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Réforme des retraites Une provocation pendant le confinement

URGENT. Le Sénat remet la réforme des retraites à l’ordre du jour par un amendement surprise

Ce samedi 14 novembre à 19h, le Sénat a imposé le retour à des concertations sur la réforme des retraites majoritairement rejetée par la population et par une mobilisation historique notamment des grévistes de la RATP et de la SNCF. C’est lors du vote sur le budget de la Sécurité sociale pour 2021 qu’un amendement surprise intégrant cette réforme des retraites a été voté par les sénateurs de droite, majoritaires au Sénat.

Crédits photos Laurence Cohen.

« Budget de la sécurité sociale : à 19h la majorité de droite du sénat fait rentrer par un amendement la réforme des retraites rejetée par les Français : report de l’âge de départ et allonger la durée des cotisations. Très choquant en pleine crise », explique Laurence Cohen sénatrice PCF.

Comme le relate Public Sénat, « le Sénat a décidé, en séance, de réactiver la conférence de financement sur l’équilibre et le financement des retraites, suspendue au printemps dernier, que le gouvernement souhaitait en parallèle de sa réforme sur un système universel. En cas d’échec de cette conférence des partenaires à formuler des propositions, le rapporteur LR pour la branche vieillesse, René-Paul Savary, a fait adopter par l’hémicycle ses propres remèdes. Tout en concédant que ses amendements n’avaient aucune chance de survivre à la navette parlementaire. »

Le site d’information officiel du Sénat ajoute : « Selon ses pistes, il s’agirait à la fois de repousser progressivement l’âge légal de départ à la retraite jusqu’à 63 ans en 2025. Mais aussi d’accélérer l’allongement de la durée de cotisations pour atteindre 43 annuités dès la génération 1965. »

L’amendement a été voté par les seuls groupes LR et Union centriste (200 voix pour) selon Public Sénat. « Les groupes de gauche et les sénateurs LREM ont voté contre (118 voix) », tandis que le groupe écologiste n’a pas pris part au vote.

Nous relayons ci-dessous le post de Nantes Révoltés qui récapitule les évènements.

🔨LA RÉFORME DES RETRAITES IMPOSÉE PAR SURPRISE AU SÉNAT

- Les casseurs sont au pouvoir-

Lors du vote sur le budget de la sécurité sociale pour 2021, ce samedi 14 novembre à 19H, les sénateurs droite, majoritaires au sénat et estimant que Macron ne va pas assez vite, ont fait rentrer par un amendement de dernière minute la réforme des retraites massivement rejetée par les Français :

➡️ Report de l’âge de départ à 63 ans
➡️ Allongement de la durée des cotisations à 43 annuités
➡️ Attaque contre les régimes protecteurs
➡️ Etc …

Une véritable provocation en plein confinement, alors que la liberté de contester est drastiquement réduite, et que la crise sanitaire engendre une crise sociale catastrophique. Une provocation également, car cette réforme avait mis des millions de personnes dans les rues, suscité des mois de grève, et était contestée par l’immense majorité de la population. C’est une accélération : après ce coup de force, il ne reste plus qu’un vote à l’Assemblée avec la majorité En Marche/Le Républicains pour faire passer définitivement la casse des retraites.

Source https://www.revolutionpermanente.fr/URGENT-Le-Senat-remet-la-reforme-des-retraites-a-l-ordre-du-jour-par-un-amendement-surprise

 


Une grève générale en prévision

Grèce : le syndicat PAME prépare une grande grève générale contre le passage à 60h de travail par semaine et la restriction des droits ouvriers et syndicaux

« L’appel à la grève générale est la priorité absolue de chaque syndicat. Nous préparons une réponse massive et militante avec une grève générale partout, dans les usines, les hôtels, les chantiers de construction, les magasins » : en Grèce, le syndicat PAME est vent debout contre une série de mesures autoritaires et pro-patronales.

Le gouvernement grec veut en effet passer la durée légale de travail hebdomadaire à 60h par semaine, en augmentant la durée légale quotidienne de travail de 8 à 10h. Ces 2h supplémentaires de travail sont sans contreparties salariales. De plus, le gouvernement souhaite, via la loi, interdire les piquets de grève et fortement restreindre le droit de se syndiquer.

Également, si cette loi passe, le droit de négociation collective ne sera reconnu qu’aux syndicats qui auront soumis leur registre numérique, les noms de leurs membres, à l’État et aux patrons. Autrement dit, le gouvernement veut que les organisations ouvrières livrent les noms de leurs syndiqués à l’Etat et au patronat.

Au cours d’un premier rassemblement organisé la semaine dernière, le PAME, affilié à la Fédération Syndicale Mondiale avait déjà dénoncé « un recul en arrière de 100 ans ». Pour le syndicat grec, « Ils veulent interdire les syndicats et les grèves des travailleurs. La pandémie se transforme en une formidable opportunité pour le gouvernement et les patrons. ».

Partout, des voix s’élèvent en Grèce, mais aussi en Espagne et en Italie pour exprimer le ras-le-bol général. Construisons, en France, une mobilisation pour redonner confiance aux classes populaires en créant le rapport de force qui permettra une alternative politique et économique en faveur des intérêts de ceux et celles qui produisent les richesses dans ce pays !

Source https://www.facebook.com/La-Gr%C3%A8ce-en-r%C3%A9sistance-485903964798525/?hc_location=ufi

Le système de santé malade du Covid-19 ou du capital (2/2) ?

par

Contretemps publie la deuxième partie de cette analyse approfondie dans laquelle Nicolas Da Silva revient sur la situation du système de santé face à la crise du coronavirus, ainsi que sur les luttes des soignant-e-s pour le défendre (en particulier la lutte historique commencée en 2019). On pourra lire ou relire la première partie de ce texte ici.

Nicolas Da Silva est maître de conférences en économie à l’Université Paris 13

Seconde partie : Les échecs du capitalisme sanitaire face à la pandémie

Dans la première partie de ce texte, l’analyse historique du système de santé en France a permis de mettre trois principaux résultats en évidence :

1. La sécurité sociale est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés. En ce sens tous les débats techniques sont importants mais sans commune mesure avec la question politique du « qui décide » de la façon dont la société s’organise pour produire de la santé. L’avènement de la sécurité sociale n’a pas été d’abord le fruit de conflits institutionnalisés mais celui d’actions illégales en rupture avec l’ordre établi.

2. L’histoire du système de santé en France depuis 1945/6 peut se lire comme celle de la réappropriation de la sécurité sociale par l’État. L’État social s’oppose à la sécurité sociale et organise les soins en s’appuyant sur le capital. Cela se traduit par la bureaucratisation, la marchandisation et la persistance de fortes inégalités. L’opposition pertinente n’est pas marché versus État mais sécurité sociale versus capitalisme sanitaire, entendu comme le couple État/marché.

3. Dès lors on peut s’attendre à ce que toute amélioration substantielle de la situation du système de santé provienne d’une lutte non institutionnalisée contre l’État et le capital (résistance) et/ou d’un évènement majeur imposant à l’État d’activer sa main gauche pour rester hégémonique (comme une guerre qui a permis de développer l’État social).

Dans cette seconde partie, l’objectif est d’analyser la crise sanitaire que l’on vit actuellement à partir de ce cadre théorique. Il faut néanmoins commencer ce travail par un retour en arrière d’un an avant le début de la pandémie, lorsqu’en mars 2019 commence l’un des plus grands mouvements de contestation à l’intérieur de l’hôpital public. Ce texte cherche à souligner trois points importants :

1. Malgré son caractère historique, la lutte entamée 2019 n’a pas imposé à l’État de prendre des mesures significatives d’amélioration du système de santé alors que la pandémie, associée à un état de guerre, l’a contraint à le faire – même si les mesures prises pendant la pandémie demeurent faibles au regard des besoins exprimés. Il est probable que cet échec du mouvement social soit lié à son répertoire d’action, complètement institutionnalisé (grève, manifestation, pétitions, actions symboliques, etc.).

2. La gestion de la pandémie par l’État a été particulièrement mauvaise, que l’on parle des mesures d’anticipation de la pandémie ou de la réaction une fois que celle-ci s’est développée sur le territoire. La médiocrité de la réponse s’explique probablement par la fusion du couple État-capital : d’un côté, les bureaucraties sanitaires ont été incapables de prendre des décisions claires et efficaces, de l’autre côté, le capital n’a jamais été mis à contribution. Alors que l’État aurait pu se servir des outils de l’économie de guerre (nationalisations, réquisitions, etc.), il a préféré la guerre sociale. Cela est d’autant plus dommageable qu’après l’accalmie de la pandémie au cœur de l’été, il semble que l’impréparation reste grande pour le regain de l’automne. Sans parler de l’hiver à venir.

3. La pandémie a eu des effets différenciés en frappant, en plus des professionnels de santé eux-mêmes, les plus pauvres qui sont en réalité les plus exploités dans le mode de production capitaliste. La réponse à la pandémie a donc bien été une réponse de classe puisqu’elle a protégé le capital, jamais mis à contribution, et elle a envoyé en première ligne les personnes les moins en mesure de s’opposer aux injonctions du capital et de l’État.

D’un point de vue méthodologique il faut absolument noter en quoi cette seconde partie de notre article s’oppose à la première. Alors que la première partie s’appuie sur de nombreux articles et livres ayant été discutés dans la communauté scientifique, cette seconde partie s’appuie principalement sur le recueil d’informations parues dans la presse depuis deux ans. La crise a permis de mesurer à quel point, le temps académique ne se recoupe pas avec le temps de l’action politique. Il faudra des années de recherche pour confirmer ou infirmer les hypothèses avancées ici et c’est tout à fait naturel.

Dans la première section, je propose de rappeler les enjeux et les résultats de la lutte historique de 2019 entamée par des paramédicaux dans services d’urgences d’hôpitaux publics. Après plus d’un an de lutte, ils n’ont pas obtenu un euro de plus pour l’hôpital public. Dans la deuxième section, il s’agira de lister les raisons expliquant l’impréparation face à la pandémie alors que des nombreuses institutions nationales et internationales préviennent depuis des années de l’augmentation du niveau de risque. La troisième partie, la plus longue, est consacrée à l’analyse de l’échec massif de l’État et de ses alliés marchands dans la gestion de la pandémie. La section 4 montre en quoi le covid-19, comme d’autres maladies, exacerbe les inégalités et concerne avant tout les plus exploités. Dans la section 5, je propose de montrer en quoi le « plan massif » promis par le président Emmanuel Macron le 25 mars est en réalité introuvable en dépit des annonces, notamment celles du Ségur de la santé. Les problématiques posées par les professionnels mécontents en 2019 n’ont toujours pas de réponse fin 2020. La conclusion proposera quelques pistes pour penser des formes d’action plus susceptibles d’imposer le réinvestissement dans la sécurité sociale, contre le capitalisme sanitaire.

Un an d’une lutte historique, pas un euro de plus pour l’hôpital

La pandémie du covid-19 se déploie en France à un moment de haute conflictualité sociale. Les deux phénomènes doivent être articulés. Si l’on peut se passer d’une analyse détaillée du mouvement des gilets jaunes et de celui contre la réforme des systèmes de retraite, il est nécessaire de se rappeler que la crise sanitaire s’installe presque un an après le début de l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu le système de santé, et, plus particulièrement, l’hôpital public.

Les tensions sociales sont nombreuses depuis des années à l’hôpital public. Les coupes budgétaires, les réorganisations, les fermetures de lits, le manque d’effectif, la difficulté à embaucher, la faiblesse des salaires, etc. incitent ceux qui le peuvent à partir dans le privé et accroissent la pression sur ceux qui restent. Cette situation n’est pas homogène entre hôpitaux et entre services, certains souffrent plus que d’autres. Les services des urgences sont parmi les plus touchés par la politique budgétaire restrictive. Tandis que le nombre de passages aux urgences a doublé au cours des vingt dernières années, le nombre de lit a baissé de 67 000 entre 2003 et 2016. L’activité des hôpitaux a cru de 11% mais l’emploi que de 4% (Juven et al., 2019).

Malgré les mobilisations éparses et l’abondance de documentation attestant d’un sous-financement de l’hôpital public, la politique du gouvernement d’Emmanuel Macron reste dans les pas de celles de ses prédécesseurs. Le 5 avril 2018, alors qu’il est en visite au CHU de Rouen, le président de la République répond à une aide-soignante qui l’interpelle sur le manque de moyen pour travailler convenablement : « A la fin c’est vous qui les payez aussi, vous savez. Il n’y a pas d’argent magique. Un pays qui n’a jamais baissé son déficit public et qui va vers les 100% de dette rapportée à son produit intérieur brut… c’est vos enfants qui le payent quand ce n’est pas vous »[1]. Autrement dit, il n’y aura pas, car ce n’est pas nécessaire et c’est dangereux financièrement, d’augmentation significative du budget pour l’hôpital public.

Entre temps le président est rattrapé par le mouvement des gilets jaunes qui débute le 17 novembre 2018. Un des aspects importants de ce mouvement est le sentiment d’abandon de certaines zones du territoire où les services publics viennent à manquer. Les uns après les autres les services d’hôpitaux ferment sans qu’il n’y ait d’alternative viable en ambulatoire. Non seulement, cela accroît la distance spatiale et financière aux soins mais aussi cela peut avoir des conséquences dramatiques d’un point de vue sanitaire. Le cas de la maternité de Die (Drôme) a donné une audience glaçante à cette réalité. Le 18 février 2019, un an après la fermeture de la maternité, une femme perdait son enfant in utero parce qu’elle n’a pas pu rejoindre la maternité de Montélimar à temps[2]. Ce cas n’est pas isolé et la problématique a donné lieu à une importante activité militante, comme par exemple avec la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité[3].

Si la tension sociale est forte depuis de nombreuses années à l’hôpital public, ce n’est qu’au début de l’année 2019 que va se produire l’étincelle à l’origine d’une des plus longues luttes de son histoire. Le 13 janvier deux infirmières et une aide-soignante ont été agressées dans le service d’urgence de l’hôpital Saint-Antoine à Paris[4]. Ces évènements ont conduit à la constitution d’un réseau informel de professionnels visant à partager les difficultés rencontrées au travail, la question de l’insécurité étant un aspect parmi d’autres des conditions de travail[5]. Les difficultés s’accumulant, le 18 mars la CGT, FO et Sud appellent à une grève illimitée du personnel travaillant au service d’urgence de Saint-Antoine. Les revendications portent sur l’amélioration des conditions de travail et l’augmentation des salaires. Très rapidement des services d’urgences d’autres hôpitaux rejoignent la lutte et créent, en dehors des syndicats, le collectif inter-urgence[6]. Composé de personnel paramédical, le collectif vise à défendre « l’amélioration des conditions de travail et d’accueil au sein des structures d’urgences. » Le collectif demande l’accroissement des effectifs, notamment par la pérennisation des emplois précaires, mais aussi l’augmentation du point d’indice de 80 points pour tous les paramédicaux, correspondant à 300 € net. L’accent sur le point d’indice (et non des primes) est important du fait des droits associés (en particulier la retraite). Le chiffre 300 € net correspond, pour les infirmiers, à l’augmentation minimum permettant d’attendre la moyenne du salaire infirmier européen.

La première annonce du gouvernement pour éteindre le feu des revendications ne vient pas du ministère de la santé mais des résultats du « Grand Débat » rendus publics le 6 mai 2019. Parmi les mesures destinées à répondre aux gilets jaunes, une d’entre elles porte sur l’hôpital : « Pas de fermeture d’école ou d’hôpital jusqu’à la fin du quinquennat, sans l’accord du maire »[7]. Cette formulation laisse donc ouverte la possibilité de fermer de hôpitaux (avec l’accord du maire), des services d’hôpitaux et des lits (sans l’accord du maire), ce qui a effectivement continué à se dérouler, accroissant par là même les tensions déjà vives chez les professionnels.

Tandis que le nombre de service d’urgence en grève croît régulièrement, les urgentistes doivent attendre le 14 juin 2019 pour obtenir la deuxième annonce du gouvernement. La ministre de la santé Agnès Buzyn lance une « mission nationale de refondation des urgences »[8] dont le budget provisoire s’élève à 70 millions d’euros. Cette somme doit servir en priorité à verser une prime de 100 € net pour les professionnels des services d’urgence (hors médecins), soit 30 000 personnes et 55 millions d’euros. Les 15 millions d’euros restant sont destinés à augmenter les effectifs. La politique de la prime est loin de satisfaire les revendications et le mouvement progresse à l’approche de l’été. Une manifestation nationale a lieu le 16 juin 2019[9], l’inter-urgence annonce 154 services d’urgences en grève le 2 juillet[10], 217 le 21 aout[11].

Lors de la présentation du projet de loi de finance de la sécurité sociale le 10 septembre 2019, la ministre annonce un « Pacte de refondation des urgences » estimé à 600 millions d’euros ainsi qu’une hausse des rémunérations du même montant[12]. Ces chiffres doivent être mis au regard du budget hospitalier : en 2018, la dépense hospitalière représentait 95,5 milliards d’euros (public et privé confondus). Le « Pacte de refondation » représentait donc à peine 1% du budget annuel hospitalier. Le trompe l’œil ne s’arrête pas là. Alors que le ministère communique sur les fonds nouveaux accordés aux urgences, l’ONDAM[13] exige plus d’1 milliard d’euros d’économie à l’hôpital[14]. Pour comprendre le tour de passe-passe, il faut s’arrêter sur le calcul de l’ONDAM. Tous les ans, le prix des biens et services médicaux augmente, ainsi que les salaires (du fait de l’ancienneté). Cela implique que pour le même niveau de production d’une année sur l’autre, il faut un budget en augmentation – liée à l’augmentation tendancielle des composantes du budget[15]. Pour le budget 2020, l’augmentation tendancielle à l’hôpital (pour rester au même niveau d’offre de soin) s’élevait à 3,3% mais l’ONDAM hospitalier voté par le parlement n’atteignait que 2,1%. L’augmentation du budget n’étant pas suffisante pour produire le même niveau de soin, l’hôpital doit rogner sur ses dépenses. Voilà au passage en quoi il n’est absolument pas contradictoire de voir des budgets publics augmenter et, en même temps, de voir les services concernés souffrir de l’austérité budgétaire. Au total, le « Pacte de refondation des urgences » était financé intégralement par des mesures d’économies : rien de plus pour l’hôpital !

Évidemment, les professionnels de santé ne sont plus dupes de ces artifices comptables après tant d’années d’austérité. Ce n’est pas parce que le budget augmente que ça va mieux ! En plus du collectif inter-urgence, d’autres collectifs se sont constitués entre temps : collectif inter-hôpitaux, blouses noires, collectifs inter bloc, etc.

Le collectif inter-hôpitaux[16], créé en septembre 2019, illustre l’élargissement du mouvement social, au-delà des services d’urgences, au-delà des paramédicaux. Ce collectif comprend des représentants des usagers, des paramédicaux, des personnels administratifs, des internes, des médecins titulaires, des étudiants, etc. Dans sa motion constitutive du 10 octobre, il demande une hausse de l’ONDAM d’au moins 4%[17], une hausse des salaires de 300€, la fin des fermetures de lits, l’embauche de personnel et l’intégration des usagers et soignants dans les décisions et projets de soins.

Le 14 novembre 2019 une marrée blanche dans la rue témoigne de la colère des professionnels non seulement face à leur situation mais aussi face à l’inadéquation des réponses du gouvernement[18]. En plus des différents collectifs de lutte, de nombreux syndicats répondent à l’appel : SNPI CFE-CGC, AMUF, APH, CFE CGC, CFDT, CGT, SUD, SN PHARE, UNSA.

Le même jour, soit un et demi après la déclaration sur l’absence d’argent magique, Emmanuel Macron reconnaît lors d’un déplacement à Épernay, que « la situation est encore plus grave que celle que nous avions analysée »[19]. Face à la gravité de la situation le premier ministre Édouard Philippe, accompagné d’Agnès Buzyn, annonce un « Plan d’urgence pour l’hôpital » le 20 novembre 2019[20]. Ce plan s’organise autour de trois mesures phares : une hausse du budget de l’hôpital de 1,5 milliards d’euros, une prime annuelle de 800 € net pour 40 000 infirmiers et aide soignants vivant à Paris et proche banlieue gagnant moins de 1 900 € par mois et, la reprise de 10 milliards de dette hospitalière (sur un total de 30 milliards).

Encore une fois, derrière le poids des mots se cache le choc de la réalité. La hausse de 1,5 milliards est lissée sur 3 ans, dont 300 millions en 2020. Au mieux, ces 300 millions viennent porter l’exigence d’économie présenté dans l’ONDAM de 1 à 0,7 milliards. Toujours rien de plus pour l’hôpital. Concernant l’augmentation des rémunérations, celle-ci est limitée géographiquement, elle est sous forme de prime et non de salaire (point d’indice) et elle est loin de la revendication de 300 € (66 € par mois). Enfin, l’annonce de reprise de la dette hospitalière relève de la stratégie du pompier pyromane : après avoir sous-financé l’hôpital public pendant des années, celui-ci a dû s’endetter pour faire face à ses obligations de soins. La reprise de la dette ne permet aucun investissement nouveau et le fardeau des intérêts de la dette est compensé par une conditionnalité mortifère : seuls les hôpitaux qui acceptent les plans de restructurations seront éligibles à la reprise de la dette[21].

Dans ces conditions, les professionnels de soins ont poursuivi les manifestations pendant l’hiver. Alors que commençait le 5 décembre le mouvement contre la réforme des retraites auquel certains collectifs et syndicats issus du monde de la santé ont participé, le 17 décembre les soignants étaient à nouveau massivement dans la rue[22]. En plus des manifestations et du fait de la difficulté à faire grève étant donné la spécificité de leur activité, les personnels hospitaliers en lutte se sont signalés par de nombreuses formes d’actions symboliques : plusieurs hôpitaux ont lancé un SOS sur la façade de leur établissement en jouant sur l’éclairage des fenêtres, le 7 janvier plus de 1000 médecins hospitaliers dont 600 chefs de services ont démissionné collectivement de leurs responsabilités administratives[23], des jetés de blouses blanches ont été organisé à l’occasion des vœux des différents institutions de santé, comme à l’hôpital Saint-Louis de Paris le 14 janvier pour les vœux du directeur d’hôpital[24], etc.

La détermination des personnels a été renforcée durant l’hiver par les défaillances de l’hôpital incapable de prendre en charge l’épidémie de bronchiolite chez les nouveaux nés[25]. Face à l’afflux de malades et à la pénurie de lits de réanimation pédiatrique, certains enfants d’Ile-de-France ont dû être transférés en province. Dans une tribune publiée par Libération, des parents d’enfants malades se sont indignés de la situation et ont demandé la réouverture de lits[26]. D’autres cas plus ponctuels montraient bien avant la pandémie de covid-19 les effets délétères de la politique d’austérité à l’hôpital public. Le 15 juin un homme est décédé dans le Maine sur le parking d’une clinique privé après ne pas avoir été pris en charge par le service des urgences du CHU d’Angers[27]. Un homme est de 86 ans est décédé à Brest le jeudi 5 décembre après avoir passé six heures sur un brancard[28]. Le 22 décembre 2019 une fillette de 11 ans est décédée à l’hôpital Necker suite à plusieurs passages aux urgences sans que son cas ne soit suffisamment pris au sérieux[29].

Le mouvement social à l’hôpital public s’est poursuivi en début d’année 2020, en se liant de plus en plus avec celui contre les réformes des retraites. Néanmoins, le 14 février, le service d’urgence de Saint-Antoine sort de la grève après 11 mois de combat. Si le protocole d’accord a été signé par la CFDT (favorable à la fin de la grève dès décembre) et par Sud santé, un communiqué du collectif inter-urgence précise que « La sortie de grève est […] davantage liée aux pressions exercées sur des équipes épuisées qu’à la satisfaction des besoins, et s’inscrit plus largement dans la volonté du gouvernement de laisser pourrir le conflit. Stratégie contestable sachant qu’en bout de course ce sont les usagers qui continuent d’en souffrir »[30].

Quinze jours plus tard, le gouvernement recensait le premier décès français du covid-19, un homme de 60 ans enseignant dans un collège de l’Oise[31].

Le mouvement social né en 2019 est historique par son ampleur dans l’histoire du système de santé et de l’hôpital public. Il est important de souligner que ce mouvement est né en dehors des institutions traditionnelles de lutte – les syndicats. Les syndicats ont pu soutenir le mouvement, l’aider à grandir mais c’est par des voies non institutionnalisées qu’il a émergé. Si ce mouvement a montré son originalité par la lutte, notamment en multipliant les actions symboliques, son répertoire d’action est resté dans le strict cadre syndical et légal (manifestation, grève, communication, actions symboliques, etc.). Au total, en dépit d’une expérience rare, il faut constater l’échec du mouvement en termes de capacité à tordre la volonté du gouvernement (voir la synthèse de l’encadré 1). En un an de mobilisation, pas un euro de plus n’a été octroyé à l’hôpital public, sauf à considérer la reprise de la dette conditionnée à des restructurations. Bien sûr le gouvernement a multiplié les déclarations solennelles mais, au final, il y a un grand écart entre les mots et les choses[32].

Encadré 1 : Synthèse des réponses gouvernementale à la crise de l’hôpital public (2019)

Première annonce : Grand débat (6 mai 2019) – aucune fermeture d’hôpital sans l’autorisation du maire. Pas de moratoire sur les fermetures de lits, de service ou d’hôpital.

Deuxième annonce : Mission nationale de refondation des urgences (14 juin 2019) – 70 millions d’euros pour des primes de 100 € mensuels et des recrutements, uniquement pour les services d’urgence.

Troisième annonce : Pacte de refondation des urgences (10 septembre 2019) – 600 millions d’euros, plus 600 millions de hausses de rémunérations. Parallèlement, l’ONDAM prévoit 1 milliards d’euros d’économie pour l’hôpital. Les fonds nouveaux pour les urgences sont autofinancés par des économies ailleurs dans l’hôpital.

Quatrième annonce : Plan d’urgence pour l’hôpital (20 novembre 2019) – 1,5 milliards sur 3 ans (300 millions pour 2020), une prime de 800 euros annuelle pour les paramédicaux de Paris et de proche banlieue gagnant moins de 1 900€, reprise de 10 milliards d’euros de dette sous conditions de restructuration. Cela porte les économies demandées à l’hôpital à 700 millions d’euros.

En un an de mobilisation, toutes les annonces sont autofinancées par les économies demandées à l’hôpital dans le cadre de l’ONDAM. Plutôt que de donner des moyens nouveaux à l’hôpital, les annonces ont opéré un transfert entre postes de dépense. Seule la reprise de la dette aurait pu donner des marges de manœuvre, mais celle-ci est conditionnée à des restructurations. Plutôt que de se restructurer en raison de l’obligation de rembourser la dette, les hôpitaux devront se restructurer sous l’autorité de l’État et de son bras armé, l’ARS.

Une pandémie loin d’être imprévisible

Le ciel nous serait-il tombé sur la tête ?

D’après plusieurs ex-ministres de la santé interrogés le 30 mars 2020 par Le quotidien du médecin, la pandémie du covid-19 était imprévisible et il serait inapproprié de critiquer l’action de l’État et de ses administrations. Selon Roselyne Bachelot, ministre de la santé entre 2007 et 2010, il était impossible de prévoir la catastrophe sanitaire : « Pas plus moi que d’autres n’avaient imaginé qu’on pourrait affronter une crise de cette violence, de cette ampleur. […] Comment voulez-vous anticiper une situation imprévisible ? On regarde ces choses-là déferler sur nous comme une sorte de tsunami. »[33] Même diagnostic pour Claude Evin, ministre de la santé entre 1988 et 1991 : « [Cette crise] est extraordinaire. On n’a jamais connu ce type de situation aussi bien à l’échelle mondiale que dans notre pays. Les crises sanitaires que nous avons connues étaient de moindre ampleur et nécessitaient des mesures moins complexes et moins fortes que celles que prennent les pouvoirs publics aujourd’hui. »[34] Lorsque le journaliste lui demande ce qu’il pense de la doctrine du gouvernement ou bien de la réaction de l’ARS Ile-de-France, qu’il a dirigée entre 2010 et 2015, l’ancien ministre répond qu’on « ne peut jamais se préparer réellement à une situation de ce type. » Marisol Touraine, ministre de la santé entre 2012 et 2017 est plus mesurée. Si elle concède que depuis « le SRAS en 2003, on redoutait un scénario comme celui-ci, et l’on s’y préparait », elle regrette que « certains cherchent à accuser les autres [par exemple sur] la polémique des masques, qui deviennent le symbole de ce que certains auraient fait ou pas fait »[35]. Pour Elisabeth Hubert, éphémère ministre de la santé en 1995, ceux qui prétendent que l’on aurait pu « imaginer une crise d’une telle ampleur […] sont des donneurs de leçons »[36].

Contrairement à ce que la solidarité entre anciens ministres de la santé laisse penser, le premier échec de la politique publique est de ne pas avoir pris les mesures nécessaires permettant de répondre à une pandémie que de nombreuses institutions nationales et internationales attendaient.

Chaque année l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie un rapport sur les risques sanitaires majeurs à venir ainsi que sur l’état de préparation ou d’impréparation des différents pays du monde. Dans le rapport de septembre 2019, l’OMS souligne combien le risque de pandémie mondiale croît chaque année[37]. Entre 2011 et 2018, l’institution a recensé 1 483 évènements épidémiques dans 172 pays (SRAS, MERS, Ebola, Zika, peste, fièvre jaune, etc.) ce qui serait annonciateur d’une nouvelle ère d’épidémies à fort impact (propagation rapide et gestion difficile). L’OMS écrit très clairement dans ce rapport comme dans d’autres que le risque pandémique mondial augmente (p. 15). Or, si les populations vivant dans les pays pauvres souffrent le plus de cette situation, toutes les économies y sont vulnérables. En 2003, le coût du SRAS a été évalué à 40 milliards de dollars (53 milliards pour Ebola entre 2014 et 2016 ; 45 à 55 milliards de dollars pour la grippe H1N1 en 2009). L’OMS rapporte également une étude de la Banque mondiale selon laquelle une épidémie semblable à la grippe espagnole de 1918 coûterait entre 50 et 80 millions de vies et 3 000 milliards de dollars (notamment du fait de l’impact sur le tourisme et le commerce). Malgré ces avertissements les auteurs du rapport estiment que le monde n’est pas prêt à faire face à ce type de pandémie – d’autant moins que la confiance dans les gouvernements, les médias et les scientifiques semble s’éroder.

