

2. Cependant, la désillusion vint vite. Le modèle » tête de liste », précédemment vanté comme preuve que l’UE pourrait être démocratisée, a été aboli d’un trait de plume, et la présidence de la Commission a été décidée par Macron et Merkel selon l’ancienne méthode. A été confirmé ce que Macron lui-même avait déclaré en 2017 : « Ceux qui dirigeaient l’Europe … ont cherché des accommodements à côté du peuple comme pour continuer une méthode qui pendant des décennies avait si bien réussi, celle de faire l’Europe un peu à part et d’expliquer ensuite. » [1]

3. Les conservateurs et les sociaux-démocrates n’ayant plus la majorité au parlement, les décisions deviendront plus difficiles. En conséquence, le Parlement – en termes de pouvoir déjà le maillon le plus faible des institutions de l’UE – perdra de l’importance politique, comme le montre la décision sur la présidence de la Commission.

4. De plus en plus de gens ont compris que les élections européennes ne répondent même pas aux normes démocratiques minimales :

  • elles étaient libres et secrètes, mais pas égalitaires. Si par exemple en Allemagne, on voulait voter pour la plate-forme de la gauche avec La France Insoumise, PODEMOS et les partis de gauche nordiques, on n’a pas pu le faire, car les élections ont été tenues d’après les règles nationales ;
  • il en va de même pour le seuil électoral. Alors qu’en Allemagne, un demi point de pourcentage était suffisant pour obtenir un siège, le seuil de cinq pourcents s’appliquait dans d’autres pays ;
  • le principe une personne – une voix ne s’applique pas. Dans les pays les plus peuplés, il faut pour un siège au Parlement Européen dix fois plus de voix qu’à Malte.

5. Ces déficits démocratiques sont à rajouter aux problèmes démocratiques structurels :

  • l’absence des fonctions les plus importantes d’un parlement : l’initiative législative et la souveraineté budgétaire,
  • il n’y a pas de séparation des pouvoirs dans l’UE,
  • les décisions importantes suivent les mécanismes de domination cachés (Bourdieu), c’est-à-dire une hiérarchie informelle avec la France et l’Allemagne en tête.

Mais même si ces problèmes étaient résolus, le constitutionnalisme néo-libéral subsisterait, c’est-à-dire la quasi-constitutionnalisation du néo-libéralisme dans les Traités et sa mise en œuvre dans le marché intérieur, privilégiant les intérêts du capital. Les privilèges structuraux et juridiques du capital sont bien illustrés dans les traités de libre-échange. Le droit démocratique pour les États et les municipalités de décider sur leurs affaires est systématiquement limité en faveur des profits des investisseurs. Une alternative fondamentale aux politiques économiques et sociales ne peut être obtenue qu’en modifiant les traités à l’unanimité. Une illusion, du moins tant qu’on obéit aux Traités.

6. Avec Ursula von der Leyen, une personne a été élue à la tête de la Commission, dont la priorité absolue est de promouvoir la militarisation et de faire de l’UE une grande puissance dans l’ordre mondial multipolaire émergeant et face aux conflits avec les États-Unis. Elle qualifie donc sa nouvelle Commission de commission géopolitique. Afin de satisfaire le désir de grandeur et de puissance, un nouveau département a même été créé. Cependant, les tentatives de parvenir à « la souveraineté stratégique » (Macron) se heurtent à une résistance massive. Non seulement les États-Unis, mais aussi la Pologne et les pays baltes préfèrent s’en remettre à une OTAN en état de « mort cérébrale » (Macron) plutôt qu’aux propres capacités militaires de l’UE.

7. Si les sondages pour les élections en Grande-Bretagne sont corrects, le pays quittera l’UE le 31 janvier 2020. Le Brexit ne signifie pas simplement qu’un pays membre parmi 28 partira. Le Royaume-Uni est la deuxième économie de l’UE et la cinquième du monde. En termes économiques, cela signifie autant que si les 18 économies en fin de classement sortaient. C’est aussi une puissance nucléaire, ce qui confère malheureusement toujours un statut spécial dans le système international, et un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais le plus grand défi pour Bruxelles pourrait être à venir. Si le Royaume-Uni ne connaît pas le déclin annoncé après le Brexit, cela montrerait aux pays tentés d’en faire autant : on peut bien réussir sans l’UE.

8. Une autre priorité de la nouvelle Commission est la construction de la « Forteresse Europe. » En l’absence de consensus en matière de politique humaine sur la migration, la seule chose qui puisse encore être convenue est le renforcement des frontières extérieures. Le Département des Migrations s’appelle désormais « Promotion de notre mode de vie européen » – une formule qui indique un glissement net vers la droite en matière de fuite et migration. Le terme mode de vie européen signale la tentative de former une identité euro-nationaliste par le haut.

