Du 11 au 15 janvier, une visite de solidarité dans les dispensaires sociaux grecs
par Carine, José, Karim, Marie-France, Nadia, Philippe, Yiorgos de Bruxelles.
krasnyi collectif
Depuis plusieurs mois, la CGSP-ALR Bruxelles, l’Initiative de solidarité avec la Grèce qui résiste, le CADTM avec le soutien des « Supporters and Friends of Elliniko », organisent une campagne de solidarité avec les dispensaires sociaux grecs. Ceux-ci jouent, en effet, un rôle vital dans la situation de crise sanitaire sans précédent que traverse la Grèce. En effet, avec 42,3% des Grecs vivant en 2012 sous le seuil officiel de pauvreté de 2009 |1| et un énorme pourcentage de la population en situation de privation matérielle |2|, il y a plus de 2.5 millions des gens qui n’ont aucune assurance maladie. |3| Les dispensaires sociaux ont été créé par des gens actifs dans les mouvements anti-Troïka pour redonner un accès à la sante à ceux qui en ont été privés par l’austérité brutale imposée à la Grèce. Dans le but de construire des liens de solidarité concrète dans la lutte commune des peuples européens contre le rouleau compresseur néolibéral, nous avons estimé qu’il était de notre devoir d’agir et d’informer sur cette situation dramatique et d’organiser à notre échelle une solidarité importante pour les travailleurs et les jeunes Grecs.
Nous avons, dès lors, mis sur pied une campagne et une soirée de solidarité le 1er octobre à Bruxelles avec une centaine de participants au cours de laquelle le Docteur Vichas, de la Clinique solidaire d’Elliniko, a pu nous expliquer la gravité de la situation sanitaire dans son pays et l’action des dispensaires sociaux. Ceux-ci constituent un exemple de comment le mouvement social organisé peut prendre en charge des problèmes sociaux, tout en continuant de revendiquer une autre politique publique pour leur résolution globale. En décembre, nous avons organisé un petit brunch solidaire afin de continuer la récolte de dons et de médicaments. Contrairement à ce que certains peuvent penser, ces activités nous ont prouvé que la solidarité existe toujours bel et bien parmi les travailleurs car nous avons pu récolter 5000 euros qui ont servi à acheter sur place à Athènes des médicaments urgents et indispensables à la clinique Elliniko. A noter que cette clinique fournit parfois aux hôpitaux publics certains médicaments impossibles à acquérir sur le marché.
Pour être sûrs de la destination de ces dons, nous avons voulu remettre en mains propres le matériel et les médicaments récoltés et en acheter à Athènes sur base d’une liste fournie par la clinique d’Elliniko. Notre délégation a pu ainsi visiter la clinique solidaire ainsi que rencontrer de nombreux militants grecs tout au long de son séjour. Voici un résumé de cette expérience riche en rencontres et qui nous a tous stimulés à continuer le combat contre la régression sociale imposée par l’Union Européenne à l’ensemble des travailleurs.
Visite de la clinique d’Elliniko :
A environ 30 minutes du centre d’Athènes se trouve le dispensaire social d’Elliniko. Le dispensaire est ouvert de 10 à 20 heures en semaine et le samedi matin. Ce sont près de deux cents bénévoles dont une centaine de médecins qui s’y relaient pour offrir des soins et des médicaments à ceux qui n’ont plus les moyens de se rendre dans les hôpitaux publics.
Avec la crise et les plans d’austérité imposés par la Troïka (FMI, UE, BCE), les coupes budgétaires ont concerné tous les secteurs et la santé n’a bien évidemment pas été épargnée. Aujourd’hui, les chômeurs de longue durée, après un an sans emploi, perdent leur couverture sociale ! Plus de 2,5 millions de Grecs n’auraient donc plus d’assurance maladie… Les conséquences sont la réapparition de pathologies qui avaient quasiment disparu, la hausse des suicides, des malades chroniques qui ne sont plus soignées par manque de traitements, des cancers qui ne sont plus soignés ou dont le traitement doit être raccourci, la flambée du VIH, …
Le dispensaire d’Elliniko, créé en décembre 2011 sous l’impulsion du docteur Vichas avec des membres du personnel soignant révoltés de la situation, connaît depuis un succès grandissant. Au début, ils recevaient uniquement les patients sans couverture sociale. Aujourd’hui, alors que la situation sociale s’aggrave, ceux qui ont encore une sécurité sociale mais qui n’ont pas les moyens de payer le ticket modérateur ont aussi recours au centre. Même s’il est l’un des premiers, le dispensaire n’est pas le seul à Athènes à offrir des soins gratuitement ; plus d’une dizaine d’endroits accueillent désormais ceux qui, sans ça, resteraient en marge du système de santé. Des dizaines de milliers de patients ont été soignés ces six dernières années par la trentaine des dispensaires qui ont été établis dans toute la Grèce.
