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La Grèce rivée en mode survie

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc Billet invité sur le blog de Paul Jorion.

La Grèce a connu l’année dernière sa première croissance en neuf ans, autour de 1,3%, et cela a suffi à Klaus Regling, le directeur général du MES, pour déclarer qu’elle n’est plus « en mode crise ». Encore un succès à mettre à l’actif de la politique européenne de rééquilibrage budgétaire !

Des experts documentaient cette année à Davos le procès du PIB et planchaient sur un autre indice intitulé Inclusive development index (IDI), l’indice de développement inclusif. Mais, bien que décrié, le PIB a la vie dure. Qu’il permette des démonstrations de complaisance de ce type n’y est sans doute pas étranger.

Abusifs, les commentaires fleurissent sur le thème que les indicateurs reviennent au vert en Grèce, dans la perspective de la fin de son troisième plan de sauvetage fin août prochain. C’est un peu vite oublier qu’un Grec sur cinq est officiellement au chômage, et qu’au troisième trimestre 2017 – dernières données disponibles – la consommation a baissé de 1% sur un an et l’investissement de 8,5%. Rien qui augure d’un démarrage en fanfare, même avec ces indices qui demanderaient eux aussi un sérieux coup de propre à l’heure du Big data, une fois leurs biais corrigés ! Mais la science économique a ceci de particulier qu’elle ne se soucie pas de la qualité de ses données… Pour mémoire, la conception du PIB date des années 30 aux États-Unis, lorsqu’avait été ressenti le besoin d’un outil permettant de mesurer la sortie de l’économie de la Grande dépression. Par défaut, il continue de faire autorité et de tromper.

D’autres indicateurs restent en berne à Athènes: la consommation du troisième trimestre 2017 a baissé de 1% sur un an, et l’investissement de 8,5%. Qu’importe, l’indice de la croissance est Roi !

La Grèce serait donc sortie de la crise, mais comment qualifier une situation où plus de 35% des Grecs sont sous le seuil de pauvreté, où la moitié d’entre eux vivent d’une pension de retraite – la leur ou celle de leurs parents – où sept jeunes sur dix âgés de 18 à 35 ans rêvent de partir à l’étranger ? Quel avenir peuvent-ils attendre d’un pays dont le montant de la dette publique correspond à 178% du PIB, et où la croissance devra prioritairement financer son remboursement, à moins qu’une nouvelle crise de la dette ne le mette à nouveau à terre ?

La vérité toute simple est qu’un tel pays ne peut pas prétendre au développement mais tout juste assurer la survie de ses habitants, et ce pour très longtemps.

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 4eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

Partie 4 18 janvier par Eric Toussaint

Si vous n’avez pas encore lu Conversations entre Adultes de Yanis Varoufakis, commandez-le à votre libraire. Cela se lit comme un polar politique, il y a du suspense, des rebondissements, des trahisons… L’immense intérêt de ce livre c’est que l’auteur donne sa version d’évènements qui ont influencé et influencent encore la situation internationale, en particulier en Europe mais aussi au-delà car la déception provoquée par la capitulation du gouvernement de la gauche radicale grecque marque profondément les esprits.

La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se susbtitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Lire les 3 précédents articles de la série :

La critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco. Dans d’autres pays d’Europe, une majorité d’électeurs et d’électrices pourrait porter au gouvernement des forces de gauche qui promettent de rompre avec la longue nuit néolibérale. Ces pays ne sont certes pas nombreux mais ils existent. De toute façon, même là où les chances d’arriver au gouvernement sont très limitées, il est fondamental de présenter un programme cohérent de mesures qui devraient être prises par un gouvernement aussi fidèle au peuple que le sont les gouvernants actuels à l’égard du grand capital.

La critique que je fais des choix de Varoufakis est précise et elle est dure, sans concession. Il n’en demeure pas moins que Varoufakis a pris la peine de communiquer ce qu’il considère être sa part de vérité. Il a pris des risques en le faisant. S’il n’avait pas écrit ce livre, bien des faits importants seraient restés inconnus. Il ne faut pas s’attendre à ce que Tsipras livre sérieusement sa version de ce qui s’est passé. Il lui est impossible de relater son action et de la justifier. Si un jour il lui arrive de signer un récit, il aura été écrit par quelqu’un d’autre et il sera rempli de lieux communs.

Il faut aussi faire une distinction entre Tsipras et Varoufakis : l’un a signé le 3e mémorandum et l’a fait passer au parlement grec, l’autre s’y est opposé, a quitté le gouvernement le 6 juillet et, en tant que député, a voté contre le mémorandum le 15 juillet 2015.

L’enjeu est de tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans la zone euro L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans cette partie, nous présentons les conseillers dont s’est entouré Varoufakis. Force est de constater que, dès l’étape de sélection de ses principaux conseillers, Yanis Varoufakis s’est entouré de personnes peu disposées à réaliser les promesses de Syriza (c’est le moins qu’on puisse dire) et à mettre en œuvre des politiques alternatives afin de sortir la Grèce de l’emprise de la Troïka.

Les conseillers de Yanis Varoufakis comme ministre

Dans son ouvrage, Varoufakis décrit l’équipe de ses conseillers directs et lointains. La manière dont l’équipe a été composée est terrible. La logique qui a présidé aux choix des personnes explique en partie l’échec qui allait suivre. Ce n’est pas l’élément déterminant mais cela a joué un rôle.

Pour désigner un vice-ministre des Finances en charge de superviser le Trésor, un poste de la plus haute importance, Varoufakis raconte qu’il a consulté Alekos Papadopoulos, un ancien ministre des Finances des années 1990, issu du Pasok. Varoufakis explique qu’il avait collaboré avec Papadopoulos pour rédiger le programme économique que Georges Papandréou a présenté aux élections de 2004 remportées par les conservateurs de la Nouvelle démocratie. Syriza qui se présentait pour la première fois à des élections avait obtenu 6 députés avec 3,3 % des voix. Nouvelle démocratie de Karamanlis avait obtenu 45,4 % des voix et le Pasok conduit par Papandreou avait récolté 40,5 % des suffrages.

Varoufakis écrit : « Papadopoulos était dans l’opposition par rapport à Syriza, mais il était prêt à me soutenir personnellement et m’a promis de me trouver quelqu’un. (…) Le soir-même il m’a envoyé un sms en me donnant le nom de Dimitris Mardas  » |1|. Varoufakis contacte Mardas directement et lui propose le poste de vice-ministre des Finances.

Il faut savoir que le 17 janvier 2015, huit jours avant la victoire de Syriza, Mardas a publié un article particulièrement agressif contre la députée de Syriza Rachel Makri sous le titre « Rachel Makri vs Kim Jong Un et Amin Dada ». L’article se concluait par la très éloquente question (soulignée parlui-même) « Sont-ce ceux-là qui vont nous gouverner ? ». Dix jours plus tard, ce même Mardas devenait, grâce à Varoufakis, ministre suppléant des Finances. Varoufakis explique dans son livre qu’après un mois comme ministre il s’est rendu compte qu’il avait fait un mauvais choix. Signalons que Mardas, qui a soutenu la capitulation en juillet 2015, a été élu député Syriza aux élections de septembre 2015. Papadopoulos a lui aussi soutenu le 3e mémorandum de juillet 2015 |2|.

Varoufakis explique qu’en second lieu il devait choisir le Président du Conseil des économistes. Il se rend compte que ce poste avait été pourvu en son nom par le vice-premier ministre Dragasakis. Ce dernier avait en effet choisi George Chouliarakis, un économiste d’une trentaine d’années qui avait enseigné à l’Université de Manchester avant d’être transféré à la Banque centrale de Grèce. Chouliarakis a joué un rôle néfaste dès l’entrée en fonction de Varoufakis et pourtant celui-ci l’a gardé jusqu’à la fin. Son nom reviendra plusieurs fois dans le récit des évènements.

Ensuite Varoufakis a intégré à son équipe Elena Panaritis, parce qu’elle connaissait bien le langage et le modus operandi de la Troïka. Panaritis, en tant que députée du Pasok, avait voté en faveur du premier mémorandum de 2010. Avant cela, elle avait travaillé à Washington, surtout à la Banque mondiale, où elle s’était construit, selon Varoufakis, un excellent réseau de personnalités proches des institutions basées à Washington. Notamment l’ancien Secrétaire du Trésor, Larry Summers, à qui elle a présenté Varoufakis. Panaritis, dans les années 1990, a travaillé pour la Banque mondiale au Pérou où elle a collaboré avec le régime néolibéral, corrompu et dictatorial d’Alberto Fujimori. Varoufakis raconte : « Quand je l’ai revue avant les élections, je n’ai pas hésité une seconde à lui demander de me rejoindre. Il n’y a pas mieux pour se battre contre le diable que quelqu’un qui l’a servi et qui est devenu son pire ennemi. » |3| La suite a montré que loin d’être devenue son pire ennemi, elle a continué à collaborer avec lui.

Sa nomination comme conseillère du ministre des Finances a provoqué dès le début des remous dans Syriza et Tsipras a essayé de convaincre Varoufakis de s’en défaire. Ensuite, il s’en est très bien accommodé. Plus tard, quand Varoufakis, en mai 2015, a fait nommer, avec l’accord de Tsipras, Panaritis représentante de la Grèce au FMI, cela a provoqué une telle levée de boucliers dans Syriza et au parlement, qu’elle a finalement dû renoncer à ce poste le 1er juin 2015 |4|.

Dans son équipe, Varoufakis a également incorporé Glenn Kim, spécialiste des marchés financiers et en particulier du marché des dettes souveraines. En 2012, il avait collaboré à la mise en œuvre de la restructuration de la dette grecque notamment comme consultant des autorités allemandes. Quand Varoufakis a pris contact avec Glenn Kim, celui-ci lui a dit qu’il travaillait comme consultant pour le gouvernement islandais, qu’il aidait à mettre fin au contrôle des capitaux en vigueur depuis 2008. Cela convenait très bien à Varoufakis qui, à tort, ne voulait surtout pas recourir à un contrôle des mouvements de capitaux, alors qu’il aurait dû prendre en compte les résultats positifs obtenus en Islande.

Varoufakis écrit : « Un cynique dirait que les experts genre Glenn travaillent exclusivement pour l’argent et pour leur carrière personnelle. Peut-être. Mais être entouré de personnes comme lui, qui connaissent toutes les arcanes du pouvoir, est un atout précieux. » Précisons que Glenn Kim a continué à conseiller Tsipras après la capitulation de juillet 2015 |5|.

Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec.

Varoufakis se félicite d’avoir accepté les services de la Banque Lazard et de son directeur, le Français Matthieu Pigasse |6|. La banque Lazard avait collaboré, en échange de dizaines de millions d’euros de commission, à la restructuration de la dette grecque réalisée par la Troïka en 2012. Selon Varoufakis, Matthieu Pigasse et Daniel Cohen (professeur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris et conseiller de Lazard |7|) qui l’accompagnait « ont réussi à me convaincre en me vantant les avantages de leur complicité, en s’excusant et me proposant leurs précieux services pro bono pour remettre la Grèce debout. Avec des transfuges de cette trempe à nos côtés, notre force technique était décuplée, voire plus. » |8|

Dans l’équipe internationale dont s’est entouré Varoufakis, il faut citer James Galbraith qui lui a apporté un soutien constant et qui a fait plusieurs séjours à Athènes pendant les six premiers mois de l’année 2015. Parmi les personnes que mentionnent Varoufakis comme l’ayant aidé de très près, James Galbraith est le seul à être digne de confiance même s’il a soutenu une orientation beaucoup trop conciliatrice à l’égard des créanciers. James Galbraith est un économiste néokeynésien des États-Unis, proche du Parti démocrate, connaisseur de la politique internationale. En 2009, il avait eu des contacts étroits avec le gouvernement de Georges Papandréou. Galbraith a travaillé principalement sur le plan B et cela dans le plus grand secret. Il témoigne lui-même de cela dans l’ouvrage Crise grecque, tragédie européenne |9|. De tous les membres de l’équipe que mentionne Varoufakis, Galbraith est le seul à propos duquel on peut considérer qu’il pouvait réellement apporter une aide constructive aux autorités grecques. Il a défendu, aux côtés de Varoufakis, une orientation trop modérée qui ne correspondait pas aux défis qu’il fallait relever et il le reconnaît partiellement |10|. Daniel Munevar, un collaborateur de Galbraith, a apporté activement son soutien à Varoufakis dans la négociation avec les créanciers à partir de mars 2015 mais Varoufakis ne mentionne pas son nom |11|.

Varoufakis préfère mentionner des personnalités étrangères faisant partie directement de l’establishment : « Outre Norman (Lamont), mes partisans d’outremer comprenaient Jeff Sachs, économiste à l’Université de Columbia, Thomas Mayer, de la Deutsche Bank, Larry Summers, et Jamie Galbraith » |12|. Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier, à part Galbraith, si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec. En voici quelques exemples.

Larry Summers, Jeffrey Sachs et d’autres : Varoufakis continue avec des choix incompatibles avec le programme de Syriza

Le parcours de Lawrence ‘Larry’ Summers comporte un certain nombre de taches qui auraient dû être indélébiles… et empêcher toute collaboration. Varoufakis a pourtant cherché systématiquement celle-ci et en est très satisfait. Il déclare dans l’introduction de son livre : « Nous étions largement d’accord sur l’essentiel, et ce n’était pas rien d’avoir le soutien du formidable Larry Summers (…) » |13|.

Le passé de Summers mérite qu’on souligne quelques étapes importantes.

En décembre 1991, alors économiste en chef de la Banque mondiale, Summers écrit dans une note interne : « Les pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico. Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays moins avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. […] L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1 000 à cinq ans |14| ». Il ajoute même, toujours en 1991 : « Il n’y a pas de […] limites à la capacité d’absorption de la planète susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à toute autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer des limites à la croissance à cause de limites naturelles est une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée |15| ».

Devenu vice-secrétaire au Trésor sous Clinton en 1995, Summers pèse de tout son poids avec son mentor, le secrétaire d’État, Robert Rubin, pour obtenir l’élimination en 1999 de la loi qui séparait les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et la remplacer par une loi dictée par les banquiers |16|. En 1998, avec Alan Greenspan, directeur de la Réserve fédérale et Robert Rubin, Summers avait aussi réussi à convaincre l’autorité de contrôle des bourses des matières premières, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), d’abandonner toutes les barrières qui « entravaient » le marché des dérivés de crédits vendus de gré à gré (Over The Counter – OTC). La porte est alors grande ouverte pour une accélération de la dérèglementation bancaire et financière qui a abouti à la crise de 2007-2008 aux États-Unis et qui a eu des retombées en Grèce en 2009-2010.

Ajoutons qu’en 2000, Summers fait pression, en tant que secrétaire d’État au Trésor, sur le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, pour que celui-ci se débarrasse de Joseph Stiglitz, qui lui a succédé au poste d’économiste en chef et qui est très critique sur les orientations néolibérales que Summers et Rubin mettent en œuvre aux quatre coins de la planète où s’allument des incendies financiers. Après l’arrivée du président républicain George W. Bush, il poursuit sa carrière en devenant président de l’université de Harvard en 2001, mais se signale particulièrement en février 2005 en se mettant à dos la communauté universitaire après une discussion au Bureau national de la recherche économique (NBER) |17|. Interrogé sur les raisons pour lesquelles on retrouve peu de femmes à un poste élevé dans le domaine scientifique, il affirme que celles-ci sont intrinsèquement moins douées que les hommes pour les sciences, en écartant comme explications possibles l’origine sociale et familiale ou une volonté de discrimination. Cela provoque une grande polémique |18| tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Malgré ses excuses, les protestations d’une majorité de professeurs et d’étudiants de Harvard l’obligent à démissionner en 2006.

En 2009, Summers est devenu membre de l’équipe de transition du président élu Barack Obama et a dirigé le Conseil économique national. En septembre 2010, Summers a quitté l’équipe d’Obama et a repris sa carrière à l’université d’Harvard tout en jouant un rôle dans les coulisses de la politique notamment à Washington. Varoufakis raconte qu’il a demandé à Helena Panaritis de le mettre en contact avec Summers en 2015 afin de pouvoir avoir une influence sur Obama d’une part et sur le FMI d’autre part.