9. Une autre priorité de Mme von der Leyen est un Green Deal. Cela sonne bien. Mais compte tenu de l’hétérogénéité des intérêts entre la Pologne avec sa houille, la dépendance de la France de ses centrales nucléaires, le tournant énergétique en Allemagne, largement laissé à l’anarchie des marchés, et les conflits sur le gaz russe, des changements substantiels sont encore moins probables qu’avec le programme sur le climat décidé récemment en Allemagne.

10. Le débat sur le cadre budgétaire 2021-2027 montre également que la politique climatique n’a aucune chance à la hauteur des défis. Jusqu’à présent, chaque pays a contribué avec 1 % de son PIB au financement de l’UE (NB : l’objectif militaire de l’OTAN est de 2 % !). Comme la contribution britannique doit être compensée, les contributions de tous augmenteront. A cela il faut rajouter les fonds supplémentaires pour le financement de la militarisation (PESCO), soit environ 13 milliards d’euros pour ce que l’on appelle le fonds de défense. Ainsi, le budget 2020 reste en deçà de l’objectif de consacrer 20 % à la politique climatique, tel que l’avait recommandé le Parlement. Il y a plus de populisme dans ce Green Deal que de sérieux contre le changement climatique.

11. Rien n’est dit sur les effets centrifuges de l’euro, l’un des problèmes structurels les plus importants de l’UE : La tentative de Macron de stabiliser la zone euro a été diluée au point de ne plus être reconnue. Il voulait « plusieurs pourcents du PIB » – donc au moins 2 %. Cela représenterait 231 milliards par an. L’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité désormais adopté prévoit 17 milliards – sur 7 ans, soit 2,4 milliards par an, soit 0,002 % du PIB.

12. L’UE reste une construction précaire qui ne dispose pas des instruments politiques, économiques, financiers et juridiques pour résoudre les crises cruciales de notre époque. La crise permanente, se débrouiller tant bien que mal et l’érosion continuelle vont donc se poursuivre avec Mme von der Leyen.

13. L’un des principaux défis pour une politique émancipatrice est de s’opposer à la militarisation et à la politique de grande puissance. Surtout du point de vue des pays du Sud, la militarisation et le comportement de grande puissance représentent la continuation de 500 ans de colonialisme et d’impérialisme. En même temps, ces politiques absorbent les ressources politiques, financières et intellectuelles nécessaires pour résoudre les problèmes environnementaux et pour éradiquer la pauvreté. En aucun cas une politique émancipatrice ne doit prendre parti dans la controverse entre d’une part l’OTAN/USA, d’autre part l’indépendance militaire de l’UE. Il faut lutter, au-delà de la peste et du choléra, pour un ordre mondial démocratique, pour la coopération internationale, la détente, la résolution politique des conflits, la paix et le désarmement, y compris pour un ordre de paix pan-européen, de Lisbonne à Vladivostok.

En outre, il est nécessaire de mener des campagnes contre le néolibéralisme dans les politiques économiques, commerciales, financières et sociales et contre le démantèlement de la démocratie.

Enfin, le débat sur les questions fondamentales concernant l’avenir de l’UE et des alternatives émancipatrices doit se poursuivre.


1er Décembre 2019

Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce !

Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce ! par ·

Nouveau point sur la situation en Grèce, où ça chauffe également. Faites passer.

Depuis son arrivée au pouvoir, début juillet, le nouveau premier ministre grec faisait une fixation sur Exarcheia qu’il voulait « nettoyer » au plus vite. Dans sa ligne de mire : migrants, anarchistes et autres révolutionnaires, et leurs locaux pour la plupart squattés. Mais devant la résistance du quartier (qui s’organise de plus en plus au fil des mois, après un été laborieux) et sa volonté d’essaimer un peu partout pour ne pas se laisser nasser, c’est maintenant dans toute la Grèce que le gouvernement a décidé de frapper.

En parallèle du mouvement dans l’hexagone

Ce jeudi 5 décembre, pendant que la grève générale commencera en France (observée avec un grand intérêt depuis la Grèce), un autre événement important se produira simultanément à l’autre bout de l’Europe. En effet, ce 5 décembre sera aussi le terme d’un ultimatum de 15 jours lancé le 20 novembre dernier par le gouvernement grec contre tous les squats du pays. La Grèce, laboratoire du durcissement du capitalisme en Europe, devient désormais celui d’un contrôle social qui se veut total. Finies les zones d’autonomies, quelle que soit leur dimension et leur emplacement géographique. À partir de la semaine prochaine, la tolérance zéro sera appliquée contre tous les squats du pays, au nombre de 90 dont la moitié à Athènes et 7 à Thessalonique.

