Publications par catégorie

Archives de catégorie Les réfugiés-migrants Les exilés

SOS Méditerranée et la pandémie

La Méditerranée centrale en temps de pandémie

Quelles sont les conséquences de la pandémie du Covid-19 sur le monde maritime ? Qui sont les acteurs présents en Méditerranée centrale actuellement ? Est-ce que les personnes continuent de fuir par la mer ? Quelle est la situation en Libye ? Au vu des questions que vous nous avez envoyées, nous apportons quelques éléments de contexte sur la situation en Méditerranée centrale. Décryptage.

Que font les organisations humanitaires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale ?

Absence de ports sûrs en raison de la fermeture des ports, mesures de quarantaine, relèves d’équipage impossibles suite à la fermeture des frontières et à l’absence de moyens de transport, difficultés logistiques majeures pour le réapprovisionnement et la maintenance des navires… Depuis le début de la pandémie du Covid-19 en Europe, toutes les ONG de recherche et de sauvetage opérant en Méditerranée centrale ont mis en pause leurs activités et sont actuellement à quai, à Marseille comme l’Ocean Viking, en Italie ou en Espagne pour les navires de Sea-Watch, d’Open Arms et de Mediterranea. Il en est de même pour les avions Moonbird de Sea-Watch et Colibri de Pilotes Volontaires, cloués au sol du fait des difficultés d’accès aux aéroports européens.

Seule l’ONG allemande Sea-Eye avec le navire Alan Kurdi a repris la mer le 30 mars dernier. Arrivé sur la zone de recherche et de sauvetage le 5 avril, l’Alan Kurdi a porté secours à 150 personnes lors de deux opérations menées en moins de 24 heures. Sea-Eye rapporte qu’un hors-bord libyen a tiré en l’air lors du premier sauvetage, provoquant un mouvement de panique chez de nombreux rescapés qui se sont alors jetés à la mer. Tous sont actuellement sains et saufs à bord du navire, dans l’attente qu’un port sûr leur soit attribué.

L’Italie et Malte ont néanmoins d’ores et déjà refusé de fournir un port de débarquement, en raison de la crise sanitaire qui frappe leur territoire. Dans un décret publié le mardi 7 avril, les autorités italiennes ont annoncé que leurs ports ne pouvaient plus être considérés comme des “lieux sûrs” en raison du coronavirus. En d’autres termes, les navires humanitaires de recherche et de sauvetage ne sont plus autorisés à débarquer des rescapés en Italie jusqu’au 31 juillet, date annoncée de la fin de l’état d’urgence, qui pourrait être repoussée. Moins de 24 heures après l’annonce italienne, le gouvernement maltais a annoncé lui aussi que les personnes migrantes ne pourraient plus débarquer dans les ports maltais. « Il est de l’intérêt et de la responsabilité de ces personnes de ne pas se mettre en danger avec un voyage risqué vers un pays qui n’est pas en position de leur offrir un port sûr » a déclaré le gouvernement maltais.

Si la pression de la pandémie sur les sociétés européennes est inédite et extrêmement grave, ces décisions vont à l’encontre du droit maritime international : il est de la responsabilité des États de coopérer à la mise à disposition d’un port sûr, alors que le débarquement des rescapés dans un lieu sûr est une obligation pour tous les capitaines de navire.

Que deviennent les forces militaires de l’Union européenne présentes sur la zone ?

Le 31 mars, l’Union européenne (UE) a annoncé la fin de l’opération Sophia dont les moyens navals avaient déjà été retirés il y a un an. En avril doit être lancée une nouvelle opération militaire européenne, appelée Irini (« paix » en grec), dont l’objectif est de contrôler l’embargo de l’ONU sur les armes à destination de la Libye. Elle disposera de moyens maritimes et aériens qui patrouilleront à l’est de la Méditerranée, à l’écart de l’actuelle zone de départs des personnes fuyant la Libye par la mer. Des navires pourraient ainsi y être positionnés dans les semaines ou les mois à venir.

D’après les déclarations de l’UE, dans l’éventualité où ses navires militaires seraient amenés à secourir des embarcations en détresse, la Grèce serait le pays de débarquement des rescapés, avant d’être répartis dans les pays de l’UE volontaires pour les accueillir. Josep Borrel, le Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la sécurité a expliqué lors d’une conférence de presse le 31 mars : « les navires ne patrouillent pas les mers à la recherche de personnes à secourir. Ce n’est pas « Sophia bis » (…). D’une manière ou d’une autre, si les navires trouvent quelqu’un en mer, ils devront lui porter secours, (…) la mission n’est pas consacrée à la recherche de personnes, à leur sauvetage, mais si cela se produit, nous saurions comment procéder.»

Quelles sont les conséquences de la pandémie sur le monde maritime ?

Au-delà des navires humanitaires, c’est l’ensemble du monde maritime qui est durement touché par la pandémie du Covid-19. Le 19 mars dernier, le secrétaire général de l’Organisation maritime internationale, M. Lim, déclarait : « pour ralentir la propagation de la maladie et atténuer ses effets, les déplacements sont réduits et les frontières sont fermées. Les plateformes de transport sont touchées. Les ports sont fermés et les navires se voient refuser l’entrée ».

Partout, des dizaines de milliers de marins sont bloqués sur leurs navires du fait des mesures sanitaires et sécuritaires prises par les Etats. Le commerce de fret subit de plein fouet la crise et les navires militaires ne sont pas épargnés par l’épidémie, tel le porte-avions Charles de Gaulle qui interrompt une mission en Atlantique et rentre au port de Toulon. L’un des secteurs particulièrement touchés est également le transport de passagers : de nombreux paquebots de croisière se retrouvent bloqués en mer avec des milliers de touristes, dans l’impossibilité de trouver un port qui accepte de les débarquer, y compris des malades gravement atteints. L’exemple de la longue errance du Zaandam, parti d’Argentine le 7 mars dernier avec 1250 passagers et 1186 membres d’équipage, est édifiant. Après l’apparition de premiers symptômes du Covid-19 à bord, les autorités chiliennes refusent le débarquement des passagers et membres d’équipage, suivies par le Pérou et le Panama. Après plus de quinze jours en mer et de longues négociations, le Zaandam est finalement autorisé à accoster en Floride le 2 avril. Au total 250 passagers et membres d’équipage ont présenté des symptômes et quatre personnes sont mortes à bord.

Est-ce que les départs continuent ? Que se passe-t-il pour les embarcations en détresse ?

Durant cette période, il est très difficile d’obtenir des informations concernant les départs et les traversées en Méditerranée centrale. Néanmoins l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM) a déclaré dans un communiqué de presse publié hier que depuis le début du mois d’avril, au moins six embarcations seraient parties de Libye avec environ 500 personnes à bord.

Les interceptions et les retours vers la Libye menés par les garde-côtes libyens se poursuivent également sur l’axe entre la Libye et l’Italie.  Selon l’organisation Alarm Phone qui gère une hotline téléphonique pour les personnes en détresse en mer, en mars « plus de 600 personnes ont tenté de fuir la Libye par la mer et ont été interceptées et renvoyées. ». Hier, l’OIM a signalé qu’environs 280 personnes ont été interceptées en mer et ramenées par les garde-côtes libyens. Elles n’ont pas été autorisées à débarquer par les autorités libyennes et ont passé la nuit à bord.

Pour le moment, rien n’indique que cette crise du Covid-19 aura une influence sur les départs depuis les côtes libyennes puisque ces derniers sont plus liés à l’urgence de fuir la Libye qu’à tout autre facteur.

Quelle est la situation en Libye ?

En Libye, malgré l’annonce d’une trêve humanitaire liée au Covid-19 qui a vite volé en éclats, les combats ont repris. La région de Tripoli est ainsi en proie ces dernières semaines à de nombreux bombardements. Lors d’une conférence de presse le 3 avril, le porte-parole du Haut-Commissariat pour les réfugiés en Libye déclarait qu’au moins 300 civils ont été tués et 150 000 ont été déplacés de leurs foyers depuis le début du conflit l’an dernier. La situation est d’autant plus inquiétante que la Libye, considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme pays à haut risque face à la pandémie, a officiellement signalé hier 21 cas de contamination au COVID-19 et un décès. Alors que le système de santé est extrêmement fragile, les organisations internationales présentes s’alarment des possibles conséquences sur la population libyenne et plus encore pour les personnes migrantes, entassées dans des centres de rétention surpeuplés. « Nous savons que ces gens [dans les camps de rétention] n’ont absolument aucune chance de survivre. Nous nous attendons à une catastrophe humaine sans précédent » a déclaré Walid Elhouderi, de la Commission libyenne des droits de l’Homme.

Des mesures ont été prises par les autorités de Tripoli : fermeture des frontières terrestres, des aéroports, mise en place d’un couvre-feu, fermeture des établissements scolaires et publics. Néanmoins leur mise en œuvre sur un territoire divisé politiquement semble tout-à-fait hypothétique.

Au vu de tous ces éléments de contexte, nos équipes sont particulièrement préoccupées par l’urgence humanitaire qui continue en Méditerranée centrale où la mortalité risque de grimper. Il est évident que la situation d’urgence sanitaire actuelle est extrême et déstabilise gravement les citoyens et les Etats européens. Néanmoins cette crise ne doit pas remettre en cause le droit et les conventions internationales. Des mesures permettant de débarquer rapidement les rescapés secourus dans un port sûr proche tout en garantissant la santé publique doivent être impérativement prises au niveau européen. SOS MEDITERRANEE s’engage à soutenir tous les scénarios innovants possibles afin qu’ensemble nous puissions relever ce défi et tendre la main à ceux qui se noient.