Varoufakis a demandé également à Jeffrey Sachs, spécialisé lui aussi dans les jeux d’influence dans les coulisses de Washington, de collaborer de manière rapprochée, ce que celui-ci a accepté en se rendant plusieurs fois à Athènes, à Bruxelles, à Londres, à Washington en 2015, afin de renforcer l’équipe de Varoufakis. Jeffrey Sachs, comme Lawrence Summers, est lié au parti démocrate, et est présenté dans les médias dominants comme favorable à une solution douce aux crises de la dette en tenant compte des intérêts des pauvres |19|. Pourtant, Jeffrey Sachs a été conseiller de gouvernements néolibéraux qui ont appliqué la politique de la thérapie du choc dans leur pays : Bolivie (1985), Pologne (1989), Russie (1991). Dans son livre La Stratégie du choc. Montée d’un capitalisme du désastre (2008), Naomi Klein a dressé un réquisitoire implacable contre Jeffrey Sachs et les politiques qu’il a recommandées en collaboration avec le FMI, la Banque mondiale et les classes dominantes locales.

Varoufakis mentionne également le soutien indéfectible qu’il a reçu de Lord Norman Lamont qui a été Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances de Grande-Bretagne) dans le gouvernement du conservateur John Major de 1990 à 1993. « Mon amitié avec Lord Lamont of Lerwick, Tory et eurosceptique pur jus, le Chancelier qui avait permis à la Grande-Bretagne d’échapper au Système monétaire européen, s’accordait mal avec mon image d’extrême-gauchiste. » Varoufakis souligne l’importance de la collaboration avec Norman Lamont : « J’ai passé 162 jours à la tête du ministère des Finances et Norman a toujours été un soutien inébranlable, notamment pour finaliser la dernière version de mes propositions de réforme de la dette et de la fiscalité à soumettre à l’UE et au FMI » |20|.

Parmi les autres experts étrangers auxquels Varoufakis a eu recours et qui ont participé à l’élaboration des propositions qu’il a faites aux créanciers : Willem Buiter, qui a rejoint la banque Citigroup en 2010 comme économiste en chef, et Thomas Mayer, ex-économiste en chef de la Deutsche Bank.

Si l’on s’en tient au récit de Varoufakis, le rôle de ces personnalités n’a pas été anodin. Se référant au énième plan qu’il a proposé en mai 2015 aux créanciers, il écrit : « Le temps que j’atterrisse, le Plan pour la Grèce était finalisé. Jeff Sachs avait brillamment rectifié la version que je lui avais envoyée deux jours plus tôt. Norman Lamont avait effectué des ajouts importants ; l’équipe de Lazard avait affiné la proposition d’échange de dettes et Larry Summers avait avalisé l’ensemble. » |21|

Spyros Sagias, un autre exemple d’un défenseur de l’ordre dominant faisant partie du cercle étroit de Tsipras et de Varoufakis

Varoufakis explique qu’il a établi une relation étroite avec Spyros Sagias qui est devenu le conseiller juridique du Premier ministre Tsipras, avec qui il a fait connaissance quelques jours avant les élections. Le choix de Sagias par Tsipras en dit également long sur les priorités de Tsipras au moment de choisir son entourage en tant que chef du gouvernement. Il voulait autant que possible s’entourer de personnages pouvant établir des ponts avec l’establishment, avec le patronat, avec les créanciers. Sagias avait conseillé le gouvernement du socialiste Simitis dans les années 1990 au moment où celui-ci entamait un important programme de privatisations.

Varoufakis décrit Sagias de la manière suivante : « Sagias n’était pas un homme politique mais, comme il se présenta plus ou moins en riant, un avocat systémique. (…) Pas un seul grand contrat d’affaires où étaient en jeu intérêts privés et secteur public n’échappait à sa sagacité : privatisations, vastes projets immobiliers, fusions, il dominait tout. Il avait conseillé Cosco, le conglomérat chinois qui avait acheté des parts du Pirée et rêvait d’en acquérir la totalité, une privatisation à laquelle Syriza était farouchement opposé ». Il ajoute : « Le jour où Pappas m’avait dit que Sagias serait sans doute secrétaire de cabinet, j’avais été heureusement surpris : on aurait un as du droit parmi nous, un conseiller sachant rédiger des projets de loi imparables et déterrer les secrets honteux de l’ancien régime ». « Je l’aime bien, Sagias, pensais-je. Il avait conscience de fricoter avec l’oligarchie et ne s’en cachait pas » |22|. Sagias, comme le montre Varoufakis plus loin dans son livre, a soutenu les choix successifs qui ont amené à la capitulation définitive.

Ajoutons que pendant le gouvernement Tsipras I, il a aussi aidé Cosco à acquérir les parties du Port du Pirée que l’entreprise chinoise ne possédait pas encore |23|. C’est d’ailleurs la firme de Sagias qui avait rédigé la première convention avec Cosco en 2008. Après avoir quitté ses fonctions de secrétaire du gouvernement, Sagias s’est remis encore plus activement à son cabinet d’affaires |24|. Il est redevenu le conseil attitré de grands intérêts étrangers pour favoriser de nouvelles privatisations. Il a servi les intérêts de l’Émir du Qatar en 2016 qui souhaitait acquérir une île grecque, l’île d’Oxyas à Zakinthos, appartenant à une zone Natura. Sagias a également été le conseil de Cosco en 2016-2017 dans un litige avec les travailleurs du port du Pirée, quand il s’est agi de trouver une formule de départ anticipé (ou de licenciement déguisé) pour plus d’une centaine de travailleurs proches de l’âge de la retraite.

Dans la cinquième partie nous aborderons les évènements de janvier-février 2015 : les journées qui ont précédé la victoire attendue de Syriza le 25 janvier, la création du gouvernement Tsipras, le programme de Syriza, l’entrée en fonction de Yanis Varoufakis comme ministre des Finances et les négociations qui conduisent à l’accord funeste du 20 février 2015.

Notes

|1| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chapitre 5, p. 127.

|2| Voir Vice, « The Former Finance Minister Who Tried to Warn Greece About the Crisis », publié le 15 juillet 2015, consulté le 12 novembre 2017

|3| Y. Varoufakis, op.cit., Chapitre 5, p. 129.

|4| Adea Guillot, « Grèce : l’ex-députée socialiste Elena Panaritis renonce au FMI », publié le 1er juin 2015, Le Monde

|5| Alors que, sous Varoufakis, il avait été défrayé de manière modeste, il a remis, en août 2015, une facture de 375 000 euros pour la période antérieure à juillet 2015. Cela a provoqué des remous et a alimenté la campagne de discrédit lancé par la presse dominante grecque contre Varoufakis. GRReporter, « A Korean adviser of Varoufakis claims a fee of €375,000 », publié le 9 août 2017, consulté le 12 novembre 2017

|6| La Banque Lazard est un groupe mondial de conseil financier et de gestion d’actifs. Entreprise franco-américaine à sa création en 1848, Lazard est aujourd’hui cotée à la bourse de New York et est présente dans 43 villes dans 27 pays. Son dirigeant le plus connu en France est Matthieu Pigasse. Sous sa conduite la banque a conseillé différents gouvernements en matière de dette ou de gestion d’actifs (entendez privatisations) : l’Équateur en 2008-2009 en ce qui concerne la dette, la Grèce en 2012 et en 2015, le Venezuela en 2012-2013. M.Pigasse a des intérêts directs dans le quotidien Le Monde, dans Huffington Post et dans le magazine Les Inrockuptibles. À la fin de l’année 2017, Matthieu Pigasse et la Banque Lazard se sont rangés aux côtés du régime corrompu et répressif du président congolais Denis Sassou-Nguesso pour l’aider dans ses relations avec les créanciers.

|7| Spécialiste de la dette souveraine, il est conseiller à la banque Lazard, avec laquelle il a conseillé le Premier ministre grec Georges Papandréou et le président équatorien Rafael Correa pour la renégociation de la dette de leurs pays. Il a participé, avec la Banque mondiale, à l’« initiative de réduction de la dette des pays pauvres très endettés » (initiative PPTE). Il est éditorialiste au quotidien Le Monde. Daniel Cohen a également été conseiller de François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy de 2010 à 2012. Puis il a soutenu François Hollande, président de 2012 à 2017.

|8| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 131.

|9| James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Éd. du Seuil, Paris, 2016

|10| Voir l’article de Martine Orange « L’économiste James Galbraith raconte les coulisses du plan B grec »

|11| Daniel Munevar est un économiste postkeynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de Yanis Varoufakis alors qu’il était ministre des Finances ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette. Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. En 2009-2010, il a été permanent du CADTM en Belgique puis de retour en Amérique latine, il a cordonné le réseau du CADTM en Amérique latine de 2011 à 2014. C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique en Amérique latine. Il a publié de nombreux articles et études. Il a participé avec Éric Toussaint, Pierre Gottiniaux et Antonio Sanabria à la rédaction des Chiffres de la dette 2015. Il travaille depuis 2017 à Genève à la CNUCED.
Daniel Munevar fait référence à sa participation à l’équipe de Varoufakis dans cet article. Dans le livre déjà mentionné, James Galbraith souligne l’importance de l’aide que lui a apportée Daniel Munevar.

|12| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 133.

|13| Y. Varoufakis, op.cit., p. 17

|14| Des extraits ont été publiés par The Economist (8 février 1992) ainsi que par The Financial Times (10 février 1992) sous le titre « Préservez la planète des économistes ».

|15| Lawrence Summers, à l’occasion de l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI à Bangkok en 1991, interview avec Kirsten Garrett, « Background Briefing », Australian Broadcasting Company, second programme.

|16| La loi adoptée sous la conduite de Robert Rubin et de Lawrence Summers est connue comme la loi Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization Act de 1999. Cette loi américaine a été adoptée par le Congrès, dominé par une majorité républicaine, et promulguée par l’administration Clinton le 12 novembre 1999. Elle permet aux banques d’affaire et aux banques de dépôts de fusionner en mettant en place des services de banques universelles qui assurent aussi bien les services d’une banque de dépôt que d’une banque d’investissement et que d’une compagnie d’assurance. Le vote de cette loi a été l’objet d’un intense lobbying des banques pour permettre la fusion de Citibank avec la compagnie d’assurances Travelers Group, afin de former le conglomérat Citigroup, l’un des plus importants groupes de services financiers au monde. L’adoption de la nouvelle législation revenait à abroger la loi Glass Steagall Act, ou Banking Act, en place depuis 1933, qui a notamment déclaré incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et qui a permis d’éviter de grandes crises bancaires aux États-Unis jusqu’à celle de 2007-2008.

|17| Financial Times, 26-27 février 2005.

|18| La polémique a été également alimentée par la désapprobation de l’attaque lancée par Summers contre Cornel West, un universitaire noir et progressiste, professeur de Religion et d’études afro-américaines à l’université de Princeton. Summers, prosioniste notoire, dénonça West comme antisémite parce que celui-ci soutenait l’action des étudiants qui exigeaient un boycott d’Israël tant que son gouvernement ne respecterait pas les droits des Palestiniens. Voir Financial Times du 26-27 février 2005. Cornel West, qui a soutenu Obama avec enthousiasme, s’est étonné que celui-ci veuille s’entourer de Summers et de Rubin. Voir www.democracynow.org/2008/11…

|19| Sachs a publié en 2005 un livre intitulé La fin de la pauvreté (The End of Poverty : How We Can Make it Happen in Our Lifetime) qui a été très bien accueilli par l’establishment. En 2007-2008 le CADTM a participé à la réalisation et à la diffusion du film documentaire La fin de la pauvreté ? qui constitue la démonstration opposée à celle de Sachs. Ce film du cinéaste Philippe Diaz a été sélectionné au festival de Cannes en 2008 par la semaine de la Critique (il contient des interviews de Joseph Stiglitz, Susan George, Amartya Sen, Éric Toussaint, John Perkins). Sachs a publié un nouveau livre mainstream en 2015 sur le développement durable. Voici un exemple de commentaire promotionnel qu’on peut trouver dans la presse : « Conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, l’économiste Jeffrey Sachs compte parmi les personnalités les plus influentes en matière de développement durable. Inspirateur des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui ont couru de 2000 à 2015, Sachs sait briller et être entendu dans tous les milieux. »

|20| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 132.

|21| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 15, p. 398

|22| Adéa Guillot et Cécile Ducourtieux du quotidien Le Monde écrivaient à propos de Sagias « Longtemps proche du PASOK, il a participé à de nombreuses négociations de contrats publics et conseille régulièrement des investisseurs étrangers souhaitant s’implanter en Grèce. »

|23| Je reviendrai plus loin sur le rôle joué par Varoufakis lui-même dans la poursuite de la privatisation du port du Pirée et sur ses relations avec Cosco.

|24| Voir le site officiel de la firme de Sagias.

http://www.cadtm.org/Varoufakis-s-est-entoure-de

Les enchères : Le pays à nouveau sur la mauvaise route

Enchères: Le pays à nouveau sur la mauvaise route par Kostas Lapavitsas et George Diagoras 13/12/17

Faiblesse bancaire profonde et structurelle

La pression que le gouvernement exerce sur les prêteurs et les banques pour procéder à des ventes aux enchères est énorme. La marge de manœuvre est minime et le gouvernement boira le verre amer jusqu’à la fin. Malheureusement, les résultats pour l’économie et la société seront profondément négatifs. Le pays est de retour sur la mauvaise voie.

Les données de la Banque de Grèce montrent qu’en juin 2017, les banques grecques détenaient au total 45% de leurs actifs dans un État en difficulté. Ce sont des expositions soi-disant non-servies (IEA) qui ne sont pas entretenues du tout, ou leur service est extrêmement précaire. C’est irréaliste. Il n’y a pas de système bancaire dans le monde qui puisse fonctionner normalement avec un tel trou dans son bilan.

L’adéquation du capital des banques grecques semble être robuste, mais les phénomènes sont absurdes. Le risque d’une recapitalisation accélérée en raison de prêts problématiques est en train de saper. Les problèmes de prêts devraient être ajoutés à l’important manque de liquidité, les banques ayant perdu environ la moitié de leurs dépôts depuis le début de la crise.

Le système bancaire grec est aujourd’hui la preuve la plus tangible de l’échec des politiques de mémorandum. Il est maintenant trop centralisé, quatre banques contrôlant environ 95% du système. Il a absorbé plus de 40 milliards d’euros de recapitalisation répétée, que le peuple grec a chargé. Ses grosses pièces ont été vendues à des spéculateurs étrangers avec la recapitalisation criminelle de novembre 2015. Elle reste totalement dysfonctionnelle en limitant constamment ses emprunts à l’ensemble de l’économie. À la fin de 2016, par exemple, ses emprunts s’élevaient à 193,3 milliards de dollars, contre 184,6 milliards en octobre 2017.

Il n’y a absolument aucun moyen pour la Grèce d’entrer dans une voie de croissance rapide avec un tel système bancaire. Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres facteurs qui entravent la croissance, tels que la dette, les excédents désastreux et la fiscalité, l’absence de politique industrielle. Mais la simple pensée que ces banques pourraient financer une vague d’investissement dans le pays est vive.

Les enchères toucheront principalement les petites et moyennes

La mise aux enchères est une politique de mémorisation censée «assainir» le système bancaire en créant des perspectives de croissance. En pratique, ils auront l’effet inverse. Il existe plusieurs façons de gérer les prêts problématiques, comme la création d’une «mauvaise» banque qui les absorbera. La vente aux enchères dans des délais serrés est probablement la pire. Le résultat sera la vente de prêts à un prix extrêmement bas, avec un fort impact sur l’économie dans son ensemble. En outre, les banques ne seront pas déchargées d’un endettement suffisant dans un délai raisonnable.

Sur la base des chiffres de juin 2017, le MEA représentait 26 milliards de logements, 13,2 milliards de prêts à la consommation et 47,8 milliards de prêts aux entreprises. Le principal problème est donc le crédit aux entreprises, attendu pour un pays qui entrera en 2018 dans la dixième année de récession et de stagnation. Sur les AME des entreprises, 37,4 milliards (78%) sont destinés aux prêts aux petites et moyennes entreprises, aux travailleurs indépendants et aux très petites entreprises. C’est la réalité et non les histoires de communication sur les méchants riches qui choisissent stratégiquement de ne pas payer leurs dettes.

Le Mémorandum prévoit que les banques sont obligées de réduire le total des MTA de 31,5 milliards au cours des années 2018-19. Les méthodes à cette fin seront, à leur tour, les radiations, les liquidations et les ventes. La mise aux enchères sera donc un levier clé, et en combinaison avec les ventes (qui conduiront souvent à des enchères) atteindra le niveau de 18 milliards.

