Thomas Jacobi , le 08/01/2018
Le budget de la psychiatrie a été divisé de près de moitié en Grèce depuis le début de la crise économique. En parallèle, les demandes d’admission ont triplé.
Il fait presque froid et il pleut. Quand il pleut en Grèce, l’humeur est sombre, un peu à l’image des sinistres bâtiments de la partie abandonnée de l’hôpital psychiatrique de l’île de Leros, en mer Egée. Le psychiatre Yannis Loukas s’arrête longuement devant le bâtiment 16, un bloc aux couleurs passées, vide et lugubre. « C’est ici qu’étaient cachés ceux qu’on appelait les statues de bronze, des patients nus, été comme hiver, hommes et femmes mélangés, commente-t-il. On ne leur parlait pas, on ne les traitait pas. On les lavait le matin au jet d’eau et leur jetait de la nourriture. » C’était à la fin des années 1980.
Il a fallu livrer bataille, contre les autorités et contre le corps psychiatrique grec, complice. De purgatoire des âmes rejetées, l’asile de Leros où s’entassaient 2 800 malades est devenu un centre de traitement exemplaire qui compte 280 patients permanents. « Depuis que je suis directeur, personne n’est attaché et nous avons ouvert 13 maisons individuelles dans toute l’île pour que les patients puissent y vivre dignement, poursuit Yannis Loukas. Ces anciens du bloc 16 vivent désormais normalement. Certains travaillent dans notre coopérative. »
Il ne reste que 3 établissements psychiatriques sur 8
Le directeur s’arrête de parler pour convaincre un patient qu’il doit rentrer chez lui car il fait froid. Il le tutoie, le patient aussi. Ils se sourient. Yannis Loukas aime ses patients. À un an de la retraite, il s’inquiète pour eux, et il y a de quoi : en neuf ans de récession, le budget de la santé a été réduit d’un tiers et celui de la santé mentale de 45 %, alors que les départs à la retraite du personnel ne sont pas remplacés.
« Une petite unité de soins psychiatriques, avec des appartements où les patients peuvent vivre près de leur famille et près de leur travail, coûte de l’argent. Il faut des fonds et du personnel qualifié pour ce genre de thérapie, mais personne ne nous écoute », lâche le psychiatre. Suivant la tendance européenne, les grands asiles ferment les uns après les autres en Grèce. Sur les huit établissements que comptait le pays, il n’en reste plus que trois désormais, dont celui de Leros. Et rien n’est proposé aux patients qui sont renvoyés chez eux.
Quatre fois plus de dépressions depuis 2008
Pourtant, les besoins augmentent du fait de la crise. « On voit arriver de plus en plus de jeunes avec des dépressions, s’alarme Yannis Loukas. Ils sont sans travail, sans ressources, incapables de subvenir aux besoins de leurs proches, avec des parents qui ne peuvent plus les soutenir. Certains pensent au suicide. On doit les traiter avec des médicaments. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de suicide a augmenté de 35 % depuis le début de la crise économique et celui des dépressions a quadruplé, épousant la courbe du chômage. « La pauvreté mène à l’exclusion sociale qui favorise les troubles mentaux », constate le psychiatre Stelios Stylianidis.
Alors que les demandes d’admission ont triplé dans le pays, la plupart des départements ne disposent pas d’unités psychiatriques. Reste comme ultime recours la demande d’internement forcé. Réservée en principe aux malades dangereux, cette mesure est étendue de fait à de nombreuses personnes qui n’auraient sans cela jamais obtenu de lit. Les internements forcés représentent désormais 65 % des admissions à l’hôpital psychiatrique en Grèce, contre 11 % en France.
Recevoir les migrants en consultation
À cette situation dramatique s’ajoute la question des réfugiés qui arrivent avec leur lot de traumatismes à soigner, sans parler des dépressions qui se déclarent dans les centres d’accueil car ils redoutent un renvoi en Turquie. À Leros, le hot spot (centre d’enregistrement des migrants) est dans la cour même de l’asile psychiatrique. Ici, pas besoin d’attendre six mois pour une consultation. « Au premier signe, je les reçois, explique Yannis Loukas. Le plus difficile est de détecter les vrais appels à l’aide des tentatives de suicide simulées pour partir sur le continent. »