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E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 6eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

Partie 6 11 février par Eric Toussaint

Avertissement : La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances |1|. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans les jours et les semaines qui suivent l’agression de la BCE contre la Grèce, le 4 février 2015, se déroulent d’intenses négociations qui amènent à l’accord funeste du 20 février, confirmé le 24 février. Par cet accord qui prolongeait de quatre mois le deuxième mémorandum rejeté par la population grecque, le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est engagé à rembourser tous les créanciers selon le calendrier prévu (pour un total de 7 milliards € entre février et fin juin 2015, dont 5 milliards au FMI) et à soumettre à l’Eurogroupe de nouvelles mesures d’austérité et de privatisations.

Nous allons suivre et analyser le film des évènements dans cette partie. La narration par Varoufakis des négociations avec l’Eurogroupe mérite d’être connue et je vous encourage à la lire en entier.

Lire les précédents articles de la série :

  1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
  2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique
  3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
  4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
  5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

Le 5 février 2015, Yanis Varoufakis, accompagné d’Euclide Tsakalotos, est à Berlin afin de rencontrer d’une part Wolfgang Schäuble |2|, son homologue allemand, et d’autre part Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie dans le cadre de la grande coalition entre la CDU-CSU d’Angela Merkel et le SPD.

Le contact avec Schäuble commence mal car celui-ci refuse de lui serrer la main. Varoufakis met en avant les deux points suivants : « Premier point, je ne demandais pas de radiation de la dette, et l’échange de dettes que je proposais bénéficierait à l’Allemagne et à la Grèce. Deuxième point, j’ai insisté sur ma détermination à traquer les fraudeurs et faire passer des réformes pour encourager l’entreprenariat, la créativité et la probité dans la société grecque » |3|.

Varoufakis explique que la relation s’est détendue, Schäuble lui proposant de se tutoyer et de lui envoyer cinq cents inspecteurs du fisc allemand. « Je l’ai remercié pour sa générosité, mais j’avais peur qu’ils se découragent en réalisant qu’ils ne pouvaient déchiffrer ni les déclarations de revenus ni les papiers nécessaires. En revanche j’avais une idée : et s’il nommait le secrétaire général de l’administration fiscale de mon ministère ? » |4|

Varoufakis précise qu’il s’agissait de sa part d’une proposition tout à fait sérieuse. Il en a profité pour expliquer à Schäuble quelque chose que le ministre allemand savait certainement déjà : à savoir qu’au sein du ministère grec des Finances, le service de collecte des impôts avait été confié à une personne du privé. Varoufakis explique : « la personne qui en était responsable n’était ni nommée par moi ni redevable devant moi ou mon Parlement, même si c’était à moi de rendre compte de son action quotidienne. Voilà donc ce que je lui proposais : il choisirait un administrateur fiscal allemand aux références irréprochables et à la réputation intacte qui serait nommé sur-le-champ et responsable devant lui et moi ; si il ou elle avait besoin de renfort de son ministère, je n’y voyais aucun inconvénient. » Sur ce point, Varoufakis propose une solution qui constituerait, si elle était appliquée, un abandon encore plus important de souveraineté, et cela directement au profit du gouvernement allemand.

Mais Schäuble n’était pas intéressé et passe au sujet qui est au cœur de toute sa stratégie et de ses motivations profondes : « sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providences avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » |5|

Si Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras avaient pris au sérieux le message que voulait faire passer Schäuble et que son homologue italien avait déjà transmis à Varoufakis deux jours plus tôt, lors de son passage à Rome, ils auraient compris que la proposition d’échanges de dettes n’avait aucune chance de convaincre le gouvernement allemand et tous les gouvernements de la zone euro qui font de l’augmentation de la compétitivité (au profit des grandes entreprises privées exportatrices) leur objectif principal |6|. L’enjeu central pour eux est de baisser, partout en Europe, les salaires, les retraites et les allocations sociales, de précariser les contrats, limiter le droit de grève, réduire les dépenses sociales dans les dépenses de l’État, privatiser, etc. Si la proposition de Varoufakis avait été acceptée, elle aurait permis au gouvernement grec de desserrer l’étau de la dette. Or, le gouvernement allemand et la plupart des autres gouvernements de la zone euro (sinon tous) ont besoin de l’étau de la dette pour imposer la poursuite de l’application de leur modèle et se rapprocher des objectifs qu’ils se sont fixés. Ils souhaitaient aussi ardemment faire échouer le projet de Syriza afin de démontrer aux peuples des autres pays qu’il est vain de porter au gouvernement des forces qui prétendent rompre avec l’austérité et le modèle néolibéral.

Pour imposer des reculs sociaux, les dirigeants européens disposent également de la monnaie unique, l’euro, car elle permet d’imposer ce qu’on appelle la dévaluation interne |7| qui consiste principalement à réduire les salaires.

Syriza n’avait pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, par contre le gouvernement de Tsipras avait un mandat très clair pour agir afin d’effacer la majeure partie de la dette publique. Donc il était fondamental de donner la priorité à cet objectif. Varoufakis et le noyau dirigeant autour de Tsipras ont décidé de contourner ou d’abandonner tout de suite cet objectif.

Avant que l’entretien ne se termine, Varoufakis prend le temps de présenter ses arguments en faveur d’un échange de dette et remet à Schäuble la proposition écrite qu’il a déjà défendue à Paris, Londres, Rome et Francfort. Selon Varoufakis, Schäuble n’a pas daigné jeter un œil sur son document. Il l’a automatiquement donné à un de ses Secrétaires d’État en l’informant que c’était pour les « institutions » de la Troïka.

Ensuite, ils ont donné ensemble une conférence de presse. Schäuble, écartant la possibilité d’un terrain d’entente, a déclaré tout de go : « Nous sommes d’accord pour dire que nous ne sommes pas d’accord » (p. 220).

Puis, après une boutade, Varoufakis a adopté un ton œcuménique : « Je suis d’abord venu voir un homme d’État européen pour qui l’unité de l’Europe est un projet de longue date, un homme dont je suis avec intérêt les efforts et le travail au service de cette unité depuis les années 1980. » Au cours de son intervention il a précisé : « Quant aux défis de l’UE en général, je lui ai proposé de respecter les traités et les procédures existants sans attenter au fragile bourgeon de la démocratie » (p. 221). Comment peut-on sérieusement imaginer que le respect des traités et des procédures de l’UE est compatible avec l’éclosion du fragile bourgeon de la démocratie ? L’ensemble de l’ouvrage de Varoufakis démontre d’ailleurs que le carcan de l’UE portait atteinte à la démocratie grecque.

Il ne fallait pas invoquer, du côté grec, le respect des traités car cela donnait un argument très fort aux dirigeants européens pour exiger leur application par Athènes. C’était à éviter absolument car les deux mémorandums signés par la Grèce en 2010 et en 2012 avaient valeur de traités internationaux.

Il faut signaler encore que selon Varoufakis, lors de la conférence de presse, un journaliste allemand lui a demandé si, en tant que ministre, il allait rappeler à Schäuble que le gouvernement allemand était tenu d’extrader vers la Grèce Michael Christoforakos, l’ancien dirigeant de la filiale grecque de Siemens.
Il était avéré que Michael Christoforakos avait soudoyé, pour le compte de Siemens, des politiciens grecs en vue d’obtenir des contrats d’État. Les autorités grecques avaient tenté de l’arrêter, mais Christoforakos s’était enfui en Allemagne où il avait été arrêté. Depuis, les tribunaux allemands refusent de l’extrader vers la Grèce.

Varoufakis explique qu’il était scandalisé par le fait que les autorités allemandes refusent de remettre Christoforakos à la justice grecque mais qu’il ne pouvait pas l’exprimer comme cela lors d’une conférence de presse |8|. Dès lors, il a répondu au journaliste : « Je suis sûr que les autorités allemandes sauront aider un État fragilisé à se battre contre la corruption. Je compte sur mes collègues allemands pour comprendre qu’il n’est pas question d’avoir deux poids deux mesures où que ce soit en Europe » (p. 222-223).

Le rendez-vous qui a suivi avec Sigmar Gabriel, vice-chancelier, ministre de l’Économie et dirigeant SPD, fait penser à la rencontre avec Michel Sapin qui avait eu lieu le 1er février (voir la partie 5). Gabriel lui déclare qu’il fait cause commune avec le gouvernement de Syriza, puis tient un tout autre discours devant la presse. « Je n’avais droit qu’à des remarques agressives sur mon gouvernement et une interprétation rigoriste des obligations vis-à-vis de nos bailleurs de fonds. Cerise sur le gâteau, Gabriel a même osé parler de la « souplesse » de la troïka » (p. 225).

En réponse : « j’ai tranquillement servi mon baratin sur notre détermination à trouver un équilibre durable grâce à des propositions raisonnables pour revoir le plan de la troïka qui était un échec… » (p. 225).

De retour à Athènes

6 février. À partir du 6 février, Varoufakis se met au travail avec ses collaborateurs (pour une présentation de l’équipe dont Varoufakis s’était entouré, voir Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers) pour préparer la première réunion de l’Eurogroupe à laquelle le gouvernement de Tsipras était invité et qui se tiendrait à Bruxelles le 11 février. « Pendant trois jours et trois nuits, le cinquième étage du ministère a été un va-et-vient incessant d’envoyés de Lazard, de mes associés les plus proches, notamment Glenn Kim et Elena Panaritis » (p. 227). James Galbraith qui venait d’arriver des États-Unis s’est joint à cette équipe.

Simultanément, Varoufakis s’immerge dans l’activité parlementaire et participe à la première réunion du gouvernement au complet. Le 6 février, il se rend au parlement afin de participer comme député à l’élection de la nouvelle présidente du parlement. « L’élection de Zoe Konstantopoulou, députée Syriza intransigeante, au poste de Présidente du Parlement était un symbole. Au cours des deux législatures précédentes, c’est elle qui avait démontré que les méthodes employées pour faire voter les lois imposées par la troïka violaient les procédures usuelles. J’avais été heureux de voter pour elle parce que c’était un signal : plus jamais le Parlement ne serait réduit à donner son blanc-seing à sa propre servitude » (p. 229).

C’est la seule fois où le nom de Zoé Konstantopoulou est mentionné dans le livre de Varoufakis, qui fait plus de 500 pages. À aucun moment, Varoufakis ne fait mention de la création et du travail de la commission d’audit de la dette grecque alors qu’il s’est rendu à sa séance inaugurale le 4 avril 2015 (Voir aussi Chronique des interventions de l’exécutif grec au Comité d’audit de la dette grecque et Acte officiel de création de la Commission de la Vérité sur la Dette publique). Il ne mentionne pas non plus la commission sur les réparations de guerre réclamées à l’Allemagne par la Grèce. Alors que Zoé Konstantopoulou a déployé une intense activité, qu’elle a essayé de contribuer à redonner du sens à l’activité parlementaire, qu’elle a pris part à des discussions publiques et internes concernant les choix à faire, il n’en dit rien.

C’est également tout à fait frappant qu’il ne mentionne qu’une fois dans son livre le nom et l’action de sa vice-ministre, Nadia Valavani, qui était en charge notamment de l’important dossier des dettes fiscales à l’égard de l’État. Nadia Valavani est une figure de premier plan de la résistance à la dictature des colonels, elle a payé de sa personne son engagement. En tant que vice-ministre, elle a accompli un énorme labeur |9|. Alors qu’une personne comme Elena Panaritis est mentionnée plus d’une quarantaine de fois par Varoufakis, Valavani n’a droit qu’à une mention à propos de la finalisation du projet de loi de réponse à la crise humanitaire.

7 février. Première réunion du gouvernement au grand complet

 « Samedi matin, 7 février, j’ai assisté à ma première réunion de Cabinet. » On peut imaginer que Varoufakis parle de la première réunion du gouvernement au grand complet, mais cela n’est pas sûr. Ce n’est qu’une supposition. À propos de cette réunion, il poursuit : « J’avais en tête la fameuse phrase d’Oscar Wilde à propos de la démocratie : « Elle est impraticable, elle est à l’encontre de la nature humaine. C’est pourquoi il vaut la peine de l’appliquer. » Après avoir perdu quelques heures précieuses dans cette réunion très cérémonielle, où trop de gens ont trop longtemps parlé, j’ai foncé au bureau où les conseillers de Lazard et mes associés travaillaient sur les trois non papers [ce sont des documents de travail sans statut officiel. Note de l’auteur] que je comptais emporter à Bruxelles » (p. 231). C’est tout ce que Varoufakis nous dit de cette réunion. Le côté lapidaire de ce commentaire sur la première réunion du gouvernement en dit long sur la façon dont Varoufakis perçoit la manière de faire la politique et sur son dédain ou son incompréhension à l’égard des batailles qu’il faudrait mener à l’intérieur d’un gouvernement, comme dans l’ensemble de la société, si on veut pratiquer la démocratie. Varoufakis s’est cantonné, sans tentative de décloisonnement alors, et sans remise en cause de cette attitude aujourd’hui, dans l’entre-soi du cercle hermétique que Tsipras avait construit autour de lui et auquel il était convoqué quand le prince le jugeait nécessaire.

Lundi 9 février. Varoufakis ne montre pas non plus réellement d’intérêt pour les débats au parlement grec. La seule fois où il en parle d’une manière un tant soit peu développée, c’est lors de la session du Parlement, tenue les lundi 9 et mardi 10 février, où il a présenté et défendu les propositions qu’il ferait au cours de la réunion de l’Eurogroupe qui allait se tenir deux jours plus tard à Bruxelles.

« Demain je serai avec mes collègues de l’Eurogroupe à qui j’affirmerai que nous acceptons le principe de continuité entre les engagements des gouvernements précédents et le mandat du nôtre » (p. 233). C’est inacceptable du point de vue du mandat que les électeurs ont donné au gouvernement lors des élections du 25 janvier. Le programme de Thessalonique qui constituait la référence de Syriza pendant la campagne électorale disait « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction » (voir l’encadré sur le programme de Thessalonique dans la partie 5). Si les mots ont un sens, cela veut dire que Tsipras s’engageait comme chef du gouvernement à affirmer à l’Eurogroupe et partout ailleurs que son gouvernement refusait le principe de la continuité des engagements pris par les gouvernements précédents en ce qui concerne les mémorandums. Il ne s’agit pas seulement du sens des mots, mais de l’application effective d’une politique de changement. Varoufakis, en affirmant le principe de la continuité sans faire la moindre exception, enfermait la négociation dans le cadre étroit et coercitif de l’application du mémorandum. Et c’est malheureusement ce qui allait se passer, notamment en raison de ce premier renoncement à appliquer le programme pour lequel Syriza avait été porté au gouvernement.

Il faut lire attentivement le raisonnement de Varoufakis qui conduisait à la capitulation : « Le document qui présentait le plan de la Troïka, ce qu’on appelle un Memorandum of Understanding (MoU), établissait une liste des réformes (austérité étudiée, suppression d’avantages sociaux, privatisations ciblées, changements administratifs et judiciaires et ainsi de suite) auxquelles le gouvernement précédent s’était engagé, ainsi que les conditions (ou conditionnalités, pour le dire comme la troïka) à remplir pour le second prêt de renflouement. Il était impossible de les remplir entièrement puisqu’elles impliquaient une souffrance disproportionnée par rapport aux bénéfices, et 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus.

Toutefois, en examinant de près ce MoU en 2012, j’avais compris que pas mal de mesures pouvaient être appliquées sans provoquer trop de ravages sociaux. Il était donc stratégique de les accepter, ce qui revenait à 70 % du MoU, en échange de ce que nous exigions, et en refusant les mesures franchement toxiques des 30 % restants » (p. 234). Cette position dans la négociation constituait un abandon de l’engagement du programme de Thessalonique de remplacer le mémorandum par un plan de reconstruction. Il dit avoir déclaré au parlement : « Comme nous sommes des partenaires raisonnables, nous inclurons dans notre agenda de réformes jusqu’à 70 % de mesures du programme existant » (p. 234).

Il précisait, dans cette logique de la soumission, l’annonce suivante : « Au cours des négociations je m’engage à ne faire passer aucune loi qui dévierait de notre objectif : atteindre un minimum d’excédent budgétaire primaire » (p. 233). Cela signifiait que le ministre des Finances s’opposerait à toute loi, aussi bonne et nécessaire soit-elle, si l’impact budgétaire pouvait déboucher sur l’incapacité de dégager un excédent primaire |10|. C’est la dictature de l’excédent primaire qui se poursuit et qui est mortifère. Ce n’est pas théorique, c’est très pratique. Au moment où Varoufakis a dit cela, il savait que les créanciers, à commencer par la BCE, n’avaient pas l’intention de fournir des moyens financiers à la Grèce (comme mentionné plus haut, « 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus » et Varoufakis savait que la Troïka n’avait pas l’intention de verser les 10 % restants). Or, dans le programme de Thessalonique, la possibilité de dégager un excédent primaire était basée sur le fait que l’argent dû à la Grèce lui serait versé (il s’agissait notamment des 2 milliards de bénéfices de la BCE sur les titres grecs et du solde de ce que la Troïka devait verser à la Grèce dans le cadre du 2e mémorandum qui devait se terminer le 28 février 2015) |11|. Varoufakis savait que ce ne serait pas le cas, ce qui voulait dire en clair que la somme prévue pour combattre la crise humanitaire et relancer l’économie ne serait pas disponible si la Grèce ne s’engageait pas à respecter les engagements antérieurs : rembourser les créanciers (plus de 5 milliards à rembourser avant le 30 juin au FMI) et dégager un excédent primaire. Il s’est bien gardé de l’expliquer aux parlementaires, qui en majorité ne sont pas des économistes, et les a enfumés comme la plupart des ministres des Finances le font régulièrement.

« Ma tactique a soulevé un tollé : les partis classiques m’accusaient de ne pas céder assez à la Troïka, la gauche me fustigeait parce que je cédais trop » (p. 234).

Il concluait son introduction par des paroles fortes, qui allaient en fait s’appliquer très rapidement à la ligne qu’il avait présentée au Parlement en accord avec Tsipras : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Ce type de déclaration est typique de la démarche de Varoufakis et de Tsipras : adopter une attitude très modérée dans la négociation qui est secrète en multipliant les concessions tout en exprimant de manière répétée des paroles radicales fortes en public. Vu que les médias dominants, la Troïka, les partis grecs de droite, attaquaient Varoufakis et Tsipras comme des irresponsables gauchistes, l’illusion a fonctionné. Leur radicalité et leur volonté de résistance face à la Troïka apparaissaient incontestables |12|.

Dans le résumé de la présentation de sa politique au parlement grec, Varoufakis ne fait allusion à aucun moment à la revendication d’effacement de la majeure partie de la dette inscrite dans le programme de Thessalonique. Cela tranche avec le discours prononcé dans la même enceinte par Zoé Konstantopoulou lors de son élection comme présidente du parlement le 6 février 2015 : « Des initiatives (…) seront entreprises afin que le Parlement contribue de manière essentielle à promouvoir les revendications d’annulation de la majeure partie de la dette et de l’intégration de clauses de croissance et de garanties d’endiguement de la crise humanitaire et de secours à notre peuple. La diplomatie parlementaire n’est pas un cérémonial ni l’équivalent de relations publiques. Elle est un précieux outil qu’il est nécessaire de mettre en branle, pour ce qui est tant du Président que des commissions de relations internationales ou de commissions d’amitié, de sorte que l’affaire grecque, la demande d’une solution équitable et bénéfique pour notre peuple, par annulation de la dette et moratoire des remboursements soit l’objet d’une campagne interparlementaire de revendication vive, qui s’appuie sur l’information de vive voix des autres parlements et assemblées parlementaires mais aussi des peuples européens qui se mobilisent déjà en solidarité de notre peuple » (voir le Discours prononcé par Zoé Konstantopoulou, lors de son élection en tant que Présidente du Parlement hellénique.). La présidente du Parlement grec avait raison d’insister sur la nécessité de déclarer un moratoire sur le remboursement de la dette afin d’obtenir l’effacement de la majeure partie de celle-ci. C’était une condition sine qua non du respect des engagements pris par Syriza et du démarrage des changements promis à la population.

10 février. Varoufakis cherche l’appui de l’OCDE. Le 10 février en soirée, Varoufakis a organisé la réception en grandes pompes d’une délégation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE). Angel Gurria, son secrétaire général, avait fait le déplacement à Athènes. On peut parfaitement comprendre l’intérêt pour un gouvernement de chercher à rompre la stigmatisation dont il faisait l’objet de la part de la presse internationale dominante et de la Troïka. Mais Varoufakis en remet une couche : « Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvés au palais Maximou en grande pompe face aux caméras du monde entier. Le Premier ministre accueillait le Secrétaire général de l’OCDE avec le vice-Premier ministre, Dragasakis, et le ministre de l’Économie, Stathakis, et moi. Une façon de montrer que le gouvernement Syriza travaillerait main dans la main avec le club des pays les plus riches pour soumettre un agenda pro-croissance (…). La contribution d’une institution mondiale aussi prestigieuse, qui adouberait l’agenda une fois finalisé, serait un excellent moyen pour parer aux critiques inévitables » (p. 235-236). Rappelons que l’OCDE est une organisation internationale qui participe directement à l’amplification des politiques néolibérales surtout en leur donnant une caution pseudo-scientifique |13|. Chercher à rompre la stigmatisation ne veut pas dire encenser des institutions hostiles à l’abandon des réformes structurelles néolibérales.

11 février. La première réunion de l’Eurogroupe avec le gouvernement grec.

Le témoignage de Varoufakis sur la composition et le fonctionnement de l’Eurogroupe est tout à fait utile et c’est une des raisons de prendre la peine de lire son livre.