L’État attendra probablement quelques jours pour lancer la dernière phase de son plan d’évacuation des squats qui devrait durer jusqu’à Noël. Dans toute la Grèce, sans doute du 9 au 23 décembre, une véritable armada policière va tenter d’en finir avec les derniers lieux occupés et autogérés d’Exarcheia et dans les autres régions du pays.

Un mois de décembre décisif

Pourquoi attendre un peu, alors que l’ultimatum prend fin le 5 ? Parce que le pouvoir veut d’abord prendre le pouls de la mobilisation de demain dans toute la Grèce. La manifestation principale partira, à la tombée de la nuit, des Propylées sur la rue Panepistemiou à Athènes (à ne pas confondre avec les Propylées de l’Acropole si vous êtes sur place). Elle sera sans doute très nombreuse et particulièrement déterminée, avec pour slogans : « No pasaran ! », « Ne touchez pas aux squats ! », « La passion de la liberté est plus forte que toutes les chaînes ! » ou encore « 10, 100, 1000 squats ! ». On parle déjà d’une mobilisation historique, notamment en raison des soutiens qui se multiplient, mais c’est à confirmer jeudi. Le lendemain, vendredi 6 décembre, sera également une grande journée de mobilisation en Grèce, mais cette fois habituelle, puisque ce sera le onzième anniversaire de l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos par un policier, le 6 décembre 2008 dans une ruelle d’Exarcheia. Cette seconde manif d’affilée visera donc la répression policière qui ne cesse de s’amplifier en Grèce depuis le retour de la droite au pouvoir.

Dans la préparation de la phase actuelle, période décisive durant laquelle beaucoup de choses vont se jouer, le 17 novembre dernier a été un jour déterminant. Ce jour-là, la torture est apparue au grand jour dans les rues du centre d’Athènes, au point laisser des flaques de sang autour de la place centrale d’Exarcheia dans les cris et les appels au secours. Depuis, ces images et ces sons ont fait le tour de la Grèce et parfois au-delà. Le masque du régime est tombé. Si certains membres du gouvernement sont des transfuges de l’extrême-droite (principalement du LAOS, parti réactionnaire, nationaliste et raciste), le gouvernement tout entier porte désormais la marque d’une droite extrême qui ne s’embarrasse plus de démentis ni de discours sirupeux. Les propos sur les migrants n’ont plus grand chose à envier à Aube Dorée et la haine des anarchistes et des gauchistes se montre au grand jour à coup de phrases qui rappellent les heures sombres du passé.

La droite fait capoter la séparation entre l’Église et l’État

Ce lundi 25 novembre, le nouveau parlement majoritairement de droite a rejeté le projet de séparation entre l’Église et l’État (loi sur la « neutralité religieuse de l’État »). Pourtant, le projet garantissait la reconnaissance de l’Église orthodoxe comme « religion dominante », mais ce n’était pas assez. Par contre, le délit de blasphème (supprimé par Tsipras l’année passée) n’a pas été rétabli, malgré la volonté de Mitsotakis. Les peines pouvaient aller jusqu’à deux ans de prison ! Pour l’instant, le nouveau gouvernement grec a préféré renoncer, mais va peut-être passer à l’acte l’année prochaine.

Si les derniers sondages ont vu disparaître totalement le parti Aube Dorée, qui n’est même plus quantifié (mélangé à une dizaine d’autres « micro partis » dans un total de « 1% : autres partis »), ce n’est pas un hasard : la promesse de Mitsotakis d’en finir avec les antifascistes et les migrants d’Exarcheia (évacuations des squats vers des camps fermés, amplification des expulsions vers la Turquie, répression des activistes) ont ravi une grosse partie des anciens électeurs du parti néonazi. Mitsotakis soigne son extrême-droite pour consolider son pouvoir et manier d’une main de maître sa police contre l’ennemi intérieur : « l’anti-Grèce », les « immigrés voleurs du travail des Grecs », les ouvriers engagés dans une riposte internationaliste « qui parlent de classes sociales au lieu de voir l’intérêt supérieur du pays », les chômeurs récemment qualifiés de « parasites » par un ministre (durant un copieux banquet), les révolutionnaires « ennemis de la démocratie » dont on prépare déjà les cellules en prison, le code pénal étant en cours de modification pour les punir plus sévèrement et réduire leur liberté d’expression.

Une dérive fasciste des démocraties libérales

Ce qui se passe en Grèce n’est rien d’autre que l’une des nombreuses formes de la dérive fasciste des démocraties libérales dans le monde. Car il n’est nul besoin que l’extrême-droite labellisée arrive au pouvoir : ses idées sont déjà là en grande partie, en Grèce comme en France, et cela se vérifie dans le traitement toujours plus violent dont font l’objet les opposants politiques, ainsi que les pauvres et les migrants. Passer à la tolérance zéro contre tous les squats de Grèce, au moyen d’une évacuation générale à grand renfort de communication, est une démonstration de force pour nous dissuader de résister et nous pousser à la résignation, entre colère et désespoir. Durcir la loi pour les utilisateurs de cocktails Molotov (de 5 à 10 ans de prison ferme) et classer parmi les organisations terroristes un collectif qui n’a causé que des dégâts matériels pour enrayer la violence dramatique des choix politiques du pouvoir (modification de l’article 187A du code pénal qui vise principalement Rouvikonas), c’est tenter également de faire taire toute rébellion.

