Le Conseil grec pour les réfugiés et la nouvelle loi sur l’asile

Le Conseil grec pour les réfugiés dénonce la violation des droits découlant de la nouvelle loi sur l’asile, alors que cette loi a déjà été votée au Parlement grec

Commentaires du GCR sur le projet de loi modifiant la législation sur l’asile

Athènes, 27 avril 2020-Le Conseil grec pour les réfugiés (GCR) exprime sa profonde inquiétude concernant le nouveau projet de loi qui modifie notamment la législation sur l’asile[1], qui a été soumis à une consultation publique en pleine crise de santé publique, alors que la principale préoccupation est la protection des demandeurs d’asile et de l’ensemble de la population contre les risques et les effets de la pandémie, et que les inquiétudes concernant les demandeurs d’asile qui restent dans des sites surpeuplés et/ou en détention administrative au milieu de la pandémie augmentent.

Le nouveau projet de loi du ministère de la migration et de l’asile intervient moins de 4 mois après l’entrée en vigueur (1er janvier 2020) de la loi L. 4636/2019 « Sur la protection internationale », c’est-à-dire la loi qui a entraîné des modifications importantes de la loi grecque sur l’asile, qui n’est pas en soi un exemple de bonne législation, et qui en pratique invalide l’objectif invoqué de systématisation et de codification de la législation pertinente (voir l’exposé des motifs de la loi 4636/2019).

En outre, malgré le fait que la L. 4636/2019 a été constamment et substantiellement critiquée par tous les organismes nationaux et internationaux et par les organisations de la société civile, en raison de ses nombreuses réglementations problématiques ayant conduit à la déréglementation du système d’asile grec, à l’affaiblissement des garanties de la protection des réfugiés en Grèce et à « mettre en danger les personnes nécessitant une protection internationale »[2], les modifications proposées ne rétablissent en aucun cas les dispositions extrêmement problématiques de la L. 4636/2019.

Au contraire, les modifications introduites sont une fois de plus et à de nombreux égards contraires à l’acquis communautaire dans le domaine de l’asile, et constituent en ce sens une violation directe du droit communautaire et des directives « asile » et « retour », en affaiblissant les garanties fondamentales pour les personnes ayant besoin de protection, en introduisant des obstacles procéduraux supplémentaires et en reflétant, au niveau législatif, l’intention maintes fois affirmée de généraliser la détention et d’accroître les retours, en empêchant l’accès effectif à la protection internationale. En conséquence, le titre du projet de loi « Améliorer la législation sur les migrations, etc. » ne peut être considéré que comme un euphémisme.

Parmi un ensemble de dispositions extrêmement problématiques, les suivantes sont mises en évidence à titre indicatif :

La possibilité pour un Service non compétent (Services régionaux d’accueil et d’identification), qui contrairement au Service d’asile n’a pas le statut d’Agence indépendante, d’enregistrer les demandes de protection internationale, sans même s’assurer que cette procédure puisse être menée à bien par un personnel dûment formé ou que les garanties nécessaires à la bonne fin de la procédure soient respectées (article 5 du projet de loi)

La dérogation à l’obligation de fournir une interprétation dans une langue que le demandeur comprend et la limitation de l’obligation de mener un entretien personnel avec le demandeur avant de prendre une décision sur une demande de protection internationale (articles 7 & 11 du projet de loi), en violation directe de la directive sur les procédures (directive 2013/32/UE).

Les modifications proposées dérogent aux garanties minimales prévues par la directive sur les procédures, en permettant que l’entretien personnel soit mené dans la langue officielle du pays d’origine du demandeur « s’il s’avère impossible de fournir une interprétation dans la langue de son choix » et qu’une décision soit rendue sans avoir préalablement mené un entretien personnel, « si le demandeur ne souhaite pas mener l’entretien dans la langue officielle de son pays d’origine », indépendamment du fait que le demandeur soit effectivement capable de comprendre cette langue. Il est rappelé que le commissaire compétent de la Commission européenne a récemment rappelé que « en ce qui concerne l’interprétation, la directive sur la procédure d’asile prévoit que la communication a lieu dans la langue préférée du demandeur, à moins qu’il n’existe une autre langue que le demandeur comprend et dans laquelle il peut communiquer de manière claire et concise »[3], alors que la directive ne déduit en aucun cas que la langue comprise par le demandeur est la langue officielle de son pays d’origine. Les Kurdes syriens, qui constituent la plus grande minorité en Syrie et qui, dans une large mesure, ne parlent pas/comprennent la langue officielle de leur État (l’arabe), mais seulement le kurmanji, un dialecte kurde, sont un cas typique de ce genre.

Il est en outre noté que les cas dans lesquels une décision de première instance en matière d’asile peut être rendue sans qu’un entretien personnel soit nécessaire sont régis de manière restrictive par l’article 14 de la directive 2013/32/UE. L’omission proposée de l’entretien personnel, en vertu de l’article 11 du projet de loi, ne constitue pas l’un des cas prévus par la directive, et il n’est pas non plus laissé à la discrétion des États membres de prévoir des exceptions supplémentaires à l’obligation de mener un entretien personnel. En tout état de cause, la possibilité de rendre une décision sans mener d’entretien personnel avec le demandeur d’asile fait courir aux demandeurs d’asile un risque accru de retour, en violation du principe de non-refoulement.

