Chaque année, la commémoration du massacre étudiant de l’université Polytechnique d’Athènes, où les militaires de la junte militaire fasciste (1967 – 73) massacrèrent plusieurs dizaines d’étudiantEs (le nombre exact n’est toujours pas établi) donne lieu à des mobilisations importantes de la jeunesse scolarisée, autour des mots d’ordre toujours d’actualité : « éducation, pain, liberté ». Les jours qui précèdent la manif du 17 novembre donnent lieu à des meetings, des fêtes de solidarité, des manifs de toute sorte, dans un contexte de résistance anti-impérialiste et de défense des droits démocratiques.
Pluies d’attaques antisociales
Cette année, les mobilisations étudiantes ont commencé très tôt. Dès son arrivée au pouvoir début juillet, la droite du rejeton de la vieille famille Mitsotakis a annoncé la couleur : économies sur l’éducation publique, feu vert au privé, le tout sur fond de campagne hystérique de répression des droits, contre les réfugiéEs, contre les travailleurEs, contre la gauche en général, et cela en s’appuyant sur son aile fascisante (cadres de la droite provenant d’anciens groupuscules fascistes) et sur les médias quasi entièrement aux ordres, la 1ère chaine française TF 1 apparaissant presque de gauche face aux chaînes grecques !
Dans le secteur éducatif, la nomination d’une bigote fondamentaliste comme ministre, Niki Kerameos, a été suivie de mesures toutes plus antisociales et anti-démocratiques les unes que les autres : fermeture de la fac de droit de Patras, ouverte par le gouvernement Syriza, et de 37 autres sections universitaires, limitation du droit aux études (viré après deux échecs), projet de casser le monopole public de l’université (pour l’instant, les boites privées du supérieur, hyper chères, sont en lien avec des facs étrangères qui les patronnent… et en tirent des revenus), nomination récente comme président de l’Institut de politique éducative d’un provocateur réactionnaire… Et pour faire passer ces attaques sociales de premier plan, la droite a voté cet été une mesure répressive très inquiétante, qui pour beaucoup montre clairement le lien entre cette droite « orbanisée » et la junte militaire des années 1967-73 : la suppression de l’asile universitaire, bien sûr entourée de tout un fatras d’élucubrations accusatrices sur les refuges terroristes dans les facs, les terroristes étant, en vrac, les anars, l’extrême gauche et Syriza!
Mobilisations étudiantes
Le mouvement étudiant ne s’est pas trompé sur la gravité de cette mesure et ses conséquences non dites sur le droit aux études : dès fin juillet, une première manif voyait défiler 5000 étudiantEs à Athènes. Et depuis la rentrée, de nombreuses mobilisations ont eu lieu sur cette question, avec ces dernières semaines de belles manifs et une mobilisation croissante avec comme perspective le 46e anniversaire de Polytechnique, dont beaucoup ont compris le fort enjeu cette année. Du coup, les instances universitaires se mettent au garde-à-vous : conférence des présidents d’université dénonçant les « épisodes » de violence… étudiante et, surtout, décision inouïe de la direction d’ASOEE, fac d’économie d’Athènes, de fermer la fac dans la semaine du 17 novembre, empêchant sa communauté universitaire d’organiser ce qui est un moment important de la vie universitaire et de la politisation. Les étudiantEs de cette fac et d’autres ont organisé une riposte à ce lock-out, entrant dans leur fac pour faire valoir leurs droits. Résultat : une violente intervention policière contre les étudiantEs mais aussi contre des passantEs, des journalistes (tenus à l’écart…), Mitsotakis montrant ainsi à tous ceux et toutes celles qui en doutaient son vrai visage.
« La loi et l’ordre »
Car le slogan de la période pour le pouvoir, c’est « la loi et l’ordre », ce qui n’est pas sans rappeler en Grèce des slogans d’époques bien sombres. Cela s’illustre évidemment par les expulsions des immeubles occupés, notamment dans le quartier d’Exarcheia sinistrement quadrillé par les MAT (CRS), et qui continuent sans que s’y oppose une protestation suffisamment massive. Cela se vérifie aussi avec les droits que s’octroie une police dont on sait à quel point elle est gangrenée par les idées nazies de Chryssi Avgi (Aube dorée) : arrestations arbitraires, passages à tabac, humiliations diverses, menaces, et déclarations provocatrices de flics se réjouissant que l’esprit de la junte soit revenu…
Alors, bien sûr, tant de provocations et d’impunité font penser à certains que le gouvernement tente d’ouvrir un autre front pour faire oublier le scandale financier dans lequel sont salement englués certains de ses membres, dont le ministre d’extrême droite Georgiadis. Que cet aspect existe, c’est possible. Mais il est évident que sur le fond, ce gouvernement revanchard et sans grande expérience n’a qu’un but : le libéralisme intégral, à la Pinochet comme on le dit ici, et notamment dans le domaine éducatif, avec comme projet de restreindre très fortement le droit aux études.
Ces attaques, le mouvement étudiant les refuse de plus en plus fort ces derniers jours : le jeudi 14 novembre, une très grosse manif a eu lieu dans le centre d’Athènes, et de nombreuses facs sont occupées dans le pays, en vue d’un 17 novembre auquel la jeunesse compte bien donner un caractère bien plus massif que les années précédentes. Toutes raisons pour lesquelles le lien avec le mouvement ouvrier sera décisif… ainsi que la solidarité internationale, notamment contre la répression!
A. Sartzekis
PS (18 novembre) : La commémoration de l’École Polytechnique, le 17 novembre, a été plutôt une bonne et encourageante surprise : des dizaines de milliers de manifestantEs (la police parle de 20 000…), avec des cortèges combattifs. La présence des étudiantEs et de la jeunesse plus largement confirme qu’une reconstruction de la résistance face aux attaques brutales de la droite se prépare…
Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce ! par Yannis Youlountas ·
Nouveau point sur la situation en Grèce, où ça chauffe également. Faites passer.
Depuis son arrivée au pouvoir, début juillet, le nouveau premier ministre grec faisait une fixation sur Exarcheia qu’il voulait « nettoyer » au plus vite. Dans sa ligne de mire : migrants, anarchistes et autres révolutionnaires, et leurs locaux pour la plupart squattés. Mais devant la résistance du quartier (qui s’organise de plus en plus au fil des mois, après un été laborieux) et sa volonté d’essaimer un peu partout pour ne pas se laisser nasser, c’est maintenant dans toute la Grèce que le gouvernement a décidé de frapper.
En parallèle du mouvement dans l’hexagone
Ce jeudi 5 décembre, pendant que la grève générale commencera en France (observée avec un grand intérêt depuis la Grèce), un autre événement important se produira simultanément à l’autre bout de l’Europe. En effet, ce 5 décembre sera aussi le terme d’un ultimatum de 15 jours lancé le 20 novembre dernier par le gouvernement grec contre tous les squats du pays. La Grèce, laboratoire du durcissement du capitalisme en Europe, devient désormais celui d’un contrôle social qui se veut total. Finies les zones d’autonomies, quelle que soit leur dimension et leur emplacement géographique. À partir de la semaine prochaine, la tolérance zéro sera appliquée contre tous les squats du pays, au nombre de 90 dont la moitié à Athènes et 7 à Thessalonique.
L’État attendra probablement quelques jours pour lancer la dernière phase de son plan d’évacuation des squats qui devrait durer jusqu’à Noël. Dans toute la Grèce, sans doute du 9 au 23 décembre, une véritable armada policière va tenter d’en finir avec les derniers lieux occupés et autogérés d’Exarcheia et dans les autres régions du pays.
Un mois de décembre décisif
Pourquoi attendre un peu, alors que l’ultimatum prend fin le 5 ? Parce que le pouvoir veut d’abord prendre le pouls de la mobilisation de demain dans toute la Grèce. La manifestation principale partira, à la tombée de la nuit, des Propylées sur la rue Panepistemiou à Athènes (à ne pas confondre avec les Propylées de l’Acropole si vous êtes sur place). Elle sera sans doute très nombreuse et particulièrement déterminée, avec pour slogans : « No pasaran ! », « Ne touchez pas aux squats ! », « La passion de la liberté est plus forte que toutes les chaînes ! » ou encore « 10, 100, 1000 squats ! ». On parle déjà d’une mobilisation historique, notamment en raison des soutiens qui se multiplient, mais c’est à confirmer jeudi. Le lendemain, vendredi 6 décembre, sera également une grande journée de mobilisation en Grèce, mais cette fois habituelle, puisque ce sera le onzième anniversaire de l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos par un policier, le 6 décembre 2008 dans une ruelle d’Exarcheia. Cette seconde manif d’affilée visera donc la répression policière qui ne cesse de s’amplifier en Grèce depuis le retour de la droite au pouvoir.
Dans la préparation de la phase actuelle, période décisive durant laquelle beaucoup de choses vont se jouer, le 17 novembre dernier a été un jour déterminant. Ce jour-là, la torture est apparue au grand jour dans les rues du centre d’Athènes, au point laisser des flaques de sang autour de la place centrale d’Exarcheia dans les cris et les appels au secours. Depuis, ces images et ces sons ont fait le tour de la Grèce et parfois au-delà. Le masque du régime est tombé. Si certains membres du gouvernement sont des transfuges de l’extrême-droite (principalement du LAOS, parti réactionnaire, nationaliste et raciste), le gouvernement tout entier porte désormais la marque d’une droite extrême qui ne s’embarrasse plus de démentis ni de discours sirupeux. Les propos sur les migrants n’ont plus grand chose à envier à Aube Dorée et la haine des anarchistes et des gauchistes se montre au grand jour à coup de phrases qui rappellent les heures sombres du passé.
La droite fait capoter la séparation entre l’Église et l’État
Ce lundi 25 novembre, le nouveau parlement majoritairement de droite a rejeté le projet de séparation entre l’Église et l’État (loi sur la « neutralité religieuse de l’État »). Pourtant, le projet garantissait la reconnaissance de l’Église orthodoxe comme « religion dominante », mais ce n’était pas assez. Par contre, le délit de blasphème (supprimé par Tsipras l’année passée) n’a pas été rétabli, malgré la volonté de Mitsotakis. Les peines pouvaient aller jusqu’à deux ans de prison ! Pour l’instant, le nouveau gouvernement grec a préféré renoncer, mais va peut-être passer à l’acte l’année prochaine.
Si les derniers sondages ont vu disparaître totalement le parti Aube Dorée, qui n’est même plus quantifié (mélangé à une dizaine d’autres « micro partis » dans un total de « 1% : autres partis »), ce n’est pas un hasard : la promesse de Mitsotakis d’en finir avec les antifascistes et les migrants d’Exarcheia (évacuations des squats vers des camps fermés, amplification des expulsions vers la Turquie, répression des activistes) ont ravi une grosse partie des anciens électeurs du parti néonazi. Mitsotakis soigne son extrême-droite pour consolider son pouvoir et manier d’une main de maître sa police contre l’ennemi intérieur : « l’anti-Grèce », les « immigrés voleurs du travail des Grecs », les ouvriers engagés dans une riposte internationaliste « qui parlent de classes sociales au lieu de voir l’intérêt supérieur du pays », les chômeurs récemment qualifiés de « parasites » par un ministre (durant un copieux banquet), les révolutionnaires « ennemis de la démocratie » dont on prépare déjà les cellules en prison, le code pénal étant en cours de modification pour les punir plus sévèrement et réduire leur liberté d’expression.
Une dérive fasciste des démocraties libérales
Ce qui se passe en Grèce n’est rien d’autre que l’une des nombreuses formes de la dérive fasciste des démocraties libérales dans le monde. Car il n’est nul besoin que l’extrême-droite labellisée arrive au pouvoir : ses idées sont déjà là en grande partie, en Grèce comme en France, et cela se vérifie dans le traitement toujours plus violent dont font l’objet les opposants politiques, ainsi que les pauvres et les migrants. Passer à la tolérance zéro contre tous les squats de Grèce, au moyen d’une évacuation générale à grand renfort de communication, est une démonstration de force pour nous dissuader de résister et nous pousser à la résignation, entre colère et désespoir. Durcir la loi pour les utilisateurs de cocktails Molotov (de 5 à 10 ans de prison ferme) et classer parmi les organisations terroristes un collectif qui n’a causé que des dégâts matériels pour enrayer la violence dramatique des choix politiques du pouvoir (modification de l’article 187A du code pénal qui vise principalement Rouvikonas), c’est tenter également de faire taire toute rébellion.
Et ça continue ! Ces jours-ci, un nouveau projet de loi vise à limiter le droit de manifester et à interdire plus facilement les rassemblements (modification du décret législatif 794/1971 sur les réunions publiques, annoncé par Mitsotakis au dernier congrès de son parti, au prétexte d’empêcher les manifestations qui bloquent souvent le centre-ville d’Athènes). Pendant ce temps, les migrants sont déplacés des camps de Lesbos et Samos vers des îles désertes, loin des regards. Cela ne nous dit rien de bon non plus : il y a 50 ans, c’est sur l’île déserte de Makronissos, à l’ouest de mer Égée, tout près de l’Attique, qu’étaient concentrés les opposants politiques durant la dictature des Colonels, dans des conditions de vie déplorables provoquant fréquemment des morts.
