Athènes (Grèce).– Mercredi 7 octobre à la mi-journée, une foule de quelque 15 000 personnes a poussé un immense cri de joie sur le boulevard Alexandras, au centre d’Athènes.
La cour pénale devant laquelle se sont massés ces milliers de citoyens aux sensibilités politiques plutôt à gauche, antifascistes ou anarchistes, venait en effet de désigner le parti néonazi Aube dorée comme une « organisation criminelle ». Son fondateur, Nikos Michaloliakos, et six anciens députés de cette formation ont été reconnus coupables de la diriger. Leurs peines seront prononcées dans les jours prochains.
Pour ceux qui attendent debout sous la chaleur écrasante, cette qualification cruciale signe enfin « la mort d’Aube dorée », comme le crie un jeune. La preuve que ce mouvement très hiérarchisé est lié à des crimes qui ne sont pas des actes d’individus isolés. Ce verdict coupe aussi définitivement ses financements étatiques et l’empêche de se présenter aux élections.
« Cette reconnaissance va mettre un terme à leurs pratiques inacceptables comme la violence à l’encontre des migrants, les escadrons de la mort. Cela crée un précédent judiciaire important », exulte l’architecte Athina Arampatzi, masquée sous ces bannières aux slogans antifascistes. Sur sa jambe, elle porte un autocollant portant l’inscription : « Ils ne sont PAS innocents. Les nazis en prison ». Cette formule, sur fond de tache de sang, est visible partout dans le cortège dense.
Quelque 69 partisans ou membres d’Aube dorée étaient poursuivis pour divers chefs d’accusation dans un procès-fleuve de plus de cinq ans. Parmi eux, certains étaient jugés pour « tentative d’homicide » à l’encontre de pêcheurs égyptiens en juin 2012 et de membres du syndicat communiste PAME en septembre 2013.
D’autres étaient poursuivis pour meurtre et complicité de l’assassinat du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, qui avait choqué la Grèce en septembre 2013. Il avait été tué dans les faubourgs du Pirée, près d’Athènes, par Giorgos Roupakias, membre du parti reconnu aujourd’hui coupable du meurtre. Quatorze autres accusés ont été reconnus coupables de complicité de meurtre.
« C’est ce que nous voulions, la décision est historique », se satisfait Christos, une connaissance de Pavlos Fyssas, présent non loin des bus de CRS grecs qui barrent l’entrée du tribunal. Au même moment, à l’intérieur, ils ne sont que 11 sur les 68 accusés à être présents.
Pour la première fois depuis le procès de Nuremberg en 1945-1946 à l’encontre de responsables du Troisième Reich, un parti politique était visé pour « constitution d’une organisation criminelle » en Europe. La formation était devenue un temps troisième force politique du pays, siégeant au Parlement grec de 2012 à 2019.
De l’autre côté du cordon de police, sur le parvis de la cour de justice, Magda Fyssas, la mère du rappeur défunt, montre son émotion devant les caméras. « Mon fils, tu l’as fait », crie-t-elle, levant les bras au ciel. Jamais elle n’a manqué une des journées d’audience à la prison de Korydallos ou dans la cour pénale d’Athènes (plus de 400 au total).
La tension était vive dans cette salle aux fauteuils rouges. D’un côté se tenaient les parties civiles – des citoyens issus de la mouvance antifasciste, communiste, des réfugiés, etc. De l’autre, les accusés, des figures de l’extrême droite adeptes de la violence permanente à l’égard de leurs opposants. Trois magistrats ont entendu les 68 accusés (l’un est décédé entre-temps) et leur défense, et recueilli plus de 150 témoignages, avant d’annoncer enfin le verdict.
Dans le cortège, Alexandros Galdis, membre de Orma (Organisation pour les militants antifascistes), sur la réserve, en appelle au passé. « Il y a eu des condamnations après la dictature des colonels [qui a pris fin en 1974 – ndlr], cela n’a pas empêché la montée d’Aube dorée », dit-il, serrant l’épais bâton de son drapeau rouge et noir. « Ce parti-là est mort aujourd’hui, mais les idées fascistes circulent toujours : qu’allons-nous faire de leurs descendants qui sont dehors ? La Nouvelle Démocratie [droite au pouvoir – ndlr] a elle-même recruté des anciens membres extrémistes du Laos [parti nationaliste – ndlr] dans son gouvernement », dénonce-t-il.