Et ça continue ! Ces jours-ci, un nouveau projet de loi vise à limiter le droit de manifester et à interdire plus facilement les rassemblements (modification du décret législatif 794/1971 sur les réunions publiques, annoncé par Mitsotakis au dernier congrès de son parti, au prétexte d’empêcher les manifestations qui bloquent souvent le centre-ville d’Athènes). Pendant ce temps, les migrants sont déplacés des camps de Lesbos et Samos vers des îles désertes, loin des regards. Cela ne nous dit rien de bon non plus : il y a 50 ans, c’est sur l’île déserte de Makronissos, à l’ouest de mer Égée, tout près de l’Attique, qu’étaient concentrés les opposants politiques durant la dictature des Colonels, dans des conditions de vie déplorables provoquant fréquemment des morts.

Le vent de la révolte se lève

Mais alors, pourquoi le pouvoir devient-il de plus en plus autoritaire, en Grèce comme ailleurs ? Parce qu’en premier lieu, le capitalisme lui aussi ne cesse de se durcir : il creuse toujours plus les inégalités et saccage le bien commun au point d’anéantir la vie, jour après jour, mois après mois, provoquant en toute logique de nombreuses réactions d’un bout à l’autre du monde, même si elles sont très diverses. De Santiago du Chili à Hong-Kong et de Beyrouth à Djakarta, le vent de la révolte se lève, la colère gronde et des opprimés se soulèvent. À Athènes comme à Paris, le pouvoir s’en inquiète et renforce son arsenal contre sa propre population (LBD en France, voltigeurs en Grèce, recrutement et primes pour les policiers partout, arsenal juridique renforcé…). En dépit des apparences qu’il veut se donner, le pouvoir a peur, très peur. Tant le pouvoir politique que le pouvoir économique qui le détermine grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion. Le pouvoir est inquiet pour ses propres intérêts et sa position dominante dans une société fondée sur des chimères et un monde qui commence déjà à donner des signes d’effondrement. À l’allure où va le capitalisme, le temps de la vie sur Terre est compté. Il est donc logique qu’il en soit de même pour ses dirigeants. Des dirigeants qui tentent par tous les moyens de garder le cap vers le néant. Des dirigeants qui veut profiter jusqu’au bout de leur position et de leurs avantages, feignant de changer, multipliant les promesses, mettant en scène l’illusion de grandes décisions, repeignant en vert les usines opaques et le commerce insatiable, tout en ajoutant quelques mots de plus à la langue de bois.

Prendre nos vies en mains

En réalité, dans les temps à venir, le pouvoir sera d’autant plus violent que le monde se décomposera dans cette voie sans issue. Les guerres du pétrole, du gaz, du lithium ont déjà commencé sous nos yeux, dans un jeu morbide de chaises musicales, pour se partager les dernières parts d’un gâteau empoisonné. Seul un double changement, de système politique et de système économique, pourra stopper cela. Sortir du capitalisme et de la société autoritaire va de pair, puisque l’exploitation est directement la conséquence de la domination, sans laquelle il n’y a pas d’exploitation possible. D’un bout à l’autre du monde, dans l’ultime danse des fantômes sur les écrans, tels les ombres du mythe de la caverne, beaucoup d’esclaves modernes ont bien compris que le seul objectif désormais est de prendre nos vies en mains. Non plus seulement pour choisir nos vies, mais aussi pour les sauver. La trajectoire mortifère du capitalisme est indissociable de celle du pouvoir qui l’organise. Un pouvoir qui vise actuellement le contrôle total de nos vies, non seulement pour maximiser ses profits, mais aussi pour surveiller tout ce qui peut menacer son édifice.

« Parler de révolution, c’est faire l’apologie du terrorisme »

En Grèce comme en France, le mot « sécurité » est sur toutes les lèvres. Le gouvernement a baptisé son opération « Loi et ordre » contre toutes les formes de résistance et tous les lieux qu’elles occupent. Jour après jour, morceau par morceau, la parole révolutionnaire va devenir hors-la-loi et la seule expression acceptable reviendra à passer sous les fourches caudines du filtre parlementaire. « Vous voulez changer la société ? Vous n’avez qu’à voter, un point c’est tout » a répondu l’un des ministres concernés, aussitôt soutenu par deux journalistes aux ordres qui buvaient ses paroles en prime-time. « Parler de révolution [sociale], c’est faire l’apologie de la violence, l’apologie du terrorisme. En démocratie, il y a des moyens à la disposition de tous pour faire évoluer la société. Il faut les utiliser ou bien se taire ! » La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante. Une classe frappée par des scandales à répétition. Une classe dont l’un des porte-parole, Christos Staikouras, ministre des finances de Mitsotakis, a osé déclarer que « vivre avec 500 euros par mois en Grèce, c’est faire partie de la classe moyenne » (jeudi 27 novembre à la tribune du parlement, durant la présentation du budget 2020).