Le vent de la révolte se lève
Mais alors, pourquoi le pouvoir devient-il de plus en plus autoritaire, en Grèce comme ailleurs ? Parce qu’en premier lieu, le capitalisme lui aussi ne cesse de se durcir : il creuse toujours plus les inégalités et saccage le bien commun au point d’anéantir la vie, jour après jour, mois après mois, provoquant en toute logique de nombreuses réactions d’un bout à l’autre du monde, même si elles sont très diverses. De Santiago du Chili à Hong-Kong et de Beyrouth à Djakarta, le vent de la révolte se lève, la colère gronde et des opprimés se soulèvent. À Athènes comme à Paris, le pouvoir s’en inquiète et renforce son arsenal contre sa propre population (LBD en France, voltigeurs en Grèce, recrutement et primes pour les policiers partout, arsenal juridique renforcé…). En dépit des apparences qu’il veut se donner, le pouvoir a peur, très peur. Tant le pouvoir politique que le pouvoir économique qui le détermine grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion. Le pouvoir est inquiet pour ses propres intérêts et sa position dominante dans une société fondée sur des chimères et un monde qui commence déjà à donner des signes d’effondrement. À l’allure où va le capitalisme, le temps de la vie sur Terre est compté. Il est donc logique qu’il en soit de même pour ses dirigeants. Des dirigeants qui tentent par tous les moyens de garder le cap vers le néant. Des dirigeants qui veut profiter jusqu’au bout de leur position et de leurs avantages, feignant de changer, multipliant les promesses, mettant en scène l’illusion de grandes décisions, repeignant en vert les usines opaques et le commerce insatiable, tout en ajoutant quelques mots de plus à la langue de bois.
Prendre nos vies en mains
En réalité, dans les temps à venir, le pouvoir sera d’autant plus violent que le monde se décomposera dans cette voie sans issue. Les guerres du pétrole, du gaz, du lithium ont déjà commencé sous nos yeux, dans un jeu morbide de chaises musicales, pour se partager les dernières parts d’un gâteau empoisonné. Seul un double changement, de système politique et de système économique, pourra stopper cela. Sortir du capitalisme et de la société autoritaire va de pair, puisque l’exploitation est directement la conséquence de la domination, sans laquelle il n’y a pas d’exploitation possible. D’un bout à l’autre du monde, dans l’ultime danse des fantômes sur les écrans, tels les ombres du mythe de la caverne, beaucoup d’esclaves modernes ont bien compris que le seul objectif désormais est de prendre nos vies en mains. Non plus seulement pour choisir nos vies, mais aussi pour les sauver. La trajectoire mortifère du capitalisme est indissociable de celle du pouvoir qui l’organise. Un pouvoir qui vise actuellement le contrôle total de nos vies, non seulement pour maximiser ses profits, mais aussi pour surveiller tout ce qui peut menacer son édifice.
« Parler de révolution, c’est faire l’apologie du terrorisme »
En Grèce comme en France, le mot « sécurité » est sur toutes les lèvres. Le gouvernement a baptisé son opération « Loi et ordre » contre toutes les formes de résistance et tous les lieux qu’elles occupent. Jour après jour, morceau par morceau, la parole révolutionnaire va devenir hors-la-loi et la seule expression acceptable reviendra à passer sous les fourches caudines du filtre parlementaire. « Vous voulez changer la société ? Vous n’avez qu’à voter, un point c’est tout » a répondu l’un des ministres concernés, aussitôt soutenu par deux journalistes aux ordres qui buvaient ses paroles en prime-time. « Parler de révolution [sociale], c’est faire l’apologie de la violence, l’apologie du terrorisme. En démocratie, il y a des moyens à la disposition de tous pour faire évoluer la société. Il faut les utiliser ou bien se taire ! » La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante. Une classe frappée par des scandales à répétition. Une classe dont l’un des porte-parole, Christos Staikouras, ministre des finances de Mitsotakis, a osé déclarer que « vivre avec 500 euros par mois en Grèce, c’est faire partie de la classe moyenne » (jeudi 27 novembre à la tribune du parlement, durant la présentation du budget 2020).
Si le gouvernement grec s’est braqué aussi brutalement le 20 novembre dernier, en posant son ultimatum contre tous les squats du pays, c’est également parce que la mobilisation commence à l’inquiéter et qu’il veut « en finir au plus vite ». Une mobilisation sous diverses formes, dans un contexte mondial agité. Non seulement la manifestation du 17 novembre (date anniversaire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973) a été la plus nombreuse de ces dernières années, mais d’autres types d’actions montent actuellement en puissance et c’est précisément ce que veut endiguer le pouvoir. Parmi celles-ci, il y a évidemment le cas de Rouvikonas, l’un des principaux sujets évoqués par l’entourage de Mitsotakis.
La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante.
Rouvikonas se renforce
Les 2 et 3 novembre dernier, lors de ses « deux journées d’ouverture » au théâtre autogéré Embros (centre d’Athènes), le groupe Rouvikonas s’est considérablement renforcé. Non seulement, en quantité, c’est-à-dire en nombre de membres, mais aussi et surtout dans le secret des appartenances rendant encore plus difficile la tâche des services de renseignements de surveiller et d’anticiper les actions menées par le groupe presque quotidiennement. La conséquence a été immédiate. Dès le 17 novembre, pendant les rassemblements et manifestations, Rouvikonas a battu tous les records en frappant à 5 endroits de la capitale simultanément. Deux de ces attaques visaient des firmes s’appropriant le bien commun (alors que le gouvernement accélère la privatisation du gaz et de l’électricité), deux autres visaient des patrons maltraitant leurs ouvriers (une mairie et une usine en banlieue d’Athènes, où les accidents de travail se multiplient) et la cinquième attaque visait le domicile du ministre de l’économie en personne. Tout ça dans la même journée. La réaction du premier ministre n’a pas tardé, fulminant et vengeur, mais sans rien annoncer jusque-là.
Tsipras énerve Mitsotakis
Pour ne rien arranger, Tsipras, désormais dans l’opposition parlementaire et visiblement candidat à la succession de Mitsotakis, en a profité pour se moquer du gouvernement, suite aux 5 actions de Rouvikonas le 17 novembre. C’est précisément le 19 novembre, sur la chaîne Open News, rapidement relayée par d’autres, qu’il a évoqué Mitsotakis en ces termes : « Tiens donc ? Rouvikonas existe encore ? N’avait-il pas dit qu’en moins d’une semaine après les élections tous les membres de Rouvikonas seraient tous en prison ? N’avait-il pas annoncé qu’il les arrêterait ? » Ce tacle médiatique a aussitôt circulé, même parmi ceux qui ne veulent plus entendre parler de Tsipras, tant le ridicule était grand pour Mitsotakis.
Dès le lendemain, mercredi 20 novembre, la nouvelle tombait : le gouvernement Mitsotakis annonçait un ultimatum contre tous les squats de Grèce et non plus seulement ceux d’Exarcheia et l’un de ses porte-parole promettait que le K*Vox, base du groupe Rouvikonas, serait parmi les premiers lieux évacués.
Squats toujours !
Côté squats, la réaction a été immédiate. Partout en Grèce les mobilisations se sont multipliées. En Crète par exemple, pendant qu’Evaggelismo(1), le plus grand squat d’Heraklion, menait plusieurs actions dans la préfecture, un autre squat historique basé à Chania sous le nom de Rosa Nera occupait, avec des banderoles, le plateau de la principale chaîne de télévision de l’île, le 21 novembre à l’heure du JT. Dans le nord de la Grèce également, les actions n’ont pas manqué, de Thessalonique à Alexandroupoli (à la frontière de la Turquie).
À Exarcheia, les 16 squats qui subsistent (après une douzaine d’évacuations) n’ont pas du tout stoppé leurs activités, bien au contraire : projections de films (Notara 26), concerts (K*Vox), rencontres-débats, animations pour les enfants (Lelas Karagianni 37, l’un des plus vieux squats d’Exarcheia ouvert en 1988), formation aux premiers secours en cas d’attaque chimique (ce soir, par la structure autogérée de santé d’Exarcheia), ainsi que des rassemblements et d’autres initiatives qui ne peuvent pas s’écrire ici. Non, les squats ne se laissent pas impressionner par la promesse du pouvoir de les anéantir dans quelques jours. Ils cultivent aussi leur mémoire. À Notara 26 par exemple, les résidents et solidaires sont en train de consigner leurs souvenirs. Si vous comprenez l’anglais, je vous conseille cette lecture(2)(3).
D’où viennent les squats d’Exarcheia ?
Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut également savoir qu’en Grèce, malgré l’importance du réseau de squats en proportion du nombre d’habitants, il n’existe pas de cadre législatif qui garantisse les droits d’occupation, contrairement aux principaux pays d’Europe occidentale. Depuis l’ouverture du premier squat dans le pays, déjà à Exarcheia, (en octobre 1981 au numéro 42 de la rue Valtetsiou), les squatters n’ont jamais accepté de négocier avec les institutions. Pourquoi ? Parce que leur but premier n’était pas de trouver un logement, mais de trouver un moyen de rompre avec le pouvoir : l’État, le Capital, la société de consommation, sans oublier le poids des traditions réactionnaires qui pesaient beaucoup dans la Grèce des années 80-90 (patriarcat, homophobie, cléricalisme…). La multiplication des squats en Grèce n’a vraiment commencé qu’à l’automne 1985, en parallèle d’un mouvement social qui s’intensifiait. L’Anarchisme était en plein essor. Le parti socialiste grec (PASOK) ne cessait de trahir ses promesses, au pouvoir depuis 4 ans. Le KKE pâtissait des révélations sur les conditions de vie à l’Est, puis de la chute du mur de Berlin. L’époque était à l’autonomie, à la quête de liberté individuelle et sociale, au projet d’une société anti-autoritaire remettant totalement en question la démocratie parlementaire (qu’on surnomme en Grèce « démocratie anglaise »). Le rock puis le punk accompagnaient ce mouvement, sans pour autant rompre avec le rébétiko. Nicolas Asimos, Dimitris Poulikakos(4) et Katerina Gogou figuraient parmi les noms des poètes et chanteurs de ces années-là, au berceau d’Exarcheia en tant que quartier rebelle, créatif et solidaire. Un quartier « anartiste », depuis lors partagé entre l’envie de se laisser vivre et la volonté farouche de lutter.
Exarcheia, futur Montmartre d’Athènes ?
Lundi soir, une manifestation du Front social d’Exarcheia, composante la plus modérée du mouvement, s’est rendue devant la mairie d’Athènes qui était en pleine réunion du conseil municipal. Accueillis par des dizaines de policiers anti-émeutes, les manifestants n’ont pas obtenu la possibilité de transmettre les motifs de leur désaccord. Le maire d’Athènes, neveu du premier ministre, a refusé de les recevoir et a demandé des renforts à la police. Principal slogan du Front social : « Exarcheia est à ses résidents et aux mouvements sociaux, pas aux flics, aux mafias de la drogue ni aux investisseurs immobiliers. » Le but actuel du pouvoir est de gentrifier le quartier, chose qui a commencé, et de le transformer en quartier chic et bobo. Une sorte de « Montmartre à Athènes » aurait dit le nouveau maire de la capitale, comparant la colline de Strefi (point culminant d’Exarcheia) à la butte rouge de Paris. Et après ? Une église orthodoxe sera-t-elle bâtie au sommet de la colline d’Exarcheia pour expier les pêchés des révolutionnaires du quartier ?
Hier matin, Démosthène Pakos, l’un des représentants du syndicat des policiers, a annoncé que « Exarcheia sera complètement détruit si les MAT (CRS) sont enfin autorisés à faire ce qu’ils ont à faire ». Visiblement, il est très impatient. Pourtant, depuis des semaines, les violences sont déjà quotidiennes dans le quartier quadrillé par les postes de surveillance en kaki et bleu marine : harcèlement, insultes, menaces, coups et même scènes de torture, comme ce fut le cas pour un camarade de Rouvikonas prénommé Lambros, trainé puis dénudé dans la rue Bouboulinas il y a deux semaines. Malgré les photos et preuves de ce qui s’est passé, Lambros a finalement décidé de ne pas porter plainte contre les policiers : « D’une part, je n’attends rien de la justice bourgeoise à laquelle je ne veux pas faire appel et, d’autre part, les premiers responsables ne sont pas les flics qui m’ont frappé, mais le pouvoir qui les dresse à nous attaquer ainsi que la classe dominante qui nous maintient dans cette situation. Ceux sont eux mes premiers ennemis, pas les brutes minables qui travaillent pour eux. »
Une période très difficile
En ce mois de décembre périlleux, le groupe Rouvikonas va, en plus, devoir faire face à beaucoup de procès. Ce jeudi : procès d’un membre pour une action dans les bureaux d’un député du parti de droite au pouvoir. Mardi 10 décembre : procès de 10 membres à Nauplie pour une action sur un péage. Mercredi 11 décembre : procès de 8 membres à Syros pour une action à Tinos suite à la mort de deux ouvriers dans des conditions de travail horribles. Mercredi 18 décembre : procès de plusieurs dizaines de membres à Athènes pour une occupation de l’ambassade d’Espagne en solidarité avec les victimes de la répression en Catalogne. Dans les semaines à venir, les peines de prison et les amendes risquent de pleuvoir. On attend avec inquiétude mais détermination les verdicts. De plus, le groupe a annoncé une riposte magistrale et rapide en cas d’évacuation du K*Vox, parlant de « casus belli » (déclaration de guerre). Un peu partout en Grèce, d’autres groupes ont également l’intention d’agir en représailles des évacuations annoncées. Ça risque de chauffer et pas à cause du feu dans la cheminée. Ce 25 décembre, le Père Noël sera probablement rouge et noir avec des cadeaux par milliers.
Parmi les collectifs solidaires qui squattent dans le quartier, la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE) n’est pas décidée à mettre la clé sous la porte, mais à continuer jusqu’au bout à soigner les personnes gratuitement, quelle que soit leur couleur de peau. Qu’importe le matériel et les stocks de médicaments qui seront saisis par la police : « ce sera une honte pour le pouvoir, s’il ose aller jusque-là ». Une fois encore, l’État ne veut pas que nous prenions nos affaires en main dans l’autogestion, excepté quand il s’agit des intérêts de grosses firmes qui profitent, par exemple, de la privatisation de la santé. Mais dans ce cas, ce n’est ni gratuit ni autogéré, et c’est pire encore pour les plus précaires. Pour en savoir plus sur la structure autogérée de santé d’Exarcheia, un camarade venu des États-Unis a créé une petite bande-dessinée pour la présenter (5).