Ces avertissements n’étant pas neufs, les institutions nationales ont depuis de nombreuses années réfléchi à cette problématique. Pour en rester aux années 2000, plusieurs rapports ont été publiés sur le risque pandémique, tant par des parlementaires que par des services de l’État (comme le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale)[38]. Devant la réalité du risque, ces rapports insistent tous sur la nécessité d’établir une doctrine efficace de protection en attendant que puisse être mis au point des stratégies médicales de soin (vaccins, médicaments). Le port d’un masque très protecteur (type FFP2) est alors plébiscité comme moyen de limiter le développement de la pandémie et il incombe à l’État de disposer à tout moment d’un stock suffisant.

La gestion de la crise H1N1 en 2009 modifie la doctrine. Roselyne Bachelot qui était ministre de la santé à l’époque a commandé massivement des vaccins et des masques pour se préparer à une éventuelle pandémie (pour un coût estimé à 1 milliards d’euros, dont 150 millions pour des masques). La crise sanitaire ayant été finalement assez modérée, elle a fait l’objet de critiques sur le montant dépensé qui ont ensuite justifié une évolution de la doctrine. Après 2009, l’État s’est désengagé de la constitution de stocks des produits de prévention (masques, médicaments, gants, etc.) qui repose désormais en priorité sur les employeurs privés et publics, notamment les hôpitaux qui souffrent parallèlement de contraintes budgétaires fortes et sont susceptibles d’arbitrages défavorables à la prévention.

Notons au passage que s’il a été effectivement reproché à Roselyne Bachelot d’avoir beaucoup, peut-être trop, dépensé à l’occasion de la grippe H1N1 en 2009, l’essentiel de la critique portait sur ses conflits d’intérêts avec l’industrie. La presse a fait état à son sujet d’une activité de lobbyiste pour l’industrie pharmaceutique au moins sur les périodes 1969-1976 et 1984-1989[39]. Selon le sénateur François Autain, médecin généraliste de profession, il aurait rencontré Roselyne Bachelot pour la première fois alors qu’elle travaillait pour Astra Zaneca qui, en 2009, faisait partie des plus importants vendeurs de vaccins contre la grippe H1N1. L’association pour une formation médicale indépendante, a rappelé à cette occasion qu’en 2009 la ministre avait répondu la chose suivante à un sénateur qui exigeait que, conformément à loi, soient publiés les liens d’intérêts des experts qui écrivent des rapports officiels : « C’est sous Staline que l’on dressait des listes »[40]. La question des conflits d’intérêt ne concernait pas que Roselyne Bachelot, c’est le moins que l’on puisse dire. Les frères de Nicolas Sarkozy étaient également très implantés dans le secteur de la santé et de la protection sociale[41]. Guillaume Sarkozy était délégué général du groupe Malakoff Mederic et au conseil d’administration de Korian (groupe privé à but lucratif prenant en charge dépendance). François Sarkozy était lui implanté dans le secteur pharmaceutique (BioAlliance et AEC Partners). Évidemment l’expérience de la grippe H1N1 a constitué un tournant dans l’anticipation des crises sanitaires, mais il n’y a pas de raison pour autant, sans réponses aux questions posées à l’époque, de réhabiliter Roselyne Bachelot[42].

Indépendamment des revirements stratégiques sur le plan national, depuis au moins trois décennies de nombreux chercheurs et journalistes travaillent sur les « virus émergents » et les conditions de leur émergence : changement climatique, urbanisation, condition animale, mais, à la manière des problématiques écologiques, cela n’a pas suffi à ce que les États se préparèrent à faire face[43]. Comme le souligne Alain Badiou, « le vrai nom de l’épidémie en cours devrait indiquer qu’elle relève en un sens du ‘rien de nouveau sous le ciel contemporain’. Ce vrai nom est SARS 2, soit « Severe Acute Respiratory Syndrom 2 », nomination qui inscrit en fait une identification « en second temps », après l’épidémie de SARS 1, qui s’était déployée dans le monde au printemps 2003. Cette maladie avait été nommée à l’époque ‘la première maladie inconnue du XXIe siècle’. Il est donc clair que l’épidémie actuelle n’est aucunement le surgissement de quelque chose de radicalement nouveau, ou d’inouï. »[44] Il faut en conséquence chercher au cœur de la logique « normale » du capitalisme sanitaire les raisons de l’impréparation à une pandémie loin d’être imprévisible.

L’échec massif de l’État et de ses alliés marchands

Dans cette section, je propose d’expliquer l’échec massif de l’État et de ses alliés marchands en montrant d’abord que celui-ci a refusé de voir la pandémie arriver puis il a refusé d’utiliser les outils de l’économie de guerre. Dans ce contexte, les bureaucraties sanitaires et le capital privé ont montré tous les deux leur incapacité à résoudre les problèmes posés. Face à cette situation, l’auto-organisation a permis de résoudre certaines défaillances de l’État et du marché.

1) De l’hésitation à voir l’épidémie au refus de l’économie de guerre

En début d’année 2020, l’État français a longtemps minimisé le risque pandémique alors que les institutions internationales et d’autres pays l’alertaient vigoureusement[45]. Dès le mois de décembre 2019 certains médecins chinois signalent l’apparition d’un nouveau virus potentiellement dangereux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est informée officiellement des évènements le 31 décembre. Des cas sont recensés rapidement en dehors de la province du Hubei mais aussi en dehors de Chine (Thaïlande, Japon, Corée du Sud, États-Unis, etc.). Le 24 janvier la ministre de la santé Agnès Buzyn déclare : « Le risque d’importation de cas depuis Wuhan est modéré, il est maintenant pratiquement nul puisque la ville, vous le savez, est isolée […]. Les risques de propagation dans la population sont très faibles »[46]. Quelques heures plus tard, trois premiers malades sont déclarés en France. Le 14 et le 26 février, les deux premiers morts sont recensés sur le sol français. Le 30 janvier l’OMS déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale, le 26 février elle annonce que plus de cas sur la journée sont déclarés hors de Chine qu’en Chine. Le 8 mars l’Italie enregistre 133 morts quotidien, 366 décès au total. Le 11 mars l’OMS classe l’épidémie de Covid-19 comme une pandémie[47].

En France, il a fallu attendre le 23 février pour que soit déclenché le premier stade du plan Orsan destiné à gérer les risques épidémiques[48][49]. A ce stade, le virus est considéré ne pas être en circulation générale dans la population. Les malades diagnostiqués sont invités à rester confinés chez eux. Le stade 2, déclenché le 29 février (100 cas diagnostiqués et 2 morts), prend acte de la circulation du virus et cherche à en contenir la propagation. La méthode consiste à confiner les foyers de contamination (cluster), par exemple en fermant ponctuellement des écoles et en interdisant des grands rassemblements (seuil national à 5 000 le 29 février, abaissé à 1000 le 9 mars). Le 6 mars le plan blanc est déclenché dans les hôpitaux. La situation se dégradant, le 11 mars les visites en EHPAD sont interdites, le 12 mars le président de la République annonce la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités. Les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits, le télétravail est fortement recommandé. Le 14 mars, avec 4 500 cas confirmés et 91 décès à l’hôpital, le stade trois est déclenché. Le virus est en circulation générale et l’objectif consiste à limiter les effets sur la population et sur le système de santé déjà en tension. Le 16 mars, à 20 heures, le président Emmanuel Macron déclare que la France est en guerre et annonce l’interdiction de déplacement pour toutes les activités non essentielles[50]. Le confinement durera 55 jours : du 17 mars au 11 mai 2020.

La lenteur du gouvernement à prendre acte de la gravité de la situation sanitaire peut s’expliquer par le fait qu’en janvier et février 2020 il était occupé à d’autres activités : la préparation des élections municipales prévues les 15 et 22 mars ainsi que la réforme des systèmes de retraite.

Concernant les municipales, le président de la République Emmanuel Macron craignait une lourde défaite électorale et réfléchissait précocement à un argumentaire pour la relativiser : « Les élections municipales ne sont pas une élection nationale. Je n’en tirerai pas de manière automatique des conséquences nationales »[51]. Un enjeu symbolique était le cas de la ville de Paris où Benjamin Griveaux était candidat. Cependant, le 14 février ce dernier a dû renoncer à sa candidature du fait de la diffusion de vidéos intimes remettant en cause son honneur[52]. Très rapidement, les bruits de couloir faisaient de la ministre de la santé Agnès Buzyn une piste pour prendre la relève. Le 14 février la ministre déclare qu’elle ne peut « pas être candidate aux municipales. […] J’ai beaucoup de réformes aujourd’hui dans le ministère et s’est rajouté un surcroît de travail inattendu, malheureusement, qui est cette crise du coronavirus qui aujourd’hui m’occupe énormément »[53]. Le 16 février la ministre annonce officiellement sa candidature à la mairie de Paris et le député de l’Isère Olivier Véran est nommé nouveau ministre de la santé. La passation de pouvoir à lieu le 17 février, en pleine épidémie du Covid-19. Ajoutant de la confusion à la confusion, une fois candidate aux municipales, Agnès Buzyn a reproché à la maire de Paris, Anne Hidalgo, de n’avoir pas préparé avec le ministère de la santé un plan contre le covid-19. Or, un courrier signé de l’ex-ministre en date du 12 février saluait la « vive mobilisation de la mairie de Paris »[54]. La campagne électorale justifie-t-elle d’entretenir la confusion sur la préparation face à l’épidémie ?

L’autre dossier ayant occupé le gouvernement est la réforme des retraites. Ce projet était d’autant plus important et difficile qu’il a donné lieu aux plus grandes grèves en France depuis au moins le plan Juppé de 1995. Les grèves se sont multipliées à partir du 5 décembre, sans discontinuer ni pendant les vacances de fin d’année ni pendant celles d’hiver. Après plus d’un an de négociations, marquées notamment par la démission du gouvernement le 16 décembre 2019 de Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire aux retraites, soupçonné de conflits d’intérêts, le gouvernement présente le texte de sa réforme le 24 janvier. Celui-ci est lourdement critiqué par le Conseil d’État. L’examen à l’assemblée nationale est aussi douloureux en raison du dépôt de près de 40 000 amendements. Le 29 février, lors d’un Conseil des ministres extraordinaire consacré à l’épidémie du covid-19, le premier ministre décide d’engager la responsabilité du gouvernement sur la réforme des retraites par la procédure dite du 49.3[55]. Cette procédure permet d’adopter le texte sans vote et sans examen des amendements, sauf si une mention de censure est déposée et adoptée. Deux motions de censure sont déposées mais aucune d’elle n’aboutit. Le texte est adopté alors même que les rassemblements de plus de 5 000 personnes sont interdits – ce qui induit l’impossibilité de manifester contre le gouvernement. Le premier ministre a donc utilisé l’opportunité du covid-19 pour proposer en conseil des ministres l’accélération de la réforme des retraites.

Ce contexte explique probablement les hésitations du gouvernement face à l’épidémie. Le 6 mars le président de la République incite la population à aller au théâtre malgré le covid-19[56], le 11 mars, il déclare qu’il ne faut pas renoncer « aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été »[57]. Mais, comme on l’a rappelé plus haut, le 12 mars toutes les établissements scolaires et universitaires sont fermés, le 17 mars commence le confinement. Au sujet du premier tour des élections municipales, maintenu le dimanche 15 mars, Agnès Buzyn a déclaré le 25 mars au journal Le Monde : « Quand j’ai quitté le ministère […] je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. […] Le 30 janvier, j’ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. »[58] Si les choses étaient si évidentes, pourquoi tant d’hésitations, surtout devant la gravité de la situation ? La France bénéficiait par ailleurs des expériences (malheureuses) de la Chine et, surtout, de l’Italie qui ont été touchés avant par l’épidémie. Dans son intervention du 16 mars Emmanuel Macron suspend la réforme des retraites[59] probablement trop tard, des études sont en cours pour évaluer l’importance des municipales dans la diffusion du covid-19[60]. Selon Richard Horton, rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, toutes les informations nécessaires pour combattre l’épidémie étaient disponibles depuis le 31 janvier et pendant 6 semaines les pays occidentaux n’ont rien fait. « Pourquoi les gens ne sont-ils pas davantage en colère à ce sujet ? Qui demande des comptes au gouvernement ? »[61].

Face à l’impréparation du gouvernement, le 17 mars le confinement constitue une césure fondamentale d’un point de vue sanitaire mais aussi économique. Du côté sanitaire, la pénurie se fait rapidement ressentir et l’enjeu du confinement est aussi d’alléger la charge sur les hôpitaux en limitant le nombre de contaminations. Du côté économique, entre le 19 février et le 18 mars, l’indice boursier CAC 40 perd 30% de sa valeur. Une grande partie de l’activité marchande et non marchande est suspendue, ce qui engendre des difficultés de trésoreries tant pour les organisations privées que publiques. Très rapidement de nombreux économistes anticipent une dépression inédite en temps de paix et s’interrogent sur les meilleurs moyens pour y faire face.

Une des principales pistes de réflexion a consisté à comparer la pandémie à une économie de guerre[62]. La 4 mars l’économiste étatsunien James Galbraith compare la pandémie à l’attaque de Pearl Harbor durant la seconde guerre mondiale[63]. L’attaque est soudaine et l’impréparation est totale. Les chaînes d’approvisionnement internationales sont cassées et les pénuries de produits essentiels comme les masques ou les médicaments sont déjà importantes. Le fonctionnement habituel des marchés n’est plus en mesure de réaliser l’allocation des ressources. L’auteur souligne alors l’importance de basculer en économie de guerre pour limiter les dégâts humains et financiers. Sans perdre de temps il faut passer d’une économie décentralisée où la coordination se fait majoritairement par des prix fixés librement à une économie fondée sur le commandement. Dans le but d’assurer à la société les moyens de sa substance, une autorité centrale doit être en mesure d’imposer la planification, des nationalisations, des prix administrés, une réaffectation de la force de travail et du capital, la limitation des libertés publiques, etc.

Dans une tribune dans Le Monde du 28 mars (p. 25), Robert Boyer invite également à penser la comparaison entre la pandémie et les périodes de guerre : « Il faut prendre au sérieux la métaphore de la ‘guerre contre le virus’ et se souvenir que la comptabilité nationale, la modélisation macroéconomique et le calcul économique public, qui ont favorisé la modernisation de l’État, trouvent leur origine dans l’effort de guerre puis de reconstruction – primat de l’intérêt collectif sur l’individualisme, par la réquisition et le contrôle du crédit et des prix. Penser que le marché connaît la sortie de crise serait une naïveté coupable. »

La comparaison de la situation pandémique à une économie de guerre a été vivement critiqué en raison du refus du principe même de la guerre[64]. La situation pandémique ne met pas face à face des armées avec des soldats solidement équipés. Il n’y a pas eu de déclaration de guerre. Il n’y a pas de sens à déclarer la guerre au virus. Ces critiques manquent l’essentiel. L’économie de guerre ne signifie rien de plus que la nécessité d’un passage brutal et soudain d’une coordination marchande au commandement, sous peine de danger de mort. L’économie doit être mobilisée et réorganisée en conséquence. Une économie de guerre ne signifie pas forcément une économie avec de la guerre. Certains économistes préfèrent parler d’économie des catastrophes mais cela ne change pas le fond de la problématique.

En fait, derrière la critique de l’économie de guerre se cache le refus, tout à fait légitime, du nationalisme, parfois de l’État et, surtout, de l’union nationale. Évidemment, lors de son discours du 16 mars, en martelant l’état de guerre Emmanuel Macron désire créer une unité nationale – alors même qu’il est responsable de la situation. Mais, l’économie de guerre ne suppose pas l’unité nationale, bien au contraire[65]. Tout l’enjeu est de savoir quelles sont les procédures de décisions dans une économie fondée sur le commandement : est-ce l’État qui doit décider ? Parler de commandement, est-ce recommander l’étatisation des moyens de production ? Ou alors, faut-il introduire les travailleurs, leurs syndicats, les employeurs, tous les citoyens ? Fallait-il procéder à des nationalisations ou des socialisations ? En appeler au commandement pour répondre à une situation de guerre ne dit rien sur le type de commandement qui est nécessaire.

Ces questions ont été posées de façon très claire dans le débat. Cédric Durand a par exemple insisté sur l’importance de la centralisation et de la planification tout en regrettant l’absence d’action de l’État : « Où est le quartier général de la lutte contre la pandémie ? Quels sont les organes chargés de recenser les ressources et d’organiser leur mobilisation ? Pourquoi, en France, la participation des industriels à l’effort se fait sur la base du volontariat et non de la réquisition ? » [66] Mais faut-il réellement confier les clefs du pourvoir à l’État ? Pour Benjamin Coriat c’est l’État qui est coupable de la situation actuelle ce qui implique de redéfinir le « public » et remettre en cause l’idée que « le seul garant de l’intérêt général, le garant de l’intérêt public, c’est l’État, l’administration et ses fonctionnaires : cette fable désastreuse doit cesser. » Il en appelle à une refondation du service public à partir des communs. Dans le cas du système de santé, Benoît Borrits critique encore plus radicalement l’État et le capital pour aller vers « une santé publique autogérée dans une économie démocratique »[67].

L’impérieuse nécessité d’une économie de guerre, ne dit donc rien sur les modalités d’organisation du pouvoir qui peut tendre entre deux extrémités : captation entière par l’État ou socialisation.

A la mi-mars 2020, avec Philippe Batifoulier et Mehrdad Vahabi nous écrivions que les « fautes politiques et économiques dans la gestion de la crise proviennent de l’hésitation du gouvernement à basculer dans l’économie de guerre. […] En refusant de procéder à la nationalisation des grandes entreprises influant dans la gestion du risque sanitaire (comme par exemple l’industrie pharmaceutique, les hôpitaux, etc.) et d’administrer l’allocation et la production des ressources, le pays s’est rapidement retrouvé en pénurie de matériels essentiels (masques protecteurs et gel hydroalcoolique d’abord, lits d’hôpital équipés d’assistance aspiratoire bientôt). Le rationnement n’a pas été décrété ce qui a causé entre autres phénomènes l’inflation du prix des masques et leur mauvaise allocation »[68]. Il est possible maintenant d’aller plus loin : le gouvernement n’a pas seulement hésité à basculer en économie de guerre, il a refusé de le faire et c’est l’une des raisons principales qui explique la gestion catastrophique de la crise.

En dépit des proclamations guerrières, le chef de l’État n’a que marginalement utilisé les outils de l’économie de guerre. Par contre, il a renforcé les tendances autoritaires permises par la Ve République. Le 23 mars est votée la loi créant l’État d’urgence sanitaire[69] : elle consacre l’extension du pouvoir de l’exécutif sans contreparties. Le président a complètement ignoré l’opposition politicienne[70], syndicale[71] et ou scientifique[72]. Les partis politiques d’opposition ont été ignorés, les syndicats n’ont pas été invités à participer aux prises de décisions et les scientifiques (notamment via la création du Conseil scientifique covid-19) ont été instrumentalisés. Notons enfin qu’Emmanuel Macron n’a pas utilisé la rhétorique guerrière pour entamer la guerre sociale, comme peuvent le penser certains critiques du concept d’économie de guerre, il a simplement continué le chemin tracé depuis son élection (Godin, 2019). Dans ce cadre général, les deux sections suivantes illustrent le double échec du capitalisme sanitaire – l’échec des bureaucraties et du capital.

2. Échecs de la bureaucratie sanitaire

Mis à part l’incapacité à anticiper l’épidémie, le plus grand naufrage de la bureaucratie sanitaire réside dans le désaveu du pouvoir politique. La justification habituelle de la massification des bureaucraties sanitaires est la séparation de la décision politique, réputée non éclairée et susceptible d’être trop sensible aux résultats électoraux, de la décision scientifique. L’un des aspects importants de la littérature liée à la Nouvelle Gestion Publique consiste à promouvoir les agences indépendantes (Benamouzig et Besançon, 2005). Or, quel a été le premier réflexe du pouvoir lorsque la pandémie s’est renforcée ? Créer par la loi sur l’état d’urgence sanitaire un Conseil scientifique covid-19 balayant de fait l’expertise des agences de santé. Inauguré le 11 mars par Olivier Véran, le Conseil scientifique covid-19, présidé par Jean-François Delfraissy[73], a pour objectif d’« éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire ». Il prend la place que devrait occuper le Haut conseil de santé publique (HCSP). Fondé en 2004, le HCSP a pour mission de « fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu’à la conception et à l’évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire »[74]. Outre le HCSP, d’autres agences sanitaires déjà existantes auraient pu largement contribuer à la gestion de la crise sanitaire, notamment la Haute autorité de santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et Santé publique France (née en 2016 à la suite de la fusion de plusieurs agences dont l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et l’Institut de veille sanitaire). La création d’un Conseil scientifique ad hoc prenant la place des agences existantes tend à démontrer que la justification habituelle des agences sanitaires n’est peut-être pas si évidente. Plutôt que de séparer le politique du scientifique, les bureaucraties sanitaires semblent avoir surtout pour objectif de produire des normes visant à contrôler la production de santé et le travail des professionnels et par là même de participer aux contrôles des dépenses de santé.

Les masques

Parmi les déboires de la bureaucratie sanitaire, celui qui risque de rester le plus longtemps dans les mémoires concerne l’incapacité à résorber la pénurie de masques. Selon les enquêtes de Mediapart, corroborées par d’autres sources, la gestion des masques constitue non seulement un mensonge d’État[75] – sur l’ampleur de la pénurie – mais aussi un fiasco d’État[76] – sur l’incapacité à se procurer des masques. Alors qu’à la fin janvier le ministère de la santé constate à la fois la faiblesse des stocks de masques et l’envergure de l’épidémie à venir, les commandes de masques se font encore à un volume très faible. Si en début d’année, l’État dispose d’un stock d’environ 100 millions de masques, Santé publique France semble incapable de passer des commandes et une cellule interministérielle est créé le 4 mars. Au 21 mars elle n’a réussi qu’à réunir 40 millions de masques supplémentaires – en ignorant les offres de services d’entreprises françaises ayant des contacts en Chine.

Le 3 mars le gouvernement publie un décret de réquisition des stocks et de la production de masques sur le territoire (pas des entreprises productrices). Le 20 mars il autorise à nouveau les importations de masques, notamment par les collectivités territoriales qui peuvent passer directement par leurs contacts dans les pays producteurs. Si les décrets de réquisition ont été publiés ils ont été utilisés de façon modérée : le ministère de la santé a décidé de réquisitionner les stocks de l’industrie mais cela a été refusé dans certains secteurs pourtant très consommateurs comme l’agroalimentaire et l’aéronautique. Le cas de l’aéronautique interroge particulièrement dans la mesure où la plupart des avions étaient cloués au sol et que la construction de nouveaux avions ne paraissait pas faire partie des « activités essentielles ». Concernant les réquisitions, il faut aussi noter qu’à partir du décret du 20 mars seules les commandes de plus de 5 millions de masque faisaient l’objet d’une déclaration et d’une réquisition potentielle.

La stratégie destinée à pallier la pénurie a donc peu reposé sur les principes de l’économie de guerre. Il n’y a pas eu de nationalisation et les réquisitions ont été très partielles, d’autant plus que certains secteurs non essentiels n’étaient pas concernés. Le choix de l’exécutif a été de faire confiance à l’ajustement marchand en achetant massivement des masques aux producteurs habituels. Cependant, cette stratégie d’association public-privé a buté sur la surchauffe du marché. Les prix se sont envolés, les livraisons ont été lentes, certaines commandes ont été vendues aux plus offrants, etc.

La situation est d’autant plus problématique que dans un article du 9 mai 2020, Le Monde rapporte que Jérôme Salomon, membre de l’équipe de la ministre de la Santé Marisol Touraine (2013-2015), puis directeur de Santé Public France (2016-), connaissait la situation et avait alerté le candidat Emmanuel Macron. Alors qu’en « mai 2019 le Haut conseil de la santé publique recommande 1 milliards de masques », les destructions de masques n’ont pas cessé, même pendant l’épidémie. Les auteurs en concluent au « sentiment d’une faillite de l’État ».

Voyant la pénurie arriver et ne voulant pas la reconnaitre, le pouvoir politique a préféré minimiser l’intérêt du port du masque pour la population non malade. Dès le 24 janvier le ministère de la santé explique que « ‘le port de ce type de masque par la population non malade afin d’éviter d’attraper la maladie n’est pas recommandé’, et que ‘son efficacité n’est pas démontrée’ »[77]. Le 24 février le ministre de la santé affirme à nouveau que « [le] port du masque par la population non-malade n’ayant pas voyagé dans les zones à risque n’est pas recommandé car son efficacité n’est pas démontrée »[78]. Entre janvier et mars la politique de l’exécutif est de ne recommander le masque que pour les soignants et les malades alors que les médecins savent que le masque est indispensable pour toute la population dans le but de limiter la propagation de la pandémie[79].

Comment ne pas comprendre la méfiance des citoyens face aux annonces sanitaires du gouvernement quand à partir d’avril, dans l’optique du dé-confinement du 11 mai, le masque devient progressivement obligatoire ? Le port du masque devient obligatoire dans les transports en commun, dans les collèges, pour les députés, en université, dans les lieux clos (commerces notamment), sur les chaînes de production, etc. En août le port du masque se généralise peu à peu dans la rue, d’abord par des décisions localisées (Paris, Bordeaux, Strasbourg, etc.) puis par des décisions nationales. Face à l’opposition de certaines entreprises, l’obligation est remise en cause dans un certain nombre de cas particuliers[80]. Ce revirement est d’autant plus étonnant que pendant le confinement l’inspecteur du travail Anthony Smith a été sanctionné par sa hiérarchie pour avoir voulu appliquer l’obligation du port du masque dans une entreprise de service à domicile. Cette situation ubuesque s’est soldée par la relaxe de l’inspecteur du travail et par la démission du Directeur général du Travail (DGT), Yves Struillou, mécontent de l’issue de ce dossier[81].

Entre temps, pris en étau entre la pénurie et l’obligation de port du masque, l’État a décidé de valider le principe de « masques grand public »[82]. Faute de masques FFP2 et de masques chirurgicaux, le pouvoir a organisé une concertation entre 242 entreprises textiles françaises[83] pour produire des masques d’un type nouveau qui ont la particularité de ne respecter aucune norme sanitaire en vigueur avant l’épidémie. La qualité de ces masques est si peu fiable qu’ils sont interdits pour les soignants. Nous vivons donc depuis cette date une situation où si la quasi-intégralité de la population porte un masque dans la rue, on ne sait pas quelle est leur efficacité. Comme les masques jetables certifiés, les masques lavables ont une durée de vie très courte et il est impossible de savoir quel est le niveau de protection des masques portés quotidiennement. Au-delà de la controverse sur la qualité des masques grand public, la pénurie de masque et la rupture des chaînes de production internationales a attiré l’attention sur l’extrême dépendance de la France vis-à-vis des producteurs étrangers. Cela a conduit à valoriser les filières locales mais uniquement pendant une période très courte puisque dès la mi-août les entreprises françaises regrettaient que l’État préfère se fournir auprès de producteurs étrangers au risque de détruire l’emploi dans l’hexagone[84].

Les tests

Un aspect majeur de la lutte contre la pandémie, martelé par l’OMS, est la capacité à tester largement la population pour isoler les personnes contaminées. Là encore la bureaucratie sanitaire a montré son impréparation et son incapacité à réagir massivement. Face à la pénurie de tests, la doctrine a consisté à ne tester que les cas suspects permettant au virus de se diffuser par les cas asymptomatiques. À la fin avril, après 2 mois de pandémie, le gouvernement demeurait dans l’ignorance des capacités de test et a demandé un audit à un cabinet privé à ce sujet (cabinet de conseil Bain)[85]. A quoi servent les agences sanitaires si elles ne disposent pas d’informations sur les capacités de production du système de santé ? Au 28 avril, la France teste environ 9,1 personnes pour mille contre 23,1 pour mille en moyenne des pays de l’OCDE. Le 29 mars le gouvernement refuse l’offre de service des cabinets vétérinaires départementaux, les laboratoires de recherche public et privé ont également été mis à l’écart jusqu’au 27 mars.

Alors qu’Olivier Véran affirme que la politique de test est la bonne et qu’il sera possible de réaliser rapidement 700 000 tests par semaines, le Professeur Froguel (CHU de Lille et Imperial College of London), interrogé par France info le 1er mai, dénonce les mensonges du gouvernement[86]. Selon lui, le nombre rapporté de test est surévalué et il ne sera pas possible de réaliser l’objectif de test avant le 11 mai. La désorganisation étant la règle, les pénuries sont toujours importantes – tout comme les difficultés à s’approvisionner en réactifs sur les marchés.

D’après les calculs rapportés dans un article de France Culture, entre le 24 février le 11 mai, 831 174 tests ont été réalisé[87]. Les enquêteurs demandent alors comment penser qu’il sera rapidement possible de réaliser chaque semaine autant de tests que depuis le début de l’épidémie ? La stratégie du gouvernement repose notamment sur la commande de 20 machines chinoises permettant de réaliser plus de 2 000 tests par jours. Cependant, plusieurs professionnels regrettent le coût de ces machines et le temps de formation nécessaire avant de pouvoir les utiliser. Selon Vincent Thibault, chef de service du laboratoire de virologie au CHU de Rennes : « on nous a envoyé une machine et un fournisseur qu’on ne connaissait pas. Si on m’avait donné le budget débloqué pour cette plateforme, j’aurais pu mettre en place quelque chose de beaucoup plus fiable et maitrisé. On a l’impression qu’une décision a été prise par des technocrates qui n’ont jamais mis les pieds dans un laboratoire et qui se sont dit : ‘Comme il faut faire 700 000 tests par semaine, on va balancer 20 automates à des hôpitaux.’ D’autres solutions étaient possibles pour arriver à 2 000 tests quotidiens. » » Il se trouve par ailleurs que la machine demande des consommables (écouvillons) eux-mêmes en pénurie.