Il est facile de conclure que la plupart des ventes aux enchères impliqueront des petits et moyens entrepreneurs individuels et des agriculteurs. Les AME des grandes entreprises, des compagnies maritimes et autres sont d’environ 10 milliards. Les milliers de propriétés qui sortiront du marteau dans les deux prochaines années ne seront pas seulement les maisons de luxe des riches, mais aussi les fortunes d’une grande couche de petites et moyennes entreprises.

La question politique brûlante est ce qui va arriver à la première maison. La réponse est simple: après l’abolition de la loi Katseli en 2018, il n’y aura pas de disposition légale pour la protection de la première résidence. Le danger pour les maisons de milliers de ménages de petite et moyenne taille est clair. Le fameux « gentleman’s agreement » avec les banques pour ne pas venir au marteau moins de 300.000 euros n’a absolument aucune gravité.

Le pays à nouveau sur la mauvaise route

Les enchères de 2018-2019 restructureront l’économie grecque en détruisant une grande partie de ses tissus de petite et moyenne taille et en causant de graves dommages sociaux. Il est inconcevable, après huit années de mémorandums, qu’une restructuration aussi profonde soit laissée entre les mains des prêteurs et des banques. Ils agiront sur la base de leurs intérêts étroits, l’économie aura une PME encore plus faible et les perspectives de croissance du pays vont s’aggraver. Enfin, même si les banques atteignent tous les objectifs du mémorandum, elles continueront à détenir 66,7 milliards de MEA à la fin de 2019, selon la Banque. Le montant restera énorme et d’autres mesures seront nécessaires. Cela ne résoudra pas le problème des banques.

Notez que les choses peuvent encore s’aggraver si le dernier Prospectus de la BCE, qui exige les nouveaux AME des banques (c’est-à-dire ceux qui apparaîtront en 2018-2019), a une couverture en capital plus élevée. Si cela se produit, les 30,4 milliards de nouveaux AEM que les banques grecques attendent d’ici 2019 nécessiteront plus de fonds. Cela signifie qu’une nouvelle recapitalisation des banques grecques pourrait être nécessaire en 2018. Jusqu’à présent, le gouvernement grec, s’appuyant toujours sur les prêteurs, n’a pas réagi à la directive de la BCE. Le salut peut provenir de la réaction italienne intense qui s’est déjà produite.

Le gouvernement Tsipras suivra fidèlement les contrôles des créanciers afin de ne pas compromettre les décaissements de l’argent. Il craint que toute autre réaction ne mette sa stratégie hors des marchés en 2018 afin d’avoir une marge électorale. Ils vont gérer le problème des enchères en utilisant tous les moyens et tous les mensonges. Une fois de plus, le résultat final sera tragique pour le pays et la société. La seule protection contre l’absurdité continue est la réaction massive par tous les moyens.

La Cour des comptes européenne accable la gestion de la crise grecque

Dans un rapport publié jeudi, la Cour des comptes européenne dresse un constat implacable des trois plans de sauvetage européens pour la Grèce. Des critiques formulées de longue date par nombre d’économistes sont confirmées, notamment le dogmatisme et l’irréalisme sans précédent de la Commission européenne.

Un échec. Les trois plans de sauvetage européens menés depuis 2010 sont un échec patent, selon le rapport de la Cour des comptes européennes, publié le 16 novembre (lire ici). Alors que le troisième plan est censé s’achever à la mi-2018, la Grèce sort dans un état de délabrement économique sans précédent : son PIB a diminué de 30 %, sa dette publique a pris des allures stratosphériques, dépassant les 180 % du PIB, les banques grecques ne sont pas en état de prêter et d’assurer le financement de l’économie. Le seul objectif clair que s’était fixé la Commission européenne – permettre à Athènes de retrouver un accès au marché financier – semble ne pas pouvoir être atteint. « Ces programmes ont permis de promouvoir les réformes et d’éviter un défaut de la Grèce. Mais la capacité du pays à se financer intégralement sur les marchés reste un défi », souligne Baudilio Tomé Muguruza, membre de la Cour des comptes européenne responsable du rapport.

En soi, ce rapport ne vient que confirmer les multiples alertes et mises en garde faites par nombre d’économistes et observateurs. Tout au long de la crise grecque et plus encore au moment du troisième plan de sauvetage en juillet 2015, ils n’ont cessé de dénoncer l’irréalisme et le dogmatisme économiques qui prévalaient parmi les « experts » et les responsables politiques européens, et qui ne pouvaient conduire, selon eux, qu’à un échec. Nous y sommes. 110 milliards d’euros de financement ont été accordés à Athènes en 2010, 172 milliards lui ont été à nouveau prêtés en 2012, 86 milliards à nouveau – mais 36 milliards seulement ont été effectivement déboursés à ce jour – en 2015… pourtant sa situation économique et financière est toujours intenable.

 © CE.Le rapport de la Cour des comptes européenne a cependant un mérite supplémentaire. Pour ce faire, elle a eu accès à une foule de documents internes, a pu auditionner des personnes qui ont été chargées d’élaborer les différents programmes et leur mise en œuvre, aussi bien à la commission qu’au MES (mécanisme européen de stabilité). Seule, la Banque centrale européenne (BCE), se drapant dans son statut d’indépendance, a contesté la mission de la Cour des comptes européenne, pourtant bien inscrite dans les textes. Elle a refusé de lui transmettre des documents, ou ceux qu’elle lui a fait suivre étaient si insignifiants qu’ils en étaient inutilisables. Avait-elle donc des choses à cacher ?

La Grèce, en tout cas, a été une bonne affaire pour elle et les pays européens créanciers. En octobre, Mario Draghi, le président de la BCE, a reconnu que la banque centrale avait réalisé 7,8 milliards d’euros de plus-values entre 2012 et 2016 sur ses rachats de titres grecs. Ces plus-values, a même précisé le président de la BCE dans une lettre aux députés européens, ont vocation à être redistribuées aux banques centrales nationales de la zone euro au prorata de leur participation dans la BCE. Il avait été pourtant promis à la Grèce en 2012 de lui reverser la totalité des plus-values pour l’aider. Mais c’était avant.

À la lecture de ce rapport, le refus de la BCE se comprend : le tableau dressé par la Cour des comptes européenne est accablant. Tout ce qui a été dénoncé depuis des années par des économistes, tout ce que Yanis Varoufakis a critiqué alors qu’il tentait, comme ministre des finances, de négocier le troisième plan de sauvetage, tout ce que l’on subodorait de manœuvres, calculs et petits arrangements lors des interminables négociations au sein de l’Eurogroupe, se retrouve confirmé puissance mille.

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Au fil des pages, la faillite de la politique européenne à l’égard de la Grèce s’impose, écrasante. La politique du chiffre, quel qu’il soit, même s’il est sans fondement, a tenu lieu de guide politique aux responsables européens. Des armées d’experts en chambre, de responsables politiques, pétris de dogmatisme, d’idées préconçues, faisant preuve parfois de ce qu’on est tenté de qualifier d’une inculture économique crasse, discutent et arrêtent des mesures, qui s’inscrivent dans leur catéchisme, sans même prendre la peine d’en discuter la pertinence, sans même revenir dessus si les faits viennent démentir leurs assertions. À aucun moment, la prise en considération que la Grèce est un pays, avec son histoire, sa géographie, son économie propre ne transparaît. À aucun moment, ils ne semblent envisager que les décisions ont des répercussions immédiates, parfois dramatiques sur la vie des gens. Ils ont leur modèle. Il est universel.

Cette absence de toute considération sur la réalité même de ce qu’est la Grèce est là, dès les premiers moments du premier plan de sauvetage du pays en 2010. Certes, reconnaît la Cour des comptes européenne, la Commission européenne a été prise de court au début de la crise grecque. Rien n’était prévu dans les textes pour faire face à une telle situation. Les lacunes et les manques de l’administration grecque, et plus généralement de tout l’appareil d’État, l’instabilité politique en Grèce, lui ont compliqué encore la tâche.

La Commission a donc été contrainte d’improviser et de bricoler dans l’urgence. Mais elle le fait dans une optique déterminée : « La logique d’intervention des programmes d’ajustement grec a essentiellement consisté à traiter le problème des déséquilibres économiques du pays et à prévenir ainsi toute propagation de la crise économique grecque au reste de la zone euro », constate le rapport.

La principale préoccupation de la Commission européenne est donc d’abord de rassurer les marchés financiers. Tout doit être mis en œuvre pour assainir la situation budgétaire de la Grèce afin de lui permettre de retrouver l’accès aux marchés financiers. La Cour des comptes européenne souligne combien il était important de mener un ajustement budgétaire pour ramener des comptes publics totalement en dérive. Mais cela s’est fait sans autre considération qu’un redressement à court terme, insiste-t-elle. À aucun moment, il n’a été question de croissance, d’emploi, de reconstruction de l’économie grecque pour aider le pays après la fin de son plan de sauvetage, souligne la Cour des comptes européenne : « Les programmes ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une stratégie générale de croissance conduite par les autorités grecques et pouvant se prolonger au-delà de leur terme. »

La croyance dans des modèles

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Bien sûr, la Troïka a établi des scénarios macroéconomiques, assurant tous que la Grèce allait rebondir très rapidement. Dès 2012, prévoyaient les premiers. Ils ont tous été démentis par la suite.

La suite est encore plus confondante. « La commission a établi des projections macroéconomiques et budgétaires séparément et ne les a pas intégrées dans un modèle unique », révèle le rapport de la Cour des comptes européenne. Toutes les limites méthodologiques, idéologiques, de la Commission européenne émergent dans ce constat. S’en tenant aux fondements théoriques du néolibéralisme, dénoncés par de nombreux économistes (relire à ce sujet l’article sur l’imposture économique de Steve Keen), la Commission avalise une conception lunaire de l’économie, où il n’y aurait aucune interaction entre les différentes composantes. Comme si les décisions budgétaires n’avaient aucune influence sur l’environnement économique, comme si les réformes n’avaient pas de conséquence sociale ou même sur le climat de confiance, que la monnaie n’avait aucune influence.

La conclusion de ce vice méthodologique constitutif est sans appel. « En l’absence de feuille de route stratégique pour stimuler les moteurs potentiels de la croissance, la stratégie d’assainissement budgétaire n’a pas été propice à la croissance. Il n’y a pas eu d’évaluation des risques visant à déterminer comment les différentes mesures budgétaires envisageables comme la réduction des dépenses et l’augmentation des impôts et leur succession dans le temps influeraient sur la croissance du PIB, sur les exportations et sur le chômage. »

Ainsi, l’importance de la production ou du chômage dans l’économie semble avoir été constamment sous-estimée par les « experts » européens. « Les programmes n’ont pas anticipé la dévaluation interne de 2012 à 2014 », note le rapport. « Le chômage a culminé à 27,5 % en 2013 et non à 15,2 % en 2012 comme cela était prévu initialement », poursuit-il à un autre endroit. Ce n’est qu’au troisième plan de sauvetage en 2015 qu’il est prévu d’inclure l’impact social des mesures préconisées.

La croyance de la Commission dans ses modèles est tellement forte que cela l’amène à exiger l’application des mesures qu’elle a arrêtées au mépris de toute autre considération économique, en ignorant toutes les caractéristiques de l’économie grecque. « L’accroissement de la pression fiscale de 2010 à 2014 a été de 5,3 % du PIB. L’essentiel de cette augmentation a été enregistré entre 2010 et 2012, au moment où la crise économique était la plus profonde », relève le rapport. Les réformes sur le travail ont été imposées sans tenir compte de « certaines particularités de l’économie grecque et notamment de la forte proportion de micro-entreprises et de petites entreprises ». De même, les groupes de travaux européens ont décidé d’ignorer pendant des mois les effets liés à l’augmentation des taxes foncières qu’ils ont imposée à Athènes. Celle-ci a contribué à accentuer les difficultés des propriétaires. Beaucoup n’ont pu honorer le paiement de leurs emprunts. Ce qui a contribué à augmenter le poids des mauvais crédits du système bancaire grec. Faute de nettoyage et de recapitalisation suffisante, ce dernier n’est pas en état d’assurer le financement de l’économie.

Les exemples de ces effets boule de neige pullulent dans le rapport de la Cour des comptes européenne. Sans que cela semble ébranler les certitudes des responsables européens. Leurs convictions sont si ancrées qu’ils ne prennent même pas la peine de les justifier. Ainsi, nombre de réformes ont été exigées sans étude chiffrée précise, sans pouvoir avancer les justifications économiques qui amenaient la Commission à exiger de tels chiffres, sans s’interroger sur leurs pertinences lorsqu’elles étaient appliquées au cas grec, relève à plusieurs reprises la Cour des comptes européenne.

Reprendre les mesures répétées comme les tables de la loi par les théories néolibérales semble se suffire en soi. « La Commission n’était pas en mesure de présenter la moindre analyse quantitative ou qualitative pour les deux principaux objectifs de la réforme (à savoir la suppression de 150 000 postes dans la fonction publique entre 2011 et 2015 et le licenciement obligatoire de 15 000 agents pour 2014 au plus tard », note le rapport lors du premier plan de sauvetage. « Dans le domaine de la promotion des exportations, des conditions telles que “l’adoption de mesures pour faciliter les partenariats public-privé” ne définissaient aucune action précise ou concrète », écrit-il dans un autre passage.

Les échéances de remboursement de la Grèce après le troisième plan de sauvetage. De plus, le suivi des mesures exigées a souvent été plus que lacunaire. Le seul changement de la loi ou d’un règlement semble avoir tenu lieu de viatique, sans que la Commission ne se préoccupe de leur réelle mise en vigueur, de la désorganisation totale de l’administration et de l’appareil judiciaire grecs, ce qui semble avoir facilité des fraudes massives, selon le rapport. De même, elle a travaillé souvent avec des chiffres sans cohérence, non datés, qui amènent à s’interroger sur la qualité des fameux reporting européens.          
Les échéances de remboursement de la Grèce après le troisième plan de sauvetage.            

Comment s’étonner que les différents plans de sauvetage aient tous échoué ? Mais là encore, la Commission européenne ne semble pas s’être posé beaucoup de questions sur ces échecs, comme cela transparaît dans le rapport. Si les plans ne fonctionnaient pas, si les réformes ne portaient pas les résultats escomptés, c’était de la faute des Grecs qui ne mettaient pas en œuvre correctement ce qui avait été prévu. Selon la Cour des comptes européenne, l’Eurogroupe n’a cessé de demander, au fur et à mesure de la dégradation de la situation, des mesures supplémentaires, d’imposer des conditionnalités à Athènes qui n’étaient pas prévues, notamment en matière de financement du système bancaire.

Aujourd’hui, l’Europe se paie de mots en soulignant que la Grèce est en voie de redressement. La preuve, selon elle : Athènes a pu réaliser quelques émissions obligataires. La Cour des comptes européenne vient doucher ces illusions. L’économie ne se redresse toujours pas, la dette est à un niveau insoutenable, l’état du système financier est totalement délabré – car c’est d’ailleurs une des grandes faillites des plans européens, l’Europe a accompagné les recapitalisations des banques en 2013 sans veiller au nettoyage des bilans et aux changements de gouvernance – et ses besoins de financement sont toujours aussi immenses. « Immédiatement après la fin du programme, la Grèce devra rembourser des montants importants à ses créanciers. En 2019, les besoins bruts de financement s’élèveront à 21 milliards d’euros en principal et en intérêts », constate la Cour des comptes européenne.

Ce seul chiffre donne la mesure de l’échec du sauvetage européen. Il est irréaliste de penser qu’Athènes puisse trouver de telles ressources financières ou lever de tels montants sur les marchés pour honorer ses échéances. Mais tout a été irréaliste depuis le début de la gestion de la crise grecque par l’Europe. Et c’est un pays tout entier, ses populations, sa société, qui est en train de payer au prix fort cet aveuglement.

Aéroports grecs : cessions et grandes concessions


Sur Libération par Fabien Perrier, correspondant à Athènes
12 novembre 2017 

Dans la Grèce soumise à l’austérité, un consortium d’entreprises allemandes s’est taillé la part du lion lorsque l’Etat a mis aux enchères quatorze de ses aéroports régionaux. Une opération très avantageuse, sur fond d’optimisation fiscale.

Tous les profits pour l’un, bien planqués dans des paradis fiscaux, et tout le passif pour l’autre. D’un côté, le consortium Fraport AG-Slentel Ltd, gros exploitant des aéroports allemands épinglé dans l’enquête «Paradise Papers» , et de l’autre la Grèce, mise en demeure en 2015 par les «hommes en noirs» de la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international) de vendre ses bijoux de famille pour renflouer les caisses terriblement vides de l’Etat. Transport, énergie, loterie nationale, gestion de l’eau, infrastructures, patrimoine culturel… Dans cette grande braderie, les aéroports grecs s’avèrent, dès 2014, un business lucratif. Une aubaine pour l’opérateur aéroportuaire allemand qui se met rapidement sur les rangs concernant la privatisation de quatorze aéroports régionaux, dont ceux de Thessalonique, Mykonos ou encore Santorin. Trois ans plus tard, en avril 2017, pari gagné avec une cession conclue pour quarante années.