« L’Eurogroupe est une drôle de créature. Les traités européens ne lui confèrent aucun statut légal, mais c’est le corps constitué qui prend les décisions les plus importantes pour l’Europe. La majorité des Européens, y compris les politiques, ne savent pas exactement ce que c’est, ni comment il fonctionne, mais je vais vous expliquer. Les participants s’installent autour d’une grande table rectangulaire, et les ministres des Finances de chaque pays se répartissent des deux côtés ». Il ajoute, et c’est essentiel : « le vrai pouvoir est aux deux bouts de la table. D’un côté, à ma gauche, était assis Jeroen Dijsselbloem. A sa droite, il avait Thomas Wieser, président du Groupe de travail et détenteur du vrai pouvoir à cette extrémité-là ; à sa gauche, se trouvaient les représentants du FMI, Christine Lagarde et Poul Thomsen. A l’autre extrémité de la table, était assis Valdis Dombrovskis, commissaire chargé de l’euro et du dialogue social, dont le vrai job était de superviser (au nom de Wolfgang Schäuble) Pierre Moscovici, assis à gauche de cet économiste letton. A la droite de Dombrovskis, Benoît Cœuré, puis Mario Draghi, qui représentaient la BCE. Du même côté que Draghi, mais sur la longueur et en angle droit par rapport à lui était assis Wolfgang Schäuble. Leur proximité créait des étincelles, mais jamais de lumière » (p. 237).

En quelque sorte, l’Eurogroupe est l’institutionnalisation de la Troïka car il réunit la BCE, le FMI, les ministres des Finances de la zone euro et les représentants de la Commission européenne.

« Les réunions de l’Eurogroupe suivent un rituel qui montre à quel point la troïka et ses usages ont fait main basse sur la gouvernance de l’Europe continentale » (p. 237).

« Chaque fois qu’un thème est abordé – par exemple, le budget français, ou le développement des banques chypriotes –, Dijsselbloem l’annonce tout haut, puis invite chaque représentant des institutions à s’exprimer sur le sujet : Moscovici pour la Commission européenne, Christine Lagarde pour le FMI (ou Poul Thomsen si elle est absente), enfin, Mario Draghi pour la BCE (Benoît Cœuré intervenant les jours, rares, où Draghi n’est pas là). Une fois que chacun des représentants non élus a donné le la en livrant sa déclaration et en énonçant les termes de la discussion, les ministres élus peuvent s’exprimer. A chaque réunion à laquelle j’ai assisté ou presque, les ministres n’ont eu droit à aucun temps réservé pour présenter un exposé substantiel sur le sujet débattu » (p. 237-238).

Selon Varoufakis : « l’Eurogroupe n’est là que pour permettre aux ministres de valider et légitimer les décisions prises en amont par les trois institutions » (p. 238).

Varoufakis précise qu’il était accompagné de Dragasakis et de Chouliarakis, le Président du Conseil des économistes (que Dragasakis avait placé dans l’équipe de Varoufakis).

« Notre gouvernement est ici pour mériter une monnaie très précieuse sans dilapider un bien capital important puisque nous devons mériter votre confiance sans perdre celle de notre peuple » (p. 238) (je souligne).

Il explique ensuite qu’il est très important pour le gouvernement grec de prendre de nouvelles mesures pour corriger les précédentes, injustes, et répondre à la crise humanitaire (réembaucher du personnel qui a été licencié, augmenter les retraites de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, rétablir le salaire minimum dans le secteur privé).

« Les membres de l’Eurogroupe pouvaient compter sur moi, dis-je, pour qu’aucune de ces micro-mesures n’ait d’impact budgétaire » (p. 239).

« [J]’ai mentionné notre lien avec l’OCDE et proposé de travailler étroitement avec le FMI et la BCE dans leurs domaines d’expertise » (p. 239).
Il explique que sur les privatisations, le gouvernement ne sera pas dogmatique. Certaines privatisations pourront avoir lieu.

Il exprime la volonté de créer une banque publique de développement et d’y ajouter une autre banque publique à créer en collaboration avec la BCE afin de prendre en charge les prêts non performants des banques privées.

Il prononce une phrase terrible dans la continuité de ce qu’il avait annoncé au parlement : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs » (p. 239)

Ensuite, il aborde la question de la dette : « La troïka exigeait que l’État grec en faillite verse presque 5 milliards d’euros au FMI avant juillet 2015, puis 6,7 milliards à sa propre banque centrale en juillet et août 2015. Je proposais que l’on commence par une mesure raisonnable : que la BCE verse à la Grèce les 1,9 milliards qu’elle lui devait pour les bénéfices de nos obligations SMP [c’est-à-dire les titres que la BCE avait achetés aux banques privées entre 2010 et 2012. Note d’Éric Toussaint]. Cet argent appartenait à la Grèce. Si les créanciers voulaient que nous les remboursions, nous y donner accès était le minimum. Proposer moins était nous inciter au défaut de paiement. »

Varoufakis ajoute, dans une note de bas de page, ce que nous avons expliqué dans la partie consacrée à son exposé au Parlement grec deux jours plus tôt, à savoir qu’il savait quand il a dit cela que « la Troïka avait décidé de garder cet argent ». Il le savait depuis la veille des élections grâce au document de Thomas Wieser, vice-président de l’Eurogroupe, qui leur était parvenu (chapitre 8, page 513, note 7). De mon côté, j’ai également relaté cela au début de la partie 5.

Bien sûr, Varoufakis avait raison de demander que cette somme de près de 2 milliards € soit versée au gouvernement grec.

Il conclut en précisant que le gouvernement grec souhaite « de vraies négociations, menées de bonne foi, pour créer un nouveau contrat, fondé sur un objectif d’excédent primaire réaliste, et des politiques structurelles efficaces et socialement équitables – y compris les nombreux éléments du programme précédent que nous acceptons. Nous avons besoin de garanties sur ce point précis  » (p. 240).

Puis il ajoute : « Une telle ouverture ne saurait être interprétée comme l’acceptation de la logique de l’agenda précédent, que les Grecs ont rejeté » (p. 240). Cette précision est totalement en contradiction avec une autre partie de son discours que nous avons citée lorsqu’il déclare : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs ».

Dans la discussion qui a suivi, Schäuble a tout de suite déclaré : « Des élections ne sauraient changer une politique économique » (p. 241). Il a été appuyé par les interventions des ministres des Finances des républiques baltes, de Slovénie, de Slovaquie, de Finlande, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Autriche, de l’Irlande…

Varoufakis dit avoir, dans sa réponse, déclaré : « si vous êtes d’accord avec Wolfgang, je vous invite à le dire explicitement en proposant que l’on suspende les élections dans les pays comme la Grèce jusqu’à ce que le plan prévu pour ce pays soit mené à bien » (p. 242).
Jeroen Dijsselbloem et Thomas Wieser (vice-président de l’Eurogroupe) refusent alors que les trois documents préparés par Varoufakis pour l’Eurogroupe soient distribués.

On en vient au projet de communiqué qui devait être publié à l’issue de la rencontre. Varoufakis raconte : « J’ai jeté un œil sur le texte et j’ai tout de suite vu qu’il était inacceptable : il engageait explicitement la Grèce à appliquer jusqu’au bout le second plan de renflouement en appliquant l’intégralité du MoU « avec une flexibilité maximum au sein du plan pour s’accorder aux priorités des nouvelles autorités grecques » » (p. 243).

Varoufakis demande que le mot « amendé » soit ajouté après le mot « plan ». Schäuble refuse cet amendement en disant que, si l’on amende le mémorandum, il faudra repasser par un vote du parlement allemand, ce qui n’est pas concevable.

Varoufakis refuse. En conséquence, on menace la Grèce : s’il n’y a pas d’accord sur un communiqué, la BCE coupera totalement les liquidités aux banques grecques à l’issue du second mémorandum, c’est-à-dire le 28 février. Varoufakis refuse cet ultimatum. Dijsselbloem lui propose de renoncer à proposer le mot « amendé » et de le remplacer par « ajusté ». Varoufakis accepte à condition que le texte mentionne qu’en Grèce, il y a une crise humanitaire. Dijsselbloem refuse. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, met la pression sur Varoufakis.

Varoufakis consulte alors par téléphone Tsipras et Pappas qui eux aussi étaient à Bruxelles, installés dans un hôtel dans l’attente de la réunion de leur premier sommet européen qui allait commencer le lendemain. La conversation dure une heure. Varoufakis raconte : « J’ai dû changer trois ou quatre fois d’avis, oscillant entre « Allez vous faire foutre ! » et « On accepte ce putain de communiqué et on se battra le jour où il faudra définir précisément ce “plan ajusté”. » Pendant ce temps-là, Dragasakis me faisait signe de conseiller à Alexis de céder » (p. 247).

Finalement, Tsipras dit à Varoufakis de refuser le texte, ce qui met fin à cette réunion de l’Eurogroupe. Varoufakis résume ce premier round de l’Eurogroupe : « Les ministres des Finances de dix-neuf pays européens, les dirigeants de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, sans compter les conseillers, les interprètes et le personnel d’appoint venaient de perdre dix heures à faire chanter un ministre. Quel gâchis ».

Il se rend dans le bureau de la délégation et appelle Tsipras pour un rapide bilan.
« – Réjouis-toi ! s’exclama-t-il. Les gens font la fête dans les rues, ils sont avec nous. C’est génial !
problème) ; 2. Le mémorandum est prolongé jusqu’au 30 juin (cela arrange Varoufakis).

« J’ai dit à Jeroen (Dijsselbloem) que je lui concédais ces deux points, sans conséquences de mon point de vue, à condition qu’il m’accorde une chose : une certaine marge d’action » (p. 274). Il poursuit : « j’exigeais que le MoU, en tout cas les 30% des articles que je jugeais inacceptables, soient remplacés par une liste de réformes émanant de nous, tandis que l’excédent primaire visé serait réduit de 4,5 % à 1,5 % du revenu national » (p. 274).

Varoufakis ajoute « Stupeur : Jeroen acceptait. » Or, et c’est l’abc d’une négociation, si dès le départ votre ennemi accepte vos conditions, c’est que vous avez mal engagé celles-ci.

Dijsselbloem acceptait également que ce soit la Grèce qui remette une liste de propositions de réformes que les institutions de la Troïka auraient le loisir d’approuver ou de rejeter.

Varoufakis écrit : « Si cette introduction passait la barre pour figurer dans le communiqué final, ce serait une victoire pour les pays les plus faibles de la zone euro. Pour la première fois, un pays Une secrétaire m’a montré un tweet sur son compte, avec la photo d’un rassemblement et le message suivant : « Dans toutes les villes de Grèce et d’Europe les gens se battent avec nous. Notre force, c’est eux. » C’était vrai, je l’ai découvert le lendemain : des milliers de gens étaient réunis place Syntagma pendant que j’étais enfermé avec l’Eurogroupe, dansant et brandissant des banderoles proclamant « en faillite mais libres » ou « fin à l’austérité ». Au même moment, c’était encore plus émouvant, des milliers de manifestants allemands emmenés par le mouvement Blockupy encerclaient le bâtiment de la BCE à Francfort en signe de solidarité » (p. 249).

Cela montre parfaitement quel potentiel de mobilisation il y aurait eu si, dans les jours qui ont suivi, Tsipras et Varoufakis avaient maintenu une ligne de refus des ultimatums, s’ils avaient mis en pratique la suspension de paiement, l’audit, la décote unilatérale des titres détenus par la BCE, s’ils avaient mis en place un système de paiements parallèles, s’ils avaient exercé leur droit de vote dans les banques grecques et s’ils avaient décrété un contrôle des mouvements de capitaux.

Mais revenons au récit de Varoufakis. Il explique qu’après être passé par le bureau de la délégation grecque et avoir pris connaissance avec bonheur des mobilisations, il a donné comme il se doit une conférence de presse. Selon sa narration, il a déclaré ce qui suit à propos de la réunion de l’Eurogroupe : « L’accueil a été très chaleureux et ce fut l’occasion parfaite pour présenter nos analyses, nos points de vue et nos propositions, à la fois sur le fond et par rapport à la feuille de route. Sachant que nous nous reverrons lundi, nous poursuivrons normalement et tout naturellement avec cette deuxième réunion » (p. 250).

« Plusieurs amis et critiques m’ont reproché d’avoir déçu la population. Combien de fois m’a-t-on demandé : Pourquoi ne pas avoir révélé ce qui s’était passé ? Pourquoi ne pas avoir parlé de leur chantage et de leur mépris de la démocratie ? Voilà ce que je réponds : parce que ce n’était pas encore le moment » (p. 250).

En fait à partir de ce moment-là, et à part lors d’un évènement intervenu cinq jours plus tard le 16 février, Varoufakis entre dans une logique infernale : ce ne sera jamais le bon moment pour dire la vérité sur ce qui se passe au niveau de la négociation. À partir du 20 février jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015, Varoufakis adoptera une attitude conforme à la politique de la diplomatie secrète.

Alors que tant de micros et de caméras se tournaient vers lui quand il était ministre, il n’a jamais utilisé, à part le 16 février, la possibilité qui lui était offerte d’informer l’opinion publique sur ce qui se passait réellement dans la négociation. Il en a été de même pour Alexis Tsipras sauf pour un temps très court à la fin du mois de juin 2015 quand il s’est agi d’appeler au référendum du 5 juillet.

12 février. Une concession, vraiment ?

Varoufakis explique que ce refus de signer a convaincu les dirigeants européens de faire une concession. Dijsselbloem, apparemment sous l’injonction d’Angela Merkel, prend contact avec Tsipras en proposant d’annoncer que le gouvernement grec et l’Eurogroupe allaient discuter des paramètres techniques pour avancer dans l’exécution du plan en cours en tenant compte des objectifs du nouveau gouvernement. On peut se demander si Varoufakis a raison d’affirmer qu’il s’agissait d’une concession. Rien n’est moins sûr. Les dirigeants européens, en parlant d’exécution du plan, maintenaient leur point de vue. En même temps, ils voulaient donner l’impression qu’ils étaient ouverts à la négociation tout en démontrant que le gouvernement grec était incapable de se comporter de manière responsable et constructive.

Par ailleurs, Varoufakis explique qu’à partir de ce moment-là s’est établi un contact direct entre Merkel et Tsipras, ce qui allait par la suite avoir des effets négatifs.

Angela Merkel et Alexis Tsipras

Il ajoute que Tsipras a commencé à s’éloigner de lui qui était le seul ministre à être convaincu qu’il fallait être prêt à prendre des mesures unilatérales comme la décote des titres détenus par la BCE ou la suspension de paiement. En écrivant cela il omet le fait que Lafazanis, qui était un de six principaux ministres, était également favorable à des actions unilatérales, à commencer par la suspension de paiement. Sans parler des quatre vice-ministres membres de la Plateforme de gauche (Nadia Valavani, Dimitris Stratoulis, Costas Isychos, Nikos Chountis) et de la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. En fait, Varoufakis révèle ainsi qu’il n’a jamais imaginé sérieusement faire un front avec d’autres membres du gouvernement et du parlement afin de mettre en pratique une orientation à la hauteur des attaques de la Troïka. Varoufakis, en expliquant aux lecteurs qu’il était seul, cherche de manière en partie inconsciente des circonstances atténuantes pour son attitude timorée.

13-14-15 février à Bruxelles

Varoufakis est resté à Bruxelles après la réunion du 11 jusqu’à la réunion suivante de l’Eurogroupe, convoquée pour le 16 février. Selon Varoufakis : « La chancelière allemande voulait que notre équipe technique rencontre celle de la troïka pour commencer à discuter des propositions et des priorités de notre gouvernement » (p. 255). Varoufakis rassemble une équipe composée de Chouliarakis, de quatre conseillers de Dragasakis, d’Elena Panaritis et de Glenn Kim, qui sont chargés de travailler avec l’équipe de la Troïka à une tentative de rapprochement (pour en savoir plus sur ces conseillers de Varoufakis, voir la partie 4). Dans les coulisses, selon Varoufakis, il y avait aussi un envoyé de la Banque Lazard et James Galbraith. En plus, Varoufakis recevait des conseils à distance de la part de Jeffrey Sachs et de William Buiter (économiste en chef de la banque nord-américaine Citigroup).

En marge des réunions officielles de travail qui se sont déroulées ces jours-là à Bruxelles, Varoufakis a adopté une position sur les contrôles de capitaux : il s’y est opposé. Il ne faut pas s’étonner que ses conseillers de la banque Lazard et de Citigroup, tout comme ceux étant passés comme Panaritis et Sachs par la Banque mondiale, étaient totalement contre tout contrôle de capitaux. Galbraith l’était aussi.

C’était une grave erreur, c’est le moins qu’on puisse dire. Il aurait fallu imposer un contrôle afin d’éviter la fuite des capitaux. Évidemment, il ne fallait pas empêcher des envois modestes de fonds à l’étranger. Il fallait un contrôle sélectif sur les gros flux financiers. C’était tout à fait faisable.

Le 14 février, Tsipras remet à Varoufakis un projet de communiqué que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lui a fait parvenir. Ce projet était d’un tout autre ton que celui que Dijsselbloem et Schäuble avaient voulu imposer le 11 février, mais ce n’était qu’un leurre. Dès le lendemain, Varoufakis a dû déchanter. Alors que l’après-midi du 15 avait bien commencé par une rencontre avec Moscovici, qui lui soumettait le texte de Juncker que Varoufakis était prêt à signer, un peu plus tard, Dijsselbloem lui a communiqué un autre texte. Varoufakis raconte : « J’ai lu. C’était pire que la version qu’on avait refusée à la première réunion. Le texte engageait le gouvernement grec à « appliquer le plan en cours », ne nous autorisant à poursuivre notre mandat que dans le cadre « de la flexibilité existante comprise dans le plan en cours ». Toutes les concessions proposées par Juncker la veille et par Pierre quelques instants plus tôt avaient été expurgées. Même l’expression « plan ajusté » avait disparu. Sa version signifiait le retour du plan tel quel, en force, sans le moindre adjectif pour l’atténuer » (p. 265).

16 février à Bruxelles, deuxième échec de l’Eurogroupe

Le 16 février, la deuxième réunion de l’Eurogroupe se termine rapidement sur un échec puisque le texte soumis à la Grèce est pire que celui qu’elle avait refusé quelques jours plus tôt.

Lors de la conférence de presse qui a suivi, c’est quasiment la seule fois où Varoufakis explique publiquement qu’il y a un désaccord. Il résume ce qu’il a déclaré à la presse : « J’ai le plaisir de vous annoncer que les négociations se sont déroulées dans un esprit collégial, révélateur d’une vraie communauté de vue […] pour établir un terrain d’entente et arriver à un accord viable entre la Grèce, l’Europe officielle et le FMI. Je ne doute pas qu’elles se poursuivront demain et après-demain jusqu’à ce que nous obtenions cet accord. Si c’est le cas, pourquoi ne nous sommes-nous pas entendus sur un communiqué, une formule qui débloquerait les délibérations ?
La vraie raison c’est qu’il existe un profond malentendu sur notre mission : faut-il appliquer un plan que nous avons été élus pour remettre en cause ? Ou faut-il s’asseoir dans un esprit d’ouverture pour repenser ce plan qui, nous l’estimons et la majorité des personnes douées de discernement l’estiment également, a échoué à stabiliser la Grèce, a produit une tragédie humaine et a rendu la Grèce d’autant plus difficile à réformer ?
 » (p. 266-267).

Varoufakis explique à la presse ce qui s’est passé entre le 11 et le 16 février et il ajoute pour les lecteurs que pour la deuxième fois en cinq jours, le gouvernement grec avait dit non à la Troïka.

Ce deuxième refus a donné lieu à des manifestation de soutien au gouvernement en Grèce et la cote de popularité du gouvernement a atteint 75 %.

Mais Varoufakis et Tsipras n’ont jamais adressé un appel au soutien des populations d’Europe et d’ailleurs. Cela a joué un rôle non négligeable dans la difficulté de développer un puissant mouvement de solidarité internationale avec le peuple grec. Bien sûr, il aurait aussi fallu utiliser à fond les possibilités de communication données par les réseaux sociaux, ce qui n’a pas été fait par le gouvernement grec et par le noyau dirigeant autour de Tsipras. Le fait de fonctionner dans le cadre de la diplomatie secrète a également encouragé les dirigeants européens à maintenir les pires pratiques de chantage sans courir le risque que celles-ci soient dénoncées.

17-18-19 février à Athènes, le tournant vers l’accord du 20 février et le prolongement du mémorandum

Varoufakis explique que lors de la première réunion de ce qu’il appelle le « cabinet de guerre », après l’échec du 16 février, Tsipras, Pappas et Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet de Tsipras, étaient favorables à rompre les négociations. Varoufakis précise que Tzanakopoulos lui a hurlé : « Si tu veux signer le MoU (le mémorandum – Note de l’auteur), ça sera sans moi, je te le garantis ! » Concernant Tsipras, il écrit : « il lui arrivait de perdre son sang-froid et de menacer de planter les négociations » (p. 269). Spyros Sagias (secrétaire de cabinet) et Varoufakis étaient partisans de poursuivre les négociations.

Varoufakis finit par convaincre le reste du cabinet de guerre qu’il faut obtenir une prolongation du mémorandum. « Mon point de vue, partagé par Sagias et Dragasakis, était le suivant : demander un prolongement faisait partie de notre mandat à partir du moment où on ne s’engageait pas à appliquer le plan tel quel » (p. 271).

J’argumenterai dans l’article suivant pourquoi il aurait mieux valu refuser une prolongation du deuxième mémorandum.