Les lits

Etant dans l’incapacité de contrôler l’épidémie avant qu’elle n’arrive à un stade critique, l’État et ses bureaucraties sanitaires sont responsables de la pénurie de lits de réanimation dans les hôpitaux. C’est probablement le type de pénurie le plus difficile à mettre en évidence. Deux indicateurs permettent néanmoins de l’illustrer. D’abord, le confinement est la stratégie de dernier recours quand toutes les étapes précédentes ont échoué. Sans masques ni tests, la pandémie s’est développée et le confinement, en diminuant le nombre de malade, permet de ralentir l’afflux vers les hôpitaux en tentions. Plus que l’usage spectaculaire de TGV médicalisés[88] et d’hôpitaux de campagne[89], le second indice de la pénurie de lits est le tri des patients à soigner ou non.

Dès la mi-mars plusieurs articles rapportent des témoignages de professionnels s’apprêtant à trier les patients à soigner. Dans un article du 20 mars Mediapart mentionne plusieurs cas d’hôpitaux mettant en place des procédures de sélection des patients[90]. Selon une documentation interne de l’hôpital de Perpignan, certains décès ont qualifié de « Morts évitables : auraient pu être évités en cas de soins de meilleure qualité ou de meilleurs organisation »[91]. Selon un témoignage anonyme d’un professionnel de CHU, la consigne de priorisation des malades est implicite mais elle existe : « On ne le dit pas, car on ne peut pas mais la consigne tacite, c’est de ne plus prendre les plus de 75 ans à l’hôpital, de les laisser dans les EHPAD ou chez eux, c’est-à-dire de les laisser mourir. » D’après une infirmière de l’hôpital de Mulhouse, « Les personnes âgées atteintes d’un Covid en EHPAD ne sont plus transportées à l’hôpital. On se contente de leur donner des soins de confort, pour soulager la douleur. C’est très difficile : on n’est pas là pour choisir celui qui doit vivre et celui qui doit mourir. »

La stratégie non assumée de gestion de la pénurie de lits a donc été la priorisation en fonction de l’âge. Cela explique probablement en partie la situation catastrophique des EHPAD en termes de mortalité. D’après le démographe Jean-Marie Robine, la moitié des personnes décédées sont résidentes en EHPAD (mortes sur place ou à l’hôpital lorsqu’elles ont pu être transférée), soit 13 226 personnes sur 26 280 ; au 10 mai)[92]. L’absence de publication de chiffre précis au sujet des EPHAD s’expliquerait par la volonté de dissimuler l’absence de protection des maisons de retraites – le matériel de protection en pénurie ayant été dirigé vers les soignants.

S’il est difficile d’établir un bilan, plusieurs articles font état de vies qui auraient pu être sauvées en EHPAD s’il n’y avait pas eu de tri des patients. Certains centres de régulation du SAMU ont refusé d’hospitaliser des résidents d’EHPAD jusqu’à fin mars, certains professionnels expliquant que face aux refus répétés de prise en charge, ils ont cessé de demander de l’aide à l’hôpital public[93]. Dans ce cadre général, plusieurs EHPAD ont été débordés si bien que les hécatombes se sont succédées tant dans le public que dans le privé. Dans l’EHPAD privé de Crouy-en-Thelle, les familles ont appris par la presse le décès d’une vingtaine de personnes au cours de la pandémie[94].

En plus des résidents d’EHPAD, d’autres catégories de patients ont pu être victime de la pénurie de lits. Selon un article de Bastamag, ce serait le cas des personnes en situation de handicap, alors que le handicap n’est pas un facteur de risque pour le covid-19[95].

Le drame de la pénurie de lits s’est doublé de sa gestion par la bureaucratie sanitaire : une gestion dans le plus grand silence. Jamais des consignes claires et assumées de hiérarchisation des patients n’ont été officialisées, ce qui peut cacher des situations d’inégalités extrêmes face à la maladie. On peut comparer la situation française au cas britannique où le National Health Service a publié très rapidement des guides pratiques de prise de décision en situation de pénurie.

Ces guides sont glaçants mais ils ont le mérite d’assumer l’existence d’une pénurie à organiser. Dans ces documents, les professionnels de santé sont invités à calculer un score à point en fonction de plusieurs critères (âge, échelle de fragilité, comorbidité). Les personnes jugées les moins à risques sont, dans ce cadre, prioritaires sur l’usage des ressources rares. Il ne s’agit pas ici de défendre le principe du calcul médico-économique, largement répandu outre-manche[96], mais simplement de souligner le fait que la gestion de la pénurie en France s’est faite dans le plus grand silence – sans explicitation des critères de justice sous-jacents.

Les médecins

Des travaux spécifiques devraient être consacrés à la pandémie en outre-mer. La situation y est différente et, pour certains territoires, bien pire. En attendant, on peut simplement souligner que la France, après avoir hésité, a accepté fin mars l’aide de médecins Cubains pour les territoires de Martinique, Guyanne, Saint-Pierre-et-Miquelon[97]. 15 premiers médecins sont arrivés en renfort en Martinique en juin pour une mission de deux mois[98].

StopCovid

Dès les premières semaines de l’épidémie, les pouvoirs publics se sont intéressés aux stratégies numériques mises en place par d’autres pays permettant d’endiguer la progression de l’épidémie. A Singapour par exemple, l’application TraceTogether permettrait de « détecter si deux individus sont restés à proximité l’un de l’autre durant plus de quinze minutes. » [99]

Lancée le 15 mars, l’application a été téléchargée par seulement par 20% de la population (5,6 millions de personnes), bien en dessous de l’objectif de 60% permettant réunir la quantité suffisante de données pour être efficace. Le 21 avril l’application devient obligatoire, alors que des doutes se multiplient sur l’éventualité d’une surveillance de masse dépassant le strict objectif sanitaire.

D’autres pays se sont lancés dans ce traçage généralisé comme la Chine, la Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan, Singapour, etc. L’objectif initial est toujours le même : retracer l’itinéraire du virus ce qui permet de tester les personnes et de les isoler en cas de contamination. Le risque sur les libertés publiques est également toujours le même.

Si on peut largement douter de l’utilité de ces usages du numérique pour la santé publique[100], l’État français a décidé, après que le ministre de l’Intérieur ait déclaré que le traçage numérique ne se ferait pas car cela ne fait pas partie de la « culture française »[101], de lancer une application nationale de traçage nommée StopCovid. Présentée le 8 avril dans un entretien au journal Le Monde, Olivier Véran explique qu’il s’agit de « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission »[102].

Autre symbole de l’incapacité de tester massivement la population et de lui procurer des masques, l’application StopCovid renforce l’idée d’un nouvel échec du duo État/capital. Le lancement de l’application, prévue pour le début du dé-confinement le 11 mai, est finalement lancée le 2 juin[103]. Même si le gouvernement a tardé à le reconnaître, il s’agit d’un nouveau revers pour le pouvoir. Jean Castex, premier ministre depuis le 3 juillet 2020 en remplacement d’Édouard Philippe, le reconnait le 26 aout[104]. À cette date l’application n’avait été téléchargée que 2,3 millions de fois (avec très peu de mises en service réelles) et alerté uniquement 93 personnes.

En plus d’une efficacité très faible, l’entretien de l’application a été très coûteuse eu égard aux standards habituels[105]. L’association Anticor a même saisi la justice à ce sujet pour soupçon de favoritisme[106]. Initialement, l’application devait être développée bénévolement par des entreprises françaises du secteur (Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studio, Orange, Withings) mais il semblerait que les coûts d’entretien soient largement surfacturés, ce qui laisse penser à un paiement rétroactif.

La défense inconditionnelle du capital

Durant toute la période de la crise, la contrainte que s’est imposée le plus haut sommet de l’État est de ne jamais remettre en cause le capital. C’est pourquoi il n’est pas possible analytiquement de séparer l’échec de la bureaucratie sanitaire de la défense inconditionnelle du capital.

Le refus des outils de l’économie de guerre s’est vu à l’Assemblée alors que l’opposition portait des projets modestes de nationalisation, de réquisition et d’imposition[107]. Socialistes, communistes et insoumis ont proposé ensemble ou séparément la nationalisation de Luxfer (fabricant des bouteilles d’oxygène), de Famar (fabricant une molécule à la base de la chloroquine), la réquisition d’entreprises du textile, la création d’un pôle public du médicament, etc.

Dans le but de faciliter financièrement le confinement pour les ménages modestes, un moratoire sur les loyers a été demandé, tout comme l’augmentation du salaire minimum et la distribution de chèques vacances et bons alimentaires pour les étudiants apprentis et boursiers. Enfin, la réintroduction de l’Impôt de solidarité sur la fortune devait permettre de partager le financement des mesures de crise[108].

Aucune de ces mesures n’a été envisagée par le gouvernement. Toute l’action du gouvernement a consisté à s’en remettre aux volontés des marchés, c’est-à-dire des détenteurs de capitaux. C’est ainsi que le 31 mars Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, a lancé un appel au don pour financer un fond d’indemnisation pour les travailleurs indépendants[109]. Fondé sur le volontariat, ce fond a été moquée en coronathon : refusant d’imposer une taxation supplémentaire, l’État a décidé de basculer dans l’appel à la charité[110].

En plus de la charité, le gouvernement attend des fonds pour l’hôpital par la vente de mobilier national théoriquement inaliénable[111]. En effet, le Mobilier national, service rattaché au ministère de la Culture, organise une vente aux enchères au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France. Prévue fin septembre, cette vente concernera des meubles des époques Louis-Philippe et XIXè siècle. Au-delà du symbole d’une charité privée venant au secours du bien public, certains commentateurs n’ont pas hésité à interroger la légalité du procédé. Il est possible que cette action relève de la prise illégale d’intérêt dans la mesure où Emmanuel Macron, président de la République, organise une vente de biens publics au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, présidée par Brigitte Macron[112].

A l’hôpital de Montauban, une initiative du même esprit a provoqué la colère des soignants[113]. Après avoir reçu des dons d’entreprises et de particuliers, la direction de l’hôpital a décidé de distribuer les gains sous forme d’une tombola. Plusieurs lots étaient en jeu comme des bons d’achat, des séances d’ostéopathie, un séjour pour les vacances, etc. Cela a provoqué l’indignation des riverains et des professionnels dans un contexte où des « dizaines de milliers d’heures supplémentaires effectuées sont en attente de paiement pendant des mois, et tout aussi régulièrement des services, des lits et des postes sont supprimés sous le prétexte que l’hôpital serait en déficit. »

La charité n’a pas seulement été mobilisée pour renflouer les caisses de l’État ou pour pallier la faiblesse des salaires des professionnels de santé mais aussi pour pallier aux pénuries de masques et de gel hydroalcoolique. À la mi-mars, alors que le gel vient à manquer, la firme LVMH satisfait à sa promesse de don en distribuant ses premiers flacons[114]. Les gels ont été produit sur les sites de production de marchandises de luxe (Dior, Guerlain et Givenchy) et livré gratuitement aux hôpitaux de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Si une polémique a éclaté lors de la vente par un supermarché Carrefour des gels LVMH alors qu’ils devaient être gratuits[115], l’essentiel n’est pas là : plutôt que de réquisitionner, nationaliser et taxer, la politique du gouvernement a consisté à laisser l’initiative au capital – avec les résultats que l’on connait.

Le couple État / capital a été également très inefficace dans la gestion de la pénurie de masques. Comme nous l’avons évoqué dans la section précédente, le recours à l’ajustement marchand en période de pandémie a conduit à des retards de livraison, à la perte de commande au profit de plus offrants et à l’augmentation des prix. En plus de cela, la stratégie de mise à disposition des masques produits et achetés doit être évoquée. En effet, alors que les soignants faisaient face à la pénurie de masques, les supermarchés ont été en mesure d’en stoker des millions en vue de les mettre en vente libre à partir de 3 mai.

Le 30 avril, un communiqué rassemblant les principaux ordres professionnels de la santé (médecin, sages-femmes, infirmiers, Chirurgiens-dentistes, masseurs-Kinésithérapeutes, pédicure-podologues, pharmacien) a critiqué violemment les grandes enseignes de distribution :

« Toute guerre a ses profiteurs. C’est malheureusement une loi intangible de nos conflits. Comment s’expliquer que nos soignants n’aient pas pu être dotés de masques quand on annonce à grand renfort de communication tapageuse des chiffres sidérants de masques vendus au public par certains circuits de distribution. »[116]

D’après les annonces publicitaires 515 millions de masques seraient en vente début mai, dont au moins 65 millions le 4 mai[117]. Etant donné les contraintes logistiques (acheminement, stockage, mise en rayon, etc.), comment explique-t-on que les grands distributeurs aient pu se procurer autant de masques alors les professionnels de santé en étaient privés ?

À défaut de masque ou de gel, le groupe de luxe Kering a fait un don d’une soixantaine d’imprimantes 3D à l’AP-HP[118]. Ces machines peuvent fabriquer des embouts et composants essentiels pour les respirateurs. Encore une fois, la charité est censée remplacer la planification.

Pendant que le capital pouvait organiser tranquillement les actions qu’il souhaitait mener dans le cadre de la pandémie, il a été fortement protégé par l’État : report de cotisations, d’impôt, garanties d’État sur les emprunts bancaires, etc. Mais ce n’est pas tout, le contrôle des conditions de travail n’a pas été un objectif prioritaire. En plus du cas d’Anthony Smith mentionné plus haut, plusieurs travailleurs ont été sanctionnés pour avoir demandé le respect des règles sanitaires. Cela a été le cas par exemple à Toulouse où deux infirmiers qui demandaient des masques et dénonçaient les conditions sanitaires dans l’EHPAD où ils travaillaient ont été licenciés[119].

Autre aspect important de la relation État-capital, la recherche d’un vaccin pose également des questions tant la réputation de l’industrie pharmaceutique est sulfureuse. Sans pôle public du médicament, il s’est installé une concurrence malsaine entre les industriels du médicament dans le but capter le plus de ressources publiques possibles. On se rappelle par exemple que le mercredi 13 mai le directeur de Sanofi a déclaré « qu’il distribuerait en priorité un éventuel vaccin contre le coronavirus aux États-Unis, car ils ont investi 30 millions de dollars dans ses recherches. Une exclusivité qui aurait pu être de plusieurs jours voire plusieurs semaines »[120].

Les relations public-privé sont la règle dans ce secteur où l’on a appris que le laboratoire américain Merck a acheté les droits des travaux de l’Institut Pasteur, en partie financé par le l’Etat français[121]. Comme le souligne un article dans Le Monde du 25 juin « les laboratoires vendent des promesses, les États achètent de l’espoir ». Les États financent sans contrepartie sur le partage des données, sur la règlementation des prix, sans réflexion sur le ciblage des premiers approvisionnements.

Par ailleurs, les recherches ne portent pas tant sur un objectif de guérison que celui de réduction de la sévérité de la maladie. En concentrant les recherches sur la volonté de détourner le virus des poumons, il tout à fait possible qu’il se développe autre part et que cela soit plus grave : « Et si, scénario cauchemar rencontré il n’y a pas si longtemps avec la dengue, le vaccin augmentait le risque d’une infection plus grave ? »

Ni l’État, ni le capital : l’auto-organisation pendant la pandémie

Si l’État et le capital ont échoué à endiguer rapidement la pandémie, il faut souligner la multiplication d’initiatives auto-organisées. Dans un article du 19 avril Hadrien Clouet et Maxime Quijoux ont relaté des initiatives de salariés déterminés à faire face à la pandémie[122]. Dans la Creuse, des couturières au chômage technique se sont remises au travail pour produire des masques. Des salariés d’un McDonald’s ont utilisé leur lieu de travail comme lieu de production alimentaire alternatif destiné aux plus démunis. Les auteurs ont montré par ailleurs que dans les entreprises rompues à l’auto-organisation des salariés, la révision des conditions de travail en fonction des contraintes sanitaires ont été largement facilités :

« À Rennes, la coopérative funéraire a récemment mis en place toute une série de dispositifs à la fois d’entraides pour ses salariés – masques, etc. – mais aussi pour les familles de défunt·e·s afin de pouvoir assister aux obsèques. Plusieurs fédérations d’employeurs coopératifs, comme celle du Bâtiment, plaident pour obtenir des pouvoirs publics un durcissement du périmètre des entreprises laissées en activité. Contrairement aux grands groupes capitalistes financiarisés, ces employeurs tentent de limiter l’activité, afin de lever la tension entre santé publique (au niveau du pays) et parts de marché (au niveau de chaque entreprise individuelle). »

Ces mouvements auto-organisés ont parfois été entravés par l’État comme dans le cas de la production de visières pour le personnel soignant. A l’aide d’imprimantes 3D de nombreuses visières ont été imprimés au plus fort de la pénurie. Mais le 23 avril la direction générale du travail et la Direction générale des entreprises ont révisé les normes de production des visières de façon à empêcher le don ou la vente à prix coutant. La logique à l’œuvre est de protéger les industriels classiques, désormais capables de prendre le relais, d’une « concurrence déloyale » provenant de bénévoles[123].

Ce mouvement d’auto-organisation a été qualifié de « mutation très politique de la société française » par François Bonnet[124]. L’auteur énumère les secteurs d’activité où des initiatives par le bas ont émergés, bien sûr chez le personnel soignant, mais aussi ailleurs :

« Car ce que disent aussi cette floraison d’initiatives et de mobilisations, ces capacités d’auto-organisation et d’innovation, c’est combien cette crise sanitaire a achevé de dévoiler l’archaïsme dangereux de notre système politique. Un pouvoir arrogant et prétentieux d’un coup mis à nu par une pénurie de masques. Un pouvoir vertical et centralisateur soudain obligé de s’en remettre aux élus locaux qu’il méprisait et aux citoyens qu’il sermonnait. »

Dans cet esprit, pour Yohann Emmanuel, le piège de la période consiste à voir un retour de l’État alors que celui-ci ne fait que continuer « à remplir sa fonction de garant du système capitaliste, même s’il le fait d’une manière directe et particulièrement visible »[125] :

« Plus encore que celle de 2008, la crise actuelle démontre que, malgré toutes ses défaillances, si l’État ne peut pas tout, il peut beaucoup, mais que sa puissance est au service du système capitaliste. Elle révèle donc ce qu’ont de faux les deux idéologies dominantes symétriques : le discours néolibéral qui veut faire oublier le rôle de l’État ; le discours étatiste-souverainiste qui veut laisser penser que l’État est parfaitement autonome. »

Au total, on peut se demander dans quelle mesure l’échec du capitalisme sanitaire ne peut-il pas faire renaitre l’idée de l’auto-organisation – contre l’État et contre le capital ?

Inégalités et covid-19

Le développement du covid-19 à partir de début mars a eu un effet tétanisant sur la société. L’énumération quotidienne du nombre de morts en Italie puis en France a semblé être un puissant unificateur. Ne serions-nous pas tous égaux face à la maladie ? Cela ne justifie-t-il pas en conséquence une action massive de l’État afin de protéger une population également en danger ?

D’une certaine manière le début du confinement a fait mentir des décennies de politique publique visant à responsabiliser les individus de leur état de santé. On ne choisit pas d’être malade comme on choisit d’aller voir tel ou tel film au cinéma. Cela fait échos aux travaux en économie politique de la santé qui insistent sur le fait que la santé est un besoin et non une préférence (Batifoulier et al., 2012).

Pour la théorie économique dominante tout se passe comme si les individus avaient un capital santé à gérer tout au long de leur vie en fonction de leurs préférences. Or, si la maladie est de la responsabilité du malade, car il a préféré prendre un risque plutôt que d’adopter un comportement prévenant, il doit payer plus pour les soins et cela justifie une dépolitisation de la santé. Avec la pandémie du covid-19, pendant un bref instant, on a pu penser que la maladie frapperait de façon homogène la population. D’où le moment bref de résurgence du politique et d’oubli de la contrainte économique.

Néanmoins, assez rapidement il a été mis en évidence que comme pour la plupart des pathologies, le covid-19 choisit ses victimes. Non seulement il est possible de montrer que certains groupes sociaux sont plus touchés que d’autres mais aussi que l’accès aux soins est inégalitaire. Que sait-on sur la dimension inégalitaire du covid-19 ?

La plus flagrante des inégalités a déjà été évoquée dans la section précédente. Il s’agit de la sélection des patients : certains ont été soignés d’autres pas en raison de leur âge, de leur résidence dans un EHPAD, de leur situation de handicap, etc. Une autre inégalité importante porte sur les reports de soins : en raison de la pénurie de lits pour traiter les patients atteints de Covid-19, de nombreux soins qualifiés de non-urgents ont été déprogrammés. Or, les retards de soins sont souvent synonymes de dégradation de la qualité de vie et de perte de chance.

La CNAM a alerté au moins depuis le mois de juin sur les effets négatifs des reports de soins d’un point de vue sanitaire et organisationnel[126]. Pendant le confinement, le nombre d’actes de chirurgiens-dentistes a chuté de 80 à 90%, les généralistes et la sages-femmes ont baissé leur activité de 30%, la vaccination contre le papillomavirus a chuté de 43%, la vaccination ROR (rubéole, oreillon, rougeole) a chuté de 16%, le nombre de dépistage du cancer colorectal est descendu de 75 000 par semaine au début de l’année contre 5 000 par semaine à la mi-mars, etc.

Dans un article de Libération du 17 septembre 2020, Sophie Crozier, membre du collectif inter-hôpitaux s’est alarmée des conséquences de déprogrammation : « On commence à mesurer les dégâts de cette stratégie ce sont des cancers pris avec retard, des maladies chroniques qui se sont aggravées, des pertes de chance à la pelle. On a fait du tri parce que l’on ne comptait que les morts Covid à la télé ». En d’autres termes, pendant le confinement la priorité était de traiter les cas covid-19 au détriment des autres – sans qu’aucun critère de justice n’ait été débattu publiquement.

La CPAM 93 a publié le 24 avril des données liées à l’activité en ville permettant d’avoir une idée de la baisse de la consommation de soin pendant le confinement[127]. Les données comprenaient le nombre de consultations réalisées par les médecins généralistes, spécialistes et centres de santé (2019 vs 2020) avec à chaque fois l’évolution des téléconsultations et la situation spécifique des patients en Affection longue durée. De façon attendue, avec le confinement, toutes les formes de consultations baissent drastiquement à partir du début du confinement (semaine 12)[128]. En semaine 15 (6-12 avril), l’activité a baissé de 43% pour les généralistes, de 73% pour les spécialistes, de 76% pour les centres de santé.

Alors que la baisse du volume d’acte pour les spécialistes est moins forte pour les patients ALD que pour les autres, elle est plus forte pour eux pour les actes généralistes et de centre de santé. On observe une hausse massive des téléconsultations, plus forte chez les généralistes que chez les spécialistes. Pour les généralistes, entre la hausse des téléconsultations et la baisse des autres formes d’activité, la téléconsultation représente 29% du total en S12 contre 0% en début d’année.

Certaines des villes les plus pauvres (Bobigny, Aubervilliers, Clichy sous-bois) semblent montrer un décrochage plus fort que la moyenne. Ce lien reste à confirmer car c’est l’inverse qui se passe à La Courneuve (plus pauvre) et aux Lilas (plus riche). En tous cas, la baisse des consultations en hôpital se double d’une baisse des consultations en ville (généraliste, spécialistes, centre de santé), malgré la hausse des téléconsultations. Les patients ALD sont susceptibles d’être plus frappés que les autres, sauf pour les soins spécialistes.

La DRESS a publié en juillet une veille documentaire sur les inégalité sociales face au Covid-19[129]. Elle souligne la double dimension des inégalités dans le cas de cette pandémie : l’inégalité face au virus (exposition différentielle, vulnérabilité différentielle, accès inégal aux soins) et l’inégalité face au confinement.

Les inégalités sociales face au virus comprennent le risque d’exposition plus élevé pour certaines activités professionnelles. Les risques sont plus élevés pour le personnel soignants et les travailleurs précaires. Dans le secteur agro-alimentaire 50% des travailleurs étaient encore sur site pendant le confinement (40% dans la santé et l’action sociale, 30% dans le transport). Le rapport de la DREES cite une étudie de l’INED selon laquelle 1/3 des cadres ont été obligés de sortir de chez eux pendant le confinement contre ¾ des employés et 96% des ouvriers.

Les conditions de vie et la promiscuité sont une autre inégalité sociale face au virus : les chances d’être contaminés sont plus élevées dans lorsque l’on réside en logements collectifs ou en établissements fermés. Le mal logement et le surpeuplement sont des situations à risque. L’inégalité d’accès aux mesures de protection constitue un autre facteur d’inégalité face au virus. Il s’agit de l’accès au matériel de protection (masques, gel hydro alcoolique, gants, produits d’hygiène, etc.) mais aussi la compréhension des mesures sanitaires de prévention et la confiance vis-à-vis des autorités. L’inégalité d’accès aux soins se mesure aussi par le fait d’avoir une complémentaire santé permettant de financer la part non remboursée par la sécurité sociale.

Concernant les inégalités sociales face au confinement, la DREES souligne plusieurs points d’attention. Des risques accrus sur la santé mentale semblent probables tant chez les personnes conservant une activité que les autres (anxiété, trouble du sommeil, de la concentration, tristesse). Le confinement accroît les risques sur la sécurité physique des personnes (suicide, violence sur les femmes et les enfants principalement, etc.). Enfin, la DREES pointe le risque d’augmentation significative du travail domestique à la charge des femmes.

Les craintes de la DREES ont été confirmées par les premiers résultats obtenus. Une étude menée par Nadine Levratto et ses collègues a mis en évidence les effets différenciés de la pandémie sur les inégalités territoriales[130]. À partir d’une approche d’économie spatiale, les auteurs montrent que le taux d’hospitalisation est positivement corrélé à la part des ouvriers dans la population active. Dans ces territoires, le télétravail était moins fréquent et les plans de continuité de l’activité plus fréquents. De même, les auteurs trouvent que dans les zones où il y a moins de service d’urgence, il y significativement plus d’hospitalisation, suggérant qu’une meilleure prise en charge permet de réduire le risque d’évolution dangereuse de la maladie.

D’autres travaux ont également cherché à montrer le lien entre pauvreté et covid-19. Par exemple, dans une étude de Paul Brandily et collègues[131], les auteurs montrent que la surmortalité due au covid-19 est significativement plus forte dans les communes faisant partie des 25% les plus pauvres (+88% contre +55%). L’essentiel de cette différence s’explique par le surpeuplement des logements et la fréquence des contacts sociaux liées aux métiers. Les auteurs parlent ainsi d’« une pandémie de la pauvreté »[132].

Pour le temps du confinement, le fait que les classes populaires soient plus touchées par la pandémie en raison de leur maintien au travail a mis en avant le sentiment d’un retournement des représentations : ce sont les classes populaires qui permettent aux classes dirigeantes de vivre et pas l’inverse. Comme l’a souligné la sociologie Marie-Hélène Bacqué par exemple,

« Malgré la pandémie, le RER ne s’est jamais arrêté de circuler car il est un fil indispensable pour faire vivre la métropole. […] Ce sont les populations aisées, avec des emplois qualifiés, qui sont dépendantes des personnes qui occupent des emplois précarisés. Les livreurs, les aides-ménagères, les femmes de ménage, les gardiens… Toutes ces personnes ont continué à travailler pendant le confinement et ont permis aux autres de rester confiné. Et le RER est le fil qui relie ces deux mondes. »[133]

La parenthèse n’a pas durée et les promesses de lendemain qui chante se sont estompées. Ce changement regard doit être l’opportunité d’interroger le lien entre pauvreté et risque d’être atteint du covid-19. Ce n’est peut-être pas parce qu’ils sont pauvres qu’ils sont malades, mais parce qu’ils sont exploités. Comme on l’a vu, les travaux montrent qu’il existe un lien statistique entre le niveau de revenu et la probabilité d’être atteint du covid-19.

Néanmoins, ce n’est pas la pauvreté monétaire, c’est-à-dire le fait d’avoir peu d’argent, qui explique que l’on tombe malade du covid-19. Le virus ne regarde pas le compte en banque des gens. La pauvreté monétaire n’est qu’un indicateur d’une réalité sociale plus importante : la place dans le rapport de production – autrement dit le capitalisme – et la capacité de résister aux ordres des propriétaires des moyens de production.

Le virus se diffuse par contacts longs et rapprochés. Quelles sont les métiers qui supposent le plus de contacts non réductibles par le télétravail, la suspension de l’activité ou l’amélioration des conditions d’hygiène ? L’hôtellerie-restauration, le transport et la logistique, les services à la personne, l’entretien, l’industrie agro-alimentaire, etc. Dans tous ces secteurs, la grande mode du confinement a été de reconnaitre qu’ils étaient essentiels (donc impossible à suspendre ; stay at work !) mais très mal rémunérés.

Le rapport de force des travailleurs avec le capital y est défavorable depuis longtemps et il a été extrêmement difficile d’obtenir la suspension de certaines de ces activités, le télétravail ou le respect de conditions d’hygiène drastiques. C’est d’ailleurs parce que le rapport de force y est défavorable que ces travailleurs ont aussi de petites rémunérations et peu de reconnaissance sociale. Ces petites rémunérations impliquent que ces travailleurs habitent en périphérie, qu’ils utilisent plus souvent les transports en commun bondés et qu’ils vivent dans des logements surpeuplés.

Ce n’est donc pas la pauvreté qui rend malade, c’est l’intensité de l’exploitation Qu’est-ce que cela change d’un point de vue d’économie politique ? L’augmentation des salaires est bonne à prendre mais elle ne changera pas les rapports de production et tout ce qu’ils impliquent de subordination dans la division sociale du travail. La prise en charge gratuite des soins est bonne à prendre mais elle arrive trop tard : en quoi le fait de rembourser les soins gratuitement implique-t-il l’obligation de prendre un risque pour sa santé ?

Quand il faudra recommencer à envoyer les plus exploités en première ligne, rien n’aura changé d’un point de vue sanitaire… même si les salaires sont meilleurs, même si les soins sont gratuits. D’où l’intérêt de focaliser l’attention sur les rapports de production plutôt que sur les inégalités monétaires qui n’en sont qu’une conséquence. Ce n’est qu’en renversant les rapports de production qu’il sera possible pour les travailleurs de définir eux-mêmes sous quelles conditions le travail n’engendre pas de risques démesurés pour la santé – peu importe leur niveau de rémunération et la gratuité des soins. La santé aussi c’est la lutte des classes.

