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Répression, expulsion et dépossession dans la Grèce de nouvelle démocratie

Auteur  : Theodoros Karyotis

La dernière attaque contre le mouvement de squats en Grèce est le préambule d’une opération massive de dépossession de logements par le gouvernement de droite.

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Dimitris Indares était encore en pyjama lorsque la police a frappé à sa porte dans le quartier de Koukaki, à Athènes, aux premières heures du mercredi 18 décembre. Peu de temps après, il était allongé sur le sol de la terrasse de sa maison, avec la botte d’un policier des opérations spéciales sur la tête. Lui et ses deux fils adultes ont été battus, menottés, les yeux bandés et placés en garde à vue. Quel était le crime d’Indares ? Il avait refusé de laisser passer la police à son domicile sans mandat dans le cadre de son opération d’expulsion du squat qui se trouvait juste à côté.

Le profil d’Indares n’est pas celui d’un squatteur. Un réalisateur de 55 ans et professeur d’école de cinéma, un propriétaire d’une maison, politiquement modéré avec des vues conservatrices, travaillant dur pour que ses fils aillent à l’université. On pourrait dire qu’il est un membre typique de la classe moyenne grecque instruite et un électeur typique du parti au pouvoir Nouvelle Démocratie. Ce fait n’a pas empêché la police de porter des accusations criminelles fabriquées contre lui, accompagnées d’une opération de diffamation.

Le ministre de la Protection des citoyens lui-même a menti sans honte en disant  que la police avait un mandat, que Indares avait résisté à son arrestation et tenté d’arracher l’arme à un policier, que ses deux fils se trouvaient à l’intérieur du squat voisin et qu’ils avaient attaqué la police. Malgré de nombreux témoignages du contraire et la fuite d’un enregistrement audio du moment où Indares a été détenu qui réfute les accusations, les mensonges du ministre ont été répétés avec force par la machine de propagande du gouvernement : les médias de masse appartenant à une poignée d’oligarques alliés au parti au pouvoir.

Même lorsque Nikos Alivizatos, le Médiateur pour les violences policières nommé quelques mois plus tôt par le ministre lui-même, a menacé de démissionner au vu des preuves de brutalité policière, la presse grand public n’a pas tardé à qualifier le professeur de droit constitutionnel de gauchiste qui se range du côté des squatters.

Le cas de Indares a fait l’objet d’une  grande publicité, beaucoup dénonçant les mensonges. Cependant,  le gouvernement et ses faiseurs d’opinion ont refusé de faire marche arrière. Ce qui est préoccupant ici, c’est que cette vague massive de soutien n’est venue que lorsqu’un « père de famille moyen » a vu ses libertés civiles violées.

Depuis que  Nouvelle Démocratie a été élue avec un programme « loi et ordre » en juillet dernier, la police agit comme une armée d’occupation dans les villes grecques, violant régulièrement les droits de l’homme et la dignité. Les détentions arbitraires, la torture,les passages à tabac, les attaques au gaz lacrymogène, les descentes dans les cinémas et les boîtes de nuit,l’humiliation publique,les insultes verbales ont été à l’ordre du jour.

Malgré tout, tant que la violence arbitraire de la police était dirigée contre les manifestants,les jeunes, les étudiants, les squatters,les homosexuels,les immigrants ou les marginaux,  la réaction de l’opinion publique  face aux violations flagrantes et quotidiennes des droits de l’homme était au mieux timide. Malheureusement, de telles pratiques odieuses sont rendues possibles par le soutien actif ou passif d’une partie de la société grecque qui a été convaincue que dans la lutte contre l’ennemi intérieur, tous les moyens sont légitimes, même la violation des droits constitutionnels et de la dignité humaine.

Indares lui-même, dans des déclarations à la presse après sa libération en attente de son procès, semblait confus quant à ce qui l’a vraiment frappé. Il est évidemment consterné par la campagne de diffamation menée contre lui, mais il semble se considérer comme la victime innocente d’une guerre juste. Dans l’enregistrement audio divulgué du moment de son arrestation, on l’entend reprocher à la police d’« agir comme des anarchistes », alors que la possibilité que des anarchistes entrent par effraction chez lui, le battent et le kidnappent est inexistante. Dans son désir de rester modéré, Indares ne reconnaît pas le caractère arbitraire de la répression policière ni la fonction de distorsion de la réalité des médias, tant que les gens pacifiques et travailleurs comme lui, restent à l’abri de cette violence.

Mais ce sont précisément les citoyens  épris de paix comme lui qui ont le plus à perdre dans ce nouveau cycle de dépossession en Grèce.

LA DOCTRINE  « LOI ET ORDRE »

Aujourd’hui en Grèce, plus rien ne rappelle les mobilisations massives et diverses de 2010-2015 contre le programme d’ajustement structurel. Cependant, les conditions matérielles ne se sont pas améliorées pour la majorité de la population, et les politiques d’austérité n’ont pas été inversées. Au contraire, l’austérité a été « naturalisée » : elle n’est plus vue pour ce qu’elle est — une opération massive de transfert de richesse des classes populaires vers le capital national et international — mais comme une catastrophe naturelle, un peu comme une inondation qui balaie tout et vous laisse devoir  reconstruire à partir de zéro.

Le mandat de Syriza au gouvernement a grandement contribué à cette situation. Malgré ses réformes socialement progressistes en matière de droits individuels, l’incapacité de Syriza à contester l’austérité et la poursuite de politiques prédatrices ont eu un « effet TINA » — convaincre la population qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité. La seule ligne de conduite possible, leur fait-on croire, est d’élire la force politique qui peut le mieux la gérer; et les médias de masse, mettant à  l’ordre du jour les sujets de la  sécurité, de l’immigration et du nationalisme, ont convaincu la plupart des électeurs que le meilleur gestionnaire de l’austérité est Nouvelle Démocratie  de Kyriakos Mitsotakis, de droite qui a remporté les élections de juillet.

Mitsotakis, issu d’une longue lignée de politiciens, est né avec une cuillère d’argent dans la bouche. En 1999, tout juste sorti de ses études à Harvard et Stanford, il a obtenu un emploi de gestionnaire de fonds d’investissement à Athènes en utilisant les relations de son père, gagnant l’équivalent de 10 000 euros par mois. Au cours de la dernière décennie, il  s’est forgé l’image de l’héritier qui vient revigorer  l’ancien régime discrédité. Ce que d’autres appelleraient privilège et  népotisme, il  l’a vendu comme « excellence » : c’était le cri de ralliement de sa campagne électorale, avec la promesse d’appliquer la loi et l’ordre.

L’incarnation actuelle du parti Nouvelle Démocratie est une alliance entre ses courants néolibéraux et d’extrême droite, marginalisant le courant de centre-droit qui était dominant dans les années 2000. Mitsotakis et sa troupe de technocrates aristocratiques  se sont entourés de personnalités de la télévision ultra-conservatrices, alarmistes, moralisatrices et nationalistes

Il convient de noter qu’il ne s’agit pas d’une alliance temporaire autour du partage du pouvoir, mais d’une alliance fondée sur un projet commun solide. Le point commun des deux factions est une sorte de darwinisme social, dans lequel les appels à la rationalité économique sont alternés dans le discours du gouvernement avec des truismes racistes et sexistes pour justifier et naturaliser ses politiques répressives et d’exclusion. De plus, les deux factions s’accordent sur le renforcement des valeurs conservatrices et de la structure familiale traditionnelle en tant qu’institution qui absorbera les chocs sociaux permanents de l’ère post-mémorandum.

Outre son discours technocratique et sa promesse de croissance économique, Nouvelle Démocratie a utilisé une rhétorique anticommuniste qui rappelle la guerre froide, ainsi qu’un révisionnisme historique qui cherche à éliminer la résistance populaire de l’histoire récente du pays. Grâce à des récits nationalistes, xénophobes et homophobes, elle a réussi à débaucher les électeurs du parti néo-nazi Aube dorée, qui, acculé par les actions du mouvement antifasciste, un procès en cours, une division interne et la montée de nouvelles formations politiques d’extrême droite, n’a pas réussi à entrer au parlement en Juillet, pour la première fois depuis 2012.

À cet égard, la doctrine « loi et ordre » est un élément essentiel de la stratégie du gouvernement. Comme pour les gouvernements précédents, sa capacité d’exercer sa propre politique est extrêmement limitée, car, malgré la fin formelle des « mémorandums » de sauvetage, les politiques économiques et étrangères sont toujours dictées par les « partenaires » et les « alliés » du pays, et il y a une surveillance et évaluation constantes de la législation et des résultats budgétaires par des organes étrangers nommés de l’extérieur. La « sécurité intérieure » est donc le seul domaine où le gouvernement peut réellement mettre son énergie et légitimer son pouvoir aux yeux de sa clientèle électorale de plus en plus conservatrice.

Le déploiement des forces de police dans les zones urbaines s’est donc  transformé en un grand spectacle, le mouvement anarchiste étant identifié comme le principal adversaire. Le ministre de la Protection des citoyens, Michalis Chrisohoidis, notoirement autoritaire, a lancé un ultimatum de 15 jours à tous les squatteurs pour qu’ils quittent volontairement leurs bâtiments sous peine d’expulsion forcée.

L’ultimatum devait expirer le 6 décembre, date anniversaire de l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos par la police en 2008, date qui attire régulièrement des foules de manifestants dans les centres-villes. Cependant, le plan s’est retourné contre lui après les expulsions de Koukaki ; face à une mobilisation accrue et à des critiques généralisées de la violence policière, le ministre a dû mettre le plan en attente pour redéfinir ses tactiques répressives.

Squatter sur le terrain de la petite propriété

Incidemment, ce sont les émeutes de 2008 qui ont incubé le mouvement des squatters en Grèce; squatter a persisté comme une pratique d’auto-organisation populaire dans les années de mobilisation qui ont suivi.  Aujourd’hui, il y a des centaines de squats en Grèce, parmi lesquels des logements pour les habitants et les immigrants, des centres sociaux, des fermes urbaines et des usines.

Les squats sont une partie importante de l’infrastructure sociale mise en place par les mouvements contestataires qui cherchent à libérer l’activité humaine et la  vie en société de la marchandisation et du consumérisme, et à expérimenter des structures de prise de décision et de coexistence plurielles. Malgré leur caractère expérimental et incomplet, les squats sont un rappel vivant qu’il peut exister des espaces sociaux et des relations en dehors de la règle du capital, en dehors du cycle travail-consommation-sommeil

Les squats sont également  des lieux où les habitants et les immigrants coexistent et où les demandeurs d’asile créent leurs propres structures d’autogestion, en réponse aux conditions inhumaines imposées aux nouveaux arrivants dans les camps de réfugiés. Tous les gouvernements de l’ère des mémorandums s’entendent pour dire que les alternatives sociales doivent être réprimées. La présente campagne d’expulsions est donc une intensification des tactiques des gouvernements précédents, y compris celle de Syriza.

Même si la grande majorité des espaces squattés sont des bâtiments  abandonnés, non entretenus,  appartenant à l’État, à des fondations privées, de riches héritiers ou l’église, les  petits propriétaires en sont venus à voir le squat comme une menace à leurs propres intérêts. Cela peut être dû au fait que la petite propriété immobilière est fondamentale dans la société grecque. Après la Seconde Guerre mondiale, contrairement aux politiques de logement social de l’Europe du Nord, l’État grec a activement promu l’auto-construction, considérant la propriété immobilière comme le facteur de compensation  qui garantirait la réconciliation nationale d’un peuple profondément divisé et marqué par la guerre civile.

En conséquence, la Grèce se caractérise par la dispersion de la petite propriété et l’un des taux les plus élevés de propriétaires en Europe, même si un quart de la population est sans propriété et condamné à un secteur locatif très volatile sans politique de logement en place comme  filet de sécurité. Bien que les mesures d’austérité aient transformé la propriété immobilière d’un actif en un passif par la surtaxation et la baisse des prix de l’immobilier, la propriété  reste toujours un signe majeur  dans l’imaginaire du progrès pour une majorité de Grecs.

La propriété immobilière signifie donc beaucoup plus qu’un logement. C’est la mesure de la réussite d’une famille, son moyen de mobilité sociale, l’atout à transmettre à la génération suivante et, en l’absence de politiques adéquates de protection sociale de l’État, la couverture contre un avenir incertain. Cela peut  expliquer en grande partie  l’opposition de principe de la plupart des Grecs à la pratique du squat, malgré le fait que la petite propriété familiale n’est jamais la cible des squatteurs. Mais cela peut aussi aider à expliquer le fait que depuis le début de la crise, une loi spéciale sur l’insolvabilité protège la résidence principale hypothéquée des débiteurs à faible revenu en retard de paiement contre  la saisie  et la liquidation par les banques.

Bien que, dans de nombreux cas, des saisies aient encore eu lieu, cet arrangement a contribué à maintenir la paix sociale en empêchant les expulsions massives de familles  des classes ouvrière et moyenne. Étant donné que la famille occupe une place prépondérante en Grèce et qu’elle a supporté le poids de l’ajustement structurel, tous les gouvernements jusqu’à présent, quelle que soit leur orientation politique, ont respecté cet arrangement. Toutefois les choses sont sur le point de changer.

PROBLÈMES FAMILIAUX

La prééminence de la famille sur le plan socio-économique grec n’est pas due à une « psyché » grecque prétendument centrée sur la famille, mais elle est le produit d’un mode de développement économique historique « familial », dans lequel l’unité familiale élargie a été rendue responsable de la protection et du bien-être de ses membres et a assumé des tâches de reproduction qui, dans les pays d’Europe du Nord, étaient assurées par l’État providence.

Dans la seconde moitié du 20e siècle, ce modèle de développement soigneusement conçu et mis en œuvre a permis à la Grèce d’atteindre des taux élevés de croissance économique basés sur une main-d’œuvre bon marché avec un coût minimal pour l’État et les employeurs. Dans ce contexte, le clientélisme, l’évasion fiscale, la corruption, le laxisme dans l’application des règlements et autres  » particularités  » grecques n’étaient pas des comportements pathologiques, comme les manuels économiques voudraient nous le faire croire, mais des comportements adaptatifs parfaitement rationnels, sanctionnés par l’État, de la famille qui cherchait à rivaliser et à maximiser sa richesse afin de fournir du bien-être à ses membres, en l’absence de tout autre mécanisme de redistribution.
Les effets secondaires malsains d’un tel arrangement sont apparus à la fin des années 2000, avec un grand nombre de travaux théoriques et artistiques critiquant la structure patriarcale oppressive de la famille grecque. L’incarnation de cette critique se trouve dans le mouvement cinématographique connu sous le nom de  » Greek weird wave « , lancé par le film primé de Giorgos Lanthimos, Dogtooth, une parabole sur les complications claustrophobes et de distorsion de la réalité de la famille patriarcale co-dépendante. La volonté de critiquer et de dépasser la formation familiale traditionnelle et de célébrer les nouvelles identités et les nouveaux arrangements sociaux s’est manifestée dans la mobilisation et l’expérimentation des mouvements sociaux au cours de la décennie suivante.

Cette critique a cependant été de courte durée. Pour l’alliance des néolibéraux et de l’extrême droite qui dirige actuellement le pays, la recomposition de la famille traditionnelle est une pièce centrale.

Les raisons de l’extrême droite sont claires : la famille patriarcale est le laboratoire biopolitique de base de la nation, renforçant les tâches reproductives des femmes, contrôlant les aspirations et les comportements de ses membres, imposant le genre et l’orientation sexuelle  » corrects « , la langue et la religion uniques.

Pour les néolibéraux, les raisons sont un peu plus profondes : malgré l’accent discursif mis par le néolibéralisme sur l’individu rationnel qui s’est fait tout seul, la famille reste la structure chargée de faciliter ses projets de privatisation et d’éradication de toutes les prestations sociales. En plus du travail  non rémunéré, la famille, par l’investissement, l’endettement et la redistribution interne, absorbera une fois de plus les chocs de l’ajustement structurel et protégera ses membres dans la guerre totale qu’est l’économie privatisée, atténuant ainsi la crise de la reproduction sociale qui est synonyme d’expansion néolibérale. Dans la société d’individus isolés et égoïstes envisagée par le néolibéralisme, la famille traditionnelle est le filet de sécurité ultime ; son autorité sur ses membres est donc activement renforcée.

L’austérité a déjà ouvert la voie à une telle renaissance des valeurs familiales conservatrices. La baisse des revenus et les taux de chômage élevés ont condamné toute une génération de jeunes à rester économiquement dépendants de leurs parents ; ils sont souvent contraints de vivre avec eux jusqu’à une trentaine d’années. Cela renforce l’autorité morale de la famille patriarcale sur les membres dépendants de la famille.

Cependant, la renaissance des valeurs familiales traditionnelles a également nécessité un renforcement externe : tout au long des périodes de crise, les médias ont maintenu le peuple grec dans un régime constant de nationalisme, de religion et de panique morale. Des récits réactionnaires homophobes, anti-avortement ou misogynes ont fait leur chemin dans tous  les recoins de la culture de masse et des hordes de personnes influentes d’extrême droite ont promu la fable selon laquelle la culture patriarcale traditionnelle est l’objet de persécutions politiques de la part de la gauche.

Ce fut le substrat d’un processus continu de construction de  » l’ennemi intérieur  » :  toute personne qui ne contribue pas à la reproduction culturelle et physique de la nation : les mouvements sociaux, les immigrants, les anarchistes, les personnes LGBTQ, les personnes aux prises avec des maladies mentales, les toxicomanes et les Roms. A côté de la biopolitique de la cellule familiale traditionnelle, il y a la thanatopolitique – une politique de mort – de l’État et des néo-nazis. Aux meurtres très médiatisés du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas et du militant des droits des homosexuels Zak/Zackie Kostopoulos, il faut ajouter les milliers d’habitants et d’immigrants qui sont jugés indignes de vivre et à qui on refuse les droits et l’aide de base, souvent avec des conséquences fatales.

Comme dans beaucoup d’autres pays, l’austérité en Grèce n’a pas conduit à des solutions positives tournées vers l’avenir, mais à une régression conservatrice accélérée. Malgré l’apparition d’un large consensus social autour des valeurs conservatrices, la classe dirigeante sait que ce nouvel équilibre est très délicat, car la politique de dépossession de la majorité sociale par le capital local et international est loin d’être terminée. Et le prochain cycle de dépossession en Grèce se concentre sur ce qui est le plus cher aux Grecs : le logement.

INTENSIFICATION DE LA DÉPOSSESSION DU LOGEMENT…

L’effet net des politiques d’austérité en Grèce a été une vaste redistribution des richesses vers le haut. Selon les données de l’ONU, entre 2007 et 2017, malgré des taux de croissance du PIB essentiellement négatifs, le 1 % de la population ayant les revenus les plus élevés a vu ses revenus augmenter de 6 %, tandis que les 40 % ayant les revenus les plus faibles ont perdu 44 %.