Varoufakis, de son côté, voulait un prolongement du mémorandum alors qu’il était bien conscient que Berlin posait quatre exigences : poursuivre les réformes structurelles pour améliorer la compétitivité (cela voulait dire très clairement poursuivre les attaques contre les salaires, la sécurité sociale et aller plus loin dans les privatisations), maintenir le FMI dans un futur accord (ce qui impliquait de prolonger le deuxième mémorandum en cours par un troisième mémorandum même si Varoufakis ne le reconnaît pas |14|), définir ce qu’est la soutenabilité de la dette et surtout : « Reconnaître les obligations financières de la Grèce vis-à-vis de tous ses créanciers » (p. 271).

Ce dernier point a provoqué de fortes réactions dans le cabinet. Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet, y était opposé : « – Pourquoi faudrait-il reconnaître notre dette vis-à-vis de tous les créanciers ? »

Varoufakis explique qu’il a répliqué : « nous pourrions « reconnaître » notre dette en insistant pour qu’elle soit immédiatement restructurée et – j’ai martelé ce point – pour que nos créanciers récupèrent leur argent |15|. L’aile de Syriza qui exigeait des décotes immédiates et unilatérales parce que la dette était illégale en soi serait scandalisée, mais l’option a fini par être avalisée par le cabinet de guerre. Il était prévu que j’écrive à l’Eurogroupe pour soumettre une demande officielle de prolongement » (p. 271-272).

Cette décision allait très clairement à l’encontre du programme de Syriza et du gouvernement.

Par ailleurs, Varoufakis explique que « le scénario le plus probable » poursuivi par les dirigeants européens était le suivant : « la prolongation était un leurre, en retardant la solution ; ils attendaient que notre popularité s’essouffle, ainsi que nos réserves de liquidité, jusqu’à la date d’expiration, en juin, où notre gouvernement serait à bout de forces et capitulerait » (p. 272).

Varoufakis affirme que, face à ce scénario il a obtenu l’accord du cabinet de guerre pour « demander cette prolongation tout en signalant trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités nous répondrons par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de nous renfermer dans la camisole d’un plan bancal ou de nous refuser une restructuration nous répondrons par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux nous répondrons par la décote unilatérale des obligations SMP, suivie par la mise en place du système de paiement parallèle et la modification des règles de la Banque centrale de Grèce pour restaurer la souveraineté du Parlement sur ladite banque. »

Le problème c’est que, jamais au grand jamais, cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015.
Par ailleurs, à ce stade, nous ne disposons que du témoignage de Varoufakis. Aura-t-on un jour un témoignage confirmant son affirmation ? Il est tout à fait improbable que Tsipras confirme la version de Varoufakis car ce serait l’aveu de sa propre culpabilité.

Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

La menace dont parle Varoufakis n’a de toute façon jamais été communiquée à la Troïka.

Varoufakis écrit : « Le pire serait de demander une prolongation, de l’obtenir et de ne pas signaler notre détermination à passer à l’acte si les créanciers s’éloignaient de l’esprit de l’accord intermédiaire. Si nous commettions l’erreur, ils nous traîneraient dans la boue pendant toute la prolongation, jusqu’à ce qu’on soit exsangues et qu’ils puissent nous achever » (p. 272). Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Varoufakis, avec l’accord du noyau autour de Tsipras, a demandé la prolongation du mémorandum sans signaler une quelconque détermination à passer à l’action et les créanciers ont traîné dans la boue le gouvernement puis l’ont amené à capituler officiellement.

Varoufakis a envoyé le 18 février à l’Eurogroupe une lettre dont il cite des passages terribles :
« Les autorités grecques reconnaissent les obligations financières vis-à-vis de tous les créanciers ». Elles comptent « coopérer avec leurs partenaires afin de contourner les obstacles techniques dans le cadre de l’accord de prêt dont nous reconnaissons la contrainte. » |16| Varoufakis ajoute qu’il ne pouvait « pas aller plus loin pour satisfaire Berlin » (p. 273). C’est le moins qu’on puisse dire.

20 février à Bruxelles : en route vers la capitulation

Varoufakis se rend à Bruxelles et, juste avant le début de l’Eurogroupe, Dijsselbloem lui annonce deux mauvaises nouvelles, qui n’en sont pas aux yeux de Varoufakis : 1. Le solde de 11 milliards € du Fonds de recapitalisation des banques (FHSF) sur lequel le gouvernement Tsipras comptait pour réaliser une partie de ses promesses électorales part vers le Luxembourg au lieu d’être mis à disposition de la Grèce (Varoufakis considère que ce n’est pas un

prisonnier d’un plan de renflouement serait autorisé à remplacer le MoU de la Troïka par son propre agenda de réformes » (p. 275). C’est du délire total. Voir dans l’encadré ci-dessous des extraits de l’accord signé par Varoufakis avec l’Eurogroupe le 20 février à Bruxelles.

L’Accord signé par Varoufakis lors de la réunion de l’Eurogroupe le 20 février |17|
(Extraits)« Les autorités grecques présenteront une première liste de mesures de réforme, sur la base de l’accord actuel, au plus tard le lundi 23 février. Les institutions (il s’agit de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, note d’Éric Toussaint) fourniront un premier avis visant à déterminer si cette liste est suffisamment complète pour être considérée comme un point de départ valable en vue d’une conclusion réussie de l’évaluation. Cette liste sera encore précisée puis soumise à l’approbation des institutions d’ici la fin avril.
Seule l’approbation, par chacune des institutions, de la conclusion de l’évaluation de l’accord prolongé, permettra tout déblocage de la tranche restant due de l’actuel programme du FESF [Fonds européen de stabilité financière] et le transfert des bénéfices de 2014 dégagés dans le cadre du SMP [Programme pour les marchés de titres]. Les deux sont à nouveau soumis à l’approbation de l’Eurogroupe.
 »
(…)
« Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers.
Les autorités grecques se sont également engagées à assurer les excédents budgétaires primaires requis ou les produits de financement nécessaires pour garantir la viabilité de la dette, conformément à la déclaration de l’Eurogroupe de novembre 2012
. »
(…)
« À la lumière de ces engagements, nous nous félicitons que, dans un certain nombre de domaines, les priorités politiques de la Grèce puissent contribuer à un renforcement et une meilleure mise en œuvre de l’accord actuel. Les autorités grecques s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles qui auraient un impact négatif sur les objectifs budgétaires, la reprise économique ou la stabilité financière, tels qu’évalués par les institutions. »

Selon Varoufakis, euphorique, il y avait quand même un hic : « Le communiqué avait un inconvénient : aucun assouplissement du resserrement des liquidités n’était prévu » (p. 275). Bref, l’asphyxie de la Grèce commencée officiellement le 4 février continuerait.

La corde qui étranglait la Grèce allait fonctionner comme un nœud coulant : tandis que celle-ci devait rembourser 7 milliards de dettes avant le 30 juin 2015, les créanciers ne feraient aucun versement d’argent frais et pire, la BCE continuerait de limiter l’accès des banques grecques aux liquidités d’urgence. Cela diminuerait leur capacité à acheter des titres émis par le trésor grec pour se financer et cela renforcerait l’asphyxie du gouvernement.

Varoufakis explique qu’au cours de l’Eurogroupe, il a reçu un SMS d’Emmanuel Macron lui demandant des nouvelles et qu’il lui a répondu : « On a eu un bon résultat. Maintenant il faut remonter les manches. Merci pour votre aide. ». Varoufakis ajoute : « Il a réagi en camarade : « Continuons à nous battre » » (p. 278).
Ensuite, Varoufakis donne une conférence de presse : « J’ai remercié Jeroen d’avoir gardé le cap et j’ai ajouté que ce serait l’occasion de s’y mettre. Pendant le week-end, mon équipe et moi allions établir la liste des réformes à soumettre dans les trois jours suivants.
– Il va falloir travailler d’arrache-pied, mais ce sera avec plaisir puisque nous partons d’une relation entre égaux.
 » |18| (p. 279)

En réalité, l’accord du 20 février est égal à l’acte d’un vassal qui se soumet au suzerain tout en proclamant qu’il est l’égal du suzerain. Rappelons les paroles tenues par Varoufakis dix jours plus tôt au parlement grec : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Varoufakis rend compte des réactions contradictoires : Jeffrey Sachs le félicite tandis qu’il est durement critiqué par Manólis Glézos, flambeau de la Résistance et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, et le célèbre compositeur Míkis Theodorákis, deux héros de son enfance pour reprendre ses termes (p. 282). Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’est excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015.

Varoufakis explique qu’à partir du 21 février, il s’attelle à rédiger les propositions de réformes à « intégrer au MoU » et à soumettre à l’Eurogroupe le 23 février. Varoufakis n’hésite donc pas à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’essayer d’amender le mémorandum en cours, alors qu’à l’époque, Tsipras et lui disaient à la population qu’il s’agissait d’un nouvel accord et que la Grèce s’était libérée de la prison du mémorandum et de la Troïka, rebaptisée « les institutions ».

Varoufakis écrit que le lundi 23 février au soir, « le texte serait envoyé à Christine Lagarde, Mario Draghi et Pierre Moscovici qui auraient la matinée du lendemain pour l’examiner avant la téléconférence de l’Eurogroupe du mardi après-midi. Ils seraient trois à évaluer les mesures avant de donner leur feu vert ou leur veto, sans que les ministres aient leur mot à dire » (p. 283). Comment dès lors peut-on affirmer, comme Varoufakis l’a fait en public à l’époque, que la Troïka n’existait plus et que la Grèce avait retrouvé la liberté ? Il reconnaît lui-même qu’il a accepté de soumettre à Lagarde (FMI), Draghi (BCE) et Moscovici (Commission européenne) les propositions que le gouvernement grec comptait envoyer ensuite officiellement à l’Eurogroupe.

Conclusion

En signant le 20 février 2015 un accord avec l’Eurogroupe selon lequel « Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers » et « s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles », Varoufakis et Tsipras rompaient avec l’engagement de mettre fin au mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction. Ils renonçaient à mettre en cause la légitimité de la dette et à en suspendre le paiement. Ils soumettaient à nouveau la Grèce au bon vouloir de la Troïka. Il était certain que celle-ci n’allait pas avaliser un programme de mesures permettant au gouvernement de concrétiser ses promesses. L’accord du 20 février est le premier document officiel par lequel Varoufakis et Tsipras abandonnent les propositions principales du programme pour lequel le Syriza avait été porté au gouvernement.

Comme l’écrivait Stathis Kouvelakis dans une interview à Alexis Cukier réalisée en 2015 « Les choses sont assez simples en réalité : les institutions européennes cherchent à construire une cage de fer dans laquelle on veut à tout prix enfermer le nouveau gouvernement pour l’empêcher de réaliser son programme. Il s’agit de montrer qu’une politique de sortie de l’austérité et du néolibéralisme est impossible dans le cadre actuel, et que, quels que soient les mandats confiés par les populations au gouvernement, quels que soient les résultats des élections, c’est toujours les mêmes politiques qui s’appliqueront. Leur premier objectif est clairement d’humilier Syriza et de mettre à genoux le nouveau gouvernement grec. Il s’agit également d’un avertissement adressé à Podemos et à toute autre force qui, en Europe, serait susceptible d’arriver au pouvoir et de remettre en cause les politiques d’austérité et le mécanisme de l’endettement. » |19|

De son côté le CADTM Europe avait publié le 31 décembre 2014 un communiqué qui sonne comme un avertissement : « Les puissants d’Europe et du monde entier n’ont même pas attendu la dissolution du Parlement grec et l’ouverture de la campagne électorale pour lancer leur nouvelle offensive de mensonges et de chantages qui visent à terroriser les citoyens grecs afin qu’ils ne votent pas aux prochaines élections du 25 janvier 2015 en faveur de SYRIZA, la Coalition de la Gauche Radicale grecque. En effet, secondés par les grands médias européens, « ceux d’en haut » du nom de Juncker, Merkel, Hollande, Renzi ou Moscovici commencent leur énième intervention brutale dans les affaires intérieures de cette Grèce, qu’ils ont d’ailleurs transformée en un amas de ruines sociales depuis qu’ils lui ont imposé leurs politiques d’austérité inhumaines et barbares.

Le CADTM n’a pas le moindre doute sur les intentions véritables de ceux qui ont fait de la Grèce le laboratoire européen de leurs politiques néolibérales les plus extrêmes et des Grecs des véritables cobayes de leur thérapie économique, sociale et politique de choc. On doit s’attendre à une escalade de leur offensive car ils ne peuvent pas se permettre que SYRIZA réussisse et fasse des émules en Europe ! Ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent car ils sont bien conscients que ce qui est en jeu aux prochaines élections grecques est le succès ou l’échec de la guerre sociale qu’ils mènent contre l’écrasante majorité des populations de toute l’Europe ! C’est d’ailleurs parce que l’enjeu est si important qu’on doit s’attendre à ce que « ceux d’en haut » d’Europe et de Grèce ne respectent pas le verdict des urnes, qui devrait couronner, pour la première fois de l’histoire, la victoire de la gauche grecque. Sans aucun doute, ils vont par la suite essayer d’asphyxier le gouvernement de gauche sorti des urnes, parce que son éventuel succès serait sûrement interprété comme un formidable encouragement à la résistance par les travailleurs et les peuples d’Europe. »

Nous verrons dans la prochaine partie que Varoufakis avec l’accord de Tsipras signera quelques jours après le 20 février 2015 un document rédigé par la Troïka reconnaissant de fait la primauté du mémorandum en cours par rapport aux mesures proposées par le gouvernement grec.

Notes

|1| Les trois premiers paragraphe de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent

|2| Ministre fédéral des Finances du 28 octobre 2009 au 24 octobre 2017. Depuis cette date, il préside le Bundestag.

|3| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 7, p. 217

|4| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|5| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|6| D’ailleurs, on éprouve vraiment des difficultés à croire que Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras aient vraiment pu penser que cette proposition pourrait convaincre les dirigeants européens.

|7| Les pays qui font partie de la zone euro ne peuvent pas dévaluer leur monnaie puisqu’ils ont adopté l’euro. Des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne sont donc coincés par leur appartenance à la zone euro. Les autorités européennes et leur gouvernement national appliquent dès lors ce qu’on appelle la dévaluation interne : ils imposent une diminution des salaires au grand profit des dirigeants des grandes entreprises privées. La dévaluation interne est donc synonyme de réduction des salaires. Elle est utilisée pour augmenter la compétitivité mais on constate qu’elle est très peu efficace pour retrouver de la croissance économique car les politiques d’austérité et de répression salariale sont appliquées dans tous les pays. Par contre, du point de vue des patrons, la crise de la zone euro qui a pris un caractère très aigu à partir de 2010-2011 constitue une aubaine : le salaire minimum légal a été réduit fortement en Grèce, en Irlande et dans d’autres pays.

|8| Varoufakis ajoute : « A l’heure où j’écris, Michael Christoforakos coule des jours tranquilles en Allemagne, Stournaras est toujours gouverneur de la Banque centrale de Grèce, le scandale Siemens n’a pas conduit le moindre homme politique devant la justice » (ibid., p. 223). Il faut savoir que Stournaras avait proposé en 2012 au parlement grec une résolution extrajudiciaire signée avec Siemens qui mettait fin à toute poursuite. J’ajoute que des procès liés à l’action de Siemens sont en cours en Grèce, depuis septembre 2017, avec le renvoi devant la justice de 18 cadres de Siemens (dont Christoforakos), en Grèce et en Allemagne, pour corruption d’agents de l’État « non identifiés ». Les agendas de Christoforakos livrés par son ancienne secrétaire montrent qu’il a eu des rencontres répétées avec certaines des principales figures politiques de la Nouvelle Démocratie et du Pasok, afin de leur remettre des commissions en nature.

|9| Elle a pris l’initiative d’élaborer la seule mesure qui combattait les effets létaux de l’austérité mémorandaire sur l’économie réelle, avec la possibilité d’éponger en 100 versements les dettes d’impôts des particuliers et des entreprises. Voir cet article

|10| Dégager un excédent primaire du budget implique généralement de comprimer les dépenses qui ne concernent pas le remboursement de la dette de manière à ce que les recettes (rentrées) soient supérieures aux dépenses (sorties). L’excédent primaire est donc calculé sans prendre en compte le remboursement de la dette publique. Une fois que ce paiement est pris en compte le budget est en déficit et il faut recourir à de nouveaux emprunts pour tenir la route.

|11| Le gouvernement Tsipras espérait également pouvoir compter sur la somme de 11 milliards qui constituait le solde du montant alloué à la recapitalisation des banques et que Syriza voulait rediriger vers la création d’une banque de développement et le renforcement du secteur public. Extrait du programme de Thessalonique : « En ce qui concerne le coût du capital de départ du secteur public, du vecteur intermédiaire et de banques spécialisées – estimé à 3 milliards d’euros –, il sera financé par le soutien de 11 milliards d’euros prévu pour les banques par le mécanisme de stabilité ».

|12| Stathis Kouvélakis témoigne du sentiment qu’un changement fondamental était en cours : « le discours de politique générale de Tsipras au Parlement le 8 février a été un moment extrêmement important. Il se situe après les ruptures symboliques, au moment de la prise de fonction du nouveau gouvernement, avec le serment civil, avec la gerbe de fleurs déposée à Kaisariani sur le monument aux deux cents héros communistes de la Résistance exécutés par les nazis le 1er mai 1940. Il faut rappeler que ces deux cents cadres communistes exécutés, c’était toute la direction du parti… Ce geste a inscrit ce gouvernement dans un fil historique puissant, dans l’histoire profonde du mouvement populaire et de la gauche communiste en Grèce. Et là, lors du discours de politique générale, on a pu sentir que la rupture était à nouveau vraiment à portée de main. » (Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 17-18). Bien sûr, différentes organisations de gauche n’ont pas manqué d’attaquer ou de critiquer durement Tsipras : il s’agissait du KKE, le parti communiste grec très sectaire, et des organisations de la gauche extraparlementaire que ce soit celles regroupées dans Antarsya, ou des groupes anarchistes qui ont occupé des locaux de Syriza rapidement après la constitution du gouvernement.

|13| Éric Toussaint, « Comment appliquer des politiques antipopulaires d’austérité ; L’OCDE fournit un vade-mecum pour les gouvernants »

|14| En effet, il n’y a pas d’autre interprétation possible car prolonger le mémorandum en vigueur impliquait automatiquement que les partenaires ne changent pas. Donc le fait d’insister sur la présence du FMI ne pouvait concerner dans la tête de Berlin qu’un troisième mémorandum à signer à l’issue du prolongement de celui qui était en cours. C’est d’ailleurs ce que Berlin a obtenu en juillet 2015.

|15| C’est Varoufakis qui souligne ce passage.

|16| Souligné par l’auteur.

|17| Le texte original en anglais est consultable sur ce site. Les extraits cités proviennent de la traduction réalisée à chaud par Ananda Cotentin

|18| Souligné par l’auteur

|19| Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 76-77)

Source http://www.cadtm.org/Varoufakis-Tsipras-vers-l-accord

La Grèce rivée en mode survie

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc Billet invité sur le blog de Paul Jorion.

La Grèce a connu l’année dernière sa première croissance en neuf ans, autour de 1,3%, et cela a suffi à Klaus Regling, le directeur général du MES, pour déclarer qu’elle n’est plus « en mode crise ». Encore un succès à mettre à l’actif de la politique européenne de rééquilibrage budgétaire !

Des experts documentaient cette année à Davos le procès du PIB et planchaient sur un autre indice intitulé Inclusive development index (IDI), l’indice de développement inclusif. Mais, bien que décrié, le PIB a la vie dure. Qu’il permette des démonstrations de complaisance de ce type n’y est sans doute pas étranger.

Abusifs, les commentaires fleurissent sur le thème que les indicateurs reviennent au vert en Grèce, dans la perspective de la fin de son troisième plan de sauvetage fin août prochain. C’est un peu vite oublier qu’un Grec sur cinq est officiellement au chômage, et qu’au troisième trimestre 2017 – dernières données disponibles – la consommation a baissé de 1% sur un an et l’investissement de 8,5%. Rien qui augure d’un démarrage en fanfare, même avec ces indices qui demanderaient eux aussi un sérieux coup de propre à l’heure du Big data, une fois leurs biais corrigés ! Mais la science économique a ceci de particulier qu’elle ne se soucie pas de la qualité de ses données… Pour mémoire, la conception du PIB date des années 30 aux États-Unis, lorsqu’avait été ressenti le besoin d’un outil permettant de mesurer la sortie de l’économie de la Grande dépression. Par défaut, il continue de faire autorité et de tromper.

D’autres indicateurs restent en berne à Athènes: la consommation du troisième trimestre 2017 a baissé de 1% sur un an, et l’investissement de 8,5%. Qu’importe, l’indice de la croissance est Roi !

La Grèce serait donc sortie de la crise, mais comment qualifier une situation où plus de 35% des Grecs sont sous le seuil de pauvreté, où la moitié d’entre eux vivent d’une pension de retraite – la leur ou celle de leurs parents – où sept jeunes sur dix âgés de 18 à 35 ans rêvent de partir à l’étranger ? Quel avenir peuvent-ils attendre d’un pays dont le montant de la dette publique correspond à 178% du PIB, et où la croissance devra prioritairement financer son remboursement, à moins qu’une nouvelle crise de la dette ne le mette à nouveau à terre ?

La vérité toute simple est qu’un tel pays ne peut pas prétendre au développement mais tout juste assurer la survie de ses habitants, et ce pour très longtemps.

