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L’État d’abjection

L’État d’abjection, par Jean-François Bayart, CNRS

Partagé avec l’aimable autorisation de l’auteur

L’État d’abjection

A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état d’abjection. La bouche mielleuse, nous parlons de l’impérieux devoir d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Érythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés africains de faire le sale travail de refoulement à notre place. Nous stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.

De même que l’état d’exception a institué l’État d’exception, par l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’État d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il repose. Auréolé de son commerce estudiantin avec Paul Ricoeur, le fringant Emmanuel Macron en sera le parfait fondé de pouvoir, dont le ministre de l’Intérieur, hagard et patibulaire, accomplira les basses œuvres. D’ores et déjà, il s’emploie à faire taire le malaise qui sourd dans les rangs de son parti. Un consensus honteux se met en place entre la plupart des formations représentées au Parlement, un consensus dont les mots puent le mensonge et l’hypocrisie. Dans la droite ligne d’un Manuel Valls affirmant qu’expliquer c’est excuser, le président de la République entend « se garder des faux bons sentiments » et enfourche le cheval du populisme en opposant les « intellectuels » au « peuple » : « Quand il y a des désaccords entre le peuple et les intellectuels, c’est qu’il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », a-t-il déclaré à Rome le 11 janvier. A quand les jurys populaires pour recruter ou évaluer les universitaires ?

Or, cette politique est dangereuse en même temps qu’elle est abjecte. Elle met en dissidence un nombre croissant de personnes. Les migrants eux-mêmes, bien sûr, qu’elle accule à une clandestinité publique. Mais aussi les militants associatifs ou les simples citoyens qui leur portent assistance, et que pourchassent les forces de l’ordre ou qu’incriminent les juges pour crimes d’humanité. Les organisations mafieuses d’Europe du Sud ou d’Afrique saharo-sahélienne prospèrent grâce à la rente artificielle que leur procure la prohibition de l’immigration, et elles développent un savoir-faire dans le franchissement illégal des frontières que les djihadistes n’ont pas manqué d’exploiter à leur tour. En Libye, voire dans le Sahel, elles tendent à se militariser, sur le modèle du Mexique, où les cartels tirent parti tout à la fois du convoyage des migrants et du trafic de narcotiques. Le blocage des routes sahariennes désorganise l’économie du nord du Niger, au risque d’y favoriser une reprise de la rébellion touarègue, laquelle se grefferait sur les mouvements djihadistes du Mali. La misère et l’exclusion sociale auxquelles on astreint les réfugiés ou les migrants dans nos villes constituent une menace pour la santé publique en les privant de suivi et de soins médicaux, alors même que ces populations en provenance des zones de guerre d’Irak, de Syrie et de Libye sont potentiellement porteuses de maladies graves et de formes de résistance aux antibiotiques qu’a engendrées leur exposition aux métaux lourds et à toutes sortes de pollution, dans les ruines des villes bombardées – l’une des conséquences des guerres de l’Occident que leurs thuriféraires néoconservateurs préfèrent passer sous silence, mais qui est la hantise des hôpitaux. Pis encore, la République, son administration, sa police, sa classe politique, perd son âme et son honneur.

Face à l’état d’abjection qui tourne au crime contre l’humanité et à la violation systémique des droits de l’Homme, et en attendant la saisine de la Cour pénale internationale, désormais inévitable à terme, le fonctionnaire doit faire valoir son devoir de désobéissance à des ordres anticonstitutionnels de nature à compromettre un intérêt public, et le citoyen son droit à la désobéissance civile. La complicité, même passive, n’est plus de mise. C’est en toute clarté intellectuelle qu’il convient de résister à la confusion morale qui entache notre politique migratoire depuis près de cinquante ans.

 Par Jean-François Bayart

Source http://movida.hypotheses.org/1943

Droit du travail démantelé en Europe

Hold-up social : comment le droit du travail a été démantelé en Europe, sans aucun bénéfice sur l’emploi et les gens

par Elisa Simantke, Harald Schumann

L’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Roumanie, ou encore l’Espagne… Et maintenant la France. Ces dix dernières années, la plupart des pays de l’Union européenne ont subi de profondes réformes du droit du travail. Officiellement, au nom de la lutte contre le chômage. Mais les études réalisées depuis, y compris par les institutions les plus libérales, sont unanimes : leur impact sur l’emploi a été minime. En revanche, ces politiques se sont traduites par une explosion de la précarité et une baisse des rémunérations pour les salariés. Basta !, en collaboration avec les journalistes d’Investigate Europe, vous propose une enquête grand format sur le hold-up des « réformes structurelles ».

La misère de l’emploi précaire a de nombreux visages. Elle peut prendre la forme de contrats de travail sans assurance maladie ni protection sociale. Il peut s’agir de temps partiels qui n’apportent pas un revenu suffisant pour vivre. Ceux et celles que cette misère affecte en sont aussi réduits à s’accrocher à un contrat temporaire après l’autre, ou sont contraints de gagner leur vie en tant qu’auto-entrepreneurs fictifs ou travailleurs prétendument indépendants. Les méthodes varient selon les législations nationales de chaque pays, mais le résultat est toujours le même : des millions d’Européens doivent se contenter d’emplois précaires et mal payés, qui ne leur offrent aucune perspective. Et le phénomène continue de s’étendre.

Le président français Emmanuel Macron souhaite renforcer cette tendance. Dans sa dernière réforme, son gouvernement a par exemple autorisé les employeurs à embaucher des travailleurs pour des projets ponctuels, avec des contrats qui prendront automatiquement fin à l’issue de leur réalisation. Dans le même temps, les accords collectifs nationaux, qui offraient jusqu’ici des protections importantes aux salariés, ont vu leur rôle fortement affaibli.

Un jeune européen sur deux en contrat précaire

Tout ceci à un moment où l’économie européenne se porte un peu mieux qu’elle ne l’a fait depuis dix ans. Dans la seule zone euro, 5,5 millions de personnes ont trouvé un nouvel emploi depuis la fin 2012. Mais selon les données collectées par Eurostat, l’agence de statistiques de l’Union européenne, 4 de ces nouveaux emplois sur 5 sont temporaires ou à temps partiel. Dans leur majorité, ils sont mal rémunérés. Pourtant, les deux tiers des personnes concernées souhaiteraient un emploi permanent à temps plein, comme le confirme la Commission européenne dans son dernier rapport sur le marché du travail dans l’UE. Conclusion du département recherche de la banque américaine Merrill Lynch elle-même : la supposée prospérité actuelle de l’Europe est « de mauvaise qualité ».

Les jeunes en sont de loin les premières victimes. Près de la moitié des travailleurs âgés de moins de 25 ans sont en contrat temporaire. En Espagne, ce chiffre dépasse les 70%. « C’est extrêmement problématique, reconnaît Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’Emploi et aux Affaires sociales. Ils ne peuvent quitter la maison de leurs parents, acheter un logement, faire des projets. Cela affaiblit l’économie toute entière », avertit cette femme politique conservatrice belge. « Les gens qui sont en emploi précaire n’investissent pas dans leurs compétences, et leurs employeurs non plus, explique-t-elle. Plus les emplois sont précaires, moins l’économie est productive. »

Un diagnostic partagé par d’éminents économistes. « Toutes ces formes non-sécurisées d’emploi sont extrêmement coûteuses, à la fois pour les personnes concernées et pour la société dans son ensemble », explique par exemple Olivier Blanchard, longtemps économiste en chef au Fonds monétaire international (FMI).

Des dirigeants européens obsédés par la flexibilité

Mais pourquoi l’emploi précaire atteint-il de tels niveaux ? Que faire pour inverser la tendance ? Dans leur entreprise de dérégulation des marchés du travail, les gouvernements européens et la Commission se sont basés depuis des années sur des hypothèses et des théories qui se sont révélées fausses et irréalistes. Les commissaires et les ministres nationaux en charge de l’économie ont systématiquement cherché à démanteler ou affaiblir les accords sociaux collectifs, combattu les syndicats et, ce faisant, favorisé les inégalités et l’insécurité au travail. Les pays de l’Union européenne sont aujourd’hui pris dans une course au moins-disant en ce qui concerne les salaires et les droits des salariés, rendant toute réponse au seul niveau national encore plus difficile.

Le mot-clé qui résume ces développements est la « flexibilité », explique le syndicaliste français Thiébaut Weber, un économiste chargé de suivre ces questions au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES). Les dirigeants européens sont « obsédés par l’idée que le marché du travail est un marché comme les autres et qu’il doit être rendu aussi flexible que possible », précise-t-il. Ce qui signifie permettre aux entreprises d’employer leurs salariés à leur propre discrétion, selon les conditions du marché, et au coût le plus bas possible. En d’autres termes, les employés sont les perdants. Selon Thiébaut Weber, les politiques sociales suivent le même principe à travers toute l’Europe, et « la précarité en est le résultat logique ».

451 réformes du droit du travail en dix ans

De fait, le droit du travail des pays de l’Union européenne a connu une vague de dérégulation depuis deux décennies, qui ne semble pas prête de s’arrêter. L’Organisation internationale du travail (OIT) a recensé, dans les pays dits « développés » et notamment dans l’UE, 451 réformes du droit du travail depuis l’année 2008. La plupart de ces réformes structurelles, comme elles sont appelées dans le jargon des économistes, suivent la même recette : si les travailleurs sont suffisamment flexibles et bon marché, alors les entreprises créent de l’emploi, le chômage baisse, et l’économie croît.

Telle est également la logique sous-jacente à l’« Agenda 2010 » mis en œuvre par l’ancien chancelier fédéral allemand Gerhard Schröder pour casser les prétendues « structures ossifiées » du marché du travail. Les emplois temporaires ont été « libérés des contraintes bureaucratiques » et la limitation de ces contrats temporaires dans les start-ups allongée à quatre ans. Les « mini jobs » et les emplois à bas salaire ont bénéficié d’un traitement fiscal de faveur, et les chômeurs ont été contraints d’accepter n’importe quelle offre d’emploi, aussi mal payée soit-elle. En parallèle, un grand nombre d’entreprises ont choisi de s’exempter des accords salariaux collectifs et de recourir à des travailleurs temporaires, contractualisés ou à temps partiel, pour réduire leurs coûts salariaux.

Le tableau catastrophique de l’emploi allemand

Aujourd’hui encore, ces réformes sont considérées dans l’Europe entière comme une réussite incontestée. Le taux de chômage allemand est tombé au plus bas depuis la réunification (2,5 millions d’Allemands seraient au chômage mais plus de 7 millions occupent un emploi à bas salaire, lire notre article ici). Les hommes politiques des autres pays se plaisent à évoquer le modèle allemand lorsqu’ils veulent déréguler un peu plus le marché du travail national. La chancelière Angela Merkel a elle aussi l’habitude de chanter les louanges des « réformes » allemandes. Ce n’est que grâce à ces réformes que l’Allemagne « a pu distancer la France », a-t-elle affirmé en mai 2017.

Pourtant, le mythe du miracle allemand de l’emploi est trompeur. Certes, le nombre de personnes actives a augmenté de plus de 10 % entre 2003 et fin 2016, passant de 39 à 43 millions. Mais ce résultat n’a été atteint que par le remplacement d’emplois à temps plein par des temps partiels et des mini jobs. En réalité, le nombre d’heures travaillées n’a pas du tout augmenté jusqu’en 2010 ; le travail a seulement été réparti entre davantage de personnes. En outre, depuis 2011, le nombre d’heures travaillées a augmenté beaucoup plus lentement que l’emploi, et reste en deçà du niveau du début des années 90.

Résultat : en 2016, 4,8 millions de personnes en Allemagne vivaient exclusivement de « mini jobs ». Et 1,5 million de personnes supplémentaires occupent des emplois à temps partiel imposé. Sans oublier environ un million d’employés temporaires ou intérimaires, et plus de deux millions de personnes auto-employées, dont la plupart n’a pas assez de travail.

Une « armée de sous-employés à temps partiel »

L’« armée industrielle de réserve » constituée par les chômeurs, d’après la célèbre expression forgée par Karl Marx, « n’a vu sa taille réduite qu’au prix de la croissance d’une armée de réserve de sous-employés à temps partiel ou de sur-employés qui doivent jongler entre plusieurs emplois pour survivre ». C’est ainsi que le sociologue et économiste Oliver Nachtwey, auteur du bestseller allemand La société du déclin [1], résume la situation.