En raison de la baisse des revenus, ainsi que des pratiques de prêt  inconsidérées des banques en temps de pré-crise, les Grecs ont commencé à ne plus pouvoir effectuer des paiements. Les prêts hypothécaires non performants ont explosé, passant de 5 % de tous les prêts hypothécaires en 2008 à 45 % en 2019. La tragédie sociale a été évitée grâce au cadre juridique de protection de la résidence principale mentionné ci-dessus, qui a permis une décote modérée, une renégociation et une subvention des prêts hypothécaires pour les propriétaires à faible revenu surendettés. Malgré cette mesure, à la fin de 2019, 350 000 prêts hypothécaires, d’une valeur de 25 milliards d’euros, étaient toujours en souffrance, ce qui compromettait la sécurité du logement pour une grande partie de la population.

Toutefois, la protection des propriétaires n’était pas la seule motivation derrière le cadre de protection de la résidence principale ; cet arrangement a également servi à protéger les intérêts du secteur bancaire. Au plus fort de la crise de la dette, les prix de l’immobilier avaient chuté et la liquidation des actifs hypothéqués aurait donc été très dommageable. Les banques ont dû gagner du temps jusqu’à ce que les prix de l’immobilier remontent. Et cette condition a été remplie en 2018, lorsque, malgré la faible demande intérieure, les prix ont été poussés à la hausse par les pressions croissantes sur le marché immobilier : le déploiement des Real Estate Investment Trusts à la suite d’importantes réductions d’impôts, un programme de  » Visa d’or  » offrant une résidence aux citoyens non européens qui investissent plus de 250 000 € dans l’immobilier, et, surtout, une forte augmentation des locations à court terme, notamment par le biais d’Airbnb.

Avec la remontée rapide des prix, les banques ont travaillé dur pour accélérer les saisies et les ventes aux enchères de logements hypothéqués, ainsi que pour vendre des  » paquets  » d’actifs déjà saisis à des fonds étrangers. Sous la pression des  » partenaires  » internationaux de la Grèce, le gouvernement abolit le premier cadre de protection des résidences en mai. Jusqu’à 200.000 maisons sont menacées de saisie au cours de l’année prochaine.

Cela représente une intensification de la tendance à la dépossession de logements qui a déjà changé le visage des villes grecques au cours des dernières années. Koukaki, le quartier de Dimitris Indares, est un exemple de cette tendance. En l’absence de protection des locataires, Koukaki a vu de nombreux locataires jetés dehors, leurs maisons achetées par des investisseurs étrangers ou locaux et transformées en appartements touristiques. Les loyers exorbitants – souvent supérieurs au salaire moyen – chassent les habitants du quartier, aspirant ainsi la vie d’un quartier autrefois animé, désormais de plus en plus orienté vers le service aux touristes à la recherche de  » l’expérience athénienne authentique « .

Lors d’une manifestation anti-Airbnb en juillet 2019, des voisins pacifiques ont été confrontés à des violences policières non justifiées. L’expulsion de trois squats au petit matin du 18 décembre à l’aide de balles en caoutchouc – l’opération qui s’est terminée par le raid au domicile d’Indares – a fait partie intégrante de l’effort du gouvernement pour réprimer toute résistance au violent développement touristique. D’autres quartiers, tels que le centre du mouvement social Exarchia, ont des histoires similaires à raconter.

…ET LE RENFLOUEMENT DES BANQUES, ENCORE

En décembre dernier, le Parlement a approuvé le plan « Hercule » de vente de 30 milliards d’euros de prêts non performants à des fonds, l’État se portant garant. Les prêts seront vendus à une fraction du prix nominal, et les fonds auront toute latitude pour en exiger le remboursement intégral, ce qui entraînera des saisies et des ventes aux enchères de biens immobiliers en garantie, y compris des propriétés commerciales et résidentielles.

Le symbolisme du nom est clair : comme le mythique Hercule a détourné deux rivières pour nettoyer les écuries  d’Augeas de tonnes de fumier, de même le gouvernement détourne jusqu’à 12 milliards d’euros de ses réserves pour garantir ces  prêts toxiques et nettoyer les comptes des banques. Ce n’est pas simplement « l’argent du contribuable » : c’est l’argent du sang extrait du peuple grec par des mesures d’extrême austérité.

Le paradoxe est que, alors que la loi interdit aux banques d’offrir de généreuses  et des renégociations aux débiteurs, elles sont maintenant autorisées à vendre les créances douteuses même à 7 ou 10 pour cent de la valeur nominale pour les sortir de leurs livres, et l’État utilise ses réserves pour garantir ce transfert de richesse à taux réduit vers des fonds étrangers spécialisés dans les « actifs en difficulté ». Le plan « Hercule » constitue donc une recapitalisation indirecte des banques grecques, la quatrième depuis le début de la crise, toujours avec l’argent du contribuable.

Ce plan – avec l’abolition imminente de la protection de la résidence principale, la grande vague de saisies immobilières qui est déjà en cours, et la vente  de  » paquets  » de biens immobiliers déjà saisis par les banques à des fonds – constitue une opération bien orchestrée de dépossession de logements en Grèce. Des milliers de familles sont menacées d’expulsion, leurs maisons étant finalement détenues par des sociétés étrangères à des prix bien inférieurs à leur valeur marchande.

Alors que les acteurs immobiliers se préparent à attaquer, le modèle de logement grec – caractérisé par une petite propriété généralisée et un pourcentage élevé d’occupation par les propriétaires – va commencer à vaciller. Cela ne manquera pas de générer des souffrances humaines, car le contexte est celui d’une montée en flèche des prix des loyers et d’une absence totale de politiques de logement efficaces pour absorber le choc.

Partout dans le monde, là où le néolibéralisme s’installe, les solidarités sociales s’effondrent, les inégalités s’intensifient et les gouvernements déploient une force de police militarisée, brutale et sans obligation de rendre des comptes pour contenir le mécontentement populaire. L’année 2019 a été riche en exemples de ce genre, du Chili et de l’Équateur au Liban et à la France. Dans le contexte grec, l’attaque permanente du gouvernement contre le mouvement des squats a une double fonction : d’une part, elle vise à neutraliser  » l’ennemi intérieur  » et à éliminer l’un des rares bastions  de critique et de résistance à la dépossession, à l’embourgeoisement et à la  » rénovation urbaine « . D’autre part, ils essaient  les tactiques répressives qu’ils vont employer dans la vague imminente de saisies de logements, testant les réflexes de la société à la violence extrême et arbitraire, et envoyant un message positif aux  » investisseurs  » potentiels qu’aucun effort ne sera épargné pour protéger leur  » investissement « .

Paradoxalement, si la tendance actuelle à la dépossession des logements se poursuit, Dimitris Indares et de nombreux citoyens pacifiques comme lui vont se rendre compte que, malgré leurs désirs et leurs aspirations, leur sort est davantage lié à celui des squatters d’à côté qu’à celui du gouvernement grec et des organisations financières internationales qu’il sert.

Theodoros Karyotis

Theodoros Karyotis est un sociologue, traducteur et activiste qui participe à des mouvements de base. Il mène actuellement des recherches sur la propriété et le logement à Thessalonique, en Grèce.

Source https://popularresistance.org/repression-eviction-and-dispossession-in-new-democracys-greece/

Grèce : faire reculer Mitsotakis et l’extrême droite

La droite grecque, qui a toujours martelé que le gouvernement de Syriza ne pouvait être qu’une parenthèse, a donc repris les rênes du pouvoir en juillet sans pouvoir cacher sa joie profonde d’infliger à la gauche une défaite profonde, et que certains petits roquets de l’aile d’extrême droite, comme le fascistoïde Georgiadis, voudraient irrémédiable. 

En s’appuyant insolemment sur ce courant de droite extrême, qui va de l’ancien fasciste « tueur à la hache » Voridis, devenu ministre du Développement agricole, au courant nationaliste de l’ancien premier ministre Samaras l’extrême libéral, Mitsotakis a immédiatement voulu prendre toutes les rênes du pouvoir, sans se préoccuper de la qualité des sbires à qui il confiait des responsabilités : résultat, un dirigeant des services secrets qui a menti sur ses diplômes, idem pour le militaire à qui il vient de confier la responsabilité de la « gestion » des réfugiéEs, un nationaliste raciste qui ne rêve que de camps de concentration… Au tourisme, il a nommé un affairiste enfariné, admirateur de la junte des colonels, belle image pour la vitrine touristique…

La liste est longue, et chaque jour la presse indépendante met à jour des vices de procédure, des mensonges éhontés, qui sont la vraie face de ce que Mitsotakis vante comme le « gouvernement des meilleurs », slogan ridicule relayé par des médias majoritairement aux ordres de la Nouvelle Démocratie et du patronat, ce dont le gouvernement a voulu les récompenser en accordant discrètement des subventions y compris à des journaux de caniveau, presse raciste et à scandale !

Et en cette fin d’année, pendant que la droite prépare un budget évidemment uniquement favorable au patronat, ce qui mobilise de plus en plus largement, ce sont avant tout les innombrables et très inquiétantes attaques contre les droits démocratiques et y compris contre la justice élémentaire… On relèvera trois exemples de ces faits sur lesquels se déroulent ces jours-ci des mobilisations qui ne demandent qu’à prendre de l’ampleur … si on sait (enfin!) s’en donner les moyens.

L’indécence d’une procureure favorable au groupe criminel Chryssi Avgi (Aube Dorée)

C’est tellement énorme que le Monde y a consacré un article : après des mois de témoignages, de preuves accumulées sur la structure pyramidale et le rôle décisif du Führer de Chryssi Avgi, la procureure, Adantia Ikonomou, vient tout simplement de demander la relaxe de sa direction, faisant porter la responsabilité du meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas sur le seul tueur Roupakias ! Sur le fond, rien d’étonnant : d’une part, le comportement de cette procureure lors de tout le procès consistait à tenter de mettre en contradiction les témoins antifascistes et à mettre en doute les preuves réelles (bon, d’accord il y avait une lame, mais on ne peut pas dire que c’était un couteau…), comme si ce groupe n’avait pas à son bilan des morts et des dizaines de blessés plus ou moins gravement. Mais ce mépris pour les victimes n’aurait sûrement pas pu déboucher sur une telle demande de relaxe si n’existait pas une tendance de fond de la droite au pouvoir de remettre en selle les nazis, certes sous des formes qui pourraient être un peu différentes, mais qui s’accorde parfaitement avec certains des discours nauséabonds de dirigeants actuels de cette vieille droite issue de la guerre civile…

Même si, bien sûr, le procès n’est pas terminé et que rien n’est joué, le danger d’une relaxe existe désormais… avec en prime le remboursement de toutes les sommes suspendues pour les anciens parlementaires de Chryssi Avgi, qui deviendrait alors immensément riche alors que ces derniers mois, elle ferme peu à peu ses locaux sous la pression des mobilisations locales et de ses difficultés financières. Des appels à mobilisation ont été lancés : samedi 21, nous étions environ 2000 au centre d’Athènes, pour un rassemblement appelé par des organisations antifascistes (Keerfa) et la gauche révolutionnaire et radicale (NAR, SEK…), mais ni par Syriza ni par le KKE. Un premier pas certes encourageant -avec des interventions battantes, comme lorsque Petros Konstantinou (Keerfa) a rappelé que le procureur qui avait « innocenté » les assassins du député de gauche Lambrakis (1963, cf le livre de Vassilikos et le film de Kosta Gavras, Z) était ensuite devenu ministre de la junte fasciste (1967- 1974). Mais le fait que ce rassemblement ait réussi l’exploit de partir ensuite en deux manifs différentes permet de mesurer les efforts que nous sommes encore trop peu à prodiguer pour l’unité d’action antifasciste la plus large, qui devient urgente !

Une police bafouant tous les droits démocratiques

On en a parlé ici dès l’été : l’un des axes principaux, voire obsessionnel, du programme de Mitsotakis, c’est une attaque assumée, violente et durable contre les droits démocratiques, droits civiques, droits des travailleurEs, libertés universitaires… À cet effet, a été nommé un Castaner grec : l’ancien Premier ministre socialiste du gouvernement pro-troïka droite-Pasok, Chrsyssoïdis, revendiquant sans pudeur le droit aux violences policières… qu’il nie d’ailleurs systématiquement, même contre les témoignages filmés qui s’accumulent. Et le slogan sécuritaire de la droite rappelle de bien sombres périodes : Loi et ordre…

De fait, entre le programme continu d’expulsions de lieux occupés (à Exarcheia, les opérations continuent, dans un quartier occupé par les uniformes verdâtres et devenant zone chloroformée, malgré quelques mobilisations peu fournies) et interventions dans des facs (comme à Asoee, fac d’éco où les étudiantEs ont d’ailleurs repoussé les flics !), la réalité quotidienne, ce sont les libertés totales accordées à la police pour contrôler qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Son grand plaisir, ces dernières semaines, c’est de mettre à nu des personnes contrôlées, de tout faire pour humilier les jeunes et les moins jeunes, et certains flics se croient tellement tout permis qu’on les entend parler avec plaisir du sentiment de vivre sous la junte… La liste de leurs exactions s’allonge de jour en jour, les deux dernières sont exemplaires : d’un côté, des policiers du poste de la place Omonia se sont amusés à torturer une handicapée, et l’affaire commence à faire tant de bruit que les tortionnaires en uniforme auraient été arrêtés. De l’autre, une opération d’expulsion dans le quartier de Koukaki a fait ouvrir les yeux plus largement sur ces opérations de type militaire : pour atteindre la maison occupée, les commandos sont tout simplement passés par la maison voisine, déshabillant et frappant le propriétaire qui refusait qu’ils passent par sa terrasse sans autorisation judiciaire. L’affaire fait grand bruit, d’autant que la victime est un cinéaste connu… et pas de gauche !

Face à ce climat qui rapproche le gouvernement grec des Orban et des Bolsonaro, une mobilisation diverse commence à poindre : même les eurodéputés (sociaux-démocrates, verts, eurogroupe de la gauche) ont écrit à Mitsotakis pour dénoncer des faits qui dépassent les seuls droits des victimes et remettent en cause le sens même de l’état de droit. Ça ne mange pas de pain, mais il est urgent que sur le plan international, l’image voulue d’un gouvernement de « centre droit » soit remise en cause pour montrer la dérive d’extrême droite déroulée par ce gouvernement, et le mouvement ouvrier international a un rôle crucial à jouer. Sur place, face à un ministre des flics (officiellement, ministre « de la protection du Citoyen » !…) imperturbable, la mobilisation commence à s’organiser, mais là encore, elle est largement insuffisante : récemment, une réunion unitaire n’a regroupé que la seule gauche radicale et révolutionnaire, le KKE et Syriza brillant par leur absence… Pourtant, on peut penser qu’une campagne unitaire doit désormais se lancer avec un objectif précis : face à tous les faits indignes couverts par Chryssoïdis, l’exigence de sa démission est une demande minimum, et on peut penser que gagner une telle bataille serait un facteur d’affaiblissement sérieux de la droite au pouvoir, tant celle-ci se base sur la répression des droits : son objectif désormais, c’est non seulement la limitation des manifs, mais carrément la restriction du droit de grève.

Métro de Thessalonique : contre les projets destructeurs des talibans de Koulis !

Une fois n’est pas coutume : la bataille pour les droits passe aussi aujourd’hui par la défense d’un site archéologique qui risque d’être détruit de par la volonté d’une droite soucieuse des seuls profits. En effet, à l’occasion de la construction d’une ligne de métro à Thessalonique, ville qui n’a jamais cessé d’être un grand pôle vivant depuis sa fondation au IVe siècle avant J.-C., ont été découverts de très importants vestiges byzantins, découverte saluée par la communauté archéologique internationale : les archéologues, l’ancien maire de la ville et la société de construction du métro s’étaient alors mis d’accord pour prendre le temps nécessaire pour consolider le site et bâtir la station de métro autour de ces vestiges, comme cela a pu être fait à d’autres occasions à Athènes, ce qui fait d’ailleurs de certaine stations athéniennes des musées vivants ! Face à eux, une alliance d’intérêts réactionnaires et économiques étaient pour décoller les vestiges et aller les exposer dans un musée militaire ! Or, lors de son discours de rentrée à la foire internationale de Thessalonique, le Premier ministre Mitsotakis, connu sous le surnom de Koulis, et dont l’ouverture culturelle n’est certes pas la qualité la plus connue, annonçait sans que les instances archéologiques en aient été informées que les vestiges seraient décollés et « replacés » une fois que la station serait prête !

Stupeur de la communauté scientifique devant la perspective d’un tel massacre, contraire à toutes les recommandation scientifiques. Les raisons : un gain de temps de trois ans, donc de très substantielles économies. Mais aussi, sans aucun doute, tout le petit esprit revanchard de cette droite sans envergure, qui voudrait ainsi venger l’humiliation faite à son ancien chef Samaras quand ce dernier avait voulu faire croire, dans le cadre de sa politique nationaliste, qu’on avait découvert en Macédoine (grecque, bien sûr !) le tombeau d’Alexandre le Grand ! Et on a vu ces dernières semaines la direction du ministère de la culture mener une véritable politique visant à terroriser les membres du Conseil archéologique central (KAS) … qui a fini par voter pour cette solution digne des talibans décapitant les statues !

Face à cette mesure, reflet d’une conception culturelle qui voit les découvertes archéologiques comme l’occasion d’ouvrir un Disneyland, de nombreux habitantEs de Thessalonique, de nombreuses associations de défense de l’environnement naturel et historique, le Syndicat national des Archéologues, de nombreux scientifiques du monde entier se sont mobilisés et se mobilisent pour faire revenir le gouvernement sur cette décision catastrophique. Dans le contexte actuel, cette bataille ne doit surtout pas être considérée comme secondaire ou « pittoresque » : ses enjeux culturels et politiques sont au premier plan, et un soutien international est là aussi indispensable !

On le voit : si l’année 2019 se finit sans que le mouvement ouvrier, sonné par la politique du gouvernement Syriza puis assommé par la victoire de la droite, ait pu encore se relancer dans de grandes mobilisations, les actuelles batailles pour le respect des droits démocratiques élémentaires, les droits des travailleurs et travailleuses, le respect de l’environnement naturel (batailles aussi contre l’installation de parcs géants d’éoliennes sur des montagnes…) et historique peuvent et doivent contribuer à redonner confiance dans les luttes de masse, seul moyen pour commencer à faire reculer la droite talibane grecque !

À Athènes, A. Sartzekis

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-faire-reculer-mitsotakis-et-lextreme-droite

Condamnation de trois opposants aux mines d’or en Grèce

Condamnation de trois opposants aux mines d’or en Grèce – APPEL A DONS

photo : antigoldgr.org

Le jeudi 26 novembre 2019, trois membres du mouvement SOS Chalcidique ont été jugés coupables par le tribunal de Thessalonique, pour avoir participé à un sit-in contre le projet de mine d’or à ciel ouvert de Skouries (dans le nord de la Grèce).