Thérapie de choc

Sauf qu’aujourd’hui, pour faire prospérer son investissement, le consortium allemand Fraport (flanqué d’un partenaire grec, le groupe spécialisé dans l’énergie Copelouzos) est prêt à tout. Y compris à mener une bataille juridique contre l’Etat grec. Selon le site d’investigation ThePressProject, Fraport AG-Slentel Ltd et Copelouzos réclament 70 millions d’euros au gouvernement hellène. Au cœur de ce bras de fer judiciaire : le mauvais état des quatorze aéroports cédés et de prétendus inévitables travaux à réaliser. Le consortium gréco-allemand a donc entamé une procédure d’arbitrage pour obtenir des dédommagements sonnants et trébuchants. Entre le gestionnaire et l’Etat, le torchon brûle. Mais pas au point d’étaler le différend sur la place publique. Peu loquace, un responsable gouvernemental grec se contente d’affirmer : «Nous n’avons aucun problème avec Fraport.» Ce dernier, qui a mis sur la table 1,234 milliard d’euros en contrepartie de la gestion des aéroports, refuse de confirmer les montants demandés à l’Etat grec. «C’est une procédure d’arbitrage normale», dit-on du côté de Fraport. Une procédure révélatrice des effets provoqués par la thérapie de choc imposée à la Grèce depuis 2010.
Petit retour en arrière. Nous sommes au début de la décennie. En pleine crise de la dette, le gouvernement grec signe un premier plan de sauvetage financier en échange d’une réforme de l’Etat. Au chapitre des exigences imposées par la troïka, il y a l’éternelle obligation de procéder à des privatisations. Pour orchestrer les ventes d’entreprises nationales, une caisse de mise en valeur des biens publics (la Taiped) est créée en 2011. La plupart des aéroports sont mis en vente. En 2014, trois prétendants sont en lice. Il y a la Corporación America (un holding argentin) associée à l’entreprise grecque de construction Metka, un duo franco-grec constitué de Vinci et d’Ellaktor et le tandem Fraport-Copelouzos. Ce dernier emporte la mise en proposant 1,234 milliard d’euros assorti de 23 millions d’euros versé à la Taiped. A charge pour cette dernière de réorienter ses recettes provenant des privatisations vers le remboursement de la dette grecque. Aujourd’hui, et si d’aventure Fraport devait obtenir gain de cause à l’issue de l’arbitrage qui l’oppose à Athènes, l’Etat devra piocher dans ses propres ressources budgétaires pour le dédommager. Autrement dit, pas question de toucher à un seul euro «gagné» par les privatisations.

Volte-face

Comment Athènes a-t-il cédé ses aéroports à Fraport ? Comme lors de toutes les privatisations, des conseillers (techniques, financiers, juridiques) ont épaulé la Taiped dans le processus. Celui chargé des questions techniques était la Lufthansa Consulting, une filiale de la compagnie aérienne allemande du même nom. Celle-là même qui détient 8,44 % de la société mère Fraport. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais lorsque le parti anti-austérité Syriza remporte les élections législatives anticipées en janvier 2015, changement de décor. Aléxis Tsípras, le chef de file de Syriza, devenu Premier ministre, décide de geler la vente. Pas question, estime-t-il, de céder les biens de l’Etat à des investisseurs privés. Mais sept mois plus tard, le même Tsípras fait volte-face. Et pour cause : l’accord sur la dette proposée par les créanciers du pays (sous la pression de l’Allemagne, qui menace de faire sortir la Grèce de la zone euro) mentionne explicitement que la privatisation des aéroports doit aboutir. Une condition qu’accepte Aléxis Tsípras.
Dès l’été 2015, Fraport et la Taiped négocient les termes de l’accord de mise en concession des aéroports, qui devient effectif le 11 avril 2017. L’affaire est pliée. Le lendemain, une conférence de presse est organisée en grande pompe dans le très fastueux hôtel Hilton d’Athènes. Le directeur de Fraport AG (la maison mère allemande), celui de Fraport Grèce et Dimitris Copelouzos (le fondateur et président du groupe énergétique grec du même nom) : les gagnants de la privatisation sont tous là. La presse est conviée. Mais pas question de poser la moindre question. Du jamais-vu. Il s’agissait pourtant d’évoquer, selon les termes de l’agence Taiped, «l’utilisation, la gestion et l’exploitation sur une durée de quarante ans» de ces quatorze aéroports régionaux. «Y avait-il des choses à cacher ?» s’interroge encore Fotis Kollias, un des journalistes qui assistaient à ce semblant de conférence de presse.
Depuis, le doute est de mise un peu partout en Grèce. Pire encore, depuis les révélations de ThePressProject. Ce dernier a en effet publié le contrat entre la Taiped et Fraport. Thanos Kamilalis, le journaliste du site d’investigation qui a enquêté sur le dossier, considère que les conditions du contrat font la part belle à Fraport. Ainsi sur le plan fiscal, l’accord prévoit que Fraport ne paiera pas de taxes foncières et locales. Libre au gestionnaire allemand de mettre de nouvelles taxes pour les passagers : des recettes qui iront directement dans ses caisses sans passer par la case Trésor public.
Quant aux choix des partenaires, là encore tout est fait pour faciliter la vie de Fraport. L’Allemand a ainsi le droit d’annuler unilatéralement les contrats souscrits par les anciens prestataires des quatorze aéroports et libre à lui d’en choisir des nouveaux. Et pas question d’accorder le moindre dédommagement aux éventuels commerçants, restaurateurs ou autres fournisseurs congédiés. Cerise sur le gâteau d’un contrat totalement déséquilibré : c’est l’Etat (donc le contribuable) qui mettra la main à la poche si Fraport décide de licencier des salariés grecs. Et c’est encore lui qui devra prendre en charge les victimes d’accidents du travail, y compris lorsque la responsabilité de l’entreprise sera avérée. Rien n’a été laissé au hasard. Ainsi, qu’une grève vienne contredire la «bonne marche» des aéroports privatisés et Fraport sera fondée à demander des dédommagements pour manque à gagner à l’Etat : c’est aussi dans le contrat de cession, de près de 200 pages.

Aucun risque

Malgré toutes ces conditions avantageuses, il a fallu près de deux ans pour que la concession devienne réalité. «C’est un délai extrêmement long pour ce genre d’opération», confie une source au sein des aéroports grecs. Et de poursuivre : «En réalité, Fraport ne parvenait pas à rassembler les fonds nécessaires.» «Le consortium a signé un prêt sur le long terme avec différentes institutions financières», répond Yannis Papazoglou, directeur de la communication de Fraport Grèce. Il précise que le milliard nécessaire au bouclage du deal a été trouvé auprès de cinq institutions financières. Fraport ne supporte donc aucun risque directement. Sur les cinq créanciers, deux sont des institutions européennes. Ainsi la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a financé l’opération de Fraport Grèce à hauteur de 186,7 millions d’euros. En outre, un peu plus de 280 millions ont été prêtés par la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker. Or, en tout, la BEI a apporté son soutien à hauteur de 400 millions d’euros pour les entreprises grecques. Les deux tiers de cette somme ont donc bénéficié à Fraport. «Nous attendons que ces prêts génèrent des investissements en Grèce», justifie-t-on du côté de la Commission. «Mais pour l’instant les travaux n’ont pas commencé», souligne le ministre grec des Transports, Christos Spritzis. Un responsable de l’aviation civile s’inquiète que «le capital de la maison mère Fraport soit trop faible au regard d’une dette de 3,5 milliards d’euros à rembourser d’ici à 2020».
Plus surprenant encore : la société Fraport AG est détenue à hauteur de 31,32 % par le Land de Hesse et à hauteur de 20 % par la ville de Francfort. Un juteux business pour ces deux actionnaires. En effet, sur les six premiers mois de l’année, la société grecque a réalisé plus de 106 millions de bénéfices. Au final, quatorze aéroports ont donc quitté le giron de l’Etat grec pour se retrouver dans ceux d’un Land et d’une ville en Allemagne, à travers une entreprise à présent citée dans les Paradise Papers. Les sociétés du groupe Fraport sont en effet domiciliées au Luxembourg, à Chypre ou encore à Malte. Les bijoux de famille grecs sont donc, en partie, dans des coffres publics allemands. Mais à l’abri de l’impôt.
 

Fabien Perrier


Grèce : Les aéroports privatisés une mine d’or pour la Sté allemande

Publié le 5 nov 17 sur Unité populaire

LES 14 AEROPORTS PERIPHERIQUES PRIVATISES : UNE MINE D’OR POUR LA SOCIETE ALLEMANDE FRAPORT SELON LE HANDELSBLATT – DES PROFITS DE PLUS DE 100 000 000 D’EUROS EN QUELQUES MOIS !

 source http://agonaskritis.gr/

Sous le titre « La Grèce devient une source de revenus [pour l’Allemagne] », le journal économique Handelsblatt évoque les superprofits qu’apportent à la société Fraport les 14 aéroports concédés à celle-ci  dans le cadre d’un accord de type colonial.

Le journal souligne que les profits ont dépassé les prévisions les plus optimistes des experts : Fraport Greece a rapporté au groupe 180 millions d’euros et au cours des 9 premiers mois de 2017 on a noté une augmentation de 13,7% des recettes du groupe qui se montent à 2,23 milliards d’euros.

Selon un communiqué du groupe, dans le secteur des activités extérieures dont fait partie l’exploitation des 14 aéroports de Grèce, les recettes ont augmenté de 51,2% et se sont montées à 631 millions d’euros – et ce surtout justement grâce aux aéroports grecs dont les recettes ont augmenté de  181,4 millions d’euros. Malgré des coûts en hausse, les revenus avant prélèvement fiscal de ce secteur de Fraport ont augmenté de 77,8 et ont atteint 280,1 millions d’euros.

Plus précisément, Fraport Greece a bénéficié de revenus de l’ordre de 1,06 milliard avant impôt et un résultat de 29 millions d’euros. Ces résultats de Fraport Greece ont conduit à une augmentation importante des flux de trésorerie liés au fonctionnement du groupe, avec une augmentation de 25,1% sur les libres flux qui sont passés à 3,8 milliards.

La fréquentation des 14 aéroports grecs a augmenté de 9,7% au cours du 3ème trimestre 2017 et a concerné 14,2 millions de passagers – pour les 9 mois l’augmentation a été de 10,5% pour 23,9 millions de passagers.

Sur l’ensemble de l’année 2017 on prévoit pour le groupe, en incluant les aéroports grecs, des recettes de 2,9 milliards d’euros et des revenus avant impôt de 980 millions à 1 milliard d’euros. On prévoit aussi une augmentation de la fréquentation des 14 aéroports de 10% sur l’ensemble de l’année.

La vente des aéroports peut être considérée comme l’une des plus scandaleuses cessions de patrimoine public dans le monde, à cause non seulement du prix honteusement bas de cette cession mais aussi des conditions véritablement coloniales acceptées par le gouvernement Syriza. Rappelons que les détails de la vente ont été fixés, pour le côté grec, par une filiale de la Lufthansa qui figure dans le capital de Fraport. Autant dire que c’est l’acheteur qui a fixé les conditions de la vente.

Et au même moment, il est question que la société exige des contribuables grecs une « indemnisation » de 70 millions d’euros pour la situation déplorable dans laquelle elle a trouvé les aéroports quand elle les a pris en mains…

Traduction: Merci à Joëlle Fontaine

https://unitepopulaire-fr.org/2017/11/05/les-14-aeroports-grecs-privatises-une-mine-dor-pour-fraport/

Les compilateurs de la Réforme politique par Kostas Lapavitsas

Les compilateurs de la Réforme politique

Le nécessaire et faisable

La situation de la Grèce neuf ans après le déclenchement de la crise et sept ans après le début des mémorandums est sombre. Les conditions économiques ne favorisent pas la croissance rapide nécessaire pour guérir les blessures. La réalité sociale pousse à aggraver l’inégalité et le malheur social. Les développements politiques ont conduit à une dépréciation totale du système politique, à un durcissement de la corruption et de la non-religion, et au déclin de la démocratie.

Les mémorandums ont stabilisé l’économie en supprimant l’énorme déficit budgétaire et le déficit tout aussi énorme du commerce extérieur, qui ont été les principaux moteurs de la crise en 2010. Mais la stabilisation a été réalisée par la pauvreté et le démantèlement du tissu productif. du pays. Tant que la Grèce restera dans le contexte des mémoires, qu’ils soient typiques ou non, elle ira vers un rétrécissement et un déclin historiques.

Tout aussi profond est le problème de l’inertie et de la frustration de la classe ouvrière et des laïcs. Il n’y a plus de réaction et de mobilisation contre les mesures mémorisées qui ont été scellées les années précédentes, pas même par les forces syndicales organisées. La principale responsabilité pour cela est SYRIZA et personnellement son chef, Alexis Tsipras, parce qu’il a nié les espoirs populaires de la pire façon. Mais le reste du système politique est responsable car il n’a rien de nouveau et de convaincant à proposer. Néanmoins, les couches touchées par la crise ne sont pas convaincues que la trajectoire suivie par le pays aura un effet positif, elles veulent entendre de nouvelles propositions et rejeter le système politique défaillant. Quand il y a un ciblage spécifique et persuasif, ils ont le pouvoir d’agir, comme le montre le mouvement anti-enchères.

L’attitude du système politique est caractéristique de la lâcheté et de son incapacité absolue à mener le pays dans une direction différente de celle des créanciers. La route qui peut fournir l’optimisme et le progrès social est bien connue et documentée. Les problèmes immédiats et cruciaux de la société grecque, surtout l’énorme chômage et la dystocie du développement, peuvent vraiment être résolus, tant que le pays est libéré de l’étreinte suffocante de ses prêteurs. Il n’y a pas de mystère technique sur la politique économique dont la Grèce a besoin aujourd’hui, qui a été élaborée depuis longtemps. Ce qui manque, c’est le courage politique de faire les profondes percées sociales nécessaires, de réprimer la réalité sociale morbide actuelle et de faire avancer la reconstruction nationale.

Malheureusement, ce qui est urgent n’est pas automatiquement réalisable dans la vie politique. Il s’agit donc de provoquer le redéveloppement des forces politiques qui cherchent véritablement à faire revivre un pays qui a été remis aux prêteurs et à leurs soutiens locaux. Le sol est instable, les conditions difficiles et les responsabilités très importantes. Les termes de la politique de refonte doivent être débattus avec honnêteté. C’est la seule façon de commencer à faire de petits pas.

Le texte suivant est destiné à contribuer à l’effort de redéploiement politique et est divisé en trois parties. Le premier analyse la politique économique requise et qui est à la base de tout développement politique. La seconde se penche sur le domaine politique après sept années de mémorandums. La troisième énonce quelques conditions de base pour une compréhension politique sincère des forces qui peuvent sortir le pays du bourbier.

Partie I Politique économique

Demande totale, politique industrielle, secteur public et privé

L’économie grecque n’a pas besoin des «réformes» notoires des prêteurs, pour lesquelles le gouvernement et l’opposition sont coupés. La Grèce a adopté un certain nombre de ces «réformes» depuis 2010, réduisant les revenus, vendant des biens publics, déréglementer les relations de travail et frapper les petites entreprises au profit des plus grandes. Malgré les «réformes» en cours, la structure problématique de l’économie grecque n’a pas changé, la corruption n’a pas diminué, la productivité a baissé et la compétitivité internationale ne s’est pas améliorée de façon dynamique.

Ce dont l’économie grecque a vraiment besoin aujourd’hui, c’est deux étapes décisives. Le premier est la stimulation immédiate de la demande globale qui permettra aux petites et moyennes entreprises de créer de nouveaux emplois – permanents et avec des salaires suffisants. La locomotive doit être le secteur public parce que le privé est lourdement blessé par les mémorandums et ne peut pas donner l’élan dont il a besoin.