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 4eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

Partie 4 18 janvier par Eric Toussaint

Si vous n’avez pas encore lu Conversations entre Adultes de Yanis Varoufakis, commandez-le à votre libraire. Cela se lit comme un polar politique, il y a du suspense, des rebondissements, des trahisons… L’immense intérêt de ce livre c’est que l’auteur donne sa version d’évènements qui ont influencé et influencent encore la situation internationale, en particulier en Europe mais aussi au-delà car la déception provoquée par la capitulation du gouvernement de la gauche radicale grecque marque profondément les esprits.

La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se susbtitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Lire les 3 précédents articles de la série :

La critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco. Dans d’autres pays d’Europe, une majorité d’électeurs et d’électrices pourrait porter au gouvernement des forces de gauche qui promettent de rompre avec la longue nuit néolibérale. Ces pays ne sont certes pas nombreux mais ils existent. De toute façon, même là où les chances d’arriver au gouvernement sont très limitées, il est fondamental de présenter un programme cohérent de mesures qui devraient être prises par un gouvernement aussi fidèle au peuple que le sont les gouvernants actuels à l’égard du grand capital.

La critique que je fais des choix de Varoufakis est précise et elle est dure, sans concession. Il n’en demeure pas moins que Varoufakis a pris la peine de communiquer ce qu’il considère être sa part de vérité. Il a pris des risques en le faisant. S’il n’avait pas écrit ce livre, bien des faits importants seraient restés inconnus. Il ne faut pas s’attendre à ce que Tsipras livre sérieusement sa version de ce qui s’est passé. Il lui est impossible de relater son action et de la justifier. Si un jour il lui arrive de signer un récit, il aura été écrit par quelqu’un d’autre et il sera rempli de lieux communs.

Il faut aussi faire une distinction entre Tsipras et Varoufakis : l’un a signé le 3e mémorandum et l’a fait passer au parlement grec, l’autre s’y est opposé, a quitté le gouvernement le 6 juillet et, en tant que député, a voté contre le mémorandum le 15 juillet 2015.

L’enjeu est de tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans la zone euro L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans cette partie, nous présentons les conseillers dont s’est entouré Varoufakis. Force est de constater que, dès l’étape de sélection de ses principaux conseillers, Yanis Varoufakis s’est entouré de personnes peu disposées à réaliser les promesses de Syriza (c’est le moins qu’on puisse dire) et à mettre en œuvre des politiques alternatives afin de sortir la Grèce de l’emprise de la Troïka.

Les conseillers de Yanis Varoufakis comme ministre

Dans son ouvrage, Varoufakis décrit l’équipe de ses conseillers directs et lointains. La manière dont l’équipe a été composée est terrible. La logique qui a présidé aux choix des personnes explique en partie l’échec qui allait suivre. Ce n’est pas l’élément déterminant mais cela a joué un rôle.

Pour désigner un vice-ministre des Finances en charge de superviser le Trésor, un poste de la plus haute importance, Varoufakis raconte qu’il a consulté Alekos Papadopoulos, un ancien ministre des Finances des années 1990, issu du Pasok. Varoufakis explique qu’il avait collaboré avec Papadopoulos pour rédiger le programme économique que Georges Papandréou a présenté aux élections de 2004 remportées par les conservateurs de la Nouvelle démocratie. Syriza qui se présentait pour la première fois à des élections avait obtenu 6 députés avec 3,3 % des voix. Nouvelle démocratie de Karamanlis avait obtenu 45,4 % des voix et le Pasok conduit par Papandreou avait récolté 40,5 % des suffrages.

Varoufakis écrit : « Papadopoulos était dans l’opposition par rapport à Syriza, mais il était prêt à me soutenir personnellement et m’a promis de me trouver quelqu’un. (…) Le soir-même il m’a envoyé un sms en me donnant le nom de Dimitris Mardas  » |1|. Varoufakis contacte Mardas directement et lui propose le poste de vice-ministre des Finances.

Il faut savoir que le 17 janvier 2015, huit jours avant la victoire de Syriza, Mardas a publié un article particulièrement agressif contre la députée de Syriza Rachel Makri sous le titre « Rachel Makri vs Kim Jong Un et Amin Dada ». L’article se concluait par la très éloquente question (soulignée parlui-même) « Sont-ce ceux-là qui vont nous gouverner ? ». Dix jours plus tard, ce même Mardas devenait, grâce à Varoufakis, ministre suppléant des Finances. Varoufakis explique dans son livre qu’après un mois comme ministre il s’est rendu compte qu’il avait fait un mauvais choix. Signalons que Mardas, qui a soutenu la capitulation en juillet 2015, a été élu député Syriza aux élections de septembre 2015. Papadopoulos a lui aussi soutenu le 3e mémorandum de juillet 2015 |2|.

Varoufakis explique qu’en second lieu il devait choisir le Président du Conseil des économistes. Il se rend compte que ce poste avait été pourvu en son nom par le vice-premier ministre Dragasakis. Ce dernier avait en effet choisi George Chouliarakis, un économiste d’une trentaine d’années qui avait enseigné à l’Université de Manchester avant d’être transféré à la Banque centrale de Grèce. Chouliarakis a joué un rôle néfaste dès l’entrée en fonction de Varoufakis et pourtant celui-ci l’a gardé jusqu’à la fin. Son nom reviendra plusieurs fois dans le récit des évènements.

Ensuite Varoufakis a intégré à son équipe Elena Panaritis, parce qu’elle connaissait bien le langage et le modus operandi de la Troïka. Panaritis, en tant que députée du Pasok, avait voté en faveur du premier mémorandum de 2010. Avant cela, elle avait travaillé à Washington, surtout à la Banque mondiale, où elle s’était construit, selon Varoufakis, un excellent réseau de personnalités proches des institutions basées à Washington. Notamment l’ancien Secrétaire du Trésor, Larry Summers, à qui elle a présenté Varoufakis. Panaritis, dans les années 1990, a travaillé pour la Banque mondiale au Pérou où elle a collaboré avec le régime néolibéral, corrompu et dictatorial d’Alberto Fujimori. Varoufakis raconte : « Quand je l’ai revue avant les élections, je n’ai pas hésité une seconde à lui demander de me rejoindre. Il n’y a pas mieux pour se battre contre le diable que quelqu’un qui l’a servi et qui est devenu son pire ennemi. » |3| La suite a montré que loin d’être devenue son pire ennemi, elle a continué à collaborer avec lui.

Sa nomination comme conseillère du ministre des Finances a provoqué dès le début des remous dans Syriza et Tsipras a essayé de convaincre Varoufakis de s’en défaire. Ensuite, il s’en est très bien accommodé. Plus tard, quand Varoufakis, en mai 2015, a fait nommer, avec l’accord de Tsipras, Panaritis représentante de la Grèce au FMI, cela a provoqué une telle levée de boucliers dans Syriza et au parlement, qu’elle a finalement dû renoncer à ce poste le 1er juin 2015 |4|.

Dans son équipe, Varoufakis a également incorporé Glenn Kim, spécialiste des marchés financiers et en particulier du marché des dettes souveraines. En 2012, il avait collaboré à la mise en œuvre de la restructuration de la dette grecque notamment comme consultant des autorités allemandes. Quand Varoufakis a pris contact avec Glenn Kim, celui-ci lui a dit qu’il travaillait comme consultant pour le gouvernement islandais, qu’il aidait à mettre fin au contrôle des capitaux en vigueur depuis 2008. Cela convenait très bien à Varoufakis qui, à tort, ne voulait surtout pas recourir à un contrôle des mouvements de capitaux, alors qu’il aurait dû prendre en compte les résultats positifs obtenus en Islande.

Varoufakis écrit : « Un cynique dirait que les experts genre Glenn travaillent exclusivement pour l’argent et pour leur carrière personnelle. Peut-être. Mais être entouré de personnes comme lui, qui connaissent toutes les arcanes du pouvoir, est un atout précieux. » Précisons que Glenn Kim a continué à conseiller Tsipras après la capitulation de juillet 2015 |5|.

Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec.

Varoufakis se félicite d’avoir accepté les services de la Banque Lazard et de son directeur, le Français Matthieu Pigasse |6|. La banque Lazard avait collaboré, en échange de dizaines de millions d’euros de commission, à la restructuration de la dette grecque réalisée par la Troïka en 2012. Selon Varoufakis, Matthieu Pigasse et Daniel Cohen (professeur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris et conseiller de Lazard |7|) qui l’accompagnait « ont réussi à me convaincre en me vantant les avantages de leur complicité, en s’excusant et me proposant leurs précieux services pro bono pour remettre la Grèce debout. Avec des transfuges de cette trempe à nos côtés, notre force technique était décuplée, voire plus. » |8|

Dans l’équipe internationale dont s’est entouré Varoufakis, il faut citer James Galbraith qui lui a apporté un soutien constant et qui a fait plusieurs séjours à Athènes pendant les six premiers mois de l’année 2015. Parmi les personnes que mentionnent Varoufakis comme l’ayant aidé de très près, James Galbraith est le seul à être digne de confiance même s’il a soutenu une orientation beaucoup trop conciliatrice à l’égard des créanciers. James Galbraith est un économiste néokeynésien des États-Unis, proche du Parti démocrate, connaisseur de la politique internationale. En 2009, il avait eu des contacts étroits avec le gouvernement de Georges Papandréou. Galbraith a travaillé principalement sur le plan B et cela dans le plus grand secret. Il témoigne lui-même de cela dans l’ouvrage Crise grecque, tragédie européenne |9|. De tous les membres de l’équipe que mentionne Varoufakis, Galbraith est le seul à propos duquel on peut considérer qu’il pouvait réellement apporter une aide constructive aux autorités grecques. Il a défendu, aux côtés de Varoufakis, une orientation trop modérée qui ne correspondait pas aux défis qu’il fallait relever et il le reconnaît partiellement |10|. Daniel Munevar, un collaborateur de Galbraith, a apporté activement son soutien à Varoufakis dans la négociation avec les créanciers à partir de mars 2015 mais Varoufakis ne mentionne pas son nom |11|.

Varoufakis préfère mentionner des personnalités étrangères faisant partie directement de l’establishment : « Outre Norman (Lamont), mes partisans d’outremer comprenaient Jeff Sachs, économiste à l’Université de Columbia, Thomas Mayer, de la Deutsche Bank, Larry Summers, et Jamie Galbraith » |12|. Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier, à part Galbraith, si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec. En voici quelques exemples.

Larry Summers, Jeffrey Sachs et d’autres : Varoufakis continue avec des choix incompatibles avec le programme de Syriza

Le parcours de Lawrence ‘Larry’ Summers comporte un certain nombre de taches qui auraient dû être indélébiles… et empêcher toute collaboration. Varoufakis a pourtant cherché systématiquement celle-ci et en est très satisfait. Il déclare dans l’introduction de son livre : « Nous étions largement d’accord sur l’essentiel, et ce n’était pas rien d’avoir le soutien du formidable Larry Summers (…) » |13|.

Le passé de Summers mérite qu’on souligne quelques étapes importantes.

En décembre 1991, alors économiste en chef de la Banque mondiale, Summers écrit dans une note interne : « Les pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico. Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays moins avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. […] L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1 000 à cinq ans |14| ». Il ajoute même, toujours en 1991 : « Il n’y a pas de […] limites à la capacité d’absorption de la planète susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à toute autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer des limites à la croissance à cause de limites naturelles est une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée |15| ».

Devenu vice-secrétaire au Trésor sous Clinton en 1995, Summers pèse de tout son poids avec son mentor, le secrétaire d’État, Robert Rubin, pour obtenir l’élimination en 1999 de la loi qui séparait les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et la remplacer par une loi dictée par les banquiers |16|. En 1998, avec Alan Greenspan, directeur de la Réserve fédérale et Robert Rubin, Summers avait aussi réussi à convaincre l’autorité de contrôle des bourses des matières premières, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), d’abandonner toutes les barrières qui « entravaient » le marché des dérivés de crédits vendus de gré à gré (Over The Counter – OTC). La porte est alors grande ouverte pour une accélération de la dérèglementation bancaire et financière qui a abouti à la crise de 2007-2008 aux États-Unis et qui a eu des retombées en Grèce en 2009-2010.

Ajoutons qu’en 2000, Summers fait pression, en tant que secrétaire d’État au Trésor, sur le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, pour que celui-ci se débarrasse de Joseph Stiglitz, qui lui a succédé au poste d’économiste en chef et qui est très critique sur les orientations néolibérales que Summers et Rubin mettent en œuvre aux quatre coins de la planète où s’allument des incendies financiers. Après l’arrivée du président républicain George W. Bush, il poursuit sa carrière en devenant président de l’université de Harvard en 2001, mais se signale particulièrement en février 2005 en se mettant à dos la communauté universitaire après une discussion au Bureau national de la recherche économique (NBER) |17|. Interrogé sur les raisons pour lesquelles on retrouve peu de femmes à un poste élevé dans le domaine scientifique, il affirme que celles-ci sont intrinsèquement moins douées que les hommes pour les sciences, en écartant comme explications possibles l’origine sociale et familiale ou une volonté de discrimination. Cela provoque une grande polémique |18| tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Malgré ses excuses, les protestations d’une majorité de professeurs et d’étudiants de Harvard l’obligent à démissionner en 2006.

En 2009, Summers est devenu membre de l’équipe de transition du président élu Barack Obama et a dirigé le Conseil économique national. En septembre 2010, Summers a quitté l’équipe d’Obama et a repris sa carrière à l’université d’Harvard tout en jouant un rôle dans les coulisses de la politique notamment à Washington. Varoufakis raconte qu’il a demandé à Helena Panaritis de le mettre en contact avec Summers en 2015 afin de pouvoir avoir une influence sur Obama d’une part et sur le FMI d’autre part.

Varoufakis a demandé également à Jeffrey Sachs, spécialisé lui aussi dans les jeux d’influence dans les coulisses de Washington, de collaborer de manière rapprochée, ce que celui-ci a accepté en se rendant plusieurs fois à Athènes, à Bruxelles, à Londres, à Washington en 2015, afin de renforcer l’équipe de Varoufakis. Jeffrey Sachs, comme Lawrence Summers, est lié au parti démocrate, et est présenté dans les médias dominants comme favorable à une solution douce aux crises de la dette en tenant compte des intérêts des pauvres |19|. Pourtant, Jeffrey Sachs a été conseiller de gouvernements néolibéraux qui ont appliqué la politique de la thérapie du choc dans leur pays : Bolivie (1985), Pologne (1989), Russie (1991). Dans son livre La Stratégie du choc. Montée d’un capitalisme du désastre (2008), Naomi Klein a dressé un réquisitoire implacable contre Jeffrey Sachs et les politiques qu’il a recommandées en collaboration avec le FMI, la Banque mondiale et les classes dominantes locales.

Varoufakis mentionne également le soutien indéfectible qu’il a reçu de Lord Norman Lamont qui a été Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances de Grande-Bretagne) dans le gouvernement du conservateur John Major de 1990 à 1993. « Mon amitié avec Lord Lamont of Lerwick, Tory et eurosceptique pur jus, le Chancelier qui avait permis à la Grande-Bretagne d’échapper au Système monétaire européen, s’accordait mal avec mon image d’extrême-gauchiste. » Varoufakis souligne l’importance de la collaboration avec Norman Lamont : « J’ai passé 162 jours à la tête du ministère des Finances et Norman a toujours été un soutien inébranlable, notamment pour finaliser la dernière version de mes propositions de réforme de la dette et de la fiscalité à soumettre à l’UE et au FMI » |20|.

Parmi les autres experts étrangers auxquels Varoufakis a eu recours et qui ont participé à l’élaboration des propositions qu’il a faites aux créanciers : Willem Buiter, qui a rejoint la banque Citigroup en 2010 comme économiste en chef, et Thomas Mayer, ex-économiste en chef de la Deutsche Bank.

Si l’on s’en tient au récit de Varoufakis, le rôle de ces personnalités n’a pas été anodin. Se référant au énième plan qu’il a proposé en mai 2015 aux créanciers, il écrit : « Le temps que j’atterrisse, le Plan pour la Grèce était finalisé. Jeff Sachs avait brillamment rectifié la version que je lui avais envoyée deux jours plus tôt. Norman Lamont avait effectué des ajouts importants ; l’équipe de Lazard avait affiné la proposition d’échange de dettes et Larry Summers avait avalisé l’ensemble. » |21|

Spyros Sagias, un autre exemple d’un défenseur de l’ordre dominant faisant partie du cercle étroit de Tsipras et de Varoufakis

Varoufakis explique qu’il a établi une relation étroite avec Spyros Sagias qui est devenu le conseiller juridique du Premier ministre Tsipras, avec qui il a fait connaissance quelques jours avant les élections. Le choix de Sagias par Tsipras en dit également long sur les priorités de Tsipras au moment de choisir son entourage en tant que chef du gouvernement. Il voulait autant que possible s’entourer de personnages pouvant établir des ponts avec l’establishment, avec le patronat, avec les créanciers. Sagias avait conseillé le gouvernement du socialiste Simitis dans les années 1990 au moment où celui-ci entamait un important programme de privatisations.

Varoufakis décrit Sagias de la manière suivante : « Sagias n’était pas un homme politique mais, comme il se présenta plus ou moins en riant, un avocat systémique. (…) Pas un seul grand contrat d’affaires où étaient en jeu intérêts privés et secteur public n’échappait à sa sagacité : privatisations, vastes projets immobiliers, fusions, il dominait tout. Il avait conseillé Cosco, le conglomérat chinois qui avait acheté des parts du Pirée et rêvait d’en acquérir la totalité, une privatisation à laquelle Syriza était farouchement opposé ». Il ajoute : « Le jour où Pappas m’avait dit que Sagias serait sans doute secrétaire de cabinet, j’avais été heureusement surpris : on aurait un as du droit parmi nous, un conseiller sachant rédiger des projets de loi imparables et déterrer les secrets honteux de l’ancien régime ». « Je l’aime bien, Sagias, pensais-je. Il avait conscience de fricoter avec l’oligarchie et ne s’en cachait pas » |22|. Sagias, comme le montre Varoufakis plus loin dans son livre, a soutenu les choix successifs qui ont amené à la capitulation définitive.

Ajoutons que pendant le gouvernement Tsipras I, il a aussi aidé Cosco à acquérir les parties du Port du Pirée que l’entreprise chinoise ne possédait pas encore |23|. C’est d’ailleurs la firme de Sagias qui avait rédigé la première convention avec Cosco en 2008. Après avoir quitté ses fonctions de secrétaire du gouvernement, Sagias s’est remis encore plus activement à son cabinet d’affaires |24|. Il est redevenu le conseil attitré de grands intérêts étrangers pour favoriser de nouvelles privatisations. Il a servi les intérêts de l’Émir du Qatar en 2016 qui souhaitait acquérir une île grecque, l’île d’Oxyas à Zakinthos, appartenant à une zone Natura. Sagias a également été le conseil de Cosco en 2016-2017 dans un litige avec les travailleurs du port du Pirée, quand il s’est agi de trouver une formule de départ anticipé (ou de licenciement déguisé) pour plus d’une centaine de travailleurs proches de l’âge de la retraite.

Dans la cinquième partie nous aborderons les évènements de janvier-février 2015 : les journées qui ont précédé la victoire attendue de Syriza le 25 janvier, la création du gouvernement Tsipras, le programme de Syriza, l’entrée en fonction de Yanis Varoufakis comme ministre des Finances et les négociations qui conduisent à l’accord funeste du 20 février 2015.