L’un d’eux a été condamné à une peine de 8 mois de prison avec sursis et les deux autres à 6 mois. De plus, chacun devra payer une amende de 600 euros, l’équivalent de leur salaire mensuel. Ils n’ont évidemment pas les moyens de rembourser les frais de justice !
Les trois opposants s’ajoutent à la longue liste des victimes de la répression qui s’abat sur tous ceux qui osent résister à la machine extractiviste. Depuis le début de la lutte contre l’entreprise Eldorado Gold Corporation et son projet mortifère, 500 personnes ont été inculpées pour des motifs semblables.

Vous pouvez soutenir la lutte contre l’extraction minière en Grèce en faisant un don sur le compte de l’association Stopmines23 – n° IBAN : FR43 2004 1010 0610 0018 9N02 768 – ou envoyer vos dons à l’adresse suivante : Stopmines23 – Sugeres Le terrier – 23600 Boussac Bourg. Ces dons permettront de couvrir une partie des frais de justices des trois militants récemment condamnés. Pour tout renseignement écrivez à : niki_velis@yahoo.gr ou contact@stopmines23.fr

Stop à la répression !
Vive la solidarité internationale contre l’extractivisme et son monde !

Pour en savoir plus sur la lutte contre la mine de Skouries :

Bande annonce du documentaire « Nous ne vendrons pas notre avenir », de Niki Velissaropoulou, qui a filmé pendant 5 ans la lutte des habitants de la région et particulièrement la jeunesse contre ce projet minier :    https://vimeo.com/171297546

Grèce : colère étudiante au bord de l’explosion

Chaque année, la commémoration du massacre étudiant de l’université Polytechnique d’Athènes, où les militaires de la junte militaire fasciste (1967 – 73) massacrèrent plusieurs dizaines d’étudiantEs (le nombre exact n’est toujours pas établi) donne lieu à des mobilisations importantes de la jeunesse scolarisée, autour des mots d’ordre toujours d’actualité : « éducation, pain, liberté ». Les jours qui précèdent la manif du 17 novembre donnent lieu à des meetings, des fêtes de solidarité, des manifs de toute sorte, dans un contexte de résistance anti-impérialiste et de défense des droits démocratiques.

Pluies d’attaques antisociales

Cette année, les mobilisations étudiantes ont commencé très tôt. Dès son arrivée au pouvoir début juillet, la droite du rejeton de la vieille famille Mitsotakis a annoncé la couleur : économies sur l’éducation publique, feu vert au privé, le tout sur fond de campagne hystérique de répression des droits, contre les réfugiéEs, contre les travailleurEs, contre la gauche en général, et cela en s’appuyant sur son aile fascisante (cadres de la droite provenant d’anciens groupuscules fascistes) et sur les médias quasi entièrement aux ordres, la 1ère chaine française TF 1 apparaissant presque de gauche face aux chaînes grecques !

Dans le secteur éducatif, la nomination d’une bigote fondamentaliste comme ministre, Niki Kerameos, a été suivie de mesures toutes plus antisociales et anti-démocratiques les unes que les autres : fermeture de la fac de droit de Patras, ouverte par le gouvernement Syriza, et de 37 autres sections universitaires, limitation du droit aux études (viré après deux échecs), projet de casser le monopole public de l’université (pour l’instant, les boites privées du supérieur, hyper chères, sont en lien avec des facs étrangères qui les patronnent… et en tirent des revenus), nomination récente comme président de l’Institut de politique éducative d’un provocateur réactionnaire… Et pour faire passer ces attaques sociales de premier plan, la droite a voté cet été une mesure répressive très inquiétante, qui pour beaucoup montre clairement le lien entre cette droite « orbanisée » et la junte militaire des années 1967-73 : la suppression de l’asile universitaire, bien sûr entourée de tout un fatras d’élucubrations accusatrices sur les refuges terroristes dans les facs, les terroristes étant, en vrac, les anars, l’extrême gauche et Syriza!

Mobilisations étudiantes

Le mouvement étudiant ne s’est pas trompé sur la gravité de cette mesure et ses conséquences non dites sur le droit aux études : dès fin juillet, une première manif voyait défiler 5000 étudiantEs à Athènes. Et depuis la rentrée, de nombreuses mobilisations ont eu lieu sur cette question, avec ces dernières semaines de belles manifs et une mobilisation croissante avec comme perspective le 46e anniversaire de Polytechnique, dont beaucoup ont compris le fort enjeu cette année. Du coup, les instances universitaires se mettent au garde-à-vous : conférence des présidents d’université dénonçant les « épisodes » de violence… étudiante et, surtout, décision inouïe de la direction d’ASOEE, fac d’économie d’Athènes, de fermer la fac dans la semaine du 17 novembre, empêchant sa communauté universitaire d’organiser ce qui est un moment important de la vie universitaire et de la politisation. Les étudiantEs de cette fac et d’autres ont organisé une riposte à ce lock-out, entrant dans leur fac pour faire valoir leurs droits. Résultat : une violente intervention policière contre les étudiantEs mais aussi contre des passantEs, des journalistes (tenus à l’écart…), Mitsotakis montrant ainsi à tous ceux et toutes celles qui en doutaient son vrai visage.

« La loi et l’ordre »

Car le slogan de la période pour le pouvoir, c’est « la loi et l’ordre », ce qui n’est pas sans rappeler en Grèce des slogans d’époques bien sombres. Cela s’illustre évidemment par les expulsions des immeubles occupés, notamment dans le quartier d’Exarcheia sinistrement quadrillé par les MAT (CRS), et qui continuent sans que s’y oppose une protestation suffisamment massive. Cela se vérifie aussi avec les droits que s’octroie une police dont on sait à quel point elle est gangrenée par les idées nazies de Chryssi Avgi (Aube dorée) : arrestations  arbitraires, passages à tabac, humiliations diverses, menaces, et déclarations provocatrices de flics se réjouissant que l’esprit de la junte soit revenu…

Alors, bien sûr, tant de provocations et d’impunité font penser à certains que le gouvernement tente d’ouvrir un autre front pour faire oublier le scandale financier dans lequel sont salement englués certains de ses membres, dont le ministre d’extrême droite Georgiadis. Que cet aspect existe, c’est possible. Mais il est évident que sur le fond, ce gouvernement revanchard et sans grande expérience n’a qu’un but : le libéralisme intégral, à la Pinochet comme on le dit ici, et notamment dans le domaine éducatif, avec comme projet de restreindre très fortement le droit aux études.

Ces attaques, le mouvement étudiant les refuse de plus en plus fort ces derniers jours : le jeudi 14 novembre, une très grosse manif a eu lieu dans le centre d’Athènes, et de nombreuses facs sont occupées dans le pays, en vue d’un 17 novembre auquel la jeunesse compte bien donner un caractère bien plus massif que les années précédentes. Toutes raisons pour lesquelles le lien avec le mouvement ouvrier sera décisif… ainsi que la solidarité internationale, notamment contre la répression!

A. Sartzekis

PS (18 novembre) : La commémoration de l’École Polytechnique, le 17 novembre, a été plutôt une bonne et encourageante surprise : des dizaines de milliers de manifestantEs (la police parle de 20 000…), avec des cortèges combattifs. La présence des étudiantEs et de la jeunesse plus largement confirme qu’une reconstruction de la résistance face aux attaques brutales de la droite se prépare…

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-colere-etudiante-au-bord-de-lexplosion

Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce !

Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce ! par ·

Nouveau point sur la situation en Grèce, où ça chauffe également. Faites passer.

Depuis son arrivée au pouvoir, début juillet, le nouveau premier ministre grec faisait une fixation sur Exarcheia qu’il voulait « nettoyer » au plus vite. Dans sa ligne de mire : migrants, anarchistes et autres révolutionnaires, et leurs locaux pour la plupart squattés. Mais devant la résistance du quartier (qui s’organise de plus en plus au fil des mois, après un été laborieux) et sa volonté d’essaimer un peu partout pour ne pas se laisser nasser, c’est maintenant dans toute la Grèce que le gouvernement a décidé de frapper.

En parallèle du mouvement dans l’hexagone

Ce jeudi 5 décembre, pendant que la grève générale commencera en France (observée avec un grand intérêt depuis la Grèce), un autre événement important se produira simultanément à l’autre bout de l’Europe. En effet, ce 5 décembre sera aussi le terme d’un ultimatum de 15 jours lancé le 20 novembre dernier par le gouvernement grec contre tous les squats du pays. La Grèce, laboratoire du durcissement du capitalisme en Europe, devient désormais celui d’un contrôle social qui se veut total. Finies les zones d’autonomies, quelle que soit leur dimension et leur emplacement géographique. À partir de la semaine prochaine, la tolérance zéro sera appliquée contre tous les squats du pays, au nombre de 90 dont la moitié à Athènes et 7 à Thessalonique.

L’État attendra probablement quelques jours pour lancer la dernière phase de son plan d’évacuation des squats qui devrait durer jusqu’à Noël. Dans toute la Grèce, sans doute du 9 au 23 décembre, une véritable armada policière va tenter d’en finir avec les derniers lieux occupés et autogérés d’Exarcheia et dans les autres régions du pays.

Un mois de décembre décisif

Pourquoi attendre un peu, alors que l’ultimatum prend fin le 5 ? Parce que le pouvoir veut d’abord prendre le pouls de la mobilisation de demain dans toute la Grèce. La manifestation principale partira, à la tombée de la nuit, des Propylées sur la rue Panepistemiou à Athènes (à ne pas confondre avec les Propylées de l’Acropole si vous êtes sur place). Elle sera sans doute très nombreuse et particulièrement déterminée, avec pour slogans : « No pasaran ! », « Ne touchez pas aux squats ! », « La passion de la liberté est plus forte que toutes les chaînes ! » ou encore « 10, 100, 1000 squats ! ». On parle déjà d’une mobilisation historique, notamment en raison des soutiens qui se multiplient, mais c’est à confirmer jeudi. Le lendemain, vendredi 6 décembre, sera également une grande journée de mobilisation en Grèce, mais cette fois habituelle, puisque ce sera le onzième anniversaire de l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos par un policier, le 6 décembre 2008 dans une ruelle d’Exarcheia. Cette seconde manif d’affilée visera donc la répression policière qui ne cesse de s’amplifier en Grèce depuis le retour de la droite au pouvoir.

Dans la préparation de la phase actuelle, période décisive durant laquelle beaucoup de choses vont se jouer, le 17 novembre dernier a été un jour déterminant. Ce jour-là, la torture est apparue au grand jour dans les rues du centre d’Athènes, au point laisser des flaques de sang autour de la place centrale d’Exarcheia dans les cris et les appels au secours. Depuis, ces images et ces sons ont fait le tour de la Grèce et parfois au-delà. Le masque du régime est tombé. Si certains membres du gouvernement sont des transfuges de l’extrême-droite (principalement du LAOS, parti réactionnaire, nationaliste et raciste), le gouvernement tout entier porte désormais la marque d’une droite extrême qui ne s’embarrasse plus de démentis ni de discours sirupeux. Les propos sur les migrants n’ont plus grand chose à envier à Aube Dorée et la haine des anarchistes et des gauchistes se montre au grand jour à coup de phrases qui rappellent les heures sombres du passé.

La droite fait capoter la séparation entre l’Église et l’État

Ce lundi 25 novembre, le nouveau parlement majoritairement de droite a rejeté le projet de séparation entre l’Église et l’État (loi sur la « neutralité religieuse de l’État »). Pourtant, le projet garantissait la reconnaissance de l’Église orthodoxe comme « religion dominante », mais ce n’était pas assez. Par contre, le délit de blasphème (supprimé par Tsipras l’année passée) n’a pas été rétabli, malgré la volonté de Mitsotakis. Les peines pouvaient aller jusqu’à deux ans de prison ! Pour l’instant, le nouveau gouvernement grec a préféré renoncer, mais va peut-être passer à l’acte l’année prochaine.

Si les derniers sondages ont vu disparaître totalement le parti Aube Dorée, qui n’est même plus quantifié (mélangé à une dizaine d’autres « micro partis » dans un total de « 1% : autres partis »), ce n’est pas un hasard : la promesse de Mitsotakis d’en finir avec les antifascistes et les migrants d’Exarcheia (évacuations des squats vers des camps fermés, amplification des expulsions vers la Turquie, répression des activistes) ont ravi une grosse partie des anciens électeurs du parti néonazi. Mitsotakis soigne son extrême-droite pour consolider son pouvoir et manier d’une main de maître sa police contre l’ennemi intérieur : « l’anti-Grèce », les « immigrés voleurs du travail des Grecs », les ouvriers engagés dans une riposte internationaliste « qui parlent de classes sociales au lieu de voir l’intérêt supérieur du pays », les chômeurs récemment qualifiés de « parasites » par un ministre (durant un copieux banquet), les révolutionnaires « ennemis de la démocratie » dont on prépare déjà les cellules en prison, le code pénal étant en cours de modification pour les punir plus sévèrement et réduire leur liberté d’expression.

Une dérive fasciste des démocraties libérales

Ce qui se passe en Grèce n’est rien d’autre que l’une des nombreuses formes de la dérive fasciste des démocraties libérales dans le monde. Car il n’est nul besoin que l’extrême-droite labellisée arrive au pouvoir : ses idées sont déjà là en grande partie, en Grèce comme en France, et cela se vérifie dans le traitement toujours plus violent dont font l’objet les opposants politiques, ainsi que les pauvres et les migrants. Passer à la tolérance zéro contre tous les squats de Grèce, au moyen d’une évacuation générale à grand renfort de communication, est une démonstration de force pour nous dissuader de résister et nous pousser à la résignation, entre colère et désespoir. Durcir la loi pour les utilisateurs de cocktails Molotov (de 5 à 10 ans de prison ferme) et classer parmi les organisations terroristes un collectif qui n’a causé que des dégâts matériels pour enrayer la violence dramatique des choix politiques du pouvoir (modification de l’article 187A du code pénal qui vise principalement Rouvikonas), c’est tenter également de faire taire toute rébellion.

Et ça continue ! Ces jours-ci, un nouveau projet de loi vise à limiter le droit de manifester et à interdire plus facilement les rassemblements (modification du décret législatif 794/1971 sur les réunions publiques, annoncé par Mitsotakis au dernier congrès de son parti, au prétexte d’empêcher les manifestations qui bloquent souvent le centre-ville d’Athènes). Pendant ce temps, les migrants sont déplacés des camps de Lesbos et Samos vers des îles désertes, loin des regards. Cela ne nous dit rien de bon non plus : il y a 50 ans, c’est sur l’île déserte de Makronissos, à l’ouest de mer Égée, tout près de l’Attique, qu’étaient concentrés les opposants politiques durant la dictature des Colonels, dans des conditions de vie déplorables provoquant fréquemment des morts.

Le vent de la révolte se lève

Mais alors, pourquoi le pouvoir devient-il de plus en plus autoritaire, en Grèce comme ailleurs ? Parce qu’en premier lieu, le capitalisme lui aussi ne cesse de se durcir : il creuse toujours plus les inégalités et saccage le bien commun au point d’anéantir la vie, jour après jour, mois après mois, provoquant en toute logique de nombreuses réactions d’un bout à l’autre du monde, même si elles sont très diverses. De Santiago du Chili à Hong-Kong et de Beyrouth à Djakarta, le vent de la révolte se lève, la colère gronde et des opprimés se soulèvent. À Athènes comme à Paris, le pouvoir s’en inquiète et renforce son arsenal contre sa propre population (LBD en France, voltigeurs en Grèce, recrutement et primes pour les policiers partout, arsenal juridique renforcé…). En dépit des apparences qu’il veut se donner, le pouvoir a peur, très peur. Tant le pouvoir politique que le pouvoir économique qui le détermine grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion. Le pouvoir est inquiet pour ses propres intérêts et sa position dominante dans une société fondée sur des chimères et un monde qui commence déjà à donner des signes d’effondrement. À l’allure où va le capitalisme, le temps de la vie sur Terre est compté. Il est donc logique qu’il en soit de même pour ses dirigeants. Des dirigeants qui tentent par tous les moyens de garder le cap vers le néant. Des dirigeants qui veut profiter jusqu’au bout de leur position et de leurs avantages, feignant de changer, multipliant les promesses, mettant en scène l’illusion de grandes décisions, repeignant en vert les usines opaques et le commerce insatiable, tout en ajoutant quelques mots de plus à la langue de bois.

Prendre nos vies en mains

En réalité, dans les temps à venir, le pouvoir sera d’autant plus violent que le monde se décomposera dans cette voie sans issue. Les guerres du pétrole, du gaz, du lithium ont déjà commencé sous nos yeux, dans un jeu morbide de chaises musicales, pour se partager les dernières parts d’un gâteau empoisonné. Seul un double changement, de système politique et de système économique, pourra stopper cela. Sortir du capitalisme et de la société autoritaire va de pair, puisque l’exploitation est directement la conséquence de la domination, sans laquelle il n’y a pas d’exploitation possible. D’un bout à l’autre du monde, dans l’ultime danse des fantômes sur les écrans, tels les ombres du mythe de la caverne, beaucoup d’esclaves modernes ont bien compris que le seul objectif désormais est de prendre nos vies en mains. Non plus seulement pour choisir nos vies, mais aussi pour les sauver. La trajectoire mortifère du capitalisme est indissociable de celle du pouvoir qui l’organise. Un pouvoir qui vise actuellement le contrôle total de nos vies, non seulement pour maximiser ses profits, mais aussi pour surveiller tout ce qui peut menacer son édifice.

« Parler de révolution, c’est faire l’apologie du terrorisme »

En Grèce comme en France, le mot « sécurité » est sur toutes les lèvres. Le gouvernement a baptisé son opération « Loi et ordre » contre toutes les formes de résistance et tous les lieux qu’elles occupent. Jour après jour, morceau par morceau, la parole révolutionnaire va devenir hors-la-loi et la seule expression acceptable reviendra à passer sous les fourches caudines du filtre parlementaire. « Vous voulez changer la société ? Vous n’avez qu’à voter, un point c’est tout » a répondu l’un des ministres concernés, aussitôt soutenu par deux journalistes aux ordres qui buvaient ses paroles en prime-time. « Parler de révolution [sociale], c’est faire l’apologie de la violence, l’apologie du terrorisme. En démocratie, il y a des moyens à la disposition de tous pour faire évoluer la société. Il faut les utiliser ou bien se taire ! » La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante. Une classe frappée par des scandales à répétition. Une classe dont l’un des porte-parole, Christos Staikouras, ministre des finances de Mitsotakis, a osé déclarer que « vivre avec 500 euros par mois en Grèce, c’est faire partie de la classe moyenne » (jeudi 27 novembre à la tribune du parlement, durant la présentation du budget 2020).

Si le gouvernement grec s’est braqué aussi brutalement le 20 novembre dernier, en posant son ultimatum contre tous les squats du pays, c’est également parce que la mobilisation commence à l’inquiéter et qu’il veut « en finir au plus vite ». Une mobilisation sous diverses formes, dans un contexte mondial agité. Non seulement la manifestation du 17 novembre (date anniversaire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973) a été la plus nombreuse de ces dernières années, mais d’autres types d’actions montent actuellement en puissance et c’est précisément ce que veut endiguer le pouvoir. Parmi celles-ci, il y a évidemment le cas de Rouvikonas, l’un des principaux sujets évoqués par l’entourage de Mitsotakis.