Le prétendu miracle allemand a ainsi condamné des millions de gens à vivre à cheval sur le seuil de pauvreté. Ces personnes doivent se débrouiller avec moins de 60 % du revenu moyen, environ 1070 euros par mois. En dépit d’un taux de chômage très bas, cette catégorie sociale n’a cessé de s’étendre pour atteindre aujourd’hui 16 % de la population. Une grande partie de ceux qui bénéficient encore de contrats à temps plein ont eux-mêmes été laissé sur la touche.

Les plus modestes gagnent moins en 2016 qu’en 1996

En tenant compte de l’inflation, les 40 % les plus modestes des salariés allemands gagnaient moins en 2016 que vingt ans auparavant, comme le gouvernement fédéral a dû l’admettre dans un récent rapport sur la pauvreté et la richesse. Ce qui a conduit le Financial Times à qualifier le miracle allemand de « simple mythe ». Une conclusion partagée par Christian Odendahl, chef économiste du think tank patronal Center for Europe Reform, lequel a résumé la teneur du rapport à destination du public international.

Mais dans les faits, le concept de la flexibilisation du marché du travail s’est transformé en un puissant dogme économique. En Espagne, les contrats à durée déterminée de quelques mois sont devenus la norme. Les Pays-Bas ont également rendus leurs salariés plus « flexibles » à travers diverses formes de contrats à temps partiel. En Italie, le nombre de « faux travailleurs indépendants » a explosé après que les professions libérales comme celles d’avocat ou d’architecte aient été « ouvertes à la concurrence » en 2006, et que l’encadrement des tarifs ait été aboli.

La Pologne, championne de la précarité

Mais c’est peut-être en Pologne que la sécurité de l’emploi a été la plus durement frappée. Pour rendre le pays encore plus attractif vis-à-vis des investisseurs internationaux après son entrée dans l’UE, le gouvernement de Varsovie a apporté en 2004 sa propre innovation dans le secteur des contrats précaires : tous les salariés seraient désormais employés à durée déterminée, et pourraient être renvoyés à tout moment sans avoir à fournir de justification particulière.

En parallèle, le gouvernement polonais a favorisé une expansion massive des contrats limités à des projets particuliers, en dehors du droit du travail. Les personnes concernées se voient refuser toute assurance maladie et toute protection sociale. Elles ne bénéficient pas non plus du salaire minimum. Des multinationales aux PME, de nombreux employeurs se sont rués sur l’aubaine. De sorte qu’aujourd’hui, plus d’un tiers des actifs polonais travaille sans sécurité ou pour des salaires de misère, davantage que dans tout autre pays de l’Union européenne. La législation polonaise sur le travail constitue un « retour au 19ème siècle », s’indigne Adam Rogalezski, secrétaire pour l’Europe de la confédération syndicale polonaise OPZZ.

Mais la Pologne n’est pas un cas isolé. Lorsque la crise financière a entrainé de nombreux pays de l’UE dans la récession, provoquant une forte hausse de la dette publique et du chômage, la dérégulation du marché du travail a été présentée comme la solution magique à tous les maux par la Commission, alors dirigée par le très libéral José Manuel Barroso, et par les ministres des Finances de la zone euro.

La flexibilité salariale, « un dogme religieux »

Pour l’économiste Olivier Blanchard, qui dirigeait au même moment le département de recherche du FMI, ce soudain engouement a quelque chose d’énigmatique. « Avant 2009, les réformes structurelles étaient un sujet secondaire », se souvient-il. Mais elles se sont rapidement transformées en slogan ressassé dans toutes les conférences officielles. « L’idée que l’affaiblissement des syndicats et la flexibilité salariale étaient le moyen de sortir de la crise était exposée comme un dogme religieux. » Ce qui était aussi évidemment, ajoute-t-il, « une manière pour les ministres des Finances et les banques centrales de se défausser du problème sur d’autres. »

Le responsable des questions économiques dans la Commission Barroso, le finlandais Olli Rehn, a appelé les pays frappés par la crise à rechercher « une fixation flexible du salaire et davantage d’incitations à retrouver du travail pour les personnes sans emploi ». Dans le même temps, le patron de la Banque centrale Mario Draghi a mis la pression sur les gouvernements espagnol et italien. Afin de restaurer leur solvabilité, les deux pays devaient « réformer le système de négociation des accords salariaux, et privilégier les accords au niveau de chaque entreprise pour adapter les salaires et les conditions de travail à leurs besoins spécifiques », selon les termes d’une lettre adressées aux dirigeants italiens. De l’Espagne étaient parallèlement demandées « des mesures pour réduire les salaires dans le secteur privé », et l’autorisation de contrats de travail « ne proposant qu’une compensation minime en cas de licenciement ».

Limiter le pouvoir des syndicats

Les fonctionnaires travaillant sous l’égide d’Olli Rehn ont précisé ce qu’ils considéraient comme des réformes « favorables à l’emploi » dans un rapport sur le « développement du marché du travail ». Selon ce document, les réformes souhaitables sont celles qui « assouplissent les conditions des licenciements », « augmentent la durée maximale des contrats à durée déterminée ou d’intérim, ainsi que le nombre maximal de renouvellements », « réduisent le pouvoir de négociation ou la portée des accords collectifs » et « ont pour conséquence de limiter globalement le pouvoir des syndicats en matière de négociation salariale ».

C’est dans les pays les plus exposés à la crise, comme le Portugal, la Grèce ou la Roumanie, que les dirigeants européens ont favorisé de la manière la plus outrancière les intérêts des actionnaires. Les gouvernements de ces derniers pays étaient sous la dépendance des prêts en urgence des autres pays membres de la zone Euro et du FMI. Les fonctionnaires de la « troïka » formée par la Commission, le FMI et la Banque centrale européenne (BCE) ont mis à profit cette situation pour imposer – au nom des créanciers – une réforme radicale du droit du travail et des législations relatives au dialogue sociale, pour le plus grand bénéfice des employeurs.

Le droit social grec laminé sur commande

C’est ainsi qu’en octobre 2011, par exemple, Pierre Deleplanque, patron du producteur de ciment Heracles, lui-même filiale du leader mondial des matériaux de construction Lafarge, a pu transmettre directement ses exigences au chef de la délégation du FMI à Athènes, après un rendez-vous privé avec les fonctionnaires de la troïka. Le journal grec Efimerida ton Sinakton, partenaire d’Investigate Europe, a révélé la teneur de ce document confientiel. Le cadre de Lafarge y demande, outre « la suspension des accords salariaux de branche », l’abolition des accords salariaux en vigueur dans les grandes entreprises « afin de favoriser les accords individuels » et supprimer ainsi toute protection collective pour les employés (sur ce sujet, lire notre article ici).

Tous ces vœux ont été exaucés. Les contrats associés aux prêts d’urgence à la Grèce, intitulés « protocoles d’accord », stipulaient que désormais les salariés pourraient être licenciés en ne recevant qu’une compensation minimale. Les accords salariaux nationaux ou de branche qui avaient été la norme jusqu’alors furent abolis. Aujourd’hui, les négociations ont presque systématiquement lieu à l’échelle de chaque entreprise, le plus souvent directement avec les salariés, sans passer par les syndicats.

De nouvelles lois « ont donné aux employeurs le pouvoir de prendre des décisions unilatérales », comme « la conversion de contrats traditionnels à temps plein en contrats précaires », ont conclu des chercheurs de l’Université de Manchester dans une étude ultérieure, financée – ironiquement – par la Commission européenne. Selon cette étude, d’innombrables contrats permanents ont été transformés depuis 2011 en contrats à temps partiel et à durée déterminée, et dans quatre cas sur cinq sans l’accord des personnes affectées. Le projet visait à rendre l’emploi moins sécurisé, et les salaires ont chuté de 23 % en moyenne.

En Roumanie, les lobbies patronaux rédigent des lois

Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), la fin imposée des négociations salariales contrevenait pourtant aux conventions internationales. Ce qui n’a pas suscité d’états d’âme du côté de la Commission européenne. Au contraire, ses fonctionnaires ont décidé d’appliquer les mêmes réformes radicales au Portugal. Dans ce pays, ils ont mis fin à l’expansion des contrats faisant l’objet d’accords négociés au niveau national pour toutes les entreprises d’une même branche, qui étaient jusqu’alors la norme. Avec un succès retentissant. Jusqu’en 2008, environ 45 % des salariés portugais disposaient de contrats liés à des accords de branche nationaux. Six ans plus tard, ce chiffre était tombé à 5 %.

En Roumanie, les fonctionnaires de l’UE ont même excédé leur mandat pour imposer une libéralisation radicale. En posant comme condition à un prêt d’urgence, en 2009, le « dégraissage des enceintes institutionnelles de négociation salariale », ils se sont directement mis au service des intérêts des multinationales et de leurs lobbies.

« Le Council of Foreign Investors et l’US Chamber of Commerce [deux lobbys patronaux américains] ont été impliqués dans la rédaction même des nouvelles lois relatives au marché du travail, pour leur plus grand bonheur », explique la chercheuse Aurora Trif, de l’Université de Dublin, qui a étudié les acteurs impliqués pour une autre étude financée par l’Union européenne. Selon elle, ces deux institutions n’ont même pas cherché à cacher leur influence sur cette législation. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

40 % des employés roumains au salaire minimum : 318 euros par mois

Résultat : un droit du travail permettant aux entreprises de passer leurs employés à temps plein sous des contrats à temps partiel, de proposer des nouveaux contrats à durée déterminée, et de recourir sans aucune restriction aux intérimaires. Dans le même temps, à l’initiative de la Commission européenne, le gouvernement roumain a supprimé tout dialogue social à l’échelle nationale, laissant la négociation des nouveaux contrats à la discrétion des employeurs.

Le système de négociation collective qui prévalait jusqu’alors, s’appliquant à 90% des salariés, « a été pratiquement anéanti », déplore Petru Dandea, secrétaire de la confédération syndicale Cartel Alfa. Les représentants élus du personnel ont également perdu toute protection contre le licenciement, tout comme les employés qui osaient faire grève. En conséquence de ces réformes draconiennes, les salaires ont subi une telle dégringolade que désormais 40% des salariés roumains ne touchent que le minimum légal (318 euros mensuels). « Nous sommes payés comme si nous étions un pays de travailleurs non qualifiés », résume le syndicaliste roumain.

La Commission européenne en a pris bonne note. Lorsqu’un gouvernement ultérieur à Bucarest a annoncé en 2012 qu’il souhaitait encourager à nouveau les accords salariaux nationaux contraignants, les émissaires du commissaire Olli Rehn, avec ceux du FMI, ont mis leur veto. « Nous pressons fortement les autorités de s’assurer que les accords collectifs nationaux ne contiennent pas d’éléments relatifs aux salaires et ne remettent en cause les progrès obtenus avec le nouveau code du travail adopté en mai 2011 », ont-ils écrits au gouvernement. En plein accord avec la Chambre du Commerce des États-Unis, qui a elle aussi signé une lettre de protestation. Le gouvernement a dû faire machine arrière.

Des réformes qui n’ont aucun bénéfice mesurable pour l’économie

Cependant, en intervenant ainsi, Olli Rehn et ses fonctionnaires usurpaient une prérogative qui n’était pas la leur. L’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit explicitement que l’UE et ses organes n’ont aucune responsabilité quelle qu’elle soit en ce qui concerne les « rémunérations ». Olli Rehn siège aujourd’hui au conseil de la Banque centrale de Finlande. Ne souhaitant pas revenir sur son rôle dans la réforme du droit du travail d’autres pays, il a refusé nos demandes d’entretien. L’ancien ministre des Finances des Pays-Bas, Jeroen Dijsselbloem, qui a supervisé en tant que président de l’Eurogroupe la précarisation massive du travail au Portugal et en Grèce, n’a pas non plus souhaité nous répondre.

Ils n’ont peut-être pas eu tort. Il est en effet clair depuis longtemps que les « réformes structurelles » qui pénalisent les salariés n’ont aucun bénéfice mesurable pour l’économie. « La régulation du marché du travail n’a pas d’effet statistiquement significatif sur la productivité », confirme le rapport annuel 2015 du FMI. Même les économistes de l’OCDE, le club des nations les plus riches, traditionnellement très libéraux, ont dû concéder l’année dernière que « la plupart des études empiriques examinant les effets des réformes visant à flexibiliser le marché du travail suggèrent qu’elles n’ont qu’un impact très limité, voire pas d’impact, sur le niveau de l’emploi ».

Une étude de l’Institut syndical européen, think tank des syndicats du continent, s’est penchée sur la question à partir de sondages approfondis dans huit pays, dont l’Espagne, la Pologne et l’Allemagne. Ces données suggèrent « un résultat très clair », selon Martin Myant, chef économiste de l’Institut : il n’y a « aucune preuve empirique » que la « dérégulation a amélioré l’emploi ou réduit le chômage de certains groupes sociaux ». Mais ces réformes ont été « accompagnées par une augmentation de l’emploi précaire, en particulier dans les pays où la dérégulation a été la plus agressive », ont conclu Martin Myant et ses collègues.