La mémoire des murs
Ces derniers jours, les services de la voirie d’Athènes, escortés par des policiers, essaient par tous les moyens d’effacer la mémoire d’Exarcheia : ses nombreux tags et graffitis sur des kilomètres de murs. C’est une chose terrible pour nous, avec Maud, qui consignons cette mémoire du quartier depuis 11 ans(6). Au centre de la place, la bataille de la statue fait rage : la mairie ne cesse de la faire nettoyer et les militants de la taguer à nouveau (parfois avec des menaces contre le maire lui-même), au point de la peindre entièrement de rouge sang (pour symboliser les violences policières dans le quartier). Même le marbre a été changé plusieurs fois, en vain : les révoltés d’Exarcheia ne veulent pas du blanc impeccable, traditionnel et froid façon Parthénon, mais de la vie, de la couleur, du feu, de la rage.
Surveillance made in France
Autre échec, cette fois de la police : l’un des deux drones qui surveillent les rues et les terrasses au-dessus du quartier vient de connaitre un accident malencontreux ce matin . Depuis, les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, avec des comparaisons plus drôles les unes que les autres pour se moquer de l’équipement et des compétences de la police grecque.
Idem pour un véhicule banalisé qui a été repéré avec une caméra qui filmait en cachette l’un des lieux militants du quartier : elle a déguerpi très vite, avec l’appui d’une escorte casquée venue aussitôt la rejoindre, au moment décisif. Des micros ont également été retrouvé chez un camarade, ainsi que du matériel de repérage par GPS (GPS tracker) caché dans plusieurs véhicules de militants du quartier pour les suivre à la trace, mais tout de même trouvés, y compris sur des motos.
Les téléphones chauffent en ce moment. Les ordis dysfonctionnent. Les batteries se déchargent très vite. La surveillance made in France a bien été livrée.
Solidarité internationale
Alors que la lutte s’étend partout dans le monde, la solidarité n’est pas un vain mot. On parle d’Exarcheia sur les banderoles de Santiago du Chili et de Hong Kong, et inversement. Une manifestation avait lieu récemment pour soutenir nos camarades chiliens. Plusieurs actions ont eu lieu, depuis un an, pour soutenir les luttes en France depuis la Grèce, notamment à l’initiative de Rouvikonas (ambassade de France, consulat de France…).
Dans le même temps, les actions de solidarité avec Exarcheia continuent dans l’hexagone. Aujourd’hui, mes camarades grecs et migrants ont été touchés par l’annonce d’une nouvelle initiative à l’ambassade de Grèce à Paris(7). L’une des banderoles était en français et l’autre en grec. Elles disaient l’une et l’autre : « Le gouvernement fasciste grec construit des camps fermés pour les réfugiés, torture les activistes et expulse les squats. Solidarité sans frontières et boycott du tourisme en Grèce ! » Il est vrai que l’économie grecque repose beaucoup sur le tourisme. La menace du boycott en 2020 sera-t-elle suffisante pour que les dirigeants économiques et politiques grecs retiennent leurs coups ? En tout cas, nous sommes très émus de ces encouragements à « tenir bon » qui nous arrivent de partout. Et réciproquement, mes camarades vous souhaitent le meilleur pour ce 5 décembre et les jours prochains, puisque l’enjeu est de poursuivre et d’amplifier la mobilisation.
De passage en France
Pour ma part, après 8 mois presque continus en Grèce, je viens de rentrer en France pour quelques jours, avant de repartir. Je suis en pleine préparation du prochain film, notre quatrième, qui aura pour titre : « Nous n’avons pas peur des ruines ! » Si vous voulez en savoir plus et, éventuellement, nous aider à le produire, c’est ici : http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
Un nouveau point sur le financement du film sera bientôt publié. La dernière fois, nous étions à 22% du budget nécessaire. Actuellement, nous sommes à un tiers environ.
Ma présence dans l’hexagone, avant de repartir, me donne l’occasion d’apporter directement des nouvelles de Grèce et de discuter avec vous lors de projections-débats de L’Amour et la Révolution (nouvelle version). Il y en aura deux dans les prochains jours : le 12 décembre à Aurillac dans le Cantal (centre Hélitas à 19h30), puis le 18 décembre à Martigues, près de Marseille (on vous réserve une grande surprise !).
Pendant ma brève absence, plusieurs camarades du dernier convoi se relaient à Exarcheia. C’est une véritable rotation des solidaires ! L’un d’entre eux vient de quitter Paris avec une valise en plus : remplie de lait infantile pour les bébés qui n’en n’avaient plus au Notara 26, suite à une collecte « éclair » dans Paname. De l’argent a également été transmis aux collectifs les plus en difficultés, suite à des actions, concerts et projections, d’Albi à Bruxelles et de Nantes à Strasbourg. Preuve, une fois de plus, que nous sommes capables d’autres choses que cette société égoïste, triste et mortifère.
Cette révolte qui est en nous, c’est notre amour de la vie. Une vie ensemble autrement : libres et égaux. Une vie qui est à portée de la main si nous osons aller la chercher.
Courage à toutes et tous. Tenez bon.
Yannis Youlountas
(1) « Un squat, c’est… », une vidéo du collectif d’Evaggelismo relayé par Perseus999 :
.
.
(2) Quelques souvenirs des résidents et solidaires du squat Notara 26 :
(3) Sur le même sujet, rappel de la présentation du squat Notara 26 dans L’Amour et la Révolution (extrait) :
(4) Dimitris Poulikakos qui intervient (et chante aussi) dans le film Je lutte donc je suis
.
(5) La petite BD qui présente la structure autogérée de santé d’Exarcheia : https://jppress.xyz/adye/
.
(6) Cf. nos livres, avec Maud : « Paroles de murs athéniens » (Les Éditions Libertaires, 2011) et « Exarcheia la noire » (Les Éditions Libertaires, 2014), ainsi que notre base de données (des milliers de tags, graffitis et affiches) avec lesquels nous avons également fait plusieurs expos itinérantes et des diaporamas. Comme le disait une célèbre devise : « murs blancs, peuple muet. »
PS : vous êtes plusieurs à m’avoir demandé si certains textes et vidéos sur la situation en Grèce sont disponibles dans une autre langue pour les diffuser. Voici ce qu’on m’a transmis ces jours-ci :
GREC (entretien) J’ajoute, si ça vous intéresse, un entretien en grec au sujet de la situation en France, pour la revue grecque Babylonia (mouvement antiautoritaire pour la démocratie directe) : https://tinyurl.com/vxeurxg (première partie) suivi de https://tinyurl.com/wwj7xws ((deuxième partie) et, à l’inverse, un entretien en français sur la situation en Grèce, pour Le Monde Libertaire : https://tinyurl.com/utfdzlo
A Athènes, le gouvernement conservateur veut en finir avec le quartier anarchiste d’Exarcheia
Par Elisa Perrigueur
Pour encourager l’essor touristique et immobilier de ce bastion anarchiste, le gouvernement de droite multiplie les opérations policières contre les squats. Un ultimatum a été fixé au 5 décembre pour l’évacuation de l’ensemble de ces lieux alternatifs. Mediapart a longuement rencontré les acteurs qui font l’âme d’Exarcheia.
.
Athènes (Grèce), correspondance.– Ce 17 novembre, le centre-ville d’Athènes, d’ordinaire effervescent, est plongé dans un étrange silence. Il est vite troublé par l’hélicoptère qui survole les longs boulevards désertés. 5 000 policiers, dont de nombreux renforts anti-émeute, sont déployés. En ce dimanche férié, ils guettent la foule qui viendra commémorer le soulèvement étudiant de Polytechnique du 17 novembre 1973, réprimé dans le sang sous la dictature des colonels.
La manifestation annuelle rend hommage aux 24 morts, selon le bilan officiel, de cette journée noire et à la résistance sous la junte militaire, au pouvoir de 1967 à 1974. Redouté des autorités, le défilé a toujours fait office de test social pour les gouvernements de tous bords. Mais cette année, la célébration est aussi l’occasion de marquer la défiance envers le nouveau premier ministre de droite Kyriákos Mitsotákis, du parti Nouvelle Démocratie (ND), qui affiche sa volonté d’un « retour à la sécurité », à la « loi et l’ordre ».
En début d’après-midi, une première vague rouge et noir, les couleurs de l’anarchie, progresse bruyamment vers le Parlement grec. Suivie de cortèges formés d’étudiants, de communistes du parti KKE ou de la gauche Syriza emmenée par l’ancien chef du gouvernement Aléxis Tsípras. Près de 20 000 personnes marchent jusqu’à l’ambassade des États-Unis, accusés d’avoir été complices de la junte. Ils crient « Pain, éducation, liberté ! », slogan des étudiants d’alors. Adonis Davanelos, cheveux grisonnants, le chantait déjà il y a quarante-six ans. En 1973, il avait 19 ans. Étudiant, il avait passé trois nuits marquantes entre les murs de marbre de l’imposante école Polytechnique, aux côtés de 4 000 camarades.
Inspiré par Mai-68, ils ont résisté « aux chars de l’armée et aux tirs de snipers depuis les terrasses », se souvient-il. Mais si Adonis Davanelos est là, ce n’est pas seulement pour le passé. Il s’inquiète de « la répression » ambiante, évoque les « signaux d’alerte » que constituent pour lui les récentes manœuvres du gouvernement Mitsotákis. Conformément au souhait de ce dernier, l’abolition de l’asile universitaire qui interdisait les interventions de police dans les facs a été votée cet été par le Parlement, majoritairement à droite. Le 11 novembre, les forces anti-émeute ont ainsi pu encercler des étudiants manifestant dans l’université d’économie à Athènes.
« Ce gouvernement dangereux réprime trop vite, dit Adonis. Il va comprendre qu’il existe bien une résistance de gauche, même si elle tarde à se réveiller, démoralisée après cinq ans de Syriza, qui a déçu les espoirs placés en elle », assène l’ancien étudiant. Et il s’inquiète surtout de l’offensive de Mitsotakis contre Exarcheia, qui fut un foyer d’opposition à la dictature.
Au cœur d’Athènes, à quelques kilomètres du Parlement, des irréductibles du cortège, capuche noire sur la tête et foulard masquant le visage, ont rejoint à la nuit tombée Polytechnique, la forteresse symbolique du quartier. Comme en 1973, les bâtiments sont cernés de forces de l’ordre. La situation n’a pas le temps de dégénérer. La police nasse en quelques minutes les derniers protestataires. Peu nombreux, beaucoup ont été découragés par le vote du durcissement des peines de prison pour violences urbaines. Exarcheia ne s’est pas embrasé, comme cela fut le cas les 17 novembre précédents.
Le quartier s’est forgé une image de bastion rebelle vers 1930 autour de ses universités, qui ont aimanté de multiples librairies, attiré artistes et intellectuels. Surtout, elle a gagné la réputation de fief « anar », épargné, contrairement au reste de la capitale, par le « grand capitalisme ». Diverses cellules anarchistes y ont élu domicile dans les années 1970 et ont pris de l’ampleur après 2000.
Si certaines restent dans l’ombre, d’autres moins, comme l’initiative anarcho-syndicaliste Rocinante, le mouvement antiautoritaire du Nosotros ou la fédération anarchiste Rouvíkonas. Les banques et les agences immobilières ne tiennent pas longtemps, tout comme les grandes enseignes étrangères. Seules subsistent quelques chaînes commerciales grecques. Les espaces de solidarité et les cantines populaires règnent en maître. Comme les squats occupés par des anarchistes ou des réfugiés installés à partir de 2015.
Sur la célèbre place triangulaire, épicentre d’Exarcheia, les clients des bars voient s’agiter le quartier en fin de semaine, lorsque éclatent des heurts avec la police. Officiellement, et paradoxalement, Exarcheia a voté Nouvelle Démocratie. Mais une large partie de ces électeurs, en majorité des propriétaires, ne résident pas ici. Ce sont les locataires ancrés à gauche, étudiants, expatriés, migrants… qui composent son âme libertaire réputée « jusque dans les villages grecs », plastronne un habitant.
Exarcheia résonne et se lit. Inscriptions, graffitis, affiches…, les humeurs contestataires des différentes époques s’impriment sur ses façades néoclassiques : « L’Otan, dehors », « Non à l’euro », « Rojava, résiste »… L’Histoire ne s’y efface jamais. Aujourd’hui, l’inscription « Acab » (« All cops are bastards », « tous les policiers sont des bâtards ») a recouvert les murs. Car le quartier a aussi ses martyrs. À plus de vingt années de distance, deux jeunes de 15 ans ont été tués par la police.
En 1985, Michalis Kaltezas manifestait. En 2008, Alexandros Grigoropoulos faisait face aux policiers anti-émeute avec un groupe d’amis. Tous deux ont reçu une balle des forces de l’ordre. Alors, depuis, celles-ci cernaient toujours Exarcheia mais ne s’y attardaient pas.
Mais Kyriákos Mitsotákis les a remises dans les rues dès son arrivée au pouvoir en juillet. Le premier ministre a annoncé vouloir « nettoyer » ce lieu. La plupart des politiciens le désignent comme « avaton anomias » – une zone de non-droit, sans règles, sorte de « no go zone ». Une formule alarmiste, selon leurs détracteurs. « La fin du statut d’anomie [absence de loi – ndlr] est une demande de tous les Grecs. Les habitants d’Exarcheia vivent une situation hors de contrôle. On savait que des gangs avaient des armes mais maintenant ils désarment les forces de l’ordre », martelait-il, en avril 2019, faisant référence à deux agents désarmés lors d’un raid antidrogue. Kyriákos Mitsotákis peut compter sur l’aide son propre neveu, Costas Bakoyannis, élu maire d’Athènes en juin. Ensemble, ils ciblent les mouvances anarchistes.