La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante.

Rouvikonas se renforce

Les 2 et 3 novembre dernier, lors de ses « deux journées d’ouverture » au théâtre autogéré Embros (centre d’Athènes), le groupe Rouvikonas s’est considérablement renforcé. Non seulement, en quantité, c’est-à-dire en nombre de membres, mais aussi et surtout dans le secret des appartenances rendant encore plus difficile la tâche des services de renseignements de surveiller et d’anticiper les actions menées par le groupe presque quotidiennement. La conséquence a été immédiate. Dès le 17 novembre, pendant les rassemblements et manifestations, Rouvikonas a battu tous les records en frappant à 5 endroits de la capitale simultanément. Deux de ces attaques visaient des firmes s’appropriant le bien commun (alors que le gouvernement accélère la privatisation du gaz et de l’électricité), deux autres visaient des patrons maltraitant leurs ouvriers (une mairie et une usine en banlieue d’Athènes, où les accidents de travail se multiplient) et la cinquième attaque visait le domicile du ministre de l’économie en personne. Tout ça dans la même journée. La réaction du premier ministre n’a pas tardé, fulminant et vengeur, mais sans rien annoncer jusque-là.

Tsipras énerve Mitsotakis

Pour ne rien arranger, Tsipras, désormais dans l’opposition parlementaire et visiblement candidat à la succession de Mitsotakis, en a profité pour se moquer du gouvernement, suite aux 5 actions de Rouvikonas le 17 novembre. C’est précisément le 19 novembre, sur la chaîne Open News, rapidement relayée par d’autres, qu’il a évoqué Mitsotakis en ces termes : « Tiens donc ? Rouvikonas existe encore ? N’avait-il pas dit qu’en moins d’une semaine après les élections tous les membres de Rouvikonas seraient tous en prison ? N’avait-il pas annoncé qu’il les arrêterait ? » Ce tacle médiatique a aussitôt circulé, même parmi ceux qui ne veulent plus entendre parler de Tsipras, tant le ridicule était grand pour Mitsotakis.

Dès le lendemain, mercredi 20 novembre, la nouvelle tombait : le gouvernement Mitsotakis annonçait un ultimatum contre tous les squats de Grèce et non plus seulement ceux d’Exarcheia et l’un de ses porte-parole promettait que le K*Vox, base du groupe Rouvikonas, serait parmi les premiers lieux évacués.

Squats toujours !

Côté squats, la réaction a été immédiate. Partout en Grèce les mobilisations se sont multipliées. En Crète par exemple, pendant qu’Evaggelismo(1), le plus grand squat d’Heraklion, menait plusieurs actions dans la préfecture, un autre squat historique basé à Chania sous le nom de Rosa Nera occupait, avec des banderoles, le plateau de la principale chaîne de télévision de l’île, le 21 novembre à l’heure du JT. Dans le nord de la Grèce également, les actions n’ont pas manqué, de Thessalonique à Alexandroupoli (à la frontière de la Turquie).

À Exarcheia, les 16 squats qui subsistent (après une douzaine d’évacuations) n’ont pas du tout stoppé leurs activités, bien au contraire : projections de films (Notara 26), concerts (K*Vox), rencontres-débats, animations pour les enfants (Lelas Karagianni 37, l’un des plus vieux squats d’Exarcheia ouvert en 1988), formation aux premiers secours en cas d’attaque chimique (ce soir, par la structure autogérée de santé d’Exarcheia), ainsi que des rassemblements et d’autres initiatives qui ne peuvent pas s’écrire ici. Non, les squats ne se laissent pas impressionner par la promesse du pouvoir de les anéantir dans quelques jours. Ils cultivent aussi leur mémoire. À Notara 26 par exemple, les résidents et solidaires sont en train de consigner leurs souvenirs. Si vous comprenez l’anglais, je vous conseille cette lecture(2)(3).

D’où viennent les squats d’Exarcheia ?

Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut également savoir qu’en Grèce, malgré l’importance du réseau de squats en proportion du nombre d’habitants, il n’existe pas de cadre législatif qui garantisse les droits d’occupation, contrairement aux principaux pays d’Europe occidentale. Depuis l’ouverture du premier squat dans le pays, déjà à Exarcheia, (en octobre 1981 au numéro 42 de la rue Valtetsiou), les squatters n’ont jamais accepté de négocier avec les institutions. Pourquoi ? Parce que leur but premier n’était pas de trouver un logement, mais de trouver un moyen de rompre avec le pouvoir : l’État, le Capital, la société de consommation, sans oublier le poids des traditions réactionnaires qui pesaient beaucoup dans la Grèce des années 80-90 (patriarcat, homophobie, cléricalisme…). La multiplication des squats en Grèce n’a vraiment commencé qu’à l’automne 1985, en parallèle d’un mouvement social qui s’intensifiait. L’Anarchisme était en plein essor. Le parti socialiste grec (PASOK) ne cessait de trahir ses promesses, au pouvoir depuis 4 ans. Le KKE pâtissait des révélations sur les conditions de vie à l’Est, puis de la chute du mur de Berlin. L’époque était à l’autonomie, à la quête de liberté individuelle et sociale, au projet d’une société anti-autoritaire remettant totalement en question la démocratie parlementaire (qu’on surnomme en Grèce « démocratie anglaise »). Le rock puis le punk accompagnaient ce mouvement, sans pour autant rompre avec le rébétiko. Nicolas Asimos, Dimitris Poulikakos(4) et Katerina Gogou figuraient parmi les noms des poètes et chanteurs de ces années-là, au berceau d’Exarcheia en tant que quartier rebelle, créatif et solidaire. Un quartier « anartiste », depuis lors partagé entre l’envie de se laisser vivre et la volonté farouche de lutter.

Exarcheia, futur Montmartre d’Athènes ?

Lundi soir, une manifestation du Front social d’Exarcheia, composante la plus modérée du mouvement, s’est rendue devant la mairie d’Athènes qui était en pleine réunion du conseil municipal. Accueillis par des dizaines de policiers anti-émeutes, les manifestants n’ont pas obtenu la possibilité de transmettre les motifs de leur désaccord. Le maire d’Athènes, neveu du premier ministre, a refusé de les recevoir et a demandé des renforts à la police. Principal slogan du Front social : « Exarcheia est à ses résidents et aux mouvements sociaux, pas aux flics, aux mafias de la drogue ni aux investisseurs immobiliers. » Le but actuel du pouvoir est de gentrifier le quartier, chose qui a commencé, et de le transformer en quartier chic et bobo. Une sorte de « Montmartre à Athènes » aurait dit le nouveau maire de la capitale, comparant la colline de Strefi (point culminant d’Exarcheia) à la butte rouge de Paris. Et après ? Une église orthodoxe sera-t-elle bâtie au sommet de la colline d’Exarcheia pour expier les pêchés des révolutionnaires du quartier ?

Hier matin, Démosthène Pakos, l’un des représentants du syndicat des policiers, a annoncé que « Exarcheia sera complètement détruit si les MAT (CRS) sont enfin autorisés à faire ce qu’ils ont à faire ». Visiblement, il est très impatient. Pourtant, depuis des semaines, les violences sont déjà quotidiennes dans le quartier quadrillé par les postes de surveillance en kaki et bleu marine : harcèlement, insultes, menaces, coups et même scènes de torture, comme ce fut le cas pour un camarade de Rouvikonas prénommé Lambros, trainé puis dénudé dans la rue Bouboulinas il y a deux semaines. Malgré les photos et preuves de ce qui s’est passé, Lambros a finalement décidé de ne pas porter plainte contre les policiers : « D’une part, je n’attends rien de la justice bourgeoise à laquelle je ne veux pas faire appel et, d’autre part, les premiers responsables ne sont pas les flics qui m’ont frappé, mais le pouvoir qui les dresse à nous attaquer ainsi que la classe dominante qui nous maintient dans cette situation. Ceux sont eux mes premiers ennemis, pas les brutes minables qui travaillent pour eux. »

Une période très difficile

En ce mois de décembre périlleux, le groupe Rouvikonas va, en plus, devoir faire face à beaucoup de procès. Ce jeudi : procès d’un membre pour une action dans les bureaux d’un député du parti de droite au pouvoir. Mardi 10 décembre : procès de 10 membres à Nauplie pour une action sur un péage. Mercredi 11 décembre : procès de 8 membres à Syros pour une action à Tinos suite à la mort de deux ouvriers dans des conditions de travail horribles. Mercredi 18 décembre : procès de plusieurs dizaines de membres à Athènes pour une occupation de l’ambassade d’Espagne en solidarité avec les victimes de la répression en Catalogne. Dans les semaines à venir, les peines de prison et les amendes risquent de pleuvoir. On attend avec inquiétude mais détermination les verdicts. De plus, le groupe a annoncé une riposte magistrale et rapide en cas d’évacuation du K*Vox, parlant de « casus belli » (déclaration de guerre). Un peu partout en Grèce, d’autres groupes ont également l’intention d’agir en représailles des évacuations annoncées. Ça risque de chauffer et pas à cause du feu dans la cheminée. Ce 25 décembre, le Père Noël sera probablement rouge et noir avec des cadeaux par milliers.

Parmi les collectifs solidaires qui squattent dans le quartier, la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE) n’est pas décidée à mettre la clé sous la porte, mais à continuer jusqu’au bout à soigner les personnes gratuitement, quelle que soit leur couleur de peau. Qu’importe le matériel et les stocks de médicaments qui seront saisis par la police : « ce sera une honte pour le pouvoir, s’il ose aller jusque-là ». Une fois encore, l’État ne veut pas que nous prenions nos affaires en main dans l’autogestion, excepté quand il s’agit des intérêts de grosses firmes qui profitent, par exemple, de la privatisation de la santé. Mais dans ce cas, ce n’est ni gratuit ni autogéré, et c’est pire encore pour les plus précaires. Pour en savoir plus sur la structure autogérée de santé d’Exarcheia, un camarade venu des États-Unis a créé une petite bande-dessinée pour la présenter (5).

La mémoire des murs

Ces derniers jours, les services de la voirie d’Athènes, escortés par des policiers, essaient par tous les moyens d’effacer la mémoire d’Exarcheia : ses nombreux tags et graffitis sur des kilomètres de murs. C’est une chose terrible pour nous, avec Maud, qui consignons cette mémoire du quartier depuis 11 ans(6). Au centre de la place, la bataille de la statue fait rage : la mairie ne cesse de la faire nettoyer et les militants de la taguer à nouveau (parfois avec des menaces contre le maire lui-même), au point de la peindre entièrement de rouge sang (pour symboliser les violences policières dans le quartier). Même le marbre a été changé plusieurs fois, en vain : les révoltés d’Exarcheia ne veulent pas du blanc impeccable, traditionnel et froid façon Parthénon, mais de la vie, de la couleur, du feu, de la rage.

Surveillance made in France

Autre échec, cette fois de la police : l’un des deux drones qui surveillent les rues et les terrasses au-dessus du quartier vient de connaitre un accident malencontreux ce matin . Depuis, les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, avec des comparaisons plus drôles les unes que les autres pour se moquer de l’équipement et des compétences de la police grecque.

Idem pour un véhicule banalisé qui a été repéré avec une caméra qui filmait en cachette l’un des lieux militants du quartier : elle a déguerpi très vite, avec l’appui d’une escorte casquée venue aussitôt la rejoindre, au moment décisif. Des micros ont également été retrouvé chez un camarade, ainsi que du matériel de repérage par GPS (GPS tracker) caché dans plusieurs véhicules de militants du quartier pour les suivre à la trace, mais tout de même trouvés, y compris sur des motos.

Les téléphones chauffent en ce moment. Les ordis dysfonctionnent. Les batteries se déchargent très vite. La surveillance made in France a bien été livrée.

Solidarité internationale

Alors que la lutte s’étend partout dans le monde, la solidarité n’est pas un vain mot. On parle d’Exarcheia sur les banderoles de Santiago du Chili et de Hong Kong, et inversement. Une manifestation avait lieu récemment pour soutenir nos camarades chiliens. Plusieurs actions ont eu lieu, depuis un an, pour soutenir les luttes en France depuis la Grèce, notamment à l’initiative de Rouvikonas (ambassade de France, consulat de France…).

Dans le même temps, les actions de solidarité avec Exarcheia continuent dans l’hexagone. Aujourd’hui, mes camarades grecs et migrants ont été touchés par l’annonce d’une nouvelle initiative à l’ambassade de Grèce à Paris(7). L’une des banderoles était en français et l’autre en grec. Elles disaient l’une et l’autre : « Le gouvernement fasciste grec construit des camps fermés pour les réfugiés, torture les activistes et expulse les squats. Solidarité sans frontières et boycott du tourisme en Grèce ! » Il est vrai que l’économie grecque repose beaucoup sur le tourisme. La menace du boycott en 2020 sera-t-elle suffisante pour que les dirigeants économiques et politiques grecs retiennent leurs coups ? En tout cas, nous sommes très émus de ces encouragements à « tenir bon » qui nous arrivent de partout. Et réciproquement, mes camarades vous souhaitent le meilleur pour ce 5 décembre et les jours prochains, puisque l’enjeu est de poursuivre et d’amplifier la mobilisation.

De passage en France

Pour ma part, après 8 mois presque continus en Grèce, je viens de rentrer en France pour quelques jours, avant de repartir. Je suis en pleine préparation du prochain film, notre quatrième, qui aura pour titre : « Nous n’avons pas peur des ruines ! » Si vous voulez en savoir plus et, éventuellement, nous aider à le produire, c’est ici :
http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
Un nouveau point sur le financement du film sera bientôt publié. La dernière fois, nous étions à 22% du budget nécessaire. Actuellement, nous sommes à un tiers environ.

Ma présence dans l’hexagone, avant de repartir, me donne l’occasion d’apporter directement des nouvelles de Grèce et de discuter avec vous lors de projections-débats de L’Amour et la Révolution (nouvelle version). Il y en aura deux dans les prochains jours : le 12 décembre à Aurillac dans le Cantal (centre Hélitas à 19h30), puis le 18 décembre à Martigues, près de Marseille (on vous réserve une grande surprise !).

Pendant ma brève absence, plusieurs camarades du dernier convoi se relaient à Exarcheia. C’est une véritable rotation des solidaires ! L’un d’entre eux vient de quitter Paris avec une valise en plus : remplie de lait infantile pour les bébés qui n’en n’avaient plus au Notara 26, suite à une collecte « éclair » dans Paname. De l’argent a également été transmis aux collectifs les plus en difficultés, suite à des actions, concerts et projections, d’Albi à Bruxelles et de Nantes à Strasbourg. Preuve, une fois de plus, que nous sommes capables d’autres choses que cette société égoïste, triste et mortifère.

Cette révolte qui est en nous, c’est notre amour de la vie. Une vie ensemble autrement : libres et égaux. Une vie qui est à portée de la main si nous osons aller la chercher.

Courage à toutes et tous. Tenez bon.

Yannis Youlountas

(1) « Un squat, c’est… », une vidéo du collectif d’Evaggelismo relayé par Perseus999 :
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(2) Quelques souvenirs des résidents et solidaires du squat Notara 26 :
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(3) Sur le même sujet, rappel de la présentation du squat Notara 26 dans L’Amour et la Révolution (extrait) :
(4) Dimitris Poulikakos qui intervient (et chante aussi) dans le film Je lutte donc je suis
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(5) La petite BD qui présente la structure autogérée de santé d’Exarcheia : https://jppress.xyz/adye/
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(6) Cf. nos livres, avec Maud : « Paroles de murs athéniens » (Les Éditions Libertaires, 2011) et « Exarcheia la noire » (Les Éditions Libertaires, 2014), ainsi que notre base de données (des milliers de tags, graffitis et affiches) avec lesquels nous avons également fait plusieurs expos itinérantes et des diaporamas. Comme le disait une célèbre devise : « murs blancs, peuple muet. »
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(7) Dévoilé aujourd’hui sur le site Paris Luttes Info : https://paris-luttes.info/boycott-du-tourisme-en-grece-13017
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PS : vous êtes plusieurs à m’avoir demandé si certains textes et vidéos sur la situation en Grèce sont disponibles dans une autre langue pour les diffuser. Voici ce qu’on m’a transmis ces jours-ci :
ANGLAIS (article) Greece, A call to wake up! https://tinyurl.com/uv4l9z5
(article) Exarcheia, the repression of autonomy : https://tinyurl.com/wh6aerc
ALLEMAND (article) Exarcheia, die repression gegen autonomie : https://tinyurl.com/wszg3nu
ESPAGNOL (article) Grecia, ¡plomazo al movimiento social! https://tinyurl.com/wdbvn9v
(article) Grecia, sabor a sangre en la boca : https://tinyurl.com/ql2r5qb
PORTUGAIS (article) Grécia, Um gosto de sangue na boca https://tinyurl.com/qsa5hyv
(film) L’Amour et la Révolution en portugais, Amor e Revolução : https://tinyurl.com/wl4tn45
TURC (film) L’Amour et la Révolution en turc, Aşk ve Devrim : https://tinyurl.com/uznfblx
GREC (entretien) J’ajoute, si ça vous intéresse, un entretien en grec au sujet de la situation en France, pour la revue grecque Babylonia (mouvement antiautoritaire pour la démocratie directe) : https://tinyurl.com/vxeurxg (première partie) suivi de https://tinyurl.com/wwj7xws ((deuxième partie) et, à l’inverse, un entretien en français sur la situation en Grèce, pour Le Monde Libertaire : https://tinyurl.com/utfdzlo
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Le gouvernement veut en finir avec Exarcheia

A Athènes, le gouvernement conservateur veut en finir avec le quartier anarchiste d’Exarcheia

 Par Elisa Perrigueur

Pour encourager l’essor touristique et immobilier de ce bastion anarchiste, le gouvernement de droite multiplie les opérations policières contre les squats. Un ultimatum a été fixé au 5 décembre pour l’évacuation de l’ensemble de ces lieux alternatifs. Mediapart a longuement rencontré les acteurs qui font l’âme d’Exarcheia.

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Athènes (Grèce), correspondance.– Ce 17 novembre, le centre-ville d’Athènes, d’ordinaire effervescent, est plongé dans un étrange silence. Il est vite troublé par l’hélicoptère qui survole les longs boulevards désertés. 5 000 policiers, dont de nombreux renforts anti-émeute, sont déployés. En ce dimanche férié, ils guettent la foule qui viendra commémorer le soulèvement étudiant de Polytechnique du 17 novembre 1973, réprimé dans le sang sous la dictature des colonels.