Généralisation du dumping social

Même le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, qui pressait naguère l’Espagne et l’Italie de modérer les salaires et d’affaiblir les syndicats, semble en proie au doute. Certes, l’économie européenne semble renouer avec la sacro-sainte croissance. Mais pas les salaires. Conséquence : l’inflation reste si basse, que Mario Draghi et ses collègues n’osent pas rétablir les taux d’intérêts à leur niveau traditionnel. « Les modes de fixation des salaires et des prix dans la zone euro ont changé durant la crise, a-t-il récemment déclaré. Par exemple, les réformes structurelles qui ont renforcé le rôle des négociations salariales au niveau des entreprises ont pu rendre les salaires plus flexibles à la baisse, mais pas nécessairement flexibles à la hausse. » Est-ce vraiment une surprise ?

Le mécanisme comporte un risque énorme : les réformes, qui n’ont pas apporté de résultats tangibles, ont enfermé les pays de l’UE dans une course au moins-disant social, en termes de salaires et de conditions de travail. C’est aujourd’hui en France que cette course se poursuit. Le pays compte moins de personnes piégées dans des contrats précaires et mal payés que ses voisins européens.

Pour les patrons français, c’est un désavantage, et ils réclament une « décentralisation » des négociations salariales et des contrats de travail plus flexibles. Emmanuel Macron a exaucé leurs vœux avec sa récente réforme « pro-business », selon les termes du Financial Times, du droit du travail (lire notre article : Priorité à la négociation d’entreprise : pourquoi les salariés ont tout à y perdre).

En France, le processus est en cours

Cette politique est menée en France alors qu’il « n’y a pratiquement aucune preuve que la libéralisation du marché du travail y réduira le taux de chômage », avertit l’économiste de Harvard Dani Rodrik. Cela ne semble pas inquiéter Emmanuel Macron et ses conseillers. Dans l’avenir, employés et patrons seront encouragés à négocier directement au niveau de l’entreprise, et le gouvernement a décidé de restreindre le champ d’application des accords collectifs nationaux. « Nous donnons aux employés et aux employeurs la liberté de s’organiser eux-mêmes », a expliqué un haut fonctionnaire du ministère du Travail, architecte en chef de la réforme d’Emmanuel Macron, dans le cadre d’une entrevue accordée à Investigate Europe. Il n’a cependant pas souhaité que son nom soit cité. Ce technocrate conteste que le but de la réforme soit de réduire les salaires, même les réformes similaires menées en Espagne ou au Portugal ont conduit à ce résultat.

Le gouvernement français a simultanément créé une nouvelle forme d’emploi précaire : à l’avenir, des travailleurs pourront être embauchés dans le cadre de « contrats d’opération » conclus pour un projet déterminé, sans limite formelle de durée, mais qui prendra automatiquement fin au terme de la réalisation du projet.

La France se dirige donc tout droit vers une aggravation de l’insécurité au travail, au moment même où c’est le contraire qui serait nécessaire. « Si nous voulons nous attaquer à la hausse des inégalités, c’est une re-régulation du droit du travail qui est requise, pour renforcer à nouveau le pouvoir de négociation des salariés », déclare par exemple Gustav Horn, dirigeant de l’Institut allemand de macro-économie (IMK), lié aux syndicats. « Les emplois précaires ne doivent pas devenir la norme », estime également Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’Emploi et aux affaires sociales, qui déclare avoir abandonné les politiques de dérégulation qui étaient celles de ses prédécesseurs.

Face aux libéralisations, opposer un nivellement par le haut

Existe-t-il une voie pour sortir de l’impasse dans laquelle les dirigeants actuels nous ont précipité ? Une idée fréquemment avancée consisterait à augmenter significativement les contributions des employeurs à la sécurité sociale pour les emplois précaires. Les travailleurs concernés par ces contrats doivent recourir bien plus souvent que les autres aux assurances sociales. Il serait donc logique que les entreprises paient le juste prix de la « flexibilité » imposée à ces employés. « Nous ne voulons plus de profiteurs de nos systèmes sociaux », affirme la commissaire européenne. Serait-ce pour autant suffisant ?

Une autre piste consisterait à réformer la base même des législations européennes du travail, juge Claudio Treves, secrétaire général pour les professions libérale de la confédération syndicale italienne CGIL. Au lieu de réguler tous les types de contrats de travail qui existent au sein de l’UE, le but devrait être de créer une « charte européenne des droits fondamentaux des travailleurs » [2], qui garantisse à chacune et chacun le droit à l’assurance maladie et à l’assurance retraite, ainsi qu’à un salaire minimum décent, quel que soit le type de contrat de travail. Une revendication déjà soutenue par plus de 1,3 millions de personnes en Italie, souligne-t-il.

Les nouveaux défenseurs de la sécurisation du travail n’ont cependant pas encore suffisamment de poids et d’influence pour pousser une telle réforme. Seul un tout petit nombre de précaires sont aujourd’hui membres de syndicats. Mais la situation pourrait évoluer, car l’économie numérique entraine à son tour une explosion de la précarité. Les entreprises de l’économie des plateformes, telles Uber, Foodora ou Amazon, contournent le droit du travail à grande échelle, et leurs employés n’ont souvent aucune forme de protection sociale, de comité d’entreprise ou de protection contre les licenciements. Mais les nouveaux forçats du 21ème siècle pourraient bien vouloir en finir avec cet ordre des choses.

Harald Schumann et Elisa Simantke, pour Investigate Europe

(Traduction : Olivier Petitjean)

source https://www.bastamag.net/Hold-up-social-comment-le-droit-du-travail-a-ete-demantele-en-Europe-sans-aucun

SOS méditerranée : le calvaire des mères

Le calvaire des mères de la Méditerranée

11/12/2017

Ces derniers mois, la proportion de femmes et d’enfants parmi les naufragés secourus en mer par SOS MEDITERRANEE tend à augmenter, rendant d’autant plus criant le drame humain qu’endurent les migrants et les réfugiés de l’autre côté de la Méditerranée. La plupart des femmes accueillies à bord de l’Aquarius sont meurtries par des violences sexuelles répétées, la plupart des enfants sont nés ou ont grandi derrière les barreaux en Libye avant d’être poussés avec leur mère sur des embarcations de fortune en Méditerranée. Sans oublier les femmes enceintes.

Accouchement en cours sur l’Aquarius

A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’Aquarius navigue vers la Sicile avec à son bord 450 personnes originaires d’une vingtaine de pays différents d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Mali…), d’Afrique du Nord mais aussi d’Erythrée, de Syrie, de Libye, de Palestine, du Pakistan…

Parmi eux, 101 mineurs, dont 60 non accompagnés et 78 femmes, dont six sont enceintes. L’une d’elles a même commencé le travail et a été prise en charge par l’équipe médicale de Médecins Sans Frontières (MSF), partenaire médical de SOS MEDITERRANEE, dès son transbordement. Une date symbolique pour l’Aquarius, car aujourd’hui, 11 décembre, correspond justement à la date anniversaire de la naissance de Favour, qui voyait le jour sur l’Aquarius un an plus tôt, dans des conditions tout aussi difficiles.

Tous sont rescapés d’un probable naufrage et des exactions dans les camps de détention en Libye. Une jeune Guinéenne secourue samedi a ainsi raconté aux volontaires de SOS MEDITERRANEE comment, dans un centre de détention, elle a eu la lourde tâche d’appeler la famille d’une de ses codétenues pour lui annoncer une terrible nouvelle. « Le jour de la visite d’officiels guinéens dans la prison, mon amie a eu peur que ce soit un mensonge et d’être kidnappée et torturée, alors nous nous sommes cachées. Quelques jours plus tard, elle a été violée et frappée par nos tortionnaires libyens et elle est morte ».

« Allez mourir en Méditerranée »

Le 25 novembre dernier, l’Aquarius secourait un canot en bois où s’entassaient 421 personnes dont 40% étaient des femmes. Deux jours plus tôt, elles étaient 57 sur un total de 171 passagers à bord d’un canot pneumatique.

 « Ils nous ont dit : « allez mourir en Méditerranée » avant de nous pousser à bord du canot ». Cette phrase prononcée par une des femmes secourues en mer résonnait encore dans la tête des sauveteurs, des équipes médicales, de l’équipage de marins mais aussi des journalistes qui revenaient, éprouvés, de la trentième campagne de sauvetage de l’Aquarius en Méditerranée.

Sur le quai du port de Catane, en cette fin novembre ils regardaient, le cœur serré, les naufragés descendre un à un de la passerelle. Les femmes enceintes et familles avec enfants d’abord, puis les mineurs non accompagnés, puis les hommes. De tous ces visages, ils savaient que certains resteraient figés à jamais dans leur mémoire.

« Le lendemain du sauvetage du canot en bois, un jeune érythréen qui nous avait aidés comme interprète auprès des autres passagers qui ne parlaient que le tigrinien, m’a tiré par le bras et pris à part », racontait l’un des journalistes qui se trouvait à bord pendant cette semaine dramatique en Méditerranée.  « Il m’a emmené à tribord, jusqu’au banc en bois où nous nous asseyions encore la veille pour regarder le coucher de soleil. Recroquevillée dans sa couverture, la tête couverte d’un voile, une jeune femme visiblement angoissée l’attendait. « C’est ma femme, elle voudrait savoir si elle est enceinte » m’a dit le jeune homme. Je les ai immédiatement accompagnés à la clinique pour qu’ils puissent rencontrer la sage-femme » poursuivait le reporter d’un ton grave.

Ces enfants nés du viol

En sortant de la consultation, la jeune femme a fondu en larmes. Depuis des mois elle voyait son ventre gonfler, persuadée qu’il s’agissait d’une maladie, d’un « abcès » ou d’une infection due à la malnutrition, à l’eau non potable qu’elle n’avait eu d’autre choix que de boire pour survivre dans le désert, aux coups reçus par des passeurs ou au manque d’hygiène dans les centres de détention en Libye où il n’y avait ni sanitaires, ni visites médicales. Mais non, ce ventre enflé était le stigmate de la pire violence que cette jeune femme ait subie au cours de ce voyage : violée à répétition par des soldats au Soudan devant les yeux de son mari que les gardes venaient d’enchaîner à un parpaing en plein soleil.

« Malgré la souffrance que leur procurait la confirmation de cette grossesse, le jeune couple a eu le courage de nous raconter ce voyage atroce. Ils voulaient que le monde entier sache ce qu’endurent les réfugiés, et tout particulièrement les femmes de l’autre côté de la Méditerranée, pour faire en sorte que cela n’arrive à personne d’autre » poursuivait le journaliste. « Quelques minutes plus tôt une autre rescapée m’avait confié que toutes les femmes du groupe secouru la veille avaient été violées au moins une fois avant la traversée. Recueillir le témoignage de ce couple a été une prise de conscience brutale que tout cela était bien réel ».

Les équipes médicales à bord de l’Aquarius estiment qu’environ 8% des femmes retrouvées en mer sont enceintes. Même si beaucoup refusent de l’admettre, car ces grossesses sont souvent consécutives à des violences sexuelles répétées pendant la période d’incarcération en Libye et parfois avant même de quitter leur pays d’origine.

Les témoignages de ces femmes sont si terribles que les retranscrire est une épreuve en soi. « Une des femmes m’a expliqué qu’elle avait été pénétrée avec un canon de kalashnikov, à plusieurs reprises. Comment est-ce qu’un être humain peut imaginer et infliger de telles tortures à un autre être humain ? » confiait, hébétée, en début d’année, une sage-femme de l’Aquarius. « J’ai entendu certains récits similaires des dizaines et des dizaines de fois, mais je ne peux pas m’y habituer. Certaines des femmes ont été tellement malmenées, surtout les mineures, qu’elles ne font plus la différence entre une relation sexuelle consentie et un viol » poursuivait-elle.

Une jeune Nigériane de 24 ans lui confiait ainsi comment, un soir, elle avait dû fuir son village « à cause de Boko Haram ». « Cette nuit-là, j’ai perdu la trace de mes sœurs et un homme dans la rue m’a dit qu’il pouvait m’aider. Il m’a emmenée dans une maison où il y avait beaucoup d’Arabes et j’ai été violée. J’étais vierge. Je ne me rappelle pas de ce qu’il s’est passé après, mais quand je me suis réveillée, j’étais dans une voiture avec d’autres femmes et elles m’ont dit qu’on allait en Libye. J’ai été enfermée dans une prison et la seule échappatoire c’était le bateau pour l’Italie » lui racontait cette jeune femme qui venait de découvrir qu’elle était enceinte de 15 semaines. « Elle m’implorait : ‘Aidez-moi, je ne veux pas de cet enfant !’ ». Je me demande ce que toutes ces femmes sont devenues après le débarquement, j’espère qu’elles ont été prises en charge et protégées par les autorités européennes » s’inquiétait la sage-femme de Médecins Sans Frontière avant de quitter Catane pour repartir en mission à l’autre bout du monde.

