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Les fourberies du système par points

Gérard Filoche déconstruit dans cet article la propagande gouvernementale et montre que l’objectif poursuivi par Macron, en imposant un système par points, est précisément d’abaisser le niveau de pensions et, ainsi, de faire place nette pour un système par capitalisation. À mesure que les retraites versées par le régime « universel » deviendront misérables, celles et ceux qui le pourront seront contraint·e·s de se tourner, pour compenser, vers les fonds de pension. C’est cela qu’il faut empêcher et il nous faudra, pour y parvenir, approfondir et élargir le mouvement de grève dans les prochaines semaines.

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Pour conjurer le « mur du 5 décembre », le gouvernement a décidé de déployer ses armes de persuasion massive. Pensez donc ! Darmanin, Ndiaye, Blanquer… Que des sommités intellectuelles capables de déconstruire illico les arguments des fâcheux ! La mission confiée au service après-vente de l’Élysée est toutefois des plus ardues, puisque le rapport Delevoye, certainement désireux de ne pas tomber dans de scabreux calculs d’intendance, s’évertue à ne citer pratiquement aucun chiffre ! Nous réparons, dans les pages qui suivent, ce malheureux oubli.

Depuis le début du pseudo-débat sur l’avenir de notre système de retraites, le pouvoir a fait le choix délibéré de soumettre aux organisations syndicales et – par ricochet – à l’opinion des documents présentant les grands axes et autres grands principes de sa « réforme », mais ne permettant aucunement aux ayants-droit de faire leur compte. Cette stratégie politique est consubstantiellement liée au fait que tout régime par points est par définition un système à prestations non-définies. Pour déconstruire le discours gouvernemental, il convient donc de le mettre en regard de données quantitatives objectives, publiques et avérées, face auxquelles les promesses et engagements de ce pouvoir mystificateur paraissent bien peu de chose.

Des choux et des carottes

Le système de retraites à points permettrait d’en finir avec les 42 régimes de retraite actuels. L’énumération de ces 42 régimes indique à quel point cette somme résulte de l’addition de choux et de carottes.

Comptabiliser au même titre que les millions de retraités de la CNAV, que les millions de retraités des régimes de complémentaires des salariés du secteur privé ou que les millions de retraités de la Fonction publique, les 203 retraités de la Caisse de retraite des salariés du port autonome de Strasbourg, les 1 800 pensionnés de la Caisse de retraites des personnels de l’Opéra de Paris n’a aucun sens.

Aucun retraité, ensuite, n’a besoin de s’astreindre à « lire » les 42 régimes de retraite. 67 % des retraités dépendent d’un, de deux ou de trois régimes ; seulement 4 % dépendent de six régimes ou plus.

À chacun son dû

Jean-Paul Delevoye l’affirme : « La retraite est le reflet de la carrière : ça, c’est quelque chose qui est juste. Si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite ; si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite ».

Le droit à la retraite deviendrait strictement proportionnel aux points acquis, c’est-à-dire aux cotisations versées. Tant pis pour ceux qui ont eu des carrières heurtées, un travail « en pointillés ». Tant pis pour ceux qui ont subi le chômage, ceux qui ont dû se contenter de « petits boulots », d’un travail saisonnier. Tant pis pour toutes celles qui n’ont pu travailler qu’à temps partiel alors qu’elles voulaient travailler à temps plein.

Voilà l’ « équité » que nous promet le « système universel » d’Emmanuel Macron.

Quid des primes des fonctionnaires ?

Le gouvernement répète inlassablement qu’elles seront prises en compte à 100 %. Mais personne ne sait aujourd’hui quelle définition sera donnée du terme « prime ». Les primes facultatives et les indemnités seront-elles, par exemple, prises en compte ?

Et pour ceux et celles qui n’ont pas (ou très peu) de primes et qui, tels les professeurs des écoles, subiraient une diminution de 25 à 30 % du montant de leur retraite avec le système à points ? Devraient-ils se contenter de la déclaration d’Édouard Philippe selon laquelle seront engagées « avant la fin du quinquennat les revalorisations nécessaires pour maintenir le niveau de pension des enseignants » ?

L’âge légal de départ

Il resterait fixé à 62 ans. Dans le système par points, cet âge n’aurait plus guère d’importance. L’âge qui compterait serait l’âge pivot. Il serait fixé à 64 ans dès 2024 selon Édouard Philippe. En-dessous de cet âge, des pénalités de 5 % par an sur le montant de la retraite seraient appliquées.

Le plafonnement du montant des retraites à 14 % du PIB, alors que le nombre de personnes de plus de 65 ans augmentera rapidement (6 millions supplémentaires en 2040), obligera à reculer très vite cet âge à 66, puis 67 ans, etc. Avec toujours les mêmes pénalités en cas de départ avant l’âge pivot.

10 euros = 0,55 euro ?

Dix euros, ce serait le prix d’achat du point. Ce prix permettrait de calculer le nombre de points acquis. Quant à la valeur de service du point, elle serait de 0,55 euro. Il faudrait multiplier le nombre de points acquis par cette valeur pour obtenir le montant de la retraite.

Le problème est que ces valeurs seraient données pour l’année 2025, si elle était l’année de la mise en place du système à points. Mais le prix d’achat pourrait augmenter et la valeur de service du point diminuer dès l’année suivante. Exactement comme c’est le cas dans le régime de retraites complémentaires des salariés du secteur privé aujourd’hui.

Il n’y aurait aucune lisibilité, aucune prévisibilité possible dans un tel système.

Période de référence

Un calcul sur toute la carrière serait plus avantageux pour les retraités qu’un calcul sur les 25 meilleures années (dans le privé) ou sur les six derniers mois (dans le public). C’est ce qu’affirme, sans jamais apporter le moindre argument pour le démontrer, le rapport Delevoye. Il ose même prétendre que ce type de calcul serait profitable aux personnes ayant eu des périodes heurtées.

Le rapport Delevoye tente de faire croire qu’aujourd’hui, la totalité de la carrière n’est pas prise en compte et que cela désavantage les futurs retraités. Il passe complètement sous silence le fait qu’il s’agit de prendre en compte les 25 meilleures années ou les six derniers mois (c’est-à-dire les traitements les plus élevés) pour calculer le salaire moyen qui servira de référence au calcul de la retraite. Les années les plus mauvaises sont écartées et ne viennent donc pas diminuer le montant du salaire de référence.

Les personnes qui ont eu une carrière heurtée ont donc tout intérêt à ce que les plus mauvaises années n’entrent pas dans le calcul de leur salaire de référence.

Réversion, piège à c…

70 % des retraites du couple seraient maintenus pour la pension de réversion. Annoncé de la sorte, cela peut paraître séduisant. Cela l’est beaucoup moins si l’on examine d’un peu plus près ce qu’il en est réellement.

D’abord les couples pacsés ne seraient pas concernés. Pourtant, la pension de réversion sera financée par l’impôt et les couples pacsés paient l’impôt, tout comme les couples mariés. Ensuite, il ne serait pas possible de percevoir la pension de réversion avant l’âge de 62 ans. Cela nécessiterait, en moyenne, de devoir attendre sept ans de plus qu’aujourd’hui pour pouvoir bénéficier du versement de cette pension.

Les femmes – qui représentent 89 % des bénéficiaires de la pension de réversion – seraient les premières pénalisées.

Solidarité en berne

La part de la solidarité s’élèverait à 25 % du montant total des retraites. Cela serait peut-être vrai la première année, mais rien ne serait assuré pour la suite.

Le rapport Delevoye (p. 103) met à part les dépenses de solidarité des autres dépenses de retraite. Ces dépenses de solidarité seront versées dans un Fonds de solidarité vieillesse universel (FSVu).

Le FSVu sera exclusivement financé par des recettes fiscales. Cela signifie que, chaque année, au moment du vote de la loi de finances, les recettes fiscales collectées pour financer les dépenses de solidarité du service de retraites à points pourront être affectées à des dépenses publiques très différentes (la construction du second porte-avions, par exemple). Les cotisations sociales sont affectées, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être utilisées pour financer d’autres dépenses publiques que les dépenses sociales pour lesquelles elles ont été collectées. Ce n’est pas le cas de l’impôt : l’un des principes de base des Finances publiques impose que ce soit le Parlement, représentant de la Nation, qui décide de l’affectation de l’impôt aux différentes dépenses publiques.

Les dépenses de solidarité deviendraient donc des « aides sociales ». Nous savons ce qu’Emmanuel Macron pense de ces aides qui coûteraient selon lui « un pognon de dingue ». Nous savons aussi ce qu’il en est de la réforme de l’assurance-chômage qui s’est faite sur le dos des demandeurs d’emploi les plus fragiles, les plus précaires, et qui, aux dires de Laurent Berger, constitue « une tuerie ».

Il n’existe donc aucune garantie que les dépenses de solidarité ne diminuent pas chaque année, qu’elles ne soient pas récupérables sur succession et que les pensions de réversion (incluses dans les dépenses de solidarité), dont le montant annuel est de 36 milliards d’euros, ne deviennent pas la cible privilégiée d’un ministère des Finances qui n’a qu’une obsession : diminuer le montant des dépenses publiques.

Poule aux « règles d’or »

À Rodez, en octobre dernier, Emmanuel Macron avait affirmé : « On mettra des règles d’or pour fixer la valeur du point avec un engagement clair qui est que le niveau de vie des retraités ne doit pas être dégradé, il doit être le même et continuer à progresser ».

Qui peut croire à un tel engagement alors qu’il est pris par un président de la République qui ne cesse de piétiner les « règles d’or » établies pour garantir (a minima) le financement de nos retraites et de la Sécurité sociale ?

La loi du 22 juillet 1993 garantissait l’indexation du montant des retraites sur l’évolution des prix. Emmanuel Macron n’a, cependant, tenu aucun compte de cette « règle d’or » que le rapport Delevoye prétend pourtant garantir. Son gouvernement a fait voter la sous-indexation du montant des retraites par rapport à l’inflation en 2019. Le montant des retraites ne devait être  revalorisé (pour les retraites dépassant 1 200 euros par mois) que de 0,3 %, alors que l’inflation attendue était de 1,9 %. C’est uniquement pour tenter de répondre à la mobilisation des Gilets jaunes, qu’Emmanuel Macron a été obligé de reculer quelque peu en indexant sur l’inflation les retraites inférieures à 2 000 euros par mois.

La loi Veil du 25 juillet 1994 instaurait une autre « règle d’or », reprise par l’article L131-7 du code de la Sécurité sociale :

« Toute mesure de réduction ou d’exonération de cotisation de Sécurité sociale […] donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l’État pendant toute son application ».

Là encore, Emmanuel Macron s’est soucié comme d’une guigne de cet engagement. Son gouvernement a fait voter, le 23 octobre 2019, l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui prévoit que, désormais, l’État ne compensera pas les exonérations de cotisations sociales.

La seule règle d’or, affirmée clairement dans le rapport Delevoye (p. 110), est en réalité l’équilibre financier du système de retraites à points.

Et le taux de cotisation ?

Il resterait inchangé, afin de préserver les recettes. Cela signifie, en réalité, que le montant des cotisations retraites serait plafonné à 28,12 % du salaire brut, alors que les besoins de financement des retraites ne pourront qu’augmenter avec l’arrivée progressive de six millions de personnes de plus de 65 ans supplémentaires.

Pour « préserver » le montant des retraites, il ne faudrait pas les plafonner mais au contraire, les augmenter progressivement, en fonction de l’augmentation des besoins.

Choix… contraint !

Les assurés auraient le choix entre partir plus tôt en retraite ou rester au travail pour disposer d’un montant de retraite plus important. En réalité, ils feraient ce choix avec un revolver sur la tempe, car partir plus tôt que l’âge pivot signifierait voir le montant de sa retraite largement amputé.

Surtout, beaucoup de salariés n’auraient pas le choix de rester au travail.

Celles et ceux qui n’auraient plus la possibilité de travailler, épuisés par la pénibilité du travail.

Celles et ceux qui ne seraient plus au travail et ne pourraient donc pas choisir d’y rester. Dans le secteur privé, 60 % de ceux qui prennent leur retraite ne sont plus au travail lorsqu’ils prennent leur retraite : ils sont au chômage, au RSA, en invalidité ou en maladie.

Pénible pénibilité

La pénibilité du travail est évoquée dans la rapport Delevoye. Il est étonnant que le haut commissaire puisse se permettre d’utiliser un tel terme. Il est vrai que son rapport a été rendu public en juillet 2019, et que ce n’est qu’en octobre qu’Emmanuel Macron a déclaré « ne pas adorer le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible ».

Les régimes spéciaux de retraites, qui permettaient aux membres de certaines professions de partir plus tôt en retraite pour compenser la pénibilité et la dangerosité de leurs métiers, seraient supprimés.

Les « catégories actives de la Fonction publiques » qui pouvaient, elles aussi, pour les mêmes raisons que les salariés des régimes spéciaux, disposer d’un départ précoce en retraite, seront supprimées – sauf pour l’armée et, en partie, la police.

Tous seront alignés sur le régime des salariés du secteur privé et l’obligation de comptabiliser leur temps d’exposition à des facteurs de pénibilité qui ne prennent en compte que des situations très limitées de dangerosité et de pénibilité. La comptabilisation de ces temps d’exposition est un véritable parcours du combattant pour le salarié qui se heurte à la mauvaise volonté d’employeurs qui considèrent qu’il s’agit d’une « usine à gaz ».

C’est donc  le nivellement par le bas qui s’imposerait dans le système de retraites à points.

