Soutien à la mobilisation en Grèce contre le projet d’universités du fric et des flics !
À classer dans les plus sinistres scènes d’anthologie : à la mi-janvier, le projet de « réforme » de l’université a été présenté en commun par la très réactionnaire ministre de l’Éducation et des Cultes, Niki Kerameos, et par… le ministre de la police (officiellement de la « Protection du citoyen »), Michalis Chryssochoïdis ! La raison a de quoi glacer d’horreur : la prétendue réforme est axée sur la sélection sociale, la marchandisation accélérée de l’éducation et la répression ouverte et revendiquée.
Ce projet peut se résumer en quatre axes, dont deux ouvertement répressifs. Ce qui est à la base, c’est l’application des divers textes européens en matière d’éducation, l’aggravation de la sélection et l’ouverture à la concurrence, jusque là mieux écartée en Grèce que dans d’autres pays pour l’enseignement supérieur.
Casse de l’université et cadeaux aux patrons des boites privées
La sélection se fera de deux manières : durcissement des conditions d’admission en fac, ce qui écarterait peut être 20 000 étudiantEs, et exclusion (pour l’instant inconstitutionnelle) de ceux que la presse bourgeoise nomme depuis longtemps les « étudiants éternels »… avec tout le mépris de classe pour des jeunes qui, comme en France, travaillent pour payer leurs études, ce qui fait qu’environ 40% dépassent les six ans qui seraient autorisés pour le diplôme de base. On voit le carnage qui se prépare.
TouTEs ces jeunes qui seraient exclus d’entrée ou de maintien en fac, que deviendraient-ils ? C’est là que la ministre boutiquière voulait en arriver, après avoir préparé le terrain par divers textes visant à offrir l’éducation aux appétits du patronat. La « solution » pour les excluEs qui voudraient faire ou continuer des études, ce serait pour les plus riches, les « collèges », c’est–à-dire les boîtes privées et souvent très coûteuses (mais de piètre qualité, en comparaison des études universitaires) qui, n’ayant pas le droit de délivrer des licences, s’allient à des facs étrangères pour préparer en Grèce des diplômes « attestés » par les facs en question. La ministre a réussi à faire admettre l’équivalence professionnelle de ces attestations avec les vrais diplômes universitaires. Et pour les autres, ce serait des boîtes professionnelles privées (IEK), pour des formations courtes (mais payantes !), et c’est là un objectif de masse dont ne se cache même pas Kerameos. Pour couronner le tout, on peut penser que si ce plan diabolique s’appliquait, une étape suivante serait de faire payer les années de licence à l’université, ces études étant sans droit d’inscription jusqu’à aujourd’hui. C’est donc l’ensemble d’un système universitaire jusqu’ici moins sélectif qu’en France et que les mobilisations étudiantes ont réussi à préserver contre de multiples attaques que la ministre veut casser.
Une université policée
Pour imposer un tel recul au droit aux études pour toutes et tous, Kerameos a introduit dans son plan deux axes répressifs qui lui vaudront sûrement les félicitations de dictateurs de la planète : une interdiction de fait des activités de contestation, avec établissement d’un conseil de discipline qui pourra valoir à des colleurs d’affiches ou intervenantEs au mégaphone un renvoi de la fac ! Et le clou : création d’un corps de police universitaire, dépendant directement du ministère de l’Intérieur, qui sera amené à faire régner la devise du Darmanin grec (« loi et ordre »)… Cette innovation — que la ministre ose justifier en prétendant frauduleusement que c’est comme ça en France — se traduira par un corps de 1000 policiers équipés de menottes, armes d’autodéfense, un armement plus lourd étant aussi à leur disposition dans un local qui leur sera fourni dans chaque fac ! Bien sûr, il fallait pour oser une telle provocation mener une campagne médiatique sur le thème « mettre fin à la violence et à l’illégalité », visant clairement la gauche étudiante. Rappelons aussi que cette mesure est la suite logiquement policière de l’abrogation par la droite extrême de Mitsotakis de l’asile universitaire, promesse électorale aux électeurs d’Aube dorée…