« Mon bébé est né dans le désert »

A bord de l’Aquarius « la prise de conscience est brutale ». Les femmes secourues en mer, les mêmes qui exultent à la vue des premières lumières de la côte italienne, qui regardent l’horizon à travers les hublots avec un regard rempli d’espoir, ces femmes portent en elles des blessures profondes mais invisibles.  Les enfants qui se ruent sur les jouets et les crayons que leur tendent les volontaires, qui demandent un deuxième gobelet de porridge, qui font rire tout l’équipage épuisé par des opérations délicates, ces enfants sont pour la plupart nés dans le désert ou dans les centres de détention en Libye.

En cette fin novembre, les sauveteurs de SOS MEDITERRANEE ont retrouvé un bébé âgé de tout juste trois jours sur l’un des canots perdus au large de la Libye. Ils ont retrouvé aussi le corps d’une femme qui avait accouché quelques jours plus tôt d’un enfant mort-né sur une plage. Ils ont écouté enfin une des rescapées raconter comment une femme était morte en prison en Libye après avoir donné naissance à un bébé.

« Dans la prison, une femme est morte après avoir accouché, nous avions coupé le cordon ombilical avec du fil, parce qu’il n’y avait rien, pas de médecins, pas de soins. On ne se lavait pas. On nous mettait de la drogue dans la nourriture pour nous faire dormir, l’eau n’était pas potable » a raconté cette jeune maman camerounaise, en berçant un bébé. « Mon enfant est né dans le désert du Niger. En Libye nous avons été en prison pendant 5 mois à Sabratha, avec le bébé. Je continue de l’allaiter pour le protéger. Il a un an et demi, il fait plus grand que son âge, c’est à cause de tout ce qu’il a vu » poursuivait-elle en essayant de calmer le bébé en pleurs.

« Quand il ne pleure pas, tout ce qu’il dit c’est « pan pan pan », c’est à cause de ce qu’il entendait en Libye ».

A la veille des célébrations de Noël, le calvaire de ces mères, de ces femmes violées et persécutées, de ces enfants poussés vers la mort en Méditerranée dans les bras de leurs parents prend une dimension encore plus intolérable.

En 22 mois de mission, SOS MEDITERRANEE a secouru plus de 25 000 personnes en mer, dont 16% de femmes et près de 34% de mineurs.

Face à une situation d’urgence persistante et au manque de réaction des responsables européens devant la remise en cause de valeurs humaines fondamentales aux portes de l’Europe, l’Aquarius s’apprête à passer un nouveau Noël en Méditerranée centrale pour secourir ceux qui cherchent à fuir l’enfer, pour les protéger et pour continuer à témoigner de la réalité vécue par ces hommes, femmes et enfants en quête de protection.

Photo : Archives Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE

source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/le-calvaire-des-meres-de-la-mediterranee

Pour soutenir SOS Méditerranée http://www.sosmediterranee.fr/

16 décembre Tou-te-s à Menton

Le collectif de Grenoble soutient l’appel du CIIP de Grenoble

A Menton, le 16 décembre, de l’air, ouvrons la frontière !

Nous manifesterons contre leurs 40 000 kilomètres de murs, aussi longs que le tour de la Terre, contre leurs frontières érigées soi disant pour protéger à la fois du terrorisme et de tous ceux et de toutes celles qui cherchent refuge, des « murs anti migrants » comme le dit cyniquement le gouvernement britannique en parlant de celui de Calais !

Les frontières de la honte !

Le renforcement des frontières visent à matérialiser le rejet définitif de tous ceux et toutes celles qui fuient le chaos du monde. Misères, dictatures, et dérèglements climatiques ne sont pas des catastrophes « naturelles », elles sont le résultat des politiques néo coloniales de pillages économiques, de mises à sac des sociétés en Afrique, en Asie, au Moyen Orient, de la destruction des États par les guerres conduites par les gouvernements impérialistes occidentaux dont la France.

L’Union Européenne joue pleinement son rôle dans la construction d’une forteresse dorée protégée des plus pauvres. Ses dirigeants, c’est à dire les chefs des 28 États qui la composent, tentent d’unifier au maximum leurs politiques anti-migratoires autour d’un seul axe : bloquer le plus loin et le plus fermement possible les migrants qui, au prix de périples d’une extrême violence, parviennent quand même aux portes de l’Europe. L’UE cherche une cohérence politique commune pour que plus jamais, l’Espagne ne régularise massivement des étrangers, que l’Allemagne n’accueille 800 000 migrants, ou l’Italie ne crée une « Mare Nostra ». Pour arriver à ses fins, au mépris de toute morale, l’UE n’hésite pas à financer l’encampement des migrants en signant des accords iniques, comme les millions d’euros distribués au gouvernement turc depuis 2016 pour « parquer » des migrants.
D’autres accords sont en cours de conclusion avec le Maroc ou la Libye, au moment même où Macron crie au crime contre l’humanité dans ce pays, en découvrant (vraiment ?) le commerce des humains qui s’y déploie ! La Libye dont les structures ont été totalement détruites notamment par la guerre privée pourrie menée par Sarkozy !

Un règlement européen en négociation, qui s’imposera de droit à tous les États européens comme une frontière législative commune, prévoit le renvoi des personnes qui demandent l’asile dans des « pays tiers sûrs », ou des « morceaux de territoires sûrs ». Des régions du Soudan ou d’Afghanistan, voire de Libye à terme, pourraient être considérées comme sûres ! Le gouvernement français toujours à la pointe de l’horreur, travaille déjà sur un projet de loi anti immigration pour 2018

Tous sur la frontière italienne le 16 décembre

Les accords de Schengen ont été suspendus temporairement depuis novembre 2015 pour permettre les contrôles aux frontières dans toute l’espace Schengen. Ainsi à la frontière franco italienne, les CRS et policiers de la PAF contrôlent systématiquement les personnes « d’apparence migrante » (!). Depuis le 13 novembre 2015, la libre circulation est vraiment supprimée. Et avec elle, un autre droit : celui de pouvoir déposer une demande d’asile.

D’après Eurostat, en 2016, 54 500 personnes ont été empêchées de rentrer sur le territoire français, elles seraient 90 000 cette année.
Chaque jour 100 à 150 personnes sont refoulées à la frontière italienne au motif qu’elles n’avaient pas de titre valide d’entrée sur le territoire. Elles ont été retenues quelques heures ou toute une nuit dans des algécos et au premier étage de la gare de Garavan. Des mineurs, des majeurs souvent afghans, soudanais et érythréens y ont été entreposés sans lits, sans matelas, sans nourriture avant d’être renvoyés dans un train pour Vintimille.
Ce sont des lieux et des procédures qui n’ont aucune existence légale. Juste une simple décision d’un préfet et des « petits arrangements » avec les autorité italiennes !

Ouvrons les frontières !

Des procédures qui n’existent pas pour des personnes dont les États, ici français et italiens, dénient tout simplement le droit à la vie ! Par tout cela, nous sommes révoltés et nous voulons mettre en actes notre colère pour que ça change vraiment maintenant ! Nous serons nombreux près de la frontière, plusieurs manifestations vont s’y dérouler sous des formes différentes, à Névache, au pied du col de l’échelle, à Briançon. Toutes dénonceront ce monde empoisonné par un système économique profondément injuste, inégalitaire et cynique, destructeur des personnes, de leur humanité et de la planète. Ils diront leur volonté, aux côtés et avec de nombreuses personnes qui cherchent refuge, de résister à l’oppression subie, d’inventer un monde solidaire. Parce que c’est notre droit, notre liberté et notre devoir communs.

Avec la Cisem et d’autres organisations, associations, partis, avec de nombreux collectifs unitaires locaux, répondant à l’appel de l’association Roya solidaires, du collectif solidarité migrants 06 et de la coordination sans papiers 75, nous irons manifester à Menton Garavan. Pour l’ouverture des frontières, le droit d’aller et venir, de se fixer où nous voulons, pour la fin de la criminalisation des migrants et des personnes solidaires. Et nous lutterons jusqu’à ce que nous gagnions !

Il reste encore des places dans le car, on peut encore s’inscrire au CIIP

source http://www.ciip.fr/spip.php?article1451

Sur les recommandations de l’ONU au FMI

par Chiara Filoni CADTM Belgique

CC-Wikimedia commons

En juillet 2017, Alfred-Maurice de Zayas, Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable pour les Nations unies, a publié son sixième rapport qui examine l’incidence des politiques du Fonds monétaire international (FMI) et en particulier de la « conditionnalité » de ses prêts sur l’ordre international et les droits humains. Nous publions ici quelques commentaires sur ses constats et sur les recommandations qu’il adresse au FMI.

Le but de ce rapport, lisons-nous dans l’introduction, n’est pas de produire des analyses ou des prévisions en matière de macroéconomie, mais plutôt d’examiner la situation actuelle en vue de formuler des recommandations au FMI pour que ses politiques soient conformes avec le régime international relatif aux droits humains. Ce régime, qui fait partie de ce que l’on pourrait appeler le droit international coutumier, s’applique tant aux États qu’aux organisations intergouvernementales et aux entreprises multinationales puisque il est au-dessus de toute autre réglementation.

En effet, bien que le FMI soit une organisation internationale indépendante des Nations unies et qu’elle ait signé en 1947 un accord qui stipule que « le Fonds est une organisation internationale indépendante et doit fonctionner comme telle », cela ne veut pas dire qu’elle est dispensée de la responsabilité des conséquences néfastes que peuvent entraîner ses prêts sur les droits humains. De plus, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), en tant qu’agences spécialisées de l’ONU, sont liées aux objectifs et aux principes généraux de la Charte des Nations unies, parmi lesquels figurent le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

Par conséquent, il leur est interdit d’imposer des mesures qui empêchent les États de se conformer à leurs propres obligations nationales et internationales en matière de droits humains. |1|


Conditionnalité fatale

Dans la rédaction de ces recommandations l’expert indépendant se base sur des études empiriques, de rapports d’autres experts et d’ouvrages critiques comme l’excellent livre de Naomi Klein, La stratégie du choc ou celui de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle ou encore des questionnaires complétés par des organisations de la société civile comme Human Rights Watch ou le CETIM.

L’auteure de la Stratégie du choc démontre par exemple que l’« aide » du FMI à des pays en crise économique et sociale a « transformé la crise en catastrophe ». Naomi Klein décrit dans son livre comment la « thérapie » des privatisations instantanées- qui a été imposée par le FMI et le département du Trésor des États-Unis dans les années 1990 à des pays comme l’Argentine, la Bolivie, la Fédération de Russie et le sud-est asiatique souvent pour des raisons d’opportunisme – a eu des conséquences dévastatrices sur l’exercice des droits de l’homme. |2| De plus, cela a été fait parfois, comme dans le cas de Trinité-et-Tobago, par le biais de fraudes statistiques, comme l’augmentation fictive de la dette gouvernemental afin d’exagérer le niveau de la crise économique et d’appliquer des programmes d’austérité.

Malgré la reconnaissance de problèmes liés à l’approfondissement des inégalités et les efforts pour améliorer son image, notamment par des fiches techniques et des déclarations officielles, selon l’expert, le FMI reste accroché à l’idéologie du Consensus de Washington. Pour le fonds en fait, stabilisation, libéralisation et privatisation stimuleraient automatiquement la croissance économique, dont les « effets de ruissellement » devraient améliorer le niveau de vie de toute la population.

Toutefois, comme l’affirme Alfred-Maurice de Zayas dans ce rapport, lorsqu’un pays s’engage dans un resserrement budgétaire excessif afin d’atteindre les objectifs macroéconomiques fixés par le FMI (croissance économique permettant d’honorer le service de la dette), peu de ressources subsistent pour les dépenses sociales. Il a été démontré par exemple que, outre sa capacité à affaiblir les infrastructures du secteur public, la conditionnalité imposée par le FMI menace le droit à la santé : dans la course à la croissance économique à tout prix, les investissements à long terme, tels que ceux requis pour améliorer les soins de santé, sont relégués au second plan.