La manifestation annuelle rend hommage aux 24 morts, selon le bilan officiel, de cette journée noire et à la résistance sous la junte militaire, au pouvoir de 1967 à 1974. Redouté des autorités, le défilé a toujours fait office de test social pour les gouvernements de tous bords. Mais cette année, la célébration est aussi l’occasion de marquer la défiance envers le nouveau premier ministre de droite Kyriákos Mitsotákis, du parti Nouvelle Démocratie (ND), qui affiche sa volonté d’un « retour à la sécurité », à la « loi et l’ordre ».

En début d’après-midi, une première vague rouge et noir, les couleurs de l’anarchie, progresse bruyamment vers le Parlement grec. Suivie de cortèges formés d’étudiants, de communistes du parti KKE ou de la gauche Syriza emmenée par l’ancien chef du gouvernement Aléxis Tsípras. Près de 20 000 personnes marchent jusqu’à l’ambassade des États-Unis, accusés d’avoir été complices de la junte. Ils crient « Pain, éducation, liberté ! », slogan des étudiants d’alors. Adonis Davanelos, cheveux grisonnants, le chantait déjà il y a quarante-six ans. En 1973, il avait 19 ans. Étudiant, il avait passé trois nuits marquantes entre les murs de marbre de l’imposante école Polytechnique, aux côtés de 4 000 camarades.

Des policiers anti-émeute gardent l'ambassade américaine, le 17 novembre 2019. © Elisa Perrigueur Des policiers anti-émeute gardent l’ambassade américaine, le 17 novembre 2019. © Elisa Perrigueur

Inspiré par Mai-68, ils ont résisté « aux chars de l’armée et aux tirs de snipers depuis les terrasses », se souvient-il. Mais si Adonis Davanelos est là, ce n’est pas seulement pour le passé. Il s’inquiète de « la répression » ambiante, évoque les « signaux d’alerte » que constituent pour lui les récentes manœuvres du gouvernement Mitsotákis. Conformément au souhait de ce dernier, l’abolition de l’asile universitaire qui interdisait les interventions de police dans les facs a été votée cet été par le Parlement, majoritairement à droite. Le 11 novembre, les forces anti-émeute ont ainsi pu encercler des étudiants manifestant dans l’université d’économie à Athènes.

« Ce gouvernement dangereux réprime trop vite, dit Adonis. Il va comprendre qu’il existe bien une résistance de gauche, même si elle tarde à se réveiller, démoralisée après cinq ans de Syriza, qui a déçu les espoirs placés en elle », assène l’ancien étudiant. Et il s’inquiète surtout de l’offensive de Mitsotakis contre Exarcheia, qui fut un foyer d’opposition à la dictature.

Au cœur d’Athènes, à quelques kilomètres du Parlement, des irréductibles du cortège, capuche noire sur la tête et foulard masquant le visage, ont rejoint à la nuit tombée Polytechnique, la forteresse symbolique du quartier. Comme en 1973, les bâtiments sont cernés de forces de l’ordre. La situation n’a pas le temps de dégénérer. La police nasse en quelques minutes les derniers protestataires. Peu nombreux, beaucoup ont été découragés par le vote du durcissement des peines de prison pour violences urbaines. Exarcheia ne s’est pas embrasé, comme cela fut le cas les 17 novembre précédents.

Le quartier s’est forgé une image de bastion rebelle vers 1930 autour de ses universités, qui ont aimanté de multiples librairies, attiré artistes et intellectuels. Surtout, elle a gagné la réputation de fief « anar », épargné, contrairement au reste de la capitale, par le « grand capitalisme ». Diverses cellules anarchistes y ont élu domicile dans les années 1970 et ont pris de l’ampleur après 2000.

Il existe des milliers d'inscriptions sur les murs d'Exarcheia, offrant un caractère unique au quartier alternatif. © Elisa Perrigueur Il existe des milliers d’inscriptions sur les murs d’Exarcheia, offrant un caractère unique au quartier alternatif. © Elisa Perrigueur

Si certaines restent dans l’ombre, d’autres moins, comme l’initiative anarcho-syndicaliste Rocinante, le mouvement antiautoritaire du Nosotros ou la fédération anarchiste Rouvíkonas. Les banques et les agences immobilières ne tiennent pas longtemps, tout comme les grandes enseignes étrangères. Seules subsistent quelques chaînes commerciales grecques. Les espaces de solidarité et les cantines populaires règnent en maître. Comme les squats occupés par des anarchistes ou des réfugiés installés à partir de 2015.

Sur la célèbre place triangulaire, épicentre d’Exarcheia, les clients des bars voient s’agiter le quartier en fin de semaine, lorsque éclatent des heurts avec la police. Officiellement, et paradoxalement, Exarcheia a voté Nouvelle Démocratie. Mais une large partie de ces électeurs, en majorité des propriétaires, ne résident pas ici. Ce sont les locataires ancrés à gauche, étudiants, expatriés, migrants… qui composent son âme libertaire réputée « jusque dans les villages grecs », plastronne un habitant.

Exarcheia résonne et se lit. Inscriptions, graffitis, affiches…, les humeurs contestataires des différentes époques s’impriment sur ses façades néoclassiques :  « L’Otan, dehors », « Non à l’euro », « Rojava, résiste »… L’Histoire ne s’y efface jamais. Aujourd’hui, l’inscription « Acab » (« All cops are bastards », « tous les policiers sont des bâtards ») a recouvert les murs. Car le quartier a aussi ses martyrs. À plus de vingt années de distance, deux jeunes de 15 ans ont été tués par la police.

La plaque à la mémoire d'Alexandros Grigoropoulos, devenue lieu de mémoire, rue Messolongiou. © Elisa Perrigueur La plaque à la mémoire d’Alexandros Grigoropoulos, devenue lieu de mémoire, rue Messolongiou. © Elisa Perrigueur

En 1985, Michalis Kaltezas manifestait. En 2008, Alexandros Grigoropoulos faisait face aux policiers anti-émeute avec un groupe d’amis. Tous deux ont reçu une balle des forces de l’ordre. Alors, depuis, celles-ci cernaient toujours Exarcheia mais ne s’y attardaient pas.

Mais Kyriákos Mitsotákis les a remises dans les rues dès son arrivée au pouvoir en juillet. Le premier ministre a annoncé vouloir « nettoyer » ce lieu. La plupart des politiciens le désignent comme « avaton anomias » – une zone de non-droit, sans règles, sorte de « no go zone ». Une formule alarmiste, selon leurs détracteurs. « La fin du statut d’anomie [absence de loi – ndlr] est une demande de tous les Grecs. Les habitants d’Exarcheia vivent une situation hors de contrôle. On savait que des gangs avaient des armes mais maintenant ils désarment les forces de l’ordre », martelait-il, en avril 2019, faisant référence à deux agents désarmés lors d’un raid antidrogue. Kyriákos Mitsotákis peut compter sur l’aide son propre neveu, Costas Bakoyannis, élu maire d’Athènes en juin. Ensemble, ils ciblent les mouvances anarchistes.

 

« On laisse pourrir la situation pour légitimer l’intervention »

Yannis Youlountas est membre de l’assemblée du K-Vox, centre social autogéré sur la place Exarcheia et base de Rouvikonas. « Le groupe était déjà réprimé sous Syriza et la droite a fait du durcissement de cette répression l’un de ses objectifs. Mais Rouvikonas s’est renforcé en novembre, ce qui lui permet de mener plus d’actions, dit-il. Le 17, il en a mené cinq à Athènes avec des tracts, des jets de peinture et à coups de marteau contre des firmes participant à la privatisation du bien commun, pour la défense des travailleurs et contre le racisme d’État. »

Un manifestant à Athènes, le 10 décembre 2008, s'insurge après la mort d'Alexandros Grigoropoulos à Exarcheia (inspiration : photo de Dimitar Dilkoff). © Elisa Perrigueur Un manifestant à Athènes, le 10 décembre 2008, s’insurge après la mort d’Alexandros Grigoropoulos à Exarcheia (inspiration : photo de Dimitar Dilkoff). © Elisa Perrigueur

À quelques mètres du centre K-Vox se dresse le bâtiment classique au drapeau rouge et noir des antiautoritaires du Nosotros. Pour son fondateur Nondas Skiftoulis, 61 ans, « ce n’est pas la première fois que la police est déployée ici, et le pouvoir ne touchera pas aux squats anarchistes. Michális Chryssohoïdis, le ministre de la protection civile [de l’intérieur… un ancien socialiste qui a eu à quatre reprises ce portefeuille – ndlr] connaît très bien les faiblesses et les capacités de ceux qui sont ici ». Contactés par Mediapart à plusieurs reprises, les représentants du gouvernement n’ont pas souhaité s’exprimer.

Dans le bar à l’ambiance tamisée du Steki Metanaston, un espace social venant en aide aux immigrés depuis 1997, Yannis Almpanis, 44 ans, un de ses membres actifs, constate que « faute de s’en prendre aux squats anarchistes, cette droite s’en prend aux immigrés ». Ces trois derniers mois, il y a eu une douzaine d’évacuations policières très médiatisées de squats abritant des réfugiés. La police grecque a adressé le 20 novembre un ultimatum aux squats résistants, leur donnant quinze jours, jusqu’au 5 décembre, pour évacuer.

Une porte de l'école Polytechnique, au cœur d'Exarcheia. © Elisa Perrigueur Une porte de l’école Polytechnique, au cœur d’Exarcheia. © Elisa Perrigueur

Pour l’heure, les évictions des réfugiés n’ont pas été suivies de gros rassemblements de protestation. « La répression est grande et ces squats-là n’étaient pas très politiques, ce qui provoque encore peu de réactions », explique Yannis. Selon lui, la crise économique explique la démobilisation : « Le sort d’Exarcheia est lié à l’évolution de la société grecque. Il y a beaucoup plus d’individualisme, d’exclusion, on y voit désormais des agressions, des vols. »

Le fléau du quartier est surtout son trafic de drogue, en augmentation. Sur la place arborée, de jeunes vendeurs écoulent, sans être inquiétés, la marchandise de jour comme de nuit. Sous l’œil de la police et des touristes.

Phedra* travaille comme serveuse dans l’un des cafés qui bordent la place. « Exarcheia, ce n’était pas ça, regrette-t-elle. C’était un espace politique et maintenant le trafic prend toute la place. Ce sont des anciens groupes mafieux qui se font la guerre. Mais cela a vraiment progressé ces dernières années. Ils recrutent des sans-papiers pour vendre de la cocaïne, de l’herbe… Ils les utilisent car ils sont vulnérables. » Quelques arrestations ont eu lieu, mais sans grand résultat. Dans une interview au quotidien conservateur de centre-droit I Kathimerini, le 13 octobre, le ministre de l’intérieur, M. Chryssohoïdis, défend son action : « La police a attaqué les trafiquants de drogue, vidé les squats, la place est nettoyée. Le message est clair : Exarcheia sera un quartier normal pour ses habitants et visiteurs. »

Pour Phedra, seules « quelques petites mains sont arrêtées ». Révoltée par « ce spectacle misérable et triste – une police inactive et des touristes qui regardent les jeunes dealers assis en terrasse comme au zoo », elle songe à démissionner. Elle s’énerve aussi contre le « cannibalisme social », une expression qui rend compte de la gangrène affectant le quartier, la division idéologique des mouvements, car, selon Phedra, « ici, les groupes anarchistes sont divisés ».

Pour redorer l’image de ce quartier alternatif, « plusieurs assemblées d’habitants excédés veulent lutter contre ce cannibalisme social et la drogue », rapporte Dina Daskalopoulou, journaliste à I Efimerida ton syntagton, quotidien indépendant de gauche. « Mais personne ne voit la police comme solution. Les résidents disent que le pouvoir encourage le trafic, ajoute-t-elle. C’est une stratégie, on pointe la criminalité, on crée un ennemi interne mais on laisse pourrir la situation pour légitimer l’intervention. » Pour la journaliste, cela vise à « encourager la gentrification et le tourisme ».

Exarcheia fascine en effet les visiteurs. Rue Messolongiou, des touristes étrangers photographient avec leur smartphone la plaque dédiée à l’adolescent Alexandros Grigoropoulos. Le quartier est dépassé par son mythe, d’après Vassos Georgas, mèche grise et tee-shirt noir à l’inscription « Bibliotheque », sa librairie, qui donne sur le square d’Exarcheia. « Après cet assassinat, ce mythe du quartier [sans police, libre et sans aucune règle – ndlr] s’est davantage répandu et a donné lieu à deux phénomènes, soupire-t-il, les hooligans qui venaient de l’étranger en disant que c’était un pays détruit, on fait ce qu’on veut, il n’y avait plus rien à perdre. Puis, il y a eu la frénésie de l’achat d’immobilier. »

Vassos a ouvert sa librairie il y a quatre ans pour « revenir à une époque ancienne, lorsqu’il y avait des débats, des discussions, mais je ressens une profonde solitude. Exarcheia est devenu normal, touristique ». Selon lui, le nouvel ennemi « capitaliste » s’appelle Airbnb. Comme à Barcelone ou Lisbonne, la plateforme a transformé le quartier de manière fulgurante et insidieuse.

Les tags anti-airbnb ont fait leur apparition ces derniers mois dans les rues d'Exarcheia. © Elisa Perrigueur Les tags anti-airbnb ont fait leur apparition ces derniers mois dans les rues d’Exarcheia. © Elisa Perrigueur

Sur les devantures foisonnent les inscriptions anti-Airbnb. « Beaucoup de gens se sont endettés avec la crise, ils ont vendu aux investisseurs étrangers qui proposaient des prix exceptionnels pour avoir des visas dorés [visa renouvelable en échange de 250 000 euros d’investissement immobilier – ndlr]. On est au Monopoly, il n’y a plus de règles », dit Tonia Katerini, une architecte qui vit depuis quarante ans à Exarcheia. Les Grecs qui n’en ont pas les moyens sont exclus. Très bas au plus fort de la crise, les prix ont flambé de 35 % depuis 2016.

Pour Petros Kondoyiannis, associé de Vassos Georgas à la librairie, ces phénomènes encouragent la « dépolitisation » d’Exarcheia chère aux autorités. « Elle avait commencé il y a plusieurs décennies avec le déménagement des campus, éloignant les lieux de pensée, les lieux culturels… Airbnb, qui vide le quartier de ses habitants, c’est le coup final », estime le Grec de 44 ans.

Le 6 décembre, comme chaque année, le quartier commémorera la mort d’Alexandros Grigoropoulos. Les autorités appréhendent ce rassemblement traditionnellement houleux, où Exarcheia exprime toute sa colère. « Ils ont voulu nous enterrer, mais ils ont oublié que nous sommes des graines », dit Petros Kondoyiannis, citant un proverbe mexicain. Pour lui, la lutte n’est pas terminée.

Lendemain du 17 novembre 2019 à Athènes : un goût de sang dans la bouche

Très dure nuit pour qui aime Exarcheia et la lutte révolutionnaire en Grèce.

http://blogyy.net/wp-content/uploads/2019/11/75362529_2320169061627041_493612379351810048_n.jpgTrès dure nuit pour qui aime Exarcheia et la lutte révolutionnaire en Grèce.

LENDEMAIN DU 17 NOVEMBRE 2019 À ATHÈNES : UN GOÛT DE SANG DANS LA BOUCHE

Beaucoup de nos compagnons ont passé la nuit entre quatre murs, après des passages à tabac systématiques. D’autres ont été blessés, dont trois à la tête transférés en ambulance à l’hôpital. D’autres encore ont dû se terrer durant une bonne partie de la soirée, voire toute la nuit, pour ne pas se faire rafler et tabasser par des policiers qui semblaient très excités, comme en plein jeu vidéo de guerre dans tout le quartier.

Au total, plus de 5000 policiers, un hélicoptère et des drones transmettant en permanence la position des insurgés résistant depuis les toits. Des policiers anti-terroristes, des policiers anti-émeutes, des policiers en civil, des voltigeurs, des blindés munis de canons à eaux… L’armada en uniforme qui a convergé vers Exarcheia, pendant les deux manifs successives(1), était beaucoup trop nombreuse et suréquipée pour les irréductibles du quartier rebelle et solidaire.

Exarcheia n’a pas tenu longtemps. Déjà en partie occupée depuis des semaines, elle a rapidement basculé sous le contrôle de la soldatesque prétendument gardienne de la paix. Rares sont les lieux en son sein qui sont encore à l’abri. Ce matin, alors que le soleil n’est pas encore revenu, Notara 26 est encore debout, de même que le K*Vox ou encore la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE). Mais ces lieux et quelques autres font figures de derniers bastions dans un quartier hors norme minutieusement dévasté par l’État grec au fil des semaines, dans le but de faire disparaître l’une des sources d’inspiration du mouvement social dans le monde entier.

Aujourd’hui encore, le sang a coulé, y compris celui d’une jeune femme frappée à la tête au point de peindre sur le sol le vrai visage du régime. Non seulement la junte ne s’est pas terminée en 1973, mais le nouveau gouvernement, avec ses ministres dont certains sont issus de l’extrême-droite et sa politique toujours plus autoritaire, se rapproche pas à pas de l’exemple du Colonel Papadopoulos et de sa clique.

Avec les nouveaux moyens technologiques achetés notamment à la France, le pouvoir surveille, traque, piste, inquiète, menace, frappe et arrête comme bon lui chante. Oui, la manifestation en souvenir de l’insurrection de 1973 a eu lieu, nombreuse même, mais encadrée par une quantité impressionnante de flics et de cars de MAT bloquant toutes les issues.

Dans les rues d’Exarcheia, des dizaines de compagnons ont été contraints de s’asseoir par terre ou de se mettre à genoux, mains derrière la tête, sous les coups, les quolibets et les humiliations. Ici, une femme est trainée par les cheveux. Là, un homme est frappé aux testicules. Et puis des flaques de sang, ça et là, aux coins de la place centrale du quartier meurtri.

Dans les médias, c’est le concert de louanges sur toutes les chaînes : Mitsotakis aurait enfin rétabli « l’ordre et la démocratie » partout en Grèce, y compris dans « Exarchistan », la zone de non-droit où sévissent encore quelques centaines de Mohicans. Les breaking news passent sans transition de la victoire du Grec Tsitsipras au Masters de tennis à l’occupation policière d’Exarcheia, complètement paralysée après une trop brève résistance. Mitsotakis salue la victoire de son compatriote tennisman et promet d’en finir avec les derniers squats très bientôt. Selon lui, sa mission dans ce domaine sera bientôt finie.

Il souhaite aussi venger la visite de Rouvikonas, ce dimanche matin, au domicile du ministre de l’économie : Adonis Georgiadis, un ancien du parti d’extrême-droite LAOS. Particulièrement raciste, Georgiadis a notamment déclaré vouloir « rendre la vie encore plus dure aux migrants » pour les dissuader de venir en Grèce. Par cette action volontairement organisée juste avant la manif du 17 novembre, Rouvikonas a voulu montrer, une fois de plus, que, si nous sommes vulnérables, ceux qui nous gouvernent le sont aussi : « Nous connaissons vos adresses personnelles, nous savons où vous trouver ! » a menacé le groupe anarchiste dans son communiqué. La levée de boucliers de toute la classe politique a été immédiate. Par exemple, le PASOK et l’Union du centre se sont dit choqués que des activistes se permettent d’aller perturber la vie privée des dirigeants politiques, quels que soient les désaccords. « Cela nous conforte dans notre volonté de classer Rouvikonas parmi les organisations terroristes » a déclaré un ministre  à la télé. Rouvikonas est la prochaine cible prévue, « sitôt que le cas d’Exarcheia sera totalement réglé ».