Crédit photo : Julia Schaefermeyer / SOS MEDITERRANEE

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/mediterranee-centrale-pandemie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Communiqué de presse conjoint du HCDH, de l’OIM, du HCR et de l’OMS

Les droits et la santé des réfugiés, des migrants et des apatrides doivent être protégés dans le cadre des efforts de lutte contre la Covid-19

Communiqué de presse conjoint du HCDH, de l’OIM, du HCR et de l’OMS

31 mars 2020 

Joint News Release

Face à la crise que représente la propagation de la Covid-19, nous sommes tous vulnérables. Le virus a montré qu’il ne fait aucune distinction entre les personnes – mais de nombreux réfugiés, déplacés internes, apatrides et migrants sont exposés à un risque accru.

Les trois quarts des réfugiés et de nombreux migrants à travers le monde se trouvent dans des régions en développement où les systèmes de santé sont souvent insuffisants et déjà surchargés. Beaucoup vivent dans des camps, des sites d’installation, des abris de fortune ou des centres d’accueil surpeuplés, où ils n’ont pas d’accès satisfaisant aux services de santé, à l’eau potable et à un système d’assainissement adéquat.

La situation des réfugiés et des migrants détenus dans des lieux de détention formels et informels, dans des conditions d’exiguïté et d’insalubrité, est particulièrement préoccupante. Compte tenu des conséquences mortelles qu’aurait une épidémie de Covid-19 dans ce contexte, ils devraient être libérés sans délai. Les migrants mineurs et leurs familles, ainsi que les personnes détenues sans base légale suffisante, devraient être immédiatement libérés.

Cette maladie ne peut être contrôlée que si une approche inclusive est adoptée pour protéger les droits de chaque individu à la vie et à la santé. Les migrants et les réfugiés sont particulièrement susceptibles d’être victimes d’exclusion, de stigmatisation et de discrimination, en particulier lorsqu’ils sont sans papiers. Pour éviter une catastrophe, les gouvernements doivent tout mettre en œuvre pour protéger les droits et la santé de chacun. La protection des droits et de la santé de tous permettra en réalité de contrôler la propagation du virus.

Il est essentiel que chacun, y compris tous les migrants et les réfugiés, puisse bénéficier d’un accès égal et garanti aux services de santé et soit effectivement inclus dans les réponses nationales à la pandémie de Covid-19, ce qui comprend la prévention, le dépistage et le traitement. Cette inclusion contribuera non seulement à protéger les droits des réfugiés et des migrants, mais aussi à protéger la santé publique et à endiguer la propagation mondiale de la Covid-19.  Même si de nombreux pays protègent et accueillent des populations de réfugiés et de migrants, ils ne sont pas toujours équipés pour répondre à des crises telles que celle de la Covid-19. Pour garantir aux réfugiés et aux migrants un accès approprié aux services de santé nationaux, certains États peuvent avoir besoin d’un soutien financier additionnel. C’est sur ce point que les institutions financières mondiales peuvent jouer un rôle de premier plan en mettant des fonds à disposition.

Alors que les pays ferment leurs frontières et limitent les mouvements transfrontaliers, il est important de rappeler qu’il existe des moyens de gérer ces restrictions de manière à respecter les normes internationales en matière de droits de l’homme et de protection des réfugiés, y compris le principe de non-refoulement, par le biais de la quarantaine et des contrôles sanitaires par exemple.

Plus que jamais, puisque la Covid-19 représente une menace pour toute l’humanité, nous devons nous concentrer sur la protection de la vie, quel que soit le statut de chacun. Cette crise exige une approche internationale cohérente et efficace qui ne laisse personne pour compte. En ce moment crucial, nous devons tous nous rassembler autour d’un objectif commun, la lutte contre ce virus mortel. De nombreux réfugiés, déplacés internes, apatrides et migrants possèdent des compétences et des moyens qui peuvent également faire partie de la solution.

Nous ne pouvons pas laisser la peur ou l’intolérance porter atteinte aux droits ou compromettre l’efficacité des réponses mises en œuvre pour lutter contre la pandémie. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous ne pourrons vaincre ce virus que si chacun d’entre nous est protégé.

Source https://www.who.int/fr/news-room/detail/31-03-2020-ohchr-iom-unhcr-and-who-joint-press-release-the-rights-and-health-of-refugees-migrants-and-stateless-must-be-protected-in-covid-19-response

Grèce : Migrants droits bafoués

[Migreurop] Grèce : conditions épouvantables et déni des droits fondamentaux dans les centres de détention grecs de Malakassa et de Serrès

Destinataires:

Le président de la République hellénique, Le premier ministre de la Grèce

A partir du 21 mars et jusqu’à présent, 598 réfugiés et migrants sont détenus dans le camp de Klidi de la municipalité de Sintiki, dans la préfecture de Serres –au nord de la Grèce-, sans avoir le droit de déposer une demande d’asile. Parmi eux, se trouvent des bébés, dont le plus jeune a un mois, de jeunes enfants, de femmes qui vient d’accoucher, de femmes enceintes et de personnes atteintes de maladies chroniques graves.

Ils sont détenus au fond d’un ravin escarpé, situé tout près du lit du fleuve Strymon. Il existe un très fort risque de précipitations de grand volume d’eau ou de glissement de terrain en cas de fortes pluies, ainsi que d’un débordement du fleuve hors de son lit : ces risques ont été signalés par le service compétent des pompiers.

En hiver, de vents glacials très forts soufflent, tandis qu’en été l’atmosphère devient extrêmement étouffante, de sorte que les habitants de la région n’utilisent pas cet endroit même pas pour leurs animaux.

L’accès routier est problématique et les travaux de drainage des eaux pluviales ont été laissés incomplets. La collecte des déchets est également problématique.

Il n’y a pas d’approvisionnement d’eau, les bouteilles d’eau potable sont partagées, tandis que des camions d’eau transportent l’eau pour les autres besoins. Il n’y a pas de système d’égouts et les seules toilettes disponibles sont chimiques.

Il n’y a pas non plus de connexion au réseau électrique et l’éclairage électrique se fait avec un générateur dont le bon fonctionnement dépend d’un technicien, employé d’une société basée dans une autre préfecture.

Les détenu-e-s dorment dans des tentes en tissu plastifié, qui ne les protègent ni du froid ni de la chaleur, sur des palettes recouvertes de minces « matelas » synthétiques, tandis que tout ce qu’il y a comme literie a été offert par la Croix-Rouge.

Les tentes sont surpeuplées et si rapprochées les unes aux autres, que non seulement aucune quarantaine ou distanciation sociale n’est possible, mais même le déplacement entre elles, même la circulation conformément aux normes carcérales, y devient impossible.

Nous demandons au gouvernement de transférer immédiatement les détenus dans des hôtels et autres logements appropriés, en donnant la priorité aux plus vulnérables. Nous l’appelons à           appliquer, le droit européen et international en ce qui concerne l’enregistrement et l’examen personnalisé des demandes d’asile, même pour ceux qui sont arrivés au pays après le 1er mars,

Fermez le camp de Klidi maintenant, des vies humaines sont en jeu!

Source Fermez le camp de Klidi au nord de la Grèce, transférez immédiatement ceux qui y sont détenus à des hôtels!

L’enfermement criminel des réfugiés en Grèce

TRIBUNE

Chronique d’un désastre annoncé : l’enfermement criminel des réfugiés en Grèce

Par Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue grecque «αληthεια» et directrice de programme au Collège international de philosophie 

A Lesbos, jeudi. Photo Manolis Lagoutaris. AFP

 Chronique d’un désastre annoncé : l’enfermement criminel des réfugiés en Grèce

Tribune. Par ces temps si troubles, où l’immunité grégaire obtenue par la vaccination généralisée est détournée en immunisation de troupeau résultante de l’exposition de tous et toutes au Covid-19 – ce qui ne manquera pas d’entraîner l’élimination des plus vulnérables –,

par ces temps de détresse où les médecins en Italie, en Espagne et même en France sont sommés de faire le tri entre ceux à qui ils donneront une chance d’être sauvés et les autres qu’on laissera mourir,

par ces temps si obscurs où les demandeurs d’asile aux frontières de l’Europe sont traités comme des ennemis à repousser et, si besoin, à abattre, tandis que ceux qui réussissent à passer en Grèce sont traités comme des criminels de droit commun, étant condamnés à des peines de prison ferme,

il y a une partie de la population qui est condamnée à la contagion généralisée : en premier lieu, les réfugiés et les migrants vivant partout en Europe et surtout en Grèce dans des conditions sanitaires déplorables dans des «hotspots», ou bien détenus dans de centres de rétention administrative (CRA), puis les sans-abri et enfin les personnes incarcérées. Pour l’instant, aucune mesure de vraie protection sanitaire n’est prévue pour ces trois catégories. Les plus exposés parmi eux sont les réfugiés vivant dans les hotspots, centres dits de réception et d’identification, à Lesbos, Samos, Chios, Cos et Leros. Ces camps fonctionnent actuellement cinq, sept voire onze fois au-dessus de leur capacité d’accueil. Dans les îles grecques, 37 000 personnes sont actuellement enfermées dans des conditions abjectes dans des hotspots prévus pour accueillir 6 000 personnes au grand maximum. Les demandeurs d’asile sont obligés d’y vivre dans une très grande promiscuité et dans des conditions sanitaires qui suscitaient déjà l’effroi bien avant l’épidémie de coronavirus. Dans la jungle de l’oliveraie, extension «hors les murs» du hotspot de Moria, à Lesbos, il y a des quartiers où il n’existe qu’un seul robinet d’eau pour 1 500 personnes, ce qui rend le respect de règles d’hygiène absolument impossible.

