Georges Pitsilis a passé un bel été. A la tête du secrétariat général aux Recettes publiques, il a lancé dans les îles grecques une chasse à la fraude fiscale qui s’est révélée particulièrement fructueuse. Les descentes de ses agents ont permis d’augmenter les recettes de TVA de 253 % à Myconos, 238 % à Rhodes, 92 % à Corfou… Installé depuis janvier dernier à ce poste jugé si stratégique par les créanciers de la Grèce qu’ils ont exigé son indépendance totale vis-à-vis du gouvernement pour éviter toute interférence, le haut fonctionnaire se dit également satisfait du recouvrement des arriérés de dette des contribuables. Ces impayés sont colossaux, plus de 80 milliards d’euros, dont l’essentiel ne sera jamais récupéré, selon les spécialistes. En un an, plus de 2 milliards sont rentrés dans les coffres, un montant supérieur aux objectifs, se félicite Georges Pitsilis. Engagée en 2013 sous la pression des créanciers du pays déterminés à aider le pays en faillite à redresser ses comptes publics, la collecte des impôts et son corollaire, la lutte contre l’évasion fiscale, sont plus que jamais à l’ordre du jour.
Les outils sont désormais en place : déclaration des revenus en ligne, accès généralisé du fisc aux données bancaires qui permet des recoupements avec les sommes déclarées, contrôles plus fréquents jusqu’aux frontières avec la Bulgarie où la contrebande fait rage… Le cadre administratif s’est modernisé, lui aussi, avec une réorganisation de l’administration fiscale et une meilleure formation des agents jadis corruptibles.
Appauvrissement des classes moyennes
Pourtant vu de Berlin et de Paris, les résultats sont décevants. Les recettes fiscales grecques qui totalisaient 53,4 milliards en 2009, année où la crise financière a éclaté, devraient atteindre au mieux 50,5 milliards cette année. Mais la contre-performance n’est qu’apparente. Car dans le même délai, le pays a plongé dans une profonde récession qui a amputé le pays d’un quart de sa richesse, asséchant revenus et profits. Dans ce contexte, la relative stabilisation du niveau des recettes fiscales montre qu’en réalité, la collecte des impôts s’est améliorée. Sauf que pour assurer au budget un niveau correct de rentrées financières en pleine dépression économique, il a fallu mettre le paquet année après année, sur les taux d’imposition.
Le taux supérieur de la TVA qui s’applique notamment à la restauration est passé par palier de 19 % à 24 % tandis que l’impôt sur le revenu a été relevé. A la base, le montant de l’abattement a été progressivement réduit : en 2016, les Grecs paient l’impôt dès 8.000 euros de revenus annuels au lieu de 9.500 l’année précédente. Au sommet, le taux d’imposition marginal a été relevé à 45 % à partir de 40.000 euros (au lieu de 42 % à compter de 42.000). D’autres taxes ont surgi : impôt de solidarité, taxe immobilière, CSG sur les salaires etc. La semaine dernière encore, les Européens, doutant que le gouvernement parvienne à tenir ses objectifs d’excédent budgétaire primaire (hors paiement de la dette) l’an prochain, arrachaient au gouvernement Tsípras qu’il récupère encore pour 180 millions d’euros dans des taxes diverses.
Difficile dans ces conditions d’espérer réconcilier les Grecs avec « la culture de l’impôt ». D’autant que la fiscalité pèse surtout sur les salariés et les retraités – les deux tiers des contribuables – qui sont aujourd’hui saturés de taxes. Si le nouvel impôt sur l’immobilier (Enfia) a permis de toucher les plus gros patrimoines, il a aussi contribué à appauvrir les classes moyennes. En revanche, professions libérales, indépendants, commerçants et entreprises continuent à sous évaluer leurs revenus malgré les promesses du gouvernement de la gauche radicale de faire rendre gorge aux nantis. On entend encore dire que les médecins veulent être payés en liquide et la « liste Lagarde » de 2.000 détenteurs grecs de comptes suisses qui avait été transmis dès 2010 par celle qui était alors ministre française de l’Economie est toujours en cours d’exploitation : « Elle est entre les mains du procureur qui nous délivre des ordres de contrôle » assure Georges Pitsilis.
Elargir la base de l’imposition en s’attaquant plus sérieusement à la fraude aurait probablement permis d’alléger la pression sur les plus faibles qui est aujourd’hui à son comble. « Pourquoi payer ses impôts quand on sait que d’autres ne les paient pas ? Et puis même si on est pris, la sanction n’est pas dissuasive », assure Yannis, analyste dans une banque. La Grèce n’en a pas fini avec sa phobie fiscale.
C. C., Les Echos