Si le gouvernement grec s’est braqué aussi brutalement le 20 novembre dernier, en posant son ultimatum contre tous les squats du pays, c’est également parce que la mobilisation commence à l’inquiéter et qu’il veut « en finir au plus vite ». Une mobilisation sous diverses formes, dans un contexte mondial agité. Non seulement la manifestation du 17 novembre (date anniversaire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973) a été la plus nombreuse de ces dernières années, mais d’autres types d’actions montent actuellement en puissance et c’est précisément ce que veut endiguer le pouvoir. Parmi celles-ci, il y a évidemment le cas de Rouvikonas, l’un des principaux sujets évoqués par l’entourage de Mitsotakis.

La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante.

Rouvikonas se renforce

Les 2 et 3 novembre dernier, lors de ses « deux journées d’ouverture » au théâtre autogéré Embros (centre d’Athènes), le groupe Rouvikonas s’est considérablement renforcé. Non seulement, en quantité, c’est-à-dire en nombre de membres, mais aussi et surtout dans le secret des appartenances rendant encore plus difficile la tâche des services de renseignements de surveiller et d’anticiper les actions menées par le groupe presque quotidiennement. La conséquence a été immédiate. Dès le 17 novembre, pendant les rassemblements et manifestations, Rouvikonas a battu tous les records en frappant à 5 endroits de la capitale simultanément. Deux de ces attaques visaient des firmes s’appropriant le bien commun (alors que le gouvernement accélère la privatisation du gaz et de l’électricité), deux autres visaient des patrons maltraitant leurs ouvriers (une mairie et une usine en banlieue d’Athènes, où les accidents de travail se multiplient) et la cinquième attaque visait le domicile du ministre de l’économie en personne. Tout ça dans la même journée. La réaction du premier ministre n’a pas tardé, fulminant et vengeur, mais sans rien annoncer jusque-là.

Tsipras énerve Mitsotakis

Pour ne rien arranger, Tsipras, désormais dans l’opposition parlementaire et visiblement candidat à la succession de Mitsotakis, en a profité pour se moquer du gouvernement, suite aux 5 actions de Rouvikonas le 17 novembre. C’est précisément le 19 novembre, sur la chaîne Open News, rapidement relayée par d’autres, qu’il a évoqué Mitsotakis en ces termes : « Tiens donc ? Rouvikonas existe encore ? N’avait-il pas dit qu’en moins d’une semaine après les élections tous les membres de Rouvikonas seraient tous en prison ? N’avait-il pas annoncé qu’il les arrêterait ? » Ce tacle médiatique a aussitôt circulé, même parmi ceux qui ne veulent plus entendre parler de Tsipras, tant le ridicule était grand pour Mitsotakis.

Dès le lendemain, mercredi 20 novembre, la nouvelle tombait : le gouvernement Mitsotakis annonçait un ultimatum contre tous les squats de Grèce et non plus seulement ceux d’Exarcheia et l’un de ses porte-parole promettait que le K*Vox, base du groupe Rouvikonas, serait parmi les premiers lieux évacués.

Squats toujours !

Côté squats, la réaction a été immédiate. Partout en Grèce les mobilisations se sont multipliées. En Crète par exemple, pendant qu’Evaggelismo(1), le plus grand squat d’Heraklion, menait plusieurs actions dans la préfecture, un autre squat historique basé à Chania sous le nom de Rosa Nera occupait, avec des banderoles, le plateau de la principale chaîne de télévision de l’île, le 21 novembre à l’heure du JT. Dans le nord de la Grèce également, les actions n’ont pas manqué, de Thessalonique à Alexandroupoli (à la frontière de la Turquie).

À Exarcheia, les 16 squats qui subsistent (après une douzaine d’évacuations) n’ont pas du tout stoppé leurs activités, bien au contraire : projections de films (Notara 26), concerts (K*Vox), rencontres-débats, animations pour les enfants (Lelas Karagianni 37, l’un des plus vieux squats d’Exarcheia ouvert en 1988), formation aux premiers secours en cas d’attaque chimique (ce soir, par la structure autogérée de santé d’Exarcheia), ainsi que des rassemblements et d’autres initiatives qui ne peuvent pas s’écrire ici. Non, les squats ne se laissent pas impressionner par la promesse du pouvoir de les anéantir dans quelques jours. Ils cultivent aussi leur mémoire. À Notara 26 par exemple, les résidents et solidaires sont en train de consigner leurs souvenirs. Si vous comprenez l’anglais, je vous conseille cette lecture(2)(3).