« On laisse pourrir la situation pour légitimer l’intervention »
Yannis Youlountas est membre de l’assemblée du K-Vox, centre social autogéré sur la place Exarcheia et base de Rouvikonas. « Le groupe était déjà réprimé sous Syriza et la droite a fait du durcissement de cette répression l’un de ses objectifs. Mais Rouvikonas s’est renforcé en novembre, ce qui lui permet de mener plus d’actions, dit-il. Le 17, il en a mené cinq à Athènes avec des tracts, des jets de peinture et à coups de marteau contre des firmes participant à la privatisation du bien commun, pour la défense des travailleurs et contre le racisme d’État. »
À quelques mètres du centre K-Vox se dresse le bâtiment classique au drapeau rouge et noir des antiautoritaires du Nosotros. Pour son fondateur Nondas Skiftoulis, 61 ans, « ce n’est pas la première fois que la police est déployée ici, et le pouvoir ne touchera pas aux squats anarchistes. Michális Chryssohoïdis, le ministre de la protection civile [de l’intérieur… un ancien socialiste qui a eu à quatre reprises ce portefeuille – ndlr] connaît très bien les faiblesses et les capacités de ceux qui sont ici ». Contactés par Mediapart à plusieurs reprises, les représentants du gouvernement n’ont pas souhaité s’exprimer.
Dans le bar à l’ambiance tamisée du Steki Metanaston, un espace social venant en aide aux immigrés depuis 1997, Yannis Almpanis, 44 ans, un de ses membres actifs, constate que « faute de s’en prendre aux squats anarchistes, cette droite s’en prend aux immigrés ». Ces trois derniers mois, il y a eu une douzaine d’évacuations policières très médiatisées de squats abritant des réfugiés. La police grecque a adressé le 20 novembre un ultimatum aux squats résistants, leur donnant quinze jours, jusqu’au 5 décembre, pour évacuer.
Pour l’heure, les évictions des réfugiés n’ont pas été suivies de gros rassemblements de protestation. « La répression est grande et ces squats-là n’étaient pas très politiques, ce qui provoque encore peu de réactions », explique Yannis. Selon lui, la crise économique explique la démobilisation : « Le sort d’Exarcheia est lié à l’évolution de la société grecque. Il y a beaucoup plus d’individualisme, d’exclusion, on y voit désormais des agressions, des vols. »
Le fléau du quartier est surtout son trafic de drogue, en augmentation. Sur la place arborée, de jeunes vendeurs écoulent, sans être inquiétés, la marchandise de jour comme de nuit. Sous l’œil de la police et des touristes.
Phedra* travaille comme serveuse dans l’un des cafés qui bordent la place. « Exarcheia, ce n’était pas ça, regrette-t-elle. C’était un espace politique et maintenant le trafic prend toute la place. Ce sont des anciens groupes mafieux qui se font la guerre. Mais cela a vraiment progressé ces dernières années. Ils recrutent des sans-papiers pour vendre de la cocaïne, de l’herbe… Ils les utilisent car ils sont vulnérables. » Quelques arrestations ont eu lieu, mais sans grand résultat. Dans une interview au quotidien conservateur de centre-droit I Kathimerini, le 13 octobre, le ministre de l’intérieur, M. Chryssohoïdis, défend son action : « La police a attaqué les trafiquants de drogue, vidé les squats, la place est nettoyée. Le message est clair : Exarcheia sera un quartier normal pour ses habitants et visiteurs. »
Pour Phedra, seules « quelques petites mains sont arrêtées ». Révoltée par « ce spectacle misérable et triste – une police inactive et des touristes qui regardent les jeunes dealers assis en terrasse comme au zoo », elle songe à démissionner. Elle s’énerve aussi contre le « cannibalisme social », une expression qui rend compte de la gangrène affectant le quartier, la division idéologique des mouvements, car, selon Phedra, « ici, les groupes anarchistes sont divisés ».
Pour redorer l’image de ce quartier alternatif, « plusieurs assemblées d’habitants excédés veulent lutter contre ce cannibalisme social et la drogue », rapporte Dina Daskalopoulou, journaliste à I Efimerida ton syntagton, quotidien indépendant de gauche. « Mais personne ne voit la police comme solution. Les résidents disent que le pouvoir encourage le trafic, ajoute-t-elle. C’est une stratégie, on pointe la criminalité, on crée un ennemi interne mais on laisse pourrir la situation pour légitimer l’intervention. » Pour la journaliste, cela vise à « encourager la gentrification et le tourisme ».
Exarcheia fascine en effet les visiteurs. Rue Messolongiou, des touristes étrangers photographient avec leur smartphone la plaque dédiée à l’adolescent Alexandros Grigoropoulos. Le quartier est dépassé par son mythe, d’après Vassos Georgas, mèche grise et tee-shirt noir à l’inscription « Bibliotheque », sa librairie, qui donne sur le square d’Exarcheia. « Après cet assassinat, ce mythe du quartier [sans police, libre et sans aucune règle – ndlr] s’est davantage répandu et a donné lieu à deux phénomènes, soupire-t-il, les hooligans qui venaient de l’étranger en disant que c’était un pays détruit, on fait ce qu’on veut, il n’y avait plus rien à perdre. Puis, il y a eu la frénésie de l’achat d’immobilier. »
Vassos a ouvert sa librairie il y a quatre ans pour « revenir à une époque ancienne, lorsqu’il y avait des débats, des discussions, mais je ressens une profonde solitude. Exarcheia est devenu normal, touristique ». Selon lui, le nouvel ennemi « capitaliste » s’appelle Airbnb. Comme à Barcelone ou Lisbonne, la plateforme a transformé le quartier de manière fulgurante et insidieuse.
Sur les devantures foisonnent les inscriptions anti-Airbnb. « Beaucoup de gens se sont endettés avec la crise, ils ont vendu aux investisseurs étrangers qui proposaient des prix exceptionnels pour avoir des visas dorés [visa renouvelable en échange de 250 000 euros d’investissement immobilier – ndlr]. On est au Monopoly, il n’y a plus de règles », dit Tonia Katerini, une architecte qui vit depuis quarante ans à Exarcheia. Les Grecs qui n’en ont pas les moyens sont exclus. Très bas au plus fort de la crise, les prix ont flambé de 35 % depuis 2016.
Pour Petros Kondoyiannis, associé de Vassos Georgas à la librairie, ces phénomènes encouragent la « dépolitisation » d’Exarcheia chère aux autorités. « Elle avait commencé il y a plusieurs décennies avec le déménagement des campus, éloignant les lieux de pensée, les lieux culturels… Airbnb, qui vide le quartier de ses habitants, c’est le coup final », estime le Grec de 44 ans.
Le 6 décembre, comme chaque année, le quartier commémorera la mort d’Alexandros Grigoropoulos. Les autorités appréhendent ce rassemblement traditionnellement houleux, où Exarcheia exprime toute sa colère. « Ils ont voulu nous enterrer, mais ils ont oublié que nous sommes des graines », dit Petros Kondoyiannis, citant un proverbe mexicain. Pour lui, la lutte n’est pas terminée.
La relaxe pour Pierre Mumber prononcé par la Cour d’appel de Grenoble
Un accompagnateur en montagne des Hautes-Alpes qui avait porté assistance à des migrants à l’hiver 2018 a été relaxé jeudi par la cour d’appel de Grenoble jeudi 21 novembre. Il avait été interpellé lors d’une maraude près de la frontière italienne. Le ministère public avait requis trois mois de prison avec sursis à son encontre, le jugement avait été placé en délibéré.
Pierre Mumber, 55 ans, avait été condamné en première instance à Gap à 3 mois de prison avec sursis pour « aide à l’entrée irrégulière » d’étrangers et pour les avoir « aidés à se soustraire » à un contrôle de police, ce qu’il avait toujours nié. Le Briançonnais comparaissait fin octobre pour avoir également aidé des étrangers à « se soustraire » à un contrôle de police en les aidant à s’enfuir de la voiture où ils avaient été placés. Il avait nié les deux motifs de poursuite.
A l’audience en appel, les magistrats avaient accepté de visionner des images d’une équipe italienne de télévision qui avait accompagné la maraude au col de Montgenèvre, contredisant la version policière. Ce que la cour d’appel a mis notamment en exergue dans sa décision. « Les mentions des procès-verbaux apparaissent au vu des images visionnées particulièrement dénuées de véracité », a estimé la cour d’appel, allant à l’encontre de l’interprétation de l’avocat général.
De plus, ajoute-t-elle, « aucun élément ne permet de forger la conviction que Pierre Mumber est intervenu directement pour empêcher les policiers d’appréhender les étrangers en situation irrégulière, ces difficultés d’interpellation tenant manifestement plus aux moyens en présence qu’à l’obstruction alléguée ».
Enfin, sur les éléments de téléphonie, sur lesquels l’avocat général s’était appuyé pour prouver le passage de la frontière du maraudeur même s’il a été expliqué que les portables bornent aussi bien en Italie qu’en France dans cette zone frontière, la cour a tranché : « rien ne permet de démontrer que Pierre Mumber a accompagné (les migrants) lorsqu’ils ont franchi la frontière ».
Joint par l’AFP, Pierre Mumber a fait part de son « soulagement ». « C’était tellement incohérent ! C’est difficile de se sentir incriminé sur des faits faux », a ajouté ce militant aux multiples engagements que ce soit auprès de SDF, de personnes handicapées ou d’exilés, depuis qu’ils ont commencé à franchir massivement les Alpes par le col de Montgenèvre.
« Je garde une sorte d’incompréhension et un peu de dégoût par rapport au fait que des policiers se permettent de provoquer ce genre de situation (…) alors que les maraudeurs apportent juste une aide humanitaire qui n’a rien d’illégal », a poursuivi Pierre Mumber. « On fabrique de l’illégalité mais elle n’est pas de notre côté », a-t-il souligné. Porte-parole de Tous Migrants, Michel Rousseau a salué « une victoire pour nous et pour la justice qui redore son blason ».
Aide aux migrants : la cour d’appel de Grenoble diminue la peine d’un maraudeur à 2 mois avec sursis
Selon lui, ces procès à répétition amènent à « se rendre compte qu’on n’est pas les seuls à subir une répression policière et judiciaire et cela favorise des rapprochements entre mouvements sociaux confrontés à la dérive autoritaire du pouvoir », a analysé M. Rousseau.
Un autre maraudeur des Hautes-Alpes, Kevin Lucas, avait vu sa culpabilité confirmée le 23 octobre mais sa peine ramenée de 4 à 2 mois de prison avec sursis en appel. Pour ces deux procès, des manifestations de soutien avaient été organisées à l’appel de nombreuses associations de défense des étrangers.
Très dure nuit pour qui aime Exarcheia et la lutte révolutionnaire en Grèce.
Très dure nuit pour qui aime Exarcheia et la lutte révolutionnaire en Grèce.
LENDEMAIN DU 17 NOVEMBRE 2019 À ATHÈNES : UN GOÛT DE SANG DANS LA BOUCHE
Beaucoup de nos compagnons ont passé la nuit entre quatre murs, après des passages à tabac systématiques. D’autres ont été blessés, dont trois à la tête transférés en ambulance à l’hôpital. D’autres encore ont dû se terrer durant une bonne partie de la soirée, voire toute la nuit, pour ne pas se faire rafler et tabasser par des policiers qui semblaient très excités, comme en plein jeu vidéo de guerre dans tout le quartier.
Au total, plus de 5000 policiers, un hélicoptère et des drones transmettant en permanence la position des insurgés résistant depuis les toits. Des policiers anti-terroristes, des policiers anti-émeutes, des policiers en civil, des voltigeurs, des blindés munis de canons à eaux… L’armada en uniforme qui a convergé vers Exarcheia, pendant les deux manifs successives(1), était beaucoup trop nombreuse et suréquipée pour les irréductibles du quartier rebelle et solidaire.
Exarcheia n’a pas tenu longtemps. Déjà en partie occupée depuis des semaines, elle a rapidement basculé sous le contrôle de la soldatesque prétendument gardienne de la paix. Rares sont les lieux en son sein qui sont encore à l’abri. Ce matin, alors que le soleil n’est pas encore revenu, Notara 26 est encore debout, de même que le K*Vox ou encore la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE). Mais ces lieux et quelques autres font figures de derniers bastions dans un quartier hors norme minutieusement dévasté par l’État grec au fil des semaines, dans le but de faire disparaître l’une des sources d’inspiration du mouvement social dans le monde entier.
Aujourd’hui encore, le sang a coulé, y compris celui d’une jeune femme frappée à la tête au point de peindre sur le sol le vrai visage du régime. Non seulement la junte ne s’est pas terminée en 1973, mais le nouveau gouvernement, avec ses ministres dont certains sont issus de l’extrême-droite et sa politique toujours plus autoritaire, se rapproche pas à pas de l’exemple du Colonel Papadopoulos et de sa clique.
Avec les nouveaux moyens technologiques achetés notamment à la France, le pouvoir surveille, traque, piste, inquiète, menace, frappe et arrête comme bon lui chante. Oui, la manifestation en souvenir de l’insurrection de 1973 a eu lieu, nombreuse même, mais encadrée par une quantité impressionnante de flics et de cars de MAT bloquant toutes les issues.
Dans les rues d’Exarcheia, des dizaines de compagnons ont été contraints de s’asseoir par terre ou de se mettre à genoux, mains derrière la tête, sous les coups, les quolibets et les humiliations. Ici, une femme est trainée par les cheveux. Là, un homme est frappé aux testicules. Et puis des flaques de sang, ça et là, aux coins de la place centrale du quartier meurtri.