L’introuvable « plan massif » pour l’hôpital

Le confinement a été marqué par une parenthèse de la contestation politique. En dehors des tribunes et des plateaux-télés, la population a été prise en étau entre l’injonction du « restez chez vous » et la conduite autoritaire du pouvoir (cf. section 3.1.). L’interdiction des rassemblements étant justifiée par la volonté de réduire le développement de la pandémie, l’un des faits majeurs du confinement a été la quasi-impossibilité de s’opposer à l’État.

Alors que près d’une année de grève contre l’austérité à l’hôpital n’avait pas suffi à attirer l’attention sur les professionnels de santé, pendant le confinement, ils ont été héroïsés. D’abord par les applaudissements aux fenêtres, copiés sur le modèle italien. Le président de la République a lui-même pris sa part, notamment en décalant ses interventions télévisées quelques minutes après 20 heures pour ne pas briser l’hommage[134].

Mais surtout, Emmanuel Macron a développé la métaphore guerrière lorsqu’il a fallu chercher à dissoudre toute forme de protestation. Il a utilisé la rhétorique guerrière sans utiliser les outils de l’économie de guerre. Le 25 mars il proclame à nouveau l’état de guerre contre le virus, il annonce que trois premiers soignants sont tombés dans la région Grand-Est et il demande à ce que la population refuse la division. En contrepartie, il concède les erreurs du passé et promet un « plan massif » pour l’hôpital :

« Nous serons là aussi au rendez-vous de ce que nous devons, au-delà de cette reconnaissance et du respect. J’ai demandé au gouvernement d’apporter une réponse claire et forte de court terme pour l’ensemble des personnels soignants comme pour l’ensemble des fonctionnaires mobilisés afin de majorer les heures supplémentaires effectuées et sous forme d’une prime exceptionnelle, pour pouvoir accompagner financièrement cette reconnaissance. Mais plus largement, nos soignants qui se battent aujourd’hui pour sauver des vies se sont hier battus hier pour sauver l’hôpital, notre médecine. Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons. C’est ce que nous devons à la nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. »[135]

Ces promesses doivent être mises au regard du bilan de la crise pour les professionnels de santé. Entre le lancement du plan Blanc le 6 mars et la fin du confinement le 11 mai, les personnels hospitaliers ont dû faire face à la pandémie malgré le manque de lit, le manque de personnel et les pénuries (de masques, de respirateur, blouses, de gants, etc.). En plus des conséquences sur les malades (refus et reports de soins), les conditions de travail ont engendré des contaminations de personnels hospitalier (soignants ou non) et des décès. Aucun bilan national fiable et définitif n’est pour l’instant disponible.

Au 20 avril 2020, 4 275 professionnels de l’AP-HP avaient été infectés (4% du total des effectifs) pour trois décès[136]. Au 3 juin, selon la Caisse autonome de retraite des médecins de France, 26 médecins libéraux en activité seraient également décédés du covid-19[137]. 6 000 auraient demandé un arrêt de travail du fait du Covid-19. Au 11 juin, BFM TV annonce au moins 50 000 soignants infectés[138]. Dans les établissements de santé, Santé publique France comptabilise 33 210 infectés au 7 septembre dont 16 décès (5 médecins, 4 aides-soignants, 1 professionnel de santé « autre » et 6 personnels non soignants)[139]. Cette disparité dans les chiffres s’explique par des méthodes de comptage différentes, et peut-être également par l’enjeu financier pour l’État de reconnaissance ou non en maladie professionnelle[140].

Jusqu’au dé-confinement du 11 mai, le gouvernement a cherché à désamorcer la contestation latente des professionnels de santé par des annonces multiples. Cependant, il faut rappeler qu’une semaine après la promesse du « plan massif » pour l’hôpital, Mediapart a révélé une note de la Caisse des dépôts faisant craindre l’approfondissement de la politique de santé contre laquelle beaucoup de professionnels se sont battus[141]. Avant même de critiquer les pistes évoquées par cette note, l’économiste Jean-Paul Domin a soulevé l’existence d’un problème inhérent au rapprochement du capital et de l’État dans le capitalisme sanitaire :

« N’y a-t-il pas un évident conflit d’intérêt à demander un rapport à la CDC sur l’hospitalisation ? La CDC, via une de ses filiales Icade santé, est un acteur majeur de l’hospitalisation privée lucrative. Icade santé est détenue à hauteur de 38,8 % par la CDC et pour 18,4 % par Prédica SA (la filiale assurance du Crédit agricole). Icade s’est spécialisée sur le marché de l’immobilier sanitaire. Elle possède un portefeuille de 135 établissements de santé valorisé à hauteur de 5,5 milliards d’euros. Elle est déjà partenaire de marques reconnues (Elsan, Ramsay santé, Vivalto) ainsi que des groupes régionaux. Icade souhaite également investir le marché des Ehpad et annonce un accord de partenariat avec le groupe Korian. »

Avec cette note, il est apparu difficile de penser à un changement radical de la politique de santé. Ce sentiment a été confirmé par le 4 avril par les déclarations du directeur de l’ARS Grand-Est Christophe Lannelongue selon lequel la restructuration du Centre hospitalier régional universitaire de Nancy, prévoyant la suppression de 598 postes et la fermeture de 174 lits, n’avait aucune raison de ne pas se poursuivre malgré la pandémie[142]. Si quelques jours plus tard il a été limogé[143], on ne peut que se demander si son éviction n’est pas lié davantage à la stratégie de communication de crise du gouvernement qu’à une divergence sur la politique sanitaire.

Il aura fallu attendre le 15 avril pour que le gouvernement précise les déclarations du président du 25 mars et annonce un plan de 110 milliards d’euros, dont 8 milliards pour la santé[144]. Ces financements nouveaux sont destinés à couvrir les dépenses exceptionnelles, tant en termes de matériel que de primes. La prime s’élève de 500 à 1 500 € en fonction de critère géographiques afin de distinguer les territoires très touchés des autres. À cela s’ajoute une majoration de 50% des heures supplémentaires. Dans les deux cas, les versements sont défiscalisés et désocialisés. Encore une fois, la politique de la prime s’impose face au salaire.

Sans revenir sur l’attribution de médailles qui a été assez largement considérée par les professionnels comme une initiative insultante[145], la prime a fait l’objet de nombreuses critiques plus ou moins radicales. Le collectif Hôpital ouvert s’est dit choqué et humilié car la prime n’est qu’une une réponse ponctuelle à la crise sanitaire et permet au gouvernement d’occulter la nécessité de répondre à la crise structurelle que connait notre Hôpital[146]. Il refuse par ailleurs l’héroïsation portée par le gouvernement et l’idée même que l’engagement professionnel soit en mesure d’être acheté :

« […] nous, soignants de l’hôpital public, sommes des fonctionnaires d’État, et à ce titre, travaillons à une mission de service public, en l’occurrence le soin. Notre mission est indépendante de la charge de travail, physique ou psychologique qu’elle implique. Aussi, notre actuelle mobilisation n’a rien d’héroïque, elle fait partie intégrante de notre engagement professionnel. Nous ne la menons pas par motivation financière, mais par engagement social et humain. Vouloir y répondre par une gratification monétaire est un affront que nous fait le gouvernement. »

Les annonces ont en outre pris du temps à être suivi d’effets : annoncée le 25 mars, adopté en conseil des ministres le 15 avril, les décrets d’application n’étaient pas publiés au 5 mai[147]. Dans certains hôpitaux les directions ont prévenu qu’elles ne pourraient pas payer les heures supplémentaires qui devraient se transformer en jours de repos. Alors qu’au cœur de la crise la conflictualité entre l’administration et les professionnels de santé avaient été suspendue, progressivement le contrôle budgétaire a refait surface avec les tensions qui y sont liées. Pour ces raisons, les professionnels ont repris le travail de mobilisation pour éviter « le retour à l’anormal, comme avant » [148].

Le 17 mai est annoncé un Ségur de la santé visant à produire par la concertation le « plan massif » proposé par le président le 25 mars. Au moment même où allait commencer les débats, le gouvernement faisait savoir que la dette accumulée pendant la période du covid-19 serait supportée par la Sécurité sociale, via la CADES, et non l’État. Or, l’augmentation massive de la dette est liée à la décision de l’État de suspendre le versement des cotisations et d’améliorer certaines prises en charge.

Pourquoi ce n’est pas à l’État de supporter les coûts de son incapacité à anticiper et gérer la pandémie ? L’économiste Michael Zemmour souligne qu’en faisant ce choix la Sécurité sociale devra payer près d’une dizaine de milliards d’euros par an pour le remboursement de la dette contre seulement un milliard si l’État l’avait prise à sa charge[149]. Le remboursement de la dette devra se faire au détriment du versement de prestations sociales et au prix de nouvelles mesures d’austérité budgétaire. Dès la fin du mois de mai, il était donc entendu que la Sécurité sociale continuerait à subir le fardeau de la dette.

Les négociations du Ségur de la Santé, dirigées par l’ancienne dirigeante de la CFDT Nicole Notat[150], ont été longues (25 mai – 10 juillet) et ont été rythmées par des manifestations, notamment les 16 et 28 juin. Les deux mesures principales sont l’augmentation de la rémunération des professionnels à hauteur de 8,2 milliards d’euros annuels (7,6 milliards pour les métiers non-médicaux, 450 millions pour les médecins et 200 millions pour les étudiants) et un plan d’investissement de 19 milliards d’euros[151]. Mais comment juger les résultats du Ségur ? Peut-ont parler d’un « changement de philosophie » comme l’indique le journal Le Monde[152] ?

Concernant les 19 milliards d’euros d’investissements, 13 milliards d’euros portent sur la reprise de la dette (c’est-à-dire des investissement passés) et 6 milliards d’euros sur des investissements nouveaux. Ces 6 milliards d’euros devront être partagés entre l’investissement numérique (2 milliards) et le secteur médico-social (1,5 milliards). Il n’y aura donc que 2,5 milliards d’euros d’investissements nouveaux pour l’hôpital, le tout étant lissé sur 5 ans – soit 500 millions d’euros par an.

Du côté des 13 milliards d’euros de reprise de la dette, il faut se rappeler que 10 milliards d’euros de reprise avaient été prévus en novembre 2019 (cf. section 1.). N’ayant pas d’éléments permettant de penser que les 13 milliards du Ségur s’ajoutent aux 10 milliards de novembre 2019, il s’agit très probablement d’une rallonge de la reprise de la dette de 3 milliards d’euros. Rappelons enfin d’ailleurs que la reprise de la dette est conditionnée par l’acception de plans de restructuration décidé par l’État.

Concernant les 8,2 milliards d’euros de revalorisation des rémunérations, la communication du gouvernement a massivement insisté sur les 180€ nets d’augmentation par mois pour les personnels non médicaux. C’est une hausse significative, surtout si on se rappelle des faibles résultats de mobilisation historique de 2019, mais elle est loin de la revendication de 300 €, qui n’a pour objectif que de ramener les salaires français à la moyenne des pays de l’OCDE. L’augmentation aura lieu en deux fois et les soignants devront attendre mars 2021 pour percevoir l’intégralité des 180€. Cette rémunération prendra vraisemblablement la forme de primes et non de salaires.

Il reste une incertitude sur les bénéficiaires de ces hausses. Les stratégies d’externalisation de certains métiers (entretien, restauration, hôtellerie, etc.) vont-elles exclure ces salarié·e·s ? Les négociations sur les grilles salariales sont renvoyées à plus tard. Encore une fois, la question des salaires est esquivée au profit d’une stratégie de primes. Comme dans le reste de la fonction publique et du privée, la lutte contre le salaire, mesuré au point d’indice ou non, reste la règle. Autre point important, le Ségur prévoit 15 000 embauches mais il s’agit en réalité de 7 500 supports de postes nouveaux, la différence étant le nombre de postes vacants avant la crise – soit 7 500 postes supplémentaires pour 1,115 millions d’agents de la fonction publique hospitalière.

Au total, le prétendu « plan massif » pour l’hôpital est constitué de primes pour les professionnels à hauteur de 8,2 milliards, de 500 millions d’euros d’investissements par an pendant 5 ans et de la reprise de 3 milliards d’euros de dette. Il faut rajouter aux mesures du Ségur, le plan de 10 milliards de reprise de la dette hospitalière décidé en novembre et les 3,5 millions d’investissements prévu par le Ségur mais ne concernant pas exclusivement l’hôpital. Notons enfin qu’à aucun moment n’est faite la distinction entre l’hôpital public et l’hôpital privé.

Si les mesure du Ségur de la santé sont significatives par rapport à l’histoire récente de l’hôpital, il faut les relativiser à l’aune de la situation : 20 ans d’austérité et… une crise sanitaire et économique inconnue en France depuis la Seconde Guerre mondiale. De plus, le Ségur de la santé esquive beaucoup de problèmes centraux dans l’organisation du système de soin[153].

Rien n’a été dit sur la structure du pouvoir dans les hôpitaux. Si les hôpitaux sont devenus des petites entreprises, ils sont pieds et poings par leur hiérarchie : ARS et ministère. A quand une démocratisation de l’hôpital public ? A quand une re-démocratisation de la sécurité sociale ? Il ne suffit pas de dire qu’il faut plus de financement, il faut encore que ces financements puissent être utilisés en dehors des logiques marchandes et bureaucratiques. Pourquoi ne pas redonner le pouvoir aux travailleurs et aux cotisants ?

Rien n’a été dit sur le financement des mesures annoncées. Jusqu’à maintenant, chaque dépense nouvelle dans l’ONDAM était financée par des économies sur d’autres postes de l’ONDAM – si bien que les ministres peuvent dire sans mentir qu’ils augmentent les budgets alors qu’ils les baissent ! La gloire de l’hôpital public a été fondée sur l’augmentation progressive de la cotisation sociale – et non par de l’impôt ou de l’emprunt (public ou privé). Si à court/moyen terme on peut laisser filer la dette, est ce que cela sera au prix de plus d’austérité demain ?

Rien n’a été dit l’hôpital entreprise. Le premier problème de l’hôpital est le niveau des dépenses, trop faible (ONDAM). Le fait d’imposer à l’hôpital de se comporter comme une entreprise à but lucratif, avec par ex la T2A, n’est en fin de compte qu’une méthode de rationnement. Si la question du budget est plus importante, celle de l’organisation compte énormément pour les travailleurs. Va-t-on en finir avec l’industrialisation des soins ? La gestion par objectifs quantifiés de productivité ? la logique de concurrence ? Le minutage de tous les temps ?

Rien n’a été n’a été dit sur l’articulation ville-hôpital. La souffrance à l’hôpital provient de l’absence complète de régulation de la médecine de ville – où il est plus difficile de contrôler l’évolution des dépenses. On peut vouloir réduire la place de l’hôpital, uniquement à condition que les structures de ville suivent (médical, médico-social, etc.). Or, en raison des coûts et de la désorganisation du système, l’hôpital public est souvent un refuge nécessaire pour de nombreuses personnes (malades ou non).

Rien n’a été dit sur l’articulation du privé et du public. Au contraire, certains syndicats se sont plaints de l’absence de séparation des mesures. Il faut dire que le privé à but lucratif s’organise depuis plusieurs années pour se développer où c’est rentable, au risque d’accroître les inégalités.

Si on peut comprendre que certains syndicats aient signé les accords de Ségur, ce qui est pris n’étant plus à prendre, il serait illusoire que de croire que les mesures du Ségur seront suffisantes pour améliorer le système de santé. L’accord salarial permet aux travailleurs de serrer les dents un peu plus dignement mais que va-t-il se passer avec tout le reste ?

Pour toutes ces raisons la mobilisation des professionnels hospitaliers a connu un regain significatif dès avant la fin du Ségur de la Santé. Par exemple, le syndicat Sud Santé Sociaux a déposé un préavis de grève illimité à compter du 22 mai au CHU de Bordeaux pour protester contre les primes et la faiblesse de la réponse politique à la crise sanitaire[154]. Par un communiqué du 26 mai, le collectif inter-urgence s’indigne de ne pas être invité aux négociations du Ségur au motif qu’il serait une organisation sectorielle (services des urgences) alors qu’il a été à l’origine du mouvement de 2019. Le 29 mai, tandis que la CFDT se dit prête à accepter des accords locaux pour remettre en cause les 35 heures, les autres syndicats s’insurgent contre cette perspective et préparent de futures mobilisations dans la rue[155]. Le 2 juin, le syndicat Sud Santé Sociaux décide de quitter les négociations du Ségur en raison d’écart trop important entre les revendications et les propositions du gouvernement[156].

Avec l’assassinat de Georges Floyd le 25 mai aux États-Unis et la naissance du mouvement Black lives matter, la reprise des manifestations s’accélère en France. Les mobilisations du 2 et du 13 juin autour du comité Vérité pour Adama ont supprimé l’effet tétanisant du covid-19 sur la contestation politique. Le 16 juin a lieu la première grande manifestation de soignants depuis le début de la crise sanitaire. Plus de 220 rassemblements ont été organisés comptabilisant au total plusieurs dizaines de milliers de personnes[157].

Le 20 juin l’association Attac et le collectif inter urgence ont aspergé du faux sang sur l’entrée du ministère de la santé[158]. Une nouvelle grande manifestation est organisée le 30 juin[159], à ce moment-là le gouvernement propose 6,3 milliards d’euros de revalorisations (8,2 milliards au final). La fin du Ségur n’apaise que très modérément les tentions durant l’été. Le 14 juillet des contre-manifestations sont organisées pour protester contre les honneurs réservés lors des cérémonies officielles aux soignants[160]. Le 19 aout, France info révèle que plusieurs services d’hôpitaux se mettent en grève illimitée, notamment à Laval en Mayenne où la pandémie reprend son développement. La signature des accords du Ségur est un trompe-l’œil car les signataires n’avaient pas pris part au mouvement de grève entamé en 2019[161]. Les professionnels craignent une éventuelle reprise de l’épidémie à l’automne. Le 23 aout le Collectif inter-hôpital publie un communiqué démentant l’affirmation du ministre de la Santé Olivier Véran selon lequel les hôpitaux seraient prêts pour la deuxième vague.

Malgré ces protestations, aucune annonce nouvelle n’est venue répondre aux inquiétudes des professionnels mobilisés. Le 3 septembre dernier le gouvernement a présenté son plan de relance de l’économie à 100 milliards. De cette somme, pas un euro de plus n’est consacré à l’hôpital. Le volet santé du plan est constitué par les annonces du Ségur. De même la santé est, d’après un article paru dans Le Monde, la « grande oubliée du plan de relance européen » [162].

A la fin de l’été 2020, le « plan massif » pour l’hôpital est introuvable. La politique sanitaire semble par ailleurs rester sur ses dynamiques antérieures : puissance des bureaucraties sanitaires, absence de distinction entre public et privé ce qui permet le développement en silence du capital, approfondissement des investissements numériques (notamment via la télémédecine), promotion de la prime contre le salaire, gouvernement par la dette, refus de la démocratisation des décisions sanitaires, etc.

Il faut reconnaitre que les mesures prises pendant la crise du covid-19 sont nettement plus fortes que celles liées au mouvement historique de 2019. Il faut donc dire que c’est la guerre contre le virus bien plus que la lutte sociale qui a rendu possible l’amélioration des rémunérations à l’hôpital. Évidemment, ces mesures restent trop faibles pour faire face aux enjeux de l’hôpital public. On peut se demander si les professionnels pourraient résister à une nouvelle secousse semblable à celle de mars/avril. Cette question est d’autant plus importante que le Plan blanc a été réactivé dès la mi-août dans les Bouches du Rhône[163] faisant craindre un retour massif de l’épidémie à l’automne[164].

Conclusion

Une grande grève et une pandémie plus tard, l’État n’a toujours pas pris des décisions permettant de répondre aux problématiques du système de santé. Cette situation est liée à l’incapacité au refus d’opposer capitalisme sanitaire et sécurité sociale mais surtout à l’oubli des fondements de la sécurité sociale : le conflit non institutionnalisé – contre l’État, contre le capital.

A la suite de la gestion catastrophique de la crise une commission d’enquête parlementaire a été créée[165] et des plaintes ont été déposés contre des ministres, notamment Édouard Philippe[166] et Jean Castex[167]. Mais, pense-t-on réellement que les institutions (parlement, justice, bureaucraties sanitaires, etc.) qui ont co-produit la situation actuelle sont en mesure d’évaluer les responsabilités devant la crise sanitaire et la contribution des années de casse de la Sécurité sociale ?

La pandémie a montré que le gouvernement passe une grande partie de son temps à mentir. Il ment soit directement, par exemple en disant en moins de trois mois que les masques sont inutiles puis qu’ils sont obligatoires sous peine de contravention, soit indirectement par la manipulation des chiffres et des mots, par exemple en annonçant à intervalle régulier des plans d’urgence pour la santé qui sont au mieux très insuffisants et qui au pire supposent de faire des économies ailleurs dans le système de santé.

Il faut s’interroger sur les répertoires d’action des militants favorables à l’extension de la Sécurité sociale. Ce n’est pas facile de critiquer les professionnels qui se sont mobilisés et qui ont tenu l’hôpital à bout de bras pendant la pandémie. Mais ce n’est pas leur rendre service que de ne pas constater que toutes ces mobilisations, comme celles contre la réforme des retraites et de l’université, n’ont pas été efficaces. Pour quelles raisons les militants prennent encore au sérieux le gouvernement en acceptant ses problématiques et les règles du jeu qu’il impose par la loi – quitte à faire évoluer la loi pour étouffer la contestation ?

On a vu cette année à quelle vitesse les applaudissements quotidiens ont laissé place aux coups de matraque pour les soignants pourtant héroïsés[168]. La volonté du monde de la santé de montrer sa légitimité a atteint ses limites. Les jetés de blouses ou les SOS des hôpitaux n’ont pas eu d’effets avant la crise. La crise que l’on connaît aura à peine suffi à arracher quelques milliards, comme d’autres secteurs pourtant moins sollicités. Peut-être faut-il penser à des stratégies de lutte moins institutionnalisées, plus en phase avec l’histoire de la sécurité sociale ?

Notes

[1] https://www.liberation.fr/direct/element/y-a-pas-dargent-magique-repond-emmanuel-macron-a-une-soignante-qui-deplore-le-manque-de-moyens-des-h_80049/

[2] https://reporterre.net/La-maternite-de-Die-a-ferme-et-le-petit-Aime-est-mort

[3] On pourra consulter ici le site internet de l’association qui relaie les actions locales et nationales des militants : http://coordination-defense-sante.org/.

[4] https://www.lci.fr/population/paris-aphp-hopitaux-les-urgentistes-de-l-hopital-saint-antoine-en-greve-illimitee-agressions-2116103.html

[5] https://www.whatsupdoc-lemag.fr/grand-format/inter-urgences-cest-quoi

[6] On pourra consulter ici le site internet du collectif qui relaie les actions locales et nationales des militants : https://www.interurgences.fr/.

[7] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/05/06/les-annonces-apres-le-grand-debat-national

[8] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/14/urgences-le-gouvernement-debloque-70-millions-d-euros-pour-des-mesures-immediates_5476242_3224.html

[9] https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-aux-urgences/hopitaux-quelles-sont-les-revendications-des-soignants-engreve_3484345.html

[10] https://www.interurgences.fr/2019/08/communique-de-presse-03-juillet-2019/

[11] https://www.interurgences.fr/2019/08/communique-du-21-aout/

[12] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/pacte-de-refondation-des-urgences

[13] Objectif national de dépenses d’assurance maladie ; le budget de la santé. Voir la première partie du texte.

[14] https://blogs.alternatives-economiques.fr/rcerevue/2020/05/31/les-crises-de-l-hopital-public-entretien-avec-brigitte-dormont

[15] Si une année tel médicament vaux 1€ et que l’année suivante il en vaut 2€, pour être en mesure de prodiguer le même nombre de boite de ce médicament il faudra plus d’argent. Si le budget reste identique, on devra diminuer la distribution des médicaments d’une année sur l’autre.

[16] On pourra consulter ici le site internet du collectif qui relaie les actions locales et nationales des militants : https://www.collectif-inter-hopitaux.org/.

[17] Soit plus que l’augmentation tendancielle pour 2020 (3,3 %), autrement dit une augmentation réelle du budget.

[18] https://www.syndicat-infirmier.com/Preavis-greve-infirmieres-jeudi-14-novembre-2019-hopital-cliniques-Ehpad.html

[19] https://www.midilibre.fr/2019/11/14/hopital-emmanuel-macron-admet-que-la-crise-est-plus-grave-quil-ne-le-pensait,8541807.php

[20] https://www.gouvernement.fr/partage/11283-plan-d-urgence-pour-l-hopital-ma-sante-2022-discours

[21] https://blogs.alternatives-economiques.fr/rcerevue/2020/05/31/les-crises-de-l-hopital-public-entretien-avec-brigitte-dormont

[22] https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-du-5-decembre/greve-du-17-decembre-les-personnels-de-l-hopital-mobilises_3748977.html

[23] https://sante.lefigaro.fr/article/hopital-plus-de-1000-medecins-menacent-de-demissionner-de-leurs-responsabilites/

[24] https://www.nouvelobs.com/societe/20200115.OBS23498/des-medecins-jettent-leurs-blouses-blanches-contre-le-manque-de-moyens-a-l-hopital.html

[25] https://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/epidemie-de-bronchiolite-plus-de-5000-enfants-amenes-aux-urgences_3769665.html

[26] https://www.liberation.fr/debats/2020/01/03/l-appel-des-parents-pour-la-reanimation-pediatrique_1771374

[27] https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/angers-apres-le-deces-d-un-patient-passe-aux-urgences-la-direction-reagit-6404153

[28] https://www.20minutes.fr/faits_divers/2674055-20191213-brest-apres-six-heures-passees-brancard-urgences-homme-86-ans-decede

[29] https://www.francebleu.fr/infos/societe/video-negligence-incompetence-une-petite-fille-de-11-ans-meurt-a-l-hopital-necker-sa-maman-temoigne-1580396858

[30] https://www.interurgences.fr/2020/02/communique-de-presse-24-fevrier-2020/

[31] https://www.la-croix.com/France/Le-premier-Francais-mort-coronavirus-etait-enseignant-lOise-2020-02-26-1201080624

[32] On peut d’une certaine manière tirer les mêmes conclusions à propos du mouvement contre la réforme des systèmes de retraite et, dans une moindre mesure, du mouvement des gilets jaunes.

[33] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/roselyne-bachelot-personne-nimaginait-une-crise-de-cette-violence

[34] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/claude-evin-une-reponse-adaptee-et-proportionnee

[35] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/marisol-touraine-loccasion-de-penser-une-veritable-europe-sanitaire-et-sociale

[36] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/elisabeth-hubert-olivier-veran-le-bon-ton-et-la-bonne-demarche

[37] https://apps.who.int/gpmb/assets/annual_report/GPMB_annualreport_2019.pdf

[38] https://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-dÉtat-134371

[39] https://www.fakirpresse.info/Le-vrai-CV-de-Roselyne-Bachelot

[40] https://formindep.fr/un-ministre-de-la-sante-ca-ose-tout-cest-meme-a-ca-quon-le-reconnait-2/

[41] http://www.slate.fr/france/52325/nicolas-sarkozy-conflits-dinterets-transparence

[42] Notons que cet épisode n’est pas sans lien avec la remarque de l’OMS sur la perte de confiance dès les gouvernements.

[43] https://www.nationalgeographic.fr/sciences/2020/04/les-experts-parlent-du-risque-pandemique-depuis-des-decennies-pourquoi-netions

[44] https://qg.media/2020/03/26/sur-la-situation-epidemique-par-alain-badiou/

[45] On trouvera ici le calendrier des actions entreprises par le gouvernement : https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/les-actions-du-gouvernement.

[46] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/coronavirus-agnes-buzyn-a-t-elle-sous-estime-le-risque-de-propagation-en-france_3851495.html

[47] Selon l’OMS, la différence entre pandémie et épidémie est l’ampleur géographique du phénomène. Une pandémie est une épidémie généralisée à large partie de la planète.

[48] https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-maladies/2622449-plan-orsan-reb-definition-signification-qui-declenche-coronavirus-definition-duree/

[49] https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/02/25/coronavirus-quel-dispositif-sanitaire-en-cas-d-epidemie-en-france_6030770_1651302.html

[50] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html

[51] https://www.lefigaro.fr/elections/municipales/guillaume-tabard-le-casse-tete-municipal-des-ministres-20200120

[52] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/14/benjamin-griveaux-renonce-a-la-mairie-de-paris-apres-la-diffusion-d-images-privees-a-caractere-sexuel_6029533_823448.html

[53] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/jy-vais-pour-gagner-buzyn-remplace-griveaux-dans-la-bataille-de-paris-et-devrait-quitter-le

[54] https://www.lexpress.fr/actualite/politique/coronavirus-quand-agnes-buzyn-remerciait-vivement-anne-hidalgo-pour-sa-mobilisation_2119239.html

[55] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/29/reforme-des-retraites-le-gouvernement-annonce-recourir-a-l-article-49-3-pour-faire-adopter-son-projet_6031362_823448.html

[56] https://www.bfmtv.com/people/emmanuel-et-brigitte-macron-au-theatre-pour-inciter-les-francais-a-sortir-malgre-le-coronavirus_AN-202003070063.html

[57] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/11/premiere-journee-nationale-dhommage-aux-victimes-du-terrorisme-suivez-la-ceremonie-au-trocadero

[58] Le chemin de croix d’Agnès Buzyn, Le monde, 18 mars 2020.

[59] https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-la-reforme-des-retraites-suspendue-annonce-macron_fr_5e6fd329c5b60fb69ddc13c9

[60] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/15/les-municipales-n-auraient-pas-contribue-statistiquement-a-la-propagation-du-covid-19_6039720_823448.html

[61] « Cette pandémie est un désastre que nous avons nous-mêmes créé », Le monde, 24 juin 2020.

