Par Thierry Müller . Cet article est un compte-rendu des discussions collectives qui se sont tenues dans le cadre de l’atelier “Stoppons l’austérité et la dette ! Oui mais comment ?” lors de l’événement Les 8 heures contre la dette illégitime, organisé le 4 décembre 2016 par le CADTM Belgique.
1. Quelle stratégie pour la Grèce depuis la Belgique ?
a) État de la situation
Cela fait maintenant six ans que la Grèce est le terrain de politiques d’austérité féroces et demeure sous une tutelle digne d’un régime colonial. D’ailleurs, le 3e mémorandum conclu en juillet 2015 pousse l’application des mesures néolibérales à un niveau inédit (privatisation du Trésor, privatisations supplémentaires, énième réforme des retraites…). L’état économique, social et humanitaire du pays est catastrophique. Les défauts sur les dettes privées se multiplient dans ce contexte de crise et entraînent une multiplication des saisies immobilières depuis le début de cette année.
En termes de mobilisations, de résistances, les avis sont partagés. Pour certains, la gauche politique et syndicale est dans le coma, elle ne peut rien faire, il n’y a plus d’espoir.
Alors que, pour d’autres, force est de constater que, sur le terrain, ça grouille d’initiatives locales et que les luttes à la base reprennent.
b) Pourquoi la montée de la gauche politique en Grèce a-t-elle conduit à un échec ?
La capitulation/trahison de Syriza/Tsipras n’était-elle pas quelque part prévisible, dans la mesure où les élites “providentielles” finissent toujours par “trahir”/décevoir/capturer la lutte… ? Ne sommes-nous pas quelque part responsables de nous laisser ainsi berner à chaque fois ? On s’illusionne quant à ce que l’on peut obtenir par la voie électorale ; ne plus miser que sur la seule voie électorale est déjà le signe d’un recul de la lutte, du rapport de force.
Face à la crise du capitalisme, il n’y a pas de solution à l’intérieur de ce système. L’expérience grecque nous a montré que ce système ne fera aucune concession si aucune lutte ne l’y contraint. Or, Syriza ne proposait pas de sortir des clous et n’organisa aucune mobilisation populaire pour le soutenir
c) Que faire ?
L’échec Syriza a tué l’espoir, on sait qu’il n’y a(ura) pas de sauveur suprême à attendre , il nous faut reprendre nos vies en mains.
D’une manière générale, il semble y avoir consensus pour dire que toute initiative de résistance est bonne à prendre, et à soutenir.
À la base, au niveau local : chacun peut agir, là où il est, sans attendre ni espérer : résister, créer et articuler une multitude de formes d’actions et de solutions, démontrer que s’organiser autrement (solidarité) est possible.
Pour ce qui est du champ de l’immigration, par exemple, articuler une mobilisation collective à partir de recherches de solutions concrètes aux problèmes quotidiens.
À un niveau plus “macro”, il faut préparer un plan de sortie de l’euro et même sortir de l’architecture européenne, imposer des changements sur les territoires nationaux et, à partir de là, reconstruire une architecture européenne nouvelle, un nouveau projet fédérateur, avec une perspective politique de gauche, qui affronte le joug que nous imposent “ceux qui tiennent la finance”.
Au niveau national, les propositions ont fusé : reconstruire un syndicat de classe, un Front radical et démocratique qui se donne pour objectif la conquête du pouvoir, un programme politique proposant l’abolition de la dette, la nationalisation des secteurs clés de l’économie, d’ambitieux plans d’investissement dans les domaines des soins, des services publics, de l’agriculture… Ces mouvements qui doivent être animés par une démocratie interne forte et l’axe anticapitaliste doit rester la ligne rouge, la balise à suivre.
Parallèlement, au niveau national, la question des conquêtes au niveau municipal, comme levier sur lequel s’appuyer a été soulevée.
Les discussions ont même abordé un niveau de long terme ou plus en fond du moins, avec des enjeux tels que : repenser la démocratie, l’État, le pouvoir. Nous sommes au temps de l’hiver, celui où la renaissance est en gestation, lente et hors visibilité.