En outre, il a été observé qu’il existe un lien entre la conditionnalité du FMI, les dépenses réduites dans le secteur de la santé et la flambée d’Ebola en Afrique de l’ouest. Ainsi, en 2013, juste avant la flambée, trois des pays les plus touchés par l’épidémie avaient si bien suivi les prescriptions du FMI en termes de politique macroéconomique qu’ils n’avaient pas atteint les objectifs de dépenses sociales. |3|

Le refus d’un cadre pour les restructurations de dettes et le cas de la Grèce

En 2001 le FMI a refusé une nouvelle approche de la restructuration de la dette souveraine proposée par Anne Krueger, alors directrice générale adjointe du FMI. Cette proposition prévoyait la « création d’un cadre offrant au pays débiteur une protection légale contre les créditeurs qui s’érigent en obstacle contre une restructuration nécessaire. En contrepartie, le débiteur aura l’obligation de négocier de bonne foi avec ses créditeurs et d’adopter des politiques pour éviter la réapparition de problèmes similaires dans le futur ». |4|

Malgré les limites de cette proposition à nos yeux de militant-e-s engagé-e-s dans la lutte pour l’annulation de la dette illégitime, la seule possibilité d’imaginer un cadre permanent pour la restructuration des dettes fait peur au FMI, qui souvent vit sur le dos des pays en défaut de paiement ou en difficulté économique. |5| est exemplaire à cet égard.

Selon le Bureau indépendant d’évaluation, le FMI a violé sa propre règle fondamentale en autorisant le sauvetage financier de 2010 à partir du moment où il ne pouvait pas garantir que le plan de renflouement permettrait de contrôler la dette du pays. Comme l’explique Michel Husson, après l’expérience désastreuse en Argentine, le FMI s’était fixé comme règle de n’accorder de prêts importants qu’à des pays dont la dette était jugée soutenable avec une forte probabilité. Or, dans le document préparatoire du plan de sauvetage on peut lire : « il est difficile d’affirmer catégoriquement que tel est le cas avec une forte probabilité ». Cette constatation finale aurait donc dû conduire à refuser le programme d’aide à la Grèce. |6| L’exception dans le cas de la Grèce a été décidée en raison du risque de « contagion systémique ». En effet, la préoccupation était de sauver l’union monétaire, non d’aider la Grèce à sortir de la crise.

En décembre 2015, l’Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, Juan Pablo Bohoslavsky, alarmé par la situation d’une grande partie de la population grecque, appelait à prendre en compte les facteurs sociaux.

Alfred-Maurice de Zayas encourage le FMI à intégrer les Principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine contenus dans la résolution adoptée le 10 septembre 2015 par l’Assemblée générale de l’ONU, |7| ceci contrairement à ce qui s’est passé lors des différents mémorandums en Grèce, où le FMI a joué le jeu de créanciers et n’a pas du tout cherché à protéger la population, dont les conditions de vie se sont dramatiquement dégradées suite aux conditionnalités appliquées en échange de cette opération. |8|

L’expert va plus loin en affirmant que les politiques de la Troïka face à la crise grecque ne peuvent aboutir qu’à des violations continues des droits de l’homme.

L’expert va plus loin en affirmant que les politiques de la Troïka face à la crise grecque ne peuvent aboutir qu’à des violations continues des droits de l’homme

La mauvaise foi des créanciers est évidente en Grèce – mais aussi dans d’autres pays comme l’Argentine ou la Tunisie : les mesures imposées portent atteinte aux droits fondamentaux des peuples, en violation de la législation nationale et internationale. Il souscrit par conséquent aux conclusions du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique selon lesquelles 85 % la dette grecque est odieuse, illégitime, illégale et insoutenable et doit donc être annulée.


Quelles recommandations ?

Pour toutes ces raisons- et pour d’autres encore- l’Expert indépendant formule les recommandations suivantes au FMI et par ailleurs aussi à la Banque mondiale.

- Modifier leurs Statuts afin de promouvoir le développement et les droits de l’Homme à travers des pratiques de prêt « intelligentes » qui bénéficient non seulement aux banques et spéculateurs, mais à des milliards d’êtres humains. L’expert cite à ce propos l’exemple de la Banque mondiale, qui a récemment soutenu l’objectif de couverture sanitaire universelle.
Malgré l’importance de cette recommandation ayant comme but de limiter les dommages causés par la politique de prêt du FMI, deux aspects posent problème.

1. L’Expert reconnaît que les deux institutions de Bretton Woods ont toujours joué le jeu des banques, voire, dans les termes de Karin Lissakers, représentante des États-Unis au Conseil d’administration du FMI dans les années 1990, sont les « exécuteur[s] des contrats de prêt des banques », pourtant il ne va pas jusqu’à exiger du FMI qu’il soit indépendant des banques et octroie des prêts uniquement au bénéfice des populations des pays destinataires.

2. Il ne met pas en cause les promesses de la Banque mondiale quant à l’objectif de couverture sanitaire universelle. Or il nous semble assez naïf de croire que les déclarations de cette institution se transforment nécessairement en réalité. Comme l’affirme l’ONG Bretton Woods Project, |9| la Banque mondiale elle-même a déjà déclaré que l’objectif de couverture sanitaire universelle est loin d’être atteint, surtout dans les pays les plus pauvres où les ressources économiques sont limitées.

Pour cette raison la BM semble s’orienter plutôt vers un système de protection privée financée par les créanciers dans une approche basée, encore et toujours, sur la performance économique. L’objectif final reste en effet toujours la croissance économique ; par conséquent les investissements dans les secteurs de la santé font partie d’un calcul de coûts-avantages au lieu d’être considérés comme des dépenses fondamentales pour la réalisation du droit humain à la santé. La seule dépense financée par le public sera un package d’interventions sanitaires de base (pas encore bien défini). Pour d’autres interventions (hors package) les patient-e-s devront payer de leur poche ou s’en passer !

On voit mal, dès lors, comment ce programme pourra atteindre les objectifs de fin de la pauvreté et d’une plus grande prospérité pour tou-te-s, comme déclaré par l’institution.

À noter que la BM parle également de « système éducatif universel » à atteindre par le biais d’écoles privées, une méthode qui en réalité sape le droit à l’éducation pour tous et toutes. |10|

- Exiger des avis consultatifs de la Cour internationale de Justice au sujet de toute question juridique soulevée dans les limites du champ de ses activités, comme décrit dans l’article VIII de l’accord du FMI et des Nations Unies précédemment cité. L’expert tient à rappeler également qu’aucune institution financière internationale ni aucun accord commercial n’est au dessus du droit international.

- Assujettir ses prêts à l’adoption d’une législation nationale qui garantit que les entreprises nationales et transnationales s’acquittent de leurs impôts ; interdit le transfert de bénéfices et proscrit les paradis fiscaux ; taxe les transactions financières, prévient la corruption et les pots de vin, inclut des règles générales anti-évitement ; assure l’emprunteur qu’aucune partie d’aucun prêt ne sera utilisée pour satisfaire les réclamations de fonds vautours ou de créanciers récalcitrants.

Toutes ces mesures faciliteraient en effet la lutte contre la fraude fiscale, limiteraient les inégalités, éviteraient le gaspillage et la corruption. Pourtant, même si le FMI reconnaît dans ses publications l’importance de la transparence fiscale et de la lutte contre la corruption, selon Human Rights Watch ces normes ne sont guère appliquées en pratique. Le Manuel du FMI sur la transparence des finances publiques, qui fournit des orientations quant à la mise en œuvre de son Code des bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques, reconnaît que ces normes doivent être appliquées sur les dépenses et revenus militaires mais, en pratique, l’institution n’a pas usé de son pouvoir d’influence pour soutenir le progrès dans ce domaine.

- Assujettir ses prêts à la déclaration d’un moratoire sur les dépenses militaires (excluant les salaires et pensions) pendant la durée du prêt.
En réalité le FMI a jusqu’ici refusé cette proposition ; une fiche technique précise d’ailleurs que « La politique du Fonds prohibe l’établissement de conditions requérant des membres la réduction des niveaux de leurs dépenses militaires. Bien que la somme que les autorités d’un pays membre dépensent sur le secteur militaire puisse être de taille par rapport à la situation macroéconomique du pays, le Fonds adopte la position que les dépenses militaires sont d’une nature intrinsèquement politique et qu’il serait inapproprié qu’elles fassent l’objet d’une conditionnalité ». Voilà qui cadre bien avec la partialité politique des institutions de Bretton Woods, illustrée par leur soutien financier aux dictatures qui ont sévi au Chili, au Brésil, au Nicaragua, au Congo-Kinshasa, en Roumanie à partir des années 1950. |11|

- Plus globalement, redéfinir ses priorités et finalement abandonner les conditions obsolètes de privatisation, de déréglementation des marchés et d’ « austérité » dans les services sociaux qui entraînent nécessairement des violations des droits de l’homme.

Abandonner les conditions obsolètes de privatisation, de déréglementation des marchés et d’« austérité » dans les services sociaux

Selon l’expert, l’amélioration de conditions de vie des personnes requerrait que le FMI adopte une approche fondée sur les droits de l’homme en rupture avec le consensus de Washington et inspirée par une philosophie plus « progressiste » du développement.

Le CADTM nourrit peu d’espoir que ce changement puisse arriver un jour au vu de la politique néolibérale promulguée par les deux institutions, leur fonctionnement anti-démocratique et leurs asservissement aux exigences de certaines États du Nord, à commencer par les États-Unis. |12| Raison pour laquelle le CADTM s’est toujours positionné en faveur du remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international (extrait de notre charte politique). Nous constatons d’ailleurs que le FMI utilise l’argument du respect de ses statuts quand cela l’arrange mais que l’interdiction de prendre en compte les considérations « politiques » et « non économiques » est systématiquement contournée. Il est essentiel que l’Assemblée générale de l’ONU et les différent-e-s expert-e-s continuent de tirer la sonnette d’alarme sur la violation de droits humains dont les institutions internationales se rendent complices et de nourrir le débat citoyen sur la nécessité d’inverser radicalement l’ordre économique mondial et les politiques des acteurs institutionnels.


Merci à Christine Pagnoulle pour sa relecture

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Notes

|1| Pour plus d’infos sur le sujet lire Renaud Vivien, Banque mondiale, une zone de non-droit protégée par des juges, disponible sur http://www.cadtm.org/Banque-mondiale-une-zone-de-non

|2| Naomi Klein, La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, coll. « Babel » (Toronto, Léméac/Actes Sud, 2008).

|3| Pour plus d’informations lire l’article par Émilie Paumard, Le FMI et la Banque mondiale ont-ils appris de leurs erreurs ? publié sur : http://www.cadtm.org/Le-FMI-et-la-Banque-mondiale-ont

|4| Pour plus de détails consulter le rapport de l’expert, p.24

|5| Lire l’article de Jubilee Debt Campaign Le FMI a fait 2,5 milliards € de bénéfice sur ses prêts à la Grèce disponible sur http://www.cadtm.org/Le-FMI-a-fait-2-5-milliards-EUR-de Le cas de la Grèce

|6| Pour plus de détails sur les discussions interne au FMI en 2010 voir l’article par Michel Husson, Grèce : Les “erreurs” du FMI disponible sur http://www.cadtm.org/Grece-les-erre…

|7| Ici le texte complet : http://unctad.org/meetings/fr/Sessi… et les réflexions du CADTM à ce sujet : http://www.cadtm.org/Reflexions-initiales-quant-a-la

|8| Eric Toussaint, L’échec de la restructuration de la dette grecque en 2012 : quelques enseignements à tirer par publié le sur http://www.cadtm.org/L-echec-de-la-… et Xavier Dupret, Restructuration de la dette grecque. Bénéfice sur toute la ligne pour les créanciers… disponible sur http://www.cadtm.org/Restructuration-de-la-dette

|9| A healthy step forward ? World Bank outlines vision for healthcare publié en juin 2013 par Bretton Woods projets et disponible sur http://www.brettonwoodsproject.org/…

|10| Education for all ? World Bank emphasises universal education policies publié en juin 2013 par Bretton Woods Project et disponible sur http://www.brettonwoodsproject.org/…

|11| Pour plus d’information sur le sujet lire Eric Toussaint, Le soutien de la Banque mondiale et du FMI aux dictatures publié sur http://www.cadtm.org/Le-soutien-de-la-Banque-mondiale,734

|12| Eric Toussaint Le FMI : une institution antidémocratique qui impose la régression sociale publié sur : http://www.cadtm.org/Le-FMI-une-ins…

Auteur.e

Chiara Filoni Permanente au CADTM Belgique

Le diabolique projet de l’Europe pour les demandeurs d’asile

Par Carine Fouteau . Mediapart

Mediapart s’est procuré la toute dernière version du règlement européen en cours de négociation à Bruxelles, qui permet le renvoi de demandeurs d’asile vers des « pays tiers sûrs ». La définition de ce concept est élargie au point qu’un pays comme la Libye pourrait, à terme, être concerné pour peu que certaines régions se stabilisent, par exemple autour de Tripoli.