[62] http://nakedkeynesianism.blogspot.com/2020/03/world-war-ii-not-new-deal-is-model-for.html?m=1 ; https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/24/coronavirus-crisis-change-world-financial-global-capitalism; https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/12/economie-de-pandemie-economie-de-guerre/

[63] https://www.project-syndicate.org/commentary/covid-19-america-response-wwii-mobilization-by-james-k-galbraith-2020-03?barrier=accesspaylog

[64] https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/200320/non-nous-ne-sommes-pas-en-guerre-nous-sommes-en-pandemie-et-cest-bien-assez

[65] Par ailleurs, l’idée selon laquelle l’économie de guerre conduit à l’union sacrée oublie qu’historiquement, si les États cherchent à réaliser l’union sacrée derrière leur projet, de nombreuses résistances populaires s’y refusent.

[66] https://www.mediapart.fr/journal/economie/030420/cedric-durand-l-enjeu-de-cette-crise-est-de-planifier-la-mutation-de-l-economie?onglet=full

[67] https://www.contretemps.eu/sante-publique-economie-democratique/

[68] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190320/comment-gerer-une-economie-de-guerre-quelle-union-sacree

[69] https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-lÉtat-durgence-sanitaire

[70] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/25/la-crise-sanitaire-ne-peut-pas-etre-la-porte-ouverte-a-tout-l-opposition-politique-monte-au-creneau-contre-les-ordonnances-gouvernementales_6034415_823448.html

[71] https://www.liberation.fr/france/2020/03/26/droit-du-travail-les-syndicats-mefiants_1783233

[72] https://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-entre-macron-et-le-conseil-scientifique-des-divergences-de-fond-08-05-2020-8313033.php

[73] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/olivier-veran-installe-un-conseil-scientifique

[74] https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Hcsp

[75] https://www.mediapart.fr/journal/france/020420/masques-les-preuves-d-un-mensonge-d-État?onglet=full

[76] https://www.mediapart.fr/journal/france/100420/masques-apres-le-mensonge-le-fiasco-d-État

[77] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/faut-il-porter-un-masque-pour-se-proteger-du-coronavirus_3798505.html

[78] https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-dans-quels-cas-faut-il-porter-un-masque-sanitaire_AN-202002240098.html

[79] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/08/29/six-mois-de-consignes-sur-le-masque-en-france_6050316_3224.html

[80] https://www.ouest-france.fr/sante/masques-de-protection/entreprises-elisabeth-borne-envisage-des-assouplissements-sur-le-port-systematique-du-masque-6952772

[81] https://www.ladepeche.fr/2020/09/12/on-vous-explique-laffaire-anthony-smith-cet-inspecteur-du-travail-dont-la-sanction-a-provoque-une-polemique-9066791.php

[82] https://www.mediapart.fr/journal/france/030520/covid-19-des-masques-grand-public-pour-cacher-la-penurie

[83] L’effort de production s’est aussi reporté sur le travail gratuit des détenus de la prison de Val de Reuil : https://www.sudouest.fr/2020/04/21/les-detenus-d-une-prison-normande-participent-a-l-effort-national-en-fabriquant-des-masques-7429000-10618.php.

[84] https://www.publicsenat.fr/article/debat/en-pleine-surproduction-de-masques-en-tissus-made-in-france-l-État-distribue-650-000

[85] https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/tests-covid-19-la-defaillance-organisee-au-sommet-de-l-État?onglet=full

[86] https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/interview-covid-19-tests-monde-ment-on-ne-pourra-pas-faire-700-000-tests-affirme-pr-froguel-1823368.html#xtor=RSS-3-%5Blestitres%5D

[87] https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-700-000-tests-par-semaine-un-objectif-trop-ambitieux

[88] https://www.liberation.fr/france/2020/04/02/dans-les-coulisses-des-tgv-medicalises_1784031

[89] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/23/coronavirus-voici-a-quoi-ressemble-l-hopital-militaire-installe-a-mulhouse_6034110_3244.html

[90] https://www.mediapart.fr/journal/france/200320/les-services-de-reanimation-se-preparent-trier-les-patients-sauver

[91] La typologie comprend trois autres cas : les morts acceptables (patients très âgés ou polypathologiques), les morts inévitables (patient au-delà̀ de toutes ressources thérapeutiques du fait de la sévérité́ de la maladie ou du terrain) et les morts inacceptables (patients jeunes sans comorbidités majeures dont la mort était évitable).

[92] https://www.notretemps.com/famille/guide-aidants/la-moitie-des-personnes-decedees-sont-des-residents-d-ehpad,i218915

[93] https://www.marianne.net/societe/des-personnes-agees-auraient-probablement-pu-etre-sauvees-le-refus-d-hospitalisation-de

[94] https://www.leparisien.fr/oise-60/coronavirus-rien-de-transparent-dans-les-deces-de-l-ehpad-a-crouy-en-thelle-selon-les-familles-03-04-2020-8293851.php

[95] https://www.bastamag.net/tri-des-patients-covid-handicap-reanimation-deces-etabissements-medicaux-sociaux?utm_source=actus_lilo

[96] A ce sujet, un article paru en juillet estime que le cout médico-économique du confinement a été supérieur à ses avantages médico-économiques. Ce calcul, qui suppose d’attribuer une valeur monétaire aux années de vies, peut être consulté ici : https://www.dailymail.co.uk/news/article-8555171/The-cost-lockdown-Britains-economy-not-worth-lives-saved-study-claims.html.

[97] https://www.rfi.fr/fr/france/20200331-coronavirus-la-france-accepte-m%C3%A9decins-cubains-d%C3%A9partements-doutre-mer

[98] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-cuba-envoie-15-medecins-en-renfort-en-martinique-une-premiere-sur-un-territoire-francais_4023489.html

[99] https://planetes360.fr/singapour-le-tracage-par-appli-degenere-en-surveillance-de-masse/?feed_id=29769&_unique_id=5eb65f58123ec

[100] https://www.contretemps.eu/big-data-coronavirus-sante-publique/

[101] https://www.bfmtv.com/tech/vie-numerique/christophe-castaner-le-tracage-numerique-contraire-a-la-culture-francaise_AN-202003270132.html

[102] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/08/stopcovid-l-application-sur-laquelle-travaille-le-gouvernement-pour-contrer-l-epidemie_6035927_3244.html

[103] https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/stopcovid-premier-bilan-pour-l-application-de-suivi-des-contacts-n150985.html

[104] https://www.rtl.fr/actu/politique/stopcovid-le-premier-ministre-jean-castex-admet-l-echec-de-l-application-7800749612

[105] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/stopcovid-un-flop-qui-coute-cher_4005091.html

[106] https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/stopcovid-anticor-saisit-la-justice-pour-des-soupcons-de-favoritisme-7800587523

[107] https://www.mediapart.fr/journal/france/170420/l-assemblee-les-gauches-dessinent-une-autre-politique-face-la-crise

[108] Rappelons que la création de l’impôt sur le revenu en France date de 1914 dans un contexte de guerre.

[109] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/fonds-de-solidarite-lappel-aux-dons-de-gerald-darmanin-conteste-1190586

[110] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/le-decryptage-eco-le-coronathon-de-gerald-darmanin_3872175.html

[111] https://www.lefigaro.fr/culture/le-mobilier-national-cede-certains-de-ses-tresors-pour-soutenir-les-hopitaux-20200430

[112] https://lvsl.fr/brader-la-culture-pour-soutenir-les-hopitaux-la-vente-du-mobilier-national-est-un-faux-choix/

[113] https://www.humanite.fr/lhopital-de-montauban-la-tombola-de-la-honte-pour-les-soignants-689986

[114] https://www.parismatch.com/Actu/Sante/Le-gel-hydroalcoolique-produit-par-LVMH-commence-a-etre-distribue-1679224

[115] https://www.huffingtonpost.fr/entry/du-gel-hydroalcoolique-lvmh-vendu-chez-carrefour-le-groupe-plaide-lerreur_fr_5ece2923c5b6367232b0c46a

[116] http://www.ordre.pharmacien.fr/content/download/500436/2275475/version/2/file/CP-CLIO-sant%C3%A9-masques.pdf

[117] https://www.mediapart.fr/journal/france/030520/masques-l-État-s-efface-derriere-les-supermarches?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-67

[118] https://www.leparisien.fr/high-tech/l-ap-hp-va-imprimer-en-3d-les-equipements-qui-manquent-dans-ses-hopitaux-03-04-2020-8293692.php

[119] https://www.leparisien.fr/societe/toulouse-deux-infirmiers-qui-demandaient-des-masques-dans-un-ehpad-ont-ete-licencies-06-07-2020-8348394.php

[120] https://www.ladepeche.fr/2020/05/17/coronavirus-sanofi-sexcuse-apres-avoir-annonce-la-priorite-du-vaccin-aux-États-unis,8891579.php

[121] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/06/24/coronavirus-la-guerre-sans-merci-des-laboratoires-pour-un-vaccin_6043964_3244.html

[122] https://www.contretemps.eu/lutte-classes-travail-covid/

[123] https://www.lesimprimantes3d.fr/fin-mouvement-makers-visieres-3d-20200518/

[124] https://www.mediapart.fr/journal/france/160520/les-mutations-tres-politiques-de-la-societe-francaise

[125] https://www.contretemps.eu/crise-covid19-economique-sanitaire-État/

[126] https://www.liberation.fr/amphtml/france/2020/06/26/pour-l-assurance-maladie-les-recours-aux-soins-ne-reviendront-pas-a-la-normale-avant-l-automne_1792377

[127] http://www.odds93.fr/?babrw=racine/menuhaut/realisations-/portrait-social/babArticle_263

[128] Les résultats présentés ici concernent les données disponibles au 24 avril. Depuis les données ont été régulièrement mises à jour.

[129] Les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19 – État des lieux et perspectives, DREES (10-07-20).

[130] https://theconversation.com/le-coronavirus-revelateur-des-inegalites-territoriales-francaises-137315

[131] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.07.09.20149955v1

[132] https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/05/une-pandemie-de-la-pauvrete/

[133] https://www.streetpress.com/sujet/1589211379-sans-rer-et-banlieusards-coeur-paris-s-arrete-de-battre

[134] https://www.voici.fr/news-people/actu-people/emmanuel-macron-pourquoi-a-t-il-retarde-le-debut-de-son-allocution-ce-lundi-678408

[135] https://www.youtube.com/watch?v=7lm1cScE92o

[136] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-environ-4-des-personnels-de-l-ap-hp-ont-ete-infectes-par-le-covid-19-6816052

[137] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/26-medecins-liberaux-en-activite-sont-morts-du-covid-19-en-france-20200605

[138] https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-au-moins-50-000-soignants-contamines-en-france_AN-202006110067.html

[139] https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/recensement-national-des-cas-de-covid-19-chez-les-professionnels-en-etablissements-de-sante

[140] https://www.leparisien.fr/societe/le-covid-reconnu-maladie-professionnelle-pour-certains-soignants-11-09-2020-8382861.php

[141] https://www.mediapart.fr/journal/france/010420/hopital-public-la-note-explosive-de-la-caisse-des-depots?onglet=full

[142] https://www.estrepublicain.fr/edition-nancy-et-agglomeration/2020/04/04/l-avenir-du-chru-de-nancy-la-meme-vision-exigeante

[143] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/08/l-elysee-decide-de-limoger-christophe-lannelongue-directeur-de-l-ars-grand-est_6036037_3244.html

[144] https://www.lefigaro.fr/economie/Édouard-philippe-annonce-une-prime-de-500-a-1-500-euros-pour-les-soignants-20200415

[145] https://www.publicsenat.fr/article/politique/primes-et-medailles-des-mesures-gadgets-pour-les-soignants-182529 ; https://www.europe1.fr/sante/les-soignants-recompenses-par-des-medailles-derriere-le-geste-symbolique-la-foret-des-revendications-3968785

[146] https://blogs.mediapart.fr/hopital-ouvert/blog/070520/covid-la-colere-en-primes-opposition-de-soignants-aux-primes-covid

[147] https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/coronavirus-les-soignants-sans-prime-ni-reconfort-1202327

[148] https://www.mediapart.fr/studio/portfolios/de-nuit-entre-deux-gardes-des-soignants-infatigables-relancent-leur-mobilisation-pour-lhopital

[149] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/26/michael-zemmour-les-assurances-sociales-n-ont-pas-a-supporter-la-dette-due-au-covid_6040735_3232.html

[150] Elle était secrétaire générale de la CFDT lors du plan Juppé de 1995 qu’elle a soutenu.

[151] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/segur-de-la-sante-les-conclusions/

[152] « 33 mesures pour réformer le système de santé », Le monde, 23 juillet 2020.

[153] https://www.alternatives-economiques.fr/segur-de-sante-faux-semblants-vrais-enjeux/00093002

[154] https://www.revolutionpermanente.fr/Preavis-de-greve-au-CHU-de-Bordeaux-pas-de-primes-mais-des-moyens-pour-l-hopital-public

[155] https://www.revolutionpermanente.fr/Hopital-public-La-CFDT-prete-a-des-accords-locaux-pour-remettre-en-cause-les-35h

[156] Parce que nous voulons continuer à défendre l’hôpital public, la Fédération SUD santé Sociaux claque la porte du Ségur, Communiqué presse SUD santé, 2 juin 2020.

[157] https://actu.fr/societe/manifestation-des-soignants-retour-en-images-sur-la-mobilisation-du-16-juin-en-france_34323551.html

[158] https://www.midilibre.fr/2020/06/20/attac-et-inter-urgences-aspergent-lentree-du-ministere-de-la-sante-de-faux-sang,8941580.php

[159] https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/manifestation-des-soignants-a-paris-nos-images-a-retenir_34664296.html

[160] https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/en-direct-14-juillet-a-paris-une-manifestation-de-soignants-et-de-gilets-jaunes_34936085.html

[161] https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-le-blues-des-soignants-avant-une-rentree-a-hauts-risques_fr_5f3fb65ec5b6763e5dc22584

[162] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/08/21/la-sante-grande-oubliee-du-plan-de-relance-europeen_6049543_3244.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1598036774

[163] https://marsactu.fr/bref/covid-19-le-plan-blanc-active-dans-les-hopitaux-des-bouches-du-rhone/

[164] https://legrandcontinent.eu/fr/2020/08/31/covid-19-deuxieme-vague/

[165] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/24/commission-d-enquete-sur-le-covid-19-au-senat-agnes-buzyn-et-sibeth-ndiaye-sous-le-feu-des-critiques_6053388_823448.html

[166] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-63-plaintes-deposees-contreÉdouard-philippe-et-ses-ministres_3963977.html

[167] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/17/une-association-de-victimes-du-covid-19-porte-plainte-contre-jean-castex_6052587_3224.html

[168] https://www.frustrationmagazine.fr/nos-heros-soignants-ont-ete-gazes-matraques-et-tires-par-les-cheveux-par-nos-policiers-republicains/

Sur le conflit Grèce-Turquie

La menace d’une guerre gréco-turque en Méditerranée orientale par

Une guerre gréco-turque destructrice en Méditerranée orientale n’est pas l’issue la plus probable des affrontements dans la région, mais c’est un scénario dont les perspectives ont été récemment évoquées.

Dans les eaux situées au sud du complexe insulaire grec du Dodécanèse [archipel regroupant 160 îles, pour la plupart inhabités], au sud de l’île de Crète et autour de Chypre, les flottes de guerre des deux États se font constamment face. Tandis que de puissants navires de guerre américains et français sont en permanence présents dans les mêmes eaux. En même temps, des «initiatives» diplomatiques et géopolitiques sont à l’ordre du jour quotidiennement.

Les forces armées de la Grèce et de la Turquie sont en état de préparation au combat et les exercices militaires utilisant une véritable puissance de feu sont devenus très fréquents. Dans les médias des deux pays, il y a un défilé quotidien d’officiers vétérans et d’«intellectuels» nationalistes, qui tentent de formater l’opinion des populations des deux côtés de la mer Égée à la perspective paranoïaque d’une guerre totale.

Dans cette situation, la possibilité d’un «incident chaud» (c’est-à-dire un affrontement militaire bref et limité) constitue désormais une menace immédiate – soit comme un «accident», soit comme une «escalade» volontaire de part et d’autre. Le pire est la prolifération des voix en Grèce qui affirment qu’en cas d’«incident chaud», nous devrions éviter une politique de retenue et opter pour une généralisation fougueuse de la guerre «jusqu’à la victoire».

L’alliance internationale qui, pendant la guerre froide, était connue sous le nom de «camp occidental» a pris parti en faveur de la Grèce. Dans ses rangs, il existe différents niveaux de volonté d’affrontement direct avec la Turquie, mais il ne fait aucun doute que ces forces soutiennent les principales positions de l’État grec dans sa compétition avec la Turquie.

Les États-Unis, sous la direction de Donald Trump, ont signé l’accord pour une mise à niveau stratégique de la coopération militaire avec la Grèce. Cet accord prévoit une modernisation de la base militaire américaine de Souda (Crète) et l’établissement de nouvelles bases militaires de l’OTAN et des États-Unis en Grèce continentale. Selon le Département d’État, les États-Unis considèrent l’État grec comme un pilier stratégique dans l’«arc d’endiguement» contre la Russie et la Chine en Méditerranée orientale. L’ambassadeur américain très expérimenté et «hyperactif» à Athènes, Geoffrey Pyatt, a également fait cette affirmation à plusieurs reprises lors d’interventions publiques.

Il est impressionnant de constater que la signature de cet accord et la convergence générale avec la politique états-unienne ont été orchestrées déjà par le gouvernement d’Alexis Tsipras, en accord total avec le parti de droite la Nouvelle Démocratie.

L’Union européenne intensifie sa pression sur la Turquie, avertissant Erdogan que lors du prochain sommet du Conseil européen – les 24 et 25 septembre – elle pourrait décider de sanctions économiques et diplomatiques sérieuses à son encontre.

Les dirigeants allemands – qui assument la présidence de l’UE ce semestre, mais qui ont également d’importants investissements et activités industrielles au sein de l’économie turque – développent une orientation dite de «la carotte et du bâton» pour ce qui est de la position que l’UE devrait avoir à l’égard d’Erdogan. Ici, à Athènes, cette approche est présentée comme «hésitante» face à un affrontement nécessaire. Toutefois, depuis une semaine, des rumeurs semi-officielles laissent entendre qu’une négociation entre Mitsotakis et Erdogan serait du domaine du possible. Cela se jouera dans les jours à venir.

De l’autre côté, la France – sous la direction d’Emmanuel Macron – semble avoir franchi le Rubicon, ce qui provoque un délire d’excitation dans les médias grecs. La France a obtenu une base navale permanente à Chypre, le porte-avions «Charles de Gaulle» (navire amiral de la Marine française) «patrouille» dans la zone lors des moments les plus critiques. Macron a approuvé un programme d’armement massif pour l’État grec, qui comprend la livraison de navires de guerre de pointe (frégates Belharra) et celle d’avions de chasse Rafale.

Les forces euro-atlantiques affirment qu’avec cette politique elles défendent la paix en Méditerranée orientale.

Lors de la récente conférence des «7 de la Méditerranée» (France, Espagne-Pedro Sanchez, Italie-Giuseppe Conte, Portugal-Antonio Costa, Malte-Robert Abela, Chypre-Nikos Anastasiades et Grèce-Kyriakos Mitsotakis) à Ajaccio-Corse le 10 septembre, Macron a invoqué l’idée d’une «Pax Mediterranea», qui a été accueillie avec les acclamations du premier ministre grec Mitsotakis et avec une colère furieuse venant d’Ankara.

La «Pax» de Macron n’a que peu de rapport avec la liberté, l’égalité et la fraternité. Le lendemain de la pompeuse «Déclaration» d’Ajaccio, le camp de Moria à Lesbos a brûlé et les milliers de réfugié·e·s qui y étaient incarcérés – face à l’abjection raciste et à la menace du coronavirus – sont maintenus dans une situation désastreuse et le gouvernement cherche à imposer par la force la reconstitution d’un camp qui ne sera en fait que de détention. Personne n’est autorisé à oublier que la misère qui accable les réfugiés trouve ses racines dans l’accord raciste signé entre l’UE, la Turquie et la Grèce.

Cette «Pax» n’a que peu de rapport avec la démocratie, bien que les gouvernements représentés à Ajaccio puissent prétendre à un mandat démocratique lié à des élections. Le «programme» actuel de la Pax Mediterranea de Macron est promu sur le terrain par une alliance différente, celle de l’«axe» qui, avec la Grèce et Chypre, comprend l’État d’Israël et le régime dictatorial du général Sissi en Égypte. Après les derniers mouvements diplomatiques d’Israël [accord entre Israël et les Emirats arabes unis et Bahreïn], il est possible que cet «axe» s’élargisse, en incorporant certaines des monarchies les plus réactionnaires du monde arabe.

Enfin, la «Pax» de Macron n’est pas si «méditerranéenne». Au-delà de l’alignement militaire et diplomatique évident avec les États-Unis, il y a aussi l’aspect financier. La firme pétrolière française Total et l’italienne Eni, qui se sont empressées de s’engager dans le projet d’extraction des hydrocarbures de la Méditerranée orientale et dans le projet ambigu de construction du pipeline sous-marin de la Méditerranée orientale, opèrent sous la «coordination» (c’est-à-dire sous la supervision) de l’américaine Noble Energy, qui fait partie du géant multinational Chevron.

Telles sont les réalités qui se cachent derrière la démagogie bon marché sur la «paix en Méditerranée».

La rupture

Dans les années 1970, les relations gréco-turques sont arrivées au bord d’un affrontement militaire, après le coup d’État militaire [1974] orchestré par les Grecs à Chypre et l’invasion militaire turque qui a suivi et qui a conduit à la partition de l’île.

La chute de la junte militaire en Grèce (fin 1974), la crainte des dirigeants bourgeois quant aux conséquences dévastatrices d’une guerre totale et la pression exercée par l’Europe et les États-Unis afin de préserver l’unité de l’«aile sud-est» de l’OTAN ont annulé, à l’époque, cette perspective. Les classes dirigeantes des deux côtés de la mer Égée ont été forcées de se contenir dans un contexte de «coexistence compétitive», où deux «sous-impérialismes» se disputaient l’hégémonie régionale, mais limitaient leurs ambitions en fonction du contexte plus large.

Les développements récents sont le résultat de deux facteurs.

Le premier facteur, sous la direction d’Erdogan, il y a eu une rupture dans les relations de la Turquie avec l’État d’Israël, puis avec les États-Unis et le «camp occidental» en général. Après l’échec de la tentative de coup d’État de 2016, cette rupture est devenue plus évidente et elle produit déjà des résultats politiques et diplomatiques. Bien qu’il serait erroné de considérer cette évolution comme un fait définitif. La Turquie est un grand pays, elle occupe une place géographique cruciale, elle reste importante pour l’OTAN et les «changements» soudains de son orientation géopolitique ne sont pas rares dans son histoire.

Le deuxième facteur qui aide à comprendre la crise actuelle est la découverte de réserves d’hydrocarbures au fond de la Méditerranée orientale – dans les eaux israéliennes et égyptiennes d’abord, puis au large de Chypre et dernièrement au sud de la Crète. Le potentiel d’exploitation de ces réserves (un potentiel qui n’est toujours pas clair dans la plupart des cas) a fait apparaître la question des zones économiques exclusives (ZEE), c’est-à-dire des questions de droits souverains dans des eaux qui, jusqu’à présent, étaient traitées comme des eaux internationales.

C’est la combinaison de ces deux facteurs qui a donné vie à l’«axe» militaire/économique/diplomatique Israël-Chypre-Grèce-Égypte. Le projet de pipeline Eastern Mediterranean (East Med) conduit à une délimitation des ZEE en Méditerranée orientale qui divise la mer exclusivement entre les États membres de l’«axe». Ces derniers ont veillé à céder rapidement les droits de recherche, d’extraction et d’exploitation commerciale des hydrocarbures à un puissant consortium de transnationales américaines et européennes du secteur des combustibles fossiles. Pour ce projet, il est crucial de sauvegarder la continuité géographique entre les ZEE d’Israël, de Chypre et de la Grèce, afin que l’installation du pipeline gazier EastMed de 1900 km puisse se concrétiser. Pour ce faire, la Turquie doit être marginalisée en Méditerranée orientale et les droits d’autres pays comme la Palestine, le Liban et la Syrie doivent être sérieusement réduits.

Nous avons écrit à plusieurs reprises qu’il est extrêmement douteux qu’un tel plan puisse se concrétiser de manière pacifique.

La gauche radicale internationale est consciente de la nature réactionnaire et antidémocratique du régime d’Erdogan. Elle connaît ses attaques constantes contre les salarié·e·s, les militants kurdes, le mouvement social et les militants de gauche. La répulsion contre cette situation est justifiée et correcte. Mais il serait erroné de traiter le peuple turc comme une entité unifiée et impuissante, incapable de penser et d’agir par elle-même. Par exemple, des sondages en Turquie ont montré qu’une grande partie de la population était en désaccord avec la poursuite d’Erdogan pour transformer l’ex-basilique Sainte-Sophie en mosquée.

Mais pour ceux d’entre nous qui vivent dans les pays voisins, nos tâches sont plus complexes. Nous devons affronter «l’ennemi chez nous» et nous sommes obligés de lutter contre «notre» nationalisme dangereux.

Nombreux sont ceux qui n’adhèrent pas à la frénésie belliciste et ils espèrent qu’un affrontement militaire sera finalement évité grâce au droit international et aux institutions compétentes. Jusqu’à présent, il s’est avéré que c’était une illusion.

La Turquie n’a pas signé un grand nombre des accords internationaux qui régissent le droit de la mer. Mais aujourd’hui, réalisant le rapport de force négatif qui existe à son encontre et calculant que les exigences maximalistes de la Grèce ne peuvent pas tenir, elle promeut des initiatives qui puissent être traitées devant la Cour internationale de justice de La Haye. Mais elle exige des décisions pour toute la gamme des litiges entre la Grèce et la Turquie.

A l’inverse, la Grèce affirme que ses demandes sont fondées et justifiées par le droit international. Mais elle refuse de participer à toute procédure juridique internationale qui comprendrait des décisions sur des questions que l’État grec a «résolues» par des actions unilatérales (militarisation des îles de la mer Égée orientale, extension de sa souveraineté sur des îles et des rochers contestés, extension de son espace aérien à 10 miles, qui se trouve au-delà de ses eaux territoriales qui elles s’étendent à 6 miles). Dans le même temps, une partie de la bureaucratie étatique, sachant pertinemment que les revendications grecques concernant sa ZEE sont maximalistes, résiste à toute perspective de recours à la Cour internationale, avertissant que dans une telle procédure juridique, le résultat pourrait être un compromis «préjudiciable aux intérêts de la nation».

Cela signifie que l’affrontement se poursuit avec la méthode du «fait accompli» qui consiste à imposer unilatéralement des faits sur le terrain. Comme nous l’avons vu cet été, cette méthode implique la menace d’un «incident chaud», qui peut s’avérer difficile à contrôler et conduire à une guerre.

Histoire

Il est tragique et ironique que tout cela se produise 100 ans après la dernière guerre gréco-turque de 1918-1922, pour laquelle les deux peuples ont payé un lourd tribut.

À la fin de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances de l’époque poussaient à la partition de l’Empire ottoman, encourageant ainsi le leader grec Eleftherios Venizelos à envahir l’Asie mineure. L’armée grecque s’enfonça en Anatolie, occupant des portions de terre à l’est de la côte et atteignant la périphérie de la capitale turque Ankara.

Mais lorsque les Anglais, les Français et les Italiens ont obtenu les annexions qu’ils cherchaient, ils se sont tournés vers une normalisation de leurs relations avec le nouveau régime turc de Kemal Ataturk, abandonnant leurs anciens alliés. L’effondrement de l’armée grecque a été immédiat. Lors de la contre-attaque turque, 1,5 million de Grécophones d’Asie Mineure ont quitté leurs foyers et se sont installés comme réfugiés en Grèce. Leur expérience tragique, à cause de cet aventurisme de l’armée grecque, a conduit à leur radicalisation: les réfugiés ont formé l’épine dorsale du mouvement ouvrier et de la gauche communiste durant les années 1930 et 1940.

Mais l’histoire fournit également un autre exemple instructif. En 1930, comprenant qu’une crise financière se profilait, Venizelos et Ataturk ont cosigné un accord de paix et de partenariat qui prévoyait la reconnaissance mutuelle des frontières existantes et une réduction des dépenses militaires. La modernisation capitaliste initiale dans les deux pays a été fondée sur une politique de paix et de coopération. En 1934, le belliciste Venizelos propose à Kemal Ataturk de se porter candidat au Prix Nobel de la paix…

Aujourd’hui, les deux pays sont confrontés à une grave crise économique et sociale. Au milieu d’une telle crise, la politique d’armement est absurde. Un affrontement militaire sera dévastateur pour tous les peuples, des deux côtés de la mer Égée, et pourtant il reste possible.

Prendre position contre la guerre, défendre la paix comme un bien majeur pour les masses populaires, rejeter unilatéralement les armements, rompre avec les alliances impérialistes sont des points irremplaçables du «programme» de toute politique émancipatrice. Dans la situation actuelle de crise climatique, cette politique anti-guerre doit se combiner avec le rejet de la stratégie extractiviste qui menace de nous envoyer à l’abattoir de la guerre comme chair à canon pour les profits du Big Oil.

Source https://www.contretemps.eu/menace-guerre-grece-turquie/

Publié initialement sur le site A l’Encontre

La vente des rafales français à la Grèce

Ventes de Rafale : une triple saloperie

Rédaction l’Anticapitaliste hebdo

Samedi 12 septembre, Kyriakos Mitsotakis, le Premier ministre grec, a annoncé son intention d’acquérir 18 Rafale français pour équiper son armée de l’air. Il a aussi affiché sa volonté de commander quatre frégates : une commande pour laquelle Naval Group (ex-arsenaux de la marine dans lesquels l’État français est toujours majoritaire) est sur les rangs.
Cette vente est une triple saloperie.