La loi se durcit contre toutes les formes de résistance. Par exemple, l’usage d’un cocktail Molotov coûte désormais jusqu’à 10 ans de prison, et non plus 5 comme auparavant. Nasser les manifestants est beaucoup plus facile qu’autrefois grâce à la « neutralisation des sentinelles sur les toits », c’est-à-dire des groupes qui, jusqu’ici, observaient et envoyaient un déluge de feu depuis les hauteurs du quartier sitôt que les rues étaient perdues, notamment autour de la place centrale d’Exarcheia. Les positions de la police dans le quartier continuent de progresser. Des employés de la mairie d’Athènes sont envoyés sous escorte policière pour nettoyer les tags sur les murs. Chose qui rappelle « Murs blancs, peuple muet »: l’un des slogans contre la dictature des Colonels. Idem à l’autre bout de l’Europe en mai 1968.

Dans la nuit tiède athénienne, des voix s’interrogent sur la suite, des listes de discussions se raniment, des messages circulent pour exprimer la colère, la révolte et la solidarité, mais aussi des idées, des suggestions, des désirs. Devant le squat de réfugiés Notara 26, la plus grande banderole annonce obstinément : « Vous ne parviendrez pas à évacuer tout un mouvement ! »

Cette nuit, Exarcheia la rebelle a un goût de sang dans la bouche, immobile et silencieuse dans l’obscurité, mais elle est encore vivante.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2019/11/18/lendemain-du-17-novembre-2019-a-athenes-un-gout-de-sang-dans-la-bouche/ ( toutes les photos)

Photos : Marios Lolos, Alexandros Katsis, Maria Louka, Radiofragmata, Mimi A Feline, Mimis Oust, Nikolas Georgiou, Alex Aristopoulos…

(1) Comme vous pouvez le voir sur les photos, il y a eu une manif à la mi-journée, puis une autre à la nuit tombée (comme c’est souvent l’usage à Athènes).

À noter : vous trouverez, bien sûr, des séquences vidéos et d’autres explications sur tout cela dans notre prochain film documentaire « Nous n’avons pas peur des ruines ! »

Grèce : une chape de plomb s’abat sur le mouvement social !

Lundi 11 novembre au petit matin. Après un long silence en partie forcé, voici nos dernières nouvelles de Grèce, depuis la Crète puis l’Épire (près de l’Albanie) en passant par Athènes avec une vague sans précédent de perquisitions et d’arrestations, de fausses accusations contre Rouvikonas, la fin du procès d’Aube Dorée et Exarcheia qui devient une poudrière.

GRÈCE : UNE CHAPE DE PLOMB S’ABAT SUR LE MOUVEMENT SOCIAL !

En tout temps et en tous lieux, à chaque fois que le pouvoir s’est durci, il a toujours nommé de façon extravagante ceux qui lui résistaient. Sous l’occupation nazie ou la junte des Colonels, les opposants étaient parfois qualifiés de « terroristes ». Aujourd’hui, ce mot et d’autres du même tonneau sont utilisés à tout bout de champ contre les rebelles d’une société injuste et mortifère.

En Grèce, ce phénomène est encore plus marqué qu’à l’autre bout de l’Europe. Le glissement sémantique est total : des groupes rebelles qui n’ont jamais fait ni mort ni blessé sont montrés du doigt comme les pires criminels. Parmi ces collectifs qui ne visent que des dégâts matériels, le groupe Rouvikonas est sur le point d’être classé parmi les organisations terroristes, chose sans précédent en Europe.

Une fois de plus, la Grèce est un laboratoire du durcissement du capitalisme et de la société toujours plus autoritaire sur le vieux continent. C’est pourquoi nous souhaitons alerter nos camarades de l’autre bout de l’Europe de cette dérive : la criminalisation du mouvement social peut mener aux pires condamnations, à de longues peines de prison et, à terme, à une censure totale de nos idéaux révolutionnaires.

Ce processus s’accompagne de moyens de surveillance et de répression toujours plus importants du côté de l’État qui agit au service des dirigeants économiques et politiques. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver dans le viseur d’un pouvoir qui n’accepte plus la contradiction et qui traque toute forme de résistance avec une violence toujours plus méthodique et perfectionnée. Ce qu’a vécu le mouvement social en France ces derniers mois se reproduit un peu partout dans le monde en ce moment, au rythme de soulèvements qui se heurtent à une répression brutale et décomplexée. Dans ce puzzle planétaire d’un capitalisme à bout de souffle, la Grèce, après une décennie de luttes exemplaires, devient le laboratoire du piège qui nous est tendu : il devient progressivement interdit de rêver, de proposer un monde débarrassé du système politique qui nous vole nos vies, et de lutter contre lui. Celui qui ose résister devient lentement un déviant à surveiller de toutes les façons possibles — avec l’appui de nouvelles technologies — et parfois à dissuader ou neutraliser avant même qu’il ait levé le petit doigt.

Voici notre alerte, camarades et compagnons du bout du monde. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de ce glissement dans une société toujours plus autoritaire, à Exarcheia mais aussi ailleurs. Nous assistons à une inversion du sens des mots. Dans son roman 1984, George Orwell écrivait « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Aujourd’hui, nous pouvons ajouter : « Le crime c’est oser défendre la vie ».

Police partout, justice nulle part

Depuis la fin du mois d’octobre, de l’avis de beaucoup, nos communications sont rendues difficiles : serveurs internet HS, ordis à la ramasse, pages facebook fermées, comptes perso bloqués, censures en tous genres, téléphones s’allumant tout seuls et autres délices de l’ère technologique. On ne compte plus les témoignages et, moi aussi, j’ai été contraint au silence quelques jours.

De plus, la surveillance rapprochée devient omniprésente, visible et parfois menaçante : une camarade qui assure avec moi la protection nocturne du squat de réfugiés Notara 26 a eu, il y a quatre jours, les pneus de sa voiture crevés à coups de couteau. Puis, alors qu’elle prenait des photos du sinistre, les policiers de surveillance se sont rapprochés et lui ont dit en ricanant :
La prochaine fois, tu feras attention !

Le lendemain, un autre compagnon de lutte qui vit à l’est du quartier a vu un policier brandir son arme à feu dans sa direction alors qu’il avait simplement demandé qu’on lui « fiche la paix » :
J’en avais marre d’être suivi, observé, asphyxié dans ma vie privée. Les services de renseignement de l’État ne me laissent plus aucune intimité et ne se cachent même plus. Il y a manifestement la volonté de faire monter la pression, de nous dissuader, de nous inquiéter.

Qui terrorise qui ?

Plus grave encore, des policiers de garde sur les postes de surveillance d’Exarcheia ont harcelé à de nombreuses reprises des femmes, mêlant les gestes à la parole. Les langues des victimes commencent à se délier et nous aurons l’occasion d’en reparler. Certains flics, au poste de surveillance de la rue Kalidromiou, évoquent souvent à voix haute un hypothétique « manque d’hygiène des filles d’Exarcheia » au prétexte qu’elles fréquenteraient « de trop près » des migrants. Quand sexisme et racisme ne font qu’un.

Durant les rondes policières qui rasent leurs fenêtres, les migrants blottis dans les squats sont également inquiétés. Ils ont entendu plusieurs fois des injonctions insultantes qui rappellent celles des nazis :
Raus !!! À la douche !!! Bientôt le grand nettoyage !!!
Les MAT (policiers anti-émeutes) ne cachent pas leurs opinions et portent parfois des écussons très explicites, entre autres signes de reconnaissance.

Parallèlement aux pressions et violences policières, les médias du pouvoir ne cessent plus d’annoncer la « fin imminente du nettoyage d’Exarcheia ». Ils évoquent l’évacuation simultanée de 4 squats autour de la place Exarcheia dont le Notara 26 et peut-être le K*Vox, base de Rouvikonas. Certains affirment que le gouvernement souhaite en finir avant les manifestations du 17 novembre, moment fort du mouvement social à la mémoire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973, autour de l’École polytechnique située à l’ouest d’Exarcheia. Une rumeur insistante parle d’un « assaut final » qui aurait lieu cette semaine. Difficile de savoir si c’est vrai, mais beaucoup d’éléments concordent.

Le pouvoir prêt à frapper fort

Durant les dernières semaines, le pouvoir s’est longuement préparé. Tout d’abord en essayant de « convaincre l’opinion publique de la nécessité d’en finir ». Un ministre a même précisé :
Nous devons sans attendre rétablir l’ordre au centre d’Athènes. Il ne peut y avoir un espace sans État ni gouvernement, cela n’est pas acceptable. La loi doit être la même partout, à commencer par le respect de la propriété privée et de l’autorité du gouvernement élu (…) Les squats sont illégaux. L’autogestion a des limites. Dans une démocratie, on ne doit pas faire n’importe quoi (sic).

Nuit de garde devant le squat Notara 26 mêlant solidaires et réfugiés.

Le dispositif policier est également prêt pour un assaut encore plus important que les précédents (déjà à 5 reprises du 26 août au 2 novembre). Les voltigeurs DELTA, avec leur motorisation légère et leur objectif purement répressif, sont maintenant opérationnels. L’annonce vient d’être faite : ils sont officiellement sur le terrain dès aujourd’hui. Par contre, leur nom a finalement changé… à cause de leur sinistre réputation ! Au lieu de DELTA, ils s’appelleront DRASI (ce qui veut dire action). L’initiale D est habilement conservée. Un peu comme si en France, on changeait le nom des voltigeurs en vadrouilleurs. Changer de nom pour tenter de faire oublier le passif, un peu comme les partis politiques et grandes firmes. Changer de nom pour que rien ne change.

De nouveaux équipements viennent également d’être livrés, sans que tous les détails ne soient communiqués. On parle à nouveau de matériel français, notamment pour les services de renseignement. Autre point important, le code pénal achève actuellement sa modification pour sanctionner plus durement toutes les formes de résistance. Paroxysme de ce durcissement de la loi, le groupe Rouvikonas, qui est considéré par le pouvoir et les médias comme le principal ennemi — parce que quotidien ou presque dans ses actions contre tous les pouvoirs — est sur le point de subir une classification en « organisation terroriste ». C’est complètement insensé si l’on compare les modes d’actions de ce collectif avec ce qu’on définissait jusqu’ici comme étant du terrorisme, en Grèce comme ailleurs.

Rouvikonas n’a jamais tué personne ? Qu’à cela ne tienne ! Le pouvoir est prêt à tout inventer pour distiller la confusion, à l’exemple d’un incroyable storytelling qui vient de se dérouler depuis deux jours à Athènes.

Désinformation médiatique concernant la responsabilité de Rouvikonas dans l’attaque du poste de police de la rue Charilaou Trikoupi.

Un membre de Rouvikonas tabassé et poursuivi suite à de fausses accusations

Dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe rebelle anonyme est allé attaquer le car de policiers anti-émeute situé à l’est du quartier, dans la rue Charilaou Trikoupi. Ce genre d’initiative est chose courante, très courante même, surtout depuis que le quartier est, en partie, sous occupation policière. Mais cette fois, l’attaque a, il est vrai, été plus puissante qu’à l’habitude et a pris en tenaille les MAT sous un déluge de feu, vers dix heures du soir. Une action anonyme organisée en riposte du siège d’Exarcheia et des agressions perpétrées. Ce soir-là, les cocktails Molotov ont blessé trois policiers dont un à la tête et un autre à la jambe. Une moto de la brigade DIAS a été brûlée. Sans doute le but était-il de tuer.

Mais, dans les minutes qui ont suivi, c’est tout le cœur d’Exarcheia qui a été pris d’assaut par toutes les forces de police alentours. Des dizaines de MAT ont envahi la place centrale en hurlant et ont frappé au hasard les passants, hommes et femmes, jeunes ou vieux, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec l’attaque. La scène a duré plus d’une heure. Parmi les habitants du quartier, une trentaine se sont réfugiés à l’intérieur du bistrot nommé Kaféneio (l’un des plus vieux d’Exarcheia), mais les policiers ont tenté d’enfoncer la porte et ont menacé d’interpeller tout le monde, avant de renoncer quelques minutes plus tard. Un célèbre journaliste de la télé, accouru sur les lieux, n’a pas été reconnu par les flics et a été frappé à son tour, provoquant l’hilarité des observateurs de la scène. Dans leur déchaînement de violence, les MAT étaient en train de cogner sur leur plus fidèle allié !

Plus haut sur la place, du côté du K*Vox, plusieurs dizaines d’anarchistes et d’autres compagnons de lutte commençaient à se regrouper pour protester contre les violences policières et défendre les lieux et les personnes. Dans un tonnerre de grenades assourdissantes et un épais brouillard de gaz lacrymogène, les policiers ont réussi à attraper un manifestant et à le traîner au sol, tout en le dénudant en partie et en le frappant à plusieurs reprises. Selon plusieurs témoins, il aurait ensuite été torturé dans la rue Bouboulinas, à quelques dizaines de mètres de là, sous les hurlements rageurs des policiers. Ces derniers ont même été entendus en train de crier : « I hounda iné édo ! » (la junte est encore là). Ce camarade est très connu et ne se cache pas d’être un membre actif de Rouvikonas. C’est un ami généreux, solidaire et expérimenté, détesté par la police mais très apprécié parmi nous. Et surtout, ce camarade n’avait absolument rien à voir avec l’attaque qui venait d’avoir lieu à l’est du quartier, comme de nombreux témoins le confirment.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

Oui, mais la police voulait se venger. Elle a frappé des dizaines de personnes au hasard sur la place (à un kilomètre de l’attaque) et a fait 18 interpellations. Quand elle a vu l’état de notre camarade, sérieusement blessé, elle a procédé comme souvent : en l’arrêtant pour résistance, insultes et coups et blessures contre des policiers. Faits complètement farfelus, bien sûr ! Une pure invention, malheureusement courante quand la police passe à tabac quelqu’un. Autre fait important : toutes les autres personnes interpelées ont été relâchées sans être arrêtées. Seul notre camarade s’est retrouvé devant le juge d’instruction, puis le procureur, visiblement blessé avec une attelle et des bleus.

Pourquoi ? Tout simplement, pour être accusé seul de toutes les charges concernant l’attaque voisine contre le bus de la police. Autrement dit, il fallait clairement éviter d’associer des personnes extérieures à Rouvikonas à ce membre notoire du groupe de façon à établir la totale responsabilité de Rouvikonas dans l’opération menée contre les policiers de garde à l’est d’Exarcheia. Une opération qui visait clairement à blesser sinon à tuer, vu la méthode employée (attaque en tenaille, pluie de cocktails Molotov par surprise, groupe nombreux et rapide). Vous l’avez compris, bien qu’il n’ait aucun rapport avec les faits reprochés et malgré les nombreux témoignages qui l’attestent, notre camarade sert de prétexte pour accuser le groupe Rouvikonas tout entier de tentative d’homicide sur des policiers. L’affaire est grave et tombe à pic en pleine modification du code pénal. Pile au moment où l’article 187A va permettre à l’État de frapper lourdement le célèbre groupe anarchiste athénien. Le procès de notre camarade aura lieu dès ce 20 novembre.

Terroriste, Rouvikonas ? En réalité, le premier de tous les terroristes est, bien sûr, le pouvoir qui nous vole diversement nos vies, nous manipule en jouant sur la peur et fabrique, plus que la totalité de la complosphère, des tonnes de fake news qui ne portent pas leur nom (ce qu’on pourrait appeler la « crétinosphère » tant on nous prend pour des imbéciles). C’est ainsi qu’il se présente en sauveur, en protecteur, en rempart contre les méchants anarchistes et autres révolutionnaires qui proposent une autre façon de nous organiser, en prenant nos vies en main dans une réelle liberté, égalité et fraternité. La liberté de choisir nos vies, l’égalité sociale et politique, la fraternité universelle par-delà les peurs, les étiquettes et les frontières.

Ce qui se passe en ce moment à Athènes ne cesse de le confirmer. Comme partout ailleurs dans le monde, le pouvoir tremble, il sent que la colère gronde, que la révolte couve, au point d’exploser en différents points du globe. C’est pour cela aussi qu’il se durcit encore plus et qu’il a besoin de fabriquer des boucs émissaires pour détourner l’attention.

Terrorisme à toutes les sauces

Avant-hier matin, une vaste opération antiterroriste a été lancée dans toute l’Attique, du Pirée à Lavrio et de Megara à Exarcheia. Le contenu d’une quinzaine de perquisitions a été dévoilé par les médias du pouvoir surexcités. Au total : 5 fusils de type Kalachnikov, une mitraillette, de la dynamite, des pistolets, des grenades à gaz lacrymogène, des lance-grenades, des détonateurs et des explosifs. Cette pêche savamment préparée tombe à point nommé : l’État a trouvé un ennemi intérieur et va pouvoir justifier ses nouvelles lois, comme autrefois le Patriot Act aux États-Unis et l’État d’urgence en France. « Pour votre sécurité, vous aurez moins de liberté ». On connait la chanson !

Durant les premières heures après la découverte, les agences de presse ont volontairement entretenu la confusion sur la provenance de ces armes, sans aucune info précises sur les personnes arrêtées. Encore la faute aux migrants ? À Rouvikonas ? À un autre groupe basé à Exarcheia ? Rien ne filtrait et les rumeurs sont allées bon train, jusqu’à ce que le nom d’un obscur groupuscule soit évoqué : « Organisation d’autodéfense révolutionnaire » qui avait essentiellement attaqué l’ambassade de France en 2016 puis celle du Mexique, en solidarité avec les mouvements de lutte dans l’hexagone et au Chiapas.

Aussitôt sur tous les plateaux de télévision, le nouveau premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, a fait un orgasme :
Je tiens à féliciter le service de lutte contre le terrorisme, la police grecque et le ministère de la Protection du citoyen pour leur grand succès. Pour réaffirmer, une fois encore, mon engagement à mettre fin de manière permanente et irréversible au problème du terrorisme intérieur en Grèce.

Hier, les perquisitions et arrestations ont continué, en mélangeant tout et n’importe quoi dans la plus grande confusion, au prétexte des saisies de la veille. À 500 mètres au nord d’Exarcheia, tous les locaux de l’Université d’économie ont été fouillés de fond en comble. Idem au domicile de nombreux militants, dont des anarchistes habitant sur la colline de Strefi, membres du groupe Gare, réveillés par 30 policiers cagoulés en présence de leur môme effrayé, puis plongés la tête la première dans un panier à salade, après avoir été traînés dans les escaliers.