Dans les médias, c’est le concert de louanges sur toutes les chaînes : Mitsotakis aurait enfin rétabli « l’ordre et la démocratie » partout en Grèce, y compris dans « Exarchistan », la zone de non-droit où sévissent encore quelques centaines de Mohicans. Les breaking news passent sans transition de la victoire du Grec Tsitsipras au Masters de tennis à l’occupation policière d’Exarcheia, complètement paralysée après une trop brève résistance. Mitsotakis salue la victoire de son compatriote tennisman et promet d’en finir avec les derniers squats très bientôt. Selon lui, sa mission dans ce domaine sera bientôt finie.
Il souhaite aussi venger la visite de Rouvikonas, ce dimanche matin, au domicile du ministre de l’économie : Adonis Georgiadis, un ancien du parti d’extrême-droite LAOS. Particulièrement raciste, Georgiadis a notamment déclaré vouloir « rendre la vie encore plus dure aux migrants » pour les dissuader de venir en Grèce. Par cette action volontairement organisée juste avant la manif du 17 novembre, Rouvikonas a voulu montrer, une fois de plus, que, si nous sommes vulnérables, ceux qui nous gouvernent le sont aussi : « Nous connaissons vos adresses personnelles, nous savons où vous trouver ! » a menacé le groupe anarchiste dans son communiqué. La levée de boucliers de toute la classe politique a été immédiate. Par exemple, le PASOK et l’Union du centre se sont dit choqués que des activistes se permettent d’aller perturber la vie privée des dirigeants politiques, quels que soient les désaccords. « Cela nous conforte dans notre volonté de classer Rouvikonas parmi les organisations terroristes » a déclaré un ministre à la télé. Rouvikonas est la prochaine cible prévue, « sitôt que le cas d’Exarcheia sera totalement réglé ».
La loi se durcit contre toutes les formes de résistance. Par exemple, l’usage d’un cocktail Molotov coûte désormais jusqu’à 10 ans de prison, et non plus 5 comme auparavant. Nasser les manifestants est beaucoup plus facile qu’autrefois grâce à la « neutralisation des sentinelles sur les toits », c’est-à-dire des groupes qui, jusqu’ici, observaient et envoyaient un déluge de feu depuis les hauteurs du quartier sitôt que les rues étaient perdues, notamment autour de la place centrale d’Exarcheia. Les positions de la police dans le quartier continuent de progresser. Des employés de la mairie d’Athènes sont envoyés sous escorte policière pour nettoyer les tags sur les murs. Chose qui rappelle « Murs blancs, peuple muet »: l’un des slogans contre la dictature des Colonels. Idem à l’autre bout de l’Europe en mai 1968.
Dans la nuit tiède athénienne, des voix s’interrogent sur la suite, des listes de discussions se raniment, des messages circulent pour exprimer la colère, la révolte et la solidarité, mais aussi des idées, des suggestions, des désirs. Devant le squat de réfugiés Notara 26, la plus grande banderole annonce obstinément : « Vous ne parviendrez pas à évacuer tout un mouvement ! »
Cette nuit, Exarcheia la rebelle a un goût de sang dans la bouche, immobile et silencieuse dans l’obscurité, mais elle est encore vivante.
Photos : Marios Lolos, Alexandros Katsis, Maria Louka, Radiofragmata, Mimi A Feline, Mimis Oust, Nikolas Georgiou, Alex Aristopoulos…
(1) Comme vous pouvez le voir sur les photos, il y a eu une manif à la mi-journée, puis une autre à la nuit tombée (comme c’est souvent l’usage à Athènes).
À noter : vous trouverez, bien sûr, des séquences vidéos et d’autres explications sur tout cela dans notre prochain film documentaire « Nous n’avons pas peur des ruines ! »
Lundi 11 novembre au petit matin. Après un long silence en partie forcé, voici nos dernières nouvelles de Grèce, depuis la Crète puis l’Épire (près de l’Albanie) en passant par Athènes avec une vague sans précédent de perquisitions et d’arrestations, de fausses accusations contre Rouvikonas, la fin du procès d’Aube Dorée et Exarcheia qui devient une poudrière.
GRÈCE : UNE CHAPE DE PLOMB S’ABAT SUR LE MOUVEMENT SOCIAL !
En tout temps et en tous lieux, à chaque fois que le pouvoir s’est durci, il a toujours nommé de façon extravagante ceux qui lui résistaient. Sous l’occupation nazie ou la junte des Colonels, les opposants étaient parfois qualifiés de « terroristes ». Aujourd’hui, ce mot et d’autres du même tonneau sont utilisés à tout bout de champ contre les rebelles d’une société injuste et mortifère.
En Grèce, ce phénomène est encore plus marqué qu’à l’autre bout de l’Europe. Le glissement sémantique est total : des groupes rebelles qui n’ont jamais fait ni mort ni blessé sont montrés du doigt comme les pires criminels. Parmi ces collectifs qui ne visent que des dégâts matériels, le groupe Rouvikonas est sur le point d’être classé parmi les organisations terroristes, chose sans précédent en Europe.
Une fois de plus, la Grèce est un laboratoire du durcissement du capitalisme et de la société toujours plus autoritaire sur le vieux continent. C’est pourquoi nous souhaitons alerter nos camarades de l’autre bout de l’Europe de cette dérive : la criminalisation du mouvement social peut mener aux pires condamnations, à de longues peines de prison et, à terme, à une censure totale de nos idéaux révolutionnaires.
Ce processus s’accompagne de moyens de surveillance et de répression toujours plus importants du côté de l’État qui agit au service des dirigeants économiques et politiques. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver dans le viseur d’un pouvoir qui n’accepte plus la contradiction et qui traque toute forme de résistance avec une violence toujours plus méthodique et perfectionnée. Ce qu’a vécu le mouvement social en France ces derniers mois se reproduit un peu partout dans le monde en ce moment, au rythme de soulèvements qui se heurtent à une répression brutale et décomplexée. Dans ce puzzle planétaire d’un capitalisme à bout de souffle, la Grèce, après une décennie de luttes exemplaires, devient le laboratoire du piège qui nous est tendu : il devient progressivement interdit de rêver, de proposer un monde débarrassé du système politique qui nous vole nos vies, et de lutter contre lui. Celui qui ose résister devient lentement un déviant à surveiller de toutes les façons possibles — avec l’appui de nouvelles technologies — et parfois à dissuader ou neutraliser avant même qu’il ait levé le petit doigt.
Voici notre alerte, camarades et compagnons du bout du monde. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de ce glissement dans une société toujours plus autoritaire, à Exarcheia mais aussi ailleurs. Nous assistons à une inversion du sens des mots. Dans son roman 1984, George Orwell écrivait « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Aujourd’hui, nous pouvons ajouter : « Le crime c’est oser défendre la vie ».
Police partout, justice nulle part
Depuis la fin du mois d’octobre, de l’avis de beaucoup, nos communications sont rendues difficiles : serveurs internet HS, ordis à la ramasse, pages facebook fermées, comptes perso bloqués, censures en tous genres, téléphones s’allumant tout seuls et autres délices de l’ère technologique. On ne compte plus les témoignages et, moi aussi, j’ai été contraint au silence quelques jours.
De plus, la surveillance rapprochée devient omniprésente, visible et parfois menaçante : une camarade qui assure avec moi la protection nocturne du squat de réfugiés Notara 26 a eu, il y a quatre jours, les pneus de sa voiture crevés à coups de couteau. Puis, alors qu’elle prenait des photos du sinistre, les policiers de surveillance se sont rapprochés et lui ont dit en ricanant :
— La prochaine fois, tu feras attention !
Le lendemain, un autre compagnon de lutte qui vit à l’est du quartier a vu un policier brandir son arme à feu dans sa direction alors qu’il avait simplement demandé qu’on lui « fiche la paix » :
— J’en avais marre d’être suivi, observé, asphyxié dans ma vie privée. Les services de renseignement de l’État ne me laissent plus aucune intimité et ne se cachent même plus. Il y a manifestement la volonté de faire monter la pression, de nous dissuader, de nous inquiéter.
Qui terrorise qui ?
Plus grave encore, des policiers de garde sur les postes de surveillance d’Exarcheia ont harcelé à de nombreuses reprises des femmes, mêlant les gestes à la parole. Les langues des victimes commencent à se délier et nous aurons l’occasion d’en reparler. Certains flics, au poste de surveillance de la rue Kalidromiou, évoquent souvent à voix haute un hypothétique « manque d’hygiène des filles d’Exarcheia » au prétexte qu’elles fréquenteraient « de trop près » des migrants. Quand sexisme et racisme ne font qu’un.
Durant les rondes policières qui rasent leurs fenêtres, les migrants blottis dans les squats sont également inquiétés. Ils ont entendu plusieurs fois des injonctions insultantes qui rappellent celles des nazis :
— Raus !!! À la douche !!! Bientôt le grand nettoyage !!!
Les MAT (policiers anti-émeutes) ne cachent pas leurs opinions et portent parfois des écussons très explicites, entre autres signes de reconnaissance.
Parallèlement aux pressions et violences policières, les médias du pouvoir ne cessent plus d’annoncer la « fin imminente du nettoyage d’Exarcheia ». Ils évoquent l’évacuation simultanée de 4 squats autour de la place Exarcheia dont le Notara 26 et peut-être le K*Vox, base de Rouvikonas. Certains affirment que le gouvernement souhaite en finir avant les manifestations du 17 novembre, moment fort du mouvement social à la mémoire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973, autour de l’École polytechnique située à l’ouest d’Exarcheia. Une rumeur insistante parle d’un « assaut final » qui aurait lieu cette semaine. Difficile de savoir si c’est vrai, mais beaucoup d’éléments concordent.
Le pouvoir prêt à frapper fort
Durant les dernières semaines, le pouvoir s’est longuement préparé. Tout d’abord en essayant de « convaincre l’opinion publique de la nécessité d’en finir ». Un ministre a même précisé :
— Nous devons sans attendre rétablir l’ordre au centre d’Athènes. Il ne peut y avoir un espace sans État ni gouvernement, cela n’est pas acceptable. La loi doit être la même partout, à commencer par le respect de la propriété privée et de l’autorité du gouvernement élu (…) Les squats sont illégaux. L’autogestion a des limites. Dans une démocratie, on ne doit pas faire n’importe quoi (sic).
Nuit de garde devant le squat Notara 26 mêlant solidaires et réfugiés.
Le dispositif policier est également prêt pour un assaut encore plus important que les précédents (déjà à 5 reprises du 26 août au 2 novembre). Les voltigeurs DELTA, avec leur motorisation légère et leur objectif purement répressif, sont maintenant opérationnels. L’annonce vient d’être faite : ils sont officiellement sur le terrain dès aujourd’hui. Par contre, leur nom a finalement changé… à cause de leur sinistre réputation ! Au lieu de DELTA, ils s’appelleront DRASI (ce qui veut dire action). L’initiale D est habilement conservée. Un peu comme si en France, on changeait le nom des voltigeurs en vadrouilleurs. Changer de nom pour tenter de faire oublier le passif, un peu comme les partis politiques et grandes firmes. Changer de nom pour que rien ne change.
De nouveaux équipements viennent également d’être livrés, sans que tous les détails ne soient communiqués. On parle à nouveau de matériel français, notamment pour les services de renseignement. Autre point important, le code pénal achève actuellement sa modification pour sanctionner plus durement toutes les formes de résistance. Paroxysme de ce durcissement de la loi, le groupe Rouvikonas, qui est considéré par le pouvoir et les médias comme le principal ennemi — parce que quotidien ou presque dans ses actions contre tous les pouvoirs — est sur le point de subir une classification en « organisation terroriste ». C’est complètement insensé si l’on compare les modes d’actions de ce collectif avec ce qu’on définissait jusqu’ici comme étant du terrorisme, en Grèce comme ailleurs.
Rouvikonas n’a jamais tué personne ? Qu’à cela ne tienne ! Le pouvoir est prêt à tout inventer pour distiller la confusion, à l’exemple d’un incroyable storytelling qui vient de se dérouler depuis deux jours à Athènes.
Désinformation médiatique concernant la responsabilité de Rouvikonas dans l’attaque du poste de police de la rue Charilaou Trikoupi.
Un membre de Rouvikonas tabassé et poursuivi suite à de fausses accusations
Dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe rebelle anonyme est allé attaquer le car de policiers anti-émeute situé à l’est du quartier, dans la rue Charilaou Trikoupi. Ce genre d’initiative est chose courante, très courante même, surtout depuis que le quartier est, en partie, sous occupation policière. Mais cette fois, l’attaque a, il est vrai, été plus puissante qu’à l’habitude et a pris en tenaille les MAT sous un déluge de feu, vers dix heures du soir. Une action anonyme organisée en riposte du siège d’Exarcheia et des agressions perpétrées. Ce soir-là, les cocktails Molotov ont blessé trois policiers dont un à la tête et un autre à la jambe. Une moto de la brigade DIAS a été brûlée. Sans doute le but était-il de tuer.
Mais, dans les minutes qui ont suivi, c’est tout le cœur d’Exarcheia qui a été pris d’assaut par toutes les forces de police alentours. Des dizaines de MAT ont envahi la place centrale en hurlant et ont frappé au hasard les passants, hommes et femmes, jeunes ou vieux, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec l’attaque. La scène a duré plus d’une heure. Parmi les habitants du quartier, une trentaine se sont réfugiés à l’intérieur du bistrot nommé Kaféneio (l’un des plus vieux d’Exarcheia), mais les policiers ont tenté d’enfoncer la porte et ont menacé d’interpeller tout le monde, avant de renoncer quelques minutes plus tard. Un célèbre journaliste de la télé, accouru sur les lieux, n’a pas été reconnu par les flics et a été frappé à son tour, provoquant l’hilarité des observateurs de la scène. Dans leur déchaînement de violence, les MAT étaient en train de cogner sur leur plus fidèle allié !