Ceux qui pensent que le rôle de la machine à vapeur peut être joué par l’investissement privé ne voient tout simplement pas l’ampleur du problème. A titre indicatif, en 2009, l’investissement total en Grèce était d’environ 60 milliards, alors qu’en 2016 il était d’environ 20 milliards. Il n’est pas nécessaire que le secteur privé couvre cet écart, compte tenu notamment de la faiblesse du système bancaire. En ce qui concerne l’investissement étranger, en 2016, une année marquée par une performance «élevée», glorifiée par les responsables gouvernementaux, n’a été que de 3,1 milliards. En effet, plus de 90% était l’acquisition d’actifs grecs, souvent par des «investisseurs» de nature douteuse. Il est complètement irréaliste d’attendre de cette source une solution au problème du pays.

La locomotive ne peut être que le secteur public, réduisant les impôts et augmentant les investissements publics. L’effet sera également bénéfique dans le secteur privé, car la consommation privée et l’investissement privé seront stimulés. Un cercle vertueux sera créé, car le chômage sera réduit, surtout si le secteur bancaire a été réorganisé avec la création de banques publiques. Il y a la réponse au problème de la demande et la réduction du chômage. Il y aura donc place pour la redistribution du revenu et de la richesse, mais sur la base de la croissance plutôt que du partage de la pauvreté.

La deuxième étape est la politique industrielle et agraire ciblée, en renforçant de manière décisive les secteurs primaire et secondaire tout en réduisant la dépendance aux importations. C’est le moyen de changer la structure de l’économie grecque en stimulant le tissu productif et en réduisant le recours aux services. De là, il y aura une augmentation systématique de la productivité qui changera la position du pays dans l’économie mondiale. De là, il y aura aussi la stimulation et la transformation du secteur privé de l’économie grecque.

Cette perspective de développement est tout à fait faisable, mais en même temps laborieuse et longue, nécessitant une coordination du système de crédit, des mécanismes de contrôle public, et de l’éducation et de la justice sur une plus longue période de temps. Surtout, il exige une profonde coupure dans l’administration publique, avec rationalisation, renouvellement et un nouvel esprit d’offre sociale. Sur cette base, il y aura une nouvelle relation dans les secteurs public et privé dans notre pays.

Dette, UEM et UE

La simple citation des étapes nécessaires soulève la question urgente : est-il possible pour une telle politique économique, sans une suppression profonde de la dette publique, tant que le pays reste dans le contexte de l’UEM et sans conflit direct avec l’UE. ceux-ci sont également nécessaires. Au cours des sept années des mémorandums, les questions de la dette, de l’UEM et de l’UE ont fait l’objet de débats depuis longtemps, et l’on sait maintenant très bien comment les traiter. Cependant, il faut comprendre que l’annulation de la dette et le recouvrement de la souveraineté monétaire ne sont pas la solution au problème du pays, mais les moyens de passer à la solution comme discuté ci-dessus.

Il convient également de souligner que la situation actuelle de la Grèce n’a rien à voir avec 2010-12. Ensuite, la position des paiements de la dette et la sortie de l’euro, avec ce qu’elle signifiait pour l’UE, auraient dû être les principales demandes des puissances anti-monopoles car elles pouvaient empêcher la destruction monumentale et mettre rapidement le pays sur la voie du développement. . Aujourd’hui, le Mémorandum est devenu un statut, la catastrophe a été faite et le pays est confronté à un grave problème de croissance et à une structure déformée de l’économie. C’est là que la réponse doit commencer.

De plus, la situation actuelle de la zone euro a peu à voir avec 2010-12. La crise s’est calmée et une Europe dominée par l’Allemagne est apparue. Les mécanismes de l’UEM sont devenus encore plus stricts et la rigidité budgétaire est devenue un statut dans l’UE Dans l’Europe actuelle, il y a au moins deux régions: le sud, où notre économie est faible, et l’Europe centrale avec des économies. sur la machine d’exportation allemande. Le problème de la Grèce, mais aussi d’autres pays, est de faire face à la division en un centre et une région, ce qui crée de très mauvaises perspectives de croissance pour les pays du Sud. De là, la réponse devrait également commencer.

Il ne fait aucun doute que les problèmes de la dette, de l’UEM et de l’UE sont cruciaux et que leur traitement est nécessaire pour l’adoption de la politique économique nécessaire pour sortir le pays du bourbier. Cela ne signifie en aucun cas que la Grèce sera isolée. Au contraire, la Grèce est et restera un pays et une société européens ouverts. Mais ses problèmes actuels appellent une proposition de développement convaincante avec un profond changement social qui redéfinira sa place dans le monde. Cela devrait devenir le favori de la politique de réforme.

Partie II Le domaine politique

Un résumé de la politique économique nécessaire est suffisant pour mettre en évidence les problèmes sociaux et politiques qui ressortiront de sa mise en œuvre. En substance, c’est un tournant social et politique profond qui crée une marge de renversement social en faveur des couches populaires, ouvrières et petites et moyennes. Le discours politique programmatique désormais nécessaire à la réforme politique devrait placer ces questions sociales au premier plan.

Souveraineté populaire et nationale

En particulier, la classe moyenne urbaine et supérieure de la société grecque soutenait clairement la politique des mémorandums, pesait très peu proportionnellement à leurs revenus et, en pleine coopération avec les prêteurs étrangers, tentait d’exploiter les conditions engendrées par la stabilisation. Afin d’imposer la politique des mémorandums, ils n’ont pas hésité à contourner les processus démocratiques en créant virtuellement un régime d ‘«exception» avec l’imposition de changements politiques plutôt que la volonté du peuple grec. Des exemples typiques ont été le gouvernement non élu de Papadimos en 2011 et, bien sûr, la conversion de Non à Oui après le référendum de 2015.

Le programme économique alternatif frappe les intérêts des couches dominantes et modifie l’équilibre pour les populations, la classe ouvrière et les petites et moyennes couches. Le bouleversement social qui va inévitablement se produire nécessitera le renforcement de la démocratie et de la souveraineté populaire pour sa défense. Le moins nécessaire dans le domaine politique est la formation d’une Assemblée nationale constituante dans le but de consolider la souveraineté populaire. Cela ouvrira la voie à un changement structurel dans les relations sociales et endommagera le noyau du capitalisme grec, en créant la perspective d’une transformation socialiste avec la démocratie et la liberté.

En même temps, le programme économique affecte aussi les intérêts des prêteurs et pose la question de l’implication du pays dans plusieurs organisations supranationales, comme l’UEM et l’UE, ce qui pose directement la question de la souveraineté nationale et de la restructuration des relations internationales en Grèce. Dans les conditions européennes actuelles, avec une division consolidée en centre et périphérie, le durcissement de l’UE, la souveraineté de l’Allemagne et la sortie de l’UE de l’UE, le rétablissement de la souveraineté nationale est une question de survie pour un petit pays du Sud. comme la Grèce. Cela ne signifie pas du tout l’isolement de la Grèce mais, au contraire, sa participation dynamique, avec ses propres forces, dans le processus de réforme de l’Europe sur la base de la solidarité et du contrôle économique entre les peuples d’Europe.

Les options de politique pour le redéploiement

La question clé est donc: quelles forces politiques peuvent mettre le pays sur le chemin économique, social et national qui est nécessaire? Le peuple grec est bien conscient que rien de nouveau ou de différent ne doit attendre le système politique existant. SYRIZA, la Nouvelle Démocratie, le Compatriement Démocratique et le Fleuve ont pleinement accepté le cours actuel et sont en faveur de sa gestion. Le KKE a été transformé en une boîte de votes de protestation et un groupe de discussions interactives de nature marxiste. L’Aube dorée prend aussi un vote de protestation en spéculant sur des arguments radicaux et en les habillant de vulgarité nationaliste et sociale, comme le font habituellement les fascistes. Le parti de M. Leventis complète l’image de la politique de désintégration.

Il existe un énorme vide politique qui laisse la place à de nouvelles forces pour jouer un rôle dans l’éveil du facteur populaire et inverser le cours actuel désastreux. Malheureusement, les organisations individuelles de la gauche extraparlementaire ne peuvent combler ce fossé, bien que leurs suggestions individuelles soient souvent perspicaces. LAE, ANTARSYA, Fleece of Freedom ont été testés dans la période suivant le référendum de 2015 et leurs limites ont été observées. En agissant seul, la seule chose qu’ils vont réaliser est l’usure continue. La même chose s’applique à EPPM, qui n’appartient pas à la gauche. Tout le monde, indépendamment de ces organisations, n’a ni la crédibilité ni la classe et la radiation nationale requises pour combler le vide politique.

Le pays a besoin d’un nouvel organe collectif, basé sur des couches populaires, de travail et à petite échelle, et contribuera à l’éveil du mouvement syndical, en impliquant la société civile. L’organisme requis ne peut pas provenir de la simple élection des organisations qui existent déjà pour se joindre à la Chambre. Il ne sera pas non plus formé à travers les négociations connues et le battement des réunions « au sommet ».

Le corps collectif dans la pratique ne peut émerger qu’à travers des consultations sincères des partis, des organisations et des unités qui ont maintenu une attitude antimonieuse cohérente, et aujourd’hui ils perçoivent l’importance de l’action collective. Sa construction prendra du temps, compte tenu de la profonde faiblesse des couches populaires et des organisations de travailleurs. Afin d’aller de l’avant, certaines questions clés devront être abordées dans la partie suivante dans l’attente d’une discussion plus approfondie.

Partie III Conditions pour une compréhension politique honnête

Le nouveau corps collectif devrait être large et n’exclure pas les forces pour des raisons de pureté politique. Les partis et les organisations de la gauche extra-parlementaire qui ont joué un rôle majeur dans l’effort de l’antimonopole joueront un rôle clé. Mais il n’y a absolument aucune raison de poursuivre une «identification programmatique» sur des questions plus larges du capitalisme mondial ou grec, et les exclusions précédentes des organisations et des individus ne devraient pas être faites.

La question est de s’entendre sur une solution au problème grec qui cherchera le soulèvement social, le rétablissement de la souveraineté nationale et la renaissance du pays. Les étapes de base sont connues et se réfèrent aux questions de structure sociale, de souveraineté populaire et nationale, de l’UEM et de l’UE Dans ce contexte, les collectifs et les individus peuvent coexister et travailler ensemble bien au-delà des frontières étroites des partis politiques organisés.

Pour un fonctionnement efficace, la nouvelle entité devrait en principe avoir une structure différente des modèles politiques actuels qui repoussent les couches populaires. Il n’y a pas de détaillants ni de sagesse sur ce sujet et il faut aborder de manière réaliste des problèmes spécifiques, étape par étape. Cependant, il n’est pas difficile d’établir initialement un corps collégial simple grâce à un processus consultatif ouvert, qui aura son propre secrétariat et créera un cadre de coexistence et d’action commune. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique, d’abord de la part des organisations de la gauche extraparlementaire, et rien de plus.

Deux points sur la structure organisationnelle sont d’une grande importance, à la suite de l’expérience de ces dernières années, et ils veulent une discussion et une analyse.

Le premier est la leçon de l’échec et de la mutation de SYRIZA. En particulier, la création d’une organisation bureaucratique composée de départements essentiellement indépendants et accompagnée d’une discussion perpétuelle au nom de la parité des acteurs n’est qu’une méthode d’échec. Cela a peut-être permis le lancement des élections, mais a finalement conduit à un déni de démocratie interne, de leadership et à un manque de principes.

La pratique bureaucratique traditionnelle des partis grecs et même de gauche a épuisé son rôle historique. Cependant, le rôle historique de l’association d’organisations indépendantes au sein d’une coquille frontale bureaucratique a été épuisé. Le fonctionnement interne de la nouvelle entité devrait être fondé sur des structures organisationnelles démocratiques cohérentes qui permettent une participation libre et favoriseront l’expression d’opinions et l’action collective avec un ciblage commun.

La seconde est que la route de Melanchon n’existe pas pour la Grèce. La France est au début d’un changement économique et social imposé par sa participation à l’UEM, alors que son poids spécifique est beaucoup plus important que celui de la Grèce. Melanchon et «l’Inconcevable France» ont toujours l’occasion de mettre en avant un rejet général de l’austérité et du capitalisme sans s’engager dans des politiques spécifiques et sans créer des structures organisationnelles cohérentes.

Les choix centrés sur la personne de Melanchon, malgré son grand succès aux élections, sont extrêmement dangereux et les problèmes ne seront pas loin. En Grèce, cependant, après la mutation phare de SYRIZA, il n’y a aucune trace d’une telle possibilité. Il n’y a pas non plus de personnalité correspondante qui puisse parler directement avec les gens. La nouvelle organisation devrait travailler collectivement et s’appuyer sur des décennies de politique organisationnelle.

Sur cette base, l’objectif politique principal ne peut être que l’approche méthodique des couches populaires et rebelles. L’organisation devrait être liée organiquement aux couches travailleuses, locales et à petite échelle de la société grecque en exploitant sa proposition programmatique pour le pays et en apportant des réponses à leurs problèmes. De même, l’effort électoral devrait également être pris en compte. L’admission de la Chambre, ce qui est absolument possible dans les conditions actuelles, n’est pas une fin en soi, mais un outil de rapprochement entre les couches populaires et une intervention politique efficace au niveau national.

L’émergence des problèmes qui concernent les jeunes revêt une importance particulière dans cet effort. La nouvelle entité devra faire passer le message de l’avancée en démontrant qu’elle gère avec créativité et imagination les nouvelles technologies de communication dans le domaine politique. L’élément clé, comme l’ont montré Corbin et Sanders, n’est pas la jeunesse, mais l’honnêteté, la rectitude et la simplicité. La jeunesse grecque regarde avec méfiance tout le monde, sans perdre son envie de changement. Elle est beaucoup plus informée et confiante sur son caractère européen que ses parents.

Pour les mêmes raisons, il devrait y avoir un renouvellement des personnes, et je ne parle pas de l’âge. Le jeune âge d’Alexis Tsipras s’est révélé être une garantie de radicalité, de militantisme et de sincérité. Le but est d’amener les gens qui ont les connaissances nécessaires pour mettre en œuvre le programme et ont été testés dans les années des mémorandums. Aussi les gens du domaine de la solidarité sociale et les mouvements qui ont aidé la société à faire face au flot de mesures . Ce n’est que sur cette base que la peur qui est continuellement cultivée par le Mémorandum et qui surmonte la confiance peut être surmontée.

La reformulation politique est entièrement réalisable. Le fardeau de prendre l’initiative requise incombe à la gauche extra-parlementaire, flanquée de corps et d’individus plus larges. Il est essentiel que les objectifs ne soient pas seulement électoraux. Le peuple grec a soif de bonnes nouvelles et de perspectives politiques optimistes. Laissez-nous compter toutes nos responsabilités.

Iles grecques à vendre

PLUS DE QUARANTE ILES GRECQUES SONT A VENDRE

Plus de 40 îles grecques sont actuellement en vente à des prix ridiculement bas en raison des effets de la crise financière et des mesures fiscales accrues mises en place par le gouvernement.

Les prix ont diminué de plus de 60% dans la plupart des cas, les professionnels de l’immobilier notent que l’offre a même doublé.

Selon un professionnel du secteur, les îles proposées à la vente 70 millions d’euros avant la crise s’offrent maintenant entre 10 à 15 millions d’euros.

Les experts précisent cependant que le marché de l’île grecque est concurrentiel par rapport à celui d’autres pays. Mais les ventes restent difficiles à concrétiser en raison des formalités administratives, des autorisations de construction, des accords des services archéologiques et forestiers, des avals donnés par le Ministère de la Défense, et dans de nombreux cas le classement des îles en zones naturelles protégées.

L’île de Scorpios qui appartenait au magnat grec Aristote Onassis a été cédée avec son ilot voisin Sparti, à un milliardaire russe pour 117 millions d’euros, le prix de vente d’origine, fixé en 2008 avoisinait les 200 millions d’euros.

Oxia près de  Zakynthos s’est vendue pour un peu moins de 5 millions d’euros  (7 millions d’euros au départ) à l’ancien émir du Qatar.

Le profil des acheteurs s’est quelque peu modifié. Les investisseurs se sont détournés des îles au profit de propriétaires privés.

https://lepetitjournal.com/athenes/plus-de-quarante-iles-grecques-sont-vendre-158331

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 3eme partie

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

Partie 3 par Eric Toussaint

Yanis Varoufakis fait remonter à 2011 sa collaboration avec Alexis Tsipras et son alter ego, Nikos Pappas. Cette collaboration s’élargit progressivement, à partir de 2013, à Yanis Dragasakis (qui est devenu, en 2015, vice-premier ministre). Une constante dans les rapports entre Varoufakis et Tsipras : Yanis Varoufakis plaide en permanence pour modifier l’orientation adoptée par Syriza. Varoufakis affirme que Tsipras-Pappas-Dragasakis veulent eux-mêmes clairement adopter une orientation différente, nettement plus modérée, de celle décidée par leur parti.