Une chape de plomb s’abat actuellement sur Athènes et tout le monde se retrouve menacé et traqué dans une véritable fête foraine pour policiers en manque de gauchistes et d’anarchistes. Un feu d’artifice pour les valets du pouvoir et la grande roue pour le nouveau premier ministre, piètre héritier de la dynastie politique des Mitsotakis, encore plus narcissique que le vil monarque de Prévert dans son œuvre Le roi et l’oiseau. Derrière de plus en plus de groupes et d’individus, sous toutes les formes et toutes les coutures, c’est tout le mouvement social qui est visé. Le but ultime est double : d’une part nous intimider pour nous dissuader et, d’autre part, semer la peur dans la population et faire de tous ceux qui résistent les ennemis de la paix et de la concorde. On vous l’a dit en France aussi : l’État garantit la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est même écrit partout, alors quoi demander de plus ?

Selon que vous serez puissants ou misérables…

Bons migrants et mauvais migrants

Alors même que le sinistre camp de Moria à Lesbos vient de dépasser le seuil des 15 000 détenus en son sein (oui, détenus, car ces personnes sont bloquées, désespérées et parfois en très mauvais état de santé, dans un camp créé par l’Union européenne et prévu au départ pour 2600 réfugiés), le gouvernement grec se vante d’avoir réussi son opération « Visas d’or ». Depuis quelques années, la Grèce octroie des visas à tous les non ressortissants de l’Union européenne qui viennent investir au moins 250 000 euros dans l’immobilier sur son territoire, ce qui permet principalement à des hommes d’affaires chinois de s’installer et de se balader tranquillement en Europe pendant que les réfugiés afghans ou érythréens souffrent le martyre dans les camps et le labyrinthe odieux des services d’asile. 5300 visas d’or ont été donnés depuis 2013, dont 3400 à des riches chinois et également plusieurs centaines à des hommes d’affaires russes. C’est beau la fraternité, non ?

L’Internationale du Capital est mieux organisée que la nôtre pour nous dominer et nous exploiter. À nous de faire converger nos luttes, par-delà nos différences, pour nous libérer et prendre nos vies en mains.

En plus de cette inégalité de traitement cynique et sordide, le ministre grec de la police a dit s’inquiéter de la venue probable de djihadistes dangereux parmi les nouvelles barques de migrants qui arrivent sur les côtes de la mer Égée. Une fois de plus, le pouvoir se sert du mot terroriste pour détourner l’attention, semer la peur, stigmatiser et maltraiter des personnes qui n’ont le plus souvent rien à voir avec ce qu’on leur reproche. Depuis la nuit des temps, le pouvoir divise pour mieux régner, puis se pose en arbitre et en protecteur. Le pouvoir sème la discorde en prétendant assurer la concorde. Il ment comme il respire, rassemble les foules avec des flots de mots dépourvus de sens, bâtit des châteaux de cartes et fonde toute sa puissance sur du papier : billets de banque, titres de propriété, dette publique et privée, bulletins de vote, textes de loi, constitution… Du papier, rien que du papier dans une société hors-sol, prisonnière de son propre spectacle et coupée de la réalité d’un monde qui agonise.

Partout, le vent se lève

Il y a deux semaines, j’étais encore en Crète où la lutte contre le nouvel aéroport de Kastelli commence à prendre une autre tournure. Les premiers oliviers ayant été arrachés, la question se pose de plus en plus sur les formes possibles de la lutte. Comment résister ? Telle est la question qui circule, ici et là, en Crète, comme ailleurs. Les hypothèses se chuchotent. On se méfie. On envisage beaucoup de choses sans savoir de quoi demain sera fait.

Idem il y a une semaine, à Athènes, où je participais à un colloque organisé par Rouvikonas et la nouvelle Fédération Anarchiste de Grèce (Anarxiki Omospodia, composée d’approches et de courants divers), durant deux jours dans le théâtre autogéré Embros plein à craquer. Cela faisait des années que je n’avais pas entendu autant d’interventions si pertinentes, lucides et foisonnantes en termes de propositions. Quelque chose se passe, manifestement. Quelque chose de profond, de clair et d’intelligent. Quelque chose qui ressemble à une prise de conscience, critique et politique. Je suis sorti de ces deux jours comme réveillé, ranimé, éclairé, non pas par une quelconque avant-garde, mais par la diversité fertile de nos débats, dans une grande écoute mutuelle et sur un plan d’égalité. De mon côté, on m’avait demandé d’intervenir sur les relations, communications et solidarités internationales. Je n’ai pas manqué de transmettre votre soutien et de résumer les nombreuses actions effectuées dans plus de 60 pays du monde en soutien à Exarcheia et Rouvikonas. J’ai aussi raconté l’anecdote récurrente concernant la lettre P dans l’étoile noire. En effet, on me demande souvent à l’ouest de l’Europe pourquoi il y a un P dans le logo de Rouvikonas. D’ailleurs cela a bien fait rire la salle à Athènes. Dans l’alphabet grec, le P est tout simplement la lettre « ro », c’est-à-dire l’équivalent du R. C’est donc bien l’initiale de Rouvikonas, mais en alphabet grec !

Le crépuscule des gargouilles

Pendant ce temps, le procès d’Aube Dorée se termine enfin, six ans après les assassinats de Shahzad Luqman et Pavlos Fyssas, dans un concert de pleurnicheries nazies. Après le défilé des principaux membres de l’organisation (devenus tour à tour des girouettes à la barre du tribunal, au point qu’un des fascistes apeurés s’est même évanoui), le chef suprême des surhommes aux poignards rouges de sang a parlé en dernier, vendredi, en guise de bouquet final d’une succession de mensonges et de reniements. Les conclusions de la procureure seront rendues en janvier et le verdict au printemps. Ce procès a tellement été long et fastidieux qu’il a donné le temps à ce parti de disparaître totalement du parlement et de tomber à des scores presque négatifs, sous les assauts du mouvement antifasciste partout en Grèce. Aube Dorée approchait la barre des 10% en 2014 (9,4% aux Européennes). Il est tombé à moins de 3% en juillet et maintenant à moins de 0,5% dans les sondages ! Le carrosse est redevenu citrouille et les princes de la nuit se sont transformés en gargouilles grimaçantes, abandonnant presque tous leurs locaux en Grèce, y compris le plus grand, rue Mesoghion à Athènes. Depuis des semaines, les sous-chefs et opportunistes en tous genres démissionnent à la queue-leu-leu.

Le roi est nu. Le führer supplie même ses juges : « je ne savais pas ! » (pour les ratonnades et les assassinats) comme un vulgaire capot des camps d’autrefois. Aube Dorée n’est plus, mais le fascisme est toujours là, y compris au gouvernement et dans les rouages de l’État, plus nuisible et virulent que jamais. Un fascisme qui tente une fois de plus de détourner nos luttes légitimes contre la misère vers des préoccupations identitaires d’un autre âge, mythifiant le passé, fabriquant des boucs-émissaires parmi les plus vulnérables et ménageant ainsi le capitalisme et l’organisation autoritaire de la société. Ne soyons pas naïfs, les ratonnades et les embuscades continueront — comme celle que j’ai subie au Pirée en juin dernier et qui n’a fait qu’intensifier ma volonté de lutter. Aube Dorée n’était qu’une étiquette sur un poison, l’un des multiples noms d’un fléau universel, une facette passagère d’un problème qui reste indissociable de la société autoritaire et capitaliste qui le génère. L’étiquette est tombée, mais le problème reste entier.

C’est pourquoi ceux qui prétendent lutter contre le fascisme sans lutter contre ses causes se moquent de nous. Le capitalisme, le pouvoir et les médias du pouvoir font partie intégrante du problème et sont indissociables du monstre qu’ils génèrent. Les collaborateurs de ce système politique, économique et médiatique ne sont pas des alliés mais des imposteurs, surtout quand ils pratiquent le racisme sélectif au prétexte d’attributs que portent parfois les plus misérables parmi nous.

En attendant le verdict du procès d’Aube Dorée en Grèce, je prendrai bientôt connaissance, à une autre échelle, du verdict du mien en France. En octobre 2017, les petits frères européens d’Aube Dorée, dirigeants de Génération identitaire en France, Italie et Allemagne, m’ont poursuivi pour ma participation au sabotage de leur opération Defend Europe en Méditerranée, alors qu’ils tentaient d’entraver le sauvetage en mer des migrants par des navires d’ONG. J’ai gagné en première instance à Nice, puis perdu en appel à Aix-en-Provence, et j’attends maintenant l’audience de la Cassation qui aura lieu le 26 novembre à Paris. Je saurai probablement début décembre l’issue de cette bataille juridique menée par mes avocats Dominique Tricaud, Matteo Bonaglia et Claire Waquet. Autre accusé à mes côtés, mon ami Jean-Jacques Rue est impatient de savoir ce que va décider la Cour de Cassation. Cette décision sera hautement symbolique vu les circonstances. Je vous tiendrai au courant du verdict dès que j’en prendrai connaissance. Je remercie vivement Pro-Activa Open Arms d’avoir osé témoigner à ce procès pour décrire les agissements des marins fascistes, ainsi que Pia Klemp, mon amie capitaine du Iuventa puis du Sea Watch, qui nous a également beaucoup aidés à Exarcheia.

Les Justes d’aujourd’hui

À l’inverse de cette haine égoïste, crétine et dangereuse, de nombreux solidaires viennent en aide aux réfugiés et migrants, parfois dans des conditions très difficiles, par exemple après avoir réussi à les aider à revenir des sinistres camps conçus par l’Union européenne après les rafles policières dans les squats. C’est notamment le cas d’un instituteur athénien qui nous rappelle les Justes d’autrefois, prenant des risques vis-à-vis de sa hiérarchie et, parfois, de la police, et mêlant sa volonté d’une pédagogie moins autoritaire à des actes concrets de lutte et d’entraide. Cet instit formidable met en œuvre quotidiennement la Pédagogie Freinet dans sa classe, invitant à la coopération plutôt qu’à la compétition, et agit aussi en dehors, jusqu’au domicile de certains enfants et de leurs parents épouvantés par l’expérience des camps. Cette belle histoire qui peut nous servir d’exemple sera également dans notre prochain film(1).

Je viens également de passer en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, tout près de la frontière albanaise, au milieu de montagnes pittoresques et de grottes camouflées qui témoignent du temps de la résistance. C’est sur cette terre sauvage que l’État grec autorise désormais des multinationales à entreprendre des recherches pétrolières et de gaz de schiste. Je vous montrerai cette lutte, parmi d’autres, dans notre prochain film « Nous n’avons pas peur des ruines ». Du nord au sud, la résistance converge de plus en plus entre les luttes de classes, sociales et environnementales, avec une même évidence : tout est politique et nécessite la remise en question profonde d’un système qui est complètement suranné, vérolé, vendu au pouvoir économique. Nous sommes chaque jour plus nombreux à comprendre qu’on ne changera pas le monde sans le transformer à la racine, dans son crédo le plus tabou, c’est-à-dire la pierre angulaire du pouvoir.

Avec Marilena et Anastassis de l’espace social libre Alimoura à Ioannina, dans la lutte contre les extractions pétrolières en Épire, près de la frontière albanaise.

Nous n’avons plus le temps d’avoir peur

Sortir de la préhistoire politique devient une nécessité vitale. Nous organiser autrement, non seulement pour prendre nos vies en main, mais pour sauver la vie tant qu’il en est encore temps. Passer du pouvoir en tant que nom, qualifiant ceux qui nous dominent ou qui prétendent nous gouverner, au verbe pouvoir, qui signifie être en capacité de choisir chacun et ensemble nos vies. Ce n’est qu’en nous débarrassant du pouvoir en tant que nom que nous libérerons le pouvoir en tant que verbe. Ces homonymes sont aussi des antonymes. Pour pouvoir vivre libres, libérons-nous du pouvoir.

D’un bout à l’autre de la planète, en toile de fond de revendications singulières et parfois anodines en apparence, du Chili à l’Indonésie et de la Guinée au Liban, il y a un profond désir de changement qui monte jusqu’en Europe. Un désir de remise en question et de réinvention. Un désir d’en finir avec la politique à l’ancienne et son cortège de mensonges et de corruption. Un désir de ne plus laisser à d’autres le pouvoir de décider de nos vies, de nous écraser, de nous humilier et, parfois, de nous tuer.

Vendredi soir, à la fin du débat qui a suivi la projection de L’Amour et la Révolution(2) à Ioannina, une jeune femme a dit :
— Nous n’avons plus le temps d’hésiter. Nous n’avons plus le temps d’avoir peur. Nous n’avons plus d’autres choix possibles. Nous devons nous mettre en alerte et alerter tout le monde autour de nous : les choses ne peuvent plus durer, la planète n’en peut plus, tout ce qui vit n’en peut plus, l’humanité va dans le mur… Nous devons arracher le pouvoir à ceux qui prétendent nous gouverner. Nous devons arracher le bien commun à ceux qui l’ont volé et le saccagent. Nous n’avons plus d’autre choix : vivre libres ou mourir.

Yannis Youlountas

« Cher capitalisme, ce n’est pas ta faute c’est la mienne… Je plaisante, bien sûr ! C’est toi qui l’a cherché : c’est fini entre nous ! »

 

(1) Si vous voulez en savoir plus et nous aider à produire notre quatrième film Nous n’avons pas peur des ruines (conçu et diffusé comme les précédents), c’est ici :
http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
(ayant donné jusqu’ici la priorité à la solidarité vers Exarcheia et, plus récemment, vers la cuisine sociale, nous ne sommes encore qu’à 20% de l’appel pour nous aider à financer le film, merci de votre soutien, un nouveau point sera bientôt publié)

(2) Je ne sais pas pourquoi, mais il y a beaucoup de projections de L’Amour et la Révolution en ce moment. Par exemple samedi soir, il y en avait également une à Volos, à Monomero…

Quelques projections cette semaine en France :
Vendredi 15/11 à d’Albi, soirée de soutien à Exarcheia avec une auberge espagnole, des extraits de L’Amour et la Révolution et Sur la route d’Exarcheia, et un échange avec des personnes qui connaissent bien le quartier, à partir de 19h30 au local de Solidaires, 59 rue Sommer à Albi (org. L’Escale + Sud Éducation + Groupe Libertaire ELAFF + Attac Tarn). À peine rentré en France, je serai présent à cette projection tarnaise avec quelques surprises et plusieurs compagnons des convois solidaires passés, mais je ne pourrai pas être présent aux deux autres :
Samedi 16/11 à Quimperlé, Ne vivons plus comme esclaves au gymnase de Kerjouanneau (org. Gilets Jaunes).
Samedi 16/11 au Puy-en-Velay, Je lutte donc je suis à 15h30 à Chadrac (org. Festival Les Mauvaises Herbes).
N’hésitez pas à faire des projections gratuites de nos trois premiers films dans vos lieux de luttes : pas besoin de demander une autorisation.

Merci de votre soutien pour nous aider à écrire notre propre histoire et à produire ce quatrième film très important pour nous (qui sera gratuit sur internet, en creative commons et à but solidaire).

Source http://blogyy.net/2019/11/11/grece-une-chape-de-plomb-tombe-sur-le-mouvement-social/

Il sont osé : Exarcheia, Rojava, Zad de l’Amassada, les oliviers en Crète

Comprendre notre impuissance politique par Yannis Youlountas 10/10/19

Ces jours-ci, le pouvoir nous attaque partout simultanément : armada policière dans Exarcheia depuis fin août, attaque militaire contre le Rojava depuis trois jours, expulsion de la ZAD de l’Amassada dans l’Aveyron il y a 48 heures et début de l’arrachage des oliviers de Kastelli en Crète hier matin.

COMPRENDRE NOTRE IMPUISSANCE POLITIQUE

Alors qu’à Athènes, le quartier rebelle et solidaire d’Exarcheia reste partiellement occupé par la police et tente de résister aux tentatives d’évacuation des squats et autres lieux autogérés, nous vivons partout ailleurs une semaine désastreuse pour nos luttes sociales et environnementales, en particulier dans nos poches de résistance.

Le Rojava, seule enclave antifasciste et féministe au Proche-Orient, est aujourd’hui sous les bombes. Les blindés du dictateur Erdogan viennent de franchir la frontière avec la bienveillance de Trump pour écraser l’expérience antiautoritaire et écologiste Kurde, au prétexte de créer une zone de sécurité pour un million de réfugiés syriens. Erdogan ose appeler cette opération « Source de paix ». Simultanément, alors qu’il retire ses troupes au nord du Rojava, Trump en rajoute à l’inverse sur les bases américaines en Grèce et offre ses services à Mitsotakis pour renforcer la surveillance des anticapitalistes athéniens avec ses grandes oreilles militaires. Le père de Mitsotakis était, lui aussi, proche de la CIA et avait facilité l’arrivée au pouvoir de la junte des Colonels dans les années 1965-1967.

En France, une ZAD de plus vient de tomber, mardi matin : la commune libre de l’Amassada dans l’Aveyron qui résistait contre un immense projet de transfo sur un site sauvage magnifique en montagne. Malgré les renforts de dernière minute, rien n’a pu empêcher les 200 gendarmes mobiles et leurs blindés de prendre le contrôle de la zone, avec l’appui d’un hélicoptère et de plusieurs drones. Plus à l’ouest, un projet de barrage en forêt de Sivens est à nouveau à l’ordre du jour, cinq ans après la mort de Rémi Fraisse.

En Crète, ce qu’on craignait de longue date vient d’arriver avec les premières pluies : les bulldozers ont surgi hier matin à l’aube à Kastelli, prenant de vitesse tout le monde, et ont commencé à arracher des centaines d’oliviers sur les 200.000 condamnés pour faire place à un projet d’aéroport insensé. Des compagnons de lutte et des photographes sur place ont été menacés, visés et expulsés hors de la zone des travaux, la police allant jusqu’à casser du matériel vidéo et détruire les prises de vue. La zone est quadrillée depuis hier matin. L’effet de surprise a été terrible.

Le problème à la racine

Alors, pourquoi nous échouons partout ? Pourquoi, tôt ou tard, le pouvoir et ses valets parviennent à nous empêcher d’expérimenter autre chose, de nous organiser autrement et de défendre la Terre qui se meurt ?

Tout simplement parce que nous sommes naïfs (et je m’inclus dans le lot). Nous ne retenons pas assez les leçons de l’Histoire et poursuivons nos répétitions passées qui n’ont jamais rien apporté ou si peu. Nous ne prenons pas assez à la racine les problèmes et n’allons pas jusqu’au bout de la démarche nécessaire pour les résoudre définitivement.

Alors que partout dans le monde, le pouvoir nous écrase, nous appauvrit, nous humilie, nous reprend nos conquêtes sociales, nous crève les yeux, nous enferme, nous affame, nous bombarde, nous empêche de filmer, nous menace, nous frappe, nous tue et détruit la Terre, morceau par morceau, nous réagissons comme s’il était encore possible de discuter et de négocier avec notre agresseur récidiviste.