Tous ceux qui y travaillent sont volontaires et bénévoles ; les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, ceux qui assurent le secrétariat ; certains sont à la retraite, d’autres sont chômeurs, d’autres y viennent après leurs heures de travail… Les médecins bénévoles sont en mesure d’offrir des consultations et des soins primaires dans toutes les spécialités (pédiatrie, gynéco-obstétrique, chirurgie générale, orthopédie, ORL, cardio, médecine interne et diabétologie, gastro-entero, psychothérapie, néphrologie, dermatologie, dentisterie, une nutritionniste, et des généralistes…).
En avril 2016, face à la pression populaire et aux mobilisations du secteur, le gouvernement a mis en place une nouvelle loi qui est censée donner un accès plus large à la santé publique. Cette loi aurait dû permettre à ceux qui n’ont pas de couverture sociale d’accéder aux soins de santé. Cette loi est cependant considérée par beaucoup comme une loi cosmétique car il reste toujours le ticket modérateur à payer (25% du prix de la consultation) et de très nombreuses personnes en grande difficulté financière restent ainsi encore et toujours exclues des soins. Cette loi ne peut pas non plus vraiment être appliquée car le manque de moyens dans les hôpitaux publics est tel que les listes d’attente sont interminables. Le matériel désuet, les bâtiments en très mauvais état et surtout, le manque de personnel chronique dans les hôpitaux publics ne leur permet pas de répondre aux besoins de la population.
Dans ce contexte, les objectifs définis par le centre sont de mener le combat pour des soins de santé universels, égalitaires et de qualité. Leur approche : ne pas se limiter à la maladie du patient mais prendre en compte son environnement, ses difficultés de vie, … Les membres des dispensaires ne veulent pas se substituer aux services publics et c’est pourquoi, par tous les moyens, ils font pression pour que les hôpitaux publics puissent reprendre leur rôle essentiel.-
Au cours de notre visite, nous avons pu discuter avec des médecins bénévoles, des pharmaciens qui triaient les nombreux dons en médicaments,… Nous remercions l’ensemble des camarades de la clinique Elliniko pour leur travail remarquable et de nous avoir accueilli de la sorte. La solidarité est notre arme, ne l’oublions jamais !
Rencontre avec des médecins syndicalistes de l’ EINAP (Union des médecins des hôpitaux d’Athènes et du Pirée)
Nous avons eu l’honneur de rencontrer des camarades du plus grand syndicat de médecins (par adhésion individuelle)de la Grèce qui compte 9000 adhérents. Ils nous ont expliqué qu’entre 2012 et 2013, dans le cadre des mémorandums imposés à la Grèce, on a assisté 1) à une désarticulation des soins de base non hospitaliers à travers le démantèlement des services offerts par la sécurité sociale, 2) àbeaucoup de fermetures d’hôpitaux, 3) au licenciement de milliers de médecins,… La volonté du gouvernement de l’époque était de réduire la capacité hospitalière de 33000 à 22000 lits. Heureusement, les mobilisations massives des travailleurs du secteur et des habitants ont empêché plus de fermetures et ont mis une limite temporaire à la destruction du secteur public des soins de santé.
Ils nous ont expliqué avoir vécu des manifestations très importantes, des occupations de longue durée par le personnel et les habitants. Pendant toute cette période, il était impossible au Ministre de la santé Adonis Georgiadis (Nouvelle Démocratie) |4| de se rendre dans n’importe quel hôpital en Grèce tellement la colère était grande !!
Les camarades de l’EINAP dénoncent la baisse systématique du financement des hôpitaux publics (de 1,8 milliards en 2013 à 1,1 en 2016). Ils organisent la lutte contre l’apparition des contrats précaires dans les hôpitaux publics, le non-remplacement du personnel partant à la retraite, la baisse importante des salaires du personnel soignant dans son ensemble moins de 30% pour les médecins et les infirmiers). Pour eux, le plus important problème est le manque de personnel : il manquerait 7000 postes de médecins et 30000 postes pour les autres catégories de personnel. Ils nous ont expliqué que par manque de brancardiers, ce sont parfois les familles qui doivent aujourd’hui assurer le transport du patient dans l’hôpital.