Plus haut sur la place, du côté du K*Vox, plusieurs dizaines d’anarchistes et d’autres compagnons de lutte commençaient à se regrouper pour protester contre les violences policières et défendre les lieux et les personnes. Dans un tonnerre de grenades assourdissantes et un épais brouillard de gaz lacrymogène, les policiers ont réussi à attraper un manifestant et à le traîner au sol, tout en le dénudant en partie et en le frappant à plusieurs reprises. Selon plusieurs témoins, il aurait ensuite été torturé dans la rue Bouboulinas, à quelques dizaines de mètres de là, sous les hurlements rageurs des policiers. Ces derniers ont même été entendus en train de crier : « I hounda iné édo ! » (la junte est encore là). Ce camarade est très connu et ne se cache pas d’être un membre actif de Rouvikonas. C’est un ami généreux, solidaire et expérimenté, détesté par la police mais très apprécié parmi nous. Et surtout, ce camarade n’avait absolument rien à voir avec l’attaque qui venait d’avoir lieu à l’est du quartier, comme de nombreux témoins le confirment.
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !
Oui, mais la police voulait se venger. Elle a frappé des dizaines de personnes au hasard sur la place (à un kilomètre de l’attaque) et a fait 18 interpellations. Quand elle a vu l’état de notre camarade, sérieusement blessé, elle a procédé comme souvent : en l’arrêtant pour résistance, insultes et coups et blessures contre des policiers. Faits complètement farfelus, bien sûr ! Une pure invention, malheureusement courante quand la police passe à tabac quelqu’un. Autre fait important : toutes les autres personnes interpelées ont été relâchées sans être arrêtées. Seul notre camarade s’est retrouvé devant le juge d’instruction, puis le procureur, visiblement blessé avec une attelle et des bleus.
Pourquoi ? Tout simplement, pour être accusé seul de toutes les charges concernant l’attaque voisine contre le bus de la police. Autrement dit, il fallait clairement éviter d’associer des personnes extérieures à Rouvikonas à ce membre notoire du groupe de façon à établir la totale responsabilité de Rouvikonas dans l’opération menée contre les policiers de garde à l’est d’Exarcheia. Une opération qui visait clairement à blesser sinon à tuer, vu la méthode employée (attaque en tenaille, pluie de cocktails Molotov par surprise, groupe nombreux et rapide). Vous l’avez compris, bien qu’il n’ait aucun rapport avec les faits reprochés et malgré les nombreux témoignages qui l’attestent, notre camarade sert de prétexte pour accuser le groupe Rouvikonas tout entier de tentative d’homicide sur des policiers. L’affaire est grave et tombe à pic en pleine modification du code pénal. Pile au moment où l’article 187A va permettre à l’État de frapper lourdement le célèbre groupe anarchiste athénien. Le procès de notre camarade aura lieu dès ce 20 novembre.
Terroriste, Rouvikonas ? En réalité, le premier de tous les terroristes est, bien sûr, le pouvoir qui nous vole diversement nos vies, nous manipule en jouant sur la peur et fabrique, plus que la totalité de la complosphère, des tonnes de fake news qui ne portent pas leur nom (ce qu’on pourrait appeler la « crétinosphère » tant on nous prend pour des imbéciles). C’est ainsi qu’il se présente en sauveur, en protecteur, en rempart contre les méchants anarchistes et autres révolutionnaires qui proposent une autre façon de nous organiser, en prenant nos vies en main dans une réelle liberté, égalité et fraternité. La liberté de choisir nos vies, l’égalité sociale et politique, la fraternité universelle par-delà les peurs, les étiquettes et les frontières.
Ce qui se passe en ce moment à Athènes ne cesse de le confirmer. Comme partout ailleurs dans le monde, le pouvoir tremble, il sent que la colère gronde, que la révolte couve, au point d’exploser en différents points du globe. C’est pour cela aussi qu’il se durcit encore plus et qu’il a besoin de fabriquer des boucs émissaires pour détourner l’attention.
Terrorisme à toutes les sauces
Avant-hier matin, une vaste opération antiterroriste a été lancée dans toute l’Attique, du Pirée à Lavrio et de Megara à Exarcheia. Le contenu d’une quinzaine de perquisitions a été dévoilé par les médias du pouvoir surexcités. Au total : 5 fusils de type Kalachnikov, une mitraillette, de la dynamite, des pistolets, des grenades à gaz lacrymogène, des lance-grenades, des détonateurs et des explosifs. Cette pêche savamment préparée tombe à point nommé : l’État a trouvé un ennemi intérieur et va pouvoir justifier ses nouvelles lois, comme autrefois le Patriot Act aux États-Unis et l’État d’urgence en France. « Pour votre sécurité, vous aurez moins de liberté ». On connait la chanson !
Durant les premières heures après la découverte, les agences de presse ont volontairement entretenu la confusion sur la provenance de ces armes, sans aucune info précises sur les personnes arrêtées. Encore la faute aux migrants ? À Rouvikonas ? À un autre groupe basé à Exarcheia ? Rien ne filtrait et les rumeurs sont allées bon train, jusqu’à ce que le nom d’un obscur groupuscule soit évoqué : « Organisation d’autodéfense révolutionnaire » qui avait essentiellement attaqué l’ambassade de France en 2016 puis celle du Mexique, en solidarité avec les mouvements de lutte dans l’hexagone et au Chiapas.
Aussitôt sur tous les plateaux de télévision, le nouveau premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, a fait un orgasme :
— Je tiens à féliciter le service de lutte contre le terrorisme, la police grecque et le ministère de la Protection du citoyen pour leur grand succès. Pour réaffirmer, une fois encore, mon engagement à mettre fin de manière permanente et irréversible au problème du terrorisme intérieur en Grèce.
Hier, les perquisitions et arrestations ont continué, en mélangeant tout et n’importe quoi dans la plus grande confusion, au prétexte des saisies de la veille. À 500 mètres au nord d’Exarcheia, tous les locaux de l’Université d’économie ont été fouillés de fond en comble. Idem au domicile de nombreux militants, dont des anarchistes habitant sur la colline de Strefi, membres du groupe Gare, réveillés par 30 policiers cagoulés en présence de leur môme effrayé, puis plongés la tête la première dans un panier à salade, après avoir été traînés dans les escaliers.
Une chape de plomb s’abat actuellement sur Athènes et tout le monde se retrouve menacé et traqué dans une véritable fête foraine pour policiers en manque de gauchistes et d’anarchistes. Un feu d’artifice pour les valets du pouvoir et la grande roue pour le nouveau premier ministre, piètre héritier de la dynastie politique des Mitsotakis, encore plus narcissique que le vil monarque de Prévert dans son œuvre Le roi et l’oiseau. Derrière de plus en plus de groupes et d’individus, sous toutes les formes et toutes les coutures, c’est tout le mouvement social qui est visé. Le but ultime est double : d’une part nous intimider pour nous dissuader et, d’autre part, semer la peur dans la population et faire de tous ceux qui résistent les ennemis de la paix et de la concorde. On vous l’a dit en France aussi : l’État garantit la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est même écrit partout, alors quoi demander de plus ?
Selon que vous serez puissants ou misérables…
Bons migrants et mauvais migrants
Alors même que le sinistre camp de Moria à Lesbos vient de dépasser le seuil des 15 000 détenus en son sein (oui, détenus, car ces personnes sont bloquées, désespérées et parfois en très mauvais état de santé, dans un camp créé par l’Union européenne et prévu au départ pour 2600 réfugiés), le gouvernement grec se vante d’avoir réussi son opération « Visas d’or ». Depuis quelques années, la Grèce octroie des visas à tous les non ressortissants de l’Union européenne qui viennent investir au moins 250 000 euros dans l’immobilier sur son territoire, ce qui permet principalement à des hommes d’affaires chinois de s’installer et de se balader tranquillement en Europe pendant que les réfugiés afghans ou érythréens souffrent le martyre dans les camps et le labyrinthe odieux des services d’asile. 5300 visas d’or ont été donnés depuis 2013, dont 3400 à des riches chinois et également plusieurs centaines à des hommes d’affaires russes. C’est beau la fraternité, non ?
L’Internationale du Capital est mieux organisée que la nôtre pour nous dominer et nous exploiter. À nous de faire converger nos luttes, par-delà nos différences, pour nous libérer et prendre nos vies en mains.
En plus de cette inégalité de traitement cynique et sordide, le ministre grec de la police a dit s’inquiéter de la venue probable de djihadistes dangereux parmi les nouvelles barques de migrants qui arrivent sur les côtes de la mer Égée. Une fois de plus, le pouvoir se sert du mot terroriste pour détourner l’attention, semer la peur, stigmatiser et maltraiter des personnes qui n’ont le plus souvent rien à voir avec ce qu’on leur reproche. Depuis la nuit des temps, le pouvoir divise pour mieux régner, puis se pose en arbitre et en protecteur. Le pouvoir sème la discorde en prétendant assurer la concorde. Il ment comme il respire, rassemble les foules avec des flots de mots dépourvus de sens, bâtit des châteaux de cartes et fonde toute sa puissance sur du papier : billets de banque, titres de propriété, dette publique et privée, bulletins de vote, textes de loi, constitution… Du papier, rien que du papier dans une société hors-sol, prisonnière de son propre spectacle et coupée de la réalité d’un monde qui agonise.
Partout, le vent se lève
Il y a deux semaines, j’étais encore en Crète où la lutte contre le nouvel aéroport de Kastelli commence à prendre une autre tournure. Les premiers oliviers ayant été arrachés, la question se pose de plus en plus sur les formes possibles de la lutte. Comment résister ? Telle est la question qui circule, ici et là, en Crète, comme ailleurs. Les hypothèses se chuchotent. On se méfie. On envisage beaucoup de choses sans savoir de quoi demain sera fait.
Idem il y a une semaine, à Athènes, où je participais à un colloque organisé par Rouvikonas et la nouvelle Fédération Anarchiste de Grèce (Anarxiki Omospodia, composée d’approches et de courants divers), durant deux jours dans le théâtre autogéré Embros plein à craquer. Cela faisait des années que je n’avais pas entendu autant d’interventions si pertinentes, lucides et foisonnantes en termes de propositions. Quelque chose se passe, manifestement. Quelque chose de profond, de clair et d’intelligent. Quelque chose qui ressemble à une prise de conscience, critique et politique. Je suis sorti de ces deux jours comme réveillé, ranimé, éclairé, non pas par une quelconque avant-garde, mais par la diversité fertile de nos débats, dans une grande écoute mutuelle et sur un plan d’égalité. De mon côté, on m’avait demandé d’intervenir sur les relations, communications et solidarités internationales. Je n’ai pas manqué de transmettre votre soutien et de résumer les nombreuses actions effectuées dans plus de 60 pays du monde en soutien à Exarcheia et Rouvikonas. J’ai aussi raconté l’anecdote récurrente concernant la lettre P dans l’étoile noire. En effet, on me demande souvent à l’ouest de l’Europe pourquoi il y a un P dans le logo de Rouvikonas. D’ailleurs cela a bien fait rire la salle à Athènes. Dans l’alphabet grec, le P est tout simplement la lettre « ro », c’est-à-dire l’équivalent du R. C’est donc bien l’initiale de Rouvikonas, mais en alphabet grec !
Le crépuscule des gargouilles
Pendant ce temps, le procès d’Aube Dorée se termine enfin, six ans après les assassinats de Shahzad Luqman et Pavlos Fyssas, dans un concert de pleurnicheries nazies. Après le défilé des principaux membres de l’organisation (devenus tour à tour des girouettes à la barre du tribunal, au point qu’un des fascistes apeurés s’est même évanoui), le chef suprême des surhommes aux poignards rouges de sang a parlé en dernier, vendredi, en guise de bouquet final d’une succession de mensonges et de reniements. Les conclusions de la procureure seront rendues en janvier et le verdict au printemps. Ce procès a tellement été long et fastidieux qu’il a donné le temps à ce parti de disparaître totalement du parlement et de tomber à des scores presque négatifs, sous les assauts du mouvement antifasciste partout en Grèce. Aube Dorée approchait la barre des 10% en 2014 (9,4% aux Européennes). Il est tombé à moins de 3% en juillet et maintenant à moins de 0,5% dans les sondages ! Le carrosse est redevenu citrouille et les princes de la nuit se sont transformés en gargouilles grimaçantes, abandonnant presque tous leurs locaux en Grèce, y compris le plus grand, rue Mesoghion à Athènes. Depuis des semaines, les sous-chefs et opportunistes en tous genres démissionnent à la queue-leu-leu.
Le roi est nu. Le führer supplie même ses juges : « je ne savais pas ! » (pour les ratonnades et les assassinats) comme un vulgaire capot des camps d’autrefois. Aube Dorée n’est plus, mais le fascisme est toujours là, y compris au gouvernement et dans les rouages de l’État, plus nuisible et virulent que jamais. Un fascisme qui tente une fois de plus de détourner nos luttes légitimes contre la misère vers des préoccupations identitaires d’un autre âge, mythifiant le passé, fabriquant des boucs-émissaires parmi les plus vulnérables et ménageant ainsi le capitalisme et l’organisation autoritaire de la société. Ne soyons pas naïfs, les ratonnades et les embuscades continueront — comme celle que j’ai subie au Pirée en juin dernier et qui n’a fait qu’intensifier ma volonté de lutter. Aube Dorée n’était qu’une étiquette sur un poison, l’un des multiples noms d’un fléau universel, une facette passagère d’un problème qui reste indissociable de la société autoritaire et capitaliste qui le génère. L’étiquette est tombée, mais le problème reste entier.