La narration faite par Varoufakis ne manque pas de piment. À travers son témoignage, on voit comment, à des étapes très importantes, des choix sont faits dans le dos de Syriza au mépris des principes démocratiques élémentaires.

Varoufakis s’attribue un rôle central et, en effet, il a exercé une influence sur la ligne adoptée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis. Il est également certain que Tsipras et Pappas ont cherché à construire, en dehors de Syriza, des rapports plus ou moins étroits avec des personnes et des institutions afin de mettre en pratique une politique qui s’est éloignée de plus en plus de l’orientation que Syriza avait faite sienne. Varoufakis n’est pas la seule personne à avoir été contactée mais effectivement, à un moment donné, Tsipras et Pappas ont considéré qu’il était l’homme de la situation pour aller négocier avec les institutions européennes et le FMI.

Début 2011, premiers contacts de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Varoufakis décrit sa première rencontre avec Alexis Tsipras et Nikos Pappas début 2011. Pappas lui avait donné rendez-vous dans un petit hôtel restaurant proche du local de Syriza.

  • « Quand je suis arrivé à l’hôtel, Alexis et Pappas étaient déjà en train de commander leur déjeuner. Alexis avait une voix chaleureuse, un sourire sincère et la poignée de main d’un éventuel ami. Pappas avait un regard plus illuminé et une voix plus haute. […] Il était évident qu’il avait l’oreille du jeune prince et qu’il lui servait à la fois de guide, de frein et d’aiguillon, une impression que j’aurai toujours au fil des années tumultueuses qui suivraient : deux jeunes hommes du même âge mais de tempéraments différents, qui agissaient et pensaient comme un seul homme. |1| »

Varoufakis explique que Tsipras hésitait sur l’orientation à prendre quant à une sortie éventuelle de la zone euro.

  • « Depuis 2011, Syriza était déchiré par les divisions internes face au problème : fallait-il officiellement soutenir le Grexit (quitter la zone euro, mais pas nécessairement l’Union européenne) ? Je trouvais l’attitude d’Alexis face à la question à la fois cavalière et immature. Son objectif était de maîtriser les tendances rivales au sein de son parti plus que de se faire une opinion claire et personnelle. À en juger par les regards complices de Pappas, il était évident qu’il partageait mon point de vue. Il comptait sur moi pour l’aider à empêcher le leader du parti de jongler avec l’idée du Grexit.
  • J’ai fait de mon mieux pour impressionner Alexis et le convaincre que viser le Grexit était une erreur aussi grave que de ne pas s’y préparer du tout. J’ai reproché à Syriza de s’engager à la légère (…). »

Tsipras a soumis à Varoufakis l’idée de menacer les dirigeants européens d’une sortie de la Grèce de la zone euro, en cas de refus de leur part de remettre en cause la politique mémorandaire. Varoufakis lui a répondu qu’il éviter de sortir de la zone euro car il était possible par la négociation d’obtenir une solution favorable à la Grèce, notamment une nouvelle restructuration de sa dette.

Tsipras a répliqué que des économistes renommés, comme Paul Krugman, affirmaient que la Grèce irait bien mieux sans l’euro.

Varoufakis poursuit son récit : « Je lui ai répondu qu’on irait bien mieux si on n’était jamais entrés dans la zone euro, mais ne pas y être entrés était une chose, en sortir était une autre. […] Pour le persuader d’abandonner ce raisonnement paresseux, je lui ai fait le tableau de ce qui nous attendait en cas de Grexit. Contrairement à l’Argentine qui avait renoncé à la parité entre le peso et le dollar, la Grèce n’avait pas de pièces ni de billets à elle en circulation. » Pour le convaincre, Varoufakis fait observer à Tsipras que : « Créer une nouvelle monnaie demande des mois. »

En réalité cet argument qui a été utilisé à de multiples reprises par Varoufakis et d’autres opposants à la sortie de l’euro n’est pas solide. En effet, il était possible d’adopter une nouvelle monnaie en utilisant les billets en euro après les avoir estampillés. Les distributeurs automatiques des banques auraient délivré des billets en euro qui auraient été préalablement marqués d’un sceau. C’est notamment ce que James Galbraith a expliqué dans une lettre à son ami Varoufakis en juillet 2015 |2|.

En réalité, ce que souhaite Varoufakis, c’est convaincre Tsipras qu’il est possible de rester dans la zone euro tout en rompant avec la politique anti sociale appliquée jusque-là : « nous exigerons une renégociation qui impliquera un new deal pour la Grèce et qui nous permettra d’avoir une économie sociale viable au sein de la zone euro ; si l’UE et le FMI refusent de négocier, nous n’accepterons plus le moindre prêt empoisonné payé par les contribuables européens. Et s’ils répliquent en nous poussant hors de l’euro, ce qui aurait un coût considérable pour eux et pour nous, laissez-les choisir la politique du pire. »

Pour Varoufakis, il ne faut donc pas préparer la sortie de la zone euro et s’il faut un jour y passer, cela sera la pire des solutions.

Varoufakis poursuit :

  • « Pappas hochait la tête avec enthousiasme, mais Alexis avait l’esprit ailleurs, jusqu’à ce que je l’oblige à sortir de son silence. Sa réponse m’a confirmé qu’il était davantage préoccupé par les rapports de force au sein de Syriza que prêt à prendre le taureau par les cornes à propos du Grexit. Je ne me suis pas laissé impressionner. Notre rendez-vous arrivait à sa fin, et, au risque de paraître condescendant, je lui ai donné un conseil bienveillant, non sollicité, qui n’avait rien à voir. Il aurait pu le prendre mal.
  • – Alexis, si tu veux être Premier ministre, il faut que tu apprennes l’anglais. Prends des cours, c’est essentiel. »

Quand Varoufakis rentre chez lui, son épouse, Danaé lui demande comment s’est passé le rendez-vous et il répond : « Le type est sympa, mais je ne pense pas qu’il ait la carrure. »

Varoufakis, l’audit de la dette et la suspension du paiement

Dans sa narration des évènements de l’année 2011, Varoufakis ne mentionne à aucun moment l’importante initiative d’audit citoyen de la dette à laquelle il a refusé de participer.

Il est utile de préciser que les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en termes de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de comptes ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’État – des plus grands, comme par exemple ceux des récents Jeux olympiques, jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! » |3|.

De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce par la presse imprimée et par les réseaux sociaux, l’économiste Costas Lapavitsas défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans un de ses papiers, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette. » (article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia |4|).

Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en termes de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis m’interviewe et titre « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » |5|. Le quotidien explique que « Le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa. ».

En effet, Sofia Sakorafa, qui a rompu avec le Pasok quand celui-ci a accepté le mémorandum de 2010, était intervenue en décembre 2010 au parlement pour proposer la création d’une commission d’audit de la dette grecque en s’inspirant de l’expérience équatorienne. Le parlement ne l’avait pas suivie.

Costas Lapavitsas, qui résidait à Londres où il enseignait et dont les positions trouvaient un écho important en Grèce, prend alors contact avec moi et me propose de collaborer au lancement d’une initiative internationale pour la création d’une commission d’audit, ce que j’accepte immédiatement.

Simultanément Giorgos Mitralias du CADTM Grèce prenait contact avec Leonidas Vatikiotis qui était en pointe dans l’activité pour faire avancer sur le terrain en Grèce la création d’une telle commission.

Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomsky avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler, à l’époque rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali ainsi que de nombreux économistes, …

Dans ma recherche de signatures je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus, lorsque Yanis Varoufakis a expliqué publiquement pourquoi il refusait de souscrire à l’appel de la création de la commission d’audit |6|. Il raconte qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer cet appel ou non. Il déclare qu’il lui a recommandé de ne pas le faire. Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis justifie son refus de soutenir la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun. Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.

En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines ou mois auparavant. Le processus de création a été stimulé par l’ampleur de la crise en Grèce.

Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 et dans lequel Hugo Arias (économiste équatorien qui a été l’un des principaux animateurs de la commission d’audit créée en 2007 par le président Rafael Correa) et moi-même intervenons longuement, a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité et au bienfondé d’annuler la partie illégitime et odieuse de celle-ci |7|. Dans les 6 premières semaines de la sa diffusion sur internet, Debtocracy a été téléchargé par plus d’un million et demi de Grecs.

Parmi les personnalités grecques qui ont signé l’appel en 2011, on retrouve Euclide Tsakalotos (devenu ministre des finances du gouvernement Tsipras, en remplacement de Yanis Varoufakis, à partir de début juillet 2015, il a gardé ce portefeuille ministériel dans le deuxième gouvernement Tsipras mis en place fin septembre 2015), Panagiotis Lafazanis (un des principaux dirigeants de la plate-forme de gauche dans Syriza, ministre de l’énergie dans le gouvernement Tsipras entre janvier et le 16 juillet 2015, leader de l’Unité populaire, créée fin août 2015 par le secteur qui a quitté Syriza en s’opposant au 3e mémorandum), Nadia Valavani (membre également de la plate-forme de gauche, vice-ministre des finances du 27 janvier au 15 juillet 2015, membre également de l’Unité populaire), Sofia Sakorafa (élue eurodéputée Syriza en mai 2014 et siégeant comme indépendante depuis septembre 2015 car en désaccord avec la capitulation), Georges Katrougalos (vice-ministre de la réforme administrative de janvier 2015 à juillet 2015, devenu ensuite ministre du travail à partir de août 2015, reconduit dans les mêmes fonctions dans le cadre du 2e gouvernement formé par Alexis Tsipras. A partir de novembre 2016, il a occupé la fonction de vice-ministre des affaires étrangères), Notis Maria (élu eurodéputé en mai 2014 sur la liste du parti souverainiste de droite Anel, siégeant comme indépendant depuis janvier 2015).

Varoufakis ne mentionne pas non plus la conférence internationale réalisée à Athènes en mars 2011 par Synaspismos (la principale composante de Syriza présidée par Alexis Tsipras) et par le Parti de la Gauche européenne, à laquelle il a pourtant lui-même participé. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Oskar Lafontaine (ex-ministre social-démocrate des Finances en Allemagne, un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche Européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos, Yannis Dragasakis, moi-même et plusieurs autres invités.

À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne |8|.

Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulantzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU |9|. Si je mentionne cette conférence, c’est pour indiquer qu’à l’époque, il était évident de mettre au programme une intervention sur la nécessité de l’audit de la dette, thème qui est totalement évacué par Varoufakis, tant dans l’orientation qu’il a défendu que dans la narration de ce qui s’est passé en 2011.

En mai 2011, la conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3 000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani |10|, qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué, avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs, à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe de soutenir la conférence et d’adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré).

Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011 (extraits)Nous appelons à soutenir :

• L’audit démocratique des dettes comme un pas concret en direction de la justice en matière d’endettement. Les audits de la dette avec participation de la société civile et du mouvement syndical, tels que l’Audit citoyen de la dette au Brésil, permettent d’établir quelle part de la dette publique sont illégales, illégitimes, odieuses ou simplement insoutenables. Ils offrent aux travailleurs/euses les connaissances et l’autorité nécessaires au refus de payer la dette illégitime. Ils encouragent également la responsabilité, la reddition de comptes et la transparence dans l’administration du secteur public. Nous exprimons notre solidarité avec les audits en Grèce et en Irlande et nous tenons prêts à y apporter notre aide en termes pratiques.

• Des réponses souveraines et démocratiques à la crise de la dette. Les gouvernements doivent répondre en premier lieu à leur peuple, et non aux institutions de l’UE ou au FMI. Les peuples de pays comme la Grèce doivent décider quelles politiques sont à même d’améliorer leurs chances de reprise et de satisfaire leurs besoins sociaux. Les États souverains ont le pouvoir d’imposer un moratoire sur le remboursement si la dette détruit les moyens de subsistance des travailleurs/euses. L’expérience de l’Équateur en 2008-9 et de l’Islande en 2010-11 montre qu’il est possible de donner des réponses radicales et souveraines au problème de la dette, y compris en répudiant sa part illégitime. La cessation de paiements justifiée par l’état de nécessité est même reconnue légale par des résolutions de l’ONU.

• Une restructuration économique et une redistribution, pas d’endettement. La domination des politiques néolibérales et le pouvoir de la finance internationale ont mené à une croissance faible, des inégalités croissantes, et à des crises majeures tout en sapant les processus démocratiques. Il est impératif de changer les fondements des économies par des programmes de transition qui comprennent le contrôle sur les capitaux, une régulation stricte des banques et même leur transfert au secteur public, des politiques industrielles qui reposent sur des investissements publics, le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et le respect de l’environnement. Le premier objectif doit être de protéger et d’augmenter l’emploi. Il est aussi crucial que les pays adoptent des politiques redistributives radicales. La base d’imposition doit être étendue et devenir plus progressive en taxant le capital et les riches, permettant ainsi la mobilisation de ressources internes comme alternative à l’endettement. La redistribution doit aussi inclure la restauration des services publics de santé, d’éducation, de transport et des retraites ainsi que renverser la pression à la baisse sur les salaires.

Il s’agit là des premiers pas vers la satisfaction des besoins et aspirations des travailleurs/euses, mesures qui par ailleurs renverseraient le rapport de forces au détriment du grand capital et des institutions financières. Elles permettraient aux peuples d’Europe, et plus largement du monde entier, de maîtriser davantage leurs moyens de subsistance, leurs vies et le processus politique. Elles offriraient également de l’espoir à la jeunesse d’Europe dont l’avenir semble aujourd’hui bien sombre, avec peu d’emplois, des salaires bas et l’absence de perspectives. Pour ces raisons, soutenir la lutte contre la dette en Grèce, en Irlande, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe est dans l’intérêt des travailleurs/euses, où qu’ils/elles se trouvent.

Athènes, le 8 mai 2011

La déclaration est signée par : Initiative pour une Commission d’audit grecque (ELE)
European Network on Debt and Development (Eurodad)
Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM)
The Bretton Woods Project, Grande-Bretagne
Research on Money and Finance, Grande-Bretagne
Debt and Development Coalition Irlande
Afri – Action from Ireland
WEED – World Economy Environment Development, Allemagne
Jubilee Debt Campaign, Grande-Bretagne
Observatorio de la Deuda en la Globalización, Espagne

Source : http://www.cadtm.org/Declaration-de-la-Conference-d

Lors d’une discussion que Varoufakis et moi avons eue le 9 novembre 2016 à Athènes |11|, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas soutenu l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Il m’a répondu que cette initiative n’était pas bonne car elle remettait en cause la légitimité et la légalité de la dette. Selon lui, il n’y avait pas lieu de remettre en cause la légalité ou la légitimité de la dette grecque.

Varoufakis a adopté une position d’économiste borné qui ne voit la dette qu’en termes de soutenabilité financière et d’accès aux sources de financement. Il n’a pas du tout saisi l’importance de l’audit citoyen. Alors que dans son livre il insiste sur l’importance du mouvement d’occupation des places qui a eu lieu en juin-juillet 2011 en Grèce, il ne s’est pas aperçu de l’écho que l’initiative d’audit citoyen a obtenu au cours de ce puissant mouvement.

J’ai donc été témoin direct du refus de Varoufakis de soutenir l’audit citoyen en 2011 et j’ai constaté sa capacité à convaincre James Galbraith de ne pas signer l’appel international que nous avions lancé avec Costas Lapavitsas. Après avoir lu attentivement le livre de Varoufakis, je suis convaincu qu’il est intervenu activement pour convaincre Tsipras, au moins à partir de mai-juin 2012, d’abandonner le soutien à l’audit de la dette et à la revendication de la suspension du paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit.

Au sein de la direction de Syriza et des conseillers économiques de Tsipras, plusieurs personnes clés étaient également opposées à l’audit de la dette et à la suspension de paiement. Yannis Dragasakis, un des responsables de Syriza en matière économique (devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Tsipras I et II) n’y était pas favorable, il l’avait déclaré à Giorgos Mitralias lorsque celui-ci avait tenté de le convaincre dès 2010 de soutenir la perspective de la création d’une commission d’audit. Georges Stathakis de l’équipe d’économistes qui entourait Tsipras avait, de son côté, déclaré à la presse qu’il n’y avait pas de quoi soulever la question de la dette odieuse dans le cas de la Grèce car la partie odieuse ne représentait pas plus de 5 % de la dette totale. Stathakis est ministre de l’Economie du gouvernement Tsipras II.

Fin 2011, renforcement de la collaboration de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Fin 2011, Varoufakis a été recontacté par Pappas pour avoir un nouvel entretien.