Notes

|1| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chapitre 5, p. 127.

|2| Voir Vice, « The Former Finance Minister Who Tried to Warn Greece About the Crisis », publié le 15 juillet 2015, consulté le 12 novembre 2017

|3| Y. Varoufakis, op.cit., Chapitre 5, p. 129.

|4| Adea Guillot, « Grèce : l’ex-députée socialiste Elena Panaritis renonce au FMI », publié le 1er juin 2015, Le Monde

|5| Alors que, sous Varoufakis, il avait été défrayé de manière modeste, il a remis, en août 2015, une facture de 375 000 euros pour la période antérieure à juillet 2015. Cela a provoqué des remous et a alimenté la campagne de discrédit lancé par la presse dominante grecque contre Varoufakis. GRReporter, « A Korean adviser of Varoufakis claims a fee of €375,000 », publié le 9 août 2017, consulté le 12 novembre 2017

|6| La Banque Lazard est un groupe mondial de conseil financier et de gestion d’actifs. Entreprise franco-américaine à sa création en 1848, Lazard est aujourd’hui cotée à la bourse de New York et est présente dans 43 villes dans 27 pays. Son dirigeant le plus connu en France est Matthieu Pigasse. Sous sa conduite la banque a conseillé différents gouvernements en matière de dette ou de gestion d’actifs (entendez privatisations) : l’Équateur en 2008-2009 en ce qui concerne la dette, la Grèce en 2012 et en 2015, le Venezuela en 2012-2013. M.Pigasse a des intérêts directs dans le quotidien Le Monde, dans Huffington Post et dans le magazine Les Inrockuptibles. À la fin de l’année 2017, Matthieu Pigasse et la Banque Lazard se sont rangés aux côtés du régime corrompu et répressif du président congolais Denis Sassou-Nguesso pour l’aider dans ses relations avec les créanciers.

|7| Spécialiste de la dette souveraine, il est conseiller à la banque Lazard, avec laquelle il a conseillé le Premier ministre grec Georges Papandréou et le président équatorien Rafael Correa pour la renégociation de la dette de leurs pays. Il a participé, avec la Banque mondiale, à l’« initiative de réduction de la dette des pays pauvres très endettés » (initiative PPTE). Il est éditorialiste au quotidien Le Monde. Daniel Cohen a également été conseiller de François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy de 2010 à 2012. Puis il a soutenu François Hollande, président de 2012 à 2017.

|8| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 131.

|9| James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Éd. du Seuil, Paris, 2016

|10| Voir l’article de Martine Orange « L’économiste James Galbraith raconte les coulisses du plan B grec »

|11| Daniel Munevar est un économiste postkeynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de Yanis Varoufakis alors qu’il était ministre des Finances ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette. Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. En 2009-2010, il a été permanent du CADTM en Belgique puis de retour en Amérique latine, il a cordonné le réseau du CADTM en Amérique latine de 2011 à 2014. C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique en Amérique latine. Il a publié de nombreux articles et études. Il a participé avec Éric Toussaint, Pierre Gottiniaux et Antonio Sanabria à la rédaction des Chiffres de la dette 2015. Il travaille depuis 2017 à Genève à la CNUCED.
Daniel Munevar fait référence à sa participation à l’équipe de Varoufakis dans cet article. Dans le livre déjà mentionné, James Galbraith souligne l’importance de l’aide que lui a apportée Daniel Munevar.

|12| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 133.

|13| Y. Varoufakis, op.cit., p. 17

|14| Des extraits ont été publiés par The Economist (8 février 1992) ainsi que par The Financial Times (10 février 1992) sous le titre « Préservez la planète des économistes ».

|15| Lawrence Summers, à l’occasion de l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI à Bangkok en 1991, interview avec Kirsten Garrett, « Background Briefing », Australian Broadcasting Company, second programme.

|16| La loi adoptée sous la conduite de Robert Rubin et de Lawrence Summers est connue comme la loi Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization Act de 1999. Cette loi américaine a été adoptée par le Congrès, dominé par une majorité républicaine, et promulguée par l’administration Clinton le 12 novembre 1999. Elle permet aux banques d’affaire et aux banques de dépôts de fusionner en mettant en place des services de banques universelles qui assurent aussi bien les services d’une banque de dépôt que d’une banque d’investissement et que d’une compagnie d’assurance. Le vote de cette loi a été l’objet d’un intense lobbying des banques pour permettre la fusion de Citibank avec la compagnie d’assurances Travelers Group, afin de former le conglomérat Citigroup, l’un des plus importants groupes de services financiers au monde. L’adoption de la nouvelle législation revenait à abroger la loi Glass Steagall Act, ou Banking Act, en place depuis 1933, qui a notamment déclaré incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et qui a permis d’éviter de grandes crises bancaires aux États-Unis jusqu’à celle de 2007-2008.

|17| Financial Times, 26-27 février 2005.

|18| La polémique a été également alimentée par la désapprobation de l’attaque lancée par Summers contre Cornel West, un universitaire noir et progressiste, professeur de Religion et d’études afro-américaines à l’université de Princeton. Summers, prosioniste notoire, dénonça West comme antisémite parce que celui-ci soutenait l’action des étudiants qui exigeaient un boycott d’Israël tant que son gouvernement ne respecterait pas les droits des Palestiniens. Voir Financial Times du 26-27 février 2005. Cornel West, qui a soutenu Obama avec enthousiasme, s’est étonné que celui-ci veuille s’entourer de Summers et de Rubin. Voir www.democracynow.org/2008/11…

|19| Sachs a publié en 2005 un livre intitulé La fin de la pauvreté (The End of Poverty : How We Can Make it Happen in Our Lifetime) qui a été très bien accueilli par l’establishment. En 2007-2008 le CADTM a participé à la réalisation et à la diffusion du film documentaire La fin de la pauvreté ? qui constitue la démonstration opposée à celle de Sachs. Ce film du cinéaste Philippe Diaz a été sélectionné au festival de Cannes en 2008 par la semaine de la Critique (il contient des interviews de Joseph Stiglitz, Susan George, Amartya Sen, Éric Toussaint, John Perkins). Sachs a publié un nouveau livre mainstream en 2015 sur le développement durable. Voici un exemple de commentaire promotionnel qu’on peut trouver dans la presse : « Conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, l’économiste Jeffrey Sachs compte parmi les personnalités les plus influentes en matière de développement durable. Inspirateur des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui ont couru de 2000 à 2015, Sachs sait briller et être entendu dans tous les milieux. »

|20| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 132.

|21| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 15, p. 398

|22| Adéa Guillot et Cécile Ducourtieux du quotidien Le Monde écrivaient à propos de Sagias « Longtemps proche du PASOK, il a participé à de nombreuses négociations de contrats publics et conseille régulièrement des investisseurs étrangers souhaitant s’implanter en Grèce. »

|23| Je reviendrai plus loin sur le rôle joué par Varoufakis lui-même dans la poursuite de la privatisation du port du Pirée et sur ses relations avec Cosco.

|24| Voir le site officiel de la firme de Sagias.

http://www.cadtm.org/Varoufakis-s-est-entoure-de

Les enchères : Le pays à nouveau sur la mauvaise route

Enchères: Le pays à nouveau sur la mauvaise route par Kostas Lapavitsas et George Diagoras 13/12/17

Faiblesse bancaire profonde et structurelle

La pression que le gouvernement exerce sur les prêteurs et les banques pour procéder à des ventes aux enchères est énorme. La marge de manœuvre est minime et le gouvernement boira le verre amer jusqu’à la fin. Malheureusement, les résultats pour l’économie et la société seront profondément négatifs. Le pays est de retour sur la mauvaise voie.

Les données de la Banque de Grèce montrent qu’en juin 2017, les banques grecques détenaient au total 45% de leurs actifs dans un État en difficulté. Ce sont des expositions soi-disant non-servies (IEA) qui ne sont pas entretenues du tout, ou leur service est extrêmement précaire. C’est irréaliste. Il n’y a pas de système bancaire dans le monde qui puisse fonctionner normalement avec un tel trou dans son bilan.

L’adéquation du capital des banques grecques semble être robuste, mais les phénomènes sont absurdes. Le risque d’une recapitalisation accélérée en raison de prêts problématiques est en train de saper. Les problèmes de prêts devraient être ajoutés à l’important manque de liquidité, les banques ayant perdu environ la moitié de leurs dépôts depuis le début de la crise.

Le système bancaire grec est aujourd’hui la preuve la plus tangible de l’échec des politiques de mémorandum. Il est maintenant trop centralisé, quatre banques contrôlant environ 95% du système. Il a absorbé plus de 40 milliards d’euros de recapitalisation répétée, que le peuple grec a chargé. Ses grosses pièces ont été vendues à des spéculateurs étrangers avec la recapitalisation criminelle de novembre 2015. Elle reste totalement dysfonctionnelle en limitant constamment ses emprunts à l’ensemble de l’économie. À la fin de 2016, par exemple, ses emprunts s’élevaient à 193,3 milliards de dollars, contre 184,6 milliards en octobre 2017.

Il n’y a absolument aucun moyen pour la Grèce d’entrer dans une voie de croissance rapide avec un tel système bancaire. Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres facteurs qui entravent la croissance, tels que la dette, les excédents désastreux et la fiscalité, l’absence de politique industrielle. Mais la simple pensée que ces banques pourraient financer une vague d’investissement dans le pays est vive.

Les enchères toucheront principalement les petites et moyennes

La mise aux enchères est une politique de mémorisation censée «assainir» le système bancaire en créant des perspectives de croissance. En pratique, ils auront l’effet inverse. Il existe plusieurs façons de gérer les prêts problématiques, comme la création d’une «mauvaise» banque qui les absorbera. La vente aux enchères dans des délais serrés est probablement la pire. Le résultat sera la vente de prêts à un prix extrêmement bas, avec un fort impact sur l’économie dans son ensemble. En outre, les banques ne seront pas déchargées d’un endettement suffisant dans un délai raisonnable.

Sur la base des chiffres de juin 2017, le MEA représentait 26 milliards de logements, 13,2 milliards de prêts à la consommation et 47,8 milliards de prêts aux entreprises. Le principal problème est donc le crédit aux entreprises, attendu pour un pays qui entrera en 2018 dans la dixième année de récession et de stagnation. Sur les AME des entreprises, 37,4 milliards (78%) sont destinés aux prêts aux petites et moyennes entreprises, aux travailleurs indépendants et aux très petites entreprises. C’est la réalité et non les histoires de communication sur les méchants riches qui choisissent stratégiquement de ne pas payer leurs dettes.

Le Mémorandum prévoit que les banques sont obligées de réduire le total des MTA de 31,5 milliards au cours des années 2018-19. Les méthodes à cette fin seront, à leur tour, les radiations, les liquidations et les ventes. La mise aux enchères sera donc un levier clé, et en combinaison avec les ventes (qui conduiront souvent à des enchères) atteindra le niveau de 18 milliards.

Il est facile de conclure que la plupart des ventes aux enchères impliqueront des petits et moyens entrepreneurs individuels et des agriculteurs. Les AME des grandes entreprises, des compagnies maritimes et autres sont d’environ 10 milliards. Les milliers de propriétés qui sortiront du marteau dans les deux prochaines années ne seront pas seulement les maisons de luxe des riches, mais aussi les fortunes d’une grande couche de petites et moyennes entreprises.

La question politique brûlante est ce qui va arriver à la première maison. La réponse est simple: après l’abolition de la loi Katseli en 2018, il n’y aura pas de disposition légale pour la protection de la première résidence. Le danger pour les maisons de milliers de ménages de petite et moyenne taille est clair. Le fameux « gentleman’s agreement » avec les banques pour ne pas venir au marteau moins de 300.000 euros n’a absolument aucune gravité.

Le pays à nouveau sur la mauvaise route

Les enchères de 2018-2019 restructureront l’économie grecque en détruisant une grande partie de ses tissus de petite et moyenne taille et en causant de graves dommages sociaux. Il est inconcevable, après huit années de mémorandums, qu’une restructuration aussi profonde soit laissée entre les mains des prêteurs et des banques. Ils agiront sur la base de leurs intérêts étroits, l’économie aura une PME encore plus faible et les perspectives de croissance du pays vont s’aggraver. Enfin, même si les banques atteignent tous les objectifs du mémorandum, elles continueront à détenir 66,7 milliards de MEA à la fin de 2019, selon la Banque. Le montant restera énorme et d’autres mesures seront nécessaires. Cela ne résoudra pas le problème des banques.

Notez que les choses peuvent encore s’aggraver si le dernier Prospectus de la BCE, qui exige les nouveaux AME des banques (c’est-à-dire ceux qui apparaîtront en 2018-2019), a une couverture en capital plus élevée. Si cela se produit, les 30,4 milliards de nouveaux AEM que les banques grecques attendent d’ici 2019 nécessiteront plus de fonds. Cela signifie qu’une nouvelle recapitalisation des banques grecques pourrait être nécessaire en 2018. Jusqu’à présent, le gouvernement grec, s’appuyant toujours sur les prêteurs, n’a pas réagi à la directive de la BCE. Le salut peut provenir de la réaction italienne intense qui s’est déjà produite.

Le gouvernement Tsipras suivra fidèlement les contrôles des créanciers afin de ne pas compromettre les décaissements de l’argent. Il craint que toute autre réaction ne mette sa stratégie hors des marchés en 2018 afin d’avoir une marge électorale. Ils vont gérer le problème des enchères en utilisant tous les moyens et tous les mensonges. Une fois de plus, le résultat final sera tragique pour le pays et la société. La seule protection contre l’absurdité continue est la réaction massive par tous les moyens.

La Cour des comptes européenne accable la gestion de la crise grecque

Dans un rapport publié jeudi, la Cour des comptes européenne dresse un constat implacable des trois plans de sauvetage européens pour la Grèce. Des critiques formulées de longue date par nombre d’économistes sont confirmées, notamment le dogmatisme et l’irréalisme sans précédent de la Commission européenne.

Un échec. Les trois plans de sauvetage européens menés depuis 2010 sont un échec patent, selon le rapport de la Cour des comptes européennes, publié le 16 novembre (lire ici). Alors que le troisième plan est censé s’achever à la mi-2018, la Grèce sort dans un état de délabrement économique sans précédent : son PIB a diminué de 30 %, sa dette publique a pris des allures stratosphériques, dépassant les 180 % du PIB, les banques grecques ne sont pas en état de prêter et d’assurer le financement de l’économie. Le seul objectif clair que s’était fixé la Commission européenne – permettre à Athènes de retrouver un accès au marché financier – semble ne pas pouvoir être atteint. « Ces programmes ont permis de promouvoir les réformes et d’éviter un défaut de la Grèce. Mais la capacité du pays à se financer intégralement sur les marchés reste un défi », souligne Baudilio Tomé Muguruza, membre de la Cour des comptes européenne responsable du rapport.

En soi, ce rapport ne vient que confirmer les multiples alertes et mises en garde faites par nombre d’économistes et observateurs. Tout au long de la crise grecque et plus encore au moment du troisième plan de sauvetage en juillet 2015, ils n’ont cessé de dénoncer l’irréalisme et le dogmatisme économiques qui prévalaient parmi les « experts » et les responsables politiques européens, et qui ne pouvaient conduire, selon eux, qu’à un échec. Nous y sommes. 110 milliards d’euros de financement ont été accordés à Athènes en 2010, 172 milliards lui ont été à nouveau prêtés en 2012, 86 milliards à nouveau – mais 36 milliards seulement ont été effectivement déboursés à ce jour – en 2015… pourtant sa situation économique et financière est toujours intenable.

 © CE.Le rapport de la Cour des comptes européenne a cependant un mérite supplémentaire. Pour ce faire, elle a eu accès à une foule de documents internes, a pu auditionner des personnes qui ont été chargées d’élaborer les différents programmes et leur mise en œuvre, aussi bien à la commission qu’au MES (mécanisme européen de stabilité). Seule, la Banque centrale européenne (BCE), se drapant dans son statut d’indépendance, a contesté la mission de la Cour des comptes européenne, pourtant bien inscrite dans les textes. Elle a refusé de lui transmettre des documents, ou ceux qu’elle lui a fait suivre étaient si insignifiants qu’ils en étaient inutilisables. Avait-elle donc des choses à cacher ?

La Grèce, en tout cas, a été une bonne affaire pour elle et les pays européens créanciers. En octobre, Mario Draghi, le président de la BCE, a reconnu que la banque centrale avait réalisé 7,8 milliards d’euros de plus-values entre 2012 et 2016 sur ses rachats de titres grecs. Ces plus-values, a même précisé le président de la BCE dans une lettre aux députés européens, ont vocation à être redistribuées aux banques centrales nationales de la zone euro au prorata de leur participation dans la BCE. Il avait été pourtant promis à la Grèce en 2012 de lui reverser la totalité des plus-values pour l’aider. Mais c’était avant.

À la lecture de ce rapport, le refus de la BCE se comprend : le tableau dressé par la Cour des comptes européenne est accablant. Tout ce qui a été dénoncé depuis des années par des économistes, tout ce que Yanis Varoufakis a critiqué alors qu’il tentait, comme ministre des finances, de négocier le troisième plan de sauvetage, tout ce que l’on subodorait de manœuvres, calculs et petits arrangements lors des interminables négociations au sein de l’Eurogroupe, se retrouve confirmé puissance mille.

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Au fil des pages, la faillite de la politique européenne à l’égard de la Grèce s’impose, écrasante. La politique du chiffre, quel qu’il soit, même s’il est sans fondement, a tenu lieu de guide politique aux responsables européens. Des armées d’experts en chambre, de responsables politiques, pétris de dogmatisme, d’idées préconçues, faisant preuve parfois de ce qu’on est tenté de qualifier d’une inculture économique crasse, discutent et arrêtent des mesures, qui s’inscrivent dans leur catéchisme, sans même prendre la peine d’en discuter la pertinence, sans même revenir dessus si les faits viennent démentir leurs assertions. À aucun moment, la prise en considération que la Grèce est un pays, avec son histoire, sa géographie, son économie propre ne transparaît. À aucun moment, ils ne semblent envisager que les décisions ont des répercussions immédiates, parfois dramatiques sur la vie des gens. Ils ont leur modèle. Il est universel.

Cette absence de toute considération sur la réalité même de ce qu’est la Grèce est là, dès les premiers moments du premier plan de sauvetage du pays en 2010. Certes, reconnaît la Cour des comptes européenne, la Commission européenne a été prise de court au début de la crise grecque. Rien n’était prévu dans les textes pour faire face à une telle situation. Les lacunes et les manques de l’administration grecque, et plus généralement de tout l’appareil d’État, l’instabilité politique en Grèce, lui ont compliqué encore la tâche.

La Commission a donc été contrainte d’improviser et de bricoler dans l’urgence. Mais elle le fait dans une optique déterminée : « La logique d’intervention des programmes d’ajustement grec a essentiellement consisté à traiter le problème des déséquilibres économiques du pays et à prévenir ainsi toute propagation de la crise économique grecque au reste de la zone euro », constate le rapport.

La principale préoccupation de la Commission européenne est donc d’abord de rassurer les marchés financiers. Tout doit être mis en œuvre pour assainir la situation budgétaire de la Grèce afin de lui permettre de retrouver l’accès aux marchés financiers. La Cour des comptes européenne souligne combien il était important de mener un ajustement budgétaire pour ramener des comptes publics totalement en dérive. Mais cela s’est fait sans autre considération qu’un redressement à court terme, insiste-t-elle. À aucun moment, il n’a été question de croissance, d’emploi, de reconstruction de l’économie grecque pour aider le pays après la fin de son plan de sauvetage, souligne la Cour des comptes européenne : « Les programmes ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une stratégie générale de croissance conduite par les autorités grecques et pouvant se prolonger au-delà de leur terme. »

La croyance dans des modèles

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Bien sûr, la Troïka a établi des scénarios macroéconomiques, assurant tous que la Grèce allait rebondir très rapidement. Dès 2012, prévoyaient les premiers. Ils ont tous été démentis par la suite.

La suite est encore plus confondante. « La commission a établi des projections macroéconomiques et budgétaires séparément et ne les a pas intégrées dans un modèle unique », révèle le rapport de la Cour des comptes européenne. Toutes les limites méthodologiques, idéologiques, de la Commission européenne émergent dans ce constat. S’en tenant aux fondements théoriques du néolibéralisme, dénoncés par de nombreux économistes (relire à ce sujet l’article sur l’imposture économique de Steve Keen), la Commission avalise une conception lunaire de l’économie, où il n’y aurait aucune interaction entre les différentes composantes. Comme si les décisions budgétaires n’avaient aucune influence sur l’environnement économique, comme si les réformes n’avaient pas de conséquence sociale ou même sur le climat de confiance, que la monnaie n’avait aucune influence.

La conclusion de ce vice méthodologique constitutif est sans appel. « En l’absence de feuille de route stratégique pour stimuler les moteurs potentiels de la croissance, la stratégie d’assainissement budgétaire n’a pas été propice à la croissance. Il n’y a pas eu d’évaluation des risques visant à déterminer comment les différentes mesures budgétaires envisageables comme la réduction des dépenses et l’augmentation des impôts et leur succession dans le temps influeraient sur la croissance du PIB, sur les exportations et sur le chômage. »

Ainsi, l’importance de la production ou du chômage dans l’économie semble avoir été constamment sous-estimée par les « experts » européens. « Les programmes n’ont pas anticipé la dévaluation interne de 2012 à 2014 », note le rapport. « Le chômage a culminé à 27,5 % en 2013 et non à 15,2 % en 2012 comme cela était prévu initialement », poursuit-il à un autre endroit. Ce n’est qu’au troisième plan de sauvetage en 2015 qu’il est prévu d’inclure l’impact social des mesures préconisées.

La croyance de la Commission dans ses modèles est tellement forte que cela l’amène à exiger l’application des mesures qu’elle a arrêtées au mépris de toute autre considération économique, en ignorant toutes les caractéristiques de l’économie grecque. « L’accroissement de la pression fiscale de 2010 à 2014 a été de 5,3 % du PIB. L’essentiel de cette augmentation a été enregistré entre 2010 et 2012, au moment où la crise économique était la plus profonde », relève le rapport. Les réformes sur le travail ont été imposées sans tenir compte de « certaines particularités de l’économie grecque et notamment de la forte proportion de micro-entreprises et de petites entreprises ». De même, les groupes de travaux européens ont décidé d’ignorer pendant des mois les effets liés à l’augmentation des taxes foncières qu’ils ont imposée à Athènes. Celle-ci a contribué à accentuer les difficultés des propriétaires. Beaucoup n’ont pu honorer le paiement de leurs emprunts. Ce qui a contribué à augmenter le poids des mauvais crédits du système bancaire grec. Faute de nettoyage et de recapitalisation suffisante, ce dernier n’est pas en état d’assurer le financement de l’économie.

Les exemples de ces effets boule de neige pullulent dans le rapport de la Cour des comptes européenne. Sans que cela semble ébranler les certitudes des responsables européens. Leurs convictions sont si ancrées qu’ils ne prennent même pas la peine de les justifier. Ainsi, nombre de réformes ont été exigées sans étude chiffrée précise, sans pouvoir avancer les justifications économiques qui amenaient la Commission à exiger de tels chiffres, sans s’interroger sur leurs pertinences lorsqu’elles étaient appliquées au cas grec, relève à plusieurs reprises la Cour des comptes européenne.

Reprendre les mesures répétées comme les tables de la loi par les théories néolibérales semble se suffire en soi. « La Commission n’était pas en mesure de présenter la moindre analyse quantitative ou qualitative pour les deux principaux objectifs de la réforme (à savoir la suppression de 150 000 postes dans la fonction publique entre 2011 et 2015 et le licenciement obligatoire de 15 000 agents pour 2014 au plus tard », note le rapport lors du premier plan de sauvetage. « Dans le domaine de la promotion des exportations, des conditions telles que “l’adoption de mesures pour faciliter les partenariats public-privé” ne définissaient aucune action précise ou concrète », écrit-il dans un autre passage.