Tout d’abord, elle intervient alors que la tension monte en Méditerranée entre la Grèce et la Turquie. Des deux côtés, les nationalismes se déchaînent et sont utilisés par les gouvernements face aux problèmes économiques et sociaux comme le dénoncent les anticapitalistes grecs et turcs, contrairement à la direction de Syriza et au PC. Certes, il n’est pas question de nier la responsabilité immédiate du régime turc mais alors qu’il serait urgent de calmer le jeu, Macron a choisi de s’engager totalement du côté de la Grèce pour vendre des armes et sans doute préserver les intérêts de Total dans la délimitation des eaux territoriales en Méditerranée (sous lesquelles se trouvent des gisements importants d’hydrocarbures). Macron se situe bien dans la continuité de Chirac qui, lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), choisit d’armer le régime irakien agresseur de Saddam Hussein (le bilan fut d’un million de morts).

Cette livraison est une deuxième saloperie. Pendant des années et encore aujourd’hui, les dirigeants de l’Union européenne (UE) avec le soutien de la France ont imposé à la Grèce une politique de baisse des salaires et des retraites, de privatisation et de réduction de toutes les dépenses sociales et de service public. Pendant ce temps, la part des dépenses militaires grecques dans la richesse nationale s’est maintenue à un des niveaux les plus élevés parmi les pays de l’Otan. Et aujourd’hui, Macron pousse les Grecs à la dépense militaire alors que les autres crédits budgétaires demeurent sous la surveillance de l’UE.

Enfin, la troisième saloperie : depuis des années, les grands pays de l’UE laissent la Grèce gérer les migrantsE qui, du fait de sa position géographique, arrivent dans le pays. La situation dans les camps de réfugiéEs est devenue inhumaine. Que les Grecs se débrouillent avec quelques crédits et policiers européens ! Par contre, dans le conflit actuel, Macron envoie des navires militaires français en Méditerranée orientale et se positionne pour des juteuses affaires ! L’achat grec arrive en effet à point nommé pour les profits de Dassault (qui se préparait à faire un chantage à l’emploi pour l’usine de Mérignac et les sous-traitants). Le « monde d’après » demeure celui des marchands de canon et pas la moindre reconversion ne se dessine pour préserver l’emploi et engager les usines vers des productions réellement utiles.

https://npa2009.org/actualite/international/ventes-de-rafale-une-triple-saloperie-0

« France relance » : ceci n’est pas un plan

15 septembre par Michel Husson


Fondé sur une confiance aveugle dans les « lois du marché », le plan de relance présenté jeudi par le gouvernement n’a pas pris la mesure de la crise que traverse le pays.

  Sommaire
  • Une crise particulière
  • Pari sur « l’épargne forcée »…
  • … Sur l’investissement…
  • … Et sur l’Europe
  • L’emploi entre parenthèses
  • Les limites de la « confiance »
  • Les oubliés de la crise
  • Un plan impuissant

Le plan « France relance » semble à première vue équilibré : un tiers pour l’écologie, un tiers pour la compétitivité, un tiers pour la « cohésion » (le social).

Certains critiques disent – en même temps – que le plan est sous-dimensionné et qu’il est mauvais. Cette approche fait penser à la plaisanterie de Woody Allen au début de son film Annie Hall : « La nourriture de ce restaurant est vraiment infâme », s’exclame une dame. Et son amie lui répond : « Oui je sais, et en plus les portions sont si petites ! »

 Une crise particulière

On peut penser effectivement que 100 milliards d’euros sur deux ans, incluant des mesures déjà prises, et dont les effets seront différés, c’est trop peu.

Mais l’essentiel est de discuter l’objectif principal de ce plan, qui est de faire rentrer le fleuve dans son lit, autrement dit de revenir au business as usual. C’est sans doute une tâche impossible, parce que le plan ne prend pas pleinement en compte les spécificités inédites de cette crise.

Car il ne s’agit pas d’une récession, mais d’un « blocage de la production », comme le souligne l’économiste Robert Boyer dans les annexes – déjà disponibles en ligne – de son prochain livre (Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte).

C’est aussi un arrêt simultané de l’offre et de la demande. Dès lors, les débats sur la relance par l’offre ou la demande passent à côté du problème, qui est celui de la relance du circuit.

Enfin, la crise a frappé de manière inégale les secteurs, les catégories sociales et les régions de l’économie mondiale, de telle sorte que la reprise ne pourrait être qu’inégale et désynchronisée. Or, le plan de relance n’en tient pas compte et se contente de paris assez aléatoires.

 Pari sur « l’épargne forcée »…

Le plan donne la priorité aux mesures dites d’offre parce qu’il fait l’hypothèse implicite que la consommation va reprendre spontanément. Mais la constitution d’une « épargne forcée », que la Banque de France évalue à 85 milliards d’euros, ne garantit en rien que cette reprise aura bien lieu.

Il faudrait pour cela que disparaissent les incertitudes économiques et sanitaires. Or, c’est loin d’être acquis. Quand on évoque 800 000 emplois détruits, une hausse des faillites, la multiplication des accords de performance collective pouvant amener à des baisses de revenus et ainsi de suite, un tel climat incite à être très prudent. Sans parler d’une seconde vague dont l’éventualité ne peut être écartée…

Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, suggère dans les colonnes d’Alternatives Économiques une baisse de TVA en faveur des secteurs les plus touchés (hôtellerie-restauration, spectacles, etc.). Le retour aux conditions d’usage et aux comportements antérieurs à la crise dépend toutefois d’autres facteurs que les prix. En outre, si une bonne partie des ménages a moins consommé, et donc épargné, il en est d’autres que la crise a plongés dans le dénuement.

Une étude assez fascinante menée aux Etats-Unis à partir de micro-données d’entreprises, croisées avec les statistiques locales, fait apparaître d’importants résultats. Le plus significatif est sans doute que les comportements de consommation ne diffèrent pas selon les mesures locales en matière de confinement. Ce résultat confirme ce qu’un article du New York Times avait mis en lumière, à savoir que les comportements de distanciation étaient apparus avant même la mise en place des mesures officielles de confinement.

Cette même étude pointe plusieurs exemples d’impact différencié de la crise, et en particulier que les ménages aux revenus les plus élevés (le premier quartile) ont réduit leurs dépenses de 17 %, contre 4 % pour les ménages à faibles revenus du dernier quartile.

Il est vraisemblable que la ventilation soit la même en France, ce qui veut dire que le plan table sur la reprise de la consommation des riches, ceux qui ont le plus épargné et qui sont aussi ceux que la crise a le plus épargnés. Mais ce pari risque d’être en grande partie perdu, si cette épargne « forcée » reste à l’état d’épargne.

Dans un éditorial, le journal Le Monde se félicite que le plan « évite de se focaliser sur une stimulation de la consommation, qui a surtout abouti dans le passé à favoriser les importations au détriment du made in France ». Si telle est l’intention du plan, elle est contradictoire. De deux choses l’une en effet : ou bien on table sur la consommation de l’épargne Covid, ou bien on veut l’éviter parce qu’elle serait trop coûteuse en importations.

Cette contradiction souligne le déphasage entre la reprise de l’activité à court terme et la reconstitution d’une offre domestique (relocalisations et réindustrialisation) qui ne pourrait, en tout état de cause, être réalisée du jour au lendemain.

 … Sur l’investissement…

Pour les entreprises aussi, le choc a été inégal et on se retrouve dans une situation contradictoire. D’un côté, comme le constate Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi, « les entreprises ont fait bien mieux que sauvegarder leur liquidité, elles ont engrangé des réserves pour la suite ». D’un autre côté, de nombreuses entreprises de petite taille sont exposées au risque de faillite, et le plan ne prévoit que 3 milliards d’euros pour le renforcement de leurs fonds propres.

Elles ont pu passer le cap, notamment grâce aux PGE (prêts garantis par l’État), pour une somme cumulée de 116,6 milliards fin juillet. La Banque de France précise que « les entreprises ayant accumulé de la trésorerie ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus recouru à l’endettement durant cette période ». Les prêts garantis devront être remboursés au printemps prochain et, comme le souligne Mathieu Plane, « la question de leur capacité à affronter le mur de la dette qui arrive se pose ».

S’il suffisait de baisser les cotisations ou les impôts des entreprises, cela se saurait. Rien ne garantit que la baisse des fameux impôts de production suffira à stimuler l’investissement (pas plus que le CICE ou le CIR auparavant). Il faudrait que les perspectives de débouchés soient suffisamment incitatives, que la priorité ne soit pas donnée au désendettement ou… aux actionnaires.

En outre, se pose un double problème de ciblage : sectoriel tout d’abord, car la finance et les industries extractives seront les grandes gagnantes de cette mesure, ce qui est contradictoire avec son orientation écologique, et aberrant quand on sait que la finance se porte bien en ce moment. Problème de ciblage géographique ensuite : ce sont les régions Ile-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, déjà les plus dynamiques économiquement en France, qui vont le plus en bénéficier.

Rien ne nous prémunit donc vraiment contre une « spirale anémique par laquelle le faible investissement réduirait progressivement les capacités de production, ce qui pèserait sur l’emploi et les revenus et donc sur la consommation, laquelle à son tour découragerait l’investissement, etc. ». C’est en tout cas ce scénario qui inquiète Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la Direction générale du Trésor.

 … Et sur l’Europe

Sur les 100 milliards d’euros du plan, 40 seront pris en charge par l’Europe. Mais pas automatiquement. Deux conditions au moins doivent être réunies. La première (il faut 30 % de « verdissement » de l’économie) ne devrait pas poser problème, la seconde va en revanche soulever quelques difficultés.

Certes, le « semestre européen » a été rangé au magasin des accessoires, mais les plans nationaux devront toujours être assortis des fameuses « réformes structurelles ». Est-ce pour cette raison que le gouvernement s’obstine à remettre au programme une réforme des retraites ? Celle-ci sera-t-elle le prix à payer pour l’octroi des prêts européens ? Plus largement, les « partenaires » européens accepteront-ils facilement de cofinancer les efforts de compétitivité de leur concurrent ? Autant de questions qui restent en suspens.

 L’emploi entre parenthèses

« J’espère que le plan de relance en 2021 créera 160 000 emplois. C’est notre objectif », a déclaré Jean Castex sur RTL, le 3 septembre. Son autre objectif est que la France retrouve dès la fin de 2022 le niveau de richesse atteint avant la pandémie. Bref, croissance nulle entre mars 2020 et décembre 2022. On évalue par ailleurs à 800 000 le nombre de destructions d’emplois d’ici à la fin de 2020. Ces chiffres éparpillés conduisent donc à un pronostic très sombre quant à la situation sur le marché du travail.

Le plan se borne à compter sur la reprise de l’activité et donc de l’emploi, qu’il entend accompagner par des actions de formation et des primes à l’embauche qui représentent la moitié de son volet « cohésion ». Mais ce sont là autant de mesures déjà utilisées (et sans doute déjà budgétées) sans que leur efficacité ait jamais été vérifiée de manière convaincante. Changer l’ordre des individus dans la « file d’attente » ne suffit pas à créer des emplois.

Une information du Canard enchaîné du 26 août donne une idée assez évocatrice de la conception qu’a le gouvernement de ce qu’est un emploi utile. A Jean-Michel Blanquer qui demandait à Bercy l’embauche de 3 000 enseignants supplémentaires, le Président et son Premier ministre auraient répondu que : « C’est le genre de créations d’emplois qui vont aggraver le déficit et qui ne servent pas à redresser le pays. » Que l’anecdote soit avérée ou non, la réticence du gouvernement à relancer l’emploi public est manifeste et, là encore, les leçons de la crise ne sont pas tirées.

 Les limites de la « confiance »

Le plan ne tient pas compte du fait que l’emploi n’a pas été frappé de manière homogène et qu’il a donc subi des distorsions durables. Cela signifie que la question ne sera pas seulement le volume d’emploi total, mais aussi les réallocations sectorielles nécessaires.

Croit-on par exemple que le transport aérien va redémarrer comme avant ? Et, de manière générale, peut-on imaginer qu’une véritable transition énergétique ne nécessite pas une profonde restructuration de l’emploi ? Il faut en tout cas beaucoup de confiance à l’éditorialiste du Monde pour écrire : « Il faudra que la formation professionnelle, réformée au début du quinquennat, montre sa capacité à accompagner les salariés face à la transformation de notre économie. C’est à ce prix que se gagnera la confiance nécessaire pour que les entreprises, les salariés, les collectivités locales et les ménages jouent le jeu d’une relance qui doit profiter à tous ». Comme s’il s’agissait de « confiance » et de « jouer le jeu ».

Dans ces conditions, on pourrait imaginer accompagner cette restructuration par des créations ex nihilo d’emplois publics ou assimilés et une réduction du temps de travail qui permettrait d’éviter les licenciements et créerait un contexte favorable aux réallocations. En Allemagne, le syndicat IG Metall suggère par exemple d’instaurer une semaine de quatre jours. Mais le plan tourne le dos à ces pistes.

 Les oubliés de la crise

Le pari sur la libération de l’épargne « forcée » fait aussi l’impasse sur tous ceux qui sont passés à travers les mailles du filet des mesures déjà prises. Les indépendants, par exemple, ne peuvent plus prétendre aux aides de l’État depuis le mois de juillet, et leur syndicat demande que cette aide soit prolongée jusqu’en décembre 2020.

De manière générale, tout le monde a remarqué que seulement 800 millions d’euros étaient prévus par le plan en faveur des plus démunis. Il aurait été pourtant judicieux de « profiter » de la crise pour augmenter le Smic (en hommage aux travailleurs « essentiels ») ainsi que les minima sociaux (avec évidemment le risque d’une mesure pérenne). Noam Leandri et Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités avaient évalué à 7 milliards d’euros ce que coûterait l’éradication de la grande pauvreté. Élargir le RSA aux jeunes de moins de 25 ans, comme le suggère Tom Chevalier, chercheur au CNRS, aurait été opportun pour la période à venir.

Symétriquement, le plan n’envisage pas « de faire contribuer les gagnants de la crise à la relance », constatent l’économiste David Cayla et le politiste Thomas Guénolé. Mais s’agit-il vraiment d’un « écueil grave du plan gouvernemental » ? On pourrait plutôt considérer qu’il s’agit d’un trait caractéristique de ce plan : il ne prévoit à peu près rien pour parer au creusement des inégalités que la crise va engendrer.

 Un plan impuissant

Fondamentalement, le gouvernement n’a pas compris que les objectifs de réorientation de l’économie ne sauraient être atteints par les seuls mécanismes de marché. C’est pourtant Emmanuel Macron qui affirmait en mars dernier : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

Prenons l’exemple de la réindustrialisation et des relocalisations. Selon le ministre de la Relance Bruno Le Maire : « Délocaliser notre industrie a été une faute majeure. » Mais à qui la faute ? Dans une économie mondialisée, les délocalisations vers des zones à bas salaires sont parfaitement rationnelles, et elles ont été en partie un facteur de compétitivité des grands groupes français. Qu’est-ce qui, dans le plan de relance, peut réellement inciter ceux-ci à rapatrier leurs sources d’approvisionnement ? La montagne accouche d’ailleurs d’une souris : en cumulant les lignes relocalisation et décarbonation, on n’arrive qu’à 2,5 milliards d’euros, comme le souligne l’économiste Gabriel Colletis, dans un entretien à Alternatives Économiques.

Qu’est-ce qui garantit que certains de ces grands groupes, par exemple PSA, ne sont pas déjà en train de planifier le redéploiement de leurs sous-traitants vers des pays moins-disants ? L’obstination à faire passer des traités de libre-échange, comme le Ceta, est-elle vraiment en phase avec la volonté affichée de relocaliser les activités ? Là encore, on ne peut que constater l’absence totale de toute conditionnalité, de toute contrepartie aux aides publiques. Les grands groupes planifient, mais l’État ne le fait pas.

Enfin, le plan de relance fait l’impasse sur les disruptions engendrées par la crise. Il est donc incapable d’anticiper sur la trajectoire à suivre. Le minimum aurait été d’instaurer une véritable conditionnalité, voire sous le contrôle (rêvons un peu) des organisations syndicales. La crise du coronavirus a en quelque sorte révélé toutes les limites du modèle économique néolibéral et fait apparaître la nécessité d’une bifurcation. Or, toutes les transformations nécessaires supposent une dose de planification permettant de tordre les fameuses lois du marché pour faire prévaloir les grandes orientations que se donne la société.

Manifestement, ce ne sera pas la feuille de route du nouveau haut-commissaire au Plan François Bayrou.


(Article publié dans Alternatives économiques, le 7 septembre 2020)

Source : A l’encontre

Auteur.e Michel Husson statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015. http://hussonet.free.fr/fiscali.htm

Source https://www.cadtm.org/France-relance-ceci-n-est-pas-un-plan

La relance du monde d’avant

La relance du monde d’avant : inefficace, injuste, antiécologique

Le gouvernement s’apprête à dévoiler un plan de relance de 100 milliards d’euros économiquement inefficace, socialement injuste et antiécologique. Ainsi, il se saisit de la crise pour amplifier sa politique néolibérale et productiviste.

Ce plan est inefficace, puisqu’il s’agit de poursuivre les mêmes recettes qu’avant, appliquées sans succès : une nouvelle baisse des charges des entreprises, soit 20 milliards d’euros d’impôts de production. Bien que présentée sous couvert du plan de relance, cette nouvelle baisse de l’imposition des entreprises, revendication permanente du patronat depuis des décennies, était déjà en gestation avant la crise. Nous expliquons dans la note jointe à quel point les arguments la justifiant ne tiennent pas. Et si le gouvernement s’attaquait sincèrement à des impôts qui touchent la production et non le profit, alors il compenserait cette baisse par une hausse des impôts sur le profit. Ce qu’il ne fait pas. Au contraire, il confirme la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés à 25% en 2022.

Ce plan est injuste : en l’état, sans obligation de maintien des salaires et de l’emploi, sans obligation de reconversion écologique des investissements et sans relance d’une certaine demande afin de satisfaire les besoins sociaux, la baisse des prélèvements des entreprises viendra surtout nourrir les profits ; c’est une politique en faveur du capital. Le gouvernement répond ainsi, sous couvert de la crise, aux demandes réitérées du Medef, plutôt que de se préoccuper de la suppression des centaines de milliers d’emplois et de l’urgence écologique et sociale. La même orientation conduit à de nouvelles « simplifications », selon la novlangue néolibérale, ou prolongent celles édictées pendant le confinement, notamment pour autoriser les dérogations aux règles de reconduction des contrats à durée déterminée.

Cette baisse d’impôts privera un peu plus les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales et/ou la sécurité sociale, de recettes publiques, pourtant essentielles pour développer les services publics, la protection sociale et la bifurcation écologique. On a pu constater ces derniers mois les besoins criants des hôpitaux publics, pour un service public de qualité aux personnes dépendantes et une protection sociale de qualité.

Un minimum de justice sociale et d’efficacité économique aurait voulu que soient rehaussés les minimas sociaux et le salaire minimum des personnes les plus précaires, touchées en premier lieu par la crise. Ou encore que soit baissé l’impôt le plus injuste, la TVA sur les produits de première nécessité, ainsi que l’a réalisé l’Allemagne. Surtout, il aurait fallu annoncer une révolution fiscale, tournée vers la justice sociale, à commencer par une imposition forte sur les revenus et les patrimoines des plus riches. Au contraire, ce sont des miettes qui sont laissées aux plus précaires : 1 milliard d’euros (hausse de l’allocation de rentrée et repas à 1 euro en restaurant universitaire, aide aux associations et à l’hébergement d’urgence)… soit 1% du budget du plan de relance !

Ce plan est antiécologique : il aurait surtout dû répondre aux urgences sociales et écologiques et consacrer les dizaines de milliards d’euros versés aux entreprises à une reconversion profonde de la production. Des désinvestissements massifs des activités les plus polluantes, dès les prochaines années, sont nécessaires pour espérer une planète vivable à la fin du siècle. Or, 400 millions d’euros seraient prévus pour développer le nucléaire, énergie polluante et dangereuse. Des centaines de milliers de nouveaux emplois, non délocalisables, sont pourtant nécessaires dans la transition écologique et les services non marchands. C’est bien dans ces secteurs qu’il faut mettre la priorité, tout en assurant aux salarié·e·s menacé·e·s par la crise actuelle un maintien de leurs revenus et un droit à emploi. Sur 100 milliards d’euros, seuls une dizaine de milliards viseraient directement et potentiellement ces besoins (dans la santé et la rénovation thermique des logements). Et alors que le gouvernement se targue de vouloir soutenir le transport ferroviaire, de nouvelles suppressions d’emplois sont prévues à la SNCF dans le fret ferroviaire. Autre secteur d’importance pour l’avenir de nos écosystèmes, l’agriculture ; en la matière, « la transition agricole » (dont il s’agira de vérifier l’orientation) n’est dotée que de 1,3 milliard d’euros, environ 4 % de l’effort budgétaire, la moitié des sommes consacrées au sauvetage de l’automobile et de l’aéronautique.

Bref, le monde d’après pour Emmanuel Macron et Jean Castex consiste à reproduire les vieilles formules ayant cours depuis 40 ans, en les teintant légèrement de vert, afin de satisfaire aux actionnaires des grandes entreprises et aux dirigeants du MEDEF. D ’autres politiques sont possibles, en commençant par exemple par les mesures d’urgence proposées par le collectif unitaire « Plus Jamais Ça ». C’est également le sens de nos propositions pour une relocalisation écologique et solidaire qui répondent à l’urgence sociale, démocratique et environnementale.

Source https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/la-relance-du-monde-d-avant-inefficace-injuste-antiecologique

Comment ce pays si riche…»

Un appel de Vincent Lindon: «Comment ce pays si riche…»

Par Fabrice Arfi

Le comédien a confié à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne). Un texte puissamment politique, avec un objectif: ne pas en rester là.

«Spécialiste en rien, intéressé par tout », comme il se définit lui-même, Vincent Lindon cultive une parole publique rare que la crise insensée que nous vivons a libérée. Radicalement absent des réseaux sociaux – il n’est ni sur Facebook, ni sur Twitter, ni Instagram, ni nulle part de ce genre –, le comédien a décidé de confier à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne).

Ce n’est pas un comédien qui s’exprime ici, et encore moins un artiste coincé dans son écosystème, celui de la culture ; le mot est d’ailleurs absent de son texte. Non pas que le sujet ne lui soit pas d’une importance cruciale – il l’est, vu le péril qui guette (voir nos articles ici, ici, ou ) –, mais c’est au-delà de cet horizon que regarde le comédien.

Vincent Lindon parle à hauteur de citoyen. Un citoyen qui, d’où il est – et qui sait d’où il vient et où il est –, regarde la cité tétanisée par une crise sanitaire agissant au fil des semaines comme le puissant bain révélateur d’autres crises (sociale, politique et morale) qui sourdent dans le pays depuis si longtemps.

L’homme qui, probablement comme peu d’acteurs avant lui, a su incarner les voix indignées et les corps fourbus que le néolibéralisme détruit le temps d’une vie, livre ici un texte puissamment politique, au plus beau sens du terme. Il y est évidemment question de la crise de l’hôpital, mais aussi des institutions de la Ve République, du présidentialisme, de répression policière, de justice fiscale ou de corruption. En creux, de cette « décence commune » chère à Orwell qui semble tant manquer à notre époque.

Pour écrire son texte, Vincent Lindon s’est fait un peu journaliste – il a interrogé des spécialistes de médecine ou d’économie avant de prendre la plume. Il est aussi un peu politique – il ne fait pas que s’indigner, il propose.

C’est, en d’autres termes, un citoyen total, qui veut apprendre pour comprendre, comprendre pour juger, juger pour proposer, avec un objectif : ne pas en rester là. Afin que le monde d’après ne soit pas celui des idées d’avant qui ont concouru à cette perte que la pandémie fait ressentir à chacun de nous, bien sûr à des degrés divers, jusque dans son intimité confinée.

Images et montage: Max Jouan ; production : Pierre Cattan

* * * *

Ci-dessous la retranscription du texte de Vincent Lindon :

Comment ce pays si riche…

Traversé par le flot incessant des commentaires, désorienté par l’addition d’analyses souvent contradictoires, j’ai tenté de réfléchir à la question la plus banale : mais comment avons-nous pu en arriver là ? À cette situation inédite, littéralement stupéfiante.

Spécialiste en rien, intéressé par tout, il m’a paru pourtant utile de contribuer en faisant entendre une voix simplement citoyenne. Suis-je légitime pour interpeller nos dirigeants, tous professionnels de la chose publique, tous diplômés des meilleures écoles ? Pas plus qu’un autre sans doute, mais pas moins non plus, ayant pris soin de consulter nombre d’avis autorisés, notamment dans le domaine de la santé, où André Grimaldi [professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière – ndlr] m’a apporté son éclairage.

Comment ce pays si riche, la France, sixième économie du monde, a-t-il pu désosser ses hôpitaux jusqu’à devoir, pour éviter l’engorgement des services de réanimation, se résigner à se voir acculé à cette seule solution, utile certes, mais moyenâgeuse, le confinement ? Nous qui, au début des années 2000 encore, pouvions nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé du monde.

C’était avant.

Avant que s’impose la folle idée que la santé devait être rentable, puisque tout désormais devait être marchandise, jusqu’à la vie des hommes.

Un espoir s’était pourtant levé avec le nouveau chef de l’État Emmanuel Macron, et son programme promettant un « investissement massif dans le système de santé ». Hélas, l’élection acquise, il préféra poursuivre l’action de ses prédécesseurs. S’il n’est donc que le dernier avatar d’une même politique, il porte pourtant une responsabilité particulière, pour avoir ignoré tous les signaux d’alerte.

Douze mois de grève des urgences ? Les patients patienteront.

1 200 chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives ? Moins de paperasse.

Présence massive des soignants dans toutes les manifestations ? Sortez les LBD et les grenades de désencerclement…

Au-delà de la santé, c’est l’ensemble du secteur public qui subit depuis des décennies les coups de boutoir des présidents qui se succèdent avec toujours la même obsession : réduire la place de l’État dans l’économie. La recette est simple : privations pour ce qui coûte (l’éducation, la justice, la police, l’armée, la santé…) et privatisations pour ce qui rapporte.

Tandis que les budgets des ministères régaliens sont comprimés et les salaires de leurs fonctionnaires bloqués, la grande braderie est ouverte. Villepin solde les autoroutes, Nicolas Sarkozy fait absorber Gaz de France par un groupe privé, Suez, et enfin François Hollande, sous la férule de Macron, démembre Alstom pour le plus grand profit de l’américain General Electric.

Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, la fête continue. Deux entreprises publiques, la Française des jeux (FDJ) et Aéroports de Paris (AdP), sont très rentables ? Vendez-les !

Pour comprendre l’attachement aveugle de notre président à cette ligne idéologique, il est nécessaire de revenir sur trois années d’exercice de son pouvoir, que notre Constitution a voulu absolu.

Qu’en retenir ?

Dès les premiers jours, une évidence : le goût du nouveau président pour la pompe et les rites de la monarchie, se mettant régulièrement en scène dans les décors de la royauté ; ainsi a-t-il choisi le palais du Louvre pour son intronisation, marchant seul devant la pyramide, le château de Versailles pour recevoir Vladimir Poutine, l’empereur du Japon ou 150 millionnaires high-tech et, enfin, celui de Chambord pour célébrer son 40e anniversaire.

Une prédilection annoncée par des déclarations antérieures – en 2015, il affirmait déjà : « Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort » – et confirmée jusque dans son programme, qui prévoyait de rétablir les chasses présidentielles. Ce qui n’a rien d’un détail.

L’ego comblé, le jeune homme allait pouvoir s’attaquer à son grand œuvre : bâtir cette « start-up nation » où les « premiers de cordée » allaient tirer vers les cimes ces « Gaulois réfractaires ». Au pas de charge : suppression de l’ISF et allègement de l’impôt sur les profits financiers pour les uns, réformes restrictives du droit du travail ou des allocations chômage et baisse des APL pour les autres. Cinq euros en moins sur les APL ! Mais qu’est-ce qui peut bien passer par la tête d’un dirigeant pour accoucher d’une aussi mauvaise idée ? La brume des sommets obscurcit-elle le jugement au point de lui faire oublier le poids des symboles ? C’était donc ça le « en même temps » macronien, des offrandes pour ceux qui n’ont besoin de rien, des sacrifices pour ceux qui ont besoin de tout ?

Mais c’est le premier été du quinquennat, et tout semble encore permis au conquérant de l’Élysée. Malgré quelques protestations, le nouveau monde impose ses lois grâce au soutien de sa majorité obéissante et reconnaissante.

Premier grain de sable à l’été 2018, l’affaire Benalla et son traitement rocambolesque, qui jette une lumière crue sur la conception et les pratiques du pouvoir.

Avec l’automne, un vent se lève, une révolte inattendue et pourtant évidente : des femmes et des hommes en jaune envahissent les ronds-points et les Champs-Élysées, naturellement accompagnés par une très faible minorité qui prétexte le port de la chasuble pour casser plutôt que pour revendiquer, une revendication légitime qui emporte l’adhésion de l’opinion, contraignant le gouvernement à un repli tactique : 10 milliards jetés à la hâte pour tenter d’éteindre la colère sociale.

Trop tard. Les sacrifiés de la mondialisation ultralibérale veulent plus. Plus de moyens, certes, mais aussi plus de pouvoirs, notamment celui de contrôler ceux dont la mission est de les représenter.

Après la carotte, vient le temps du bâton. Une répression brutale, policière, avec mains arrachées et manifestants éborgnés, mais aussi judiciaire, avec une distribution massive de condamnations fermes. Pendant que les pouvoirs exécutif et judiciaire répriment, les législateurs ferraillent pour imposer une réforme des retraites dont une majorité des Français ne veut pas.

Occupés à bâtir leur nouveau monde, les responsables n’accordent qu’une attention distraite à un virus agressif qui, parti de Chine, va très vite ravager la planète et envahir la totalité de l’espace politique, donnant à nos gouvernants l’occasion de montrer l’étendue de leur compétence.

Dans les hôpitaux, la situation est dramatique. On manque de tout, de masques, de gel, de tests, de respirateurs, de lits et de personnels en réanimation. Le 29 février, après que le Covid-19 a fait ses premières victimes en France, Édouard Philippe convoque un conseil des ministres extraordinaire consacré au virus. Une grande décision en ressort : utiliser le 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites !

