L’homme fardeau La rubrique de Panagiotis Grigouriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

L’homme fardeau

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, les touristes et les badauds s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté les lieux, car la pluie est alors de retour à Athènes, un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Manifestants et touristes. Athènes, le 1er mai 2018

Dans presque cette même vie des symboles, les syndicats, toujours dispersés et pour tout dire pratiquement disparus du champ de l’utilité publique, ont fait défiler les leurs autour de la place de la “Constitution”, tout juste le temps de cette belle matinée muséale du 1er mai pendant que l’agglomération athénienne s’était déjà déplacée coûte que coûte sur les rivages de l’Attique. Sous le pavé, la plage.

Nos touristes, photographiant tout de même les manifestants avec boulimie, drapeaux rouges et visages cependant serrés. Revue des… deux mondes. Le tout, après avoir si certainement croqué à la Grèce éternelle, au nouveau musée de l’Acropole et pour finir, aux mets supposons plus authentiques que jamais.

Et devant le “Parlement”, les cars des unités des MAT, les CRS du pays de Zeus, occupèrent les lieux pour empêcher de la sorte toute velléité populaire à l’encontre… des très chers élus, maintenant que le mystère de la politique semble totalement élucidé, dès l’arrivée au pouvoir en 2015 des Syrizistes et si fières de l’être.

Cependant, ceux et celles qui n’ont guère chômé en ce 1er mai, n’auront fait que traverser les lieux comme les artères de la ville pour se rendre à leur travail, désormais payé en règle rependue et générale près de 500€ par mois pour un temps finalement trop plein. Femmes et hommes alors cheminant la tête surtout baissée, le traditionnel café froid dans la main. Poids encore et surtout du monde.

Manifestants. Athènes, 1er mai 2018
Le traditionnel café froid dans la main. Athènes, le 1er mai 2018
Manifestants. Athènes, le 1er mai 2018

Et pendant que ceux de la… République populaire des Airbnbiens s’adonne aux emballements de la ville d’Athéna… d’ailleurs présentée comme étant “le nouveau Berlin”, Alexis Tsipras, illustre locataire de l’hybris comme de l’absurde, s’est envolé pour l’île de Lesbos, en visite officielle jeudi dernier 3 mai, le tout, après avoir dépêché sur Mytilène, capitale de l’île, plus de dix compagnies de CRS hellènes, l’escrocrise est ainsi un plat… qui mange décidément son chapeau.

Les habitants et les commerçants de l’île avaient aussitôt décrété Mytilène ville-morte, et en effet, pratiquement pas un seul commerce n’a ouvert ses portes pendant la visite du cynique Alexis. Des heurts ont même opposé forces de l’ordre et manifestants, ces derniers exprimant leurs désarroi devant la mutation forcée et violente que leur île connait, sous le double effet de l’austérité comme de celui des flux migratoires incontrôlés.

Cette… autre vie réelle grecque, indique alors que la Tsipoparade gouvernementale ne se déplace plus sans une protection policière importante par les temps qui courent décidément si vite. Et depuis les micros des radios, certains journalistes ont voulu rappeler que parmi les promesses électorales de l’imparable Alexis de 2014, y figurait également la suppression pure et simple des unités de CRS “pour n’agir qu’à travers le cadre d’une police de proximité”, histoires toujours simples, racontées à chaque fois avec force et conviction, aux peuples trompés, et pour tout dire ainsi mourants.

Mytilène, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène ville morte, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène, le 2 mai, Presse grecque

Ainsi, à travers une émission touchante sur le Deuxième Programme de la radio publique grecque ERT, dimanche 6 mai, dont l’invité fut le spécialiste du chant Rebétiko et plus amplement de la musique populaire grecque, Panagiótis Kounádis, il a été rappelé que “finalement certains peuples et cultures peuvent parfois disparaitre complètement… du fardeau de ce monde, suite notamment à une attaque généralisée, une guerre alors totale, dont une guerre totale culturelle”.

Le journaliste, un peu gêné, il a aussitôt compris ce que Panagiótis Kounádis voulait alors exprimer, le peuple grec pourrait ainsi ne pas faire exception à cette règle, d’ailleurs, “dans un monde où les mots concurrence et profit ont depuis longtemps remplacé les termes bonté et paix, dans un monde enfin, où seulement six bandes de salopards alors gouvernent au destin des mortels, d’où la généralisation des ‘gouvernants’ marionnettes et de surcroît incultes, contrairement par exemple au temps des dirigeants comme Charles de Gaulle, lequel au moins comprenait le monde, ainsi que ses interlocuteurs”, (Panagiótis Kounádis, le 6 mai, ERT).