C’est pourquoi ceux qui prétendent lutter contre le fascisme sans lutter contre ses causes se moquent de nous. Le capitalisme, le pouvoir et les médias du pouvoir font partie intégrante du problème et sont indissociables du monstre qu’ils génèrent. Les collaborateurs de ce système politique, économique et médiatique ne sont pas des alliés mais des imposteurs, surtout quand ils pratiquent le racisme sélectif au prétexte d’attributs que portent parfois les plus misérables parmi nous.
En attendant le verdict du procès d’Aube Dorée en Grèce, je prendrai bientôt connaissance, à une autre échelle, du verdict du mien en France. En octobre 2017, les petits frères européens d’Aube Dorée, dirigeants de Génération identitaire en France, Italie et Allemagne, m’ont poursuivi pour ma participation au sabotage de leur opération Defend Europe en Méditerranée, alors qu’ils tentaient d’entraver le sauvetage en mer des migrants par des navires d’ONG. J’ai gagné en première instance à Nice, puis perdu en appel à Aix-en-Provence, et j’attends maintenant l’audience de la Cassation qui aura lieu le 26 novembre à Paris. Je saurai probablement début décembre l’issue de cette bataille juridique menée par mes avocats Dominique Tricaud, Matteo Bonaglia et Claire Waquet. Autre accusé à mes côtés, mon ami Jean-Jacques Rue est impatient de savoir ce que va décider la Cour de Cassation. Cette décision sera hautement symbolique vu les circonstances. Je vous tiendrai au courant du verdict dès que j’en prendrai connaissance. Je remercie vivement Pro-Activa Open Arms d’avoir osé témoigner à ce procès pour décrire les agissements des marins fascistes, ainsi que Pia Klemp, mon amie capitaine du Iuventa puis du Sea Watch, qui nous a également beaucoup aidés à Exarcheia.
Les Justes d’aujourd’hui
À l’inverse de cette haine égoïste, crétine et dangereuse, de nombreux solidaires viennent en aide aux réfugiés et migrants, parfois dans des conditions très difficiles, par exemple après avoir réussi à les aider à revenir des sinistres camps conçus par l’Union européenne après les rafles policières dans les squats. C’est notamment le cas d’un instituteur athénien qui nous rappelle les Justes d’autrefois, prenant des risques vis-à-vis de sa hiérarchie et, parfois, de la police, et mêlant sa volonté d’une pédagogie moins autoritaire à des actes concrets de lutte et d’entraide. Cet instit formidable met en œuvre quotidiennement la Pédagogie Freinet dans sa classe, invitant à la coopération plutôt qu’à la compétition, et agit aussi en dehors, jusqu’au domicile de certains enfants et de leurs parents épouvantés par l’expérience des camps. Cette belle histoire qui peut nous servir d’exemple sera également dans notre prochain film(1).
Je viens également de passer en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, tout près de la frontière albanaise, au milieu de montagnes pittoresques et de grottes camouflées qui témoignent du temps de la résistance. C’est sur cette terre sauvage que l’État grec autorise désormais des multinationales à entreprendre des recherches pétrolières et de gaz de schiste. Je vous montrerai cette lutte, parmi d’autres, dans notre prochain film « Nous n’avons pas peur des ruines ». Du nord au sud, la résistance converge de plus en plus entre les luttes de classes, sociales et environnementales, avec une même évidence : tout est politique et nécessite la remise en question profonde d’un système qui est complètement suranné, vérolé, vendu au pouvoir économique. Nous sommes chaque jour plus nombreux à comprendre qu’on ne changera pas le monde sans le transformer à la racine, dans son crédo le plus tabou, c’est-à-dire la pierre angulaire du pouvoir.
Avec Marilena et Anastassis de l’espace social libre Alimoura à Ioannina, dans la lutte contre les extractions pétrolières en Épire, près de la frontière albanaise.
Nous n’avons plus le temps d’avoir peur
Sortir de la préhistoire politique devient une nécessité vitale. Nous organiser autrement, non seulement pour prendre nos vies en main, mais pour sauver la vie tant qu’il en est encore temps. Passer du pouvoir en tant que nom, qualifiant ceux qui nous dominent ou qui prétendent nous gouverner, au verbe pouvoir, qui signifie être en capacité de choisir chacun et ensemble nos vies. Ce n’est qu’en nous débarrassant du pouvoir en tant que nom que nous libérerons le pouvoir en tant que verbe. Ces homonymes sont aussi des antonymes. Pour pouvoir vivre libres, libérons-nous du pouvoir.
D’un bout à l’autre de la planète, en toile de fond de revendications singulières et parfois anodines en apparence, du Chili à l’Indonésie et de la Guinée au Liban, il y a un profond désir de changement qui monte jusqu’en Europe. Un désir de remise en question et de réinvention. Un désir d’en finir avec la politique à l’ancienne et son cortège de mensonges et de corruption. Un désir de ne plus laisser à d’autres le pouvoir de décider de nos vies, de nous écraser, de nous humilier et, parfois, de nous tuer.
Vendredi soir, à la fin du débat qui a suivi la projection de L’Amour et la Révolution(2) à Ioannina, une jeune femme a dit : — Nous n’avons plus le temps d’hésiter. Nous n’avons plus le temps d’avoir peur. Nous n’avons plus d’autres choix possibles. Nous devons nous mettre en alerte et alerter tout le monde autour de nous : les choses ne peuvent plus durer, la planète n’en peut plus, tout ce qui vit n’en peut plus, l’humanité va dans le mur… Nous devons arracher le pouvoir à ceux qui prétendent nous gouverner. Nous devons arracher le bien commun à ceux qui l’ont volé et le saccagent. Nous n’avons plus d’autre choix : vivre libres ou mourir.
Yannis Youlountas
« Cher capitalisme, ce n’est pas ta faute c’est la mienne… Je plaisante, bien sûr ! C’est toi qui l’a cherché : c’est fini entre nous ! »
(1) Si vous voulez en savoir plus et nous aider à produire notre quatrième film Nous n’avons pas peur des ruines (conçu et diffusé comme les précédents), c’est ici : http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
(ayant donné jusqu’ici la priorité à la solidarité vers Exarcheia et, plus récemment, vers la cuisine sociale, nous ne sommes encore qu’à 20% de l’appel pour nous aider à financer le film, merci de votre soutien, un nouveau point sera bientôt publié)
(2) Je ne sais pas pourquoi, mais il y a beaucoup de projections de L’Amour et la Révolution en ce moment. Par exemple samedi soir, il y en avait également une à Volos, à Monomero…
Quelques projections cette semaine en France :
— Vendredi 15/11 à d’Albi, soirée de soutien à Exarcheia avec une auberge espagnole, des extraits de L’Amour et la Révolution et Sur la route d’Exarcheia, et un échange avec des personnes qui connaissent bien le quartier, à partir de 19h30 au local de Solidaires, 59 rue Sommer à Albi (org. L’Escale + Sud Éducation + Groupe Libertaire ELAFF + Attac Tarn). À peine rentré en France, je serai présent à cette projection tarnaise avec quelques surprises et plusieurs compagnons des convois solidaires passés, mais je ne pourrai pas être présent aux deux autres :
— Samedi 16/11 à Quimperlé, Ne vivons plus comme esclaves au gymnase de Kerjouanneau (org. Gilets Jaunes).
— Samedi 16/11 au Puy-en-Velay, Je lutte donc je suis à 15h30 à Chadrac (org. Festival Les Mauvaises Herbes).
N’hésitez pas à faire des projections gratuites de nos trois premiers films dans vos lieux de luttes : pas besoin de demander une autorisation.
Merci de votre soutien pour nous aider à écrire notre propre histoire et à produire ce quatrième film très important pour nous (qui sera gratuit sur internet, en creative commons et à but solidaire).
Le quartier Exarcheia, à Athènes, est l’épicentre de la résistance aux politiques économiques qui font des ravages. La droite tente d’étouffer ce souffle libertaire, en vain.
Les législatives de juillet ont provoqué le départ de Tsipras, battu par le chef de la droite, Kyriakos Mitsotakis, fils d’un ancien Premier ministre et oncle du nouveau maire d’Athènes. Le retour des dynasties politiques… Sur le plan économique, les privatisations s’accélèrent, le droit du travail est attaqué, les régions sauvages sont données en pâture aux investisseurs : à l’ouest du pays et jusqu’en Crète, plusieurs sociétés pétrolières ont obtenu de fouiller le sous-sol marin pour positionner des plateformes en mer, à quelques kilomètres des côtes. Total et Exxon sont les grands gagnants de cette « tombola de la peur ».
À Paleiochora, dans le sud-ouest de la Crète, Manolis participe à une mobilisation contre le projet : « Ils sont fous ! Faire ça aussi près des plus belles plages de Grèce, c’est risquer d’anéantir le tourisme, la première ressource de l’île ! Tout ça pour quelques dollars en plus ! »
La grosse affaire du nouveau gouvernement est surtout politique. Le Premier ministre a annoncé qu’il allait « nettoyer Exarcheia dès le premier mois ». Ce quartier rebelle du centre-ville d’Athènes, connu pour sa forte concentration de squats, est devenu le Katmandou des anarchistes en Europe, l’endroit où il faut aller un jour, la Mecque des athées désireux de détruire le pouvoir : 1 % de la population d’Athènes, mais de l’autogestion à tous les étages et une banderole.
Comprendre notre impuissance politique par Yannis Youlountas 10/10/19
Ces jours-ci, le pouvoir nous attaque partout simultanément : armada policière dans Exarcheia depuis fin août, attaque militaire contre le Rojava depuis trois jours, expulsion de la ZAD de l’Amassada dans l’Aveyron il y a 48 heures et début de l’arrachage des oliviers de Kastelli en Crète hier matin.
COMPRENDRE NOTRE IMPUISSANCE POLITIQUE
Alors qu’à Athènes, le quartier rebelle et solidaire d’Exarcheia reste partiellement occupé par la police et tente de résister aux tentatives d’évacuation des squats et autres lieux autogérés, nous vivons partout ailleurs une semaine désastreuse pour nos luttes sociales et environnementales, en particulier dans nos poches de résistance.
Le Rojava, seule enclave antifasciste et féministe au Proche-Orient, est aujourd’hui sous les bombes. Les blindés du dictateur Erdogan viennent de franchir la frontière avec la bienveillance de Trump pour écraser l’expérience antiautoritaire et écologiste Kurde, au prétexte de créer une zone de sécurité pour un million de réfugiés syriens. Erdogan ose appeler cette opération « Source de paix ». Simultanément, alors qu’il retire ses troupes au nord du Rojava, Trump en rajoute à l’inverse sur les bases américaines en Grèce et offre ses services à Mitsotakis pour renforcer la surveillance des anticapitalistes athéniens avec ses grandes oreilles militaires. Le père de Mitsotakis était, lui aussi, proche de la CIA et avait facilité l’arrivée au pouvoir de la junte des Colonels dans les années 1965-1967.
En France, une ZAD de plus vient de tomber, mardi matin : la commune libre de l’Amassada dans l’Aveyron qui résistait contre un immense projet de transfo sur un site sauvage magnifique en montagne. Malgré les renforts de dernière minute, rien n’a pu empêcher les 200 gendarmes mobiles et leurs blindés de prendre le contrôle de la zone, avec l’appui d’un hélicoptère et de plusieurs drones. Plus à l’ouest, un projet de barrage en forêt de Sivens est à nouveau à l’ordre du jour, cinq ans après la mort de Rémi Fraisse.
En Crète, ce qu’on craignait de longue date vient d’arriver avec les premières pluies : les bulldozers ont surgi hier matin à l’aube à Kastelli, prenant de vitesse tout le monde, et ont commencé à arracher des centaines d’oliviers sur les 200.000 condamnés pour faire place à un projet d’aéroport insensé. Des compagnons de lutte et des photographes sur place ont été menacés, visés et expulsés hors de la zone des travaux, la police allant jusqu’à casser du matériel vidéo et détruire les prises de vue. La zone est quadrillée depuis hier matin. L’effet de surprise a été terrible.
Le problème à la racine
Alors, pourquoi nous échouons partout ? Pourquoi, tôt ou tard, le pouvoir et ses valets parviennent à nous empêcher d’expérimenter autre chose, de nous organiser autrement et de défendre la Terre qui se meurt ?
Tout simplement parce que nous sommes naïfs (et je m’inclus dans le lot). Nous ne retenons pas assez les leçons de l’Histoire et poursuivons nos répétitions passées qui n’ont jamais rien apporté ou si peu. Nous ne prenons pas assez à la racine les problèmes et n’allons pas jusqu’au bout de la démarche nécessaire pour les résoudre définitivement.
Alors que partout dans le monde, le pouvoir nous écrase, nous appauvrit, nous humilie, nous reprend nos conquêtes sociales, nous crève les yeux, nous enferme, nous affame, nous bombarde, nous empêche de filmer, nous menace, nous frappe, nous tue et détruit la Terre, morceau par morceau, nous réagissons comme s’il était encore possible de discuter et de négocier avec notre agresseur récidiviste.
Nous nous comportons comme si nous avions oublié que le pouvoir a toujours agit ainsi et continuera tant qu’il le pourra. Ses variantes dans le temps et l’espace ont commis les pires atrocités sous toutes les formes possibles et avec tous les prétextes imaginables. Toute l’Histoire de l’humanité est là pour en témoigner.
La valse des tyrans
Aujourd’hui, on parle plus de Trump et de Erdogan, un autre jour de Mitsotakis, un autre encore de Macron, puis de Bolsonaro, Assad, Poutine, Merkel, Johnson, Junker, Salvini, Rohani, Netanyahou, Kim Jong il, Al Saoud ou encore Xi Jinping, et ainsi de suite, en oubliant que le problème n’est pas seulement l’une ou l’autre de ces personnes, haïes tour à tour, mais surtout ce qu’elles incarnent, les moyens colossaux dont elles disposent au sommet de l’État et l’attitude engendrée par leur position.