Gouvernance « innovante »

Les instances qui seraient mises en place foisonneraient. Le Conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite dans lequel siégeraient treize représentants des assurés désignés par les organisations syndicales de salariés et treize représentants des employeurs. Une Assemblée générale de cette Caisse nationale serait mise en place pour « représenter l’ensemble des assurés, des employeurs et des acteurs de la retraite ». Un comité d’expertise indépendant des retraites serait également mis en place. Enfin, serait créé un Conseil citoyen des retraites composé de 30 citoyens représentatifs « de la diversité de la société française ».

Les choses se gâtent lorsque l’on examine d’un peu plus près ce que seraient les rôles de chacune de ces instances. Le Conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite ne pourra que « proposer » une règle pluriannuelle de revalorisation des retraites. L’Assemblée générale « aura pour mission principale d’émettre un avis, au moins une fois par an ». Le comité d’expertise « vérifierait la sincérité des hypothèses de projection retenues par la Caisse nationale ». Quant au Conseil citoyen, il devra émettre un « avis citoyen » chaque année.

« Proposer », « émettre un avis une fois par an », « vérifier la sincérité des hypothèses », « émettre un avis citoyen »… Il est évident que ces organismes ne seraient  que consultatifs et que la réalité du pouvoir serait ailleurs. Les seuls dirigeants du système de retraite par points seraient le Parlement et avant tout, le gouvernement. Le pilotage du système sera en effet « fixé par les lois financières » proposées par le Conseil des ministres et adoptées par les deux Chambres.

Dans tous les cas, affirme le rapport Delevoye, le gouvernement « sera toujours libre de proposer tout projet de réforme ayant des incidences sur les équilibres financiers du système de retraite ».

Derrière l’écran de fumée

Une fois dissipé le rideau de fumée de l’« équité » et de la « transparence » du système à points, il reste à répondre à la question suivante :  quels sont les réels objectifs d’Emmanuel Macron ?

Ce dernier, dans son livre Révolution, affirmait qu’il irait jusqu’au bout des réformes que ses prédécesseurs (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande) n’avaient pas réussi à mener à terme. Il est donc décidé à aller jusqu’au bout des régressions imposées depuis 1993 à nos régimes de retraites qui ont reculé l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, qui ont allongé la durée de cotisations de 37,5 à 43 annuités et diminué le taux de remplacement du salaire par la retraite d’environ 30 %.

Les objectifs d’Emmanuel Macron sont de même nature que ceux des réformes précédentes mais beaucoup plus radicaux : imposer une réforme systémique qui laisse le champ libre à l’augmentation des dividendes des actionnaires.

Avec le système de retraites à points du président de la République, le montant de la part patronale des cotisations sociales serait figé. Les actionnaires et leurs dividendes pourraient continuer à prospérer sans se soucier du détail accessoire que constitue l’augmentation du nombre de retraités.

Avec le système à points, le montant des retraites diminuerait sans cesse et les salariés, les indépendants, les professions libérales qui en auraient les moyens se tourneraient vers les fonds de pension pour tenter (malgré tous les risques encourus) de préserver leurs retraites. Une place de plus en plus spacieuse serait ainsi faite à la retraite par capitalisation. Ce qui profiterait de nouveau aux actionnaires, ceux des banques et des compagnies financières.

Le perdant : l’industrie pharmaceutique ou la sécurité sociale ?

Alors que l’hôpital se meurt, l’industrie pharmaceutique vend ses médicaments de plus en plus cher par Alexandre Léchenet, Simon Gouin

Loin de se calmer, la fuite en avant dans le prix des nouveaux médicaments semble s’accélérer, avec des traitements chiffrant parfois à plusieurs centaines de milliers d’euros, financés par la sécurité sociale.

Malgré les alertes, la tendance semble inexorable. Des médicaments de plus en plus onéreux pourraient mettre en péril notre système d’assurance maladie. C’est ce qui ressort une nouvelle fois des données 2018 sur les médicaments les plus coûteux, que nous avons analysées [1] pour la troisième année consécutive.

Plus de 7000 médicaments remboursés par la sécurité sociale sont vendus chaque année par les pharmacies. Une petite partie capte une grande part des remboursements : les dix médicaments les plus onéreux ont coûté 3,3 milliards d’euros à la Sécurité sociale, soit 12 % des dépenses totales (25,5 milliards d’euros en 2018).

Les champions s’appellent Humira, Opdivo, Lucentis, Xarelto, Avastin… et trustent les premières places depuis plusieurs années. Ils combattent le cancer, la polyarthrite rhumatoïde, l’hépatite C, les thromboses veineuses, la dégénérescence maculaire (DMLA), etc. La plupart ont des coûts unitaires très élevés, qui se traduisent par des coûts par patient exorbitants. Le Keytruda, un médicament contre le cancer du laboratoire états-unien Merck (MSD), a fait son apparition dans le top 10. La perfusion coûte 2628 euros ! Soit 72 000 euros par patient pour un an de traitement. Une perfusion d’Opdivo, un autre médicament contre le cancer (Bristol-Myers, Etats-Unis), revient à 423 euros. Le record vient d’être battu avec un traitement autorisé en juillet dernier, le Zogenlsma, à presque 2 millions d’euros l’unité.

Opacité sur les prix

Les autorités sanitaires tentent de contenir les coûts de ces nouvelles thérapies ciblées contre les cancers. D’après le quotidien Les Échos, l’assurance maladie souhaitait en 2017 circonscrire les dépenses de Keytruda et d’Opdivo, les deux traitements phares contre le cancer, à 600 millions d’euros par an. D’après nos chiffres, la barre est dépassée : en 2018, Opdivo et Keytruda totalisent 665 millions d’euros de dépenses remboursées.

Pour tenter de contenir ces prix, la Sécurité sociale négocie des remises avec les entreprises pharmaceutiques. Mais celles-ci demeurent secrètes. Une grande opacité règne sur le prix réel des médicaments (lire notre article) et la façon dont ils sont fixés (lire notre article). C’est pourtant ce prix unitaire qui permet aux laboratoires de s’assurer d’importantes marges, et qui grève à l’inverse fortement le budget de la sécurité sociale.

Face à l’augmentation de ces coûts, l’assurance maladie sera-t-elle forcée de faire des choix de remboursement ? Cette stratégie avait été mise en place avec le Sovaldi de Gilead, un nouveau médicament contre l’hépatite C au prix initial de 57 000 euros par patient. Lors de son arrivée sur le marché, il avait été réservé aux patients nécessitant une prise en charge très rapide.

Pour un dollar investi, les grands labos gagnent 14 dollars

Les alertes sur le coût exorbitant de certains médicaments, et leurs conséquences sur les systèmes de santé, n’en finissent pas d’être lancées. En janvier 2019, c’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a sonné l’alarme. Les dépenses mondiales liées aux anticancéreux se sont élevées à 133 milliards de dollars en 2017, contre 90,9 milliards en 2012 [2]. D’après notre classement, quatre médicaments contre le cancer figurent parmi les dix produits les plus remboursés en 2018. Et treize parmi les cinquante premiers.

Est-ce le nombre de cancers sans cesse plus élevé qui fait mécaniquement monter ces dépenses ? Non : l’augmentation des coûts des médicaments (+7,9 % par an) est deux à trois fois plus élevée que celui du nombre de maladies (entre + 2,6 et 2,8 % selon les pays). « Pour les auteurs, cette politique de dépenses n’est efficiente ni en termes économiques, ni de santé, et renforce les inégalités d’accès aux soins », rapporte l’agence de presse spécialisée APM News.

Comment alors expliquer l’augmentation de ces prix ? Les laboratoires pharmaceutiques invoquent les dépenses de recherche et de développement, ainsi que l’extraordinaire potentiel de ces nouveaux traitements. Deux arguments qui ne tiennent pas, selon les experts de l’OMS. Quand un laboratoire investit un dollar, il reçoit en moyenne 14,5 dollars de chiffre d’affaires !

Quant à leur efficacité, le bénéfice en terme de survie ne s’élève en moyenne qu’à trois mois selon cette étude. « Les groupes pharmaceutiques fixent les prix en fonction de leurs objectifs commerciaux, avec la volonté d’obtenir le montant maximum qu’un acheteur peut payer pour un médicament », soulignent les chercheurs. Pour la plupart des médicaments contre le cancer entrés sur le marché européen entre 2009 et 2013, il n’y a pas de preuves disponibles de bénéfices sur la survie ou la qualité de vie, pointe une autre étude publiée dans le journal britannique BMJ [3].

Des médicaments trop prescrits ?

Prenons un exemple concret. Arrivé sur le marché en 2015, l’Opdivo agit contre les cancers du poumon, le mélanome malin ou le carcinome rénal. Depuis 2017, il s’est hissé à la troisième place des médicaments les plus coûteux pour notre système d’assurance maladie. Pourtant, d’après les résultats publiés dans ses essais cliniques, des doutes planent sur son efficacité, explique le pharmacien et expert conseil indépendant François Pesty : « Dans le cancer du poumon non épidermoïde, par exemple, il faut traiter huit patients pendant un an (coût de 253 840 euros), ou 7 durant 18 mois (687 540 euros) pour éviter un décès, explique-t-il à partir des essais cliniques du laboratoire. 83% et 88% de patients sont traités inutilement sans gain de survie. »

Avant de recevoir de l’Opdivo, il faut passer un test de compatibilité. Pour cela, un prélèvement des cellules tumorales du patient est effectué. « Si 1% des cellules tumorales du patient expriment le gène PD-L1, alors la personne est éligible au traitement, précise François Pesty. Le seuil retenu pour l’éligibilité à Opdivo ne permet pas de ne sélectionner uniquement les bons répondeurs. » De façon générale, la fiabilité de ces marqueurs est fortement mise en cause par une récente étude [4].

Sur le terrain, les médecins ne sont pas capables de savoir en amont quels seront les malades qui répondront le plus au traitement. Et la mortalité n’est pas le seul indicateur pour juger de l’efficacité d’un traitement, affirme un oncologue : si la tumeur ne grossit pas, si une intervention chirurgicale est évitée, si le quotidien du patient est amélioré, les autorités peuvent juger que le médicament apporte un bénéfice. « Moi, je suis un peu fatigué, mais cela ne m’empêche pas de vivre », témoigneun patient qui suit une thérapie ciblée et chez qui la chimiothérapie classique provoquait de lourds effets secondaires.

Lire l’intégralité de son témoignage : Thérapies anti-cancéreuses : « Il faut gagner le combat, et certains y arrivent »

3,7 milliards pour un médicament à apport « nul » ou « mineur »

Autre exemple très concret des tendances décrites par les experts de l’OMS : l’Avastin, du laboratoire Roche, en dixième position de notre classement en 2018. « Au final, ce médicament n’aura reçu de la part de la commission de la transparence, qui évalue le progrès thérapeutique des médicaments au sein de la Haute Autorité de Santé, que des progrès « nul » ou « mineur » », explique François Pesty. En clair, l’Avastin n’apporte quasiment rien de nouveau par rapport aux médicaments qui étaient déjà sur le marché. Ces piètres résultats ne l’ont pas empêché de coûter plus de 3,7 milliards d’euros entre 2005 et 2018, (entre 240 et 846 euros la perfusion).

Il en va de même pour deux médicaments contre le VIH, Triumeq (16ème position) et Genvoya (20ème position). Selon la revue Prescrire, ils ne présentent « aucuns progrès démontrés par rapport aux traitements déjà disponibles ». Les traitements contre la DMLA comme Eylea ou le Lucentis squattent les 2ème et 4ème places de notre classement alors même que l’Avastin, un anticancer, serait aussi efficace et moins cher : une seringue coûte 10 euros [5] d’après la revue Prescrire, contre 738 euros pour une seringue de Lucentis !

Le Revlimid, le huitième médicament le plus onéreux en 2018 (45 216 euros par patient/an), n’est pas plus efficace qu’un autre médicament, deux fois et demi moins cher, dans le cas de la maladie rare du myélome multiple.

Fuite en avant

Malgré ces données, les médicaments dits « innovants » ne cessent d’être promus et soutenus. Début octobre, un collectif de chercheurs s’est exprimé dans le journal néolibéral L’Opinion, en faveur d’un accès plus rapide à ces traitements, « afin de rattraper ses voisins européens ». Mais aller plus vite signifierait réduire encore un peu plus les études cliniques, donc potentiellement autoriser de nouveaux médicaments dont les résultats ne sont pas toujours positifs.

Mediapart révèle que les 86 médecins signataires comptent plus de 16 millions d’euros de liens d’intérêt avec les grands laboratoires pharmaceutiques. Comment dès lors être crédibles ?

Progrès thérapeutique ou pas, la course folle vers des médicaments de plus en plus chers se poursuit. La France a ainsi autorisé en procédure accélérée (ATU) le Kymriah du laboratoire Novartis, un traitement unique conçu à partir des cellules sanguines du patient, dans des cas de leucémies. Son prix pour le moment : 320 000 euros. Encore plus cher, le Zolgensma a obtenu une autorisation en France en juillet 2019, pour 2 millions d’euros l’unité, afin de soigner les bébés atteints d’amyotrophie spinale. D’après Mediapart, trois enfants ont ainsi pu être sauvés depuis juillet dernier.

Les effets de cette course vers l’innovation ont des impacts très concrets, et risquent même de nuire aux innovations notamment dans les pays aux revenus les plus bas, notent les experts de l’OMS. Dans ces pays, « seuls 32 % des anticancéreux « essentiels » sont disponibles », indiquent les experts. Et puisque ces médicaments dits « innovants » sont très bien remboursés par la plupart des systèmes d’assurance maladie, « les laboratoires pharmaceutiques prennent parallèlement moins de risque dans les autres domaines de recherche, ce qui à long terme « étouffera l’innovation » », préviennent-ils.