Il faut en revenir aux fondamentaux, travailler sur un nouvel imaginaire social qui remet en question le capitalisme, le productivisme, le consumérisme, la démocratie représentative.
2. Quelle stratégie pour la Belgique ?
a) Constats et quelques pistes-clés
Avec un des gouvernements le plus à droite de son histoire, la Belgique connaît des attaques cinglantes contre les droits économiques et sociaux fondamentaux. Les luttes menées à l’initiative des syndicales, acteurs prépondérant dans le mouvement social Belge, ont suscité de l’enthousiasme en 2014, mais ont fortement ralenti depuis.
Quant à la thématique de la dette, les gouvernements successifs s’engagent à réduire le poids de la dette pour rentrer dans les clous des critères européens, alors que dans les faits, l’endettement ne fait qu’augmenter, à tel point, qu’il atteint plus de 100% du PIB et que certaines communes se retrouvent dans des situations réellement alarmantes.
Les nouvelles technologies sont également un élément du contexte à prendre en compte, car, avec celles-ci, le pouvoir accroît sa fabrication du consentement (manipulation de l’opinion), sa surveillance, sa répression, si bien d’ailleurs qu’aujourd’hui fonctionnent à plein les pratiques d’autocensure. Il faut réagir : soyons résolus de ne plus servir, bloquons la production, cessons d’adhérer à leur société de consommation.
La grève générale du début de l’année 2012 fut exemplaire, des expériences de front radical et démocratique comme D19-20, les luttes anti-CETA et anti-TTIP, ont démontré leur efficacité ; il faut poursuivre ces expériences, les relancer, en créer d’autres.
La résistance dans la rue, la grève générale et la montée du PTB ont une efficacité manifeste mais il faut relancer et questionner cette dynamique.
Il faut un plan d’action inclusif, très large, réellement de gauche, construit à la base, avec un plan de mobilisation dans la durée.
b) Autres “Que faire” ?
La désobéissance civile est une stratégie d’action intéressante à explorer, notamment en synchronisant les luttes complémentaires de groupes affinitaires multiples.
Elle permet également de développer des dynamiques créatives, nouvelles, “visibles”, “buggantes”, “hors partis”, multiformes.
En résumé : on sent d’une part une volonté d’actions et de résistances par rapport à un pouvoir central avec qui les comptes doivent se régler directement et impérativement, la volonté d’un mouvement construit dans un “hors de l’entre soi classique” des luttes syndicales et politiques qui soit un mouvement de masse démocratique et radical, et d’autre part la volonté que se développe une multiplicité de pratiques locales, créatives, où la rencontre entre résistants et populations se fait sur le mode de “la stimulation de la volonté et du désir à partir d’imaginaires collectifs mobilisateurs”. |
c) Questions
Si beaucoup de pistes très diverses ont émergées durant cet atelier, beaucoup de questions ont également fait surface.
Comment se pense et se construit le lien entre ces luttes micro-politiques et celles plus unifiantes du macro-politique ? Une articulation qui semble nécessaire puisque les expériences micro seraient trop défensives et locales que pour provoquer par elles-mêmes un changement d’envergure au niveau du pouvoir central, alors qu’une lutte macro qui ne s’appuierait pas sur des alternatives locales concrètes serait vouée à l’échec, à la récupération, à la réforme ?
Cette articulation nécessite-t-elle le choix d’un objet commun (exemple : la démocratie) ou d’un objectif unique et rassembleur (faire tomber le gouvernement, taxer les riches, etc.) ?
Qui doit prendre l’initiative de ce mouvement large : les syndicats, avec des consignes de lutte précises (mais définies où ? à et par la base ? comment contrôler les directions syndicales ?) ou le PTB (mais peut-il initier un mouvement inclusif et démocratique de lutte ici et maintenant ?) ? Si non, qui peut et doit jouer le rôle nécessaire du relais politique ?
http://www.cadtm.org/Compte-rendu-de-l-atelier-Stoppons