  • « Ce deuxième rendez-vous, comme ceux qui allaient suivre, m’a surpris en bien : Alexis était transformé. Finies la complaisance, les luttes internes de Syriza qui l’obsédaient et la désinvolture vis-à-vis du Grexit. Il avait fait ses devoirs […]. Il m’a même annoncé fièrement qu’il avait engagé un professeur d’anglais et progressait. […] L’avantage le plus évident de ces discussions fut la clarification et la mise au point de notre objectif commun. »

2012, Varoufakis aide Tsipras à trouver un écho dans le milieu démocrate aux États-Unis

Varoufakis, alors qu’il travaillait aux États-Unis, a tenté d’ouvrir des portes à Tsipras dans les milieux Démocrates.

Varoufakis explique que son séjour au Texas « [lui] a aussi permis de construire un pont entre Washington et [ses]nouveaux amis de Syriza, qui n’étaient pas des alliés naturels des États-Unis. » Il explique : « Comme il y avait des chances qu’un gouvernement Syriza provoque un affrontement violent avec l’Allemagne, la Commission européenne et la BCE, la dernière chose dont Alexis et Pappas avaient besoin était de se retrouver face à une administration américaine hostile. De 2012 à 2015, grâce à l’aide de Jamie Galbraith et à son réseau, j’ai tout fait pour convaincre les leaders d’opinion américains et l’administration Obama qu’ils n’avaient rien à craindre d’un éventuel gouvernement Syriza, dont la priorité serait de libérer la Grèce d’une dette écrasante. »

Varoufakis contre le programme électoral de Syriza de mai-juin 2012

Varoufakis résume sa position :

  • « Je voulais que Syriza présente un programme simple, progressiste, pro-européen, cohérent et non populiste, un socle sur lequel on pourrait bâtir l’image d’un gouvernement crédible, qui négocierait un autre plan avec l’UE et le FMI. Alexis et Pappas inclinaient vers un programme politique différent, qui optimisait les gains électoraux à court terme aux dépens (d’après moi) d’une cohérence logique à long terme. En 2012, quand j’ai découvert la partie politique économique du manifeste électoral de Syriza, j’étais tellement irrité que je ne suis pas allé jusqu’au bout. Le lendemain, un journaliste de la télévision grecque m’a demandé de le commenter. J’ai dit que j’aurais tendance à soutenir Syriza, mais je ne voterais pour eux que si je pouvais modifier le programme économique. »

Que contenait le programme électoral de Syriza qui irritait tant Varoufakis ?

Le programme de Syriza en 40 points pour les élections du 6 mai 2012

Le programme de Syriza était clairement radical, il contenait une quarantaine de points. Le premier point portait sur la dette et était libellé comme suit : Audit de la dette publique, renégociation des intérêts à payer et suspension des paiements jusqu’à ce que la croissance économique et la création d’emplois aient repris.

Parmi les autres mesures, on peut mettre en exergue, à côté d’une série de mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire : l’augmentation de l’impôt sur le revenu à 75 % de prélèvement sur tous les revenus supérieurs à 500 000 euros ; l’augmentation des impôts sur les grandes entreprises ; l’abolition des privilèges financiers de l’Église et des armateurs ; la réduction drastique des dépenses militaires ; l’augmentation du salaire minimum afin de le ramener au niveau d’avant le mémorandum de 2010 (soit 750 euros par mois) ; l’utilisation des bâtiments du gouvernement, des banques et de l’Église pour les sans-abri ; la nationalisation des banques ; la nationalisation des entreprises publiques qui ont été privatisées dans des secteurs stratégiques pour la croissance du pays ; des mesures pour restaurer les droits des travailleurs et les améliorer ; l’adoption de réformes constitutionnelles pour garantir la séparation de l’Église et l’État ; la réalisation de référendums sur les traités et autres accords avec l’Europe ; l’abolition des privilèges pour les députés ; la suppression de l’immunité pour les ministres et l’autorisation pour les tribunaux d’engager des poursuites contre des membres du gouvernement ; des mesures de protection des réfugiés et des migrants ; l’augmentation du financement de la santé publique de manière à l’amener à la moyenne européenne (la moyenne européenne est de 6 % du PIB tandis qu’en Grèce elle était de 3 %) ; la gratuité des soins de santé publics nationaux ; la nationalisation des hôpitaux privés ; l’élimination de la participation du secteur privé dans le système national de santé ; le retrait des troupes grecques de l’Afghanistan et des Balkans ; l’abolition de la coopération militaire avec Israël ; le soutien à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 ; la négociation d’un accord stable avec la Turquie et last but not least : la fermeture de toutes les bases étrangères en Grèce et retrait de l’OTAN |12|.

Avec ce programme, Syriza, qui ajoute le mot d’ordre « Pas de sacrifice pour l’euro », voit multiplier par 4 son résultat électoral entre 2009 et mai 2012, passant de 4 % à 16 %.

Le programme de Syriza de 2012 est tout à fait intéressant et utile. Il contient les principales mesures à mettre effectivement en pratique.

Il y avait néanmoins des points faibles :

- Il n’y a pas de hiérarchisation dans les 40 points, or il s’agit d’avancer ce qu’un gouvernement fera en premier (disons dans les 100 ou les 200 premiers jours). Le programme n’est pas présenté de manière opérationnelle. Or il est important de présenter une feuille de route précisant comment ce gouvernement prévoyait de réaliser les objectifs fixés. Dans ce cas, il est aussi important de présenter un plan A et un plan B. Le plan A est le premier qui sera appliqué et le plan B est une solution de recours si plusieurs obstacles empêchent la réalisation du plan A. Exemple : le plan A propose une réduction très importante de la dette passant par un accord à l’amiable avec les créanciers (c’est ce que proposait le programme de Thessalonique adopté en 2014 – voir plus loin). Si les créanciers du pays refusent cette réduction radicale de la dette, il s’agit de dire dans les grandes lignes ce que ferait le gouvernement dans le cadre d’un plan B (suspension du paiement de la dette, audit de la dette à participation citoyenne, mesures ciblées de répudiation de dette – voir plus loin).

- On y affirme la nécessité de réformes constitutionnelles, mais sans dire s’il faut convoquer des élections générales pour élire une assemblée constituante. Or, se prononcer sur la manière de réaliser des réformes constitutionnelles est très important. Ce n’est pas du tout la même chose de trouver une majorité qualifiée à l’intérieur du parlement tel qu’il est constitué que de d’initier une démarche ouverte à toute la société en passant par la convocation d’une assemblée constituante.

Les élections de mai 2012 en Grèce ne permettent pas à un parti ou à une coalition de partis de constituer un gouvernement, ce qui conduit à de nouvelles élections dès le mois de juin 2012. Entre les deux élections, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) : 1. l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ; 2. l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ; 3. l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ; 4. un audit des banques grecques ; 5. la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Lors des élections de juin 2012, Syriza a obtenu 26,5 % des voix avec cette orientation radicale que remettait en cause Varoufakis.

Malgré le désaccord de Varoufakis avec le programme de Syriza de 2012, Tsipras et Pappas lui demandent de rédiger un programme de gouvernement

Entre les deux élections, Varoufakis a été recontacté par Pappas et une nouvelle rencontre a lieu avec Tsipras. Pappas lui déclare :

  • « – Tu te rends compte, que, si on gagne, c’est toi qui va mener les négociations avec l’UE et le FMI ! »

Pappas demande à Varoufakis de préparer un document expliquant les grandes lignes de la meilleure stratégie de négociation au cas où Syriza remporterait les élections le 17 juin, trois semaines plus tard.
Varoufakis se met au travail le soir même et il développe l’idée que le capital des banques grecques doit passer sous contrôle européen.

Selon Varoufakis, il convenait de transformer « les contribuables européens en propriétaires des banques grecques : de facto les banques ne seraient plus sous la responsabilité de l’Etat, mais soutenues par le peuple européen ; et en demandant aux institutions européennes de les gérer pour eux. C’était la seule façon de restaurer la confiance dans les banques. » Comme indiqué dans la première partie de cette série, en proposant de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs dans les banques du pays, Varoufakis réalisait un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Selon Varoufakis, cela faciliterait la restructuration de la dette publique.

Il ajoutait une seconde proposition : « Deuxièmement, tout remboursement de la dette à l’UE et au FMI devait être soumis à une condition : que la relance du pays soit un minimum avérée. C’était la seule façon de permettre à l’économie nationale de redémarrer. »

Il est important de préciser que pour Varoufakis la suspension du paiement de la dette envisagée plus haut fait partie de la négociation. Cette suspension devait être autorisée par les créanciers et ne pas constituer un acte souverain. Varoufakis poursuit l’évocation de sa chimère : « S’ils étaient activés de concert, ces deux leviers de restructuration annonceraient une nouvelle ère : l’UE et le FMI ne seraient plus comme Ebenezer Scrooge, l’avare du Conte de Noël de Dickens. Ce seraient de vrais partenaires, engagés à promouvoir le rétablissement de la Grèce, sans lequel leurs prêts de renflouement seraient de toute façon largement décotés. »

Au lieu de suspendre unilatéralement le paiement de la dette, Varoufakis propose de refuser tout nouveau crédit : « si vous êtes prêts à proposer des conditions raisonnables et sensées, tout en refusant de nouveaux prêts […], l’UE et le FMI accepteront de s’asseoir autour d’une table avec vous – ça leur coûtera trop cher de refuser, financièrement et politiquement. »

Tsipras dubitatif face à la proposition de Varoufakis concernant les banques grecques

  • « – Tu voudrais que j’annonce qu’on file les banques grecques aux étrangers ? Comment veux-tu que je vende ça à Syriza ? » lui a demandé Tsipras au cours d’une rencontre ultérieure au QG du parti.
  • « – C’est exactement ce que tu dois faire. » (…)
  • Alexis a pigé. Ce qui ne veut pas dire que l’idée lui plaisait. D’autant que le comité central de Syriza penchait naturellement vers la nationalisation des banques. »
  • Tsipras objecta quand même qu’ « un gouvernement qui n’aurait aucun pouvoir sur les banques commerciales opérant en Grèce ne pourrait jamais mettre en œuvre une politique industrielle ni un plan de développement et de reconstruction. Comment faire avaler la pilule au comité central ? »
  • Varoufakis, voyant que Tsipras « avait marqué un point », rétorqua : « Comme nous sommes de vrais internationalistes et de vrais Européens progressistes, nous arracherons les banques en faillite aux Grecs corrompus pour les confier aux Européens ordinaires, aux citoyens qui injectent leur argent dans ces banques. »

Les contacts décrits par Varoufakis ont eu lieu après les élections générales qui se sont tenues le 6 mai 2012.

Vu l’impossibilité de constituer un gouvernement, de nouvelles élections générales ont été convoquées pour le 17 juin 2012.

Varoufakis explique que, lorsqu’il prend connaissance du discours de Tsipras du 24 mai dans lequel celui-ci détaille la politique économique de Syriza, il se rend compte qu’un abîme sépare ce qui était proposé et ce qui pouvait être concrètement mis en œuvre dans la zone euro. « Dans l’heure qui a suivi, j’ai envoyé un mail cuisant à Alexis et Pappas en soulignant tous les défauts de construction de leurs promesses […]. »

Tsipras prend un tournant à droite qui le rapproche un peu plus de Varoufakis après les élections de mai – juin 2012

J’apporte ma contribution au récit de Varoufakis sur la base du contact direct que j’ai eu avec Tsipras en octobre 2012.

En l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours de Tsipras et des autres dirigeants de Syriza. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.

Au cours d’une entrevue avec Tsipras, début octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquaient explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : « Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement.

J’ai également dit à Tsipras que j’avais constaté qu’il ne parlait plus des cinq propositions qu’il avait avancées comme prioritaires après les élections de mai 2012 et que la question de l’audit n’était plus mise en avant. Il m’a répondu sans conviction qu’il maintenait ces cinq propositions et qu’il ne fallait pas s’en faire là-dessus.

Le lendemain, Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3 000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas apprécié par lui |13|.

Je suis convaincu que c’est après les élections de mai-juin 2012 que Tsipras et Pappas ont vraiment fait le choix de miser sur Varoufakis pour faire partie d’un gouvernement. Jusque-là, ils le rencontraient pour puiser des idées et ensuite réfléchir tous les deux sur la façon de s’émanciper des décisions de Syriza.

Varoufakis revient sur sa collaboration avec Tsipras et Pappas début 2013

Varoufakis raconte qu’il a rédigé le discours que Tsipras a prononcé à la Brookings Institution, un think tank basé à Washington, assez proche des Démocrates. Varoufakis résume le discours en deux points. Premièrement, Syriza était un parti pro-européen qui ferait tout pour que la Grèce reste dans la zone euro ; pour rester dans la zone euro et pour que celle-ci survive, il fallait un nouveau plan dont la priorité des priorités était la restructuration de la dette, suivie par des réformes qui mineraient l’emprise de l’oligarchie grecque sur l’économie. Deuxièmement, les États-Unis n’avaient rien à craindre de la politique économique ou étrangère d’un éventuel gouvernement Syriza.

Cette orientation défendue par Varoufakis et assumée par Tsipras était clairement en opposition au programme de Syriza qui promettait la sortie de la Grèce de l’Otan.

Varoufakis rencontre l’équipe des économistes de Syriza en mai 2013

En mai 2013, à Athènes, Varoufakis fait connaissance avec l’équipe d’économistes de Tsipras.

  • « Outre Pappas et Dragasakis, ministre des Finances fantôme, elle comprenait deux autres députés Syriza que je connaissais et que j’aimais bien : Euclide Tsakalotos, collègue et ami de l’Université d’Athènes, et George Stathakis, professeur d’économie de l’Université de Crète. »

Il explique qu’il leur a soumis la proposition de programme que Tsipras lui avait demandée.

  • « Ils étaient tous en ébullition, ce qui montrait que j’avais réussi à dissuader Alexis de viser le Grexit et de le brandir comme une menace. J’ai perdu beaucoup d’amis de la gauche au sens large et de Syriza, qui ne m’ont jamais pardonné d’avoir contribué à exclure le Grexit des objectifs de Syriza. En revanche, la garde rapprochée des économistes d’Alexis avait à cœur de trouver une solution viable au sein de la zone euro. »

Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »

Je reviens avec un témoignage personnel qui a trait à la deuxième réunion de travail que j’ai eue avec Tsipras. Elle s’est déroulée à Athènes fin octobre dans son bureau de député dans l’enceinte du parlement grec. Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Équateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et, bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais, dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest et des conditions de remboursement très avantageuses. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise. Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait de mon interview que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014 quasiment le jour où la réunion avec Tsipras a eu lieu. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime […] mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale |14|. »

Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014.

Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussions et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 |15|. Je me suis rendu compte dès ce moment que Tsakalotos n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Son plan était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.

La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement aux années 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.

Revenons au récit présenté par Varoufakis. Quelques jours après la rencontre que j’ai eue fin octobre à Athènes avec Tsipras, celui-ci s’est rendu au Texas à un séminaire organisé par Varoufakis et son ami et collègue James Galbraith.

Novembre 2013, Varoufakis organise la venue de Tsipras à l’université Lyndon B. Johnson à Austin, au Texas

  • « En novembre 2013, Jamie et moi avons organisé un colloque de deux jours à l’Université du Texas sur le thème « La zone euro peut-elle être sauvée ? » Alexis, Pappas et Stathakis, très attendus, devaient intervenir. Le but était de présenter les trois dirigeants de Syriza à quelques figures des élites européenne et américaine, à des dirigeants de syndicats, des universitaires et des journalistes. […]
  • Au cours du colloque, Pappas et lui ont assisté à un débat particulièrement houleux entre ma pomme et Heiner Flassbeck, un économiste allemand de gauche, ancien ministre des Finances du gouvernement Schroeder. Flassbeck affirmait qu’il était impossible de libérer la Grèce de sa prison pour dettes tout en la maintenant dans la zone euro. Un gouvernement Syriza devait viser le Grexit, disait-il, en tout cas c’était la meilleure menace à brandir contre ses créanciers – c’était d’ailleurs le point de vue de la Plateforme de gauche, une faction de Syriza qui comptait parmi ses membres un tiers du comité central du parti. Ce jour-là, à Austin, j’ai acquis la conviction qu’Alexis n’était pas d’accord avec cette analyse ; si quelqu’un menaçait le pays du Grexit, ça devait être la troïka, pas Syriza. »

Juin 2014, nouvelle rencontre avec l’équipe des économistes de Tsipras

« Ce mois de juin 2014, rentré en Grèce pour les vacances d’été, j’ai retrouvé Alexis et sa petite bande d’économistes pour les prévenir qu’une nouvelle menace se profilait. » Varoufakis explique qu’il les a mis en garde contre l’action que la BCE comptait mener à partir de début 2015 : fermer le robinet des liquidités aux banques de certains pays de la zone euro et ne leur ouvrir que le robinet des liquidités d’urgence. Cela visait notamment la Grèce.