Simon Gouin

- Photo : CC Mark Bonica

Source https://www.bastamag.net/prix-medicaments-remboursement-securite-sociale-laboratoires-pharmaceutiques-anti-cancereux

2019, année record pour les marchés financiers mais pas d’argent pour les retraites

2019 aura tutoyé les sommets en matière de valorisation financière, le CAC 40 terminant l’année aux alentours des 6000 points soit à peu de choses près, autour des valeurs d’avant la crise de 2008. En contrepartie de ces résultats éclatants pour les investisseurs et les actionnaires, pour les travailleurs, c’est l’exploitation accrue, la précarité du travail et finalement l’appauvrissement qui sont promis, à moins qu’ils ne soient capables d’inverser la tendance, comme le mouvement de révolte à l’échelle mondiale le laisse présager.

Jean Beide

Malgré la guerre commerciale et les incertitudes, les marchés financiers battent leurs records

Malgré les remous, 2019 aura été une année faste pour le marché des actions, dans un contexte de fortes turbulences commerciales. Les grandes facilités de crédits, accordées par les banques centrales, ont surtout conduit les investisseurs à injecter d’énormes quantités de capitaux dans les actions, portées par les bénéfices records des grandes multinationales et une croissance mondiale assez solide. Pour autant, tous les observateurs s’accordent à dire que la santé de l’économie mondiale ne saurait justifier de telles envolées. Sur un an, le CAC 40 aura progressé de 28%, le Dow Jones de 23% et le Nasdaq de 36% alors même que leurs valeurs respectives étaient déjà aux niveaux des records historiques il y a un an.

Une année 2020 qui pourraient voire éclater ces contradictions

L’extraordinaire solidité du marché des actions qui se base pour l’essentiel sur des prévisions de croissance pourrait être confronté à une série de « corrections » d’importance si ce n’est à des avaries plus profondes encore. Alors que la croissance mondiale pourrait continuer à ralentir, de nombreux marchés hautement spéculatifs comme celui des starts-up pourraient s’effondrer. La faillite de Wework à l’automne dernier pourrait d’ailleurs à ce titre présager une tempête de plus grande envergure sur ce front des entreprises à fort potentiel qui aspirent d’immenses quantités de capitaux pour des résultats plus qu’incertains.

Vent de révolte à l’échelle mondiale et lutte des classes en France

Cette frénésie spéculative est le symbole d’un capitalisme dont l’essor ne correspond à aucun progrès réel pour les populations et les travailleurs qu’il exploite. Alors que les cartels industriels se sont relevés de la crise, les inégalités ont explosé et les conditions de travail se sont massivement détériorées dans les pays capitalistes avancés. Les résultats économiques ne sauraient masquer le vent de révolte qui souffle sur le monde entier, comme en France depuis un an ou au Chili depuis deux mois. Alors que Macron et ses alliés essayent de faire admettre aux travailleurs qu’il n’existe aucune richesse dans un pays comme la France pour financer des retraites ou des salaires, et plus généralement que tout travailleur est un « coût » pour le patronat qui pourtant n’existerait pas sans lui, 2020 s’annonce pour notre camp social, comme une excellente année pour repartir à l’offensive. La fortune du grand capital est une misère pour le plus grand nombre et le fameux « ruissellement » un mirage. Contre la réforme des retraites et son monde, il est temps de passer à l’attaque.

Source https://www.revolutionpermanente.fr/2019-annee-record-pour-les-marches-financiers-mais-pas-d-argent-pour-les-retraites

Grèce : faire reculer Mitsotakis et l’extrême droite

La droite grecque, qui a toujours martelé que le gouvernement de Syriza ne pouvait être qu’une parenthèse, a donc repris les rênes du pouvoir en juillet sans pouvoir cacher sa joie profonde d’infliger à la gauche une défaite profonde, et que certains petits roquets de l’aile d’extrême droite, comme le fascistoïde Georgiadis, voudraient irrémédiable. 

En s’appuyant insolemment sur ce courant de droite extrême, qui va de l’ancien fasciste « tueur à la hache » Voridis, devenu ministre du Développement agricole, au courant nationaliste de l’ancien premier ministre Samaras l’extrême libéral, Mitsotakis a immédiatement voulu prendre toutes les rênes du pouvoir, sans se préoccuper de la qualité des sbires à qui il confiait des responsabilités : résultat, un dirigeant des services secrets qui a menti sur ses diplômes, idem pour le militaire à qui il vient de confier la responsabilité de la « gestion » des réfugiéEs, un nationaliste raciste qui ne rêve que de camps de concentration… Au tourisme, il a nommé un affairiste enfariné, admirateur de la junte des colonels, belle image pour la vitrine touristique…

La liste est longue, et chaque jour la presse indépendante met à jour des vices de procédure, des mensonges éhontés, qui sont la vraie face de ce que Mitsotakis vante comme le « gouvernement des meilleurs », slogan ridicule relayé par des médias majoritairement aux ordres de la Nouvelle Démocratie et du patronat, ce dont le gouvernement a voulu les récompenser en accordant discrètement des subventions y compris à des journaux de caniveau, presse raciste et à scandale !

Et en cette fin d’année, pendant que la droite prépare un budget évidemment uniquement favorable au patronat, ce qui mobilise de plus en plus largement, ce sont avant tout les innombrables et très inquiétantes attaques contre les droits démocratiques et y compris contre la justice élémentaire… On relèvera trois exemples de ces faits sur lesquels se déroulent ces jours-ci des mobilisations qui ne demandent qu’à prendre de l’ampleur … si on sait (enfin!) s’en donner les moyens.

L’indécence d’une procureure favorable au groupe criminel Chryssi Avgi (Aube Dorée)

C’est tellement énorme que le Monde y a consacré un article : après des mois de témoignages, de preuves accumulées sur la structure pyramidale et le rôle décisif du Führer de Chryssi Avgi, la procureure, Adantia Ikonomou, vient tout simplement de demander la relaxe de sa direction, faisant porter la responsabilité du meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas sur le seul tueur Roupakias ! Sur le fond, rien d’étonnant : d’une part, le comportement de cette procureure lors de tout le procès consistait à tenter de mettre en contradiction les témoins antifascistes et à mettre en doute les preuves réelles (bon, d’accord il y avait une lame, mais on ne peut pas dire que c’était un couteau…), comme si ce groupe n’avait pas à son bilan des morts et des dizaines de blessés plus ou moins gravement. Mais ce mépris pour les victimes n’aurait sûrement pas pu déboucher sur une telle demande de relaxe si n’existait pas une tendance de fond de la droite au pouvoir de remettre en selle les nazis, certes sous des formes qui pourraient être un peu différentes, mais qui s’accorde parfaitement avec certains des discours nauséabonds de dirigeants actuels de cette vieille droite issue de la guerre civile…

Même si, bien sûr, le procès n’est pas terminé et que rien n’est joué, le danger d’une relaxe existe désormais… avec en prime le remboursement de toutes les sommes suspendues pour les anciens parlementaires de Chryssi Avgi, qui deviendrait alors immensément riche alors que ces derniers mois, elle ferme peu à peu ses locaux sous la pression des mobilisations locales et de ses difficultés financières. Des appels à mobilisation ont été lancés : samedi 21, nous étions environ 2000 au centre d’Athènes, pour un rassemblement appelé par des organisations antifascistes (Keerfa) et la gauche révolutionnaire et radicale (NAR, SEK…), mais ni par Syriza ni par le KKE. Un premier pas certes encourageant -avec des interventions battantes, comme lorsque Petros Konstantinou (Keerfa) a rappelé que le procureur qui avait « innocenté » les assassins du député de gauche Lambrakis (1963, cf le livre de Vassilikos et le film de Kosta Gavras, Z) était ensuite devenu ministre de la junte fasciste (1967- 1974). Mais le fait que ce rassemblement ait réussi l’exploit de partir ensuite en deux manifs différentes permet de mesurer les efforts que nous sommes encore trop peu à prodiguer pour l’unité d’action antifasciste la plus large, qui devient urgente !

Une police bafouant tous les droits démocratiques

On en a parlé ici dès l’été : l’un des axes principaux, voire obsessionnel, du programme de Mitsotakis, c’est une attaque assumée, violente et durable contre les droits démocratiques, droits civiques, droits des travailleurEs, libertés universitaires… À cet effet, a été nommé un Castaner grec : l’ancien Premier ministre socialiste du gouvernement pro-troïka droite-Pasok, Chrsyssoïdis, revendiquant sans pudeur le droit aux violences policières… qu’il nie d’ailleurs systématiquement, même contre les témoignages filmés qui s’accumulent. Et le slogan sécuritaire de la droite rappelle de bien sombres périodes : Loi et ordre…

De fait, entre le programme continu d’expulsions de lieux occupés (à Exarcheia, les opérations continuent, dans un quartier occupé par les uniformes verdâtres et devenant zone chloroformée, malgré quelques mobilisations peu fournies) et interventions dans des facs (comme à Asoee, fac d’éco où les étudiantEs ont d’ailleurs repoussé les flics !), la réalité quotidienne, ce sont les libertés totales accordées à la police pour contrôler qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Son grand plaisir, ces dernières semaines, c’est de mettre à nu des personnes contrôlées, de tout faire pour humilier les jeunes et les moins jeunes, et certains flics se croient tellement tout permis qu’on les entend parler avec plaisir du sentiment de vivre sous la junte… La liste de leurs exactions s’allonge de jour en jour, les deux dernières sont exemplaires : d’un côté, des policiers du poste de la place Omonia se sont amusés à torturer une handicapée, et l’affaire commence à faire tant de bruit que les tortionnaires en uniforme auraient été arrêtés. De l’autre, une opération d’expulsion dans le quartier de Koukaki a fait ouvrir les yeux plus largement sur ces opérations de type militaire : pour atteindre la maison occupée, les commandos sont tout simplement passés par la maison voisine, déshabillant et frappant le propriétaire qui refusait qu’ils passent par sa terrasse sans autorisation judiciaire. L’affaire fait grand bruit, d’autant que la victime est un cinéaste connu… et pas de gauche !

Face à ce climat qui rapproche le gouvernement grec des Orban et des Bolsonaro, une mobilisation diverse commence à poindre : même les eurodéputés (sociaux-démocrates, verts, eurogroupe de la gauche) ont écrit à Mitsotakis pour dénoncer des faits qui dépassent les seuls droits des victimes et remettent en cause le sens même de l’état de droit. Ça ne mange pas de pain, mais il est urgent que sur le plan international, l’image voulue d’un gouvernement de « centre droit » soit remise en cause pour montrer la dérive d’extrême droite déroulée par ce gouvernement, et le mouvement ouvrier international a un rôle crucial à jouer. Sur place, face à un ministre des flics (officiellement, ministre « de la protection du Citoyen » !…) imperturbable, la mobilisation commence à s’organiser, mais là encore, elle est largement insuffisante : récemment, une réunion unitaire n’a regroupé que la seule gauche radicale et révolutionnaire, le KKE et Syriza brillant par leur absence… Pourtant, on peut penser qu’une campagne unitaire doit désormais se lancer avec un objectif précis : face à tous les faits indignes couverts par Chryssoïdis, l’exigence de sa démission est une demande minimum, et on peut penser que gagner une telle bataille serait un facteur d’affaiblissement sérieux de la droite au pouvoir, tant celle-ci se base sur la répression des droits : son objectif désormais, c’est non seulement la limitation des manifs, mais carrément la restriction du droit de grève.

Métro de Thessalonique : contre les projets destructeurs des talibans de Koulis !

Une fois n’est pas coutume : la bataille pour les droits passe aussi aujourd’hui par la défense d’un site archéologique qui risque d’être détruit de par la volonté d’une droite soucieuse des seuls profits. En effet, à l’occasion de la construction d’une ligne de métro à Thessalonique, ville qui n’a jamais cessé d’être un grand pôle vivant depuis sa fondation au IVe siècle avant J.-C., ont été découverts de très importants vestiges byzantins, découverte saluée par la communauté archéologique internationale : les archéologues, l’ancien maire de la ville et la société de construction du métro s’étaient alors mis d’accord pour prendre le temps nécessaire pour consolider le site et bâtir la station de métro autour de ces vestiges, comme cela a pu être fait à d’autres occasions à Athènes, ce qui fait d’ailleurs de certaine stations athéniennes des musées vivants ! Face à eux, une alliance d’intérêts réactionnaires et économiques étaient pour décoller les vestiges et aller les exposer dans un musée militaire ! Or, lors de son discours de rentrée à la foire internationale de Thessalonique, le Premier ministre Mitsotakis, connu sous le surnom de Koulis, et dont l’ouverture culturelle n’est certes pas la qualité la plus connue, annonçait sans que les instances archéologiques en aient été informées que les vestiges seraient décollés et « replacés » une fois que la station serait prête !

Stupeur de la communauté scientifique devant la perspective d’un tel massacre, contraire à toutes les recommandation scientifiques. Les raisons : un gain de temps de trois ans, donc de très substantielles économies. Mais aussi, sans aucun doute, tout le petit esprit revanchard de cette droite sans envergure, qui voudrait ainsi venger l’humiliation faite à son ancien chef Samaras quand ce dernier avait voulu faire croire, dans le cadre de sa politique nationaliste, qu’on avait découvert en Macédoine (grecque, bien sûr !) le tombeau d’Alexandre le Grand ! Et on a vu ces dernières semaines la direction du ministère de la culture mener une véritable politique visant à terroriser les membres du Conseil archéologique central (KAS) … qui a fini par voter pour cette solution digne des talibans décapitant les statues !

Face à cette mesure, reflet d’une conception culturelle qui voit les découvertes archéologiques comme l’occasion d’ouvrir un Disneyland, de nombreux habitantEs de Thessalonique, de nombreuses associations de défense de l’environnement naturel et historique, le Syndicat national des Archéologues, de nombreux scientifiques du monde entier se sont mobilisés et se mobilisent pour faire revenir le gouvernement sur cette décision catastrophique. Dans le contexte actuel, cette bataille ne doit surtout pas être considérée comme secondaire ou « pittoresque » : ses enjeux culturels et politiques sont au premier plan, et un soutien international est là aussi indispensable !