Lors du cinquième sommet UE-Afrique, qui doit se dérouler les 29 et 30 novembre à Abidjan, en Côte d’Ivoire, les chefs d’État européens ne vont pas manquer de s’indigner des violences dont sont victimes les migrants subsahariens en Libye, à la suite de l’émoi mondial provoqué par la diffusion du reportage de CNN apportant la preuve de pratiques esclavagistes dans ce pays. Mais il est à peu près certain qu’ils ne diront pas un mot du forfait qu’ils sont en train de préparer en toute discrétion à Bruxelles à l’encontre des demandeurs d’asile.

Sur une proposition de la Commission européenne, ils sont en train de négocier, au sein du Conseil européen, les termes d’un règlement « instituant une procédure commune en matière de protection internationale » qui constitue un reniement fondamental au regard du droit d’asile tel qu’il est conçu depuis la signature de la Convention de Genève en 1951.

Ce texte (à consulter dans sa version de départ), d’application directe dans les législations nationales (c’est-à-dire ne nécessitant pas de transposition – à la différence des directives), prévoit que les États membres puissent considérer comme « irrecevables » les demandes d’asile de personnes ayant transité, avant d’arriver en Europe, dans un « pays tiers sûr » et, dès lors, les y renvoyer afin qu’y soit prise en charge leur demande de protection internationale.Par « pays tiers sûr », il faut entendre des pays hors de l’Union européenne censés garantir les droits de l’homme. L’article 45, qui définit le concept de « pays tiers sûr », évoque notamment le fait que, dans ces pays, les « demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ». Sont potentiellement concernés la totalité des pays voisins de l’Union européenne. La France pourrait ainsi renvoyer vers les pays du Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc) l’immense majorité des exilés subsahariens qui y seraient passés avant de traverser la Méditerranée.

Mais cela ne s’arrête pas là. Mediapart s’est procuré la dernière version (non définitive) de l’article 45, qui est particulièrement alarmante puisqu’elle précise qu’un pays peut être déclaré comme sûr à l’exception d’une ou plusieurs de ses régions ou d’une ou plusieurs catégories de personnes. Dit autrement, cela revient à déclarer comme sûrs des pays dont certaines régions sont en guerre (mais pas toutes) ou dont certaines catégories de personnes sont menacées (mais pas toutes). Certains observateurs redoutent que cet élargissement de la définition ne permette d’y faire entrer des pays aussi instables que la Libye pourvu qu’un de ses territoires, par exemple autour de Tripoli, fasse taire le bruit des armes.

Cette notion de « pays tiers sûr » constitue une révolution dans le droit d’asile, car elle permettrait que des exilés en quête de protection soient réexpédiés sans que leur demande n’ait été examinée dans un pays de l’UE. Plutôt que de les interroger sur les violences politiques ayant provoqué leur exil, plutôt que de chercher à évaluer la crédibilité de leur témoignage, plutôt que de rassembler les indices attestant leur persécution, il s’agirait de retracer leur trajectoire : au cours des milliers de kilomètres parcourus pour fuir leur pays, ont-ils traversé un pays dans lequel ils pourraient vivre en sécurité ? Peu importent les sévices subis (viol, enfermement arbitraire, harcèlement, rançon, torture, etc.), il faudrait trouver une terre d’accueil, la plus éloignée possible de l’Europe.

Ce concept de « pays tiers sûr » est déjà inscrit dans la directive européenne dite « procédure » adoptée le 26 juin 2013 mais, à la différence du règlement en préparation, ce texte laissait aux États la faculté de ne pas le mettre en œuvre ; selon Gérard Sadik, de la Cimade, 19 pays l’ont adopté, parmi lesquels seuls deux l’appliquent de facto : il s’agit de la Hongrie, qui renvoie quasi systématiquement les demandeurs d’asile arrivés sur son sol en Serbie ; et de la Grèce, qui renvoie en Turquie des demandeurs d’asile syriens et afghans.

Pour ce faire, la Grèce s’appuie sur l’accord politique entre l’Union européenne et la Turquie signé en mars 2016. Bruxelles considère ce texte, contesté juridiquement, comme un succès dans la mesure où, depuis sa conclusion, le nombre de traversées via la mer Égée a drastiquement chuté (même si une légère hausse est observée depuis quelques semaines).

Le nouveau règlement en cours de négociation consiste en une généralisation de cet accord UE-Turquie, décrié par l’ensemble des ONG ainsi que par l’ONU. Il met en cause l’un des principes fondamentaux de l’asile, inscrit dans la Convention de Genève de 1951, selon lequel chaque demandeur d’asile a le droit de voir sa situation personnelle examinée dans le pays dans lequel il sollicite une protection. En France, il contrevient au préambule de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».

Le droit d’asile y a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 août 1993 qui établit que « l’étranger qui se réclame de ce droit [doit être] autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ». Comme l’indique Gérard Sadik, les États membres favorables à la notion de « pays tiers sûr » se fondent sur la notion de subsidiarité de la demande d’asile, qui fait que les États peuvent considérer qu’ils ne sont pas tenus d’examiner la demande si la personne n’est pas venue directement depuis son pays d’origine.

« Cette dérive est extrêmement grave »

La France, jusqu’à présent, avait résisté. Lors de la mandature de François Hollande, la loi sur l’asile de 2015 n’avait pas repris ce concept de « pays tiers sûr », qui n’a donc pour l’instant aucune existence juridique dans le droit français. Mais il en va tout autrement sous l’actuelle présidence d’Emmanuel Macron. Anticipant le vote de ce règlement à l’échelon européen, le ministre français de l’intérieur, Gérard Collomb, l’a inscrit dans son pré-projet de loi sur l’asile et l’immigration, pas encore présenté en conseil des ministres.

Ce même Emmanuel Macron, qui distingue les « réfugiés » – qu’il faudrait accueillir sous peine de perdre notre honneur – des « migrants économiques » – devenus indésirables –, pousse le cynisme jusqu’à prévoir de fermer la porte aux demandeurs d’asile eux-mêmes. Gérard Sadik note qu’entre 1992 et 1996 cette notion de « pays tiers sûr » avait été appliquée « de manière sauvage » aux frontières françaises, notamment à l’aéroport de Roissy, avec le renvoi de demandeurs d’asile vers le Cameroun ou la Tanzanie.

Cette pratique avait cessé à la suite d’un arrêt du Conseil d’État (à l’époque le commissaire du gouvernement, à savoir le rapporteur public, n’était autre que Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur général des lieux de privation de liberté), qui établissait que cette notion était contraire à la Convention de Genève et à la Constitution française.

Seule la prise de conscience de certains États membres et des eurodéputés pourra permettre d’éviter le pire. La négociation est en cours : le texte peut encore faire l’objet d’allers et retours entre les ministres de l’intérieur du Conseil européen ; un accord devra ensuite être trouvé entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Sylvie Guillaume, députée française membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates, rappelle que le texte a encore beaucoup de chemin à faire avant d’être adopté. Mais elle estime qu’il « mérite une certaine attention car les définitions qu’il aborde modifient le concept de pays tiers sûr ».

« Cela témoigne, estime-t-elle, d’une certaine fébrilité des États membres sur le sujet. » « En aucune manière, je n’accepterai d’élargir cette notion à des morceaux de territoire », dit-elle, ajoutant qu’elle n’est pas opposée au concept dans sa version classique, pourvu que son application reste optionnelle.

Membre de la délégation française du Front de gauche/Alliance des Outre-mers, Marie-Christine Vergiat est, elle, totalement opposée à la notion même de « pays tiers sûr ». « Les États membres font tout pour externaliser la demande d’asile à des pays tiers ; il s’agit d’une politique raciste et xénophobe car, si l’on regarde de près, on se rend compte que sont principalement concernés les demandeurs d’asile venus d’Afrique. Plus on bloque les voies légales d’entrée dans l’Union européenne, plus on fait le jeu des trafiquants », insiste-t-elle.

Responsable du programme Protection des populations à Amnesty International France, Jean-François Dubost est particulièrement inquiet des évolutions en cours (lire l’entretien d’Amélie Poinssot). Il estime que l’Allemagne et la France sont à la manœuvre dans cette tentative d’assouplir les conditions. « On est là dans une logique de gestion, pas du tout de protection, estime-t-il. La Convention de 1951 qui instaurait le droit d’asile ne déterminait d’ailleurs pas de “pays sûrs”. » « Cette dérive est extrêmement grave, ajoute-t-il. D’abord parce que les régions qui vont être considérées comme sûres sont déjà en première ligne pour l’accueil des réfugiés. Ensuite parce que c’est la volonté de contrôle qui va être le critère des Européens pour déterminer qu’une région est sûre ou non. Rien, dans le droit international, ne permet de déterminer ce qu’est un “pays sûr”. Ce n’est pas une notion juridique, c’est une construction européenne. »

Depuis la signature de l’accord UE-Turquie, « on sent une volonté de la Commission européenne de pousser à ce type d’accord avec d’autres pays, comme la Libye, avec cette idée de “région sûre” ». « C’est la même logique de “containment”, de blocage des personnes le plus en amont possible des frontières européennes. Ce n’est pas une idée nouvelle, mais on est entré dans une phase plus opérationnelle. Renvoyer les migrants présente en outre l’avantage d’éloigner le sujet des yeux des populations européennes… Tout cela s’inscrit dans une logique complètement assumée côté européen », se désespère-t-il.

Solidarité avec Yannis Youlontas et Jean-Jacques Rue

Poursuivis en justice par Defend Europe
Durant l’été 2017, une expédition raciste a tenté d’entraver le sauvetage en mer des migrants en mer Méditerranée par les ONG. Telle une milice fasciste, les principaux dirigeants identitaires européens ont affrété le navire C-Star contre les associations humanitaires et les personnes qui fuient la guerre et la misère, parmi lesquelles des enfants.Heureusement, sur l’une et l’autre rive, des centaines de militants antiracistes et antifascistes se sont mis en réseau pour les en empêcher.

Dès lors, la débâcle de l’expédition Defend Europe a été retentissante : première alerte en Egypte, blocage du bateau à Chypre, abandon du projet d’escale en Crète, manifestations en Sicile, nouvel abandon en Tunisie, panne au large de la Libye et, enfin, capitulation au large de Malte suivie de la fuite des chefs identitaires européens.

Deux mois après cet échec total, Defend Europe contre-attaque en Justice pour se venger.

Les chefs identitaires allemand, français et italien de Defend Europe poursuivent Yannis Youlountas, seul membre visible du réseau antifasciste Defend Mediterranea, pour « diffamation » et « injures publiques ».

Ils poursuivent également Jean-Jacques Rue, journaliste satirique et ami de Yannis, pour avoir partagé et commenté l’une des publications de ce dernier.Ils leur demandent des sommes colossales (plusieurs dizaines de milliers d’euros) non seulement dans le but de gagner beaucoup d’argent, mais aussi de mettre en grandes difficultés ces deux militants aux revenus modestes.

Le procès aura lieu le lundi 18 décembre 2017 à 13h30 au Tribunal correctionnel de Nice.La solidarité, c’est aussi participer aux frais des camarades. C’est pourquoi nous appelons à votre soutien financier pour régler les frais d’avocats, de déplacements et de saisine des témoignages par les huissiers. En cas de surplus, le solde sera reversé à des associations d’aide aux migrants et réfugiés.

https://www.lepotcommun.fr/pot/hvfshv5n

No Pasaran et vive la solidarité !Annick et Eric Sirvin, amis de Yannis et Jean-Jacques
mandatés par le comité de soutien pour créer ce Pot Commun

Pour ceux qui ne peuvent pas utiliser ce procédé, vous pouvez éventuellement :– soit envoyer un chèque à l’ordre du Cercle des poètes tarnais (ne rien ajouter sur l’ordre) à l’adresse suivante : 
ANEPOS
« Solidarité avec Yannis et Jean-Jacques »BP 10 81540 SORÈZE

– soit faire un virement au Cercle des poètes tarnais en mentionnant « Solidarité avec Yannis et Jean-Jacques » dans le libellé.
IBAN : FR48 2004 1010 1606 9098 3K03 727
BIC : PSSTFRPPTOU

Lire notre article précédent http://www.infoadrets.info/grece/contre-lexpedition-identitaire-defend-europe/

Aéroports grecs : cessions et grandes concessions


Sur Libération par Fabien Perrier, correspondant à Athènes
12 novembre 2017 

Dans la Grèce soumise à l’austérité, un consortium d’entreprises allemandes s’est taillé la part du lion lorsque l’Etat a mis aux enchères quatorze de ses aéroports régionaux. Une opération très avantageuse, sur fond d’optimisation fiscale.