En Grèce, aujourd’hui, il y a un besoin de +ou- 3000 lits de soins intensifs alors que seulement 700 existent (550 réellement en fonctionnement car 150 lits n’ont pas le personnel nécessaire). Les conséquences peuvent être très graves, une des plus importantes étant que de nombreuses interventions importantes doivent être postposées. Une estimation d’un conseil scientifique serait qu’à cause de ces 150 lits non utilisables, 1500 vies n’ont pas pu être sauvées l’année passée. Parfois, il faut aussi par exemple attendre des mois pour recevoir un traitement de chimiothérapie. En règle générale, le manque de médicaments est criant dans les hôpitaux publics à tel point que ce sont parfois les dispensaires sociaux qui y envoient des médicaments en urgence.
Nous en avons profité pour expliquer aussi aux camarades les différentes mesures d’économies dans la santé lancées par la ministre Mme De Block. Leur réaction a été : « ici aussi cela a commencé comme ça… ». La combativité des médecins en Grèce contre l’austérité à la santé fait rêver sur les effets qu’une mobilisation des médecins pourrait avoir en Belgique.
Rencontre avec le chef du cabinet du ministère de la santé, Panos Papadopoulos
Nous sommes aussi reçus par Mr Padapopoulos, directeur de cabinet du ministre de la santé (Andreas Xanthos). Nous avons discuté longuement avec lui et il serait impossible de retranscrire l’ensemble de la discussion. Voici quelques éléments qui nous semblaient importants.
Nous l’avons tout d’abord interpellé à propos de la privatisation du terrain de l’ancien aéroport d’Athènes sur lequel se trouve les bâtiments actuellement utilisés par le dispensaire d’Elliniko et le risque d’expulsion par le nouveau propriétaire Spiro Latsis : « Nous n’avons jamais eu d’avertissement à propos d’un problème à ce sujet. C’est la première fois que notre ministère est sollicité sur cette question. On soutient les dispensaires sociaux car ils sont une nécessité. Si la clinique a des problèmes, on essayera de leur trouver un bâtiment ».
Nous avons rebondi en demandant :« Est-ce que vous nous assurez que le dispensaire ne sera pas expulsé ».
« Comme je vous le dis, nous les soutenons et il faut qu’ils nous contactent pour que l’on trouve une solution… ». Nous en avons informé le docteur Vichas.
Quel est le % du PIB consacré aux soins de santé ? : « Aujourd’hui, 5,2% du PIB. Ce pourcentage est très bas… Cela pousse les gens vers le privé. Nous faisons le maximum dans le cadre limité actuel… ».
Une camarade lui demande : « Que nous conseillez-vous de faire pour éviter la situation dans laquelle vous vous trouvez ? »
« Faites payer les riches ! Avant toute autre facteur comme la corruption, certes existante, la cause la plus essentielle de la crise grecque a été la faible imposition des riches ! Ceci ne concerne pas seulement les super-riches mais aussi la couche la plus aisée des classes moyennes et c’est le résultat d’un marchandage socio-politique de longue durée en Grèce sur lequel reposait la domination des partis traditionnels ».
Le ministère a confirmé le manque de 5000 médecins et 15000 autres métiers dans les soins de santé sans commenter la différence avec les estimations que nous avait données le syndicat des médecins. « Des carences, il y en a toujours eues mais la crise les a aggravées ».
Mr Padapopoulos nous explique qu’ il y trois facteurs qui empêchent la couverture des besoins de santé de base de la population : 1) la stricte politique budgétaire de la Troïka qui impose des coupures dans tous les services publics, 2) les limites annuelles que la Troïka nous met en termes d’engagement statutaire 3) son rejet des toutes les propositions du gouvernement grec de taxer les riches.
On lui demande si c’est la troïka (UE-FMI-BCE) qui gouverne la Grèce aujourd’hui ?
C’est l’impression que tout cela nous donne et on ressent que Syriza mène au final la politique d’austérité que la troïka impose. On s’est mobilisé en soutien au peuple grec, en Belgique aussi, et on se sent trahi.