On le voit : si l’année 2019 se finit sans que le mouvement ouvrier, sonné par la politique du gouvernement Syriza puis assommé par la victoire de la droite, ait pu encore se relancer dans de grandes mobilisations, les actuelles batailles pour le respect des droits démocratiques élémentaires, les droits des travailleurs et travailleuses, le respect de l’environnement naturel (batailles aussi contre l’installation de parcs géants d’éoliennes sur des montagnes…) et historique peuvent et doivent contribuer à redonner confiance dans les luttes de masse, seul moyen pour commencer à faire reculer la droite talibane grecque !

À Athènes, A. Sartzekis

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-faire-reculer-mitsotakis-et-lextreme-droite

Mettre fin à l’Europe des murs

19 décembre 2019 par Mamadou Bah 

Drapeau symbole de l’Europe forteresse (CC – Wikimedia)

La migration étant un phénomène naturel, en effet, tout être humain doit jouir du droit de se mouvoir sans se justifier, ni être inquiété. Malheureusement, trente ans après la chute du mur de Berlin, l’Europe continue à produire au cours de cette dernière décennie, une pratique honteuse similaire à celle de l’Union soviétique qu’elle avait condamné à l’époque, c’est-à-dire, qu’elle érige des frontières tangibles comme marqueur de différence « le nous et le eux ». Aussi barricadée que l’Europe soit, elle ne sera jamais « hermétique » !

  Sommaire  
  • Contexte
  • Inefficacité et échec de la fermeture des frontières dans tous ses aspects
  • Que peut-on faire pour s’opposer à cette politique d’Europe forteresse ?
  • Nouvelle approche de partenariat Nord-Sud
  • Conclusion

 Contexte

L’Union européenne (UE), dans son hystérie institutionnelle de protection de ses frontières extérieures et de garantir la sécurité intérieure, proposait en 2018 de tripler le budget alloué à Frontex (agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), à hauteur de presque 35 milliards, pour la période de 2021-2027.

En se centrant sur la problématique des frontières, l’Europe se focalise sur ses dérivés, alors que, le cœur du problème se situe dans le fait que, de trop nombreuses personnes de pays d’Afrique, se sentent obligées de migrer. En effet, les populations sont poussées par la violence des politiques néolibérales, portées par ceux mêmes qui érigent ses clôtures, au détriment de la logique émancipatrice qui, pourtant est universelle.

Depuis quelques années, face au constat de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) que la Mer Égée est devenue la frontière la plus meurtrière des migrants au monde, l’UE fuit ses responsabilités en lieu et place de mettre en œuvre une politique migratoire européenne efficace, humaine et sûre. En effet, en 2015, lors du sommet de la Valette qui regroupait les chefs d’États et gouvernements européens et africains, l’UE a lancé un plan de sous-traitance de sa politique migratoire. Celui-ci consistait à faire « collaborer » les pays du Sud, sous la forme d’un chantage, à accepter d’accueillir les migrants sans titre de séjour, refoulés de force par les pays européens.

C’était une des conditions imposées par l’UE pour poursuivre sa coopération avec le continent sur le plan économique, commercial et d’aide au développement. Un autre accord avait été signé avec la Turquie en 2016, sous forme d’un pacte migratoire, qui, malgré son coût exorbitant pour l’UE, avait comme contrepartie implicite, de garder le silence sur les violations quotidiennes des droits humains dans le pays.

Comme une pathologie, l’idéologie sécuritaire et la volonté à tout prix de stopper l’immigration clandestine à la source ont poussé l’UE, par la voix de sa chargée des Affaires étrangères (Federica Mogherini), à lancer un plan dont l’objectif était de « déplacer » le contrôle de sa frontière vers l’Afrique subsaharienne.

Le Niger, à l’instar de la Turquie, étant considéré par l’UE comme un laboratoire, principal point de passage au Sahel, de par sa situation géographique, pour entrer en Europe, a été contraint par le chantage d’être l’État tampon (contrôle à la source) de l’UE et de collaborer avec Frontex. Des instructeurs de Frontex ont été dépêchés sur place pour former et équiper les militaires et les policiers nigériens sur les techniques de détection d’un ou des individus en chemin pour l’Europe. Une autorisation qui ouvrait la porte aux pires abus de la police et l’armée, et une traque basée sur les contrôles au faciès.

Cette externalisation de la frontière européenne jusqu’au Niger a en plus un effet au niveau de la région, car elle viole le droit des personnes à se mouvoir librement au sein de l’Afrique de l’Ouest, consacré par le traité de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour la libre circulation des personnes et des biens, signé en 1979 à Dakar.

 Inefficacité et échec de la fermeture des frontières dans tous ses aspects

L’idéologie des frontières qui est vendue ces derniers temps par l’élite européenne comme la seule alternative pour étouffer la migration clandestine, montre malheureusement ses limites, face à des personnes fuyant un danger, une guerre, une famine ou qui cherchent une vie meilleure, notamment la possibilité d’entreprendre des études (comme le destin tragique de Yaguine et Fodé l’a tristement rappelé [1]). Cette politique, faisant écho à l’expérience américaine (clôture entre l’Amérique et le Mexique), est inefficace et contre-productive. Elle porte fortement atteinte aux droits fondamentaux et aux traités internationaux dont l’Europe est signataire. Elle nourrit, entretient le trafic des êtres humains et est à l’origine de milliers de morts dans la Méditerranée.

En effet, ces dernières années, la prétendue « crise migratoire » a créé des vifs débats, et provoqué des tensions sur notre continent. Elle a servi de support à l’extrême-droite européenne dans sa construction du discours anti-migrants et a imposé, avec des arguments très pauvres en contenu, son agenda qui prône la fermeture des frontières comme la seule alternative qui permettra aux citoyens européens de retrouver leur pouvoir d’achat, de conserver leurs droits sociaux… Cette démarche insidieuse se traduit entre autres par une intoxication de l’opinion publique, visant à convaincre les couches sociales victimes du système que tous leurs maux viennent de l’afflux d’étrangers dans leur pays. En exemple la carte blanche de Bart De Wever du 24 janvier 2018 qui disait : « la gauche doit choisir entre les frontières ouvertes et l’État de providence ». C’est l’habituel récital « Diviser pour régner », qui permet aux gouvernants de se gagner la faveur d’une partie de la population.

Un exemple éclairant nous est donné par la fameuse clôture entre les USA et le Mexique. Dans une optique de contrer la crise migratoire (qu’elle a même provoqué par le biais du traité Tafta-Alena NBP Trans Atlantic Free Trade, Accord de Libre-Echange Nord-américain 1992), les États-Unis ont fermé leur frontière avec le Mexique. Or, cela n’a pas pu freiner une population forcée de migrer par le biais des politiques néolibérales créées par l’impérialisme. Comme promis lors de sa campagne, Trump revient avec sa politique stérile de remplacer la clôture par un mur qui, une fois budgétisé, coûtera des milliards aux contribuables américains, et aura des conséquences sur le peu de contrat social existant aux USA. On retrouve malheureusement ce même type de clôture aujourd’hui en Europe telles que celles de Melilla en Espagne et en Hongrie de Viktor Orban.

Concernant l’efficacité de ces murs, on peut parler d’une réussite en trompe-l’œil. Certes, les défenseurs de cette politique se vantent de freiner l’immigration clandestine, alors qu’elle ne fait que déplacer les voies d’accès vers d’autres endroits beaucoup plus dangereux. Cette politique d’une « Europe forteresse » alimente indirectement les entreprises criminelles des passeurs et encouragent le trafic d’êtres humains…

 Que peut-on faire pour s’opposer à cette politique d’Europe forteresse ?

L’éducation populaire reste en effet incontournable. Elle doit davantage agir de manière pro-active :

  • reconquérir le terrain, aller à la rencontre des personnes pour expliquer les conséquences de ces frontières sur notre quotidien et notre démocratie ;
  • expliquer aux citoyens, de manière pédagogique que les 35 milliards alloués à l’armée Belge, pour l’achat des F-35 qui, dans une coalition des puissants, vont bombarder d’autres pays, est une des conséquences de la migration contre laquelle l’Europe se barricade ;
  • déconstruire et dénoncer ces pratiques présentées comme soi-disant « la seule alternative » ;
  • dénoncer les coûts exorbitants qu’elles engendrent sur le plan matériel (barbelés, caméras de vision nocturne dernière génération, etc.) et humain (personnel policier, voire recours à des sociétés privées), jusqu’au Traité anti-démocratique avec la Turquie (deux fois trois milliards offerts au régime autocratique de Recep Tayip Erdogan Président de la Turquie).

 Nouvelle approche de partenariat Nord-Sud

La complémentarité des deux continents fait que l’Afrique a besoin de l’Europe pour se développer et l’Europe a aussi besoin de l’Afrique pour continuer son développement. Cependant, il est nécessaire de sortir du cadre de référence à savoir l’aide au développement, qui est d’une part humiliante, rabaissante et d’autre part qui présente un risque énorme d’entraîner le continent dans une dépendance installée. Par ailleurs, il est fondamental de redéfinir de nouvelles approches de coopération (partenariats, traités…) et de relation (échange équitable et mutuellement profitable à tous, collaboration, ouverture et respect), qui pourraient être une des solutions, peut-être moins coûteuse au contribuable, sur la migration « clandestine » car, aussi barricadée que l’Europe soit, elle ne sera jamais « hermétique ».

Voici un exemple pour illustrer cette théorie. Le Botswana, ancienne colonie anglaise, indépendant depuis 1966, était parmi le top cinq des pays les plus pauvres d’Afrique, malgré son palmarès de deuxième producteur mondial de diamant. Cette manne qui était exploitée par De Beers (multinationale anglaise), échappait aux autorités, à cause des traités coloniaux existants entre ces deux pays, et était exportée à l’état brut. A cette époque, les botswanais migraient beaucoup pour des raisons économiques.

Au cours des années 90, le pays a pris la décision courageuse de suspendre le contrat avec De Beers, afin de le renégocier dans le cadre d’un processus de nationalisation, concernant tant l’extraction que la transformation et le commerce des diamants. Dans ce cadre, a émergé un nouvel accord de partenariat (dans lequel une nouvelle dénomination a été attribuée à l’entreprise la « Debswana »), au sein duquel l’entreprise et l’État, s’engagent à moderniser les méthodes d’extraction, la construction des usines de transformation et des centres de négoce.

Cela a permis au pays de devenir un des leaders du négoce du diamant et a entraîné la relocalisation de nombreuses entreprises du secteur issues des quatre coins du monde pour le Botswana notamment le géant britannique De Beers qui a relocalisé de Londres à Gaborone, une partie importante de son négoce de pierres précieuses. Suite à cela, la valeur de la matière a subi une augmentation de 3 à 4 fois le prix à l’état brut. Par sa pugnacité, après plusieurs batailles, ce nouvel accord de partenariat économique (APE) entre les deux parties a généré des richesses et beaucoup d’emplois directs et indirects. Le pays est actuellement l’un des plus prospères d’Afrique, avec un véritable système de redistribution des richesses via la gratuité à tous des soins de santé primaires, un investissement important dans l’enseignement, les centres de formation, la création d’emploi et un soutien alloué aux associations pour faire un travail de terrain car, les autorités ont fait le choix politique de la logique émancipatrice. C’est l’aboutissement d’un travail politique qui favorise l’épanouissement des jeunes à la base.

Ces dix dernières années, plusieurs ONG notamment le PNUD mentionne un changement de sens de la migration, par ailleurs, Transparency International, classe le pays au 26e rang des pays les moins corrompus au monde (indice 2001).

Ce changement s’est opéré indépendamment de l’aide au développement de l’UE, en revanche, la détermination, l’éthique et le courage des femmes et hommes politiques du pays, de s’attaquer au lobby des multinationales, que les traités de partenariat favorisent le plus souvent en termes de puissance, de pouvoir et d’influence ont été décisifs. Cela n’a coûté aucun centime aux contribuables européens sur le plan sécuritaire, logistique, humain !

 Conclusion

Mr Jean-Claude Juncker a terminé son mandat à la tête de la Commission européenne avec un palmarès épouvantable : sous sa présidence, des milliers de migrants sont morts noyés dans la mer Égée. Un sinistre bilan incarné par l’épave du chalutier dans lequel 800 personnes ont péri en 2015 entre la Libye et l’Europe, dont l’épave sera bientôt exposée à Venise, à l’initiative d’association de défense des droits des migrants. Il est temps d’arrêter ce massacre, tant aux frontières qu’au Sud globale, et laissé les pays d’Afrique et d’ailleurs en dehors des rapports de domination du capitalisme mondiale qui les étouffe.


Article initialement publié dans le magazine trimestriel le CHOU (MOC), n°108 d’avril-mai-juin 2019″ : https://mocbxl.be/wp-content/uploads/chou_108-1.pdf

Notes

[1Le 28 juillet 1999, Yaguine Koita, 15 ans, et Fodé Tounkara, 14 ans, perdaient la vie dans le train d’atterrissage du vol 520 de la compagnie Sabena, qui assurait la liaison Conakry-Bruxelles.

France : Les vœux de l’imposture

Les vœux de l’imposture

Les vœux du Président de la République résument toute l’imposture de son mandat. Il galvaude les valeurs de justice et de progrès social, pour imposer en réalité un projet de transformation globale de la société, ultralibéral et autoritaire.

Sur la méthode, d’abord : face au mouvement des gilets jaunes, se serait instauré selon lui un «  dialogue sans précédent dans une démocratie  ». Ce dialogue s’est soldé par des dizaines de mutilé·s parmi les manifestant·e·s, d’innombrables arrestations préventives et une répression policière sans précédent depuis des dizaines d’années. Il se solde également par une indifférence totale dans son discours pour tou·te·s les grévistes et manifestant·e·s et le mouvement social qui s’exprime actuellement contre son projet de retraites.