Les échéances de remboursement de la Grèce après le troisième plan de sauvetage. De plus, le suivi des mesures exigées a souvent été plus que lacunaire. Le seul changement de la loi ou d’un règlement semble avoir tenu lieu de viatique, sans que la Commission ne se préoccupe de leur réelle mise en vigueur, de la désorganisation totale de l’administration et de l’appareil judiciaire grecs, ce qui semble avoir facilité des fraudes massives, selon le rapport. De même, elle a travaillé souvent avec des chiffres sans cohérence, non datés, qui amènent à s’interroger sur la qualité des fameux reporting européens.          
Les échéances de remboursement de la Grèce après le troisième plan de sauvetage.            

Comment s’étonner que les différents plans de sauvetage aient tous échoué ? Mais là encore, la Commission européenne ne semble pas s’être posé beaucoup de questions sur ces échecs, comme cela transparaît dans le rapport. Si les plans ne fonctionnaient pas, si les réformes ne portaient pas les résultats escomptés, c’était de la faute des Grecs qui ne mettaient pas en œuvre correctement ce qui avait été prévu. Selon la Cour des comptes européenne, l’Eurogroupe n’a cessé de demander, au fur et à mesure de la dégradation de la situation, des mesures supplémentaires, d’imposer des conditionnalités à Athènes qui n’étaient pas prévues, notamment en matière de financement du système bancaire.

Aujourd’hui, l’Europe se paie de mots en soulignant que la Grèce est en voie de redressement. La preuve, selon elle : Athènes a pu réaliser quelques émissions obligataires. La Cour des comptes européenne vient doucher ces illusions. L’économie ne se redresse toujours pas, la dette est à un niveau insoutenable, l’état du système financier est totalement délabré – car c’est d’ailleurs une des grandes faillites des plans européens, l’Europe a accompagné les recapitalisations des banques en 2013 sans veiller au nettoyage des bilans et aux changements de gouvernance – et ses besoins de financement sont toujours aussi immenses. « Immédiatement après la fin du programme, la Grèce devra rembourser des montants importants à ses créanciers. En 2019, les besoins bruts de financement s’élèveront à 21 milliards d’euros en principal et en intérêts », constate la Cour des comptes européenne.

Ce seul chiffre donne la mesure de l’échec du sauvetage européen. Il est irréaliste de penser qu’Athènes puisse trouver de telles ressources financières ou lever de tels montants sur les marchés pour honorer ses échéances. Mais tout a été irréaliste depuis le début de la gestion de la crise grecque par l’Europe. Et c’est un pays tout entier, ses populations, sa société, qui est en train de payer au prix fort cet aveuglement.

Aéroports grecs : cessions et grandes concessions


Sur Libération par Fabien Perrier, correspondant à Athènes
12 novembre 2017 

Dans la Grèce soumise à l’austérité, un consortium d’entreprises allemandes s’est taillé la part du lion lorsque l’Etat a mis aux enchères quatorze de ses aéroports régionaux. Une opération très avantageuse, sur fond d’optimisation fiscale.

Tous les profits pour l’un, bien planqués dans des paradis fiscaux, et tout le passif pour l’autre. D’un côté, le consortium Fraport AG-Slentel Ltd, gros exploitant des aéroports allemands épinglé dans l’enquête «Paradise Papers» , et de l’autre la Grèce, mise en demeure en 2015 par les «hommes en noirs» de la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international) de vendre ses bijoux de famille pour renflouer les caisses terriblement vides de l’Etat. Transport, énergie, loterie nationale, gestion de l’eau, infrastructures, patrimoine culturel… Dans cette grande braderie, les aéroports grecs s’avèrent, dès 2014, un business lucratif. Une aubaine pour l’opérateur aéroportuaire allemand qui se met rapidement sur les rangs concernant la privatisation de quatorze aéroports régionaux, dont ceux de Thessalonique, Mykonos ou encore Santorin. Trois ans plus tard, en avril 2017, pari gagné avec une cession conclue pour quarante années.

Thérapie de choc

Sauf qu’aujourd’hui, pour faire prospérer son investissement, le consortium allemand Fraport (flanqué d’un partenaire grec, le groupe spécialisé dans l’énergie Copelouzos) est prêt à tout. Y compris à mener une bataille juridique contre l’Etat grec. Selon le site d’investigation ThePressProject, Fraport AG-Slentel Ltd et Copelouzos réclament 70 millions d’euros au gouvernement hellène. Au cœur de ce bras de fer judiciaire : le mauvais état des quatorze aéroports cédés et de prétendus inévitables travaux à réaliser. Le consortium gréco-allemand a donc entamé une procédure d’arbitrage pour obtenir des dédommagements sonnants et trébuchants. Entre le gestionnaire et l’Etat, le torchon brûle. Mais pas au point d’étaler le différend sur la place publique. Peu loquace, un responsable gouvernemental grec se contente d’affirmer : «Nous n’avons aucun problème avec Fraport.» Ce dernier, qui a mis sur la table 1,234 milliard d’euros en contrepartie de la gestion des aéroports, refuse de confirmer les montants demandés à l’Etat grec. «C’est une procédure d’arbitrage normale», dit-on du côté de Fraport. Une procédure révélatrice des effets provoqués par la thérapie de choc imposée à la Grèce depuis 2010.
Petit retour en arrière. Nous sommes au début de la décennie. En pleine crise de la dette, le gouvernement grec signe un premier plan de sauvetage financier en échange d’une réforme de l’Etat. Au chapitre des exigences imposées par la troïka, il y a l’éternelle obligation de procéder à des privatisations. Pour orchestrer les ventes d’entreprises nationales, une caisse de mise en valeur des biens publics (la Taiped) est créée en 2011. La plupart des aéroports sont mis en vente. En 2014, trois prétendants sont en lice. Il y a la Corporación America (un holding argentin) associée à l’entreprise grecque de construction Metka, un duo franco-grec constitué de Vinci et d’Ellaktor et le tandem Fraport-Copelouzos. Ce dernier emporte la mise en proposant 1,234 milliard d’euros assorti de 23 millions d’euros versé à la Taiped. A charge pour cette dernière de réorienter ses recettes provenant des privatisations vers le remboursement de la dette grecque. Aujourd’hui, et si d’aventure Fraport devait obtenir gain de cause à l’issue de l’arbitrage qui l’oppose à Athènes, l’Etat devra piocher dans ses propres ressources budgétaires pour le dédommager. Autrement dit, pas question de toucher à un seul euro «gagné» par les privatisations.

Volte-face

Comment Athènes a-t-il cédé ses aéroports à Fraport ? Comme lors de toutes les privatisations, des conseillers (techniques, financiers, juridiques) ont épaulé la Taiped dans le processus. Celui chargé des questions techniques était la Lufthansa Consulting, une filiale de la compagnie aérienne allemande du même nom. Celle-là même qui détient 8,44 % de la société mère Fraport. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais lorsque le parti anti-austérité Syriza remporte les élections législatives anticipées en janvier 2015, changement de décor. Aléxis Tsípras, le chef de file de Syriza, devenu Premier ministre, décide de geler la vente. Pas question, estime-t-il, de céder les biens de l’Etat à des investisseurs privés. Mais sept mois plus tard, le même Tsípras fait volte-face. Et pour cause : l’accord sur la dette proposée par les créanciers du pays (sous la pression de l’Allemagne, qui menace de faire sortir la Grèce de la zone euro) mentionne explicitement que la privatisation des aéroports doit aboutir. Une condition qu’accepte Aléxis Tsípras.
Dès l’été 2015, Fraport et la Taiped négocient les termes de l’accord de mise en concession des aéroports, qui devient effectif le 11 avril 2017. L’affaire est pliée. Le lendemain, une conférence de presse est organisée en grande pompe dans le très fastueux hôtel Hilton d’Athènes. Le directeur de Fraport AG (la maison mère allemande), celui de Fraport Grèce et Dimitris Copelouzos (le fondateur et président du groupe énergétique grec du même nom) : les gagnants de la privatisation sont tous là. La presse est conviée. Mais pas question de poser la moindre question. Du jamais-vu. Il s’agissait pourtant d’évoquer, selon les termes de l’agence Taiped, «l’utilisation, la gestion et l’exploitation sur une durée de quarante ans» de ces quatorze aéroports régionaux. «Y avait-il des choses à cacher ?» s’interroge encore Fotis Kollias, un des journalistes qui assistaient à ce semblant de conférence de presse.
Depuis, le doute est de mise un peu partout en Grèce. Pire encore, depuis les révélations de ThePressProject. Ce dernier a en effet publié le contrat entre la Taiped et Fraport. Thanos Kamilalis, le journaliste du site d’investigation qui a enquêté sur le dossier, considère que les conditions du contrat font la part belle à Fraport. Ainsi sur le plan fiscal, l’accord prévoit que Fraport ne paiera pas de taxes foncières et locales. Libre au gestionnaire allemand de mettre de nouvelles taxes pour les passagers : des recettes qui iront directement dans ses caisses sans passer par la case Trésor public.
Quant aux choix des partenaires, là encore tout est fait pour faciliter la vie de Fraport. L’Allemand a ainsi le droit d’annuler unilatéralement les contrats souscrits par les anciens prestataires des quatorze aéroports et libre à lui d’en choisir des nouveaux. Et pas question d’accorder le moindre dédommagement aux éventuels commerçants, restaurateurs ou autres fournisseurs congédiés. Cerise sur le gâteau d’un contrat totalement déséquilibré : c’est l’Etat (donc le contribuable) qui mettra la main à la poche si Fraport décide de licencier des salariés grecs. Et c’est encore lui qui devra prendre en charge les victimes d’accidents du travail, y compris lorsque la responsabilité de l’entreprise sera avérée. Rien n’a été laissé au hasard. Ainsi, qu’une grève vienne contredire la «bonne marche» des aéroports privatisés et Fraport sera fondée à demander des dédommagements pour manque à gagner à l’Etat : c’est aussi dans le contrat de cession, de près de 200 pages.

Aucun risque

Malgré toutes ces conditions avantageuses, il a fallu près de deux ans pour que la concession devienne réalité. «C’est un délai extrêmement long pour ce genre d’opération», confie une source au sein des aéroports grecs. Et de poursuivre : «En réalité, Fraport ne parvenait pas à rassembler les fonds nécessaires.» «Le consortium a signé un prêt sur le long terme avec différentes institutions financières», répond Yannis Papazoglou, directeur de la communication de Fraport Grèce. Il précise que le milliard nécessaire au bouclage du deal a été trouvé auprès de cinq institutions financières. Fraport ne supporte donc aucun risque directement. Sur les cinq créanciers, deux sont des institutions européennes. Ainsi la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a financé l’opération de Fraport Grèce à hauteur de 186,7 millions d’euros. En outre, un peu plus de 280 millions ont été prêtés par la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker. Or, en tout, la BEI a apporté son soutien à hauteur de 400 millions d’euros pour les entreprises grecques. Les deux tiers de cette somme ont donc bénéficié à Fraport. «Nous attendons que ces prêts génèrent des investissements en Grèce», justifie-t-on du côté de la Commission. «Mais pour l’instant les travaux n’ont pas commencé», souligne le ministre grec des Transports, Christos Spritzis. Un responsable de l’aviation civile s’inquiète que «le capital de la maison mère Fraport soit trop faible au regard d’une dette de 3,5 milliards d’euros à rembourser d’ici à 2020».
Plus surprenant encore : la société Fraport AG est détenue à hauteur de 31,32 % par le Land de Hesse et à hauteur de 20 % par la ville de Francfort. Un juteux business pour ces deux actionnaires. En effet, sur les six premiers mois de l’année, la société grecque a réalisé plus de 106 millions de bénéfices. Au final, quatorze aéroports ont donc quitté le giron de l’Etat grec pour se retrouver dans ceux d’un Land et d’une ville en Allemagne, à travers une entreprise à présent citée dans les Paradise Papers. Les sociétés du groupe Fraport sont en effet domiciliées au Luxembourg, à Chypre ou encore à Malte. Les bijoux de famille grecs sont donc, en partie, dans des coffres publics allemands. Mais à l’abri de l’impôt.
 

Fabien Perrier


Grèce : Les aéroports privatisés une mine d’or pour la Sté allemande

Publié le 5 nov 17 sur Unité populaire

LES 14 AEROPORTS PERIPHERIQUES PRIVATISES : UNE MINE D’OR POUR LA SOCIETE ALLEMANDE FRAPORT SELON LE HANDELSBLATT – DES PROFITS DE PLUS DE 100 000 000 D’EUROS EN QUELQUES MOIS !

 source http://agonaskritis.gr/

Sous le titre « La Grèce devient une source de revenus [pour l’Allemagne] », le journal économique Handelsblatt évoque les superprofits qu’apportent à la société Fraport les 14 aéroports concédés à celle-ci  dans le cadre d’un accord de type colonial.

Le journal souligne que les profits ont dépassé les prévisions les plus optimistes des experts : Fraport Greece a rapporté au groupe 180 millions d’euros et au cours des 9 premiers mois de 2017 on a noté une augmentation de 13,7% des recettes du groupe qui se montent à 2,23 milliards d’euros.

Selon un communiqué du groupe, dans le secteur des activités extérieures dont fait partie l’exploitation des 14 aéroports de Grèce, les recettes ont augmenté de 51,2% et se sont montées à 631 millions d’euros – et ce surtout justement grâce aux aéroports grecs dont les recettes ont augmenté de  181,4 millions d’euros. Malgré des coûts en hausse, les revenus avant prélèvement fiscal de ce secteur de Fraport ont augmenté de 77,8 et ont atteint 280,1 millions d’euros.

Plus précisément, Fraport Greece a bénéficié de revenus de l’ordre de 1,06 milliard avant impôt et un résultat de 29 millions d’euros. Ces résultats de Fraport Greece ont conduit à une augmentation importante des flux de trésorerie liés au fonctionnement du groupe, avec une augmentation de 25,1% sur les libres flux qui sont passés à 3,8 milliards.

La fréquentation des 14 aéroports grecs a augmenté de 9,7% au cours du 3ème trimestre 2017 et a concerné 14,2 millions de passagers – pour les 9 mois l’augmentation a été de 10,5% pour 23,9 millions de passagers.

Sur l’ensemble de l’année 2017 on prévoit pour le groupe, en incluant les aéroports grecs, des recettes de 2,9 milliards d’euros et des revenus avant impôt de 980 millions à 1 milliard d’euros. On prévoit aussi une augmentation de la fréquentation des 14 aéroports de 10% sur l’ensemble de l’année.

La vente des aéroports peut être considérée comme l’une des plus scandaleuses cessions de patrimoine public dans le monde, à cause non seulement du prix honteusement bas de cette cession mais aussi des conditions véritablement coloniales acceptées par le gouvernement Syriza. Rappelons que les détails de la vente ont été fixés, pour le côté grec, par une filiale de la Lufthansa qui figure dans le capital de Fraport. Autant dire que c’est l’acheteur qui a fixé les conditions de la vente.

Et au même moment, il est question que la société exige des contribuables grecs une « indemnisation » de 70 millions d’euros pour la situation déplorable dans laquelle elle a trouvé les aéroports quand elle les a pris en mains…

Traduction: Merci à Joëlle Fontaine

https://unitepopulaire-fr.org/2017/11/05/les-14-aeroports-grecs-privatises-une-mine-dor-pour-fraport/

Les compilateurs de la Réforme politique par Kostas Lapavitsas

Les compilateurs de la Réforme politique

Le nécessaire et faisable

La situation de la Grèce neuf ans après le déclenchement de la crise et sept ans après le début des mémorandums est sombre. Les conditions économiques ne favorisent pas la croissance rapide nécessaire pour guérir les blessures. La réalité sociale pousse à aggraver l’inégalité et le malheur social. Les développements politiques ont conduit à une dépréciation totale du système politique, à un durcissement de la corruption et de la non-religion, et au déclin de la démocratie.

Les mémorandums ont stabilisé l’économie en supprimant l’énorme déficit budgétaire et le déficit tout aussi énorme du commerce extérieur, qui ont été les principaux moteurs de la crise en 2010. Mais la stabilisation a été réalisée par la pauvreté et le démantèlement du tissu productif. du pays. Tant que la Grèce restera dans le contexte des mémoires, qu’ils soient typiques ou non, elle ira vers un rétrécissement et un déclin historiques.

Tout aussi profond est le problème de l’inertie et de la frustration de la classe ouvrière et des laïcs. Il n’y a plus de réaction et de mobilisation contre les mesures mémorisées qui ont été scellées les années précédentes, pas même par les forces syndicales organisées. La principale responsabilité pour cela est SYRIZA et personnellement son chef, Alexis Tsipras, parce qu’il a nié les espoirs populaires de la pire façon. Mais le reste du système politique est responsable car il n’a rien de nouveau et de convaincant à proposer. Néanmoins, les couches touchées par la crise ne sont pas convaincues que la trajectoire suivie par le pays aura un effet positif, elles veulent entendre de nouvelles propositions et rejeter le système politique défaillant. Quand il y a un ciblage spécifique et persuasif, ils ont le pouvoir d’agir, comme le montre le mouvement anti-enchères.

L’attitude du système politique est caractéristique de la lâcheté et de son incapacité absolue à mener le pays dans une direction différente de celle des créanciers. La route qui peut fournir l’optimisme et le progrès social est bien connue et documentée. Les problèmes immédiats et cruciaux de la société grecque, surtout l’énorme chômage et la dystocie du développement, peuvent vraiment être résolus, tant que le pays est libéré de l’étreinte suffocante de ses prêteurs. Il n’y a pas de mystère technique sur la politique économique dont la Grèce a besoin aujourd’hui, qui a été élaborée depuis longtemps. Ce qui manque, c’est le courage politique de faire les profondes percées sociales nécessaires, de réprimer la réalité sociale morbide actuelle et de faire avancer la reconstruction nationale.

Malheureusement, ce qui est urgent n’est pas automatiquement réalisable dans la vie politique. Il s’agit donc de provoquer le redéveloppement des forces politiques qui cherchent véritablement à faire revivre un pays qui a été remis aux prêteurs et à leurs soutiens locaux. Le sol est instable, les conditions difficiles et les responsabilités très importantes. Les termes de la politique de refonte doivent être débattus avec honnêteté. C’est la seule façon de commencer à faire de petits pas.

Le texte suivant est destiné à contribuer à l’effort de redéploiement politique et est divisé en trois parties. Le premier analyse la politique économique requise et qui est à la base de tout développement politique. La seconde se penche sur le domaine politique après sept années de mémorandums. La troisième énonce quelques conditions de base pour une compréhension politique sincère des forces qui peuvent sortir le pays du bourbier.

Partie I Politique économique

Demande totale, politique industrielle, secteur public et privé

L’économie grecque n’a pas besoin des «réformes» notoires des prêteurs, pour lesquelles le gouvernement et l’opposition sont coupés. La Grèce a adopté un certain nombre de ces «réformes» depuis 2010, réduisant les revenus, vendant des biens publics, déréglementer les relations de travail et frapper les petites entreprises au profit des plus grandes. Malgré les «réformes» en cours, la structure problématique de l’économie grecque n’a pas changé, la corruption n’a pas diminué, la productivité a baissé et la compétitivité internationale ne s’est pas améliorée de façon dynamique.

Ce dont l’économie grecque a vraiment besoin aujourd’hui, c’est deux étapes décisives. Le premier est la stimulation immédiate de la demande globale qui permettra aux petites et moyennes entreprises de créer de nouveaux emplois – permanents et avec des salaires suffisants. La locomotive doit être le secteur public parce que le privé est lourdement blessé par les mémorandums et ne peut pas donner l’élan dont il a besoin.

Ceux qui pensent que le rôle de la machine à vapeur peut être joué par l’investissement privé ne voient tout simplement pas l’ampleur du problème. A titre indicatif, en 2009, l’investissement total en Grèce était d’environ 60 milliards, alors qu’en 2016 il était d’environ 20 milliards. Il n’est pas nécessaire que le secteur privé couvre cet écart, compte tenu notamment de la faiblesse du système bancaire. En ce qui concerne l’investissement étranger, en 2016, une année marquée par une performance «élevée», glorifiée par les responsables gouvernementaux, n’a été que de 3,1 milliards. En effet, plus de 90% était l’acquisition d’actifs grecs, souvent par des «investisseurs» de nature douteuse. Il est complètement irréaliste d’attendre de cette source une solution au problème du pays.

La locomotive ne peut être que le secteur public, réduisant les impôts et augmentant les investissements publics. L’effet sera également bénéfique dans le secteur privé, car la consommation privée et l’investissement privé seront stimulés. Un cercle vertueux sera créé, car le chômage sera réduit, surtout si le secteur bancaire a été réorganisé avec la création de banques publiques. Il y a la réponse au problème de la demande et la réduction du chômage. Il y aura donc place pour la redistribution du revenu et de la richesse, mais sur la base de la croissance plutôt que du partage de la pauvreté.

La deuxième étape est la politique industrielle et agraire ciblée, en renforçant de manière décisive les secteurs primaire et secondaire tout en réduisant la dépendance aux importations. C’est le moyen de changer la structure de l’économie grecque en stimulant le tissu productif et en réduisant le recours aux services. De là, il y aura une augmentation systématique de la productivité qui changera la position du pays dans l’économie mondiale. De là, il y aura aussi la stimulation et la transformation du secteur privé de l’économie grecque.

Cette perspective de développement est tout à fait faisable, mais en même temps laborieuse et longue, nécessitant une coordination du système de crédit, des mécanismes de contrôle public, et de l’éducation et de la justice sur une plus longue période de temps. Surtout, il exige une profonde coupure dans l’administration publique, avec rationalisation, renouvellement et un nouvel esprit d’offre sociale. Sur cette base, il y aura une nouvelle relation dans les secteurs public et privé dans notre pays.