L’entrave au droit à l’aide juridique et au droit à un recours effectif (article 9 du projet de loi). Comme cela a été documenté à plusieurs reprises, les autorités grecques n’ont pas encore garanti à ce jour un véritable accès à l’aide juridique gratuite en deuxième instance, comme le prévoit le droit communautaire. Au contraire, en 2019, seuls 33 % des demandeurs d’asile ayant fait appel d’une décision négative ont pu bénéficier d’une aide juridique gratuite en deuxième instance, et seulement 21 % en 2018. Un fait qui démontre « une pratique administrative incompatible avec le droit de l’UE et qui, dans une certaine mesure, est de nature permanente et générale ». [5]

Toutefois, au lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit à l’assistance judiciaire gratuite, la modification proposée introduit une restriction supplémentaire à ce droit, en exigeant que les demandeurs soumettent, dans un délai très court et exclusif de deux jours, après la notification de leur décision négative, une demande d’assistance judiciaire, qui n’est accordée par le président de la commission des recours « que si l’on estime probable que le recours aboutira ». Dans ce cas, et afin de fournir une assistance juridique au demandeur, l’avocat désigné a la possibilité de soumettre un mémorandum, qui peut exclusivement inclure des demandes « tardives (οψιφανείς et και οψιγενείς) ».

Plus précisément, il convient de noter que a) L’amendement inverse la règle et la norme de preuve énoncées à l’article 20, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE, qui stipule que « les États membres peuvent prévoir que l’assistance et la représentation juridiques gratuites ne sont pas accordées lorsque l’appel du demandeur est considéré par une juridiction ou une autre autorité compétente comme n’ayant aucune perspective tangible de succès », et que l’assistance juridique est limitée non pas lorsque l’appel « n’a aucune perspective tangible de succès », mais simplement lorsqu’il est « présumé que l’appel n’a aucune perspective de succès ».

b) La modification de l’article 9 du projet de loi introduit un obstacle procédural supplémentaire à l’accès à l’assistance juridique et au droit à un recours effectif, en ce qui concerne les demandeurs, ainsi qu’une charge de travail supplémentaire en ce qui concerne les comités de recours. Les demandeurs sont tenus de présenter une demande en grec (et, à cet égard, dans un délai de deux jours seulement à compter de la notification de la décision), à la suite de quoi l’existence des conditions préalables substantielles pour la fourniture d’une assistance juridique gratuite sera examinée. Sans l’assistance d’un avocat, sans connaissances juridiques spécialisées et sans connaissance de la langue, il est évident que cette demande, dans le cas le plus favorable, sera nécessairement limitée à une forme standardisée, privant essentiellement le demandeur de la possibilité de développer les raisons de sa rencontre, dans le cas spécifique, les raisons substantielles pour lesquelles l’aide juridictionnelle est accordée.

c) Dans la proposition d’amendement, il est indiqué que la demande d’aide judiciaire est « examinée par le président du comité devant lequel le recours est pendant » et « n’est accordée que si le recours est présumé susceptible d’aboutir », alors que si la demande est accordée, l’avocat qui représente le demandeur, dans le cadre de l’aide judiciaire, ne peut que « présenter un mémoire sur le recours, avec lequel il peut faire des réclamations « tardives et postérieures (οψιφανείς et και οψιγενείς) ». Sur cette base, il semble que la disposition indique que la demande d’aide judiciaire est présentée après que l’appel a déjà été interjeté (car, dans le cas contraire, il ne peut être statué sur l’appel, ni examiner la probabilité de succès d’un appel qui n’a pas encore été interjeté). Toutefois, il est rappelé que, conformément à l’article 93 (c) L. 4636/2019, le recours doit notamment citer les « raisons spécifiques sur lesquelles le recours est fondé », ce qui exige en soi la rédaction d’un document juridique en grec [6], sauf si le recours doit être rejeté comme irrecevable, c’est-à-dire rejeté sans avoir préalablement examiné le fond du recours. Par conséquent, même si la demande d’aide juridique gratuite est finalement accordée, le contenu de l’aide juridique finit par être dénué de sens, en violation de l’article 20, paragraphe 1, de la directive 2013/32/UE, qui prévoit que l’aide juridique gratuite « comprend au moins la préparation des documents de procédure requis […] ».. En revanche, conformément à la modification introduite, l’absence de « raisons spécifiques » dans le recours initial ne peut être corrigée par l’avocat désigné, et la possibilité de développer des revendications potentielles dans le mémoire n’est même pas prévue, comme le prévoit actuellement l’article 99 L. 4636/2019 ; au lieu de cela, l’avocat ne peut faire que des « réclamations tardives (οψιφανείς και οψιγενείς) », c’est-à-dire des arguments nouveaux ou ultérieurs, sous la crainte évidente et réelle que, même après avoir accordé l’aide juridictionnelle gratuite, le recours puisse être rejeté comme irrecevable ; c’est-à-dire sans examiner le bien-fondé des prétentions du requérant en deuxième instance, privant pratiquement le requérant d’un accès réel à un recours effectif, en violation de la directive 2013/33/UE et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