Conditions sordides

Or la seule réponse envisagée par le gouvernement grec est de transformer Moria en un centre fermé, en restreignant drastiquement les déplacements de réfugiés. Les rares fois où un effort est fait pour la «décongestion» du camp, celle-ci est effectuée au compte-gouttes. Mise à part l’installation d’un conteneur médical par les autorités régionales à l’entrée du camp, aucun renforcement du dispositif sanitaire avec des effectifs médicaux suffisant pour traiter les 20 000 habitants actuels de Moria n’est prévu. Au contraire, le gouvernement Mitsotákis mise sur la peur d’une épidémie dans les camps pour imposer aux sociétés locales la création de centres fermés, censés garantir la sécurité, non pas tant de leurs résidents mais des riverains. Ou bien le coronavirus, ou bien les centres fermés de détention, avait déclaré sans détours il y a une dizaine de jours le ministre de la Migration, Notis Mitarachi. Quant à ceux qui sont arrivés après le 1er mars, lorsqu’ils ne sont pas condamnés à des peines de quatre ans de prison ferme pour entrée illégale dans le territoire ils sont détenus dans des conditions sordides en vue d’une expulsion plus qu’improbable vers leur pays d’origine ou d’un renvoi forcé vers la Turquie, «Etat tiers supposé sûr». Pendant une dizaine de jours, 450 nouveaux arrivants ont été séquestrés dans des conditions inimaginables dans un navire militaire, où ils ont été obligés de vivre littéralement les uns sur les autres, sans même qu’on ne leur fournisse du savon pour se laver les mains.

Une telle exposition à des conditions insalubres de personnes fragilisées par des voyages longs et éprouvants pourrait-elle être mise sur le compte de la simple impréparation ? Ces conditions sont presque aussi inhumaines dans les centres fermés de Malakassa et de Serrès, où les nouveaux arrivants sont détenus. Pour les 1 300 détenus de Malakassa, en Attique, l’accès à l’eau courante se limite à quelques heures par jour, tandis que la dernière distribution de produits d’hygiène remonte à deux semaines. A Serrès, l’accès à l’eau se limite à deux heures par jour, tandis que la seule visite médicale a été faite par un médecin qui n’a examiné que quelques enfants.

Scénario terrifiant

De telles conditions de détention ne laissent pas de doute sur la stratégie du gouvernement : cette population ne doit pas être protégée mais exposée. La stratégie d’enfermement et de refoulement qui a été jusqu’alors la politique migratoire de l’Europe se révèle à présent être une véritable «thanato-politique». Aux refoulements illégaux et de plus en plus violents à la frontière (voir ici et ici) s’est ajoutée par temps de pandémie l’exposition des populations entières à des conditions si insalubres qu’elles mettent en danger leur santé et ne manquerons pas de conduire inévitablement à l’élimination physique d’une partie considérable d’entre eux. Sommes-nous face à un scénario terrifiant d’élimination de populations superflues ? Cette question ne saurait être contournée.

Photo du camp fermé pour migrants et réfugiés à l’endroit Klidi, à Serres (Nord de la Grèce)

Pourrions-nous fermer les yeux devant ces crimes de masses qui se préparent en silence et dont les conditions sont mises en place déjà à Moria (Lesbos), à Vathy (Samos), à Malakassa en Attique, au centre fermé, à Klidi ? Ce dernier, destiné à ceux qui sont arrivés en Grèce après le 1er mars (date de la suspension de la procédure d’asile) est un véritable camp de concentration, «un camp quasi militaire», écrit à juste titre Maria Malagardis. Les réfugiés et les migrants seront détenus dans ce camp pour un temps indéterminé, en attente d’un renvoi vers la Turquie, plus qu’improbable dans les conditions actuelles. Le choix de cet endroit désolé et à haut risque d’inondation, la très grande promiscuité obligatoire, ainsi que l’absence de toute prise en charge médicale, ont suscité de réactions, y compris au sein de la police locale et des sapeurs-pompiers. On n’ose à peine imaginer ce qu’il pourrait s’y passer si l’épidémie Covid-19 s’y déclarait.

Et que se passera-t-il si l’épidémie se déclare dans des endroits si surpeuplés et si dépourvus d’infrastructures sanitaires que sont les hotspots des îles ? «En cas d’épidémie, une quarantaine qui enfermerait des dizaines de milliers de personnes en bonne santé ainsi que des personnes infectées par Covid-19 dans les camps surpeuplés, accompagnée d’un manque de préparation et de réponse médicale adéquate et appropriée, entraînerait presque certainement la mort inévitable de nombreuses personnes», ont déclaré 21 organisations qui ont lancé un appel pour l’évacuation immédiate des hotspots.

Désastre sanitaire imminent

Aux multiples appels (1) à évacuer immédiatement les camps surpeuplés, et même aux exhortations venant des instances européennes, le gouvernement grec continue à faire la sourde oreille, prétendant que l’enfermement des demandeurs d’asile dans des lieux comme le hotspot de Mória assure leur propre sécurité ! Le ministre de la Migration ne cesse de brandir comme solution miracle la création des centres fermés dans les îles. Entre-temps, les nouveaux arrivants, y compris les femmes enceintes et les enfants, restent bloqués à l’endroit même où ils débarquent, pour un supposé «confinement en plein air», sous des abris de fortunes ou même sans aucun abri, pendant au moins une période de quatorze jours !

photo du reportage du 28 mars à Petra, Lesbos, du média local, Sto Nissi, stonisi.gr

Les appels répétés (voir ici et ici) de la commissaire Ylva Johansson de transférer les réfugiés des hotspots, ainsi que les exhortations de la commissaire Dunja Mijatović de libérer les migrants détenus en CRA, résonnent comme de simples protestations pour la forme. Dans la mesure où elles ne sont pas suivies de mesures concrètes, elles ne servent qu’à dédouaner la Commission européenne de toute responsabilité d’un désastre sanitaire imminent.

Un tel désastre ne saurait toucher uniquement les réfugiés, mais l’ensemble de la population des îles. L’Union européenne, si elle veut vraiment agir pour mettre les demandeurs d’asile en sécurité, doit à la fois exercer des pressions réelles sur le gouvernement grec et prendre de mesures concrètes pour l’aider à évacuer les réfugiés et les migrants et à les installer dans un confinement sécurisé à domicile. Dans l’immédiat, elle peut réorienter l’aide exceptionnelle de 700 millions d’euros octroyée à la Grèce pour assurer l’étanchéité des frontières européennes, afin de mettre en sécurité des réfugiés et des migrants.

Appliquer sur une population affaiblie et mal nourrie la méthode de «l’immunisation du troupeau» reviendrait à mettre en œuvre une politique d’élimination de populations superflues. Un tel choix politique ne saurait laisser intacte notre société tout entière. Ce n’est pas une question d’humanisme, c’est une question qui touche aux fondements de notre vivre-ensemble : dans quel type de société voulons-nous vivre ? Dans une société qui non seulement laisse mourir mais qui fait mourir ceux et celles qui sont les plus vulnérables ? Serions-nous à l’abri dans un monde transformé en une énorme colonie pénitentiaire, même si le rôle qui nous y est réservé serait celui, relativement privilégié, de geôliers ? Il est grand temps de se ressaisir : l’épidémie de Covid-19 a démontré, si besoin était, que nous vivons toutes et tous dans le même monde et que le sort des uns affecte celui des autres. Ne laissons pas les demandeurs d’asile subir un enfermement qui pourrait s’avérer mortel, mais faisons en sorte qu’ils partagent avec nous les conditions d’un confinement protecteur et salutaire. Il faudrait leur offrir en toute urgence un abri digne de ce nom dans des conditions sanitaires décentes. C’est une priorité absolue si nous voulons éviter une catastrophe humanitaire et sociétale.

Sans précédent

Face au choix de traiter des êtres humains comme des miasmes, nous pouvons opposer une politique qui combine diverses propositions : les résidents de hotspots et ceux qui se trouvent en détention administrative pourraient être transférés en Grèce continentale en bateaux de croisière, et y être hébergés provisoirement en logements touristiques vides, afin d’être par la suite répartis entre les pays européens.

L’extrême urgence de la situation impose de faire vite, il n’y a plus une minute à perdre (2). Exigeons du gouvernement grec et des dirigeants européens une action immédiate qui mettra en sécurité les demandeurs d’asile et les migrants. Ne pas le faire aujourd’hui nous rend complice d’une stratégie criminelle qui mènera inévitablement à une catastrophe humanitaire sans précédent.

Contre les politiques d’exclusion et de criminalisations des arrivants, il nous faudra construire un monde «un», commun à toutes et à tous. Sinon, chacun de nous risque à n’importe quel moment de se retrouver du mauvais côté de la frontière.

(1) Voir un appel lancé en plusieurs langues par des activistes grecs : «Evacuez immédiatement les centres de réception dans les îles» ; l’action d’Amnesty International ; l’appel international #LeaveNoOneBehind , l’appel #SosMoria de 5 000 médecins européens, la lettre ouverte de 121 ONG, etc.

(2) Aux dernières nouvelles, plusieurs cas de coronavirus ont été recensés au camp de réception de Ritsona, au nord d’Athènes, ainsi qu’un cas d’une réfugiée hébergé en appartement à Kilkis, au nord de la Grèce.

Vicky Skoumbi rédactrice en chef de la revue grecque «αληthεια» et directrice de programme au Collège international de philosophie

Iles grecques le coronavirus s’ajoute à l’abandon de l’UE

Dans les îles grecques devenues camps de réfugiés, le coronavirus s’ajoute à l’abandon européen par Raphaël Goument

L’épidémie de coronavirus menace aussi les camps de réfugiés des îles grecques. Avec des dizaines de milliers de personnes qui y survivent sans accès suffisant à l’eau, aux douches, ni aux toilettes, ces camps risquent de se transformer en bombes sanitaires. Les ONG demandent leur évacuation, le gouvernement grec a décidé de les confiner. Reportage sur l’île de Chios avant le confinement.