Autrement dit, le problème de fond, encore et encore, et aujourd’hui plus que jamais, c’est le pouvoir.
C’est parce que nous n’allons pas jusqu’au bout, dans notre refus du pouvoir, que continuons de subir la valse des tyrans d’un bout à l’autre du globe, d’années en années, de siècles en siècles. Les visages changent, mais le problème reste le même. Un problème simple : des gens se posent en chefs, encouragés par nos propres erreurs et se permettent de décider à notre place de nos vies.
Mais ce n’est pas tout : ces gens au pouvoir, ces VIP qui s’amusent à se faire la guerre économique et militaire par victimes interposées comme on joue aux échecs ou à la bataille navale, s’entendent parfaitement dès lors qu’il s’agit de nous empêcher de nous libérer. Car leur priorité est, bien sûr, de stopper ce qui les menacent sur leur piédestal, car si l’un d’entre eux tombait pour laisser place à une société véritablement horizontale, libertaire et égalitaire, les autres seraient aussitôt sur la sellette partout ailleurs. C’est ainsi que les différentes figures du pouvoir se sont souvent entendues, implicitement ou explicitement, par exemple contre la Commune de Paris, la révolution de 1936 en Espagne et beaucoup d’autres expériences politiques qui prouvaient à chaque fois que nous pouvions vivre autrement.
Répression et criminalisation du mouvement social
Aujourd’hui, le fait que le pouvoir frappe simultanément le Rojava, Exarcheia et plusieurs ZAD d’un bout à l’autre de l’Europe n’est pas le fruit du hasard. L’offensive du pouvoir contre toute forme de résistance ne cesse de se durcir depuis des années. Tous les mouvements sociaux en France le confirment : la violence de la répression policière a atteint des sommets dans l’hexagone et les moyens technologiques mis en place pour nous surveiller n’ont désormais plus de limites, du Patriot Act à l’État d’urgence. La réalité dépasse la fiction, y compris celle du roman 1984 de George Orwell. Les dispositifs inquisiteurs et oppressants se renforcent partout en Europe, avec la France en tête de file pour la reconnaissance faciale et la Grèce pour la criminalisation du mouvement social avec le classement imminent du groupe anarchiste Rouvikonas en organisation terroriste, alors qu’il n’a jamais tué personne.
Erdogan parle également de terroristes au sujet des femmes kurdes qui luttent pour leur émancipation dans les rang des YPG. De nombreux chefs d’états utilisent aussi ce terme pour parler de celles et ceux qui leur résistent un peu partout, qui défendent la terre, qui défendent la vie.
Car face au pouvoir, nous ne faisons pas autre chose : nous sommes la vie, la foule, les enfants, la nature qui se défendent.
Une société bâtie sur un leurre
Dès lors, posons-nous la question : lutter pour vivre, sauver la vie, survivre aux injustices, vivre dignement, cela ne signifie-t-il pas nécessairement prendre nos vies en main ? La réponse est tout aussi empirique que logique. Car l’Histoire nous prouve que le pouvoir ne nous a jamais libérés et que toute émancipation n’est jamais venue que de nous-mêmes, de notre volonté, de notre clairvoyance, de notre courage, de nos luttes. La logique nous rappelle également qu’une vie digne revient à une vie libre (nul n’est digne que celui qui est responsable et n’est responsable que celui qui est libre). C’est pourquoi il nous revient de prendre nos vies en main pour bâtir un autre futur.
Le pouvoir tente de nous faire croire que le monde est horrible et que l’homme est un loup pour l’homme, ce qui lui permet d’imposer une forme de société (capitaliste et hiérarchique) pour civiliser, ordonner et pacifier le chaos destructeur. En réalité, nous savons bien que c’est tout le contraire (et c’est ce que nous essayons de faire comprendre aux jeunes en souffrance, aux résignés, aux déprimés et aux suicidaires) : ce n’est pas le monde qui est horrible, mais cette société. Ce n’est pas l’homme qui est un loup pour l’homme (pardon pour les loups, la formule est de Plaute, puis reprise par Thomas Hobbes), c’est cette société qui nous conduit à la guerre et à la compétition de tous contre tous.
L’existence même d’un pouvoir conduit à justifier l’idée de compétition et de hiérarchie partout dans la société. Car on ne peut placer quiconque sur un piédestal sans cautionner les rapports de domination et d’exploitation qui en découlent. Outre ce problème de cohérence, nous avons également vérifié à de nombreuses reprises que le pouvoir corrompt, comme nous mettait en garde Louise Michel.
Il n’y a pas de bon pouvoir
Focaliser sur un ou plusieurs dirigeants au lieu de remettre en question la fonction elle-même est donc une erreur. Bien sûr, certains régimes et hommes politiques sont pires que d’autres. Évidemment, il existe des différences. Mais, ces différences n’ont pas été suffisantes depuis plus d’un siècle pour parvenir à tourner la page du capitalisme et encore moins de la hiérarchie. Nous n’avons eu droit, au mieux, qu’à des réformes arrachées par des grèves, bien plus que concédées par les pouvoirs prétendument sympathiques. Par exemple, contrairement à ce que prétend une rumeur, la première semaine de congés payés n’était pas dans le programme du Front Populaire en 1936 et n’a été obtenue qu’à l’issue d’une des plus longues grèves du vingtième siècle en France. De même, ce n’est pas un régime royaliste ou de droite dure qui a massacré la Commune de Paris, mais la jeune Troisième République à ses débuts (avec le maire de Paris en fuite qui n’était autre que Jules Ferry). Cette même Troisième République s’est terminée honteusement en votant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940, après avoir décidé le sinistre embargo sur les armes vers l’Espagne en août 1936, condamnant dès lors l’utopie qui commençait à voir le jour de l’autre côté des Pyrénées.
Le pouvoir, quel qu’il soit, n’est pas un allié et compter sur lui est une folie. Les seules promesses auxquelles nous pouvons croire sont celles que nous faisons à nous-mêmes, c’est-à-dire nos propres engagements réciproques, sur un plan horizontal, pour créer, défendre et bâtir ensemble une société nouvelle sur d’autres bases que la compétition, la domination et l’exploitation.
Le tabou de la violence
Ne plus être naïf, c’est aussi ne plus s’interdire le tabou de la violence face à un pouvoir qui, lui, ne se gêne jamais. Libre à chacun d’en user ou pas et de résister comme bon lui semble. Si quelqu’un veut prier Gaïa ou quelqu’un d’autre dans des manifs, grand bien lui fasse. Mais qu’il impose sa façon de faire et d’agir, c’est une autre affaire. Notamment quand il s’agit d’appeler explicitement au « respect du gouvernement » et de ses valets.
Nous n’avons pas à respecter nos bourreaux. Nous n’avons rien à négocier avec les tyrans. Nous voulons vivre libres. Nous voulons prendre nos vies en mains. Nous voulons congédier à jamais ceux qui veulent nous en empêcher.
Respecter le pouvoir, c’est le cautionner. On ne discute pas avec ceux qui s’affirment d’emblée supérieurs. De même, on ne lutte pas contre un système capitaliste et hiérarchique en reproduisant ses formes lucratives et verticales. Dès lors qu’on a compris la nécessité de détruire le pouvoir, on doit commencer à le faire à l’intérieur même de nos luttes, dans notre façon de nous organiser.
S’organiser autrement pour lutter
Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des partis structurés de façon hiérarchique ; des partis qui cautionnent le manège électoral dont les dés sont pipés, puisque c’est le pouvoir économique qui détermine aisément le pouvoir politique grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion.
Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des syndicats également structurés de façon hiérarchique ; des syndicats dont le sommet est sourd à certaines des atteintes de la base et dont les dirigeants se reconvertissent parfois au sein même du camp d’en face.
Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des organisations écologistes structurées elles aussi de façon hiérarchique ; des organisations dont le sommet vaporeux a déjà tout prévu, qui refusent de remettre quoi que ce soit en question et qui imposent une charte de lutte indiscutable à toutes celles et ceux qui s’en rapprochent.
Il est facile de comprendre pourquoi ces structures refusent d’aller jusqu’au bout dans la lutte contre le capitalisme et le hiérarchisme : leurs directions profitent, participent et répètent diversement ce que nous tentons précisément de combattre en leur sein. Elles ne sont ni cohérentes ni déterminées ni libres, contrairement à la société que nous désirons. Elles ne font que reproduire des schémas désuets, modérés et stériles, dans des lourdeurs bureaucratiques, stratégiques et autoritaires.
Multiplier les Rojava, les Exarcheia, les ZAD
Notre impuissance politique est donc à la fois le produit d’une analyse incomplète du problème principal et de la répétition naïve de nos erreurs passées.
Car non, le problème ne se réduit pas à Trump ou Poutine, Erdogan ou Assad, Mitsotakis ou Tsipras, Macron ou Le Pen, et tant d’autres dans la valse des chaises tournantes. C’est le pouvoir lui-même qui est notre éternel ennemi.
Et non, on ne peut lutter contre le pouvoir, sa bureaucratie, sa hiérarchie, sa stratégie de communication, en procédant de la même façon dans nos luttes. C’est d’abord et avant tout parmi celles et ceux qui résistent que nous devons montrer notre capacité à nous organiser autrement pour l’étendre ensuite à toute la société.
Ce n’est qu’à ces deux conditions que nous pourrons enfin sortir de notre impuissance politique. De plus, nous devons absolument nous donner une dimension internationale à nos luttes, par-delà les frontières qui tentent de nous diviser et de nous faire croire que nos intérêts s’opposent. Car il n’en est rien, nous le savons bien : c’est la même lutte partout que nous devons mener, celle de l’émancipation individuelle et sociale pour prendre enfin nos vies en main.
Avec plus de solidarité internationale et plus de résistance locale partout simultanément, les quartiers, ZAD ou régions du monde ne tomberaient pas les uns après les autres, comme des dominos. Nous avons besoin d’autres expériences moins verticales et autoritaires comme le Rojava, d’autres quartiers rebelles et solidaires comme Exarcheia, d’autres ZAD un peu partout et de plus en plus. Ces initiatives sont trop isolées. Nous comptons trop sur elles. Nous les mythifions trop, sur des piédestaux, au lieu de les multiplier, de les réinventer sans cesse et de créer un véritable réseau sans frontières et horizontal dans l’entraide et le soutien mutuel.
Sans chef, il sera beaucoup plus difficile de nous récupérer, de nous corrompre, de nous abattre.
Passer du nom au verbe pouvoir
Pour finir, rappelons-nous que le pouvoir n’est pas seulement un nom, mais aussi un verbe. Et c’est là, précisément, dans la confusion entre ces deux homonymes, que se cache l’un des enjeux de notre époque : sortir enfin de la préhistoire politique de l’humanité. Le pouvoir est un nom : celui de l’autorité qui dirige, qui gouverne, qui exerce tout ou partie des droits d’une autre personne ou de toute une communauté et qui agit pour son compte. Mais pouvoir est aussi et surtout un verbe : il signifie tout simplement être en capacité de faire. Passer du nom au verbe, tel est l’enjeu. Détruire le pouvoir en tant que rapport de domination pour libérer notre capacité à penser et à choisir nos vies.
Ce qui vaut pour la société vaut également pour nos luttes. Donnons à voir partout la société que nous désirons. Cessons d’accepter de nous organiser dans des structures verticales et de courir après des hommes providentiels. Passons à l’étape suivante.
Pour prendre nos vies mains, commençons par prendre nos luttes en main.
Solidarité concrète avec les travailleurs
de l’usine VIOME occupée et autogérée
à Thessalonique en Grèce
Après que leur usine ait été mise en faillite et abandonnée par les employeurs, les salariés depuis maintenant 6 ans l’ont reprise en coopérative ouvrière.
Ils fabriquent des produits d’entretien ménager écologiques qu’ils distribuent de manière militante. Ils sont menacés d’expulsion par la justice grecque. Ils en appellent à la solidarité internationale.
Depuis 2016 afin de les soutenir, le collectif de Grenoble organise chaque année une commande groupée de leurs produits. Pour celle de 2019 vous trouverez :
Attention : la date limite de réception des commandes est fixée
au samedi 2 novembre 2019.
Contribuons par nos achats à soutenir cette lutte exemplaire !
A noter que le 22 octobre 2019 à 20h15 au cinéma le Club à l’initiative du collectif projection du film « Leoforio » des réalisatrices Catherine Catella & Shue Aiello.
C’est l’histoire d’une coopérative de bus en Grèce .
Cette soirée sera l’occasion de faire un point d’actualité sur les VioMe et passer les dernières commandes
Solidarité concrète avec les travailleurs
de l’usine VIOME occupée et autogérée
à Thessalonique en Grèce
Après que leur usine ait été mise en faillite et abandonnée par les employeurs, les salariés depuis maintenant 6 ans l’ont reprise en coopérative ouvrière.
Ils fabriquent des produits d’entretien ménager écologiques qu’ils distribuent de manière militante. Ils sont menacés d’expulsion par la justice grecque. Ils en appellent à la solidarité internationale.
Depuis 2016 afin de les soutenir, le collectif de Grenoble organise chaque année une commande groupée de leurs produits. Pour celle de 2019 vous trouverez :
Attention : la date limite de réception des commandes est fixée
au samedi 2 novembre 2019.
Contribuons par nos achats à soutenir cette lutte exemplaire !
A noter que le 22 octobre 2019 à 20h15 au cinéma le Club à l’initiative du collectif projection du film « Leoforio » des réalisatrices Catherine Catella & Shue Aiello.
C’est l’histoire d’une coopérative de bus en Grèce .
Cette soirée sera l’occasion de faire un point d’actualité sur les VioMe et passer les dernières commandes