Je me souviens, au sujet de mon ami Panagiótis Kounádis, j’écrivais au lointain Printemps 2014: “On commence alors à voir si possible plus loin que notre nez en crise. Mercredi soir, c’est dans une salle de la mairie d’Athènes qu’à l’initiative de Panagiótis Kounádis (musicologue) et de Fondas Ládis (écrivain et poète), que le nouveau SFEM (Association des amis de la musique grecque), reprend enfin le chemin du légendaire SFEM des années 1960, de Míkis Theodorakis, de Mános Hadjidákis et des autres.”

Visiteurs. Cap Sounion, mai 2018
Visiteurs et animal adespote. Athènes, mai 2018
Travailleurs et travailleuses du 1er mai. Athènes, 2018

En 2018, Panagiótis Kounádis rappelle déjà avec nostalgie que les grands noms de la musique grecque ont été essentiellement ceux du premier SFEM, espoirs d’alors que la dictature des Colonels a alors brisés net. “Le régime des Colonels a surtout occasionné des dégâts culturels énormes, finalement plus que politiques dans un sens. Toute l’énormité de la chanson de mauvais goût et de piètre existence actuelle nous parvient alors de cette période. Ce fut la fin de la musique populaire de qualité et en même temps massivement adoptée par les Grecs.”

“Ce n’est plus le cas, c’est la sous-culture, celle que les médias vont sans cesse promouvoir que les Grecs suivent et chantent sans cesse. Pourtant, tout n’est pas perdu. De nombreux jeunes suivent avec sérieux et conviction le cursus que nos lycées musicaux leur proposent encore. Dans la mesure où ils ne sont pas écrasés par les petits boulots payés 20€ par jour, ils peuvent, et ils sauront encore sauvegarder notre culture du chant populaire, sinon…”

Le chant populaire, c’est aussi ces petits orchestres, un bouzouki, une guitare et deux voix qui se reproduisent sur les terrasses des tavernes, et ce n’est pas tout à fait qu’un phénomène touristique. Le gagne-pain a conduit de bien nombreux musiciens à se reproduire dans les bistrots à défaut d’autres possibilités, à part cela… “Athènes, c’est le nouveau Berlin”, pauvres villes !

Musique populaire et taverne. Athènes, mai 2018
Athènes… nouveau Berlin
Animal adespote. Athènes, mai 2018

Dieu merci, la musique populaire est encore vivante, et les pluies des dernières heures ont causé des dégâts à Athènes et en Thessalie. Après-tout, les Grecs ne sont plus de la dernière pluie paraît-il. Les Chinois non plus, et c’est peut-être pour cette raison que le bien officiel “Bureau d’information pour les ressortissants Chinois”, vient d’ouvrir ses portes récemment au centre-ville.

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, nos touristes et les badauds, Chinois compris, s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Un peu plus loin, dans un quartier périphérique, certains Grecs accrochent sur un mur d’un trottoir étroit sacs et chaussures destinés à être aussitôt récupérés par les encore plus pauvres. Ailleurs, les francophones du… Temple de l’hybris, iront prétendre qu’un certain avenir… alors brûlant leur appartient, poids du monde !

Bureau d’information pour ressortissants Chinois. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Avenir… brûlant. Athènes, mai 2018

Pluies passagères au beau pays des plages et des ruines de toute sorte. D’après une récente étude du de l’universitaire Sávvas Robolis, avec l’introduction des réductions à venir pour 2019-2020 concernant les retraites que SYRIZA a signé entre 2015 et 2016, la pension mensuelle moyenne, qui est actuellement à 722€, tombera à 480€, et si en plus l’abaissement du seuil d’imposition mesure également adoptée, est alors appliquée en 2020, la pension nette moyenne, celle des retraités en Grèce sera de 450 euros.

C’est dans cet esprit, que le professeur Robolis estime qu’il sera alors très difficile de survivre pour cette catégorie de la population, surtout gardant à l’esprit que, selon les données officielles, déjà 48% de la population grecque, soit 5,1 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire, 382 euros par mois. Et sur ce 48%, il y a 1,5 million de personnes qui vivent dans une extrême pauvreté, soit moins de 182 euros par mois, Sávvas Robolis, mars 2018.

L’horizon depuis les plages pour les uns, nos cormorans, nos animaux adespotes qui nous observent derrière nos fils de fer barbelés et autres clôtures civilisationnelles, le poids du monde en réalité pour tous et surtout pour la majorité écrasante et écrasée.

Nos animaux adespotes. Athènes, mai 2018
Nos oiseaux marins. Attique, mai 2018
Nos plages. Attique, mai 2018

Les manifestants de ce 1er mai plus dispersés que jamais sont rentrés chez eux, Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté aussi les lieux de l’Acropole, car la pluie est alors de retour à Athènes.

Un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Animaux adespotes. Athènes, mai 2018
* Photo de couverture: L’homme… fardeau. Athènes, mai 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

rédaction

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