D’où viennent les squats d’Exarcheia ?

Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut également savoir qu’en Grèce, malgré l’importance du réseau de squats en proportion du nombre d’habitants, il n’existe pas de cadre législatif qui garantisse les droits d’occupation, contrairement aux principaux pays d’Europe occidentale. Depuis l’ouverture du premier squat dans le pays, déjà à Exarcheia, (en octobre 1981 au numéro 42 de la rue Valtetsiou), les squatters n’ont jamais accepté de négocier avec les institutions. Pourquoi ? Parce que leur but premier n’était pas de trouver un logement, mais de trouver un moyen de rompre avec le pouvoir : l’État, le Capital, la société de consommation, sans oublier le poids des traditions réactionnaires qui pesaient beaucoup dans la Grèce des années 80-90 (patriarcat, homophobie, cléricalisme…). La multiplication des squats en Grèce n’a vraiment commencé qu’à l’automne 1985, en parallèle d’un mouvement social qui s’intensifiait. L’Anarchisme était en plein essor. Le parti socialiste grec (PASOK) ne cessait de trahir ses promesses, au pouvoir depuis 4 ans. Le KKE pâtissait des révélations sur les conditions de vie à l’Est, puis de la chute du mur de Berlin. L’époque était à l’autonomie, à la quête de liberté individuelle et sociale, au projet d’une société anti-autoritaire remettant totalement en question la démocratie parlementaire (qu’on surnomme en Grèce « démocratie anglaise »). Le rock puis le punk accompagnaient ce mouvement, sans pour autant rompre avec le rébétiko. Nicolas Asimos, Dimitris Poulikakos(4) et Katerina Gogou figuraient parmi les noms des poètes et chanteurs de ces années-là, au berceau d’Exarcheia en tant que quartier rebelle, créatif et solidaire. Un quartier « anartiste », depuis lors partagé entre l’envie de se laisser vivre et la volonté farouche de lutter.

Exarcheia, futur Montmartre d’Athènes ?

Lundi soir, une manifestation du Front social d’Exarcheia, composante la plus modérée du mouvement, s’est rendue devant la mairie d’Athènes qui était en pleine réunion du conseil municipal. Accueillis par des dizaines de policiers anti-émeutes, les manifestants n’ont pas obtenu la possibilité de transmettre les motifs de leur désaccord. Le maire d’Athènes, neveu du premier ministre, a refusé de les recevoir et a demandé des renforts à la police. Principal slogan du Front social : « Exarcheia est à ses résidents et aux mouvements sociaux, pas aux flics, aux mafias de la drogue ni aux investisseurs immobiliers. » Le but actuel du pouvoir est de gentrifier le quartier, chose qui a commencé, et de le transformer en quartier chic et bobo. Une sorte de « Montmartre à Athènes » aurait dit le nouveau maire de la capitale, comparant la colline de Strefi (point culminant d’Exarcheia) à la butte rouge de Paris. Et après ? Une église orthodoxe sera-t-elle bâtie au sommet de la colline d’Exarcheia pour expier les pêchés des révolutionnaires du quartier ?

Hier matin, Démosthène Pakos, l’un des représentants du syndicat des policiers, a annoncé que « Exarcheia sera complètement détruit si les MAT (CRS) sont enfin autorisés à faire ce qu’ils ont à faire ». Visiblement, il est très impatient. Pourtant, depuis des semaines, les violences sont déjà quotidiennes dans le quartier quadrillé par les postes de surveillance en kaki et bleu marine : harcèlement, insultes, menaces, coups et même scènes de torture, comme ce fut le cas pour un camarade de Rouvikonas prénommé Lambros, trainé puis dénudé dans la rue Bouboulinas il y a deux semaines. Malgré les photos et preuves de ce qui s’est passé, Lambros a finalement décidé de ne pas porter plainte contre les policiers : « D’une part, je n’attends rien de la justice bourgeoise à laquelle je ne veux pas faire appel et, d’autre part, les premiers responsables ne sont pas les flics qui m’ont frappé, mais le pouvoir qui les dresse à nous attaquer ainsi que la classe dominante qui nous maintient dans cette situation. Ceux sont eux mes premiers ennemis, pas les brutes minables qui travaillent pour eux. »