Ils se sont donnés rendez-vous dans un petit appartement du centre-ville, à deux pas de la forteresse qui veille encore sur le port de Chios. Tous travaillent dans des ONG impliquées auprès des réfugiés. Pour la première fois, une assemblée numérique est organisée avec responsables humanitaires et bénévoles des autres îles. Sur l’écran, des petits carrés lumineux s’illuminent successivement. « Evros », « Lesbos », « Kos », « La Canée »… Chacun se présente par son emplacement, son front de lutte. Les traits sont tirés, les nouvelles ne sont pas bonnes. Agression de réfugiés, attaques de responsables d’ONG, destruction de lieux de solidarité, barrages sur les routes, départ des volontaires internationaux et réduction des activités des organisations caritatives, manifestation et contre-manifestation. Dans certaines îles, on a frôlé la guerre civile.

Les récits s’enchainent et se ressemblent. Partout, la situation semble hors de contrôle depuis la fin du mois de février. Un volontaire de Kos tire la sonnette d’alarme : « Les réfugiés manquaient déjà de tout mais ce à quoi ils font face désormais est bien plus dangereux, c’est la montée rapide et directe du fascisme. C’est bien plus grave que tout ce qui pouvait manquer jusqu’à présent. » Les autres acquiescent. C’est sans compter sur la menace du coronavirus qui ne ferait qu’envenimer encore la situation si des cas étaient détectés dans les camps de réfugiés – ils sont plus de 40 000 dispersés sur les cinq îles -, sans parler du désastre sanitaire qu’une telle contamination représenterait.

Deux réfugiées avec des sacs de produits alimentaires attendent de pouvoir partager un taxi pour retourner à Vial, le camp de Chios distant d’une dizaine de kilomètres. © Raphaël Goument.

Chios n’échappe pas à la règle. Avec plus de 6000 réfugiés pour quelques 50 000 habitants, l’île semble au bord de l’implosion malgré le calme relatif qui a depuis peu regagné la ville et ses alentours. Avec l’annonce du président turc Recep Tayyip Erdoğan fin février de ne plus vouloir retenir les migrants sur son territoire, les arrivées se sont multipliées. Rien qu’en 2020, ce sont près de 10 000 réfugiés qui ont tenté la traversé depuis la Turquie selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. L’île de Chios est en première ligne, séparée des côtes turques seulement par un bras de mer d’une dizaine de kilomètres.

Méfiance des habitants de l’île envers le gouvernement grec

La situation a amené le gouvernement grec, de droite, de Kyriákos Mitsotákis à instaurer début mars un régime d’exception pour au moins 30 jours. Aucune demande d’asile n’est plus enregistrée, ce qui est en contradiction avec la convention de Genève et avec le droit européen et international. Pis, les derniers arrivés depuis le 1e mars ne sont plus enregistrés ni même emmenés à Vial -le camp de Chios- et sont détenus dans des structures ad hoc, sans accès aux responsables des ONG ni à des avocats. Un reportage du New York Times à Evros, la frontière continentale au nord du pays, mentionnait des renvois directs vers la Turquie, ce que le gouvernement d’Athènes a jusqu’alors toujours démenti [1].

« Encore faut-il que le gouvernement du pays de retour – ici la Turquie – soit d’accord avec le renvoi, ça semble encore très incertain », précise Victoria*, une Grecque de 35 ans qui travaille pour une organisation internationale présente sur l’île et qui souhaite conserver l’anonymat. Et d’ajouter : « Il y a aussi une dimension de propagande assez évidente dans cette décision du gouvernement grec, c’est certainement pour rassurer la population locale et les Grecs en général. » Il faut dire que les insulaires entretiennent une défiance croissante vis-à-vis du gouvernement central mais aussi des institutions européennes.

Cette méfiance a atteint son paroxysme fin février quand Athènes a annoncé son intention de construire un nouveau camp fermé, dans les montagnes au cœur de l’île. Malgré un refus massif des insulaires et de leurs représentants, les autorités ont bien tenté de passer en force, débarquant discrètement près de 300 policiers anti-émeute helléniques afin de sécuriser les travaux préparatoires. La goutte de trop. Jamais de mémoire d’habitant, on avait aperçu ces armures et ces boucliers. Manifestations, grèves sauvages et barrages improvisés sur les routes : la réaction populaire a pris de court le gouvernement. La situation est devenue si tendue que les policiers anti-émeutes ont été rapatriés après seulement quelques jours, pourchassés jusque dans le port par des habitants furieux. « C’est vraiment à ce moment que tout a basculé, quand ils ont voulu construire le nouveau camp. Tout le monde s’y est opposé. Quels que soient les avis politiques, nous avons manifesté ensemble, mais malheureusement, pas pour les mêmes raisons. Certains ne veulent plus de réfugiés du tout… », précise Alba, une des rares volontaires internationales encore présente sur l’île.

Les volontaires des ONG : « Nous sommes devenus des cibles »

Ce sont surtout les franges les plus réactionnaires de la société grecque qui ont depuis fait parler d’elles. En tête des actualités, les arrivées à Lesbos de militants se qualifiant ouvertement d’identitaires voire de néo-nazis ont éclipsé les violences qui touchent les autres îles. À Chios, l’entrepôt qu’occupait l’organisation caritative norvégienne One Family–No Border a été incendié dans la nuit du 2 mars avec tout ce qu’il contenait de dons arrivés des quatre coins du monde et à destination des réfugiés. Vêtements, chaussures, poussettes, jouets et autres produits de première nécessité : au petit matin il ne restait que des cendres fumantes. Hanne Hoff, une femme de 62 ans atterrie sur l’île dès 2016 après une année à Lesbos, ne pense pas à une origine accidentelle.

L’entrepôt qu’occupait l’organisation caritative One family–No borders, incendié dans la nuit lundi 2 mars. © Raphaël Goument.

Loin d’être isolé, le cas de l’ONG One Family illustre la montée des menaces pour ceux qui aident de près ou de loin les migrants. Une autre organisation historique, Feox, a aussi dû réduire son activité. Ses créateurs, Adonis et Michaelis, deux jumeaux natifs de l’île, se sont taillés une solide réputation en secourant des milliers de naufragés qui approchaient des côtes de Chios depuis le début de la crise migratoire. « En 2015 et 2016, il arrivait en moyenne dix bateaux par jour, avec parfois jusqu’à 80 personnes dans l’embarcation. Faîtes le calcul », rapporte Adonis, une certaine fierté dans la voix. Les deux frères, qui portent barbes et longues chevelures grisonnantes, patrouillaient nuit et jour à moto le long de la côte, gagnant ainsi leur réputation de « jumeaux pirates ». Les choses ont changé.

Michaelis et Adonis, les « jumeaux pirates », à l’origine de Feox, une des premières organisations de secours des réfugiés de l’île de Chios. © Raphaël Goument.

Ce sont toutes les personnes qui viennent en aide de près ou de loin aux migrants qui se sentent aujourd’hui menacées. Pour ceux qui restent, principalement des Grecs, les consignes des centrales humanitaires deviennent de plus en plus strictes : « Ne pas dire d’où l’on vient, ni pourquoi on est sur l’île, se faire passer pour des professeurs, ne pas rentrer seul chez soi le soir », énumère Hypatia [2], elle-même responsable dans une organisation internationale présente sur le camp de Vial. Les loueurs de voiture refusent désormais de travailler avec des étrangers, de peur que leurs véhicules ne soient détruits. De nombreux volontaires internationaux ont préféré quitter l’île, à l’image d’Hanne Hoff, retournée en Norvège. « Nous sommes devenus des cibles, on ne sait pas ce qui pourrait arriver », se désole-t-elle. Combien de temps pourrait durer cette retraite ? « Au moins un mois, ensuite nous verrons. » C’est toute l’activité de solidarité et d’aide aux réfugiés qui s’en trouve ralentie.

Hanne Hoff, la Norvégienne à l’origine de l’organisation caritative One Family–No borders. © Raphaël Goument.

« Nous sommes abandonnés par le gouvernement et par l’Europe »

« Les Grecs ont été des gens exceptionnels, la société grecque s’est montrée d’une telle solidarité en 2015 au début de la crise des réfugiés », salue Alba, qui a préféré rester pour prêter main forte aux jumeaux pirates. « Les insulaires en ont assez, cela dure depuis trop longtemps, ils ont aussi des problèmes et des difficultés. On peut les comprendre d’une certaine manière. Ils ont l’impression de se faire voler leur île, tout ce qu’ils veulent, c’est reprendre leur vie d’avant ».

L’histoire de Chios est celle d’un lent pourrissement suspendu aux accords internationaux, négociés entre Bruxelles, Athènes et Ankara. Maria, une insulaire qui tient une taverne au sein des remparts de la vieille forteresse ne dit pas autre chose : « La situation a beaucoup changé. Il y a cinq ans, il n’y avait que 200 ou 300 réfugiés, et ils partaient ensuite en Europe. Mais les autres pays n’ont pas accepté cette circulation et ont tout fait pour les maintenir bloqués ici. Nous ne pouvons pas en avoir plus. Nous sommes abandonnés par le gouvernement et par l’Europe. » C’est désormais sur ces îles que se matérialisent les frontières extérieures de l’Union européenne.

C’était l’idée même des « hotspots », ces points de chute conçus par le gouvernement grec et l’Union européenne pour faire face à l’afflux de réfugiés depuis 2014. En avril 2015, un accord conclu entre la Commission européenne et Athènes acte la création de ces « institutions de premier accueil » – leur nom officiel. Cinq îles grecques, toutes proches des côtes turques sont concernées : Chios, mais aussi Lesbos, Kos, Leros et Samos. Ces structures, imaginées pour centraliser l’enregistrement des arrivées et le traitement des demandes d’asile ont vite été submergées.