  • « Deux jours plus tard, j’ai eu un nouveau rendez-vous avec Alexis et Pappas.
  • – Tu te rends compte que tu es le seul à pouvoir superviser la mise en œuvre de la stratégie que tu proposes ? m’a demandé Pappas. Tu es prêt ? »
  • Varoufakis continue : « Une semaine plus tard, Wassily Kafouros, un ami que j’avais connu quand j’étais étudiant en Angleterre, a semé de nouveaux doutes dans mon esprit. D’après lui, j’étais la dernière personne à ignorer que Dragasakis était extrêmement proche des banquiers.
  • – Quelle preuve tu as, Wassily ?
  • – Je n’ai pas de preuves mais ça se sait, il est connu pour entretenir d’excellentes relation avec les banquiers, depuis son passage au Parti.
  • Je pensais que c’était une accusation infondée »

Varoufakis montrait clairement sa méconnaissance de Syriza et de ses dirigeants. En effet, Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même avait été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza était une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques avaient relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au PASOK dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. Alors qu’avant janvier 2015, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, était… Dragasakis. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie à l’époque. Dragasakis était clairement opposé à ce qu’on touche aux intérêts des banques privées grecques, il était également opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement. Il était favorable au maintien dans la zone euro.

Août 2014, les doutes sur Dragasakis et la volonté de changer le programme de Syriza

En août 2014, Varoufakis finit par faire part de ses doutes sur Dragasakis.

  • « – Ecoute, Alexis, j’ai entendu dire que Dragasakis est extrêmement proche des banques. Et, plus généralement, qu’il ferait semblant de trouver une issue, alors qu’il cherche à maintenir le statu quo.
  • Il ne m’a pas répondu tout de suite. Il a regardé au loin vers le Péloponnèse avant de se retourner en lâchant :
  • – Non, je ne pense pas. C’est bon.
  • J’étais déconcerté par son laconisme. Est-ce parce qu’il avait aussi des doutes mais préférait croire à la probité d’un camarade plus âgé ? Était-ce une façon d’ignorer ma question ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Sur le moment il m’a dit que je n’avais pas le choix : de toute façon, je serais amené à jouer un rôle essentiel dans les négociations. »

Varoufakis confirme que Tsipras peut compter sur lui mais pose une condition : il veut pouvoir intervenir dans l’élaboration du programme économique de Syriza avant les élections. Tsipras accepte.

Varoufakis : contre le programme de Thessalonique de septembre 2014

« Un mois plus tard, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. » Varoufakis fait une déclaration publique pour critiquer durement le programme et s’attend à ce que cela mette fin à la collaboration avec Tsipras.

Coup de théâtre, Pappas lui téléphone, gai comme un pinson, comme si de rien n’était en lui proposant une nouvelle rencontre. Varoufakis exprime son étonnement et Pappas lui répond : « – Arrête, ça ne change rien. Le Programme de Thessalonique était un cri de ralliement pour nos troupes. Pas plus. On compte sur toi pour mettre en forme le vrai programme économique de Syriza. » Varoufakis consent dans ces conditions à poursuivre la collaboration et finira par accepter de devenir ministre des Finances. Il explique qu’à la réunion au cours de laquelle il a donné son accord, l’échange suivant a eu lieu :

  • « – Comme vous le savez, j’ai de sérieuses réserves sur le Programme de Thessalonique. J’ai même très peu de respect pour ce programme. Puisqu’il a été présenté au peuple grec comme votre profession de foi économique, je ne vois pas comment je pourrais, en toute honnêteté, endosser la responsabilité de le mettre en œuvre en tant que ministre des Finances.
  • Pappas a sauté sur l’occasion pour me dire et me redire qu’en aucun cas je ne devais considérer ce programme comme une contrainte.
  • – Tu n’es même pas membre de Syriza.
  • – D’accord, mais vous ne vous attendez pas à ce que je le devienne si j’accepte le poste ?
  • – Non, en aucune façon, est intervenu Alexis, dont la réponse était très étudiée. Je ne veux pas que tu sois membre de Syriza. Je ne veux pas que tu pâtisses des prises de décision collectives longues et alambiquées du parti. »

Conclusion

Varoufakis était un électron libre, sans influence dans Syriza (il n’en était pas membre). Tsipras considérait qu’il pourrait, en cas de nécessité, le démissionner sans provoquer de grands remous dans le parti. Le profil de Varoufakis correspondait au casting défini par Tsipras et Pappas : économiste universitaire, brillant, bon communicateur maniant la provocation et la conciliation avec le sourire, dominant parfaitement l’anglais.

Alexis Tsipras a décidé de fonctionner en petit comité dans le dos de son propre parti plutôt que de mettre en pratique une orientation politique décidée de manière collective au sein de Syriza et approuvée démocratiquement par la population grecque. Nommer Yanis Varoufakis ministre des Finances et lui recommander de ne pas devenir membre de Syriza correspondait à une logique de gouvernance technocratique selon laquelle la responsabilité de Varoufakis ne pourrait être engagée ni devant Syriza, ni devant les électeurs grecs, mais uniquement devant Alexis Tsipras et son petit cercle. Il est évident que l’absence de participation populaire et de mécanismes démocratiques dans l’élaboration de l’orientation politique allait à l’encontre de la nécessité, pour un gouvernement de gauche, de faire appel à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire. Le rappel des événements intervenus entre 2011 et fin 2014 est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015.

Fin de la troisième partie de la série « Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même »


Partie 1 : Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
Partie 2 : Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 3, p. 57. Toutes les citations proviennent des chapitres 3 et 4. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Voir le texte de cette lettre dans James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Le Seuil, 2016, http://www.seuil.com/ouvrage/crise-…

|3| « Ouvrez les livres de comptes de la dette publique ! » http://cadtm.org/Ouvrez-les-livres-de-compte-de-la

|4| http://cadtm.org/Commission-Internationale-d-audit

|5| En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en termes de tirage (100 000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?ca… Voir la version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi

|6| Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon…. , publié le 11 avril 2011

|7| Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy ». http://cadtm.org/Dette-les-grecs-et-la-Debtocracy, publié le 13 juillet 2011.

|8| Voir le diaporama de mon exposé : Eric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_C… . Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Éric Toussaint, « Huit propositions urgentes pour une autre Europe », publié le 4 avril 2011, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour

|9| Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs clés de Syriza y apparaissent. Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) :
Introduction. Section 1 – Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révélé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclide Tsakalotos (ministre des finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective

Section 2 – The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU – The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.

Section 3 – Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union – Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles

Section 4 – The PIGS as (Scape) Goats. Portugal – Marianna Mortagua
Ireland – Daniel Finn
Greece – Eric Toussaint
Spain – Javier Navascues
Hungary – Tamas Morva

Section 5 – Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yannis Dragasakis (vice-premier ministre des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les institutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Populaire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.

Section 6 – The Crucial Role of the European Left – Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.

Le livre est disponible en PDF : http://www.cadtm.org/Public-Debt-an…

|10| Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels. Elle soutient Unité populaire depuis août-septembre 2015.

|11| Daniel Munevar a également participé à cette discussion. Il a fait partie de l’équipe des conseillers de Varoufakis lorsque celui-ci était ministre des Finances.

|12| Source http://links.org.au/node/2888 (traduction en français à partir de l’anglais)

|13| Voir Éric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Le-peuple-grec-se

|14| Voir « L’appel d’Alexis Tsipras pour une Conférence internationale sur la dette est légitime », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014.

|15| Euclide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume-Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupait toujours cette fonction début 2017 dans le gouvernement Tsipras II.

http://www.cadtm.org/Comment-Tsipras-avec-le-concours

Falsifications des statistiques grecques- procès Georgiou

Grèce  : le procès Georgiou ou l’affaire de la falsification des statistiques grecques pour justifier l’intervention de la Troïka   17 août par Constantin Kaïmakis

CC – Flickr – Ken Teegardin

Un procès sans fin

Ce n’est pas moins de 4 ans d’instruction judiciaire, deux procès initiaux et une réouverture du dossier que vient de clore la condamnation d’Andréas Georgiou. En effet, le 1er août 2017, le Tribunal correctionnel d’Athènes a condamné cet ancien Directeur de l’office des statistiques grecques (Elstat) à deux ans de prison avec sursis pour «  manquement au devoir  ». Voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1 août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission européenne) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. |1| »

Comme l’écrit Éric Toussaint : « Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. » « Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17). |2| »

Le travail d’expertise de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque

La Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques. La trentaine d’experts qui ont travaillé à ce remarquable travail de vérité font notamment état de l’évolution et de l’histoire de la dette grecque. Ils démontrent avec minutie comment Papandréou a dramatisé la situation de la dette et du déficit pour justifier une intervention étrangère qui apporterait suffisamment de fonds pour répondre à la situation des banques. C’est là qu’interviennent les faux chiffres et les méthodes douteuses d’A. Georgiou à Elstat. Georgiou a créé de toutes pièces les éléments qui ont permis de «  gonfler  » artificiellement les chiffres du déficit et de la dette publique grecs. Les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ont décrit ces falsifications :
- les falsifications concernant les obligations des hôpitaux publics qui ont ainsi permis d’augmenter une première fois le déficit ;
- les falsifications portant sur 17 entreprises grecques et sur les organismes publics comme les services de l’électricité, le téléphone et les télécoms, le rail, la télévision publique etc, qui ont permis d’augmenter à nouveau le déficit ;
- enfin les fameux swaps de Goldman Sachs (contrats d’échanges de taux d’intérêts) qui sont venus gonfler rétroactivement les chiffres de la dette à compter de 2009.

Ainsi la falsification des statistiques est directement liée à la dramatisation de la situation budgétaire et de la dette publique. Cela a été fait pour que l’opinion publique en Grèce, en Europe et au niveau international soient convaincue de la nécessité d’un « plan de sauvetage » de l’économie grecque en 2010, avec toutes les conditions strictes et conséquences sociales imposées à la population du pays. Les parlements des pays européens ont voté pour le « sauvetage » de la Grèce en s’appuyant sur ces statistiques falsifiées.

Sous prétexte de fournir une aide à la Grèce, dans le cadre de la solidarité, on a en fait masqué la socialisation des pertes bancaires.

Tant par son style que ses méthodes, Andréas Georgiou a été mis en cause, notamment par son administration. Les chiffres sont contestés, et pour les vérifier on va créer un conseil d’administration de sept membres. Les relations entre Georgiou et ce conseil sont difficiles voire inexistantes : il ne les réunit pas et ne les informe pas. Ce CA va être dissous, et ses membres remerciés. Deux d’entre eux décident de témoigner devant la commission pour la vérité contre leur ancien chef ; c’est le cas notamment de Zoé Georgantou, universitaire reconnue. Elle estime qu’Andreas Georgiou aurait gonflé les chiffres du déficit à dessein en y incluant par exemple les dettes des hôpitaux publics.

Un soutien inconditionnel de la Commission européenne

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales, a affirmé que «  les données sur la dette grecque pour la période de 2010 à 2015 ont été fiables et communiquées avec exactitude  ». Dans cette situation, la justice grecque avait estimé en décembre 2016 qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour envoyer Georgiou devant le tribunal… Mais un courageux procureur de la Cour suprême, Xeni Dimitriou a demandé le réexamen de l’affaire. A l’issue d’un nouveau procès, Georgiou a donc été condamné le 1er août 2017. Ses avocats et lui-même ont fait savoir qu’ils feraient appel.

La porte-parole de la Commission européenne, Mme Annika Breidthardt, a renouvelé son soutien total à Georgiou en déclarant que cette décision n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et a réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’Elstat au cours de la période 2010-2015 et au-delà ». Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, dans une interview au Financial Times a déclaré que « l’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres est un pilier important du fonctionnement de l’euro et un des éléments qui construisent la confiance entre les pays-membres de la zone euro ». Il en est de même de toute la nomenclature européenne qui clame son soutien à Georgiou via les Moscovici, Mario Draghi et autres… La pression des autorités européennes est constante soit de façon formelle soit via les médias européens. Et le prochain Eurogroupe de septembre 2017 envisage même d’en parler.

Rappelons que le gouvernement d’Alexis Tsipras a déjà plié devant les exigences des dirigeants européens dans une autre affaire. Voici ce qu’écrivait Maria Malagardis du quotidien français Libération à propos de l’abandon de poursuites contre trois experts techniques de Taiped, l’organisme mis en place pour gérer les privatisations http://www.cadtm.org/La-justice-ou-l-argent-L-etrange). Trois experts étrangers faisaient en effet, jusqu’à très récemment, l’objet de poursuites pénales :

« En cause : la manière dont a été gérée en 2014 la vente de 28 biens immobiliers concernant un grand nombre de ministères et d’installations publiques. Prix total de la transaction au profit de deux opérateurs privés (Eurobank Property et Ethniki Pangaea) : 261 millions d’euros.
Afin d’éviter le déménagement des nombreux services concernés, il avait été prévu que les nouveaux propriétaires loueraient ces bâtiments à ceux qui les occupent. Pendant vingt ans. A l’issue de cette période, l’État grec pourrait racheter ces propriétés, au prix courant du marché.

Sauf qu’un groupe d’avocats du Pirée va contester cette transaction et montrer comment le prix total de vente déjà sous-évalué, selon eux, se révélait de surcroît nettement inférieur au total des loyers encaissés au cours de la période concernée (580 millions d’euros). L’État grec était donc perdant, ont-ils estimé, conclusion reprise par le parquet dans un réquisitoire de 200 pages.

De surcroît, les heureux acquéreurs ont bénéficié d’une clause supplémentaire qui prévoit que le rachat éventuel par l’État grec serait exempté de toute taxe ou impôt. Autant de pertes supplémentaires pour le Trésor.

À l’issue de l’instruction préliminaire, des poursuites ont donc été engagées. Notamment contre un Espagnol, une Italienne et un Slovaque, tous conseillers auprès de Taiped à l’époque des faits. Rappelons que Taiped ne rend de comptes ni au Parlement grec, ni au gouvernement, sur la manière dont il gère les privatisations. Un vrai modèle de transparence donc.

Mais après l’annonce des poursuites, les membres de l’Eurogroupe, ont exigé et obtenu en 2016 l’impunité des membres de Taiped. Restait à éteindre l’action en justice.

Dès le 15 juin à Luxembourg, au moment où se finalisait l’accord pour les 8,5 milliards d’euros, le ministre des Finances espagnol, Luis de Guindos avait tapé du poing sur la table, en menaçant de bloquer l’aide si les poursuites n’étaient pas abandonnées. Visiblement, les représentants grecs ont dû donner ce jour-là quelques garanties sur leurs capacités à bloquer l’action de la justice, puisque l’argent fut débloqué. D’ailleurs, moins de deux semaines plus tard, la Cour suprême grecque, sollicitée par les avocats des trois experts, annulait purement et simplement les poursuites. »

Les ingérences des créanciers de la Grèce dans les affaires de justice a amené l’Union des juges et des procureurs de Grèce à vivement réagir dans un communiqué : « Les autorités judiciaires grecques et les lois grecques doivent traiter sur un pied d’égalité tous les citoyens indépendamment des relations spéciales que ces derniers pourraient avoir avec des services relevant de la Commission européenne. L’interprétation correcte et l’application des lois sont confiées par la Constitution aux institutions judiciaires dont le jugement ne doit pas être influencé par des tendances politiques, des pressions ou des incitations ». Et de conclure : « L’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres peut certes constituer un pilier important de l’union économique et monétaire selon la Commission, mais l’indépendance et la liberté de jugement des juges et des procureurs d’un pays sont la pierre angulaire du régime démocratique ».

À noter que, depuis début août 2017, Elstat a supprimé la parution des données flash sur le PIB grec… La raison ? Les données ne seraient pas fiables… tiens donc !

Pour terminer sur une note positive qui s’ajoute à celle de la condamnation de Georgiou, en juillet 2017, un ex-ministre socialiste a été condamné vendredi par un tribunal d’Athènes à huit ans de prison avec sursis pour « blanchiment d’argent » provenant de pots-de-vin versés par l’entreprise allemande Siemens pour la signature en 1997 d’un contrat avec la société grecque de télécommunications OTE |3|.

Notes

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