Les premières réactions ont été immédiates, avec bien sûr une condamnation très forte des mesures répressives. De nombreuses protestations se sont fait entendre, pendant que la presse aux ordres se déchainait, justifiant le climat de terreur que la mal nommée Nouvelle Démocratie (ND) tente de faire régner. Des pétitions ont vite été signées par des milliers de personnes, avec en retour des menaces de mort, et des messages de haine venus de chefaillons de l’extrême droite nationaliste. La Conférence des présidents d’université, très timide devant la ministre, a quand même protesté devant les projets de sélection qui aboutiront à coup sûr à fermer des sections universitaires et de petites unités de facs établies dans des villes moyennes. De nombreux conseils d’université condamnent la création d’une police universitaire, indiquant que son existence ne peut que créer de dangereuses tensions, et insistent sur le scandale financier que cela représente, à l’heure où les facs manquent d’argent et de locaux. Même des syndicats de policiers sont contre cette violente élucubration. Des contre-propositions ont été faites ici ou là pour la protection des lieux universitaires, avec souvent un fort caractère réformiste, mais toutes visent à montrer le caractère extrémiste d’un corps de police universitaire. Élément politique qui confirme la grogne d’une partie de la droite contre la ligne « orbanienne » de Mitsotakis et ses ministres d’extrême droite, des cadres de la ND, comme l’ancien ministre de l’Éducation Aris Spiliotopoulos, ont protesté contre l’incohérente mesure policière, soulignant que l’urgence est de renforcer l’université en chercheurEs et enseignantEs. De son côté, Syriza condamne les cadeaux faits aux propriétaires de boites privées, et le KKE (PC grec) affirme comme la gauche anticapitaliste que la loi ne s’appliquera jamais sur le terrain.
Mobilisation massive en plein confinement
Mais l’élément principal de la riposte, c’est une mobilisation universitaire qui grossit de semaine en semaine. La semaine dernière, Chryssochoïdis pouvait encore ricaner sur le fait que ses flics avaient réussi à empêcher les étudiantEs mobilisés dans le centre d’Athènes de manifester. Mais suite à une série de rassemblements locaux, la journée du jeudi 21 janvier a été une étape très importante : partout dans le pays, des manifs ont eu lieu, pour exiger le retrait du projet dans tous ses aspects, de sélection sociale, de cadeaux au privé et de répression. À Athènes, la police a été incapable d’empêcher une vraie belle manif de plusieurs milliers d’étudiantEs, de profs, soutenue par les syndicats enseignants, ADEDY (Fédération syndicale du Public), des syndicats d’entreprise. Le succès, marqué par des violences policières à Salonique, est très important et très encourageant : ces derniers mois, il a été quasiment impossible de tenir des manifs, le pouvoir les interdisant au nom du fallacieux prétexte des risques de contamination et réprimant la moindre tentative d’aller au-delà du rassemblement statique… et confiné par des hordes de policiers ! Néanmoins, toutes ces tentatives ont permis au mouvement social de garder confiance et l’écho de la manif de jeudi, même s’il reste à confirmer lors des initiatives prévues pour les jours à venir, est très important pour toute la jeunesse et le mouvement ouvrier. Cela dit, l’extension du mouvement dépendra aussi de sa capacité à dépasser les réflexes sectaires traditionnels, et rien n’est joué sur ce terrain-là…
Tout le monde semble avoir bien compris que ce qui est en jeu avec le projet de loi Kerameos- Chryssochoïdis, c’est, face à une « dure offensive idéologique contre la jeunesse qui revendique le renforcement de l’éducation publique et gratuite » (Prin, journal de NAR, principal groupe anticapitaliste), le droit aux études pour toutes et tous, contre l’université du marché, du profit, de la pensée unique et obscurantiste ! Ce pouvoir ultra-libéral croit pouvoir profiter du confinement pour passer (en rafales…) des mesures rappelant de sombres périodes : Chryssochoïdis voudrait maintenant imposer un cadre de manifs contrôlées et nassées « à la française »… Face à cette sinistre politique de contrôle de la rue et de la pensée, la mobilisation de la jeunesse et du mouvement ouvrier doit être massive et unitaire !
À Athènes