Peu à peu, Chios s’est transformée en une immense prison à ciel ouvert

Depuis 2014, plus d’un million de personnes ont risqué la traversée. En avril 2016, le deal passé entre l’Union européenne et la Turquie pour tenter d’endiguer le flux de réfugiés a eu des effets directs sur la situation des hotspots. Désormais, il n’est plus question pour les demandeurs d’asile de circuler librement en Grèce. Ils doivent rester sur l’île le temps de l’examen de leurs dossier. Une nouvelle loi de janvier 2020 a encore considérablement restreint les dérogations en cas de vulnérabilité, qui pouvaient auparavant donner un droit de circulation sur le continent. Peu à peu, Chios s’est transformée en une immense prison à ciel ouvert pour des migrants qui ne savaient souvent même pas vers où se dirigeait leur embarcation de fortune.

L’ONG norvégienne Aegan See Reports tente de centraliser les chiffres clés des afflux migratoires sur les îles grecques depuis 2015. Ceux-ci sont sans équivoque : jusqu’à avril 2019, on comptait moins de 1800 réfugiés sur l’île. Puis, le compteur explose à partir de l’été 2019. En mars 2020, plus de 6000 demandeurs d’asile sont bloqués sur Chios. Ce pourrissement de la situation exaspère les habitants, et inquiète certains élus.

Dimitris Antonoglou siège au conseil de la ville de Chios depuis un an sous l’étiquette Hiaki Sympolitia, un parti de gauche : « Notre situation concerne toute l’Europe. C’est l’ensemble du spectre politique en Grèce comme ailleurs qui se déplace vers la droite. » © Raphaël Goument.

Dimitris Antonoglou siège au conseil de la ville de Chios depuis un an sous l’étiquette Hiaki Sympolitia, un parti de gauche. Réellement inquiet, il hésite quant à la riposte à organiser. « Notre situation concerne toute l’Europe. On voit bien que c’est l’ensemble du spectre politique en Grèce comme ailleurs qui se déplace vers la droite. Les idées d’invasion, d’islamisation, font leur nid. Renaud Camus est devenu une référence en Grèce [3]. L’Union européenne croit avoir réglé ses problèmes en bloquant les réfugiés sur quelques îles. Mais c’est comme cacher la poussière sous le tapis, personne ne prend conscience de la taille du problème. » Pour l’élu grec, « il faut que l’Europe revienne à la réalité, tout ça c’est aussi la conséquence de sa politique ».

Raphael Goument

Ce reportage a été réalisé avant que le gouvernement grec décide des mesures de confinement des camps de demandeurs d’asile de la mer Égée, le 17 mars.

Photo de une : Un bateau des garde-côtes helléniques stationne dans la marina de Chios, arborant un drapeau « Frontex », l’agence de l’Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen et dont les moyens ont été considérablement renforcés depuis le début de la crise migratoire. © Raphael Goument.

Source https://www.bastamag.net/Refugies-Grece-Turquie-Chios-Lesbos-coronavirus-Union-europeenne

Grèce : Décret d’urgence suspendant les procédures d’asile

Grèce : Le Parlement ratifie un décret d’urgence au milieu d’une critique de plus en plus vive

Le rapport spécial des Nations unies demande aux autorités grecques de prendre des mesures immédiates pour mettre fin à la violence, aux abus et aux refoulements à la frontière gréco-turque. Le Parlement grec a ratifié le 26 mars dernier le décret d’urgence controversé suspendant les procédures d’asile. La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen demande l’évacuation de 42 000 personnes des îles grecques en raison de la COVID-19.

Le rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales, s’est dit préoccupé : « par les renvois signalés de demandeurs d’asile et de migrants, qui constituent une violation de l’interdiction des expulsions collectives et du principe de non-refoulement ». M. Morales a également été alarmé par les informations faisant état d’agressions et de violences contre les demandeurs d’asile de la part d’agents de sécurité grecs et d’hommes armés non identifiés, ainsi que par l’hostilité et la violence dont sont victimes les travailleurs humanitaires, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes dans le pays. Lorsque la Grèce a suspendu les procédures d’asile le 1er mars, le rapporteur a demandé une modification de la décision et a déclaré qu’elle n’avait : « aucune base juridique dans le droit international des droits de l’homme ». Membre du CERE, le Conseil grec pour les réfugiés a demandé le 23 mars devant le Conseil d’État l’annulation de la loi de suspension des demandes d’asile et a exhorté le président de la République à annuler cette loi et le Parlement grec à ne pas la ratifier.

Le Parlement grec a cependant voté le 26 mars pour approuver la suspension de l’accès aux procédures d’asile pour toute personne arrivant entre le 1er mars et le 31 mars avec la possibilité de prolonger la période. Commentant ce vote, Raphael Shilhav, conseiller en politique migratoire de l’UE d’Oxfam, a déclaré « Il s’agit d’une violation flagrante du droit communautaire et de la convention des Nations unies sur les réfugiés. Si la Grèce ne revient pas sur sa décision et ne rétablit pas pleinement l’État de droit, la Commission européenne doit prendre d’urgence des mesures à l’encontre de la Grèce pour cette grave violation des droits fondamentaux ». Les personnes qui arrivent en Grèce risquent d’être détenues et expulsées. 2 500 personnes ont été empêchées de demander l’asile depuis que la suspension a été introduite par un décret gouvernemental le 1er mars.

Selon le Guardian, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE) a demandé l’évacuation de 42 000 personnes sur les îles grecques comme mesure « préventive urgente » pour éviter les décès dus à COVID-19. Le même message a été lancé par des organisations de la société civile et des militants de toute l’Europe.

La commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a déclaré qu’Athènes s’était opposée au déplacement des migrants vers la Grèce continentale, invoquant l’absence de cas de coronavirus dans les camps alors que la maladie se propage ailleurs en Grèce. La commissaire a suggéré que les personnes âgées, les malades et les autres personnes à haut risque d’infection pourraient être déplacées vers d’autres régions des îles grecques.

Source https://www.ecre.org/greece-parliament-ratifies-emergency-decree-amid-intensifying-critique/

 L’héritage de l’accord toxique UE-Turquie : Quatre ans plus tard

Déclaration UE-Turquie : « Stop The Toxic Deal » 18 mars 2020

Au cours de l’année écoulée, les îles de la mer Égée du Nord ont vécu de manière dramatique les derniers moments et les conséquences possibles de l’accord toxique entre l’UE et la Turquie. Environ 41 500 personnes se retrouvent aujourd’hui entassées dans des abris informels à l’intérieur, à l’extérieur et autour des cinq centres d’accueil et d’identification des îles de la mer Égée. Après plusieurs mois de protestations, les habitants ont affronté avec intensité pendant des jours la police anti-émeute contre la construction de nouveaux centres – un événement totalement nouveau dans l’histoire contemporaine des îles.

Il s’en est suivi des manipulations de la Turquie qui ont encouragé le franchissement des frontières par des milliers de réfugiés et intensifié le climat de pression insupportable pour les insulaires. Des groupes d’extrême droite soutenus par des néo-nazis du reste de l’Europe ont pris le contrôle, battu et terrorisé les citoyens, ceux qui soutenaient les réfugiés et le personnel des ONG. La peur fait désormais partie de la vie quotidienne.

« L’UE est coresponsable du fait que l’atmosphère sur les îles a changé. Au lieu de soutenir Lesvos et les autres îles, l’UE tolère que le gouvernement grec ait durci sa politique d’asile. Les réfugiés veulent se rendre en Europe. Mais l’Europe nous a laissés seuls, et cautionne la violation des droits de ces réfugiés, qui  sont devenus des ennemis. Et ce faisant, l’Europe accepte que notre société, ici en Grèce mais aussi dans d’autres pays européens, se radicalise par la xénophobie et le racisme ».

Le besoin impératif d’une approche politique fondamentalement différente de celle qui existe gagne du terrain parmi les sociétés locales en colère et épuisées. Mais vers quelle direction ?

Il est clair qu’avant les élections, le nouveau gouvernement a instrumentalisé la question des réfugiés comme quelque chose qui peut être résolu relativement facilement puisque, en tant que futur gouvernement, il mettra en œuvre des politiques généralisées de dissuasion, de durcissement et de découragement (en ce qui concerne les frontières, les conditions d’accueil, le cadre juridique et les procédures). Cependant, la question n’a pas été résolue et nous connaissons aujourd’hui une double impasse. D’une part, la Turquie négocie le prochain accord en utilisant comme monnaie d’échange les réfugiés et les migrants résidant temporairement sur son territoire. D’autre part, la Grèce a accepté le rôle de gardienne des frontières de l’UE et applique des mesures de plus en plus militaires et répressives aux frontières, transformant les îles en zones militaires à haut risque.

L’accord toxique UE-Turquie a été initialement présenté comme une réponse d’urgence et on a fait la propagande qu’avec sa mise en œuvre les morts en mer seraient réduites.

En réalité, l’accord UE-Turquie a utilisé la peur comme un outil qui a stimulé le racisme et la xénophobie, a créé une zone où les droits de l’homme ne s’appliquent pas et a donné de l’argent et de l’influence à la Turquie. Erdogan utilisant cette influence qui lui a été donnée, fait aujourd’hui pression sur l’UE afin d’éloigner les réfugiés de l’Europe. C’est en soi cynique, et bien plus encore si l’on pense au rôle de la Turquie dans le conflit syrien et les opérations militaires qui ont conduit de nombreuses personnes à chercher une protection. Ou si l’on pense que l’accord exigeait que la Turquie soit considérée comme un pays tiers sûr alors que, surtout après l’échec du coup d’État, elle a violé les droits de l’homme fondamentaux à l’intérieur de son territoire.