Dette, UEM et UE

La simple citation des étapes nécessaires soulève la question urgente : est-il possible pour une telle politique économique, sans une suppression profonde de la dette publique, tant que le pays reste dans le contexte de l’UEM et sans conflit direct avec l’UE. ceux-ci sont également nécessaires. Au cours des sept années des mémorandums, les questions de la dette, de l’UEM et de l’UE ont fait l’objet de débats depuis longtemps, et l’on sait maintenant très bien comment les traiter. Cependant, il faut comprendre que l’annulation de la dette et le recouvrement de la souveraineté monétaire ne sont pas la solution au problème du pays, mais les moyens de passer à la solution comme discuté ci-dessus.

Il convient également de souligner que la situation actuelle de la Grèce n’a rien à voir avec 2010-12. Ensuite, la position des paiements de la dette et la sortie de l’euro, avec ce qu’elle signifiait pour l’UE, auraient dû être les principales demandes des puissances anti-monopoles car elles pouvaient empêcher la destruction monumentale et mettre rapidement le pays sur la voie du développement. . Aujourd’hui, le Mémorandum est devenu un statut, la catastrophe a été faite et le pays est confronté à un grave problème de croissance et à une structure déformée de l’économie. C’est là que la réponse doit commencer.

De plus, la situation actuelle de la zone euro a peu à voir avec 2010-12. La crise s’est calmée et une Europe dominée par l’Allemagne est apparue. Les mécanismes de l’UEM sont devenus encore plus stricts et la rigidité budgétaire est devenue un statut dans l’UE Dans l’Europe actuelle, il y a au moins deux régions: le sud, où notre économie est faible, et l’Europe centrale avec des économies. sur la machine d’exportation allemande. Le problème de la Grèce, mais aussi d’autres pays, est de faire face à la division en un centre et une région, ce qui crée de très mauvaises perspectives de croissance pour les pays du Sud. De là, la réponse devrait également commencer.

Il ne fait aucun doute que les problèmes de la dette, de l’UEM et de l’UE sont cruciaux et que leur traitement est nécessaire pour l’adoption de la politique économique nécessaire pour sortir le pays du bourbier. Cela ne signifie en aucun cas que la Grèce sera isolée. Au contraire, la Grèce est et restera un pays et une société européens ouverts. Mais ses problèmes actuels appellent une proposition de développement convaincante avec un profond changement social qui redéfinira sa place dans le monde. Cela devrait devenir le favori de la politique de réforme.

Partie II Le domaine politique

Un résumé de la politique économique nécessaire est suffisant pour mettre en évidence les problèmes sociaux et politiques qui ressortiront de sa mise en œuvre. En substance, c’est un tournant social et politique profond qui crée une marge de renversement social en faveur des couches populaires, ouvrières et petites et moyennes. Le discours politique programmatique désormais nécessaire à la réforme politique devrait placer ces questions sociales au premier plan.

Souveraineté populaire et nationale

En particulier, la classe moyenne urbaine et supérieure de la société grecque soutenait clairement la politique des mémorandums, pesait très peu proportionnellement à leurs revenus et, en pleine coopération avec les prêteurs étrangers, tentait d’exploiter les conditions engendrées par la stabilisation. Afin d’imposer la politique des mémorandums, ils n’ont pas hésité à contourner les processus démocratiques en créant virtuellement un régime d ‘«exception» avec l’imposition de changements politiques plutôt que la volonté du peuple grec. Des exemples typiques ont été le gouvernement non élu de Papadimos en 2011 et, bien sûr, la conversion de Non à Oui après le référendum de 2015.

Le programme économique alternatif frappe les intérêts des couches dominantes et modifie l’équilibre pour les populations, la classe ouvrière et les petites et moyennes couches. Le bouleversement social qui va inévitablement se produire nécessitera le renforcement de la démocratie et de la souveraineté populaire pour sa défense. Le moins nécessaire dans le domaine politique est la formation d’une Assemblée nationale constituante dans le but de consolider la souveraineté populaire. Cela ouvrira la voie à un changement structurel dans les relations sociales et endommagera le noyau du capitalisme grec, en créant la perspective d’une transformation socialiste avec la démocratie et la liberté.

En même temps, le programme économique affecte aussi les intérêts des prêteurs et pose la question de l’implication du pays dans plusieurs organisations supranationales, comme l’UEM et l’UE, ce qui pose directement la question de la souveraineté nationale et de la restructuration des relations internationales en Grèce. Dans les conditions européennes actuelles, avec une division consolidée en centre et périphérie, le durcissement de l’UE, la souveraineté de l’Allemagne et la sortie de l’UE de l’UE, le rétablissement de la souveraineté nationale est une question de survie pour un petit pays du Sud. comme la Grèce. Cela ne signifie pas du tout l’isolement de la Grèce mais, au contraire, sa participation dynamique, avec ses propres forces, dans le processus de réforme de l’Europe sur la base de la solidarité et du contrôle économique entre les peuples d’Europe.

Les options de politique pour le redéploiement

La question clé est donc: quelles forces politiques peuvent mettre le pays sur le chemin économique, social et national qui est nécessaire? Le peuple grec est bien conscient que rien de nouveau ou de différent ne doit attendre le système politique existant. SYRIZA, la Nouvelle Démocratie, le Compatriement Démocratique et le Fleuve ont pleinement accepté le cours actuel et sont en faveur de sa gestion. Le KKE a été transformé en une boîte de votes de protestation et un groupe de discussions interactives de nature marxiste. L’Aube dorée prend aussi un vote de protestation en spéculant sur des arguments radicaux et en les habillant de vulgarité nationaliste et sociale, comme le font habituellement les fascistes. Le parti de M. Leventis complète l’image de la politique de désintégration.

Il existe un énorme vide politique qui laisse la place à de nouvelles forces pour jouer un rôle dans l’éveil du facteur populaire et inverser le cours actuel désastreux. Malheureusement, les organisations individuelles de la gauche extraparlementaire ne peuvent combler ce fossé, bien que leurs suggestions individuelles soient souvent perspicaces. LAE, ANTARSYA, Fleece of Freedom ont été testés dans la période suivant le référendum de 2015 et leurs limites ont été observées. En agissant seul, la seule chose qu’ils vont réaliser est l’usure continue. La même chose s’applique à EPPM, qui n’appartient pas à la gauche. Tout le monde, indépendamment de ces organisations, n’a ni la crédibilité ni la classe et la radiation nationale requises pour combler le vide politique.

Le pays a besoin d’un nouvel organe collectif, basé sur des couches populaires, de travail et à petite échelle, et contribuera à l’éveil du mouvement syndical, en impliquant la société civile. L’organisme requis ne peut pas provenir de la simple élection des organisations qui existent déjà pour se joindre à la Chambre. Il ne sera pas non plus formé à travers les négociations connues et le battement des réunions « au sommet ».

Le corps collectif dans la pratique ne peut émerger qu’à travers des consultations sincères des partis, des organisations et des unités qui ont maintenu une attitude antimonieuse cohérente, et aujourd’hui ils perçoivent l’importance de l’action collective. Sa construction prendra du temps, compte tenu de la profonde faiblesse des couches populaires et des organisations de travailleurs. Afin d’aller de l’avant, certaines questions clés devront être abordées dans la partie suivante dans l’attente d’une discussion plus approfondie.

Partie III Conditions pour une compréhension politique honnête

Le nouveau corps collectif devrait être large et n’exclure pas les forces pour des raisons de pureté politique. Les partis et les organisations de la gauche extra-parlementaire qui ont joué un rôle majeur dans l’effort de l’antimonopole joueront un rôle clé. Mais il n’y a absolument aucune raison de poursuivre une «identification programmatique» sur des questions plus larges du capitalisme mondial ou grec, et les exclusions précédentes des organisations et des individus ne devraient pas être faites.

La question est de s’entendre sur une solution au problème grec qui cherchera le soulèvement social, le rétablissement de la souveraineté nationale et la renaissance du pays. Les étapes de base sont connues et se réfèrent aux questions de structure sociale, de souveraineté populaire et nationale, de l’UEM et de l’UE Dans ce contexte, les collectifs et les individus peuvent coexister et travailler ensemble bien au-delà des frontières étroites des partis politiques organisés.

Pour un fonctionnement efficace, la nouvelle entité devrait en principe avoir une structure différente des modèles politiques actuels qui repoussent les couches populaires. Il n’y a pas de détaillants ni de sagesse sur ce sujet et il faut aborder de manière réaliste des problèmes spécifiques, étape par étape. Cependant, il n’est pas difficile d’établir initialement un corps collégial simple grâce à un processus consultatif ouvert, qui aura son propre secrétariat et créera un cadre de coexistence et d’action commune. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique, d’abord de la part des organisations de la gauche extraparlementaire, et rien de plus.

Deux points sur la structure organisationnelle sont d’une grande importance, à la suite de l’expérience de ces dernières années, et ils veulent une discussion et une analyse.

Le premier est la leçon de l’échec et de la mutation de SYRIZA. En particulier, la création d’une organisation bureaucratique composée de départements essentiellement indépendants et accompagnée d’une discussion perpétuelle au nom de la parité des acteurs n’est qu’une méthode d’échec. Cela a peut-être permis le lancement des élections, mais a finalement conduit à un déni de démocratie interne, de leadership et à un manque de principes.

La pratique bureaucratique traditionnelle des partis grecs et même de gauche a épuisé son rôle historique. Cependant, le rôle historique de l’association d’organisations indépendantes au sein d’une coquille frontale bureaucratique a été épuisé. Le fonctionnement interne de la nouvelle entité devrait être fondé sur des structures organisationnelles démocratiques cohérentes qui permettent une participation libre et favoriseront l’expression d’opinions et l’action collective avec un ciblage commun.

La seconde est que la route de Melanchon n’existe pas pour la Grèce. La France est au début d’un changement économique et social imposé par sa participation à l’UEM, alors que son poids spécifique est beaucoup plus important que celui de la Grèce. Melanchon et «l’Inconcevable France» ont toujours l’occasion de mettre en avant un rejet général de l’austérité et du capitalisme sans s’engager dans des politiques spécifiques et sans créer des structures organisationnelles cohérentes.

Les choix centrés sur la personne de Melanchon, malgré son grand succès aux élections, sont extrêmement dangereux et les problèmes ne seront pas loin. En Grèce, cependant, après la mutation phare de SYRIZA, il n’y a aucune trace d’une telle possibilité. Il n’y a pas non plus de personnalité correspondante qui puisse parler directement avec les gens. La nouvelle organisation devrait travailler collectivement et s’appuyer sur des décennies de politique organisationnelle.

Sur cette base, l’objectif politique principal ne peut être que l’approche méthodique des couches populaires et rebelles. L’organisation devrait être liée organiquement aux couches travailleuses, locales et à petite échelle de la société grecque en exploitant sa proposition programmatique pour le pays et en apportant des réponses à leurs problèmes. De même, l’effort électoral devrait également être pris en compte. L’admission de la Chambre, ce qui est absolument possible dans les conditions actuelles, n’est pas une fin en soi, mais un outil de rapprochement entre les couches populaires et une intervention politique efficace au niveau national.

L’émergence des problèmes qui concernent les jeunes revêt une importance particulière dans cet effort. La nouvelle entité devra faire passer le message de l’avancée en démontrant qu’elle gère avec créativité et imagination les nouvelles technologies de communication dans le domaine politique. L’élément clé, comme l’ont montré Corbin et Sanders, n’est pas la jeunesse, mais l’honnêteté, la rectitude et la simplicité. La jeunesse grecque regarde avec méfiance tout le monde, sans perdre son envie de changement. Elle est beaucoup plus informée et confiante sur son caractère européen que ses parents.

Pour les mêmes raisons, il devrait y avoir un renouvellement des personnes, et je ne parle pas de l’âge. Le jeune âge d’Alexis Tsipras s’est révélé être une garantie de radicalité, de militantisme et de sincérité. Le but est d’amener les gens qui ont les connaissances nécessaires pour mettre en œuvre le programme et ont été testés dans les années des mémorandums. Aussi les gens du domaine de la solidarité sociale et les mouvements qui ont aidé la société à faire face au flot de mesures . Ce n’est que sur cette base que la peur qui est continuellement cultivée par le Mémorandum et qui surmonte la confiance peut être surmontée.

La reformulation politique est entièrement réalisable. Le fardeau de prendre l’initiative requise incombe à la gauche extra-parlementaire, flanquée de corps et d’individus plus larges. Il est essentiel que les objectifs ne soient pas seulement électoraux. Le peuple grec a soif de bonnes nouvelles et de perspectives politiques optimistes. Laissez-nous compter toutes nos responsabilités.

Iles grecques à vendre

PLUS DE QUARANTE ILES GRECQUES SONT A VENDRE

Plus de 40 îles grecques sont actuellement en vente à des prix ridiculement bas en raison des effets de la crise financière et des mesures fiscales accrues mises en place par le gouvernement.

Les prix ont diminué de plus de 60% dans la plupart des cas, les professionnels de l’immobilier notent que l’offre a même doublé.

Selon un professionnel du secteur, les îles proposées à la vente 70 millions d’euros avant la crise s’offrent maintenant entre 10 à 15 millions d’euros.

Les experts précisent cependant que le marché de l’île grecque est concurrentiel par rapport à celui d’autres pays. Mais les ventes restent difficiles à concrétiser en raison des formalités administratives, des autorisations de construction, des accords des services archéologiques et forestiers, des avals donnés par le Ministère de la Défense, et dans de nombreux cas le classement des îles en zones naturelles protégées.

L’île de Scorpios qui appartenait au magnat grec Aristote Onassis a été cédée avec son ilot voisin Sparti, à un milliardaire russe pour 117 millions d’euros, le prix de vente d’origine, fixé en 2008 avoisinait les 200 millions d’euros.

Oxia près de  Zakynthos s’est vendue pour un peu moins de 5 millions d’euros  (7 millions d’euros au départ) à l’ancien émir du Qatar.

Le profil des acheteurs s’est quelque peu modifié. Les investisseurs se sont détournés des îles au profit de propriétaires privés.

https://lepetitjournal.com/athenes/plus-de-quarante-iles-grecques-sont-vendre-158331

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 3eme partie

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

Partie 3 par Eric Toussaint

Yanis Varoufakis fait remonter à 2011 sa collaboration avec Alexis Tsipras et son alter ego, Nikos Pappas. Cette collaboration s’élargit progressivement, à partir de 2013, à Yanis Dragasakis (qui est devenu, en 2015, vice-premier ministre). Une constante dans les rapports entre Varoufakis et Tsipras : Yanis Varoufakis plaide en permanence pour modifier l’orientation adoptée par Syriza. Varoufakis affirme que Tsipras-Pappas-Dragasakis veulent eux-mêmes clairement adopter une orientation différente, nettement plus modérée, de celle décidée par leur parti.

La narration faite par Varoufakis ne manque pas de piment. À travers son témoignage, on voit comment, à des étapes très importantes, des choix sont faits dans le dos de Syriza au mépris des principes démocratiques élémentaires.

Varoufakis s’attribue un rôle central et, en effet, il a exercé une influence sur la ligne adoptée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis. Il est également certain que Tsipras et Pappas ont cherché à construire, en dehors de Syriza, des rapports plus ou moins étroits avec des personnes et des institutions afin de mettre en pratique une politique qui s’est éloignée de plus en plus de l’orientation que Syriza avait faite sienne. Varoufakis n’est pas la seule personne à avoir été contactée mais effectivement, à un moment donné, Tsipras et Pappas ont considéré qu’il était l’homme de la situation pour aller négocier avec les institutions européennes et le FMI.

Début 2011, premiers contacts de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Varoufakis décrit sa première rencontre avec Alexis Tsipras et Nikos Pappas début 2011. Pappas lui avait donné rendez-vous dans un petit hôtel restaurant proche du local de Syriza.

  • « Quand je suis arrivé à l’hôtel, Alexis et Pappas étaient déjà en train de commander leur déjeuner. Alexis avait une voix chaleureuse, un sourire sincère et la poignée de main d’un éventuel ami. Pappas avait un regard plus illuminé et une voix plus haute. […] Il était évident qu’il avait l’oreille du jeune prince et qu’il lui servait à la fois de guide, de frein et d’aiguillon, une impression que j’aurai toujours au fil des années tumultueuses qui suivraient : deux jeunes hommes du même âge mais de tempéraments différents, qui agissaient et pensaient comme un seul homme. |1| »

Varoufakis explique que Tsipras hésitait sur l’orientation à prendre quant à une sortie éventuelle de la zone euro.

  • « Depuis 2011, Syriza était déchiré par les divisions internes face au problème : fallait-il officiellement soutenir le Grexit (quitter la zone euro, mais pas nécessairement l’Union européenne) ? Je trouvais l’attitude d’Alexis face à la question à la fois cavalière et immature. Son objectif était de maîtriser les tendances rivales au sein de son parti plus que de se faire une opinion claire et personnelle. À en juger par les regards complices de Pappas, il était évident qu’il partageait mon point de vue. Il comptait sur moi pour l’aider à empêcher le leader du parti de jongler avec l’idée du Grexit.
  • J’ai fait de mon mieux pour impressionner Alexis et le convaincre que viser le Grexit était une erreur aussi grave que de ne pas s’y préparer du tout. J’ai reproché à Syriza de s’engager à la légère (…). »

Tsipras a soumis à Varoufakis l’idée de menacer les dirigeants européens d’une sortie de la Grèce de la zone euro, en cas de refus de leur part de remettre en cause la politique mémorandaire. Varoufakis lui a répondu qu’il éviter de sortir de la zone euro car il était possible par la négociation d’obtenir une solution favorable à la Grèce, notamment une nouvelle restructuration de sa dette.

Tsipras a répliqué que des économistes renommés, comme Paul Krugman, affirmaient que la Grèce irait bien mieux sans l’euro.

Varoufakis poursuit son récit : « Je lui ai répondu qu’on irait bien mieux si on n’était jamais entrés dans la zone euro, mais ne pas y être entrés était une chose, en sortir était une autre. […] Pour le persuader d’abandonner ce raisonnement paresseux, je lui ai fait le tableau de ce qui nous attendait en cas de Grexit. Contrairement à l’Argentine qui avait renoncé à la parité entre le peso et le dollar, la Grèce n’avait pas de pièces ni de billets à elle en circulation. » Pour le convaincre, Varoufakis fait observer à Tsipras que : « Créer une nouvelle monnaie demande des mois. »

En réalité cet argument qui a été utilisé à de multiples reprises par Varoufakis et d’autres opposants à la sortie de l’euro n’est pas solide. En effet, il était possible d’adopter une nouvelle monnaie en utilisant les billets en euro après les avoir estampillés. Les distributeurs automatiques des banques auraient délivré des billets en euro qui auraient été préalablement marqués d’un sceau. C’est notamment ce que James Galbraith a expliqué dans une lettre à son ami Varoufakis en juillet 2015 |2|.

En réalité, ce que souhaite Varoufakis, c’est convaincre Tsipras qu’il est possible de rester dans la zone euro tout en rompant avec la politique anti sociale appliquée jusque-là : « nous exigerons une renégociation qui impliquera un new deal pour la Grèce et qui nous permettra d’avoir une économie sociale viable au sein de la zone euro ; si l’UE et le FMI refusent de négocier, nous n’accepterons plus le moindre prêt empoisonné payé par les contribuables européens. Et s’ils répliquent en nous poussant hors de l’euro, ce qui aurait un coût considérable pour eux et pour nous, laissez-les choisir la politique du pire. »

Pour Varoufakis, il ne faut donc pas préparer la sortie de la zone euro et s’il faut un jour y passer, cela sera la pire des solutions.

Varoufakis poursuit :

  • « Pappas hochait la tête avec enthousiasme, mais Alexis avait l’esprit ailleurs, jusqu’à ce que je l’oblige à sortir de son silence. Sa réponse m’a confirmé qu’il était davantage préoccupé par les rapports de force au sein de Syriza que prêt à prendre le taureau par les cornes à propos du Grexit. Je ne me suis pas laissé impressionner. Notre rendez-vous arrivait à sa fin, et, au risque de paraître condescendant, je lui ai donné un conseil bienveillant, non sollicité, qui n’avait rien à voir. Il aurait pu le prendre mal.
  • – Alexis, si tu veux être Premier ministre, il faut que tu apprennes l’anglais. Prends des cours, c’est essentiel. »

Quand Varoufakis rentre chez lui, son épouse, Danaé lui demande comment s’est passé le rendez-vous et il répond : « Le type est sympa, mais je ne pense pas qu’il ait la carrure. »

Varoufakis, l’audit de la dette et la suspension du paiement

Dans sa narration des évènements de l’année 2011, Varoufakis ne mentionne à aucun moment l’importante initiative d’audit citoyen de la dette à laquelle il a refusé de participer.

Il est utile de préciser que les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en termes de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de comptes ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’État – des plus grands, comme par exemple ceux des récents Jeux olympiques, jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! » |3|.

De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce par la presse imprimée et par les réseaux sociaux, l’économiste Costas Lapavitsas défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans un de ses papiers, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette. » (article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia |4|).

Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en termes de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis m’interviewe et titre « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » |5|. Le quotidien explique que « Le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa. ».

En effet, Sofia Sakorafa, qui a rompu avec le Pasok quand celui-ci a accepté le mémorandum de 2010, était intervenue en décembre 2010 au parlement pour proposer la création d’une commission d’audit de la dette grecque en s’inspirant de l’expérience équatorienne. Le parlement ne l’avait pas suivie.