Tous les profits pour l’un, bien planqués dans des paradis fiscaux, et tout le passif pour l’autre. D’un côté, le consortium Fraport AG-Slentel Ltd, gros exploitant des aéroports allemands épinglé dans l’enquête «Paradise Papers» , et de l’autre la Grèce, mise en demeure en 2015 par les «hommes en noirs» de la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international) de vendre ses bijoux de famille pour renflouer les caisses terriblement vides de l’Etat. Transport, énergie, loterie nationale, gestion de l’eau, infrastructures, patrimoine culturel… Dans cette grande braderie, les aéroports grecs s’avèrent, dès 2014, un business lucratif. Une aubaine pour l’opérateur aéroportuaire allemand qui se met rapidement sur les rangs concernant la privatisation de quatorze aéroports régionaux, dont ceux de Thessalonique, Mykonos ou encore Santorin. Trois ans plus tard, en avril 2017, pari gagné avec une cession conclue pour quarante années.

Thérapie de choc

Sauf qu’aujourd’hui, pour faire prospérer son investissement, le consortium allemand Fraport (flanqué d’un partenaire grec, le groupe spécialisé dans l’énergie Copelouzos) est prêt à tout. Y compris à mener une bataille juridique contre l’Etat grec. Selon le site d’investigation ThePressProject, Fraport AG-Slentel Ltd et Copelouzos réclament 70 millions d’euros au gouvernement hellène. Au cœur de ce bras de fer judiciaire : le mauvais état des quatorze aéroports cédés et de prétendus inévitables travaux à réaliser. Le consortium gréco-allemand a donc entamé une procédure d’arbitrage pour obtenir des dédommagements sonnants et trébuchants. Entre le gestionnaire et l’Etat, le torchon brûle. Mais pas au point d’étaler le différend sur la place publique. Peu loquace, un responsable gouvernemental grec se contente d’affirmer : «Nous n’avons aucun problème avec Fraport.» Ce dernier, qui a mis sur la table 1,234 milliard d’euros en contrepartie de la gestion des aéroports, refuse de confirmer les montants demandés à l’Etat grec. «C’est une procédure d’arbitrage normale», dit-on du côté de Fraport. Une procédure révélatrice des effets provoqués par la thérapie de choc imposée à la Grèce depuis 2010.
Petit retour en arrière. Nous sommes au début de la décennie. En pleine crise de la dette, le gouvernement grec signe un premier plan de sauvetage financier en échange d’une réforme de l’Etat. Au chapitre des exigences imposées par la troïka, il y a l’éternelle obligation de procéder à des privatisations. Pour orchestrer les ventes d’entreprises nationales, une caisse de mise en valeur des biens publics (la Taiped) est créée en 2011. La plupart des aéroports sont mis en vente. En 2014, trois prétendants sont en lice. Il y a la Corporación America (un holding argentin) associée à l’entreprise grecque de construction Metka, un duo franco-grec constitué de Vinci et d’Ellaktor et le tandem Fraport-Copelouzos. Ce dernier emporte la mise en proposant 1,234 milliard d’euros assorti de 23 millions d’euros versé à la Taiped. A charge pour cette dernière de réorienter ses recettes provenant des privatisations vers le remboursement de la dette grecque. Aujourd’hui, et si d’aventure Fraport devait obtenir gain de cause à l’issue de l’arbitrage qui l’oppose à Athènes, l’Etat devra piocher dans ses propres ressources budgétaires pour le dédommager. Autrement dit, pas question de toucher à un seul euro «gagné» par les privatisations.

Volte-face

Comment Athènes a-t-il cédé ses aéroports à Fraport ? Comme lors de toutes les privatisations, des conseillers (techniques, financiers, juridiques) ont épaulé la Taiped dans le processus. Celui chargé des questions techniques était la Lufthansa Consulting, une filiale de la compagnie aérienne allemande du même nom. Celle-là même qui détient 8,44 % de la société mère Fraport. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais lorsque le parti anti-austérité Syriza remporte les élections législatives anticipées en janvier 2015, changement de décor. Aléxis Tsípras, le chef de file de Syriza, devenu Premier ministre, décide de geler la vente. Pas question, estime-t-il, de céder les biens de l’Etat à des investisseurs privés. Mais sept mois plus tard, le même Tsípras fait volte-face. Et pour cause : l’accord sur la dette proposée par les créanciers du pays (sous la pression de l’Allemagne, qui menace de faire sortir la Grèce de la zone euro) mentionne explicitement que la privatisation des aéroports doit aboutir. Une condition qu’accepte Aléxis Tsípras.
Dès l’été 2015, Fraport et la Taiped négocient les termes de l’accord de mise en concession des aéroports, qui devient effectif le 11 avril 2017. L’affaire est pliée. Le lendemain, une conférence de presse est organisée en grande pompe dans le très fastueux hôtel Hilton d’Athènes. Le directeur de Fraport AG (la maison mère allemande), celui de Fraport Grèce et Dimitris Copelouzos (le fondateur et président du groupe énergétique grec du même nom) : les gagnants de la privatisation sont tous là. La presse est conviée. Mais pas question de poser la moindre question. Du jamais-vu. Il s’agissait pourtant d’évoquer, selon les termes de l’agence Taiped, «l’utilisation, la gestion et l’exploitation sur une durée de quarante ans» de ces quatorze aéroports régionaux. «Y avait-il des choses à cacher ?» s’interroge encore Fotis Kollias, un des journalistes qui assistaient à ce semblant de conférence de presse.
Depuis, le doute est de mise un peu partout en Grèce. Pire encore, depuis les révélations de ThePressProject. Ce dernier a en effet publié le contrat entre la Taiped et Fraport. Thanos Kamilalis, le journaliste du site d’investigation qui a enquêté sur le dossier, considère que les conditions du contrat font la part belle à Fraport. Ainsi sur le plan fiscal, l’accord prévoit que Fraport ne paiera pas de taxes foncières et locales. Libre au gestionnaire allemand de mettre de nouvelles taxes pour les passagers : des recettes qui iront directement dans ses caisses sans passer par la case Trésor public.
Quant aux choix des partenaires, là encore tout est fait pour faciliter la vie de Fraport. L’Allemand a ainsi le droit d’annuler unilatéralement les contrats souscrits par les anciens prestataires des quatorze aéroports et libre à lui d’en choisir des nouveaux. Et pas question d’accorder le moindre dédommagement aux éventuels commerçants, restaurateurs ou autres fournisseurs congédiés. Cerise sur le gâteau d’un contrat totalement déséquilibré : c’est l’Etat (donc le contribuable) qui mettra la main à la poche si Fraport décide de licencier des salariés grecs. Et c’est encore lui qui devra prendre en charge les victimes d’accidents du travail, y compris lorsque la responsabilité de l’entreprise sera avérée. Rien n’a été laissé au hasard. Ainsi, qu’une grève vienne contredire la «bonne marche» des aéroports privatisés et Fraport sera fondée à demander des dédommagements pour manque à gagner à l’Etat : c’est aussi dans le contrat de cession, de près de 200 pages.

Aucun risque

Malgré toutes ces conditions avantageuses, il a fallu près de deux ans pour que la concession devienne réalité. «C’est un délai extrêmement long pour ce genre d’opération», confie une source au sein des aéroports grecs. Et de poursuivre : «En réalité, Fraport ne parvenait pas à rassembler les fonds nécessaires.» «Le consortium a signé un prêt sur le long terme avec différentes institutions financières», répond Yannis Papazoglou, directeur de la communication de Fraport Grèce. Il précise que le milliard nécessaire au bouclage du deal a été trouvé auprès de cinq institutions financières. Fraport ne supporte donc aucun risque directement. Sur les cinq créanciers, deux sont des institutions européennes. Ainsi la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a financé l’opération de Fraport Grèce à hauteur de 186,7 millions d’euros. En outre, un peu plus de 280 millions ont été prêtés par la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker. Or, en tout, la BEI a apporté son soutien à hauteur de 400 millions d’euros pour les entreprises grecques. Les deux tiers de cette somme ont donc bénéficié à Fraport. «Nous attendons que ces prêts génèrent des investissements en Grèce», justifie-t-on du côté de la Commission. «Mais pour l’instant les travaux n’ont pas commencé», souligne le ministre grec des Transports, Christos Spritzis. Un responsable de l’aviation civile s’inquiète que «le capital de la maison mère Fraport soit trop faible au regard d’une dette de 3,5 milliards d’euros à rembourser d’ici à 2020».
Plus surprenant encore : la société Fraport AG est détenue à hauteur de 31,32 % par le Land de Hesse et à hauteur de 20 % par la ville de Francfort. Un juteux business pour ces deux actionnaires. En effet, sur les six premiers mois de l’année, la société grecque a réalisé plus de 106 millions de bénéfices. Au final, quatorze aéroports ont donc quitté le giron de l’Etat grec pour se retrouver dans ceux d’un Land et d’une ville en Allemagne, à travers une entreprise à présent citée dans les Paradise Papers. Les sociétés du groupe Fraport sont en effet domiciliées au Luxembourg, à Chypre ou encore à Malte. Les bijoux de famille grecs sont donc, en partie, dans des coffres publics allemands. Mais à l’abri de l’impôt.
 

Fabien Perrier


Contre l’expédition identitaire Defend Europe

Le communiqué de DEFEND MEDITERRANEA et le message de Jean-Jacques et Yannis.

Communiqué de DEFEND MEDITERRANEA*, réseau antifasciste et solidaire méditerranéen contre l’expédition identitaire Defend Europe et l’Europe forteresse

* Le réseau DEFEND MEDITERRANEA est composé de camarades antifascistes, antiracistes et solidaires de Méditerranée qui ont participé au blocage du navire C-Star à Suez puis à Chypre et qui l’ont empêché de faire escale en Crète, en Sicile, en Tunisie puis à Malte.

Croisière raciste en mer, enfer libyen et politiques migratoires mortifères

Comment continuer à croire que cette fumisterie en bande organisée a, d’une façon ou d’une autre, été la cause d’un ralentissement des départs de bateaux de réfugié-e-s alors qu’il est avéré aujourd’hui, qu’un accord financier odieux entre l’Italie, la France et des milices en Libye est probablement à l’origine de ce ralentissement ?!! Les êtres humains retenus en Libye sont rackettés, torturés voir tués!

Le 27 juillet dernier. Emmanuel Macron avait déclaré son intention de « créer des hotspots (centres d’examen) en Libye » afin d’examiner les demandes d’asile de migrant-e-s avant leur arrivée en Europe. « Je souhaite que l’Union européenne, et à tout le moins, la France le fera-t-elle, puisse aller traiter les demandeurs d’asile au plus près du terrain, dans l’État tiers le plus sûr, proche justement des États d’origine ».

Communiqué rapidement repris dans la soirée par l’Elysée qui a repoussé l’échéance de l’été annoncée par le président, précisant qu’une mission de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) serait envoyée sur place fin août pour étudier la faisabilité en Libye, au Niger et au Tchad.
« Nous avons identifié une zone, qui est le sud libyen, le nord-est du Niger et le nord du Tchad » pour installer « des centres avancés » de l’OFPRA, a déclaré l’Élysée. En Libye même, « ce n’est pas possible aujourd’hui, mais ce peut être le cas à courte échéance (…). Dès fin août, nous aurons une mission de l’OFPRA pour voir comment il est possible de mettre ça en place », a précisé l’Élysée.

Dimanche 6 août, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb affirmait que ces structures seraient mises en place « dans des pays situés au sud de la Libye », à cause de la situation sécuritaire dans le pays, devenu le point de départ de nombreux migrants.

Khalifa Haftar, à la tête de l’Armée nationale libyenne, estimait le samedi 12 août à « 20 milliards de dollars sur vingt ou vingt-cinq ans » l’effort européen nécessaire pour aider à bloquer ces flux: « Le président français Emmanuel Macron « m’a demandé ce dont on a besoin, je suis en train de lui envoyer une liste », précise le maréchal Haftar. Dans la liste figurent « des formations pour les gardes-frontières, des munitions, des armes, mais surtout des véhicules blindés, des jeeps pour le sable, des drones, des détecteurs, des lunettes de vision nocturne, des hélicoptères ». L’idée est d’installer des campements mobiles de 150 hommes au minimum tous les 100 kilomètres, a-t-il encore détaillé. «

Bruxelles finance déjà à ce jour la Turquie à hauteur de 6 milliards d’euros (plan d’action du 18 mars 2016, depuis constamment « renforcé ») pour le contrôle de réfugié-e-s, le plus souvent dans des conditions effroyables, avant des pressions ou renvois forcés vers des pays le plus souvent en guerre.