Ce projet serait celui de la «  justice  » et du «  progrès social  », parce qu’un «  euro de cotisation reversé ouvre les mêmes droits pour tous dès la première heure de travail » . Mais justement, ceci implique une reproduction pleine et entière des inégalités dans le monde du travail, bien plus que le système actuel. Il entraîne une prise en compte de toute la carrière, y compris les périodes de chômage, temps partiels, salaires bas… pénalisant en premier lieu les femmes et les plus précaires, «  ceux que le système a déjà abandonnés  » et qu’Emmanuel Macron assure soutenir ! Dans le même temps, ces plus précaires sont aussi victimes de la loi assurance chômage, qui va encore paupériser plus d’un million de chômeurs.

Emmanuel Macron voudrait que l’on ne trahisse pas «  nos enfants et leurs enfants après eux  » : est-ce à ce titre qu’il sacrifie les générations nées à partir de 1975, qui seront touchées par la réforme ? Car pour l’«  équilibre du système de répartition et sa solidité à travers le temps  », il s’agit bien de figer la part de richesses allant aux retraites, alors que le nombre de retraités va augmenter… donc d’appauvrir les futur·e·s retraité·e·s par rapport au reste de la population. Il s’agit aussi de pousser tout le monde à partir plus tard en retraite, avec le fameux âge pivot de 64 ans et le système de décote et surcote.

Le Président de la République nous rappelle la baisse de l’impôt sur le revenu et la suppression, qui ne concernent pas une grande partie de la population : les plus pauvres. Par contre il oublie de rappeler la pérennisation des cadeaux fiscaux aux plus riches. Il rappelle qu’«  éduquer, soigner, instruire, former, sont des missions essentielles  » et dans le même temps poursuit la casse des hôpitaux et de l’école et la baisse de leurs moyens humains et matériels. Il affirme qu’un «  nouveau modèle écologique doit se déployer  », quand il signe des accords de libre-échange climaticides, poursuit les niches fiscales pour des activités ultra-polluantes et la suppression des lignes ferroviaires et des services publics de proximité.

2020 serait vouée à «  l’unité retrouvée de la nation  » ; l’unité, nous la construisons tous les jours aux côtés des grévistes qui refusent la fin d’un régime de retraites basé sur la solidarité ; nous continuerons à la faire vivre tout au long de l’année 2020, contre ce projet ultralibéral et autoritaire, pour une société de la justice sociale et écologique. Nous appelons d’ores-et-déjà à poursuivre les mobilisations en cours et à rejoindre massivement les manifestations du 9 janvier et celles qui suivront.

Source https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/les-voeux-de-l-imposture?pk_campaign=Infolettre-2275&pk_kwd=france-attac-org-actus-et-medias

Des conséquences de la coordination du sauvetage en mer confiée à la Libye.

Le manque de coordination dans la région de recherche et de sauvetage libyenne, dans les eaux internationales, dure depuis un an et demi maintenant, soit depuis que la responsabilité a été confiée aux autorités maritimes libyennes .

DÉCLARATION de SOS MEDITERRANEE :   « Il est inacceptable de n’avoir pas pu compter, cette fois encore, sur un centre de coordination de sauvetage efficace »

Nicola Stalla, coordinateur des sauvetages à bord de l’Ocean Viking, commente le sauvetage de ce vendredi 20 décembre, au cours duquel 112 personnes ont été mises en sécurité à bord de l’Ocean Viking dans le cadre d’une opération qui s’est avérée difficile.

« Au petit matin, d’abord dans l’obscurité la plus totale, une opération de sauvetage difficile a été menée par l’Ocean Viking à environ 35 milles nautiques des côtes libyennes. Après avoir reçu une alerte à l’effet qu’une embarcation se trouvait en détresse dans le secteur, notre navire s’est dirigé à toute vitesse dans sa direction pour s’enquérir de la situation. Environ une heure et demie plus tard, nous avons finalement repéré un bateau pneumatique blanc. Il était vraiment surchargé et l’avant était complètement dégonflé.

L’Ocean Viking a immédiatement essayé de contacter le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (JRCC) libyen afin de les informer de l’urgence de la situation et d’obtenir des instructions. Bien qu’il ait également reçu ce même message de détresse, le JRCC n’a cependant pas partagé l’information avec tous les navires dans la zone, comme le prévoient les conventions maritimes. En outre, sur les huit appels que nous avons adressés au JRCC libyen, sept sont restés sans réponse. Un seul de nos appels a reçu une réponse, mais aucune personne ne parlant anglais n’a été en mesure de coordonner cette opération de sauvetage, pourtant urgente.  

Conformément au droit maritime international, l’Ocean Viking a alors informé le JRCC libyen par courrier électronique que ses équipes allaient procéder au sauvetage, en mettant en copie les MRCC maltais et italien ainsi que EUNAVFORMED.

L’opération s’est avérée particulièrement difficile pour l’équipe de marins-sauveteurs de SOS MEDITERRANEE. Manœuvrant dans l’obscurité totale, nous avons dû agir rapidement et anticiper un scénario où le bateau pneumatique, surchargé et partiellement dégonflé, risquait de se détériorer davantage. Nous avons donc déployé deux rafts et utilisé l’un d’entre eux pour y transférer une partie des occupants du bateau en détresse afin de le délester. Dans le cas où la situation serait devenue critique, nous avions aussi positionné un second raft.

Les équipes de sauvetage pouvaient entendre les pleurs des bébés. La plupart des naufragés étaient très agités. Heureusement, les sauveteurs ont réussi à les calmer et personne n’est tombé à l’eau. Enfin, toutes les personnes en détresse ont été ramenées en toute sécurité à bord de l’Ocean Viking.

Notre navire compte donc désormais 112 rescapés à son bord. Parmi eux, on compte 24 femmes dont trois enceintes et sept bébés. Le plus jeune n’a que trois mois. Pas moins de 27% des personnes secourues sont des mineurs non accompagnés. D’après les premiers témoignages que nous avons pu recueillir, le bateau avait quitté Zawiyah, en Libye, en fin de soirée hier.

Les conditions météorologiques, qui étaient assez calmes ce matin, se sont ensuite rapidement détériorées. Si nous n’avions pas été présents dans le secteur et que nous n’avions pas réussi à localiser le bateau en détresse, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants étaient voués à un naufrage certain en raison de cette météo épouvantable.

Nous le répétons : il est inacceptable de n’avoir pas pu compter, cette fois encore, sur un centre de coordination de sauvetage efficace pour nous guider durant cette opération de secours délicate. Le manque de coordination dans la région de recherche et de sauvetage libyenne, dans les eaux internationales, dure depuis un an et demi maintenant, soit depuis que la responsabilité a été confiée aux autorités maritimes libyennes. Une solution pour restaurer la coordination adéquate des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale doit être trouvée sans tarder, incluant un mécanisme stable et systématique de débarquement des rescapés.

A 14 heures cet après-midi, nous avons demandé un lieu sûr pour débarquer les naufragés au JRCC libyen, avec copie aux MRCC maltais et italiens. Notre État du pavillon en a également été informé. Comme le prescrit le droit maritime, toutes les personnes secourues doivent être débarquées en lieu sûr dès que possible.

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/declaration-20122019

Pour soutenir SOS et sauver des vies http://www.sosmediterranee.fr/

Grande-Bretagne : les raisons d’une défaite

Introduction : Corbyn trébuche sur le Brexit, par Stathis Kouvélakis

En ce terrible été 2015, le succès inattendu de Jeremy Corbyn, élu à la tête d’un parti dont il fut pendant plusieurs décennies une figure isolée, courageusement et stoïquement campé sur une aile gauche marginalisée, fut l’un des rares rayons de soleil pour la gauche européenne frappée au cœur par la capitulation de Tsipras et de son gouvernement face à la Troïka. L’émergence de Corbyn et de Sanders, ou plus exactement, celle des forces qui leur ont permis de quitter les marges de la vie politique dans lesquelles ils furent longtemps cantonnés, ont été sans doute le seul signe d’espoir pour la gauche des pays occidentaux au cours des années qui sont suivi. C’est pourquoi l’échec des travaillistes sous Corbyn revêt, pour la gauche radicale et anticapitaliste des pays occidentaux, une tout autre signification que n’importe quel échec passé de ce même parti ou de ce type de forces politiques.

La perte des bastions historiques du travaillisme

La carte que dessinent les résultats électoraux du 12 décembre est dépourvue d’ambigüité. La fameux « mur rouge », à savoir les bastions travaillistes historiques du Nord de l’Angleterre et des Midlands, l’ancien cœur industriel du pays ravagé par des décennies de néolibéralisme et de domination du capitalisme financiarisé, a cédé et s’est, pour une large part, tourné vers les conservateurs. Des sièges détenus depuis les années 1930 par le parti créé au début du siècle par Keir Hardie et les syndicats, au cœur des communautés minières et ouvrières, passent entre les mains des conservateurs, héritiers et continuateurs du camp monarchiste et de l’ordre impérial et aristocratique. Au cœur de ce basculement totalement inédit dans l’histoire du pays, la question du Brexit, qui domine l’agenda politique depuis le référendum de juin 2016.

La plupart de ces circonscriptions s’étaient en effet prononcées dans de larges proportions en faveur du Brexit, y compris d’ailleurs, n’en déplaise aux amateurs de clichés, celles qui comptent en leur sein d’importantes communautés issues de l’immigration ouvrière postcoloniale. Lors du scrutin de 2017, les travaillistes, bien qu’ayant fait campagne en 2016 faveur du maintien dans l’Union européenne (UE) [position du Remain], avaient réussi à les garder dans leur giron en adoptant une position de respect du résultat du référendum. Corbyn avait même insisté sur le fait que la sortie de l’UE rendait plus aisée la mise en œuvre de parties essentielles de son programme comme la nationalisation intégrale des chemins de fer et la reconstitution d’un monopole public de fourniture d’électricité. Or, au cours des deux années qui sont suivi, soumis à une pression croissante des partisans du Remain à l’intérieur de son parti aussi bien qu’à l’extérieur, Corbyn a dû accepter, à contrecœur, de modifier la position du parti dans le sens du Remain. Lors de ce scrutin, le Labour s’engageait à renégocier l’accord de Brexit conclu entre Boris Johnson et l’UE et à soumettre ce nouvel accord à un référendum qui devrait également inclure l’option du Remain. Même si Corbyn se disait « neutre » quant aux options soumises à un tel référendum, se plaçant dans une position à vrai dire illisible (comment peut-on ne pas vouloir défendre un accord qu’on a soi-même renégocié ?), la quasi-totalité des dirigeants et la plupart des élus du parti s’étaient d’ores engagés en faveur du Remain, y compris John McDonnell, le bras droit de Corbyn en charge de la politique économique au sein du « cabinet fantôme » travailliste, qui avait mis tout son poids pour faire adopter la position  d’un second référendum (incluant l’option du Remain) lors du congrès du parti[1].

Comme c’était prévisible, l’électorat, et en particulier celui des classes populaires des régions déshéritées qui ont largement soutenu le Brexit, a sanctionné cette volonté à peine masquée de renverser le résultat du référendum de 2016. Celle-ci est apparue comme ce qu’elle est, à savoir un déni de démocratie. Le Labour à direction corbyniste s’est laissé emporter par le discours porté par le mépris de classe des élites et des classes moyennes « libérales » vis-à-vis de plébéiens ignares, supposément motivés par leurs seuls vils instincts xénophobes et racistes. Outre les travaillistes, les Libéraux-Démocrates, qui se sont posés en zélotes du Remain, en proposant d’annuler purement et simplement la demande de sortie de l’UE sans même passer par un second référendum, en ont également fait les frais. Leurs espoirs de victoire – leur leader Jo Swinson a ouvert la campagne en se présentant comme la future première ministre – ont vite été douchés et ramenés à un modeste gain en pourcentage de quatre points et d’un seul siège au parlement, Jo Swinson échouant même à se faire réélire dans sa circonscription. Quant aux travaillistes, sur un solde négatif de soixante sièges, ils en perdent quarante-trois dans leurs bastions traditionnels du Nord et des Midlands et reculent globalement de près de huit points, passant de 40% à 32,2% des voix.  Une partie de ces pertes est certes compensée par un apport de voix venant des classes moyennes pro-Remain : le parti gagne ainsi 27% des élect.eur.rice.s Libéraux-Démocrates de 2017, et même 8% des pro-Remain conservateurs de 2017, ce qui explique pourquoi, alors que s’écroule le « mur rouge » des anciens bastions ouvriers, il gagne des sièges dans des circonscriptions de classes moyennes comme Putney ou Canterbury[2]. Mais, au bout du compte, la défection d’une partie substantielle du cœur de l’électorat historique s’est révélée fatale, comme le veut une « loi » bien connue des experts en sociologie électorale.