Nous avons constamment affirmé au cours des quatre dernières années que l’héritage de l’accord UE-Turquie, actuellement non fonctionnel et toxique, nous laisse avec :

Un manque de confiance significatif des citoyens dans les décisions du gouvernement et un virage profond vers un conservatisme à caractère xénophobe dans les sociétés locales, épuisées après quatre années de pression continue des conséquences établies de l’accord toxique. Les résultats d’une recherche menée en février 2020 montrent que les îles de la mer Égée orientale sont passées d’îles de solidarité et d’humanité à des zones où la question des réfugiés semble être le problème le plus important pour la population locale dans un pourcentage de 79 % . Ce pourcentage est plus du double par rapport aux autres sujets. La conviction que la situation générale dans les îles évolue dans la mauvaise direction a reçu 81 % des réponses. 90 % ont répondu que les îles ont été affectées négativement par la gestion de la question des réfugiés. 91 % ont répondu que l’UE avait une contribution négative. 87 % ont répondu la même chose au sujet du gouvernement grec ; 70 % pour les Nations Unies et 77 % pour les ONG.

Source https://rsaegean.org/en/the-inheritance-of-the-toxic-eu-turkey-deal-four-years-later/

Un nuage néo-fasciste plane au-dessus des frontières entre la Grèce et la Turquie

Chronologie de la situation aux frontières 12 mars par Eva Betavatzi Militante au CADTM Bruxelles

 

L’école One happy family accueillant des personnes migrantes à Lesbos. L’incendie a été provoqué par un groupe néo-fasciste.

 

L’Europe vit une période sombre, la situation aux frontières entre la Grèce et la Turquie en atteste. Les discours se multiplient et l’heure est à la confusion. Chacun.e apporte « son soutien » à l’une ou l’autre partie « victime », tantôt de la dictature d’Erdogan, tantôt d’une prétendue « invasion » de personnes migrantes, tantôt d’une folie humaine déjà installée depuis bien trop longtemps. Une folie humaine qui est restée dans l’ombre des préoccupations grâce à un gros chèque que l’Union européenne s’est accordée à verser à Erdogan. Six milliards d’euros, c’est le montant reçu par la Turquie à la suite de l’accord signé entre son État et l’UE en 2016. Six milliards d’euros, c’est le prix que l’Europe de « l’Union » a payé pour son incapacité à exprimer son refus « d’accueillir » des personnes en exil. Des personnes qui fuient les nombreuses guerres et conflits qui sévissent dans leur pays, résultat de l’impérialisme des puissants (Trump, Assad, Poutine pour ne nommer que quelques-uns des grands responsables de ces tragédies). Six milliards d’euros c’est bien plus que ce que l’UE n’aurait accepté de rembourser à la Grèce sur les intérêts de sa dette. Dépenser pour refouler des personnes extrêmement vulnérables, oui, annuler la dette illégitime de la Grèce pour éviter le massacre social, non. On ne peut plus clairement résumer les politiques de l’UE.

  Sommaire
  • Janvier 2020 – le gouvernement grec annonce ses premières intentions
  • Début février 2020 – montée des attaques néo-fascistes
  • Fin février 2020 – des affrontements proches d’un début de pré-guerre civile
  • Mars 2020 – les violences politiques et physiques conduisent à la mort de personnes (…)
  • La question migratoire est loin d’être le seul enjeu

Nulle question de « place disponible à l’accueil », nulle question « d’origine », que ces personnes migrantes viennent de Syrie, de Palestine, d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs peu importe, il s’agit de créer une Europe de l’investissement vide de sens et pleine d’argent, vide de gens et pleine de morts.

Les mots ne sont pas encore assez durs et la colère est légitime.

La Grèce est devenue aujourd’hui un territoire de toutes les batailles. Des personnes tentent de sauver ce qu’il reste de notre humanité, en sauvant des vies aux larges des côtes grecques et turques tandis que d’autres se lancent dans une croisade contre l’« étranger » et ses « allié.e.s ». La police anti-émeute grecque (MAT), chargée de canons à eau, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes, avait été envoyée par bateaux par ordre du gouvernement à la fin février sur les îles de la mer Egée contre la population locale en colère d’apprendre la réquisition par le gouvernement de leurs petites propriétés (terrains) pour la construction de nouveaux centres fermés. Ce même gouvernement avait annoncé quelques jours plus tôt son plan en trois points : construire de nouveaux centres fermés pour 20.000 demandeurs et demandeuses d’asile (alors que les camps comptent au total plus de 40.000 personnes aujourd’hui), renforcer les frontières physiques, refuser presque automatiquement les potentielles nouvelles demandes d’asile. S’en sont suivies des images de guerre civile – des affrontements violents ont éclatés entre la population et les autorités locales et la police de l’État – qui laissaient présager le pire.

Photo issue d’une vidéo qui a été mise en circulation par une militante sur les réseaux sociaux

 

Les partis néo-fascistes d’Europe n’ont pas manqué d’y voir une opportunité à leur propagande raciste et hypocrite. Le 10 mars dernier, le parti flamand Vlaams Belang organisait un rassemblement devant l’ambassade de Turquie à Bruxelles pour soutenir les grec.que.s qui « résistent avec vigueur » au « déboulement » des milliers de personnes migrantes envoyées par le « dictateur turc Erdogan ». Il se vantait d’être le seul parti « solidaire au peuple grec » ! Ce discours écœurant a été lu sur les réseaux sociaux par au moins des centaines de sympathisant.e.s dont des grec.que.s qui remerciaient le Vlaams Belang de son soutien au pays ! À l’heure où le peuple grec luttait pour sa survie contre les mesures d’austérité imposées par la Troïka, le Vlaams Belang tenait un discours radicalement opposé.

Les clarifications qui suivent ne sont certainement pas adressées aux sympathisant.e.s de ce parti fasciste, mais elles nous ont semblé utiles car l’heure est à la confusion et au choc. Les déclarations officielles des États se contredisent et les médias relaient leur propagande au service du pouvoir qu’ils défendent. La confusion est également créée de toute pièce par l’assemblage de mots tels que « invasion », « attaque programmée », « protection des frontières », et en criminalisant les principales victimes de cette situation dramatique, les personnes migrantes. La liste des évènements cités plus bas n’est pas exhaustive et ne prétend pas l’être, elle reprend dans les grandes lignes ce qu’il se passe en Grèce depuis le début de l’année. Le silence médiatique en Europe occidentale est aberrant.

 Janvier 2020 – le gouvernement grec annonce ses premières intentions

La Grèce veut ériger une frontière flottante sur la mer pour limiter l’arrivée des personnes migrantes. Le 29 janvier, le Ministère de la Défense lance un appel d’offre (notez bien la marchandisation de la crise) pour installer un mur flottant en mer Égée pour un budget estimé à 500.000 euros. Ce montant est tout aussi ridicule que l’étendue du projet (voir carte plus bas). Il s’agit bien d’annoncer la couleur : la crise sera privatisée et bénéficiera à certains entrepreneurs.

Sur cette photo, vous pouvez voir la taille réelle d’un barrage de 2 700 mètres par rapport à l’île de Lesbos”, écrit Chios News. Crédit : Google Maps / ChiosNews.com [1]

 Début février 2020 – montée des attaques néo-fascistes

Aube Dorée s’attaque aux ONG et aux personnes migrantes sur les îles du Nord-Est de la mer Égée. Un groupe de jeunes cagoulés armés de bâtons entrent de force de maison en maison pour vérifier la présence de personnes migrantes ou solidaires. Une maison abandonnée, souvent occupée par des demandeurs et demandeuses d’asile, est incendiée le 4 février. Heureusement les trois occupant.e.s ont pu partir à temps.

Des étudiant.e.s de Lesbos organisent une manifestation antifasciste dans le chef-lieu de l’île et sont ensuite attaqué.e.s dans un café par des personnes portant des casques et armées de battes.

Le 10 février, le porte-parole du gouvernement Stelios Petsas annonce la publication d’une loi autorisant le ministère de l’immigration et de l’asile à réquisitionner des propriétés et des terrains « pour des raisons d’intérêt public et de gestion de crise », le but étant de construire de nouveaux centres fermés à Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos d’ici l’été. Les autorités locales de Lesbos et Chios réagissent en voulant d’abord imposer des contre-mesures puis en coupant le dialogue avec Athènes.

 Fin février 2020 – des affrontements proches d’un début de pré-guerre civile

Le 24 février, des affrontements entre la police anti-émeute et les habitant.e.s et autorités locales de Chios et Lesbos éclatent et durent plusieurs jours. Gaz lacrymogènes et grenades explosives sont tirés par la police anti-émeute alors que les résident.e.s des îles lancent des pierres et parfois des cocktails molotovs. Beaucoup de personnes âgées se trouvent parmi elleux, femmes et hommes, ainsi que des popes (prêtres orthodoxe grecs).

La colère des habitant.e.s s’exprime pour plusieurs raisons. D’un côté, iels refusent l’expropriation de leurs terrains pour la construction de nouveaux centres fermés. Ensuite iels sont opposé.e.s à la construction de nouveaux centres, les centres existants étant déjà insalubres, surpeuplés, inhumains même, rien de surprenant à s’y opposer. Mais là encore il y a différentes réalités, certain.e.s s’opposent à l’accueil des personnes migrantes tout court, alors que d’autres s’opposent aux centres fermés comme solution d’accueil et demande à ce que les frontières ouvrent et que chacun.e puisse aller où iel veut. Enfin, certain.e.s dénoncent le fait que le gouvernement leur impose la « charge » de l’accueil et refuse de mieux la répartir sur l’ensemble du territoire. Ce que l’Union européenne fait à la Grèce, le gouvernement grec le fait à l’intérieur du pays : repousser les migrant.e.s aux frontières. Les habitant.e.s de Chios, Lesbos, Samos, Leros et Kos se sentent abandonné.e.s par le pouvoir central. Il y a aussi le fait que les économies de ces îles sont largement basées sur le tourisme et que les habitant.e.s craignent une baisse d’attractivité touristique. Pour toutes ces raisons il serait absolument erroné de penser que les habitant.e.s qui affrontent la police anti-émeute envoyée par le gouvernement central soient racistes et qu’iels agissent de la sorte pour cette seule raison, si elle en est une.