Une période très difficile

En ce mois de décembre périlleux, le groupe Rouvikonas va, en plus, devoir faire face à beaucoup de procès. Ce jeudi : procès d’un membre pour une action dans les bureaux d’un député du parti de droite au pouvoir. Mardi 10 décembre : procès de 10 membres à Nauplie pour une action sur un péage. Mercredi 11 décembre : procès de 8 membres à Syros pour une action à Tinos suite à la mort de deux ouvriers dans des conditions de travail horribles. Mercredi 18 décembre : procès de plusieurs dizaines de membres à Athènes pour une occupation de l’ambassade d’Espagne en solidarité avec les victimes de la répression en Catalogne. Dans les semaines à venir, les peines de prison et les amendes risquent de pleuvoir. On attend avec inquiétude mais détermination les verdicts. De plus, le groupe a annoncé une riposte magistrale et rapide en cas d’évacuation du K*Vox, parlant de « casus belli » (déclaration de guerre). Un peu partout en Grèce, d’autres groupes ont également l’intention d’agir en représailles des évacuations annoncées. Ça risque de chauffer et pas à cause du feu dans la cheminée. Ce 25 décembre, le Père Noël sera probablement rouge et noir avec des cadeaux par milliers.

Parmi les collectifs solidaires qui squattent dans le quartier, la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE) n’est pas décidée à mettre la clé sous la porte, mais à continuer jusqu’au bout à soigner les personnes gratuitement, quelle que soit leur couleur de peau. Qu’importe le matériel et les stocks de médicaments qui seront saisis par la police : « ce sera une honte pour le pouvoir, s’il ose aller jusque-là ». Une fois encore, l’État ne veut pas que nous prenions nos affaires en main dans l’autogestion, excepté quand il s’agit des intérêts de grosses firmes qui profitent, par exemple, de la privatisation de la santé. Mais dans ce cas, ce n’est ni gratuit ni autogéré, et c’est pire encore pour les plus précaires. Pour en savoir plus sur la structure autogérée de santé d’Exarcheia, un camarade venu des États-Unis a créé une petite bande-dessinée pour la présenter (5).

La mémoire des murs

Ces derniers jours, les services de la voirie d’Athènes, escortés par des policiers, essaient par tous les moyens d’effacer la mémoire d’Exarcheia : ses nombreux tags et graffitis sur des kilomètres de murs. C’est une chose terrible pour nous, avec Maud, qui consignons cette mémoire du quartier depuis 11 ans(6). Au centre de la place, la bataille de la statue fait rage : la mairie ne cesse de la faire nettoyer et les militants de la taguer à nouveau (parfois avec des menaces contre le maire lui-même), au point de la peindre entièrement de rouge sang (pour symboliser les violences policières dans le quartier). Même le marbre a été changé plusieurs fois, en vain : les révoltés d’Exarcheia ne veulent pas du blanc impeccable, traditionnel et froid façon Parthénon, mais de la vie, de la couleur, du feu, de la rage.

Surveillance made in France

Autre échec, cette fois de la police : l’un des deux drones qui surveillent les rues et les terrasses au-dessus du quartier vient de connaitre un accident malencontreux ce matin . Depuis, les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, avec des comparaisons plus drôles les unes que les autres pour se moquer de l’équipement et des compétences de la police grecque.

Idem pour un véhicule banalisé qui a été repéré avec une caméra qui filmait en cachette l’un des lieux militants du quartier : elle a déguerpi très vite, avec l’appui d’une escorte casquée venue aussitôt la rejoindre, au moment décisif. Des micros ont également été retrouvé chez un camarade, ainsi que du matériel de repérage par GPS (GPS tracker) caché dans plusieurs véhicules de militants du quartier pour les suivre à la trace, mais tout de même trouvés, y compris sur des motos.

Les téléphones chauffent en ce moment. Les ordis dysfonctionnent. Les batteries se déchargent très vite. La surveillance made in France a bien été livrée.

Solidarité internationale

Alors que la lutte s’étend partout dans le monde, la solidarité n’est pas un vain mot. On parle d’Exarcheia sur les banderoles de Santiago du Chili et de Hong Kong, et inversement. Une manifestation avait lieu récemment pour soutenir nos camarades chiliens. Plusieurs actions ont eu lieu, depuis un an, pour soutenir les luttes en France depuis la Grèce, notamment à l’initiative de Rouvikonas (ambassade de France, consulat de France…).

Dans le même temps, les actions de solidarité avec Exarcheia continuent dans l’hexagone. Aujourd’hui, mes camarades grecs et migrants ont été touchés par l’annonce d’une nouvelle initiative à l’ambassade de Grèce à Paris(7). L’une des banderoles était en français et l’autre en grec. Elles disaient l’une et l’autre : « Le gouvernement fasciste grec construit des camps fermés pour les réfugiés, torture les activistes et expulse les squats. Solidarité sans frontières et boycott du tourisme en Grèce ! » Il est vrai que l’économie grecque repose beaucoup sur le tourisme. La menace du boycott en 2020 sera-t-elle suffisante pour que les dirigeants économiques et politiques grecs retiennent leurs coups ? En tout cas, nous sommes très émus de ces encouragements à « tenir bon » qui nous arrivent de partout. Et réciproquement, mes camarades vous souhaitent le meilleur pour ce 5 décembre et les jours prochains, puisque l’enjeu est de poursuivre et d’amplifier la mobilisation.