 Une sociologie électorale inédite

Il ne fait aucun doute que c’est le Brexit qui a permis aux conservateurs de remporter ce scrutin grâce à une configuration électorale inédite, à savoir en vampirisant une partie de la base électorale ouvrière et populaire historique des travaillistes. Le pari n’était pas gagné d’avance. En effet, les Tories devancent désormais les travaillistes avec plus de 11 points (contre à peine 2,4% en 2017) en progressant de seulement 300 000 voix – et de 1,4% en pourcentage par rapport au scrutin précédent. Mais les déplacements importants se sont opérés au sein même de leur électorat. Car la radicalisation des conservateurs, sous la houlette de Boris Johnson, en parti pro-Brexit n’a pas fait que des heureux. Les Tories ont ainsi subi des pertes significatives parmi leur électorat de 2017, dont un peu moins d’un tiers avait voté en faveur du maintien dans l’UE lors du référendum de 2016. Or, un tiers de ces élect.eur.rices.s Tories pro-Remain ont fait à présent défection, pour l’essentiel vers les Libéraux-Démocrates (21%), et même, pour 8% d’entre elles et eux, vers les travaillistes. Ces pertes ont toutefois été largement compensées par l’apport d’élect.eur.rices.s travaillistes pro-Brexit, ou, de façon encore plus significative, mais complètement passée sous silence par le discours dominant, par des élect.eur.rices.s pro-Remain mais qui ont rejeté la remise en cause du résultat du référendum de 2016. En effet, contrairement à ce que les médias et les campagnes pro-Remain n’ont cessé de répéter, les rangs de ce dernier groupe se sont révélés bien plus fournis que celui des élect.eur.rices.s pro-Brexit de 2016 qui ont basculé vers le camp du Remain (13%  vs. 5%, respectivement, dans l’ensemble de l’électorat britannique). Les conservateurs ont pu ainsi attirer 25% des élect.eur.rices.s travaillistes pro-Brexit de 2017 mais aussi 18% de l’ensemble des élect.eur.rices.s ayant voté Remain en 2017 mais qui tenaient à ce que le résultat du référendum soit respecté et mis en œuvre.

Le tableau devient encore plus saisissant si on passe à l’analyse du vote par catégorie sociale. Selon la nomenclature de la stratification sociale britannique, les conservateurs devancent désormais les travaillistes de 6 et de 20 points dans les catégories du bas de l’échelle, soit, respectivement, dans les catégories DE (chômeurs, travailleurs manuels qualifiés et semi-qualifiés) et C2 (salariat d’exécution qualifié). Par rapport à 2017, les travaillistes reculent dans ces catégories, respectivement, de 9 et de 6 points et les conservateurs progressent de 9 et de 6%. On peut raisonnablement penser que si on extrait les chômeurs du groupe DE, l’avance des conservateurs sur les travaillistes serait encore supérieure dans cette catégorie, dans laquelle ils réussissent de toute façon une percée historique.

Le score du Labour dans la catégorie C2, i.e. le cœur de son électorat dans le salariat actif, s’avère non moins désastreux. Distancé de 20 points par les conservateurs, sa performance y est même légèrement inférieure (30%) que dans les classes supérieures (31%), le groupe AB des managers de rang supérieur et intermédiaire et des professions libérales. Dit autrement, le Labour fait un score à peu près égal dans toutes les catégories sociales, soit autour de sa moyenne nationale de 32%. Sa performance est parfaitement transclasse, sans le moindre signe de vote préférentiel dans les classes populaires, à l’inverse du scrutin de 2017 lors duquel onze points séparaient sa performance entre le haut et le bas des catégories sociales (en faveur des secondes). Quant aux conservateurs, ils réussissent l’exploit inouï pour un parti de droite issu de l’élite aristocratique, et dont le dernier exécutif comptait une proportion inédite de millionnaires, de faire mieux dans la catégorie centrale du salariat d’exécution (C2) que parmi les classes supérieures, pilier traditionnel de son électorat (50% dans la catégorie C2, 44% dans AB).

Seule la distribution générationnelle apporte une vision inverse, et encore plus tranchée. Les travaillistes gagnent en effet massivement le vote jeune (de 55 à 57% dans les tranches 18-24 et 25-34), quoique dans des proportions nettement moindres qu’en 2017, accusant une chute de 10 et de 3 points, respectivement, dans les deux premières tranches d’âge. Cet écart s’inverse dès la tranche des 45-54 (8 points d’avance pour les conservateurs) et devient proprement abyssal parmi les seniors (54 points d’avance pour les conservateurs chez les plus de 65 ans).  Comme le soulignent les textes qui suivent, l’appui des jeunes est incontestablement une réussite formidable du corbynisme mais elle s’est avérée insuffisante pour remporter des élections et compenser la perte de l’enracinement de classe. D’autant que l’abstention est forte dans la jeunesse, en particulier dans la jeunesse populaire, supérieure à 50% selon les estimations, ce qui relativise du même coup la portée des performances spectaculaires des travaillistes parmi les votants dans ces tranches d’âge.

La gauche face à l’UE : chronique d’un désastre

Il faut le souligner : dans ses grandes lignes, cette configuration ne relève en rien d’un exceptionnalisme britannique. L’Union Européenne fait l’objet d’un rejet profond et croissant des classes ouvrières et populaires du continent. Comme quelqu’un d’aussi peu suspect d’« antieuropéisme » que Thomas Piketty le relevait dans une récente tribune, fondée sur une étude comparative de résultats électoraux dans plusieurs pays de l’UE, « les votes autour de l’Union européenne se caractérisent toujours par un clivage de classes aussi marqué ». Ecartant les explications qui attribuent ce rejet à la xénophobie et au racisme supposément inhérent aux classes populaires blanches, Piketty avance « une explication beaucoup plus simple : l’Union européenne, telle qu’elle s’est construite au cours des dernières décennies, s’appuie sur la concurrence généralisée entre territoires, sur le dumping fiscal et social en faveur des acteurs économiques les plus mobiles, et fonctionne objectivement au bénéfice des plus favorisés »[3].

On peut donc dire que la défaite du projet de Corbyn, le seul projet de gauche digne de ce nom susceptible de parvenir au pouvoir gouvernemental au cours de la dernière période dans cette région du monde, signe le deuxième désastre de la gauche européenne face à l’Union européenne, après celui de Syriza en 2015. Comme le montrent les textes de militants britanniques que nous publions par la suite, tous participants de l’entreprise de Corbyn, cet échec résulte d’un refus de formuler une stratégie de rupture d’avec l’Union européenne « par la gauche », refus qui découle d’une perte de contact de la gauche avec sa base sociale ouvrière et populaire historique et sa culture d’affrontement avec les points forts de l’hégémonie de l’adversaire, et qui, à son tour, conduit inexorablement à l’amplifier. Les tentatives de lancer un véritable débat au sein du parti travailliste en permettant à une campagne en faveur d’un « Lexit » (position en faveur d’un Brexit de gauche) de se déployer s’est heurtée à une fin de non-recevoir de sa direction, y compris d’une partie du groupe corbyniste autour de John McDonnell et Diane Abbott, et cela malgré l’appui tacite de Corbyn lui-même et de son équipe restreinte (l’ancien journaliste du Guardian Seumas Milne et le syndicaliste communiste Andrew Murray).

Maintenant, il devient encore plus difficile de le nier : un tel refus ne peut que conduire à l’échec assuré toute tentative de relance de la « gauche de gauche », qu’elle soit anticapitaliste ou « réformiste de gauche », comme Corbyn ou, de façon plus hybride, Syriza. Il est complètement illusoire de penser qu’il est possible de retrouver une quelconque crédibilité en tant que force de contestation de l’ordre existant sans se confronter à la question de la stratégie de rupture d’avec l’UE, et, disons-le clairement : de sortie unilatérale de ses institutions clé, en premier lieu de la zone euro pour les pays qui en font partie. Après le désastre grec, qui a démontré l’impossibilité de mener une politique de gauche (même très modérée) dans le cadre de l’UE, il est complètement illusoire de penser qu’il sera possible de retrouver l’oreille des classes travailleuses écrasées et exaspérées sans une position rupturiste claire sur cette question. Il est non moins illusoire de penser qu’il sera possible de convaincre au-delà des rangs – fort minoritaires – des déjà-convaincu.e.s sur les questions de la politique d’accueil inconditionnel des migrants et de défense non moins inconditionnelle des groupés racisés sans une volonté réelle de s’affronter à l’UE qui est aussi, ne l’oublions jamais, cette « Europe  forteresse» qui envoie à la mort chaque année en Méditerranée (et dans les déserts sahariens) des milliers d’êtres humains et forge inlassablement une identité « européenne » directement héritée des stéréotypes « blancs » de l’époque coloniale.

Certains, à gauche, ont cru pouvoir enterrer le débat stratégique sur l’Union européenne, en particulier après la normalisation de Podemos et les reculs de la France insoumise sur cette question. Les dures leçons venant de la Grande-Bretagne devraient les inciter à réfléchir par deux fois. Car, ainsi que l’histoire nous l’enseigne, à chaque fois que le mouvement ouvrier et les militant.e.s de l’émancipation sociale s’avèrent incapables de s’emparer des questions posées par la conjoncture et l’évolution du système, ce sont les forces de la barbarie qui en profitent et les font travailler à leur profit.

 Tariq Ali : Faire son deuil et s’organiser

Le refus du parti travailliste de soutenir la mise en œuvre des résultats du référendum sur le Brexit et, pour l’essentiel, d’ignorer ses partisans pro-Brexit dans le Nord du pays a conduit à sa défaite. Certains d’entre nous avaient déjà souligné les dangers, mais un parti et une direction divisés (sur ce point John McDonnell devrait être blâmé pour avoir insisté en faveur de l’engagement pour un second référendum) a été sanctionné par ses propres électeurs. C’est la principale raison de la défaite. Une bévue stratégique d’une énorme ampleur.

L’échec de la lutte contre « l’antisémitisme » [attribué par les médias à Corbyn et aux secteurs du parti travailliste qui le soutiennent] était également une erreur, bien qu’à une moindre échelle. L’assaut coordonné des médias contre Jeremy Corbyn a également eu un impact. La couverture par la BBC des débats dans le parti travailliste pourra désormais revenir vers les options « centristes ». Emily Thornberry est la candidate la plus probable à l’« unité ».

Il existe cependant une gauche sociale-démocrate radicale à l’intérieur et à l’extérieur du parti travailliste. Les élections ne sont pas tout. Une mobilisation autonome de la nouvelle génération ne doit pas être exclue et elle doit être à la fois encouragée et soutenue. Les politiques économiques de Johnson vont accélérer la crise et la mobilisation et les grèves seront la seule réponse comme le démontrent actuellement les Français. L’Ecosse voudra maintenant son indépendance et les Irlandais une certaine forme d’unité, donc les conservateurs anglais ne pourront pas en faire qu’à leur tête.

Posté sur la page facebook de Tariq Ali le 12 décembre 2019 – publié avec l’autorisation de l’auteur.

Tariq Ali est une figure historique de la gauche radicale en Grande-Bretagne. L’un des dirigeants de la contestation étudiante et contre-culturelle des années 1960, il a longtemps milité dans les rangs de la section britannique de la IVe Internationale. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et membre de la rédaction de la New Left Review. On pourra lire plusieurs textes de Tariq Ali sur notre site.

 Ronan Burtenshaw : Personne n’a dit que ce serait facile

Les résultats de ce soir dans l’ensemble du pays, mais surtout dans nos « bastions » (heartlands), sont vraiment mauvais pour notre mouvement. Après une campagne énergique menée par des milliers de militant.e.s pendant plusieurs semaines, ce sera une pilule difficile à avaler. Mais les retombées les plus importantes seront pour celles et ceux en dehors du parti. Cinq autres années de gouvernement conservateur signifieront davantage d’attaques contre les syndicats et la classe ouvrière, contre nos services publics et les personnes qui dépendent de l’aide de l’État pour vivre.

Dans des moments comme ceux-ci, il importe de remettre les choses dans une perspective historique. Le mouvement ouvrier dans ce pays a subi de profondes défaites, et il a néanmoins pu rebondir. En 1926, nous avons perdu une bataille de masse, celle de la grève générale. En 1929, le parti travailliste était le plus grand parti au Parlement. Dans les années 1930, le chef du parti Ramsay MacDonald [en faisant défection en 1931 des rangs travaillistes avec une petite minorité de députés et en formant avec les conservateurs et les libéraux un gouvernement d’« union nationale » qui mit en œuvre une féroce politique austéritaire et pro-impérialiste] a quasiment détruit le parti que beaucoup avaient mis des décennies à construire. En 1945, un gouvernement travailliste majoritaire s’attelait à reconstruire le pays.

Ce moment de l’histoire est bien sûr différent. Mais il est bien plus proche de ceux-là que de la référence que la droite met en avant : la « longue défaite » de 1983 qui a conduit à l’effacement de la gauche de la scène politique pendant une génération. Au lieu de la social-démocratie, nous avons eu le néolibéralisme, des promesses de croissance économique et l’acceptation de longues années de crise économique. Aujourd’hui nous n’en sommes pas là. La classe dirigeante n’a pas trouvé de nouveau modèle de « prospérité populaire » [à la Thatcher] et le capitalisme reste en crise. Cette victoire conservatrice est substantielle, mais elle n’est pas d’ampleur historique à condition que le parti travailliste et la gauche en tirent les bonnes leçons.

À un moment où la classe réapparaît comme un élément central dans les sociétés occidentales et où nous pouvons à nouveau parler du capitalisme, la tâche du corbynisme était clairement de reconstruire le parti travailliste en tant que parti de la classe ouvrière. Comme un parti qui ne serait pas prisonnier des sections libérales de l’élite économique, qui serait perçu comme une force insurgée opposée à Westminster [siège du pouvoir gouvernemental] et, fondamentalement, comme le parti sur lequel la majorité de la classe travailleuse de ce pays, des gens qui dépendent de leur salaire pour vivre, pouvait compter pour améliorer son sort.

En cela, le corbynisme et tou.te.s celles et ceux qui en faisaient partie ont échoué. Mais nous, au magazine Tribune, avons tenté, après les élections européennes, de revenir sur l’une des concessions les plus dommageables : la transformation du parti travailliste en un parti qui s’opposait au mandat démocratique sur le Brexit. À l’époque, l’idée populaire parmi une grande partie de la gauche était que le parti pouvait considérer comme acquis ses élect.eurs.rices qui avaient voté en faveur du Brexit, car ils.elles avaient une profonde loyauté envers le parti, et que la véritable menace était de perdre celles et ceux qui s’étaient prononcés en faveur du Remain [maintien dans l’UE]. Ce calcul s’est révélé être une erreur fatale.