Stelios Petsas, le porte-parole du gouvernement, tente une réponse aux accusations des habitant.e.s des îles du Nord-est de la mer Égée qui dénoncent l’autoritarisme du gouvernement central et son refus de construire des centres fermés pour personnes migrantes à l’intérieur du territoire de la Grèce continentale en prétendant que le gouvernement grec serait contraint de planifier ces centres sur des îles à cause des dangers du coronavirus.

Pendant ce temps, les violences policières ne font qu’accroître la colère de la population locale, qui a organisé une grève générale les 25 et 26 février soutenue par une grande majorité d’habitant.e.s. La forêt de Diavolorema située sur l’île de Chios prend feu à cause de fusées éclairantes lancées par la police selon des témoignages de personnes se trouvant sur place. Six autres incendies sont déclarés sur les îles de Chios et Lesvos.

Le même jour à Chios, des policiers anti-émeutes sont « victimes » d’une attaque dans leur hôtel par des groupes de personnes. Six policiers sont blessés, 12 personnes arrêtées. À Lesbos, la situation est loin d’être calme, 46 policiers blessés et menacés par des groupes armés de fusils selon le quotidien Ethnos et divers quotidiens locaux. Une centaine de véhicules auraient été détruits par la police selon le quotidien ERT.

Pendant ce temps, des bulldozers envoyés eux aussi par le gouvernement grec tentent de commencer le terrassement pour l’installation des nouveaux centres fermés mais sont bloqués par des groupes d’habitant.e.s qui s’opposent à la construction de ces nouveaux centres.

Les syndicats de police finissent par demander que les forces déployées sur Lesbos et Chios soient évacuées. C’est à partir de jeudi 27 février que les policiers et tout l’attirail qui les accompagnait, machines et autres équipements, commencent à quitter les îles, embarqués par des ferrys en service spécial.

En Grèce continentale, la tension monte, notamment à Evros, à la frontière dite terrestre entre la Grèce et la Turquie. Des personnes en grand nombre tentent de passer la frontière ayant entendu qu’elles seraient ouvertes. Des familles, enfants, femmes et hommes se retrouvent finalement coincées dans la zone tampon, ni turque, ni grecque, et sont attaquées par les forces de police grecques qui n’hésitent pas à envoyer entre autres des gaz lacrymogènes sur la foule. Des habitants de la région viennent en renfort contre « l’arrivée » de personnes en plein exil, épuisées et sans autre alternative, certains à l’aide de leurs tracteurs ou autres outils.

Au même moment, des navires de Frontex, des gardes-côtes grecs et des hélicoptères des forces armées augmentent leurs patrouilles pour arrêter des personnes migrantes.

Le 29 février, 17 personnes migrantes sont arrêtées pour avoir tenté de traverser le frontière qui sépare la Turquie et la Grèce, et sont condamnées à trois ans et demi de prison alors que cela est illégal. Des dizaines d’autres arrestations ont lieu le même jour et plus tard.

Les porte-paroles grec et turc font des déclarations à tour de rôle. Omer Celik, le porte-parole du gouvernement turc accuse l’Europe de ne pas avoir respecté l’accord signé en 2016, tandis que le Ministre turc des affaires étrangères met en lien la situation à Idlib (frontière turco-syrienne) avec l’arrivée de personnes migrantes en Grèce. Il est assez évident que la Turquie dispose d’un levier important pour faire du chantage à l’Union européenne.

Charles Michel, président du Conseil européen, s’exprime quant à lui en faveur du renforcement des frontières de l’UE, faisant référence aux frontières grecques et bulgares. Merkel se prononce positivement à la demande d’Erdogan de recevoir plus d’argent de la part de l’UE mais de nombreux dirigeants européens n’y sont pas favorables. La question de comment répondre aux pressions d’Erdogan et de son gouvernement ne font pas l’unanimité en Europe.

 Mars 2020 – les violences politiques et physiques conduisent à la mort de personnes migrantes

Le ton monte entre les gouvernements grecs et turcs. Stelios Petsas accuse la Turquie de « trafiquant » et prononce un discours qui alimente la haine nationaliste et xénophobe, déjà bien installée. C’est sur ce ton que le gouvernement grec annonce le renforcement de ses interventions aux frontières et sa décision de suspendre l’asile pendant une période d’un mois (ou d’un an selon les sources), ce qui est interdit en vertu du droit d’asile international. L’article 78.3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est invoqué pour justifier cette décision.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, exprime son soutien total à la Grèce et à la Bulgarie et remercie la Grèce d’être « le bouclier de l’Europe en ces temps difficiles ». Elle assume donc de laisser mourir – voire de tuer activement – de nombreuses personnes (tout en alimentant les raisons de leur migration par ailleurs), et utilise un langage guerrier pour des hommes, femmes et enfants en exil. Elle promet 350 millions d’euros à la Grèce alors que la chancelière allemande Angela Merkel décide finalement de donner 32 millions d’euros à la Turquie pour « empêcher les migrations incontrôlées » (sic). Un hélicoptère et 20 policiers allemands sont également envoyés en Grèce pour renforcer Frontex. La présidente de la Commission européenne finit par demander à la Turquie de repousser les personnes migrantes loin de la frontière grecque. On ne peut passer à côté de l’hypocrisie qui caractérise les discours des dirigeants européens pour « résoudre » cette grave crise de l’accueil puisque leurs choix montrent au contraire qu’il n’est pas question de résoudre quoi que ce soit. Cette « crise » ne sera pas « résolue » de sitôt.

L’ONU quant à elle se contente de rappeler que la Grèce n’a pas le droit de refuser une demande d’asile.

Il y a pire, ce 2 mars, l’armée grecque a fait usage de vraies munitions le long de la rivière d’Evros. Des attaques violentes sont perpétrées par des milices – encouragées par cette violence d’État raciste – contre des bateaux de personnes migrantes, elles sont repoussées et mises en danger, tandis que des journalistes et des personnes solidaires sont attaquées. Des centres d’accueil désertés par les ONG, sont brûlés par des fascistes grecs et étrangers. En effet des groupes fascistes allemands et autrichiens tentent de se faire passer pour des reporters, mais sont vite démasqués par la population locale qui n’a pas manqué d’exprimer son mécontentement radical à leur présence. Le mouvement « Identitäre Bewegung Deutschland » était notamment présent.

Le même jour, un petit garçon est retrouvé mort au large de Lesbos après le naufrage de l’embarcation où il se trouvait. Le bateau aurait été renversé par les personnes à bord pour déclencher une opération de sauvetage selon les garde-côtes grecs. Les garde-côtes prétendent ce qu’ils veulent, il n’en reste pas moins qu’il est de la responsabilité des gouvernements grec et européens de protéger ces personnes vulnérables plutôt que de les inciter à prendre le risque de se noyer pour être secourues.

Les demandeurs et demandeuses d’asile à Moria se retrouvent dans des conditions toujours plus sordides.

Muhammad Al Arab, 22 ans, réfugié syrien, est tué par le feu à la frontière terrestre avec la Turquie. Le groupe d’investigation Forensic Architecture, connu notamment pour ses très sérieuses enquêtes sur les morts de Pavlos Fyssas et Zak Kostopoulos, démontre que Muhammad Al-Arab est touché par une balle provenant des forces de l’ordre grec. Ce qui est immédiatement démenti par le porte-parole du gouvernement dénonçant qu’il s’agit d’une propagande turque. Quelques médias internationaux reprennent l’information mais les médias locaux ont tous opté pour le silence.

Et puis, il y a quelques jours, on apprend le décès tragique de Muhammad Gulzar, deuxième victime des gardes-frontières grecs. Il a été tué à la frontière d’Evros, atteint lui aussi par une balle des autorités grecques.

De leur côté, 75 ONG appellent les dirigeants de l’UE à réagir face à la situation. En attendant, des personnes continuent de se noyer dans la mer Égée, des corps sont retrouvés déshydratés, gelés et/ou méconnaissables, alors que d’autres meurent dans les camps de la honte de l’UE et dans les prisons européennes hors de l’Europe.

Le 2 mars encore, des garde-côtes grecs sont filmés alors qu’ils tiraient sur des bateaux transportant des personnes migrantes. Le lendemain, plusieurs ONG annoncent la suspension de leurs activités en réaction aux nombreuses attaques fascistes dont elles sont victimes.

Quelques jours plus tard, des mobilisations importantes sont organisées à Athènes et dans d’autres villes grecques contre la montée de la xénophobie et de la haine. L’ouverture des frontières et la solidarité avec les réfugiés étaient leurs principales revendications.

Á la vue des réactions vives de toutes parts, le gouvernement grec s’enfonce encore plus dans sa politique de haine en proposant que des camps fermés soient construits, non pas sur les 5 îles évoquées plus haut, mais sur des îles désertes. Cela renvoie aux pages les plus noires de l’histoire de la Grèce et notamment aux camps de concentration qui avaient été mis en place pour les résistant.e.s pendant et après la guerre civile et lors de la dictature des colonels.

Le 8 mars, « One happy family », une école pour personnes réfugiées et migrantes sans distinction, située à Lesbos, est incendiée par un groupe néo-fasciste. Elle se trouvait entre les camps de Kara Tepe et Moria. C’était un lieu où des repas étaient servis et où des cours de langue étaient donnés.