Le premier ministre Kyriakos Mitsotakis a réagi positivement au verdict, le qualifiant de « preuve de la séparation des pouvoirs », alors que le chef d’Aube dorée avait dénoncé un « complot politique ». « La démocratie a gagné », a ajouté M. Mitsotakis.
À peine le verdict annoncé, les policiers présents en nombre ont lancé des lacrymogènes en rafale sur la foule paniquée qui a déserté le boulevard. En quelques dizaines de minutes seulement, les forces de l’ordre ont déployé au moins quatre canons à eau. La tension était forte, certains dans la foule dévisageant des forces de l’ordre longtemps accusées de « complicité » avec Aube dorée.
L’impunité dont le parti a bénéficié pendant des années et la sympathie dont il jouissait parmi les policiers ont en effet contribué à son expansion. Le laboratoire d’investigation pluridisciplinaire Forensic Architecture, qui a reconstitué la nuit de la mort de Pavlos Fyssas, assure que « les membres d’Aube dorée, dont de hauts représentants, ont agi de manière coordonnée, et les membres des forces de police spéciales (…) étaient présentes sur les lieux, pendant et après le meurtre, et ne sont pas intervenues ».
Malgré son idéologie nationale-socialiste, aucune interdiction du parti n’était envisageable. Celle du parti communiste banni sous la dictature des colonels a marqué les mémoires et une telle décision est perçue comme contraire aux principes démocratiques.
Le dirigeant Michaloliakos renie aujourd’hui cette idéologie « nazie », se revendiquant « nationaliste ». Dans les années 1980, Aube dorée était pourtant le nom d’une revue présentant une croix gammée sur sa couverture. En 1983, l’ancien député Christos Pappas, jugé mercredi, y qualifiait Hitler de « visionnaire de la nouvelle Europe », comme le rapporte le journaliste Dimitri Psarras dans l’ouvrage Aube dorée : le livre noir du parti nazi grec.
Le groupuscule s’était transformé en parti politique en 1993. À cette époque, l’immigration albanaise liée au conflit des Balkans alimentait le succès des thèses xénophobes. Mouvement marginal dans les années 2000, « il multipliait déjà les actions contre les antifascistes mais ses liens avec la police lui ont permis de continuer, explique Petros Constantinou, coordinateur de la coalition antiraciste et antifasciste Keerfa. À l’époque, nous alertions déjà contre cette menace, mais lorsqu’on parlait d’Aube dorée, les partis de gauche de l’époque nous accusaient d’en faire trop, de les médiatiser. Nous nous sentions bien seuls ».
« Aube dorée se crée des ennemis pour exister, il vise les communistes, les antifascistes, les réfugiés », résume le journaliste Dimitri Psarras, qui a témoigné à leur procès. Les migrants, dont le parti ouvertement raciste préconise l’expulsion, sont une autre cible vulnérable privilégiée. Les attaques se multiplient après leur succès électoral aux législatives de 2012.
Durant la crise de la dette, sur fond de délitement du corps syndical, de détérioration des services publics, Aube dorée a séduit un électorat abattu par les « mémorandums ». Entré au Parlement avec 6,9 % des voix, il s’est forgé une image de « parti social », surmédiatisant des distributions de nourriture, en réalité minimes. Ses membres ont exploité les symboles d’un passé antique héroïque. Vêtus de noir, ils manifestaient torche en main lorsqu’ils rendaient hommage au roi Léonidas et ses 300 Spartiates.
La progression du parti a finalement cessé en 2013. En janvier de cette année-là, Shehzad Luqman, un Pakistanais de 27 ans, a été poignardé par deux de ses partisans, à Athènes. En septembre, des communistes ont été agressés au Pirée. Le point de non-retour sera l’assassinat du rappeur Pavlos Fyssas, connu sous le nom de Killah P, par Giorgos Roupakias. Il a entraîné ce procès historique. Le parti, qui s’est divisé au fil des ans, a subi une déroute aux dernières législatives.
Source https://www.mediapart.fr/journal/international/081020/en-grece-la-condamnation-d-aube-doree-signe-la-chute-du-parti-neonazi