Déjà négligés par l’establishment politique depuis des décennies, les travailleu.rs.ses des zones postindustrielles ont correctement vu qu’ils étaient pris comme étant acquis.es au parti travailliste. Ils ont réagi en conséquence – soit en n’allant pas voter, soit en votant pour les conservateurs. Les conséquences de cet état de fait sont profondes. S’il y avait une part de vérité dans le récit de la loyauté, c’est que de nombreu.x.ses électeu.rs.ices qui avaient longtemps voté pour le parti travailliste le faisaient davantage par habitude que par conviction. Cette habitude est maintenant rompue. La rétablir ne pourra se faire qu’au prix d’une lutte monumentale. Ceci, malheureusement, nous amène à un autre profond problème du corbynisme, à savoir le fait que beaucoup de ces endroits qui avaient le plus besoin des transformations promises par le programme économique travailliste n’ont jamais eu le sentiment que ce projet était le leur. Alors que les adhésions au parti explosaient à Londres et dans le Sud-Est [les zones prospères du Royaume-Uni], elles stagnaient dans les « bastions » [du Nord et des Midlands] que nous avons perdu ce soir. Cela a été masqué par le résultat en 2017 mais ne peut plus être passé sous silence.

Le parti travailliste a perdu non pas parce qu’il est trop ouvrier, mais parce qu’il ne l’est pas assez, ou qu’il l’était dans trop peu d’endroits. Cela est en partie dû au fait que le corbynisme était par trop de ses aspects le produit de la gauche qui avait été vaincue au cours des décennies passées. Lors du reflux du socialisme, au cours des années 1990, celles et ceux qui résistaient furent extrêmement isolé.e.s. Ils et elles ont mené de courageuses batailles, sans lesquelles, et sans Jeremy Corbyn, le mouvement socialiste non seulement en Grande-Bretagne mais à l’échelle internationale serait aujourd’hui dans un état encore pire.

Cependant, lorsque la marée est remontée, cette gauche avait échouée depuis longtemps. Son contact avec la politique de masse était minime. Elle devait apprendre vite mais elle ne l’a pas fait, ou pas assez. Lorsque les choses devenaient difficiles, elle se tournait trop souvent vers l’étreinte réconfortante d’une jeune génération submergée par des perspectives d’emploi lamentables, d’endettement étudiant et de loyers exorbitants. Malheureusement, cette politique générationnelle et « progressiste » ne remplace pas l’enracinement de classe.

La critique que nous avons formulée à la suite des élections européennes – à savoir que nous nous penchions vers un « progressisme », un projet pour « construire des majorités en unissant celles et ceux qui ont des positions sociales progressistes » – ne signifiait pas que nous étions en désaccord avec de telles positions. Mais nous pensons qu’elles ne peuvent être la base d’une politique de classe. Celle-ci consiste en un effort pour réunir une majorité sur la base des conditions matérielles communes, au lieu de fractionner la société en segments de plus en plus petits pour essayer de répondre à chacun d’entre eux. Cela s’est malheureusement reflété dans le manifeste électoral, qui avait l’allure d’une liste de courses. Beaucoup de ses propositions politiques étaient en tant que telles populaires. Là réside en fait l’un des héritages et des succès du corbynisme. Nous devons nous battre pour conserver ces propositions politiques qui amélioreront le sort de la classe ouvrière dans tout le combat qui suivra. Mais cette liste de propositions, mises bout à bout, est apparue comme une offre spéciale dans les rayons d’un magasin. De plus en plus de choses, mais sans la vision unificatrice qui pourrait vraiment inciter à s’en emparer, sans le récit du type de société à laquelle aspirent les travaillistes. Et les gens, fondamentalement, ne nous ont pas cru.

Après des décennies de néolibéralisme, il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi. Mais étant donné l’ampleur de cette défaite, nous devons nous poser de sérieuses questions sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été capables de changer cela. Les réponses se trouvent dans le fait que nous n’étions tout simplement pas présents dans suffisamment d’endroits, dans la vie d’un nombre suffisant de gens de la classe ouvrière. Les  causes renvoient également que le corbynisme n’a pas coïncidé avec une intensification de la lutte des classes qui aurait pu apporter davantage de gens de notre côté. Demain, le combat pour sauver ce que nous pouvons commence. Le mouvement socialiste a déjà connu de tels moments ici, et en les tranversant nous deviendrons plus forts. Ce qu’il y a d’authentique aura subi l’épreuve du feu. Mais ils nous combattront. Ce soir, nous devons nous rappeler que notre cause perdure, que tant qu’il y aura un système capitaliste, il faudra un mouvement socialiste et il nous faudra nous armer pour le prochain combat.

Paru en ligne dans Jacobin magazine le 12 décembre 2019.

Paul O’Connell : Pourquoi nous avons perdu, comment nous allons gagner

« Suffisamment d’intelligence pour concevoir, suffisamment de courage pour vouloir, suffisamment de puissance pour contraindre. Si nos idées d’une nouvelle société sont davantage qu’un rêve, ces trois qualités doivent animer la majorité des travailleurs ; et alors, je vous le dis, la chose sera accomplie » (William Morris)

Pourquoi le Parti travailliste a perdu les élections malgré les efforts immenses de milliers de militants dévoués et le manifeste électoral le plus progressiste depuis des années est une question cruciale pour l’orientation de la prochaine phase de la politique socialiste et de la lutte des classes en Grande-Bretagne. En effet, la bataille d’interprétation sur le résultat sera un facteur déterminant dans les luttes internes en cours au sein du mouvement syndical, dans les discussions sur la stratégie et la tactique sur l’avenir la gauche radicale et pour les leçons tirées par la classe ouvrière au sens large.

Une interprétation qui est déjà avancée par la gauche libérale est que le parti travailliste (lire Corbyn) a été trop lent à adopter la ligne du Remain [Rester dans l’UE]. Selon cet argument, le parti est resté dans un entre-deux, alors qu’il aurait dû embrasser les vertus du Remain, tout en emmenant avec lui des électeurs récalcitrants de la classe ouvrière. Cet argument est mis en avant par des groupes comme « Une autre Europe est possible » et la coterie habituelle des commentateurs libéraux dans le Guardian et ailleurs. Mais cette analyse tire les mauvaises conclusions des cinq dernières années et si elle s’imposait, elle ne ferait que préparer la gauche à un nouvel échec. Un autre point de vue, mis en avant par des forces à la droite du parti travailliste, est que celui-ci a perdu le contact avec la classe ouvrière « socialement conservatrice » ou « traditionnelle ». C’est une approche aussi erronée et nuisible que celle avancée par les libéraux, et les deux devront être rejetées à l’avenir par la gauche socialiste.

En vérité, la raison décisive pour laquelle le parti travailliste a perdu les élections est qu’au cours des trois dernières années, il s’est transformé d’un parti déterminé à respecter le résultat du référendum sur le Brexit en un « parti du Remain » de fait. Bien sûr, quelques autres raisons importantes ont pesé, qui vont du parti pris non-dissimulé des médias traditionnels au pessimisme enraciné par plus de trente ans de néolibéralisme et à la campagne concertée de diffamation dirigée contre Corbyn menée au cours des quatre derniers mois avec le soutien de nombreux députés travaillistes et de blairistes mécontents promus par les médias.

Mais le changement de position du parti travailliste sur le Brexit s’est avéré décisif, car c’était la question clé pour de nombreu.x.ses élect.eurs.rices lors de ce scrutin. Elle a constitué le cœur du message électoral des conservateurs (soigneusement répété par les médias) et se reflète dans les circonscriptions électorales ayant voté en faveur du Brexit que les travaillistes ont perdu au bénéfice des conservateurs. A mi-chemin, la direction travailliste a clairement reconnu que cette ligne nuisait à la campagne et s’est tournée vers les circonscriptions électorales du Nord et des Midlands, en écartant des projecteurs des médias les partisans les plus ostensibles du Remain, comme Emily Thornberry et Keir Starmer. C’était malheureusement trop peu, et trop tard.

Le changement de position des travaillistes a été impulsé par une campagne concertée menée par les pires vestiges des années Blair (Peter Mandelson, Alistair Campbell, Tom Watson, Blair lui-même, etc.) avec le soutien de la plupart des médias et de la classe politique au sens large. Une fois que le parti travailliste a été amené, moyennant quelques manœuvres, à soutenir un second référendum, la logique électorale de cette position consistait à essayer de capter les classes moyennes mécontentes, qui forment la base sociale du bloc électoral du Remain, et d’espérer que les couches de la classe ouvrière qui avaient voté en faveur du Brexit pourraient être gagnées avec des promesses d’amélioration de leur situation matérielle sous un futur gouvernement travailliste. Pour mettre en œuvre cette stratégie, le parti travailliste s’est efforcé de faire porter ces élections sur « tout sauf sur le Brexit », mais c’était une stratégie naïve, dépourvue de la moindre chance de réussite.

Alors que la vie des travailleu.rs.ses est abîmée par les effets de l’austérité, des coupes dans le secteur public, de l’insécurité de l’emploi et de la baisse des salaires, et que le spectre de la catastrophe climatique est de plus en plus au centre de l’attention au cours de ces dernières années, la situation politique britannique (au sens étroit du terme, qui renvoie au terrain électoral) est dominée par le Brexit depuis près de quatre ans. Le Brexit est ainsi devenu le terrain sur lequel se déroule une « guerre culturelle » étrange, mais bien ancrée. Or, dans les semaines qui ont précédé le déclenchement des élections, le parti travailliste a refusé à deux reprises de voter au Parlement en faveur de la convocation d’élections législatives anticipées, en affirmant qu’il voulait obtenir des garanties permettant d’éviter un Brexit sans accord. En fin de compte, le scrutin est bien resté, comme c’était parfaitement prévisible, l’« élection du Brexit » et un grand nombre d’élect.eurs.rices de la classe ouvrière pro-Brexit (et même de nombreu.x.ses autres qui avaient voté pour le Remain) ont adhéré à la rhétorique vide et aux promesses de Boris Johnson et des conservateurs. Ils ont voté en espérant mettre fin à l’incertitude du Brexit (ce qui ne sera pas le cas), mais ils ont également voté contre le mépris qu’ils et elles percevaient dans l’offre mensongère du parti travailliste qui leur était destinée. L’élection a donc été perdue parce que les travaillistes ont choisi de privilégier la politique de la classe moyenne au détriment de celle de larges sections de la classe ouvrière sur la question déterminante du Brexit.

Cette question était également cruciale sur le plan fondamental de la confiance et de l’intégrité. Bien que le vote en faveur du Brexit soit complexe, la majorité des travailleur.se.s qui l’ont choisi (et c’était la majorité de celles et ceux qui sont déplacés aux urnes en 2016) vivent dans des régions qui ont connu le déclin industriel, la pauvreté et la marginalisation pendant des décennies. Ce sont des régions où l’on a dit à ces gens pendant des années, explicitement et implicitement, qu’ils et elles ne pouvaient rien faire pour changer leur sort. Avec le vote sur le Brexit, ils et elles ont eu leur mot à dire sur une question cruciale de la politique nationale, un mot à dire une fois dans leur vie. Mais lorsqu’ils et elles ont voté en faveur du Brexit, l’establishment a immédiatement réagi en s’efforçant de délégitimer et d’annuler le résultat.

Lors des législatives de 2017, le parti travailliste a promis de respecter le vote du Brexit et de se battre pour le meilleur Brexit possible. Cette position, combinée à son manifeste électoral radical, lui a permis de se présenter comme une véritable force insurgée. Lors de ces élections, en capitulant aux exigences du libéralisme réactionnaire et en s’engageant à convoquer un second référendum, le parti travailliste ne pouvait pas se présenter de façon cohérente comme un parti de changement et de transformation radicale tout en jouant la carte du statu quo ante sur la question du Brexit. Il ne pouvait pas être en partie radical, en partie du côté de la classe ouvrière dans les zones pro-Brexit, il devait l’être de tout cœur, et ce ne fut pas le cas.

Le résultat des élections nous laisse face à cinq ans de plus de gouvernement conservateur. Nous ne pouvons nous permettre aucune illusion sur le fait que, pendant cette période, les conservateurs vont attaquer les droits des travailleu.rs.ses, les migrant.e.s, les services publics et l’environnement. Étant donné que nous sommes probablement déjà entrés dans les premiers stades de la prochaine récession, l’austérité et l’inhumanité de la dernière décennie de gouvernements conservateurs (seuls ou en coalition avec les Libéraux-Démocrates) redoubleront d’intensité et la classe ouvrière sera, comme toujours, la principale cible de cette guerre de classe. Il nous faut donc nous défaire de l’impulsion tout à fait compréhensible de nous lamenter de cette occasion perdue, et, au lieu de cela, de commencer rapidement à nous organiser pour les combats à venir.

Mais, pour aller de l’avant, nous devons faire le bilan des expériences des dernières années, comprendre comment nous en sommes arrivés là et nous orienter en vue de nos prochaines étapes. Pour ce faire, nous devons nous recentrer sur les principes centraux du socialisme. La politique socialiste est fondée sur les divisions centrales de la société entre la minuscule minorité qui possède la richesse de la société et le reste d’entre nous qui devons travailler pour les restes. Le socialisme concerne la classe, les intérêts de classe, la lutte des classes et la compréhension du désordre vertigineux et déroutant de la société moderne vu à travers le prisme de l’analyse de classe, qui permet de lui donner un sens et de travailler à transformer la société.