La suppression rétroactive de la possibilité pour le demandeur d’être renvoyé pour la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires, en cas de rejet de sa demande de protection internationale (article 33). La possibilité de renvoi pour la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires est à ce jour une garantie importante et complète les obligations de l’État grec au vu de ses engagements internationaux en matière de protection des personnes qui, bien que non reconnues comme bénéficiaires d’une protection internationale, relèvent du principe de non-refoulement (par exemple, les mineurs non accompagnés, les personnes ayant un lien particulier avec le pays – droit à la vie privée ou familiale en vertu de l’article 8 de la CEDH, les raisons de santé graves) qui empêchent leur éloignement. La suppression de la disposition concernée contribue à créer un groupe important de personnes qui ne peuvent être éloignées du pays, mais qui, privées de leurs droits fondamentaux, restent dans un état prolongé d’insécurité et de péril.

La généralisation de la possibilité d’imposer des mesures de détention et la réduction des garanties fondamentales lors de l’imposition d’une telle mesure (articles 2, 21 et 52 du projet de loi). Les modifications proposées visent à renforcer encore la législation en matière d’imposition de mesures de détention, en violation des garanties fondamentales inscrites dans le droit communautaire et le droit international des droits de l’homme. À titre indicatif, l’article 2 propose la suppression de l’obligation de fournir un « raisonnement complet et approfondi » lorsqu’il s’agit d’ordonner la détention de demandeurs d’asile. La disposition de l’article 52 tente de renverser la règle selon laquelle la détention administrative en vue du retour est appliquée, exclusivement, comme une mesure exceptionnelle, et seulement si la possibilité de mettre en œuvre des alternatives à la détention a été épuisée, tout en essayant de limiter le contrôle de la légalité. Au vu de la jurisprudence de la CJUE, sur la base de laquelle la directive « retour » prévoit « une gradation des mesures à prendre pour exécuter la décision de retour, gradation qui va de la mesure qui laisse le plus de liberté à la personne concernée, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, aux mesures qui restreignent le plus cette liberté, à savoir la détention dans un établissement spécialisé »[7], la disposition proposée est en contrôle du respect des normes minimales de protection garanties par l’UE.

1] « Améliorations de la législation sur les migrations, modifications des dispositions des lois 4636/2019 (A ‘169), 4375/2016 (A’ 51), 4251/2014 (A ’80) et autres dispositions ».

2] Voir UNHCR, UNHCR urges Greece to strengthen safeguards in draft asylum law, 24 October 2019, disponible sur : https://www.unhcr.org/gr/en/13170-unhcr-urges-greece-to-strengthen-safeguards-in-draft-asylum-law.html ; GNCHR Observations [en grec] sur le projet de loi du Ministère de la protection des citoyens : « Sur la protection internationale : dispositions sur la reconnaissance et le statut des ressortissants de pays tiers ou des apatrides en tant que bénéficiaires d’une protection internationale, sur un statut unique pour les réfugiés ou les personnes ayant droit à une protection subsidiaire et sur le contenu de la protection fournie, unification des dispositions sur l’accueil des demandeurs de protection internationale, la procédure d’octroi et de retrait du statut de protection internationale, restructuration de la protection judiciaire des demandeurs d’asile et autres dispositions », 24 octobre 2019, disponible sur : http://www.nchr.gr/images/pdf/apofaseis/prosfuges_metanastes/Paratiriseis%20EEDA%20sto%20nomosxedio%20gia%20Asylo%2024.10.2019.pdf ; GCR, commentaires du GCR sur le projet de loi « Sur la protection internationale, 22 octobre 2019, disponible sur : https://www.gcr.gr/media/k2/attachments/GCR_on_bill_about_International_Protection_en.pdf.

3] P-004017/2019, réponse du commissaire Johansson au nom de la Commission européenne, 5 février 2020, disponible à l’adresse : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2019-004017-ASW_EL.pdf

4] Rapport AIDA sur la Grèce, Update 2019, à venir et Rapport AIDA sur la Grèce, Update 2018, mars 2019, disponibles sur : https://www.asylumineurope.org/reports/country/greece.

[5] Voir l’affaire C-525/14, Commission contre République tchèque, UE C 2016 714, considérant 14.

[6] A titre indicatif, voir GCR, commentaires du GCR sur le projet de loi « Sur la protection internationale », op. cit.

[7] CJUE, El Dridi, C-61/11, considérant 41.

Source https://www.gcr.gr/en/news/press-releases-announcements/item/1434-gcr-s-comments-on-the-draft-law-amending-asylum-legislation

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