Depuis juillet 2019, les personnes demandeuses d’asile, ainsi que les enfants dont les parents sont en situation jugée « irrégulière » par l’État, n’ont plus accès au système de santé public. Malgré cela, le gouvernement a annoncé l’expulsion ce 13 mars du plus grand dispensaire social grec Helliniko qui a déjà soigné gratuitement et sans sélection des milliers de patient.e.s. L’expulsion est programmée pour permettre au promoteur Lambda Development d’exploiter ce terrain et d’y construire des tours. Nous nous opposons radicalement à cette expulsion. Jeudi 12 mars, un rassemblement devant le consulat grec à Bruxelles est prévu pour réclamer l’annulation de l’expulsion de ce dispensaire social.

Par ailleurs, le procès contre Aube Dorée devrait toucher à sa fin prochainement mais la procureure de la République, Adamantia Oikonomou, ne serait pas en faveur de reconnaître le parti néo-nazi comme une organisation criminelle. Si Aube Dorée échappe à cette accusation, ce serait extrêmement grave dans le contexte actuel car le parti bénéficierait d’un remboursement de quelques millions d’euros, de l’argent bloqué le temps du procès. Le retour du parti néo-nazi, dans le contexte actuel et avec tous ces moyens, pourrait être un coup fatal à ce qui reste de démocratie dans le pays.

 La question migratoire est loin d’être le seul enjeu

Il serait faux de voir derrière cette situation tragique l’unique retour en force des extrêmes droites et du fascisme en général. Cette crise en cache malheureusement bien d’autres : sociales, économiques et géostratégiques.

L’enseignement, la santé, le logement sont des droits fondamentaux dont une grande partie de la population grecque est toujours privées aujourd’hui – ainsi que leurs voisin.e.s turc.que.s. Les pensions, les salaires et les aides sociales (pour ce qu’il en reste) sont trop bas alors que le coût de la vie augmente. Le gouvernement grec profite de la situation aux frontières pour garder sous silence l’ampleur de la crise sociale et sa propre incapacité et son manque de volonté à la résoudre. Il décide de pointer du doigt les personnes migrantes comme tant de gouvernements le font ailleurs.

D’un autre côté, la Grèce veut relancer un accord militaire avec les USA et renforcer sa coopération avec la France pour s’assurer un soutien contre la Turquie qui, par son accord signé avec la Libye (qui ignore l’existence du territoire grec entre les deux pays), montre qu’elle n’en a que faire de ses frontières avec la Grèce et Chypre. Le gouvernement turc est en effet trop préoccupé de trouver un moyen de tirer profit du gaz naturel et des réserves de pétrole qui se trouvent dans les territoires maritimes chypriotes (dans la partie Sud) au même titre que les compagnies italiennes et françaises qui sont déjà là (ENI et Total entre autres).

Au travers des quelques éléments relatés dans cette brève chronologie apparaît au grand jour le rôle des gouvernements d’Erdogan et de Mitsotakis qui utilisent tous deux cette situation pour attiser la haine de l’étranger. Cela leur permet de créer un effet de choc. Il ne serait pas surprenant de voir après ça l’État grec exiger des mesures économiques encore plus catastrophiques pour la population. Il y a encore trop de résistances en Grèce, et les investisseurs en sont très probablement encore préoccupés. D’un autre côté c’est le rôle réel de l’Union européenne qui, nous l’espérons, est une nouvelle fois rendu plus apparent. En effet, ce sont les multinationales des pays centraux de l’Union qui profitent le plus de cette situation de crise continue (la preuve en est l‘exploitation du gaz naturel et l’achat de la plupart des aéroports de Grèce par des compagnies allemandes), alors que les dirigeants européens se contentent de prononcer des discours d’une mollesse et d’une hypocrisie sans pareil malgré les conséquences meurtrières.

Les personnes migrantes apparaissent elles comme des « pions » sur l’échiquier politique de tous ces dirigeants qui n’en ont que faire des vies humaines. Il s’agit d’installer un rapport de forces entre un pays faible qui n’a qu’un semblant d’appartenance à une Union qui ne cesse de l’ignorer, en réalité de le noyer, et une puissance mondiale, faible elle aussi mais pour d’autres raisons, qui profite du contexte de crise à ses frontières pour étendre son hégémonie. Les deux gouvernements, grec et turc, sont tous deux des gouvernements d’extrême droite. Nous nous opposons fermement à leurs lignes politiques qu’elles soient économiques, sociales, militaires ou géostratégiques. Ce que nous exigeons ce sont des frontières ouvertes, que les personnes migrantes passent sur le continent et que de là elles aillent où elles veulent ! Des milliers de vies humaines sont détruites à cause de rapports de pouvoir entre puissances impérialistes, mais aussi à cause d’une volonté de préserver à tout prix des rapports de domination et de hiérarchisation tant entre territoires qu’au sein même de nos sociétés. Il est plus que temps d’arrêter de se tromper d’ennemi. Il faut un cessez-le-feu durable, général et inconditionné car pendant ce temps, les massacres, bombardements et gazage de la population syrienne continuent. En attendant, le droit d’asile doit être respecté à tout prix avec des points d’accueil et de soins humains. Enfin, rappelons que le droit d’asile moderne est né du « plus jamais ça » après le génocide nazi.

Merci à Loïc Decamp, Jérémie Cravatte, Renaud Duterme et Gilles Grégoire pour leurs relectures et suggestions précieuses.


Quelques sources :

Grèce : les réfugiéEs otages des fauteurs de guerre et des nationalismes

Les événements en cours aux frontières gréco-turques sont très inquiétants. Suite à la fermeture des frontières décrétée par le Premier ministre grec Mitsotakis, applaudi par l’Union européenne, ceux qui tentent le passage en Grèce sont violemment repoussés (au moins un mort, peut-être suite à un tir grec, et un enfant noyé sous les yeux des garde-côtes).

Parallèlement, des mesures extrémistes sont prises contre les réfugiéEs : suspension pour un mois des procédures d’examen du droit à l’asile, décision de renvoyer dans le « pays de provenance » touTEs les migrantEs arrivés ces derniers jours et sans titre de réfugié, avec construction de deux camps spécifiques près d’aéroports. Ce dimanche, annonce de l’arrêt du versement d’une aide financière aux réfugiéEs, et le projet de centres fermés sur des îles désertes a vu le jour…

Si l’armée et la police sont en action pour « défendre les frontières » face à ce que des ministres d’extrême droite nomment « l’invasion des immigrés clandestins », le climat nationaliste et raciste a aussi permis que s’organisent des patrouilles de pseudo garde-frontières sur les îles et le long du fleuve Evros, épaulés par des nervis fascistes grecs et étrangers frappant migrantEs et personnes solidaires, ou incendiant des lieux pour réfugiéEs. Des nazis allemands revendiquant les massacres d’Hitler contre la population grecque sont protégés par la police contre les antifascistes. Résultat du climat d’hystérie nationaliste encouragé par les médias dominants, deux sondages indiquent que 90 % des Grecs approuvent la ligne dure du gouvernement.

Climat malsain et contradictions à droite 

On connaît les deux causes de cette flambée, sur fond d’Europe forteresse : la décision machiavélique d’Erdogan de suspendre l’infâme traité de 2016 avec l’UE visant à enfermer 3 à 4 millions de réfugiéEs en Turquie, et l’exaspération des réfugiéEs enfermés dans des camps surpeuplés et insalubres de quelques îles grecques (plus de 20 000 à Moria–Lesbos, pour 3 000 places) ainsi que des habitants de ces îles où le gouvernement souhaite maintenir ces réfugiéEs, avec comme projet des camps fermés en pleine île, plutôt que laisser les réfugiéEs rejoindre le continent. Ces derniers mois, la colère insulaire est montée, avec des exigences de transferts vers le continent et le refus des camps fermés. Une situation confuse en a résulté, propice à des infiltrations fascistes avec attaques de réfugiéEs et d’ONG. Mais on voit aussi des tentatives de revendications communes aux insulaires et aux réfugiéEs. D’où des contradictions à droite, le président de la région s’opposant au gouvernement qui a envoyé les CRS à Lesbos matraquer tout le monde… et se faire repousser. Dans cette situation très tendue, la gauche débat de la nécessité d’aller ou pas aux rassemblements insulaires : une bonne partie pense que oui, justement pour lutter contre le racisme impulsé par des fascistes minoritaires sur une île aux traditions démocratiques comme Lesbos.

Riposte antiraciste européenne !

L’actuel climat nauséabond commence à faire réagir : même à droite, certains s’inquiètent de voir Mitsotakis laisser agir les fascistes locaux et européens ainsi que les milices (dimanche, un de ces guignols aurait tiré sur un policier pris pour un migrant !). Un appel de 66 ONG est paru, dénonçant les mesures illégales, exigeant le respect des droits des réfugiéEs, la protection des personnes solidaires et la libre installation en Europe. Et, alors que la direction de Syriza demande le retour à l’accord de 2016, la gauche anticapitaliste a lancé un début de riposte nationale, avec jeudi une grosse manifestation à Athènes (pas loin de 10 000), et des défilés dans huit autres villes du pays, avec un appel de la jeunesse de Syriza à se mobiliser. L’exigence capitale, c’est celle de l’ouverture immédiate des frontières européennes, qui doit être un objectif prioritaire pour toute la gauche européenne. Et qui pourrait se traduire, pour les municipales en France, par la revendication « Installation immédiate de réfugiéEs dans la commune » ?

À Athènes, A. Sartzekis

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-les-refugiees-otages-des-fauteurs-de-guerre-et-des-nationalismes

Translate »