Lors de ces élections, et au cours de ces quatre années marquées par la conjoncture du Brexit, les travaillistes et une large part de la gauche ont perdu de vue la centralité de la classe en ce qui concerne le Brexit. Il a de ce fait été possible de rejeter le Brexit comme une simple entreprise raciste, d’imaginer que le vote pro-Brexit pouvait être ignoré, et que la populace qui l’a soutenu pourrait être gagnée avec la promesse paternaliste de faire ce qui est mieux pour eux. Mais cela c’est la politique du fabianisme arrogant[4] et non la base pour construire une alternative radicale.

Lors des législatives de 2017, le parti dirigé par Corbyn a enregistré la plus forte remontée électorale qu’ont connu les travaillistes depuis la Deuxième Guerre mondiale en acceptant le résultat du référendum et en reliant l’énergie de rupture du vote du Brexit à un manifeste qui promettait un changement radical pour les classes laborieuses. Lors de cette élection, le parti travailliste a formulé des propositions politiques encore plus radicales, mais il n’a pas pu se présenter de manière convaincante comme le parti de la transformation radicale, car il s’est montré, en fait, déterminé à ignorer et à renverser le vote du Brexit.

Si la conjoncture du Brexit est complexe, elle est en premier lieu celle d’un rejet du statu quo. En ce sens, elle alimentait également le soutien croissant à Corbyn, et c’est pourquoi ce n’est pas une simple coïncidence si les plus fervents adversaires du Brexit sont également les plus hostiles à Corbyn et à son projet au sein du parti travailliste. Lors de cette élection, celui-ci s’est, sur une question cruciale, aligné sur ses opposants, et il a été rejeté par beaucoup de celles et ceux qui devraient être sa base naturelle.

Le grand gâchis dans tout cela est que sur presque tout le reste les propositions du manifeste électoral travailliste sont conformes aux intérêts des travailleu.rs.ses. Le problème fondamental est qu’en raison de son approche du Brexit, le parti de Corbyn a fini par apparaître dans de larges couches de la classe ouvrière comme une force étrangère, qui propose de faire progresser le socialisme en faveur de la classe ouvrière, mais pas avec elle. Cela vient du fait que si le succès de Corbyn reflétait une relance d’idées vaguement socialistes, il n’était pas ancré dans les communautés et les lieux de travail de la classe ouvrière. Le travail de « community organizing » récemment entrepris présage de ce qui peut et doit être fait sur ce front, mais ce type de travail a été un élément périphérique de l’expérience Corbyn et du mouvement plus large qui l’a entouré jusqu’à présent.

Nous devrons exploiter l’énergie déployée pendant cette campagne électorale et la transférer sur le plan de l’organisation et de la mobilisation pour transformer nos syndicats, pour construire des modèles alternatifs de démocratie et d’autonomie des communautés sur les questions des transports publics, des écoles, des soins de santé et de l’environnement. Et, surtout, nous devons réorienter notre politique vers la centralité de la classe, de la classe ouvrière dans son ensemble, pas d’une mythique classe ouvrière « traditionnelle » ou « blanche ». Cela doit être le centre de nos efforts, car sans la classe ouvrière, il n’y a pas de socialisme. En l’absence de communautés et d’organisations de classe ouvrière autonomes et protagonistes, il n’y a pas de rupture avec le statu quo. Nous devons tirer le meilleur parti du mouvement qui a émergé de Corbyn, mais aussi rompre avec les erreurs qui nous ont conduit.e.s là où nous sommes. Nous avons subi une défaite, mais la bataille de et pour nos vies commence maintenant.

Publié dans leftcampaign.org/ le 13 décembre 2019.

Paul O’Connell enseigne le droit à l’université SOAS de Londres et milite au sein de la plateforme LEFT (Leave-Fight-Transform : Quitter [l’UE]-Lutter-Transformer) en faveur d’un Brexit de gauche. Il est également l’un des animateurs du site Legal Form. A Forum for Marxist Analysis of Law (Forme Juridique. Un Forum d’Analyse Marxiste du Droit) legalform.blog/

Textes traduits par Stathis Kouvélakis.

Les passages entre [crochets] sont des ajouts de traducteur visant à clarifier le sens de certaines références à l’intention du lectorat francophone.

Notes

[1] Sur les clivages internes au parti travailliste, et au groupe dirigeant corbyniste, cf. ce reportage de Heather Brown dans le  Guardian du 13 décembre theguardian.com/politics/2019/dec/13/inside-labours-campaign-behind?fbclid=IwAR28aaWTOlXwaBu6YgX7Zcf4zqzclWw8iIqxUynv6%E2%80%A6

[2] L’ensemble des données de sociologie électorale proviennent des enquêtes « sortie des urnes » réalisés par l’institut Lord Ashcroft en 2017 et 2017 sur un échantillon d’environ 14 000 votants. Les résultats de 2017 sont disponibles sur lordashcroftpolls.com/2017/06/result-happen-post-vote-survey/ et ceux de 2019 sur lordashcroftpolls.com/2019/12/how-britain-voted-and-why-my-2019-general-election-post-vote-poll/

[3] Thomas Piketty, « L’Union Européenne et le clivage de classe », Le Monde, 11 mai 2019, lemonde.fr/idees/article/2019/05/11/thomas-piketty-l-europe-et-le-clivage-de-classe_5460762_3232.html

[4] La Société fabienne fut fondée en 1884 par des réformateurs socialistes et a joué un rôle important dans la création du parti travailliste et la formation de sa doctrine. Le type de socialisme qu’elle défend se présente comme un vaste projet d’ingénierie sociale, accordant une position décisive aux experts et aux intellectuels et promouvant un welfare state paternaliste, inspiré du bismarckisme, ainsi qu’une version réformée de l’Empire colonial dont les Fabiens étaient de fervents partisans. Les principales figures de la première génération de Fabiens furent les époux Webb, Beatrice et Sydney, Emily Pankhurst et l’écrivain George Bernard Shaw. Toujours active, la Société fabienne a également joué un rôle significatif, bien que non exclusif, dans l’élaboration du programme de la « troisième voie » adopté par Tony Blair et le New Labour dans les années 1990 (NdT).

Source https://www.contretemps.eu/grande-bretagne-corbyn-defaite/

Allemagne. Des millions de seniors propulsés dans la pauvreté

L’Humanité, 19 décembre 2019

Les réformes des retraites instaurées voilà plus de 15 ans ont grevé le système par répartition, faisant fondre le montant des pensions. Au point que l’indigence des retraités est devenue outre-Rhin l’un des sujets les plus sensibles du débat public.

« Je me fais un sang d’encre. Je ne dors plus la nuit. » La Berlinoise Inge Vogel, qui travaille encore pour quelques mois dans une société spécialisée dans le matériel paramédical, s’apprête à prendre sa retraite. « J’ai plein de projets et je sais que je ne manquerai pas d’activités diverses dans le domaine politique ou culturel », précise-t-elle pour bien indiquer que ce n’est pas du blues classique du nouveau retraité dont elle souffre. Non l’angoisse d’Inge Vogel tient au brutal décrochage annoncé de son niveau de vie dès lors qu’elle sera pensionnée. À l’aube de sa cessation d’activité, Inge (66 ans) touche un salaire correct, environ 2 500 euros net par mois. Ce revenu va être réduit de plus de la moitié, compte tenu de l’évolution outre-Rhin du taux de remplacement (la différence entre le dernier salaire net et le montant de la première pension). Ce qui va ramener ses revenus à environ 1 200 euros, soit tout juste au-dessus du niveau du salaire minimum. « Et je ne suis pas la plus à plaindre », lâche la bientôt ex-salariée. Quelqu’un payé aujourd’hui 1 500 euros net – « ce n’est malheureusement pas une rémunération exceptionnellement basse ici », précise Inge – ne va plus percevoir qu’un peu plus de 700 euros par mois pour ses vieux jours. « Une misère. » Et l’ex-assistante médicale ne mentionne même pas le cas de ses compatriotes innombrables qui ne toucheront pas le taux plein car ils n’auront pas accompli les exigibles 45 à 47 annuités.

Des mesures ressemblant à celles déployées par Emmanuel Macron

L’extension de la pauvreté chez les seniors et la perspective généralisée de retraites peau de chagrin provoquent un tel traumatisme dans la société allemande que ces thèmes figurent parmi les sujets les plus sensibles, régulièrement en première ligne du débat public. Les réformes lancées en 2002 et 2005 par l’ex-chancelier Gerhard Schröder furent présentées comme « le seul moyen de sauvegarder » le système et singulièrement la retraite de base par répartition dont l’écrasante majorité des Allemands demeure tributaire aujourd’hui. Encouragement fiscal aux plus riches à souscrire des assurances privées, amélioration de la compétitivité d’entreprises qui crouleraient sous les « charges sociales », instauration d’un indice dit de « durabilité » (Nachhaltigkeit) permettant de faire évoluer la valeur du point sur lequel est calculé le montant des retraites versées par les caisses légales (Gesetzliche Kassen) par répartition, allongement de la durée du travail et report à 67 ans de l’âge de départ à taux plein : la panoplie des mesures adoptées par le gouvernement SPD-Verts de l’époque ressemble à s’y méprendre à celle déployée aujourd’hui par Emmanuel Macron pour justifier sa réforme. Jusqu’aux éléments de langage sur « la nécessité absolue de moderniser le système ».

Pour se faire une idée des effets pratiques à moyen terme de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, il suffit ainsi de jeter un œil de l’autre côté de la frontière. Le bilan social des transformations allemandes, plus de quinze ans après leur entrée en vigueur, est dévastateur. La part des retraités allemands, précipités sous le seuil de pauvreté, a explosé. 16,8 % des seniors sont touchés aujourd’hui. Un retraité allemand sur deux – soit quelque 8,6 millions de personnes – doit survivre avec une pension inférieure à 800 euros par mois. Une enquête prospective publiée en septembre dernier par l’institut de recherche économique de Berlin (DIW) montre que plus d’un retraité sur 5 (21,6 %) sera misérable à l’horizon 2039. Et cette estimation est sans doute très optimiste puisque les auteurs de l’étude ont choisi de se baser sur la poursuite bon an mal an de la conjoncture économique favorable de ces dernières années (avec taux de chômage réduit).

L’introduction de la retraite Riester par capitalisation, présentée comme le troisième pilier du « modèle » germanique, a profondément ébranlé le système de base par répartition. Les placements réalisés par les citoyens généralement les plus aisés, attirés par d’alléchantes incitations fiscales, ont mécaniquement asséché les ressources des caisses légales qui organisent le financement solidaire des retraites par les cotisations des salariés actifs. Le manque à gagner sera d’autant plus conséquent qu’une partie des fonds est déjà drainée vers les retraites « maison » des entreprises, particularité ancienne du « modèle » et deuxième pilier du système reposant sur la capitalisation. Sachant qu’à ce titre seule une minorité de salariés appartenant le plus souvent aux plus grands groupes bénéficie aujourd’hui d’une rente complémentaire digne de ce nom.

La peur que le passage au troisième âge rime avec un rapide déclassement social, hante toute une société. Si bien que la question s’impose outre-Rhin depuis plusieurs années tout en haut du débat public. La grande coalition a dû bricoler des pare-feu en catastrophe pour éviter un emballement de la mécanique enclenchée par les réformes. On a suspendu d’ici à 2025 l’effet de l’indexation de la valeur du point de la retraite par répartition sur le montant des pensions en bloquant jusqu’à cette date à 48 % un taux de remplacement. Celui-ci avait dégringolé de plus de 10 % sur les dix dernières années.

Les travailleur pauvres grossissent le flot des retraités miséreux

CDU et SPD se sont mis aussi laborieusement d’accord sur l’introduction d’une retraite plancher (Grundrente), une revalorisation des pensions soutenue par l’État pour qu’elles atteignent le niveau des… minima sociaux (de 600 à 900 euros par mois). La mesure est censée éviter à nombre de retraités pauvres de prendre le chemin humiliant du bureau d’aide sociale pour toucher un complément de revenu pour accéder au minimum vital. Beaucoup préfèrent en effet effectuer n’importe quel petit boulot plutôt que d’avoir à mendier une aide. Là encore les chiffres des études les plus récentes sont aussi éloquents qu’effarants : plus d’un million de seniors, souvent âgés de plus de 70 ans, sont contraints aujourd’hui d’exercer des « mini-jobs » pour survivre. Soit une hausse d’environ 40 % sur dix ans. On les voit de plus en plus fréquemment dans les rues allemandes, ombres furtives qui distribuent des prospectus publicitaires, portent des journaux à domicile ou ramassent à la sauvette des canettes de verre ou de plastiques à la terrasse des cafés dans l’espoir de récupérer des consignes pratiquées sur ces produits outre-Rhin un maximum de centimes.

Cette pauvreté qui se répand si massivement chez les seniors allemands n’est pas sans lien avec l’extrême précarité imposée à de nombreux salariés par les lois Hartz de dérégulation du marché du travail. Lancées au même moment que les réformes des retraites, elles ont été présentées de la même façon qu’elles comme une étape majeure pour propulser « la compétitivité » (financière) des firmes allemandes. Les travailleurs pauvres, ou ceux dont la carrière a été entrecoupée de longues périodes de travaux sous-rémunérés et le plus souvent exonérés de cotisations sociales, contribuent évidemment à faire grossir le flot des retraités miséreux. Là encore, le parallèle avec la logique macronienne est frappant. L’aménagement au forceps du Code du travail décidé au début du quinquennat accroît la précarité, ce qui va accentuer l’appauvrissement programmé de la majorité des salariés par la réforme française des retraites.

Les effets contre-productifs des réformes antisociales engagées outre-Rhin au début de la décennie 2000 deviennent de plus en plus manifestes. L’apparition d’une société cloisonnée, devenue très inégalitaire, où « l’ascenseur social ne fonctionne plus », est dénoncée de plus en plus régulièrement dans les travaux de plusieurs économistes. Un handicap profond qui n’est pas sans lien avec l’entrée en stagnation, depuis quelques mois, de la première économie de la zone euro.

Bruno Odent
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