L’Italie est soupçonnée d’avoir acheté les services de trafiquants libyens pour stopper les départs et arrivées des migrant-e-s et elle s’appuierait sur des milices libyennes dans la zone de Sabratha elles-mêmes composées d’importants acteurs du trafic d’êtres humains vers l’Italie. Ils sont accusés de commettre viols, tortures et assassinats à grande échelle.

Ce qui pourrait expliquer la baisse spectaculaire du nombre de migrant-e-s qui tentent de traverser la Méditerranée depuis les côtes libyennes et non pas grâce à un rafiot en ruine avec des vaniteux de l’extrême droite européenne venus faire croire que leurs agitations ridicules de communication avaient un poids quelconque sur ces négociations et sur l’arrêt cet été de certains bateaux de sauvetage en mer.

Defend Europe représente l’idéologie montante des idées racistes et anti-migrant-e-s de l’extrême droite européenne, dont les gouvernants des Etats européens et ceux du Sud et l’Est de la Méditerranée ne font que renforcer via leurs politiques de plus en plus sécuritaires, violentes, et racistes. Quand les migrant-e-s sont férocement réprimés à tous les passages frontières, quand les gardes côtes libyens tirent à balles réelles sur des bateaux en train de sauver des vies, quand un navire de l’armée tunisienne percute une embarcation de migrant-e-s ces derniers jours se soldant par plusieurs dizaines de morts, c’est cela l’Europe forteresse = une politique totalement mortifère avec l’appui des armées des pays du pourtour méditerranéen.

La fuite des passagers identitaires

Après ses multiples déboires en Méditerranée, les pannes récurrentes, les mensonges éhontés, les refus et les échecs essuyés pour leur entrée dans les ports, le bateau identitaire C-Star est resté stationné pendant plusieurs jours à la limite des eaux maltaises..
« Le navire n’est pas le bienvenu sur nos côtes à cause de tout ce qu’il représente », a déclaré un porte-parole du gouvernement à Times of Malta
Joseph Muscat, s’exprimait sur One Radio le 20 août, en déclarant que Malte ne serait « pas utilisée par des organisations racistes, voire nazies, de droite. »
https://www.timesofmalta.com/articles/view/20170820/local/we-want-nothing-to-do-with-racist-organisations-muscat-says.656082

Pourtant les identitaires du C-Star débarquent sur l’île le 27 août et prennent le temps de quelques photos sans aucune inquiétude avant de s’envoler depuis l’aéroport international. Ils ont toutefois manqué auparavant leur rendez-vous pour la conférence de presse à Lyon prévue le 19 août.

A ce moment-là, la question du destin du C-Star et surtout de son équipage n’est jamais abordée. Elle ne le sera d’ailleurs jamais. Pourtant, après avoir erré ainsi pendant plusieurs jours, les réserves alimentaires et de carburant ne sont déjà plus suffisantes pour continuer.

Dérive en Méditerranée du bateau et de l’équipage

Le bateau et son équipage sont donc ainsi laissés dans des conditions douteuses et incertaines au large de Malte.

Bien évidemment il serait facile d’argumenter qu’il s’agit ici de personnes non-européennes, que le « contrat » est terminé et bla et bla. Mais se souvenir aussi rapidement de l’épisode de Chypre où l’on retrouve 20 apprentis marins présents sur le bateau pour soit disant « valider leur diplôme ». Se souvenir aussi des accusations de mauvais traitements (notamment la faim), exploitation, travail dissimulé et non payé, en résumé ce qu’on appelle tout simplement du « trafic d’êtres humains ». Cinq Tamouls se verront d’ailleurs refuser leur demande d’asile, en plus des 15 départs volontaires alors même qu’ils sont en danger dans leur pays de provenance: le Sri Lanka.

Interdit d’entrer à Malte, le navire repart donc sans carburant, ni nourriture, ni même d’instruments de navigation fonctionnels pour arriver au large des côtes ibériques d’où Le ministre de l’Intérieur espagnol, Juan Ignacio Zoido, avait déclaré cet été qu’il ne laisserait pas le navire de « Defend Europe », s’approcher. Le ministre du Territoire et du développement durable ordonne alors à tous les ports de la Generalitat de refuser le navire. La décision a été prise pour un double motif, légal (faute de documentation) et politique. 
A partir de ce moment-là, le C Star commence à dériver, errer devant la côte catalane, sous surveillance. L’armateur a disparu. Il ne veut pas garantir le coût de l’amarrage ni le coût des fournitures, ni ne formulera de demande formelle d’accoster, se moquant complètement du sort de son équipage. Ce n’est pas une surprise, Egerstrom a déjà été condamné en 2015 pour les mêmes raisons et, en plus, un stock d’armes important avait été saisi sur son précédent bateau. Le C Star devient un vaisseau fantôme.


Devant cette situation alarmante, il est même conseillé aux marins à bord de pêcher et de collecter l’eau de pluie en attendant de pouvoir se faire aider !

Enfin, le 26 septembre ils sont ravitaillés puis accueillis par la Croix-Rouge et l’ITF (Fédération internationale des ouvriers du transport) pour raisons humanitaires: épuisés, sans nourriture, sans eau, sans vêtements appropriés et sans salaire depuis plusieurs mois.

La direction générale de la marine marchande publie alors une résolution, par le biais de la Capitanía, dans laquelle elle demande au port de Barcelone de laisser le bateau accoster. Le navire est inspecté conformément au protocole d’entente de Paris, un système d’inspection des navires dans les ports européens en vigueur depuis 2011.
Des lacunes sont constatées et une procédure disciplinaire engagée contre le propriétaire, qui seront traitées dans les prochains mois en marge de la vente (déclaration sans preuve du propriétaire) ou de la vente aux enchères, visant également à financer le rapatriement de l’équipage et régulariser les salaires (du moins en partie, au vu de l’état fortement dégradé du bateau)

La Mongolie, sollicitée en août dans ce sens, a finalement rayé de son registre le C-Star IMO n° 7392854 sous certificat provisoire le 29 mars 2017 pour fonctionner comme Bateau publicitaire/Survey pour ses actes sans relation avec le Registre des navires de Mongolie, et violation de l’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOSE) et l’article 33 du chapitre V de la Convention internationale pour la sécurité de la vie humaine en mer (SOLAS). Avis 2017-08-24 00:51:25

Pendant ce temps, les touristes identitaires « Defend Europe » sont rentrés chez eux en se gargarisant de succès complètement imaginaires et continuent à utiliser le C-Star comme support à des fins publicitaires et commerciales, multiplient les conférences idéologiques sans naturellement parler de leur complicité méprisable et condamnable dans ce trafic d’êtres humains. Le comble de l’hypocrisie.

Peuvent-ils vraiment avoir loué un bateau sans s’être renseigné au préalable sur les antécédents de son propriétaire, sur ses agissements douteux et sans connaitre son passé judiciaire, alors que ces informations sont publiquement accessibles en quelques minutes à peine ? Comment ont-ils pu exploiter un équipage cherchant asile et prétendre ne pas connaitre la véritable situation de celui-ci ?

Il ne s’agit pourtant pas ici de novices en communication et informatique: le buzz, les montages, coups de com et les intox sont leur activité principale pour obtenir un semblant de visibilité. 
Comment ces gens sans le moindre scrupule, ont ils pu partir dans l’intention d’aller au contact avec les ONG et mettre encore plus en danger la vie des gens : humanitaires et réfugiés, sans être inquiétés ?

Une fois de plus, des antiracistes et antifascistes ont pris l’initiative d’agir et de riposter pour faire pression sur les politiques muets devant de telles pratiques inhumaines et dégoûtantes. 
Merci à toutes celles et ceux qui ont participé ou soutenu ces mobilisations partout en Méditerranée !

Defend Europe contre-attaque en Justice

Désormais les « petits chefs » identitaires allemands, français et italiens de Defend Europe, humiliés et revanchards, poursuivent Yannis Youlountas, seul membre visible de notre réseau Defend Mediterranea, pour « diffamation » et « injures publiques », ainsi que Jean-Jacques Rue, journaliste satirique et ami de Yannis, pour avoir partagé et commenté l’une des publications de ce dernier.

Ils demandent des sommes colossales (plusieurs dizaines de milliers d’euros) non seulement dans le but d’engranger encore beaucoup d’argent, mais aussi de mettre en grandes difficultés ces deux militants aux revenus modestes. 
Le procès aura lieu le lundi 18 décembre 2017 à 13h30 au Tribunal correctionnel de Nice.

Une cagnotte de solidarité a été mise en place 
pour soutenir le financement des frais d’avocats, déplacements et saisine des témoignages par les huissiers : https://www.lepotcommun.fr/pot/hvfshv5n


La lutte contre les identitaires de Defend Europe n’est pas terminée.


Soutenons nos camarades attaqués en justice et faisons de ce procès celui de cette opération lamentable, racoleuse et inhumaine.

Soutenons l’ensemble des réactions et luttes menées aujourd’hui contre ces idéologies racistes, ces politiques migratoires, et contre les frontières ! Qu’elles soient menées par les habitant-e-s et familles des migrant-e-s tué-e-s dans leur parcours (comme les manifestations férocement réprimées récemment en Tunisie), les réseaux de solidarité aux migrant-e-s, et les migrant-e-s elles et eux mêmes qui se révoltent et résistent continuellement au quotidien, ainsi que dans les camps, centres de rétentions, en Europe et dans les pays autour, au prix de condamnations ou de leur vie.

Un appel a été lancé pour riposter contre la manifestation « Défendons l’Europe » de Génération Identitaire, le 25 novembre, 15 h dans les rues de Paris. Nous en serons.

Non au fascisme, ni en Méditerranée ni ailleurs !

DEFEND MEDITERRANEA, 23 OCTOBRE 2017

http://lahorde.samizdat.net/2017/10/25/defend-europe-ou-lepilogue-dun-naufrage/


Message de Jean-Jacques et Yannis

Bonjour,

Merci de vos messages de soutien pour notre procès contre Defend Europe, et de vos contributions au pot commun créé par notre comité de soutien.

Certaines personnes, collectifs et orgas qui souhaitent participer ont demandé un autre moyen de contribuer que le pot commun qui nécessite une carte bleue. Notre comité de soutien a donc ajouté les options chèques et virements, avec l’aide d’une association amie. Elles sont désormais précisées à la fin du texte :
https://www.lepotcommun.fr/pot/hvfshv5n

Notre défense commence à se préparer. On vous tiendra au courant pour savoir si on fait quelque chose le 18 décembre à Nice et, si oui, comment. Merci d’attendre un peu.

De même, nous diffuserons d’autres informations, bientôt, au sujet du contenu de l’affaire et de notre riposte.

En attendant, il y a ce nouveau communiqué de Defend Mediterranea :
http://lahorde.samizdat.net/2017/10/25/defend-europe-ou-lepilogue-dun-naufrage/
et un grand rassemblement antiraciste et antifasciste qui se prépare contre la manif de Defend Europe le 25 novembre à Paris (plus d’infos bientôt).

Soutien à l’association Roya Citoyenne (avec Cédric Herrou) qui vient d’être poursuivie en même temps que nous par l’extrême-droite à Nice, à nos compagnons libertaires de Chambéry qui ont été attaqués par un commando fasciste ce vendredi durant leur soirée de rentrée, et à notre camarade Hazem de Marseille dont les agresseurs à coups de couteau n’ont toujours pas été inquiétés, malgré le coup médiatique d’une prétendue descente dans les réseaux proches d’Action française dans la même ville.

Une pensée pour les 38 migrants noyés près de Kerkennah en Tunisie, le 8 octobre, dont l’embarcation a été percutée par un navire militaire dans des conditions obscures qui ont provoqué des manifestations à Kébili et Souk Lahad.

Solidarité dans la lutte contre le fascisme et contre ceux qui l’instrumentalisent.

Jean-Jacques Rue et Yannis Youlountas

5ème sommet du Plan B les 21 et 22 octobre 2017 à Lisbonne

Sommet du Plan B à Lisbonne.Appel pour une Europe de la coopération démocratique et de la solidarité

 POUR UNE EUROPE DE LA COOPÉRATION DÉMOCRATIQUE ET DE LA SOLIDARITÉ
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