Alors que l’épidémie progresse, se faisant pandémie, le pouvoir s’affole, s’agite comme un poulet sans tête. Sur quoi s’interroge l’exécutif aux premiers jours de mars ? Mais sur le maintien des municipales, bien sûr ! La veille du premier tour, le premier ministre joue les contorsionnistes, invitant les Français à rester chez eux, mais, en même temps, à aller voter. Chapeau l’artiste !

Pendant que nos voisins allemands se mettent en ordre de bataille, le gouvernement français peaufine sa communication.

Une seule stratégie, mentir.

Relayant le discours présidentiel, l’équipe gouvernementale multiplie les déclarations absurdes et contradictoires. Ainsi affirme-t-on successivement qu’il ne s’agit que d’une « grippette », que l’épidémie, comme le nuage de Tchernobyl, ne touchera pas la France – alors même qu’à notre frontière sud, l’Italie est frappée –, puis qu’elle est « sous contrôle », avant de devoir avouer la gravité de la situation.

Sur la question cruciale des masques de protection, la parole officielle est schizophrène : aux premiers temps, leur utilité est affirmée. D’ailleurs, il y en a des millions en stock, prêts à être distribués à la population en cas de besoin. La menace virale se précisant, les masques sont soudain déclarés inutiles, voire dangereux puisqu’on ne sait pas s’en servir. Ce qui est fort opportun, puisque les stocks se sont volatilisés.

Pschitt…

Plus de masques.

Pas même de quoi équiper tous les soignants qui doivent monter au front armés de leur seul courage. Bon, d’accord, pas de masques, mais ils arrivent. Quand ? Mais demain, bien sûr ! Hélas, les jours et les semaines passent, la pénurie persiste. Ignorés, méprisés et matraqués quelques semaines plus tôt, les soignants sont désormais portés aux nues.

Pour le commun des Français, le confinement est la règle, chômage technique pour les uns, télétravail pour les autres. Tous les Français ? Non. Pour les caissières, les livreurs, les éboueurs, les policiers ou les pompiers, l’activité doit se poursuivre, quels que soient les périls. Eux qui formaient le gros des bataillons en gilet jaune, naguère vilipendés, sont désormais officiellement essentiels. Exit les premiers de cordée, place aux premiers de corvée.

Le 23 avril, dans une adresse solennelle à la nation, le président Macron annonce enfin le déconfinement pour le 11 mai. Pourquoi le 11 plutôt que le 5 ? Pourquoi mai plutôt que juin ? Parce que.

Deux semaines plus tard, le premier ministre en dévoile les conditions. Acte 1 : réouverture des crèches et des écoles primaires. Curieux puisqu’elles avaient été les premières à être fermées, avant même le début du confinement, au motif qu’elles étaient un lieu hautement favorable à la propagation du virus… Évidemment économique – il s’agit bien sûr de libérer les parents de l’obligation de garder leurs jeunes enfants, pour leur permettre de reprendre le travail –, la véritable raison de ce choix sera passée sous silence, voire niée, alors même qu’elle est audible : vouloir éviter l’effondrement total de l’activité et son cortège de drames est après tout une motivation hautement respectable.

Empêtré dans ses mensonges et ses omissions, le pourvoir tergiverse. Très vite, le discours s’infléchit : l’obligation de retourner en classe ne s’appliquera pas systématiquement. Les maires, les préfets pourront décider, ou non, de s’y conformer.

Mieux, les parents seront libres de garder leurs enfants à la maison. Dans les milieux favorisés, on n’hésitera guère. Mais dans les milieux plus modestes, le dilemme est cornélien. Alors que le chômage enfle, dois-je exposer mon enfant au risque de tomber malade, ou accepter l’éventualité de perdre mon emploi ? Et si les parents sont d’avis contraires, le couple pourra-t-il résister, notamment si les choses tournent mal ? Questions sans réponses…

Une bonne nouvelle, pourtant : les masques arrivent. Des masques en tissu, lavables et réutilisables. Efficaces ? « Oui, dit le Pr Grimaldi, contre la transmission du virus. Mais comme ils n’empêchent pas le porteur d’être infecté lui-même, la mesure ne vaut que si elle s’impose à tous, dans l’espace public au moins. » Prisonnier de son discours récent, le gouvernement ne peut se résoudre à rendre obligatoires partout ces masques qu’hier encore il déclarait inutiles. « Pourtant, ajoute le Pr Grimaldi, on a le droit de se tromper, mais le devoir de reconnaître ses erreurs. »

Au rythme où s’enchaînent les événements, ce droit à l’erreur pourrait bien m’être utile, mes propos risquant de devenir rapidement caducs, tant les stratégies gouvernementales oscillent, sinon à la vitesse de la lumière, au moins à celle où se propage le virus.

En termes de gestion et de communication de crise, je ne sais pas qui aurait pu faire mieux, mais je ne vois pas qui aurait pu faire pire.

En mettant au jour ses insuffisances, cette crise pourrait-elle être l’occasion d’une refonte radicale de notre démocratie ? Dans un discours célèbre, Churchill affirmait que c’était là « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». Mais, ajoutait-il aussitôt, « la démocratie n’est pas un lieu où on obtient un mandat déterminé sur des promesses, puis où on en fait ce qu’on veut ».

Si l’on s’accorde pour ne pas changer de système, alors il faut changer LE système.

Mais l’urgence est ailleurs. Déjà insupportables, les inégalités ont explosé avec la pandémie. Confinés dans des logements exigus ou contraints d’affronter les périls, les plus fragiles vivent des jours terriblement difficiles. Et leurs lendemains ne chantent pas. Après la crise sanitaire, ils seront sûrement les premières victimes de l’inévitable catastrophe économique et sociale.

Que faire ?

L’État ne pouvant pas tout, il me paraît impératif d’innover. Comment ? En demandant aux plus grosses fortunes une solidarité envers les plus démunis. Cette idée, juste et légitime, pourrait prendre la forme d’une contribution exceptionnelle, baptisée « Jean Valjean », conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros, sans acrobaties, à travers une taxe progressive de 1 % à 5 %, avec une franchise pour les premiers 10 millions d’euros.

À période exceptionnelle, contribution exceptionnelle. Même si j’applaudirais évidemment tout amendement visant à pérenniser cet effort de réduction des inégalités. Après tout, une fois peut devenir coutume.

D’après les économistes que j’ai pris soin de consulter, cette contribution devrait représenter environ 36 à 37 milliards d’euros, qui seront distribués aux quelque 21,4 millions de foyers trop pauvres pour être assujettis à l’impôt sur le revenu.

Compte tenu de l’urgence, l’État assurerait la trésorerie et abonderait marginalement la collecte, leur distribuant sans délai et sans prélèvement, la somme de 2 000 €, à charge pour lui de recouvrer ultérieurement le produit de la contribution « Jean Valjean ».

Même si je ne doute pas un instant que les plus riches de nos concitoyens se réjouiront de l’occasion ainsi offerte de montrer leur patriotisme et leur générosité, il me paraît prudent que les législateurs mettent en place des sanctions suffisamment dissuasives pour décourager les improbables mauvaises volontés. Je pense ici, surtout, à nos compatriotes domiciliés fiscalement à l’étranger, évidemment conviés à manifester leur solidarité.

Mon rôle n’est évidemment pas d’entrer dans le détail de ces sanctions. Je voudrais néanmoins en proposer une, essentiellement symbolique – car je crois, moi, à la force du symbole : alléger les réfractaires de leurs pesantes décorations (Ordre du mérite ou Légion d’honneur, par exemple) pour leur permettre de gambader librement dans les couloirs des hôpitaux étrangers, voire français, où ils seraient évidemment les bienvenus après avoir refusé de financer notre système de santé national et plus généralement notre service public. En un mot, leur pays.

Bien sûr, je sais que ces précautions seront sans nul doute inutiles, tous ces privilégiés étant bien conscients de ce qu’ils doivent au pays qui les a formés et souvent enrichis. Mais la confiance n’excluant pas la prudence, de telles dispositions ne sauraient nuire.

Après cette mesure d’urgence, il sera temps de nous pencher sur les moyens de réparer notre démocratie. Comment ? On pourra s’étonner que je me pose la question et plus encore que j’essaie d’y répondre. Alors, sans prétendre détenir des solutions – j’ai gardé le sens du ridicule –, je me risque à évoquer quelques pistes de réflexion.

Instituer des contre-pouvoirs. La Constitution de la Ve République avait été taillée sur mesure pour le général de Gaulle. Un costume bien trop grand pour ses récents successeurs. D’autant que, depuis l’instauration du quinquennat, le président dispose toujours, et pendant toute la durée de son mandat, d’une franche majorité au Parlement. Élue en même temps que lui, grâce à lui et sur son programme, l’Assemblée nationale a logiquement la même couleur que l’Élysée et le législatif n’a donc pas vocation à s’opposer à l’exécutif.

Quant au pouvoir judiciaire, son indépendance n’est que théorique, tant il est simple de le contrôler par le jeu des nominations et des promotions. Depuis Montesquieu, qui a théorisé la séparation des pouvoirs (il n’en connaissait que trois, lui), un quatrième s’est imposé : la presse. Problème : neuf milliardaires en possèdent l’immense majorité, on ne s’étonnera donc pas que l’intérêt des puissants soit ménagé dans le traitement de l’information. Impuissante politiquement, la contestation s’exprime là où elle le peut encore, dans la rue et dans les sondages d’opinion.

Responsabiliser les élus. Les élus devront être comptables de leur action devant le peuple dont ils ont obtenu la confiance. Une élection, c’est quoi ? C’est l’histoire d’un mec qui arrive et qui dit : « Faites-moi confiance, voilà ce que je vais faire », et qui, une fois élu, ne le fait pas. À la place, il fait autre chose ou rien. Eh bien non, ça ne peut plus marcher comme ça. En cas de défaillance, il est nécessaire qu’ils puissent être démis de leur fonctions, démocratiquement, c’est-à-dire si une fraction de citoyens le propose et si une majorité d’électeurs l’exige.

Insistons : cette mesure doit s’appliquer à tous les élus, jusqu’au président de la République, qui, en France, ne peut être démis par personne en cours de mandat, ni même être jugé depuis la scandaleuse décision du Conseil constitutionnel sous la présidence du douteux Roland Dumas.

Sanctionner sévèrement les dérives, pour interdire l’alliance mortifère entre les copains et les coquins. Depuis des décennies, aucun élu, même le plus corrompu, ne craint les rigueurs de la loi. Il y a à cela une excellente raison : la prison, c’est pour les autres. Eux pourront toujours solliciter les meilleurs avocats et multiplier les procédures des décennies durant, jusqu’au moment où les juger n’aura plus aucun sens.

D’où une proposition en trois points :

  1. Rendre passible de longues années de prison ferme tout acte de corruption avérée d’un élu. Parce qu’elle menace dangereusement la démocratie, en décourageant le vote notamment, la corruption politique me paraît un crime plus grave qu’un braquage de banque. Excessif ? Je ne pense pas. Enfant, je me souviens que, sur les billets de banque, il était inscrit que « la fabrication de fausse monnaie [était] passible des travaux forcés à perpétuité ». Pas une goutte de sang versée, pourtant, mais une atteinte criminelle au bien commun.
  2. Définir des couloirs judiciaires dédiés, pour éviter qu’on ne juge que des cadavres. L’ensemble des procédures, appel et cassation compris, devra être bouclé dans les 12 mois suivant l’ouverture de l’instruction.
  3. Augmenter fortement la rémunération des hommes et des femmes qui choisiront de servir la collectivité avec compétence, zèle et intégrité. Pourquoi ? Pour avoir les meilleurs. Pour leur éviter la tentation. Et pour rendre inexcusable qu’ils y cèdent.

Constitutionnelles, électorales ou judiciaires, ces propositions de réforme peuvent apparaître éloignées des préoccupations immédiates, en ces temps troublés surtout.

Je les crois pourtant essentielles. Même si elles ne résolvent pas l’ensemble des problèmes auxquels notre époque est confrontée, elles m’apparaissent nécessaires pour rétablir l’indispensable confiance du peuple en ses représentants, enfin comptables de leurs promesses comme de leur action, et responsables de leurs erreurs.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/060520/un-appel-de-vincent-lindon-comment-ce-pays-si-riche

Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme

Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme Par Gérard Collet Attac 38

Dures épreuves pour le nouveau monde d’Emmanuel Macron. Dures épreuves pour le monde auquel il prétend adapter notre peuple. La « marche » réformiste se transforme en parcours d’obstacles.

Gilets jaunes, grèves pour la défense des retraites, migrations aux frontières de l’Europe, mouvements hospitaliers, et pour finir, coronavirus.
L’actualité de ce milieu de quinquennat a en effet été fort riche d’événements apparemment disparates, fortuits, d’importance variable, qu’ils soient sociaux, géopolitiques ou naturels…
Et pourtant, à y regarder de près, tout cela dessine un ensemble cohérent où se retrouvent les grandes impasses civilisationnelles, les impasses du « paradigme néolibéral »
pour employer un « élément de langage » à la mode.

Chacun de ces événements a été immédiatement commenté et si possible mis à profit par les sphères de pouvoir assistées des média « mainstream »i, les plus fortuits servant évidemment à masquer les plus politiques. Cela n’a échappé à personne, mais avec la complicité – volontaire ou pas – des media, la manœuvre a tout de même en partie réussi, et a imprégné les analyses et les opinions.
Tous ces éléments convergent en effet sur deux points essentiels.
En premier lieu, ils démontrent tous l’ineptie des concepts apparemment rationnels de la construction concurrentielle et managériale chère au néolibéralisme.
Ensuite, il apparaît de plus en plus que derrière chacun de ces phénomènes, leurs interprétations, et les polémiques auxquelles ils donnent lieu, se dissimule une vision philosophique, voire anthropologique du monde.

Un monde réticent aux dogmes libéraux

L’affaire du coronavirus qui chamboule l’actualité et inquiète à juste titre les autorités comme les individus ne paraît pas à première vue de nature politique. Elle fournit pourtant des illustrations spectaculaires des catastrophes que préparent avec obstination des dirigeants politiques qui mettent leurs obsessions technocratiques au service des conceptions néolibérales et de leur mise en œuvreii.
Mais cette affaire n’est pas la seule, et l’ensemble des événements du monde réel semblent se donner le mot pour démontrer la faillite du capitalisme libéralisé et financiarisé. Ces impératifs qui se traduisent dans nos sociétés par des politiques de management et de rationalisation qui écrasent tout sur leur passage.

Ces événements démontrent en effet à quel point ce qui semble émaner d’une logique indiscutable fait en réalité l’impasse sur les réalités d’un monde humain, soumis à des aléas incontournables. Accidents météorologiques, catastrophes industrielles, mouvements sociaux, migrations, sont de ceux que les meilleurs cerveaux assistés des meilleurs « algorithmes » ne peuvent comptabiliser. L’épidémie de Covid-19 venant évidemment mettre un point d’orgue en ce début d’année.
Issus des cogitations de théoriciens forcenés qui guident les dirigeants politiques en place
iii, ces concepts font en effet l’impasse totale sur les dimensions sociales et humaines, ainsi que sur les aléas naturels et les limites du monde physique. Dans leur échafaudage politique et économique, à l’image de l’Homo œconomicus l’homme est prévisible, calculable, il est un « consommateur » conscient, agissant en fonction de son intérêt bien compris. Dans ce monde là, il n’y a pas de mouvements sociaux spontanés et durables, pas d’éruptions volcaniques, pas de tsunamis, pas de tremblements de terre. Il n’y a pas de limite à l’exploitation de la nature… ni des hommes. Il n’y a pas de révolutions… et il n’y a pas non plus d’épidémies incontrôlables.
Rien de tout cela ne doit exister, car cela défie les organigrammes prévisionnels, car les invraisemblables montages financiers qui valorisent le capital ne le supporteraient pas.

Pour que les modèles que les pouvoirs mondiaux tentent d’imposer partout puissent fonctionner, il faut qu’aucune paille ne s’y glisse. Le profit et la finance flux tendu ne le supportent pas. A moins qu’après avoir remplacé avantageusement les travailleurs par des robots, l’on finisse par robotiser également les consommateurs et les électeurs. Laurent Alexandre proposera sans doute prochainement une tribune en ce sens.

On comprend aisément qu’avouer cette faille congénitale remettrait tout en cause.

Il faudrait pourtant bien qu’un jour pas trop lointain des dirigeants lucides l’admettent… mais ce ne sera pas Emmanuel Macron, bien trop occupé à faire survivre encore ce système.

Bien sûr, dans sa dernière intervention, le président a pensé nécessaire d’intervenir auprès de la nation pour mobiliser l’attention de manière solennelle sur la « crise sanitaire majeure qui s’annonce », et donner les grandes lignes de la stratégie qui allait être suivie. Il semble indéniable qu’Emmanuel Macron a saisi l’importance de l’événement en cours, et que son discours a reconnu la hauteur des enjeux.
Il est cependant plus qu’évident qu’il saisissait là une occasion rêvée de se replacer au centre de l’arène en se donnant le beau rôle. Et pas moins évident que le Covid-19 lui a fourni l’opportunité d’appeler à la cohésion et à l’union sacrée, en l’occurrence derrière lui, en posture de sauveur responsable et lucide. Sans surprise, la sauvegarde exige maintenant selon lui que « nous suivions tous le même chemin ».
Il est tout de même permis de douter de sa découverte soudaine des « failles de notre modèle de développement » alors même que toute son action, depuis son arrivée aux affaires a précisément consisté à accélérer l’adhésion à ce modèle en manœuvrant tous les leviers à sa disposition. Alors que sa récente utilisation du 49.3 ne révèle guère la passion d’un « chemin commun » iv.
Enfin, est-il possible, est-il crédible que cet homme dont l’intelligence nous a été tant louée ait mis tant de temps à réaliser le danger, l’ineptie du « modèle de développement » qu’il a servi fidèlement jusqu’ici v? A-t-il donc fallu à Jupiter cette épreuve pour découvrir qu’il « y a des biens non marchands » ? Mais que n’élargit-il ses lectures !

La tentation est alors forte de ne voir dans ce discours qu’une triviale posture opportuniste espérant couper l’herbe sous les pieds des opposants politiquesvi. Et dans ce cas, le président, une fois de plus n’aura fait que brouiller les pistes et retarder la mise en œuvre de vrais changements de cap.

Car hélas, comment abandonnerait-il ces théories de rationalisation, d’optimisation, de « libération des énergies » – étayées par des modèles mathématiques et leurs traductions en algorithmes – qui pilotent les grands choix politiques agissant sur nos viesvii, comment renoncerait-il aux fameuses « réformes » pour lesquelles les donneurs d’ordres l’ont placé là, lui et son équipe « En Marche » 

Á suivre l’actualité du Monde, on est donc stupéfaits de la duplicité des acteurs politiques, de ceux qui les interviewent, ainsi que des analystes « orthodoxes ». Car chaque nouvelle qui nous parvient met en évidence de manière criante la faillite des concepts défendus et des réformes exigées. Et chaque événement fournit une démonstration du grand-écart auquel se livrent les gouvernants pour dissimuler encore cette débâcle, des prouesses d’hypocrisie et de contradictions qu’ils doivent réaliserviii.

Voyons ça.

Des prouesses de duplicité

Ne perdons donc pas de vue les antiennes inlassablement répétées par les classes dirigeantes, du MEDEF aux économistes aux ordres et aux politiques qui les servent. Ils nous ressassent sans fin les risques de l’endettement public, les déséquilibres des comptes de la sécurité sociale, la faillite des hôpitaux endettés, les méfaits de l’impôt, le handicap des lois sociales et des charges afférentes. Ils ne manquent pas une occasion de rappeler les dangers de « l’assistanat » et de « l’État providence ». Et d’un bord à l’autre de l’échiquier, ils n’attendent le salut éventuel que d’une renaissance de la croissance. Ils n’ont sur les lèvres que les mots de compétitivité, de coûts de production, qui pilotent organisations économiques et choix politiques.
La logique de leur credo les a conduits à parier sur la désindustrialisation de nos pays, à la « délocalisation » de toutes les activités fussent-elles stratégiques, et mène tambour battant les divisions du macronisme à avaliser la vente des aéroports, des barrages, bientôt de la SNCF, d’EDF… et à préparer en sous-main un glissement des retraites vers la capitalisation…

Or qu’entend-on sans relâche, que lit-on partout, que répètent jusqu’à la nausée nos dirigeants ?

Eh bien, culbutant soudain sans la moindre honte leurs rengaines libérales et leur volonté de réduire les dépenses de l’État, ils s’acharnent à chaque actualité imprévue à affirmer que c’est l’État qui répondra présent, et fournira les solutionsix.

Et il saute aux yeux les moins avertis qu’en effet, qu’il s’agisse d’accident industriel, de catastrophe naturelle, de crise financière ou de fermeture d’usine retentissante, ce n’est pas l’entreprise, ce n’est pas la sphère financière qui apportera la réponse, fussent-elles directement responsables des dégâts. Car ce n’est pas leur rôle, ce n’est pas la logique qui les anime. Car cela n’entre pas dans leurs bilans, pas dans leurs attributions. Plus fondamentalement, parce que le modèle entrepreneurial, le modèle capitaliste du fonctionnement des entreprises, des montages financiers qui les téléguident et de leurs exigences de profit ne porte que sur leur propre sphère d’influence. Les conglomérats multinationaux (ou pas) ne s’intéressent en rien aux « effets de bord » de leurs activitésx, qu’il s’agisse de naufrages de pétroliers, d’explosions d’usines chimiques ou de bulles financièresxi.

Ne comptons pas non plus sur ce modèle du monde pour tenir compte des effets de bord dévastateurs de ses activités dans les questions environnementales ou climatiques ; le réchauffement pas plus que les effets du glyphosate, du tabac, des sacs plastiques ou de l’amiante n’entrent dans les schémas de ses glorieux PDG, de ses conseils d’administration ni ne répondent aux attentes de ses actionnaires. Interpellés, tous répondront invariablement : « non coupable », « pas les seuls », voire : « Qu’ils viennent me chercher ! » Car ce modèle ne possède aucune théorie des bien communs, aucune théorie du maintien des conditions de vie sur notre Terrexii, pas le moindre « indicateur » du bien être social, aucune conception de la santé publiquexiii. Tout au plus tente-t-il hypocritement de faire rentrer au chausse-pied dans son modèle marchand la problématique de libération du carbone dans l’atmosphère, feignant de ne pas connaître les effets financiers pervers inévitables du « marché du carbone ».

Tout se passe donc comme si chaque interpellation du politique par les aléas du monde rappelait le rôle irremplaçable de l’état, seul représentant valide de l’intérêt collectif, seul susceptible de le prendre en comptexiv. Alors que dans le même temps, appliquant imperturbablement les croyances de ses dirigeants, ce même état s’évertue à se priver de tous les moyens d’action, à vendre à l’encan les biens publics fussent-ils d’importance stratégique, à rogner ses propres ressources en baissant l’impôt et en tolérant l’évasion fiscale, à dénoncer le coût des services qui sont précisément ceux qui lui permettent de faire face à l’adversitéxv. Et à renoncer progressivement à tous les leviers qui le lui permettent réellement.

Modèle « entrepreneurial »

Or si l’État peut être pénétré par des logiques privéesxvi, l’entreprise ne l’est jamais par celle du bien commun.

Il convient de dénoncer l’obstination des néolibéraux à accréditer l’idée de l’omnipotence du « modèle entrepreneurial », sensé être le plus « efficient », et à faire admettre qu’il est à même de traiter, à moindre coût et beaucoup mieux que les pouvoirs publics, un nombre croissant de tâches. De l’hôpital à l’université, puis subrepticement à l’enseignementxvii et à la recherche, ce modèle fait inexorablement tâche d’huile… jusqu’à légitimer l’idée qu’un promoteur immobilier sachant gérer une chaîne de télé-réalité est le mieux placé pour présider aux destinées d’un grand état.

La crise en cours porte à relativiser le verbe « gérer », fétiche des lauréats d’écoles de management.

Certes, pour ce qui est de la France, Macron et sa REM ne sont pas les inventeurs de cette dérive aveugle. On sait qu’elle est à l’œuvre depuis la fin des 30 glorieuses, depuis M. Reagan et Mme Thatcher, et qu’elle est congénitale à la fondation de l’UE qui intégrait dès l’origine tous les impératifs d’un capitalisme libéral affamé d’expansionxviii.

Cependant, il est évident que la Macronie accélère singulièrement le rythme ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a été propulsée aux commandes. La logique interne aux credo néolibéraux s’enivre de sa propre course comme un cheval fou que personne ne retient. Cette mécanique implacable l’entraîne sans possibilité de retour, exigeant sans cesse davantage de croissance, de productivité, d’ouverture des marchés, davantage de privatisationsxix, de réduction de dépenses publiquesxx, de recul des droits sociaux…

Un imaginaire collectif délétère

Et pendant toute cette période, conscients de l’importance de « l’hégémonie culturelle » chère à Gramsci, les chantres du néolibéralisme ont travaillé sans relâche à imprégner l’imaginaire collectif de concepts ad-hoc, décrits par les euphémismes de la novlangue.
N’allons pas jusqu’aux mots fétiches de la start-up nation, qui font encore sourire et s’expriment uniquement en globish ; tenons-nous en au discours devenu commun, celui des chaînes d’information, des organes de presse, celui qui a pénétré toutes les sphères professionnelles et s’impose dans les dialogues et formate les pensées.

Assistanat, austérité, charges sociales, compétitivité, compétence, cohésion sociale, concurrence, déficit structurel, dette publique, excellence, paix économique, flexibilité, fraude sociale, intérim, privatisation, rationalisation, rentabilité, partenaires sociaux, crispation, handicap salarial..xxi. Liste à laquelle s’ajoute évidemment la plus belle trouvaille du président : Premier de Cordée.

Tous ces « éléments de langage », introduits à dessein par les classes dominantes, ont un dénominateur commun : lorsqu’ils décrivent les objectifs de ces classes, ils possèdent une jolie sonorité et une connotation positive ; mais ils prennent soudain un son sinistre, louche et rétrograde s’ils parlent de leurs opposants. La compétitivité, par le biais des si belles « compétitions » – et l’on pense inévitablement à une coupe du monde de foot – , est brillante, glorieuse, dynamique, jeune et nécessairement victorieuse. Les « charges sociales », en revanche, évoquent des employeurs pliant sous le poids des revendications de leurs salariés, elles sont imposées aveuglément par un état prêt à « assister » une horde de fainéants. Il faut avant tout éviter de rappeler qu’elles fondent la protection contre l’adversité, principal progrès pour les humbles et même les moins humbles, nécessité individuelle autant que collectivexxii.

Il s’agit là d’une évidence de fait, mais le but de la manœuvre est d’accréditer ces concepts, d’en faire les seuls outils pour décrire le monde.

Le cas de la « Dette publique » est emblématique de cette manipulation des mots et des concepts. Alors que l’interprétation de cette aspect des comptes publics a donné lieu à des dizaines d’ouvrages et d’articles contradictoires, dont certains pointent son caractère inhérent au capitalisme financiarisé et non au laxisme de l’étatxxiii, la métaphore régulièrement assénée au public se limite à celle du mauvais père de famille endetté, dispendieux et joueur qu’il faut sévèrement ramener à la raisonxxiv.

Pour parfaire cette mystification symbolique, durant toute cette période, les chantres de l’économie de marché se sont efforcés de faire croire à la mainmise idéologique de « cryptomarxistes » victimisant de malheureux libéraux étouffés par la pensée collectiviste, tandis que c’était bel et bien l’inverse qui se produisait comme on le constate aujourd’hui.

Chronique d’une faillite annoncéexxv

Or voilà que l’actualité, dès qu’elle n’est plus à la main du « Maître des horloges », s’ingénie à prendre à revers les concepts majeurs de ce système, contraignant ses hérauts à des acrobaties risibles, dérisoires et délétères. Car personne n’en est dupe, de l’analyste chevronné à l’auditeur ingénu. D’où la méfiance sans cesse accrue dans le récit des Élites.

C’est donc à une pathétique faillite que nous fait assister notre président, celui que ses promoteurs, ses agents publicitaires nous ont vendu sous le label Jupiter en vantant les multiples facettes de son intelligence, de son omniscience, de sa capacité à « révolutionner » le monde en douceur, en balayant les structures surannées dont s’encombraient les « conservateurs ». Et dans cette faillite le suivent et l’assistent ses ministres et l’armée de ses élus de fraîche date.

Une faillite dans les faits

On assiste successivement, dans ce contexte économique et politique, à une série impressionnante de crises qui semblent programmées d’avance, et devraient amener à « renverser la table ». Ce que les élites promettent à chaque fois la main sur le cœur.

Pas moins d’une vingtaine de crises de type monétaire ou financier sont répertoriées depuis les années 80, dont un bon nombre portent le joli qualificatif de « systémique ». Très récemment : Explosion de la « Bulle spéculative des valeurs technologiques » culminant en 2000 ; crise des Subprimes de l’été 2007, immédiatement suivie de la crise bancaire et financière de la fin de l’été 2008, crise grecque amorcée en 2009…
Et puis il y a les crises sociales majeures (Gilets Jaunes, retraites).

Et puis il y a l’incapacité congénitale à faire face au défi climatique, emblématisée par la démission de Nicolas Hulot lui même… La fragilisation du pays par les délocalisations, par la facilitation d’une finance débridée, par la frénésie d’accords de libre échange, la dilapidation des grandes entreprises qui ont contribué à bâtir la France…

En forçant l’Hôpital public à singer le modèle « entrepreneurial », les dogmes libéraux ont conduit à sa précarisation, dénoncée par les personnels depuis des mois, sans effet notable. A Grenoble, en pleine crise sanitaire, le Groupement Hospitalier Mutualiste est en passe d’être vendu comme un vulgaire commerce, pour passer de mains en mains selon des modalités financières incompréhensiblesxxvi. Dans le même temps, le célèbre « numerus clausus » a progressivement réduit de nombreux secteurs de la médecine libérale à la portion congrue, ce que chacun constate. Au point que les conseils actuels « n’encombrez pas le 15, appelez votre médecin personnel » passent pour une fort mauvaise plaisanterie. La recherche, enfin, elle aussi en sous-effectif, sous payée et précarisée est une impasse de plus, dont les conséquences présentes et futures sont évidentes.