« C’est une question difficile. La déception je la vis aussi. Je viens des mouvements sociaux et du syndicalisme comme vous. J’ai rejoint et j’ai voté Syriza pour en finir avec l’austérité. J’ai mal d’avoir trahi la solidarité des camarades partout en Europe. »
« En juillet 2015, le gouvernement grec a dû faire face à un choix difficile : accepter un nouveau programme d’austérité ou sortir de l’Euro mais de là, aurait résulté entre autres que les multinationales pharmaceutiques ne nous vendraient plus les médicaments dont nous avons besoin. »
« Alors, oui, dans certains champs, c’est la Troïka qui gouverne effectivement : fiscalité, budget,… Par contre, la Troïka ne peut pas et n’essaye pas d’imposer la privatisation de la santé en Grèce. Il existe donc un espoir de revenir sur la privatisation. Notre gouvernement a renversé la politique du favoritisme discret au secteur privé suivi par les gouvernements précédents. Contrairement à ces derniers, nous arrivons aujourd’hui à couvrir chaque jour plus de besoins par le secteur public. Après 2018, nous espérons d’être libres de suivre la politique budgétaire et fiscale que nous voulons. ».
Pour conclure, nous avons demandé quelles initiatives politiques prend le gouvernement grec afin de changer la politique sur la santé au niveau de l’UE. Mr Papadopoulos n’a pas cité d’ initiatives proprement politiques, mais seulement un effort de coordination à faire entre les pays de l’Europe du Sud pour mieux négocier le prix de médicaments avec les multinationales.
Il nous a fortement remerciés pour notre initiative de solidarité.
Notre séjour s’est terminé par une interview radio dans une émission animée par le Dr Vichas lui-même dans la radio publique d’ERT.
L’interview a porté sur la situation de la santé en Grèce et en Belgique. En regardant la Grèce, on voit clairement ce qu’il faut absolument empêcher qu’il arrive en Belgique. Il paraît aussi évident que la dégradation de la santé publique dans un pays européen permet d’exercer une forte pression sur tous les autres pays.
Alors, pour que notre solidarité soit importante, il ne faut pas uniquement les aider mais il faut aussi agir ensemble au niveau de l’Europe, pour faire changer les causes de cette situation !!!
Nous nous sommes engagés à continuer notre campagne de solidarité, mais avant tout à nous préparer au mieux pour faire échouer les projets dévastateurs de Magie de Block. Ceci est une étape indispensable vers de futures luttes pour sauver et améliorer la santé publique pas seulement en Belgique mais dans toute l’Europe.
Carine, José, Karim, Marie-France, Nadia, Philippe, Yiorgos.
Voir en ligne : http://www.infoskes.be/du-11-au-15-…
Notes
|1| Le taux de la pauvreté absolu prenant 2012 comme référence est 23, 1% en 2012 et 21,4% en 2014 (Eurostat). Néanmoins prendre comme référence le seuil de pauvreté en 2009 pondéré avec le pouvoir d’achat de 2012 nous permet de saisir de façon plus claire la paupérisation subie par de vastes couches de la population. Rapport annuel 2015 du service d’étude de la Confédération générale des travailleurs en Grèce (ΙΝΕ-GSEE) : « l’économie grecque et l’emploi », p. 142 http://www.inegsee.gr/wp-content/up…
|2| Selon le ministère de l’emploi, les travailleurs en Grèce ont perdu environ 50% de leur pouvoir d’achat (http://www.amna.gr/article/120204/Y…). Selon Eurostat, le salaire médian en Grèce a tombé de 915€ en 2010 à 793€ en 2011. Selon un développement de la même étude par INE-GSEE, 33,7% de la population n’arrive pas à couvrir trois des neuf besoins de base (situation de privation matérielle), alors que ce pourcentage était de 21,8% en 2008. http://ineobservatory.gr/deltio-tip… Par le passé, INE-GSEE a effectué une étude qui analysait en détail les prix des besoins de base, en concluant le fait que le seuil de pauvreté réel était d’environ 200€ supérieur au seuil de pauvreté officiel (« Approche empirique de la pauvreté absolue en Grèce », décembre 2010, p. 135 http://ineobservatory.gr/wp-content…). Ce seuil n’arrête pas de tomber : à 598€ en 2010, il est arrivé à 376€ en 2014. Notre conclusion est que la pauvreté absolue en Grèce est beaucoup plus importante que ce que les chiffres officiels déjà effrayants dévoilent. Le taux belge (15%) est aussi mis en question (http://www.lalibre.be/economie/libr…).
|3| https://www.theguardian.com/world/2…
|4| Le vice-président actuel de la Nouvelle Démocratie (ND) a été élu pour la première fois avec le parti d’extrême droite « Alerte Orthodoxe Populaire » (LAOS) et il a basculé à ND après l’expérience du gouvernement tripartite imposé par l’UE en 2011-2012. Il est connu pour ses propos racistes récurrents et son anti-syndicalisme primaire.