De passage en France

Pour ma part, après 8 mois presque continus en Grèce, je viens de rentrer en France pour quelques jours, avant de repartir. Je suis en pleine préparation du prochain film, notre quatrième, qui aura pour titre : « Nous n’avons pas peur des ruines ! » Si vous voulez en savoir plus et, éventuellement, nous aider à le produire, c’est ici :
http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
Un nouveau point sur le financement du film sera bientôt publié. La dernière fois, nous étions à 22% du budget nécessaire. Actuellement, nous sommes à un tiers environ.

Ma présence dans l’hexagone, avant de repartir, me donne l’occasion d’apporter directement des nouvelles de Grèce et de discuter avec vous lors de projections-débats de L’Amour et la Révolution (nouvelle version). Il y en aura deux dans les prochains jours : le 12 décembre à Aurillac dans le Cantal (centre Hélitas à 19h30), puis le 18 décembre à Martigues, près de Marseille (on vous réserve une grande surprise !).

Pendant ma brève absence, plusieurs camarades du dernier convoi se relaient à Exarcheia. C’est une véritable rotation des solidaires ! L’un d’entre eux vient de quitter Paris avec une valise en plus : remplie de lait infantile pour les bébés qui n’en n’avaient plus au Notara 26, suite à une collecte « éclair » dans Paname. De l’argent a également été transmis aux collectifs les plus en difficultés, suite à des actions, concerts et projections, d’Albi à Bruxelles et de Nantes à Strasbourg. Preuve, une fois de plus, que nous sommes capables d’autres choses que cette société égoïste, triste et mortifère.

Cette révolte qui est en nous, c’est notre amour de la vie. Une vie ensemble autrement : libres et égaux. Une vie qui est à portée de la main si nous osons aller la chercher.

Courage à toutes et tous. Tenez bon.

Yannis Youlountas

(1) « Un squat, c’est… », une vidéo du collectif d’Evaggelismo relayé par Perseus999 :
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(2) Quelques souvenirs des résidents et solidaires du squat Notara 26 :
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(3) Sur le même sujet, rappel de la présentation du squat Notara 26 dans L’Amour et la Révolution (extrait) :
(4) Dimitris Poulikakos qui intervient (et chante aussi) dans le film Je lutte donc je suis
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(5) La petite BD qui présente la structure autogérée de santé d’Exarcheia : https://jppress.xyz/adye/
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(6) Cf. nos livres, avec Maud : « Paroles de murs athéniens » (Les Éditions Libertaires, 2011) et « Exarcheia la noire » (Les Éditions Libertaires, 2014), ainsi que notre base de données (des milliers de tags, graffitis et affiches) avec lesquels nous avons également fait plusieurs expos itinérantes et des diaporamas. Comme le disait une célèbre devise : « murs blancs, peuple muet. »
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(7) Dévoilé aujourd’hui sur le site Paris Luttes Info : https://paris-luttes.info/boycott-du-tourisme-en-grece-13017
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PS : vous êtes plusieurs à m’avoir demandé si certains textes et vidéos sur la situation en Grèce sont disponibles dans une autre langue pour les diffuser. Voici ce qu’on m’a transmis ces jours-ci :
ANGLAIS (article) Greece, A call to wake up! https://tinyurl.com/uv4l9z5
(article) Exarcheia, the repression of autonomy : https://tinyurl.com/wh6aerc
ALLEMAND (article) Exarcheia, die repression gegen autonomie : https://tinyurl.com/wszg3nu
ESPAGNOL (article) Grecia, ¡plomazo al movimiento social! https://tinyurl.com/wdbvn9v
(article) Grecia, sabor a sangre en la boca : https://tinyurl.com/ql2r5qb
PORTUGAIS (article) Grécia, Um gosto de sangue na boca https://tinyurl.com/qsa5hyv
(film) L’Amour et la Révolution en portugais, Amor e Revolução : https://tinyurl.com/wl4tn45
TURC (film) L’Amour et la Révolution en turc, Aşk ve Devrim : https://tinyurl.com/uznfblx
GREC (entretien) J’ajoute, si ça vous intéresse, un entretien en grec au sujet de la situation en France, pour la revue grecque Babylonia (mouvement antiautoritaire pour la démocratie directe) : https://tinyurl.com/vxeurxg (première partie) suivi de https://tinyurl.com/wwj7xws ((deuxième partie) et, à l’inverse, un entretien en français sur la situation en Grèce, pour Le Monde Libertaire : https://tinyurl.com/utfdzlo
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