Nous nous comportons comme si nous avions oublié que le pouvoir a toujours agit ainsi et continuera tant qu’il le pourra. Ses variantes dans le temps et l’espace ont commis les pires atrocités sous toutes les formes possibles et avec tous les prétextes imaginables. Toute l’Histoire de l’humanité est là pour en témoigner.

La valse des tyrans

Aujourd’hui, on parle plus de Trump et de Erdogan, un autre jour de Mitsotakis, un autre encore de Macron, puis de Bolsonaro, Assad, Poutine, Merkel, Johnson, Junker, Salvini, Rohani, Netanyahou, Kim Jong il, Al Saoud ou encore Xi Jinping, et ainsi de suite, en oubliant que le problème n’est pas seulement l’une ou l’autre de ces personnes, haïes tour à tour, mais surtout ce qu’elles incarnent, les moyens colossaux dont elles disposent au sommet de l’État et l’attitude engendrée par leur position.

Autrement dit, le problème de fond, encore et encore, et aujourd’hui plus que jamais, c’est le pouvoir.

C’est parce que nous n’allons pas jusqu’au bout, dans notre refus du pouvoir, que continuons de subir la valse des tyrans d’un bout à l’autre du globe, d’années en années, de siècles en siècles. Les visages changent, mais le problème reste le même. Un problème simple : des gens se posent en chefs, encouragés par nos propres erreurs et se permettent de décider à notre place de nos vies.

Mais ce n’est pas tout : ces gens au pouvoir, ces VIP qui s’amusent à se faire la guerre économique et militaire par victimes interposées comme on joue aux échecs ou à la bataille navale, s’entendent parfaitement dès lors qu’il s’agit de nous empêcher de nous libérer. Car leur priorité est, bien sûr, de stopper ce qui les menacent sur leur piédestal, car si l’un d’entre eux tombait pour laisser place à une société véritablement horizontale, libertaire et égalitaire, les autres seraient aussitôt sur la sellette partout ailleurs. C’est ainsi que les différentes figures du pouvoir se sont souvent entendues, implicitement ou explicitement, par exemple contre la Commune de Paris, la révolution de 1936 en Espagne et beaucoup d’autres expériences politiques qui prouvaient à chaque fois que nous pouvions vivre autrement.

Répression et criminalisation du mouvement social

Aujourd’hui, le fait que le pouvoir frappe simultanément le Rojava, Exarcheia et plusieurs ZAD d’un bout à l’autre de l’Europe n’est pas le fruit du hasard. L’offensive du pouvoir contre toute forme de résistance ne cesse de se durcir depuis des années. Tous les mouvements sociaux en France le confirment : la violence de la répression policière a atteint des sommets dans l’hexagone et les moyens technologiques mis en place pour nous surveiller n’ont désormais plus de limites, du Patriot Act à l’État d’urgence. La réalité dépasse la fiction, y compris celle du roman 1984 de George Orwell. Les dispositifs inquisiteurs et oppressants se renforcent partout en Europe, avec la France en tête de file pour la reconnaissance faciale et la Grèce pour la criminalisation du mouvement social avec le classement imminent du groupe anarchiste Rouvikonas en organisation terroriste, alors qu’il n’a jamais tué personne.

Erdogan parle également de terroristes au sujet des femmes kurdes qui luttent pour leur émancipation dans les rang des YPG. De nombreux chefs d’états utilisent aussi ce terme pour parler de celles et ceux qui leur résistent un peu partout, qui défendent la terre, qui défendent la vie.

Car face au pouvoir, nous ne faisons pas autre chose : nous sommes la vie, la foule, les enfants, la nature qui se défendent.

Une société bâtie sur un leurre

Dès lors, posons-nous la question : lutter pour vivre, sauver la vie, survivre aux injustices, vivre dignement, cela ne signifie-t-il pas nécessairement prendre nos vies en main ? La réponse est tout aussi empirique que logique. Car l’Histoire nous prouve que le pouvoir ne nous a jamais libérés et que toute émancipation n’est jamais venue que de nous-mêmes, de notre volonté, de notre clairvoyance, de notre courage, de nos luttes. La logique nous rappelle également qu’une vie digne revient à une vie libre (nul n’est digne que celui qui est responsable et n’est responsable que celui qui est libre). C’est pourquoi il nous revient de prendre nos vies en main pour bâtir un autre futur.

Le pouvoir tente de nous faire croire que le monde est horrible et que l’homme est un loup pour l’homme, ce qui lui permet d’imposer une forme de société (capitaliste et hiérarchique) pour civiliser, ordonner et pacifier le chaos destructeur. En réalité, nous savons bien que c’est tout le contraire (et c’est ce que nous essayons de faire comprendre aux jeunes en souffrance, aux résignés, aux déprimés et aux suicidaires) : ce n’est pas le monde qui est horrible, mais cette société. Ce n’est pas l’homme qui est un loup pour l’homme (pardon pour les loups, la formule est de Plaute, puis reprise par Thomas Hobbes), c’est cette société qui nous conduit à la guerre et à la compétition de tous contre tous.

L’existence même d’un pouvoir conduit à justifier l’idée de compétition et de hiérarchie partout dans la société. Car on ne peut placer quiconque sur un piédestal sans cautionner les rapports de domination et d’exploitation qui en découlent. Outre ce problème de cohérence, nous avons également vérifié à de nombreuses reprises que le pouvoir corrompt, comme nous mettait en garde Louise Michel.

Il n’y a pas de bon pouvoir

Focaliser sur un ou plusieurs dirigeants au lieu de remettre en question la fonction elle-même est donc une erreur. Bien sûr, certains régimes et hommes politiques sont pires que d’autres. Évidemment, il existe des différences. Mais, ces différences n’ont pas été suffisantes depuis plus d’un siècle pour parvenir à tourner la page du capitalisme et encore moins de la hiérarchie. Nous n’avons eu droit, au mieux, qu’à des réformes arrachées par des grèves, bien plus que concédées par les pouvoirs prétendument sympathiques. Par exemple, contrairement à ce que prétend une rumeur, la première semaine de congés payés n’était pas dans le programme du Front Populaire en 1936 et n’a été obtenue qu’à l’issue d’une des plus longues grèves du vingtième siècle en France. De même, ce n’est pas un régime royaliste ou de droite dure qui a massacré la Commune de Paris, mais la jeune Troisième République à ses débuts (avec le maire de Paris en fuite qui n’était autre que Jules Ferry). Cette même Troisième République s’est terminée honteusement en votant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940, après avoir décidé le sinistre embargo sur les armes vers l’Espagne en août 1936, condamnant dès lors l’utopie qui commençait à voir le jour de l’autre côté des Pyrénées.

Le pouvoir, quel qu’il soit, n’est pas un allié et compter sur lui est une folie. Les seules promesses auxquelles nous pouvons croire sont celles que nous faisons à nous-mêmes, c’est-à-dire nos propres engagements réciproques, sur un plan horizontal, pour créer, défendre et bâtir ensemble une société nouvelle sur d’autres bases que la compétition, la domination et l’exploitation.

Le tabou de la violence

Ne plus être naïf, c’est aussi ne plus s’interdire le tabou de la violence face à un pouvoir qui, lui, ne se gêne jamais. Libre à chacun d’en user ou pas et de résister comme bon lui semble. Si quelqu’un veut prier Gaïa ou quelqu’un d’autre dans des manifs, grand bien lui fasse. Mais qu’il impose sa façon de faire et d’agir, c’est une autre affaire. Notamment quand il s’agit d’appeler explicitement au « respect du gouvernement » et de ses valets.

Nous n’avons pas à respecter nos bourreaux. Nous n’avons rien à négocier avec les tyrans. Nous voulons vivre libres. Nous voulons prendre nos vies en mains. Nous voulons congédier à jamais ceux qui veulent nous en empêcher.

Respecter le pouvoir, c’est le cautionner. On ne discute pas avec ceux qui s’affirment d’emblée supérieurs. De même, on ne lutte pas contre un système capitaliste et hiérarchique en reproduisant ses formes lucratives et verticales. Dès lors qu’on a compris la nécessité de détruire le pouvoir, on doit commencer à le faire à l’intérieur même de nos luttes, dans notre façon de nous organiser.

S’organiser autrement pour lutter

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des partis structurés de façon hiérarchique ; des partis qui cautionnent le manège électoral dont les dés sont pipés, puisque c’est le pouvoir économique qui détermine aisément le pouvoir politique grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des syndicats également structurés de façon hiérarchique ; des syndicats dont le sommet est sourd à certaines des atteintes de la base et dont les dirigeants se reconvertissent parfois au sein même du camp d’en face.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des organisations écologistes structurées elles aussi de façon hiérarchique ; des organisations dont le sommet vaporeux a déjà tout prévu, qui refusent de remettre quoi que ce soit en question et qui imposent une charte de lutte indiscutable à toutes celles et ceux qui s’en rapprochent.

Il est facile de comprendre pourquoi ces structures refusent d’aller jusqu’au bout dans la lutte contre le capitalisme et le hiérarchisme : leurs directions profitent, participent et répètent diversement ce que nous tentons précisément de combattre en leur sein. Elles ne sont ni cohérentes ni déterminées ni libres, contrairement à la société que nous désirons. Elles ne font que reproduire des schémas désuets, modérés et stériles, dans des lourdeurs bureaucratiques, stratégiques et autoritaires.

Multiplier les Rojava, les Exarcheia, les ZAD

Notre impuissance politique est donc à la fois le produit d’une analyse incomplète du problème principal et de la répétition naïve de nos erreurs passées.

Car non, le problème ne se réduit pas à Trump ou Poutine, Erdogan ou Assad, Mitsotakis ou Tsipras, Macron ou Le Pen, et tant d’autres dans la valse des chaises tournantes. C’est le pouvoir lui-même qui est notre éternel ennemi.

Et non, on ne peut lutter contre le pouvoir, sa bureaucratie, sa hiérarchie, sa stratégie de communication, en procédant de la même façon dans nos luttes. C’est d’abord et avant tout parmi celles et ceux qui résistent que nous devons montrer notre capacité à nous organiser autrement pour l’étendre ensuite à toute la société.

Ce n’est qu’à ces deux conditions que nous pourrons enfin sortir de notre impuissance politique. De plus, nous devons absolument nous donner une dimension internationale à nos luttes, par-delà les frontières qui tentent de nous diviser et de nous faire croire que nos intérêts s’opposent. Car il n’en est rien, nous le savons bien : c’est la même lutte partout que nous devons mener, celle de l’émancipation individuelle et sociale pour prendre enfin nos vies en main.

Avec plus de solidarité internationale et plus de résistance locale partout simultanément, les quartiers, ZAD ou régions du monde ne tomberaient pas les uns après les autres, comme des dominos. Nous avons besoin d’autres expériences moins verticales et autoritaires comme le Rojava, d’autres quartiers rebelles et solidaires comme Exarcheia, d’autres ZAD un peu partout et de plus en plus. Ces initiatives sont trop isolées. Nous comptons trop sur elles. Nous les mythifions trop, sur des piédestaux, au lieu de les multiplier, de les réinventer sans cesse et de créer un véritable réseau sans frontières et horizontal dans l’entraide et le soutien mutuel.

Sans chef, il sera beaucoup plus difficile de nous récupérer, de nous corrompre, de nous abattre.

Passer du nom au verbe pouvoir

Pour finir, rappelons-nous que le pouvoir n’est pas seulement un nom, mais aussi un verbe. Et c’est là, précisément, dans la confusion entre ces deux homonymes, que se cache l’un des enjeux de notre époque : sortir enfin de la préhistoire politique de l’humanité. Le pouvoir est un nom : celui de l’autorité qui dirige, qui gouverne, qui exerce tout ou partie des droits d’une autre personne ou de toute une communauté et qui agit pour son compte. Mais pouvoir est aussi et surtout un verbe : il signifie tout simplement être en capacité de faire. Passer du nom au verbe, tel est l’enjeu. Détruire le pouvoir en tant que rapport de domination pour libérer notre capacité à penser et à choisir nos vies.

Ce qui vaut pour la société vaut également pour nos luttes. Donnons à voir partout la société que nous désirons. Cessons d’accepter de nous organiser dans des structures verticales et de courir après des hommes providentiels. Passons à l’étape suivante.

Pour prendre nos vies mains, commençons par prendre nos luttes en main.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2019/10/10/comprendre-notre-impuissance-politique/

 

Répression politique en Espagne

Vaste opération de mise en scène contre les indépendantistes catalans

29 septembre 2019

Un nouveau pas a été franchi cette semaine dans la répression politique en Espagne avec la détention de militants indépendantistes directement accusés de « terrorisme, rébellion et détention d’explosifs ». Les prisonniers politiques – « otages » comme les qualifient de plus en plus de Catalans – sont donc maintenant au nombre de 16 dans les geôles espagnoles.

Lundi 23 septembre, tous les médias catalans et espagnols ouvraient leurs éditions avec les premières informations de la vaste opération, qualifiée de « razzia » par la presse catalane, menée en pleine nuit par 500 agents de la Guardia civil spécialement déplacés de Madrid. Des descentes et perquisitions étaient effectués aux domiciles de militants indépendantistes. 9 personnes étaient détenues, dont 7 sont emportées immédiatement à Madrid et mises au secret dans les locaux de la police grâce au secret de l’instruction appliqué pour cette opération. La mise en scène des autorités espagnoles incluait l’enregistrement filmé des portes des appartement défoncées à grand coup de béliers, des domiciles sans dessus-dessous après les perquisitions et la « découverte » pour toute preuve, dans le local du comité des fêtes de la ville de Sabadell, de marmites et casseroles et d’un sac en plastique plein de produits pyrotechniques. Le procureur expose les résultats des perquisitions en parlant « d’éléments précurseurs susceptible de servir à la préparation d’explosifs ». C’est à dire rien.

Police et médias espagnols les accusent instantanément de « terrorisme, rébellion et détention d’explosifs ». Les personnes arrêtées, membres des CDR – les comités de défense de la République, groupes informels pacifiques et non violents formés dans toute la Catalogne après les violences de la police espagnole lors du référendum de 2017, de la suspension de l’autonomie et de l’emprisonnement du gouvernement catalan – sont accusées de « terrorismes, de détention d’explosifs et rébellion ». L’opération et l’instruction secrètes n’empêchent pas les médias espagnols de diffuser immédiatement les détails et accusations qui déclenchent l’application contre les inculpés la réglementation antiterroriste : garde à vue prolongée, pas d’avocat, pas de contact avec les familles, traduction immédiatement devant les juridictions spécialisées à Madrid.

Irrégularités et mensonges 

Le monde politique catalan, mais aussi les journalistes et les avocats mobilisés dénoncent rapidement les irrégularités, les absurdités et les mensonges attachés à l’opération et relayés sans scrupules par le monde politique et les médias espagnols, la justice et la police. Fuites orchestrées par les autorités, interventions en dehors des horaires légaux, menace des maires qui se mobiliseraient, remise en liberté de deux des « présumés terroristes », enfants de 10 ans des détenus mis en joue et allongés sur le sol… La ministre de l’Éducation de Puigdemont, en exil en Écosse, Clara Ponsatí a averti sur les réseaux sociaux que « tout cela ne fait que commencer ». Parmi les élus du PP et de Ciudadanos, c’était à celui qui dirait la plus grosse énormité dans un délire éhonté de références aux attentats criminels de l’histoire récente de l’Espagne : les indépendantistes avaient été « pris avec des bombes à la main », la police avait évité une nouvelle hécatombe, les politiques et élus indépendantistes constituaient les soutiens au terrorisme…

Objectif : assimiler indépendantistes et terroristes

À la veille de la dissolution des Cortes avant les élections législatives du 14 novembre prochain et dans l’attente du verdict contre les prisonniers politiques catalans début octobre, un nouveau pas est franchi pour tenter de liquider le mouvement indépendantiste, de faire peur à la société catalane, d’assimiler indépendantisme et terrorisme, et sans doute de préparer la prochaine suspension de l’autonomie catalane et l’emprisonnement d’élus, de politiques et de militants. C’est dans ce sens que ne cessent de s’exprimer les partis espagnols, des plus virulents à droite au non moins nationaliste PSOE qui exige maintenant au président de la Generalitat et aux ministres indépendantistes de « condamner la violence [inventée] des groupuscules indépendantistes » et de « renoncer à un projet et à une idéologie illégale et qui sont un échec total » [dixit Pedro Sanchez], sous d’une répression encore plus dure. L’objectif de la « guerre sale » des pouvoirs de l’État est clair et de plus en plus explicite : neutraliser les militants et les politiques indépendantistes en les associant systématiquement au terrorisme. Le but étant de se débarrasser politiquement des adversaires indépendantistes aux prochaines élections et gagner le plus de voix possible dans les rangs du nationalisme espagnol et de l’anticatanalanisme.

Mobilisations dans toutes la Catalogne et tension croissante

 mobilisations citoyennes ont suivi immédiatement l’opération de propagande et les détentions abusives. Les 7 personnes détenues sont gardées en « prison préventive le temps de l’instruction » alors qu’aucune preuve ni indice significatif des accusations, ni aucun fait ne peuvent être retenus contre eux. Les proches des détenus ont témoigné toute la semaine du caractère politique de l’opération de propagande, d’un récit totalement fictif inventé par juges et policiers, dans la ligne du procès de Madrid où les violences policières du référendum ont été attribuées aux électeurs pacifiques. La droite et les populistes de Ciudadanos ont même provoqué les premiers incidents au Parlement de Catalogne en insultant et en menaçant le président de la chambre et le gouvernement et se sont vus expulser de l’hémicycle. Les manifestations se sont poursuivies toute la semaine dans plus de 50 villes catalanes, concerts de casseroles et cris de « Nous sommes tous des CDR ». De même que plusieurs manifestations ont eu comme objectif des rassemblements devant les casernes de la Guardia Civil.

La décrédibilisation de la justice et de la police espagnole atteint des niveaux maximums en Catalogne. La presse a rappelé cette semaine que l’appareil politico-judiciaire espagnol s’oppose à l’enquête sur les attentats djihadistes de Barcelone pour déterminer quels étaient les liens précis entre les terroristes et la police espagnole (malgré une plainte déposée par le père d’un enfant victime), ou encore que le militant d’extrême droite qui voulait assassiner Pedro Sanchez et chez qui on a trouvé un arsenal d’armes de guerre impressionnant n’a pas été inculpé de violence ni de terrorisme. Le président d’Òmnium Cultural Jordi Cuixart en prison « préventive » depuis 2 ans analyse cette offensive démesurée espagnole comme un progrès, « la prison étant un pas supplémentaire vers la victoire ».

L’État de droit et la démocratie sont de plus en plus gravement remis en cause en Espagne qui entend traiter la « question catalane » à la manière franquiste, avec la caution des plus hautes autorités politiques, judiciaires et policières, dans un silence impressionnant et de plus en plus difficile de ne pas considérer comme « complice » des autres membres de l’Union européennes, plus occupés par les évènements de Hong Kong ou de Turquie.

http://lepeuplebreton.bzh/2019/09/29/vaste-operation-independantistes-catalans/

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