Là encore, l’épidémie actuelle agit comme un révélateur montrant à quel point les « réformes » libérales sont prises à revers par les réalités.

Ajoutons que tous les secteurs – même « régaliens » – sont menacés du même traitement, en danger de développer les mêmes syndromes même si cela n’apparaît pas tout de suite. Ainsi l’enseignement secondaire – après l’Université – est-il enjoint de copier peu ou prou le modèle d’entreprise, un proviseur et une principal de collège devenant gestionnaire de son « entreprise », tout étant fait pour qu’à terme il recrute « son » personnel, le juge lui même et devienne administrateur financier.

Une faillite idéologique

Ces faillites de fait dénoncent sur le fond une déroute idéologique qui est parfaitement ressentie dans les opinions publiques.
En France même, voilà qu’avec obstination, avec violence, avec dissimulation et rhétorique perverse, un chef si peu charismatique et ses lieutenants disciplinés nous démontrent jour après jour l’imposture de leurs credo, l’impasse de leurs analyses économiques et technoscientifiques, l’aveuglement de leurs schémas sociologiques, l’aventurisme de leurs méthodes politiques, la faiblesse insigne de leur vision historique prétentieuse. Et en prime la petitesse de leur rigueur morale.

Par quelque bout en effet qu’on prenne les actes qui se sont succédés depuis le début de ce néfaste quinquennat, chaque événement imprévu, chaque réaction politique du pouvoir, chaque analyse proposée par la presse vendue à ses amis est une démonstration par l’absurde. Tout dénonce les fausses pistes, les mensonges, les arguties et les inextricables contradictions des bases idéologiques et intellectuelles, de l’absurdité des modèles.

Bien entendu LREM, cette nouvelle variété d’exécutants des basses œuvres des classes possédantes ne poursuit pas des buts très différents de ses prédécesseursxxvii ; mais elle s’y attelle sans sourciller, avec plus de détermination et de dogmatisme technocratique, plus de rage et davantage de « pédagogie » perversexxviii. Et malheureusement pour nous, la conception même du politique dont Macron est le prototype les rend pires en les délivrant de responsabilités durables. Il est jeune – l’a-t-on assez répété – , issu de la « société civile » – sans passé politique, rompu déjà au mécanisme des portes tournantes qui mêle affaires publiques et affaires privées. Le président sera donc loin déjà, retourné à ses affaires bancaires, lorsqu’il s’agira d’assumer enfin les catastrophes de tous types dont sa volonté « révolutionnaire » – contre la partie du peuple qui veut bien s’intéresser aux affaires publiques – sème les germes. Il n’aura cessé de prétendre « assumer » lorsque c’était sans risque, mais se sera défaussé du futur.

Or ce que le macronisme nous donne à voir de manière intelligible, ce sont bien les apories d’un système civilisationnel à bout de souffle, et les arguties des acteurs chargés de le maintenir encore sous perfusion pour le plus grand profit de classes possédantes qui, soyons-en certains, préparent leur sortie à l’image d’Elon Musk prônant un départ vers Mars une fois les beautés de la planète Terre ravagées.

Au plan idéologique, et bien que ce choix ne soit jamais assumé, il est lumineux que le credo qui anime ces gens est celui d’un libéralisme débridé, dépasséxxix, mortifère. Au soubassement de ce credo, les impératifs du capitalisme, certes, mais aussi l’oubli des leçons qui ont montré la nécessité de le réguler de le contraindre, de l’encadrer sévèrementxxx. Les concepts qui les guident nous sont assénés jour après jour, parfois explicitement, mais plus souvent comme des vérités implicites et indiscutables, à telle enseigne qu’ils finissent par imprégner le langage et modeler la pensée. Les accepter comme principes est déjà une défaite, ils sont le langage des maîtres. Ils assènent que Le Marché est autorégulateur, et que la seule condition à cette magique vertu est la concurrence libre et non faussée. Ils introduisent subrepticement l’idée que ce qui se déroule dans ce Marché mondialisé aurait quelque-chose à voir avec le gentil marché qui se tient sur la place voisine où l’on peut regarder les tomates de Jean puis celles de Bachir, et choisir en notre âme et conscience le meilleur « rapport qualité / prix »31. Ils distillent de manière ininterrompue le venin d’une version primaire et tendancieuse de la théorie de l’évolution version socio-darwinisme mal digérée. Il pensent ainsi prouver que tout ce qui disparaît – emploi, région industrielle, ville sinistrée par la « crise », langues, cultures, ne serait que le résultat d’une loi naturelle condamnant sans appel ce qui est « inefficace », mais jamais le résultat d’une volonté de profit des possédants, jamais le résultat d’une stratégie politique.

Une faillite intellectuelle

Cette faillite idéologique qu’il leur faut dissimuler le plus longtemps possible, engendre alors une faillite intellectuelle dans laquelle tout ce qu’ils qualifient d’Élite accepte de servir ce cadre condamné. L’on voit alors des représentants d’une classe politique, des intellectuels, des scientifiques, des hommes de presse, de grands dirigeants, des « Élites », une part de ce que le pays compte de prétendus premiers de cordée, au fond, mettre son intelligence, son savoir, son aura au service de la défense de cette idéologie à bout de souffle, dangereuse comme un fauve blessé.

On se perd évidemment en conjectures quant aux raisons qui poussent la grande majorité des éditorialistes à tant de mansuétude. Mais l’élan politique qui suivit le succès imprévu de M. Macron attira aussi nombre d’intellectuels notables, qui apportèrent de facto leur caution à ses choix. Et le président, auréolé de son passage auprès de Paul Ricoeur, ne manqua pas de jouer aussi cette carte là. Il tenta donc de se montrer auprès d’aréopages de « savants », ceux-ci acceptant de rehausser son prestige et vice-versa. Ainsi reçut-il les intellectuels signataires du « Manifeste des patriotes européens ». L’occasion pour le chef de l’État de se mettre à nouveau en scène en héraut du Vieux Continent. (Le Monde, 20 mai 2019).
Ainsi
65 sommités acceptèrent-elles son invitation en vue d’un « échange sur la vie politique et sociale », ce qui selon Mediapart marqua un nouveau temps fort hélas de l’agonie du champ intellectuel …(blogs Mediapart, 18 mars 2019).
Cette rencontre, qui se situait dans le cadre du « Grand débat » suivant la crise des Gilets Jaunes, fut une occasion pour le Président de s
e parer d’une auréole académique. Or si beaucoup de nominés refusèrent l’invitation (Thomas Piketty, Sophie Agacinski…), et si Frédéric Lordon a expliqué haut et fort sa défection, une bonne soixantaine acceptèrent sans sourciller d’apporter leur caution à ce renvoi d’ascenseur pour le moins ambigu.

Une faillite morale

Alors les mensonges, dissimulations, retournements de vérité, exigés par le maintien au pouvoir et par les exigences des donneurs d’ordres accentuent le discrédit croissant qui pèse sur la classe politique, les média aux ordres imprégnés de cette hégémonie culturelle. Tous le savent, mais leur seule parade est dans le mensonge, l’hypocrisie, la dissimulation. Ils savent que l’on sait qu’ils mentent, mais le jeu de dupes se poursuit.

Et dans l’ombre de cette vision du monde se tapit celle de l’existence de deux variétés d’humains : ceux qui ont du talent, les élus de cette sélection des plus aptes pour le plus grand bien de l’humanité future, et ceux qui ne peuvent que se soumettre.

Les élus agissent bien entendu pour le plus grand bien de tous, mais si les choses tournaient mal, il n’y aurait pas de place pour tous, dans l’Exodus de Musk en partance vers Mars.

M. Macron a trouvé pour dissimuler cette conception le joli mot de « premiers de cordée », prouvant par là même qu’il n’a jamais réfléchi à ce que pouvait bien être une cordée, son éthique, sa méthode, sa constitution. Mais cette « philosophie » erronée et faussement naturelle fait fi de notions aussi centrales que la coopération, les symbioses,les synergies qui sont la vraie force des hommes.

Conclusions

Le coronavirus, une leçon ? Une leçon pour qui ?

Alors qu’il conviendrait, pour faire face aux défis qui s’annoncent, de penser l’avenir en termes de « résilience », le monde que construit le néolibéralisme ne sait qu’empiler des constructions de plus en plus fragiles, où la sphère financière tient un rôle central et sans cesse plus prégnant alors même que cet édifice est celui qui supporte le plus mal les incertitudes et les accidents de parcours.

La « science » elle-même, sur laquelle le Président compte soudain pour chasser le virus – tout en précarisant le recherche – , ne doit pas être parée de toutes les vertus. M. Macron ne devrait pas ignorer aussi que, pilotée par les mêmes choix économiques, elle porte elle-même une part importante de responsabilité dans les impasses du « modèle de développement » dont il doute maintenant.
La science n’est pas porteuse en elle-même d’un monde plus équilibré ;
elle doit procéder d’une vision humaniste et non servir les intérêts d’une idéologie productiviste.
Notre travail, notre énergie, notre intelligence, nos savoirs, notre intelligence peuvent-ils encore être mis au service de la production de gadgets périssables, inutiles, polluants, véhiculés sur des milliers de milles nautiques et emballés dans des tonnes de cartons et de plastiques ?
Ou bien doivent-ils plutôt œuvrer à la construction d’une société résiliente assurant l’essentiel ?

On peut comprendre qu’aucun politique prétendant aux manettes, élaborant un « programme de gouvernement » ne puisse d’emblée proposer de renverser la tablexxxi. On peut comprendre qu’aucun ne dispose d’une théorie « prêt-à-porter » susceptible de mettre fin à 40 années d’offensives financières, organisationnelles, idéologiques et culturelles.

En revanche, il serait de la responsabilité de dirigeants politiques lucides d’amorcer ce virage. Il est spectaculaire qu’aucun leader au monde n’ose dire que la croissance est le nœud de ce problème. N’ose faire avancer l’idée qu’il nous faut imaginer un monde sans croissance, ou plutôt les modalités d’une croissance différentiée permettant à certaines régions du monde les bases matérielles d’un progrès humain, tout en freinant celle des régions les plus dispendieuses. La question n’étant évidemment pas uniquement régionale, mais bien sociologique. Au lieu de quoi l’on voit sans cesse accréditer la nécessité incontournable de cette croissance, sans bien discerner à qui elle profite et pour qui elle serait nécessaire, en masquant le fait que la plus grande partie des gens n’en verra pas l’effet, mais que le capitalisme en percevra les dividendes.

Et l’on nous ment alors effrontément, nous abreuvant d’inepties soi disant favorables au climat. Efficacité énergétique, ampoules basse consommation, isolation pour 1 euro… alors que dans l’optique non négociable du changement climatique, la question n’est pas de l’efficacité des ampoules, mais in fine de la consommation globale d’énergie. Or lorsqu’on parle de réduire notre consommation assume-t-on une baisse d’activité de Total, d’EDF, d’Engie, des aéroports de Paris et autres fleurons ? Alors même qu’il n’est question que de les privatiser, ce qui suppose évidemment de faire briller leurs possibilités de croissance…

Et de ce point de vue, force est de reconnaître que le macronisme, s’il n’est pas l’inventeur du « système », marque tout de même une étape « décomplexée », un parachèvement pour lequel les commanditaires ont placé là leur homme-lige.

i Ainsi le Coronavirus a-t-il spectaculairement éclipsé le passage en force de la loi sur les retraites : voir « Coronavirus et 49.3 : Édouard Philippe déroule sur TF1 ». https://www.acrimed.org/Coronavirus-et-49-3-Edouard-Philippe-deroule-sur
ii « Partout l’épidémie va rencontrer des exigences sanitaires et des systèmes de santé déjà largement mis sous tension par les politiques de réduction des dépenses dans les services publics » (J.L. Mélenchon, 10/03/2020). Pour ce qui est des causes du coronavirus, on voit clairement le lien avec la rapidité des transports, l’abolition des distances, les échanges permanents de biens, tandis que les conséquences sont aggravées par les dépendances stratégiques (pénurie de médicaments, de masques…), fragilités financières, engendrées par les « avantages concurrentiels »…
iii A l’exemple de Friedrich Hayek, inspirateur de Margaret Thatcher. Quand ils n’oeuvrent pas à les mettre en place.
iv Il était caricatural d’entendre M. Macron conclure par le superbe aphorisme : On se sauve en disant « nous », pas en disant « Je », après un discours dont chaque phrase s’enflait d’un prétentieux « Je veux… »…
Caricatural et révoltant de l’entendre en appeler à la responsabilité des personnels médicaux et de louer leur rôle essentiel en feignant d’oublier les luttes que mènent depuis des mois ces personnels en étant si peu écoutés.
v Les « Élites » tireront-elles leçon de ce coup de semonce ? On peut douter qu’elles veuillent reconsidérer le seul « modèle » qu’elles révèrent ; d’ores et Déjà le Japon fait connaître qu’il n’est pas question de différer ses J.O.
vi DERNIERE SECONDE : « Ce matin, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France, a été arrêtée avec plusieurs autres participant·e·s de l’action « démasquons Macron ». Elle a été placée en garde à vue au commissariat du 5e arrondissement de Paris. Décidément, M. Macron a décidé de prendre au sérieux les affaires climatiques.
vii Ce sont eux aussi qui poussent à l’extension des mégalopoles, des aéroports, des installations portuaires, du tourisme de masse…
viii Et voici ce jour mémorable où l’on fait face « quel que soit le coût », et où M. Macron nous révèle sa découverte tardive de la beauté de l’ « État Providence », jusqu’ici père de tous les vices…
ix « Faire face quel que soit le coût », ne signifie-t-il pas , au-delà des formules, avoir la volonté de remettre en cause le partage des fruits du travail ?
x Il ne s’agit pas là évidemment d’un jugement moral. PDG, administrateurs, actionnaires ne sont pas forcément plus « méchants » que la moyenne des hommes. Mais leur fonction consiste à valoriser le capital de l’entreprise, à doper sa valeur boursière. Il n’est pas de promouvoir l’humanisme.
xi Tout au plus dans les meilleurs des cas certaines victimes parviennent-elles à obtenir un dédommagement symbolique au bout de décennies de procédures.
xii Sauf à déclarer que ces biens communs ne devraient pas exister, comme le fit avec une insolence insupportable le président de Nestlé au sujet de la gestion de l’eau dans le film « We feed the world ».
xiii Pas même celle qu’avaient les grands « Maîtres de forges » du XIX° siècle, préoccupés de la capacité de production de leurs ouvriers. Mais c’était aux balbutiements du grand capitalisme, avant le néolibéralisme et la mondialisation, avant l’invention de la flexibilité et des livreurs Uber.
xiv Quelles que soient les critiques que l’on peut faire du mode de représentativité « démocratique », les instances politiques sont bien le seul lieu où règne une part de démocratie ; il n’en existe aucune trace dans l’entreprise.
xv A l’exception notable des forces de maintien de l’ordre. Et encore ces fonctionnaires n’ont-ils perçu leurs heures supplémentaires que grâce aux Gilets-Jaunes. Sans pour autant les en remercier.
xvi Via en particulier les lobbyings et le système des « portes tournantes ».
xvii La privatisation de l’enseignement est à l’ordre du jour au sein des instances mondiales, comme en témoignent les travaux de l’IIEP (UNESCO). Voir : http://www.iiep.unesco.org/fr/limpact-de-la-privatisation-ou-linvestissement-public-dans-le-systeme-educatif-sur-les-resultats et http://veille-eip.org/fr/content/privatisation-de-leducation-quelques-elements-de-comprehension
xviii Ces impératifs et ces credo s’appellent : croyance dans une économie de marché pacificatrice par nature, instauration de la concurrence en principe fondateur, de la libre circulation – des capitaux principalement – , abandon des prérogatives régaliennes des états, avec en tête la maîtrise de la monnaie. Le très célébré Jean Monnet avait posé les bases de ces croyances, et l’on sait qu’en remontant au gouvernement de L. Jospin, on trouve la signature des accords de Lisbonne, pierre importante de l’édifice. Le mouvement est donc amorcé depuis longtemps.
xix Quand soudain… Ce devait être l’année de la privatisation d’ADP, mais ce pourrait être plutôt celle de la reprise en main d’Air France-KLM. (Les Echos , 14 mars 2020)
xx Dans ce discours, il s’agit en fait des dépenses d’intérêt général, car jamais le libéralisme financiarisé ne hurle à la gabegie lorsqu’il s’agit de sauver des banques.
xxi Dictionnaire du Petit Menteur (mon ordi), voir aussi Lexique Acrimed.
xxii Et très tardivement révélée à M. Macron : Vieillesse, maladie et maternité, accident du travail et maladie professionnelle, invalidité et décès, chômage, formation professionnelle…
xxiii Voir : Une dette publique construite, voire illégitime ? https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-4-ete-2014/debats/article/une-dette-publique-construite ; voir aussi : http://www.acontrecourant.org/wp-content/uploads/2014/01/livresdette.pdf
xxiv J’encourage [les entreprises] à se déclarer en activité partielle, déclare Bruno Le Maire. Les coûts sont pris à notre charge, l’État et l’Unedic. Quel que soit le coût, nous répondrons présents. 
xxv Le #Coronavirus dissout le néolibéralisme : #Merkel supprime la règle du 0 déficit. #Macron annule le jour de carence et la privatisation d’#ADP. (Twit de J.L. Mélenchon, 11 mars 2020.
xxvi Voir: https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-groupe-hospitalier-mutualiste-va-etre-vendu-1728453.html
xxvii Les principes fondateurs de l’Europe ont gravé des règles de base dictées par les intérêts capitalistes et leurs modèles économiques, conduisant tout droit aux impasses actuelles. A « Gauche » même, l’abdication n’est pas d’hier, qui a fait adhérer aux contingences du libre échangisme, de la financiarisation et du productivisme aveugle.
xxviii Il faut admirer la volonté tenace d’imposer la réforme des retraites, en gazant les manifestants, en ignorant les « corps intermédiaires », en piétinant les débats, au mépris des mobilisations, des sondages, des promesses de référendum, et de l’importance civilisationnelle et quasi philosophique de la question.
xxix Que nombre de spécialistes comparent à celui de Mme Thatcher et de M. Reagan, étayé sur des concepts théoriques depuis largement contestés.
xxx Il n’est pas prouvé que le capitalisme soit réformable, on sait aussi les apports qu’on lui doit en termes de production de richesses, mais tout montre aujourd’hui qu’il ne peut seul diriger le monde vers des lendemains vivables, et qu’il est indispensable de le soumettre aux attentes d’une conception humaine de ce monde.
xxxi Il semble que Bernie Sanders – à rebours des clichés erronés sur les US – soit aujourd’hui seul capable d’amorcer prudemment un mouvement de pensée vital, ressuscitant le collectif, les biens communs, les questions environnementales…

L’héritage d’Ambroise Croizat

Le 11 février 1951, Ambroise Croizat décédait

Il y a 69 ans jour pour jour, Ambroise Croizat, le père de notre régime général de la sécurité sociale décédait. Il laisse derrière lui un héritage révolutionnaire qu’il faut défendre et qu’il faut continuer. Comme lui, il ne faut pas défendre des droits mais se battre pour de nouveaux droits. Merci Monsieur Ambroise Croizat !

 

Qui connaît encore Ambroise Croizat ?

Une expérience malheureusement triste à réaliser est de se rendre dans la rue afin de demander aux passants qui est Ambroise Croizat, la majorité ne pourront pas vous répondre. Comment est-ce possible ? Pourquoi cet homme est-il oublié des livres d’histoire ? Des références politiques ? Pourquoi son œuvre n’est-elle pas étudiée ? Pourquoi sa mémoire n’est-elle pas honorée ? Parce qu’il est communiste ? Parce qu’il a mis en place une institution anticapitaliste de gestion communiste ? Parce qu’il a combattu politiquement De Gaulle ? C’est pourtant l’homme qui permet aux soignants, aux parents, aux chômeurs, aux accidentés du travail, aux malades, d’avoir un salaire (allocation) pour vivre en dehors de l’économie de marché. C’est pourtant l’homme qui a reçu un des plus grands hommages de toute l’histoire française : 1 million de personnes se sont déplacées sous une pluie torrentielle. Un hommage digne de celui de Victor Hugo. Si ce n’est pour ce dernier homme cité, jamais autant de personnes ne se sont déplacées pour rendre un tel hommage, alors pourquoi Ambroise est-il tombé dans l’oubli ?

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Ambroise Croizat, qui êtes-vous ? 

Avant de vous parler de son œuvre politique, laissez-moi vous présenter rapidement l’homme. Ambroise est né le 28 janvier 1901, il est fils d’ouvrier et d’employée. Comme beaucoup d’enfants de son époque, il travaille à l’usine à l’âge de 13 ans dans la métallurgie. En 1920, le Parti Communiste se crée en France et Ambroise s’y inscrit dés son ouverture. Il devient un militant convaincu du projet communiste et deviendra l’un des dirigeants des Jeunesses communistes entre 1920 et 1928. Il sera membre du bureau de la Fédération de la Jeunesse jusqu’à son décès. C’est en 1936 qu’il devient secrétaire général de la Fédération Unique de métallurgiste CGT, qui regroupe à l’époque 20 % de l’effectif du syndicat. Cette même année, il participera activement aux conquêtes sociales et aux négociations qui amèneront les congés payés, la semaine de 40 heures et la loi dont il est l’auteur sur les conventions collectives.

Mais la deuxième guerre mondiale approche et les communistes sont arrêtés et condamnés à la prison pour leur neutralité politique dans le conflit mondial. Ambroise est condamné à 5 ans de prison et après avoir transité dans 14 prisons les fers aux pieds, il finira emprisonné à Alger. L’Algérie est libéré très tôt par l’intervention américaine, et c’est pendant ces années de résistance à Alger avec d’autres camarades que va mûrir l’idée d’un système de protection sociale novateur et révolutionnaire. A la Libération, il devient ministre du Travail de 1945 à 1947 et pendant ces 2 ans, il construira cette institution qui rend la France si unique dans le monde entier.

L’œuvre d’Ambroise Croizat  

Les ordonnances de 45 créent le Régime Général de la Sécurité Sociale. Il permet de socialiser une partie de la richesse produite annuellement (PIB), soit environ 20 % (480 milliards d’euros), afin d’être distribuée aux soignants, aux malades, aux chômeurs, aux retraités, aux parents.

Selon Bernard Friot, le Régime Général n’est pas un organisme de solidarité entre les actifs et les inactifs comme on le répète souvent sur tous les plateaux de télévision. Selon lui, le but de ce mensonge est de dénaturer la subversion politique engagée d’Ambroise Croizat. D’abord le Régime Général n’est pas qu’une institution de solidarité de ceux qui travaillent vers ceux qui ne travaillent pas ou plus. Le Régime est révolutionnaire car il crée une valeur économique alternative à la valeur capitaliste. Il socialise 500 milliards notamment par la cotisation pour les répartir vers différentes caisses qui elles, donneront un salaire aux soignants, aux retraités, aux parents… C’est à dire que ces personnes ont un salaire qui reconnaît un travail sans être sur le marché de l’emploi ! Les capitalistes n’ont aucune prise sur cette richesse.

Selon Friot, une retraite n’est pas le droit d’avoir une pension qui reconnaît que l’on a travaillé auparavant, mais c’est le droit d’avoir un salaire qui reconnait une production de valeur d’usage sans être sur le marché du travail. Idem pour les familles, les allocations familiales étaient appelées « sur-salaire » et constituées jusqu’à 50 % des revenus des ménages en 1945. C’est la reconnaissance du travail d’éducation des parents sans qu’ils le fassent sur le marché capitaliste de l’emploi.

Croizat sort donc le salaire de l’emploi, c’est à dire qu’il considère que les cotisations versées ne sont pas des aides, mais bel et bien du salaire et invente donc une autre reconnaissance du travail. Il ne suffit pas d’avoir un emploi pour avoir le droit à un salaire. Pourquoi si j’élève mon enfant, on me dit que je ne travaille pas alors que si c’est une auxiliaire qui le fait, cela devient du travail ? On se rend compte que la définition du travail capitaliste, ce n’est pas ce que l’on fait, mais c’est dans l’institution dans laquelle on le fait. Croizat change cette définition en reconnaissant le travail quotidien en dehors du marché de l’emploi. La révolution de Croizat, c’est qu’il change le sens du travail. Ambroise a ouvert la voie de l’émancipation du modèle capitaliste.

Cette théorie de Friot sur la subversion du Régime Général est ambitieuse car on ne peut savoir si la volonté de Croizat s’inscrivait dans cette dynamique réflective. Du moins, Croizat s’est battu, tel un résistant contre les forces capitalistes non pour faire du ‘’social’’ comme aujourd’hui, mais bel et bien pour repousser au plus loin qu’il le pouvait la violence de la prédation capitaliste.

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Une deuxième chose à laquelle Friot n’est pas d’accord est cette affirmation : « le patronat a accepté le régime général car il était décrédibilisé par son collaborationnisme nazi ». Ainsi Ambroise Croizat a baigné dans un consensus entre le capital et le travail. Or ceci est totalement faux ! Le patronat n’était pas à genoux, il était omniprésent dans tous les partis du gouvernement de 1945 (Gaullistes, le SFIO, le MRP… ). Ainsi ils se sont tous accordés sur la continuité de l’interdiction des augmentations de salaire. Mais le PC gagne les élections législatives de 1945 avec 26 % des voix. Avec 5 ministres communistes au pouvoir dont Croizat et 5 millions d’adhérents à la CGT, le patronat tremble et organise la pénurie avec les députés non communistes par l’interdiction de hausse des salaires avec l’augmentation des prix. C’est pourquoi le pouvoir d’achat en 1947 est inférieur à celui de 1944. La classe dominante attend que les ouvriers se retournent contre la CGT et le PC, beaucoup trop puissant en termes de militants et de puissance idéologique. Mais l’intelligence de Croizat est prodigieuse. Il va contourner l’interdiction de valorisation salariale en… doublant les allocations familiales, puis il introduit les 50 % pour les heures supplémentaires. Il supprime également la décote de 10 % sur les salaires féminins. Avant Croizat, une femme pour le même poste qu’un homme avec la même qualification perdait automatiquement 10 % de salaire. Croizat engendre une victoire de plus face au patronat collaborateur nazi et à tous les politiques qui le soutient !

Puis en décembre 1946, les ministres communistes sont éliminés et Croizat partira en mai 47. C’est la fin de la participation communiste au gouvernement. Pour ce qui est de l’affaiblissement de la puissance de la CGT, c’est la CIA qui va s’en charger en organisant la scission de la CGT en 1947 avec l’aide du syndicaliste américain Irving Brown, pour créer Force ouvrière, afin de lutter contre les communistes et surtout pour soumettre la population au Plan Marshall.

En conclusion, entre 1945 et 1947, 5 ministres communistes ont été suffisants pour révolutionner notre système social et de santé sur un mode de gestion communiste avec un salaire à vie, la copropriété d’usage, le financement par l’investissement et tout cela avec une gestion ouvrière. Ceci sans parler de la fonction publique qui détache le salaire du poste de travail et qui en fait un salaire à vie, détaché de toute dynamique de marché. Entre 1947 et 1967, le Régime était géré par 3/4 de salariés et 1/4 de patrons. De Gaulle qui a toujours été contre le programme social du Conseil National de la Résistance et du Régime Général de la sécurité sociale, détruira la démocratie sociale du Régime Général notamment en 1967 en confiant sa gestion au patronat.

Ambroise Croizat décédera en 1950 rongé par un cancer des poumons. Militant dans l’âme, ses derniers mots à l’assemblée seront « Jamais nous ne tolérerons que soit mis en péril un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès ».

Et aujourd’hui ?

Depuis les années 80, les gouvernements successifs essaient de casser morceau par morceau la construction d’Ambroise Croizat, que ce soit l’UMP/LR ou le PS ou LREM. Depuis sa création, on dénombre au moins une centaine d’attaques contre le Régime Général. L’expression « trou de la sécu », un autre argument fallacieux de la contestation politique bourgeoise, date de 1947 !

Ambroise Croizat, que l’on appelait le ministre des travailleurs, était également le ministre de la subversion, de la fraternité populaire, du courage politique. Il faut défendre ce qu’il a construit avec ses camarades de la CGT. Croizat est celui qui permet encore aujourd’hui aux chômeurs, aux parents, aux malades, aux soignants, aux retraités de pouvoir vivre par la cotisation. La cotisation aujourd’hui détruite par les réformateurs de droite comme de gauche par le blocage du taux de cotisation, par la CSG, les exonérations, les fraudes.
Merci Ambroise, merci ceux qui ont continué son combat. A nous maintenant de continuer la lutte non pas pour défendre nos droits, mais pour conquérir du droit !

Le combat d’Ambroise n’a eu qu’un seul but, celui de :

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain… La sécurité sociale est la seule création de richesse sans capital. La seule qui ne va pas dans la poche des actionnaires mais est directement investie pour le bien-être de nos citoyens. Faire appel au budget des contribuables pour la financer serait subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières. Ce que nous refusons. » 

Ambroise Croizat

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Mettre un ouvrier au pouvoir politique, c’est conquérir des droits bien différents que les technocrates de l’ENA. Voici ci-dessous les différentes implications d’Ambroise Croizat dont il est soit l’initiateur, soit ayant participer activement à la réussite de la conquête du droit :

–  Mise en place du Régime Général de la Sécurité Sociale

–  La généralisation des retraites

–  Augmentation des allocations familiales

–  Négociation aux Conventions Collectives

–  Négociation aux congés payés

–  Les comités d’entreprise, la formation professionnelle

–  La médecine du travail

–  Le statut des mineurs, des électriciens et gaziers

–  La prévention dans l’entreprise

–  La reconnaissance des maladies professionnelles

–  Amélioration du Code du Travail

–  La caisse d’intempérie du bâtiment

–  Réglementation sur les heures supplémentaires

–  Le Statut des mineurs

–  Donner un salaire sans être sur le marché de l’emploi (détachement du salaire de l’emploi) « Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais 

Ambroise Croizat

Source https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/110220/le-11-fevrier-1951-ambroise-croizat-decedait

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