Costas Lapavitsas, qui résidait à Londres où il enseignait et dont les positions trouvaient un écho important en Grèce, prend alors contact avec moi et me propose de collaborer au lancement d’une initiative internationale pour la création d’une commission d’audit, ce que j’accepte immédiatement.

Simultanément Giorgos Mitralias du CADTM Grèce prenait contact avec Leonidas Vatikiotis qui était en pointe dans l’activité pour faire avancer sur le terrain en Grèce la création d’une telle commission.

Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomsky avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler, à l’époque rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali ainsi que de nombreux économistes, …

Dans ma recherche de signatures je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus, lorsque Yanis Varoufakis a expliqué publiquement pourquoi il refusait de souscrire à l’appel de la création de la commission d’audit |6|. Il raconte qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer cet appel ou non. Il déclare qu’il lui a recommandé de ne pas le faire. Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis justifie son refus de soutenir la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun. Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.

En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines ou mois auparavant. Le processus de création a été stimulé par l’ampleur de la crise en Grèce.

Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 et dans lequel Hugo Arias (économiste équatorien qui a été l’un des principaux animateurs de la commission d’audit créée en 2007 par le président Rafael Correa) et moi-même intervenons longuement, a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité et au bienfondé d’annuler la partie illégitime et odieuse de celle-ci |7|. Dans les 6 premières semaines de la sa diffusion sur internet, Debtocracy a été téléchargé par plus d’un million et demi de Grecs.

Parmi les personnalités grecques qui ont signé l’appel en 2011, on retrouve Euclide Tsakalotos (devenu ministre des finances du gouvernement Tsipras, en remplacement de Yanis Varoufakis, à partir de début juillet 2015, il a gardé ce portefeuille ministériel dans le deuxième gouvernement Tsipras mis en place fin septembre 2015), Panagiotis Lafazanis (un des principaux dirigeants de la plate-forme de gauche dans Syriza, ministre de l’énergie dans le gouvernement Tsipras entre janvier et le 16 juillet 2015, leader de l’Unité populaire, créée fin août 2015 par le secteur qui a quitté Syriza en s’opposant au 3e mémorandum), Nadia Valavani (membre également de la plate-forme de gauche, vice-ministre des finances du 27 janvier au 15 juillet 2015, membre également de l’Unité populaire), Sofia Sakorafa (élue eurodéputée Syriza en mai 2014 et siégeant comme indépendante depuis septembre 2015 car en désaccord avec la capitulation), Georges Katrougalos (vice-ministre de la réforme administrative de janvier 2015 à juillet 2015, devenu ensuite ministre du travail à partir de août 2015, reconduit dans les mêmes fonctions dans le cadre du 2e gouvernement formé par Alexis Tsipras. A partir de novembre 2016, il a occupé la fonction de vice-ministre des affaires étrangères), Notis Maria (élu eurodéputé en mai 2014 sur la liste du parti souverainiste de droite Anel, siégeant comme indépendant depuis janvier 2015).

Varoufakis ne mentionne pas non plus la conférence internationale réalisée à Athènes en mars 2011 par Synaspismos (la principale composante de Syriza présidée par Alexis Tsipras) et par le Parti de la Gauche européenne, à laquelle il a pourtant lui-même participé. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Oskar Lafontaine (ex-ministre social-démocrate des Finances en Allemagne, un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche Européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos, Yannis Dragasakis, moi-même et plusieurs autres invités.

À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne |8|.

Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulantzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU |9|. Si je mentionne cette conférence, c’est pour indiquer qu’à l’époque, il était évident de mettre au programme une intervention sur la nécessité de l’audit de la dette, thème qui est totalement évacué par Varoufakis, tant dans l’orientation qu’il a défendu que dans la narration de ce qui s’est passé en 2011.

En mai 2011, la conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3 000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani |10|, qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué, avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs, à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe de soutenir la conférence et d’adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré).

Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011 (extraits)Nous appelons à soutenir :

• L’audit démocratique des dettes comme un pas concret en direction de la justice en matière d’endettement. Les audits de la dette avec participation de la société civile et du mouvement syndical, tels que l’Audit citoyen de la dette au Brésil, permettent d’établir quelle part de la dette publique sont illégales, illégitimes, odieuses ou simplement insoutenables. Ils offrent aux travailleurs/euses les connaissances et l’autorité nécessaires au refus de payer la dette illégitime. Ils encouragent également la responsabilité, la reddition de comptes et la transparence dans l’administration du secteur public. Nous exprimons notre solidarité avec les audits en Grèce et en Irlande et nous tenons prêts à y apporter notre aide en termes pratiques.

• Des réponses souveraines et démocratiques à la crise de la dette. Les gouvernements doivent répondre en premier lieu à leur peuple, et non aux institutions de l’UE ou au FMI. Les peuples de pays comme la Grèce doivent décider quelles politiques sont à même d’améliorer leurs chances de reprise et de satisfaire leurs besoins sociaux. Les États souverains ont le pouvoir d’imposer un moratoire sur le remboursement si la dette détruit les moyens de subsistance des travailleurs/euses. L’expérience de l’Équateur en 2008-9 et de l’Islande en 2010-11 montre qu’il est possible de donner des réponses radicales et souveraines au problème de la dette, y compris en répudiant sa part illégitime. La cessation de paiements justifiée par l’état de nécessité est même reconnue légale par des résolutions de l’ONU.

• Une restructuration économique et une redistribution, pas d’endettement. La domination des politiques néolibérales et le pouvoir de la finance internationale ont mené à une croissance faible, des inégalités croissantes, et à des crises majeures tout en sapant les processus démocratiques. Il est impératif de changer les fondements des économies par des programmes de transition qui comprennent le contrôle sur les capitaux, une régulation stricte des banques et même leur transfert au secteur public, des politiques industrielles qui reposent sur des investissements publics, le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et le respect de l’environnement. Le premier objectif doit être de protéger et d’augmenter l’emploi. Il est aussi crucial que les pays adoptent des politiques redistributives radicales. La base d’imposition doit être étendue et devenir plus progressive en taxant le capital et les riches, permettant ainsi la mobilisation de ressources internes comme alternative à l’endettement. La redistribution doit aussi inclure la restauration des services publics de santé, d’éducation, de transport et des retraites ainsi que renverser la pression à la baisse sur les salaires.

Il s’agit là des premiers pas vers la satisfaction des besoins et aspirations des travailleurs/euses, mesures qui par ailleurs renverseraient le rapport de forces au détriment du grand capital et des institutions financières. Elles permettraient aux peuples d’Europe, et plus largement du monde entier, de maîtriser davantage leurs moyens de subsistance, leurs vies et le processus politique. Elles offriraient également de l’espoir à la jeunesse d’Europe dont l’avenir semble aujourd’hui bien sombre, avec peu d’emplois, des salaires bas et l’absence de perspectives. Pour ces raisons, soutenir la lutte contre la dette en Grèce, en Irlande, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe est dans l’intérêt des travailleurs/euses, où qu’ils/elles se trouvent.

Athènes, le 8 mai 2011

La déclaration est signée par : Initiative pour une Commission d’audit grecque (ELE)
European Network on Debt and Development (Eurodad)
Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM)
The Bretton Woods Project, Grande-Bretagne
Research on Money and Finance, Grande-Bretagne
Debt and Development Coalition Irlande
Afri – Action from Ireland
WEED – World Economy Environment Development, Allemagne
Jubilee Debt Campaign, Grande-Bretagne
Observatorio de la Deuda en la Globalización, Espagne

Source : http://www.cadtm.org/Declaration-de-la-Conference-d

Lors d’une discussion que Varoufakis et moi avons eue le 9 novembre 2016 à Athènes |11|, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas soutenu l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Il m’a répondu que cette initiative n’était pas bonne car elle remettait en cause la légitimité et la légalité de la dette. Selon lui, il n’y avait pas lieu de remettre en cause la légalité ou la légitimité de la dette grecque.

Varoufakis a adopté une position d’économiste borné qui ne voit la dette qu’en termes de soutenabilité financière et d’accès aux sources de financement. Il n’a pas du tout saisi l’importance de l’audit citoyen. Alors que dans son livre il insiste sur l’importance du mouvement d’occupation des places qui a eu lieu en juin-juillet 2011 en Grèce, il ne s’est pas aperçu de l’écho que l’initiative d’audit citoyen a obtenu au cours de ce puissant mouvement.

J’ai donc été témoin direct du refus de Varoufakis de soutenir l’audit citoyen en 2011 et j’ai constaté sa capacité à convaincre James Galbraith de ne pas signer l’appel international que nous avions lancé avec Costas Lapavitsas. Après avoir lu attentivement le livre de Varoufakis, je suis convaincu qu’il est intervenu activement pour convaincre Tsipras, au moins à partir de mai-juin 2012, d’abandonner le soutien à l’audit de la dette et à la revendication de la suspension du paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit.

Au sein de la direction de Syriza et des conseillers économiques de Tsipras, plusieurs personnes clés étaient également opposées à l’audit de la dette et à la suspension de paiement. Yannis Dragasakis, un des responsables de Syriza en matière économique (devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Tsipras I et II) n’y était pas favorable, il l’avait déclaré à Giorgos Mitralias lorsque celui-ci avait tenté de le convaincre dès 2010 de soutenir la perspective de la création d’une commission d’audit. Georges Stathakis de l’équipe d’économistes qui entourait Tsipras avait, de son côté, déclaré à la presse qu’il n’y avait pas de quoi soulever la question de la dette odieuse dans le cas de la Grèce car la partie odieuse ne représentait pas plus de 5 % de la dette totale. Stathakis est ministre de l’Economie du gouvernement Tsipras II.

Fin 2011, renforcement de la collaboration de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Fin 2011, Varoufakis a été recontacté par Pappas pour avoir un nouvel entretien.

  • « Ce deuxième rendez-vous, comme ceux qui allaient suivre, m’a surpris en bien : Alexis était transformé. Finies la complaisance, les luttes internes de Syriza qui l’obsédaient et la désinvolture vis-à-vis du Grexit. Il avait fait ses devoirs […]. Il m’a même annoncé fièrement qu’il avait engagé un professeur d’anglais et progressait. […] L’avantage le plus évident de ces discussions fut la clarification et la mise au point de notre objectif commun. »

2012, Varoufakis aide Tsipras à trouver un écho dans le milieu démocrate aux États-Unis

Varoufakis, alors qu’il travaillait aux États-Unis, a tenté d’ouvrir des portes à Tsipras dans les milieux Démocrates.

Varoufakis explique que son séjour au Texas « [lui] a aussi permis de construire un pont entre Washington et [ses]nouveaux amis de Syriza, qui n’étaient pas des alliés naturels des États-Unis. » Il explique : « Comme il y avait des chances qu’un gouvernement Syriza provoque un affrontement violent avec l’Allemagne, la Commission européenne et la BCE, la dernière chose dont Alexis et Pappas avaient besoin était de se retrouver face à une administration américaine hostile. De 2012 à 2015, grâce à l’aide de Jamie Galbraith et à son réseau, j’ai tout fait pour convaincre les leaders d’opinion américains et l’administration Obama qu’ils n’avaient rien à craindre d’un éventuel gouvernement Syriza, dont la priorité serait de libérer la Grèce d’une dette écrasante. »

Varoufakis contre le programme électoral de Syriza de mai-juin 2012

Varoufakis résume sa position :

  • « Je voulais que Syriza présente un programme simple, progressiste, pro-européen, cohérent et non populiste, un socle sur lequel on pourrait bâtir l’image d’un gouvernement crédible, qui négocierait un autre plan avec l’UE et le FMI. Alexis et Pappas inclinaient vers un programme politique différent, qui optimisait les gains électoraux à court terme aux dépens (d’après moi) d’une cohérence logique à long terme. En 2012, quand j’ai découvert la partie politique économique du manifeste électoral de Syriza, j’étais tellement irrité que je ne suis pas allé jusqu’au bout. Le lendemain, un journaliste de la télévision grecque m’a demandé de le commenter. J’ai dit que j’aurais tendance à soutenir Syriza, mais je ne voterais pour eux que si je pouvais modifier le programme économique. »

Que contenait le programme électoral de Syriza qui irritait tant Varoufakis ?

Le programme de Syriza en 40 points pour les élections du 6 mai 2012

Le programme de Syriza était clairement radical, il contenait une quarantaine de points. Le premier point portait sur la dette et était libellé comme suit : Audit de la dette publique, renégociation des intérêts à payer et suspension des paiements jusqu’à ce que la croissance économique et la création d’emplois aient repris.

Parmi les autres mesures, on peut mettre en exergue, à côté d’une série de mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire : l’augmentation de l’impôt sur le revenu à 75 % de prélèvement sur tous les revenus supérieurs à 500 000 euros ; l’augmentation des impôts sur les grandes entreprises ; l’abolition des privilèges financiers de l’Église et des armateurs ; la réduction drastique des dépenses militaires ; l’augmentation du salaire minimum afin de le ramener au niveau d’avant le mémorandum de 2010 (soit 750 euros par mois) ; l’utilisation des bâtiments du gouvernement, des banques et de l’Église pour les sans-abri ; la nationalisation des banques ; la nationalisation des entreprises publiques qui ont été privatisées dans des secteurs stratégiques pour la croissance du pays ; des mesures pour restaurer les droits des travailleurs et les améliorer ; l’adoption de réformes constitutionnelles pour garantir la séparation de l’Église et l’État ; la réalisation de référendums sur les traités et autres accords avec l’Europe ; l’abolition des privilèges pour les députés ; la suppression de l’immunité pour les ministres et l’autorisation pour les tribunaux d’engager des poursuites contre des membres du gouvernement ; des mesures de protection des réfugiés et des migrants ; l’augmentation du financement de la santé publique de manière à l’amener à la moyenne européenne (la moyenne européenne est de 6 % du PIB tandis qu’en Grèce elle était de 3 %) ; la gratuité des soins de santé publics nationaux ; la nationalisation des hôpitaux privés ; l’élimination de la participation du secteur privé dans le système national de santé ; le retrait des troupes grecques de l’Afghanistan et des Balkans ; l’abolition de la coopération militaire avec Israël ; le soutien à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 ; la négociation d’un accord stable avec la Turquie et last but not least : la fermeture de toutes les bases étrangères en Grèce et retrait de l’OTAN |12|.

Avec ce programme, Syriza, qui ajoute le mot d’ordre « Pas de sacrifice pour l’euro », voit multiplier par 4 son résultat électoral entre 2009 et mai 2012, passant de 4 % à 16 %.

Le programme de Syriza de 2012 est tout à fait intéressant et utile. Il contient les principales mesures à mettre effectivement en pratique.

Il y avait néanmoins des points faibles :

- Il n’y a pas de hiérarchisation dans les 40 points, or il s’agit d’avancer ce qu’un gouvernement fera en premier (disons dans les 100 ou les 200 premiers jours). Le programme n’est pas présenté de manière opérationnelle. Or il est important de présenter une feuille de route précisant comment ce gouvernement prévoyait de réaliser les objectifs fixés. Dans ce cas, il est aussi important de présenter un plan A et un plan B. Le plan A est le premier qui sera appliqué et le plan B est une solution de recours si plusieurs obstacles empêchent la réalisation du plan A. Exemple : le plan A propose une réduction très importante de la dette passant par un accord à l’amiable avec les créanciers (c’est ce que proposait le programme de Thessalonique adopté en 2014 – voir plus loin). Si les créanciers du pays refusent cette réduction radicale de la dette, il s’agit de dire dans les grandes lignes ce que ferait le gouvernement dans le cadre d’un plan B (suspension du paiement de la dette, audit de la dette à participation citoyenne, mesures ciblées de répudiation de dette – voir plus loin).

- On y affirme la nécessité de réformes constitutionnelles, mais sans dire s’il faut convoquer des élections générales pour élire une assemblée constituante. Or, se prononcer sur la manière de réaliser des réformes constitutionnelles est très important. Ce n’est pas du tout la même chose de trouver une majorité qualifiée à l’intérieur du parlement tel qu’il est constitué que de d’initier une démarche ouverte à toute la société en passant par la convocation d’une assemblée constituante.

Les élections de mai 2012 en Grèce ne permettent pas à un parti ou à une coalition de partis de constituer un gouvernement, ce qui conduit à de nouvelles élections dès le mois de juin 2012. Entre les deux élections, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) : 1. l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ; 2. l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ; 3. l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ; 4. un audit des banques grecques ; 5. la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Lors des élections de juin 2012, Syriza a obtenu 26,5 % des voix avec cette orientation radicale que remettait en cause Varoufakis.

Malgré le désaccord de Varoufakis avec le programme de Syriza de 2012, Tsipras et Pappas lui demandent de rédiger un programme de gouvernement

Entre les deux élections, Varoufakis a été recontacté par Pappas et une nouvelle rencontre a lieu avec Tsipras. Pappas lui déclare :

  • « – Tu te rends compte, que, si on gagne, c’est toi qui va mener les négociations avec l’UE et le FMI ! »

Pappas demande à Varoufakis de préparer un document expliquant les grandes lignes de la meilleure stratégie de négociation au cas où Syriza remporterait les élections le 17 juin, trois semaines plus tard.
Varoufakis se met au travail le soir même et il développe l’idée que le capital des banques grecques doit passer sous contrôle européen.

Selon Varoufakis, il convenait de transformer « les contribuables européens en propriétaires des banques grecques : de facto les banques ne seraient plus sous la responsabilité de l’Etat, mais soutenues par le peuple européen ; et en demandant aux institutions européennes de les gérer pour eux. C’était la seule façon de restaurer la confiance dans les banques. » Comme indiqué dans la première partie de cette série, en proposant de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs dans les banques du pays, Varoufakis réalisait un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Selon Varoufakis, cela faciliterait la restructuration de la dette publique.

Il ajoutait une seconde proposition : « Deuxièmement, tout remboursement de la dette à l’UE et au FMI devait être soumis à une condition : que la relance du pays soit un minimum avérée. C’était la seule façon de permettre à l’économie nationale de redémarrer. »

Il est important de préciser que pour Varoufakis la suspension du paiement de la dette envisagée plus haut fait partie de la négociation. Cette suspension devait être autorisée par les créanciers et ne pas constituer un acte souverain. Varoufakis poursuit l’évocation de sa chimère : « S’ils étaient activés de concert, ces deux leviers de restructuration annonceraient une nouvelle ère : l’UE et le FMI ne seraient plus comme Ebenezer Scrooge, l’avare du Conte de Noël de Dickens. Ce seraient de vrais partenaires, engagés à promouvoir le rétablissement de la Grèce, sans lequel leurs prêts de renflouement seraient de toute façon largement décotés. »

Au lieu de suspendre unilatéralement le paiement de la dette, Varoufakis propose de refuser tout nouveau crédit : « si vous êtes prêts à proposer des conditions raisonnables et sensées, tout en refusant de nouveaux prêts […], l’UE et le FMI accepteront de s’asseoir autour d’une table avec vous – ça leur coûtera trop cher de refuser, financièrement et politiquement. »

Tsipras dubitatif face à la proposition de Varoufakis concernant les banques grecques

  • « – Tu voudrais que j’annonce qu’on file les banques grecques aux étrangers ? Comment veux-tu que je vende ça à Syriza ? » lui a demandé Tsipras au cours d’une rencontre ultérieure au QG du parti.
  • « – C’est exactement ce que tu dois faire. » (…)
  • Alexis a pigé. Ce qui ne veut pas dire que l’idée lui plaisait. D’autant que le comité central de Syriza penchait naturellement vers la nationalisation des banques. »
  • Tsipras objecta quand même qu’ « un gouvernement qui n’aurait aucun pouvoir sur les banques commerciales opérant en Grèce ne pourrait jamais mettre en œuvre une politique industrielle ni un plan de développement et de reconstruction. Comment faire avaler la pilule au comité central ? »
  • Varoufakis, voyant que Tsipras « avait marqué un point », rétorqua : « Comme nous sommes de vrais internationalistes et de vrais Européens progressistes, nous arracherons les banques en faillite aux Grecs corrompus pour les confier aux Européens ordinaires, aux citoyens qui injectent leur argent dans ces banques. »

Les contacts décrits par Varoufakis ont eu lieu après les élections générales qui se sont tenues le 6 mai 2012.

Vu l’impossibilité de constituer un gouvernement, de nouvelles élections générales ont été convoquées pour le 17 juin 2012.

Varoufakis explique que, lorsqu’il prend connaissance du discours de Tsipras du 24 mai dans lequel celui-ci détaille la politique économique de Syriza, il se rend compte qu’un abîme sépare ce qui était proposé et ce qui pouvait être concrètement mis en œuvre dans la zone euro. « Dans l’heure qui a suivi, j’ai envoyé un mail cuisant à Alexis et Pappas en soulignant tous les défauts de construction de leurs promesses […]. »

Tsipras prend un tournant à droite qui le rapproche un peu plus de Varoufakis après les élections de mai – juin 2012

J’apporte ma contribution au récit de Varoufakis sur la base du contact direct que j’ai eu avec Tsipras en octobre 2012.

En l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours de Tsipras et des autres dirigeants de Syriza. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.

Au cours d’une entrevue avec Tsipras, début octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquaient explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : « Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement.

J’ai également dit à Tsipras que j’avais constaté qu’il ne parlait plus des cinq propositions qu’il avait avancées comme prioritaires après les élections de mai 2012 et que la question de l’audit n’était plus mise en avant. Il m’a répondu sans conviction qu’il maintenait ces cinq propositions et qu’il ne fallait pas s’en faire là-dessus.

Le lendemain, Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3 000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas apprécié par lui |13|.

Je suis convaincu que c’est après les élections de mai-juin 2012 que Tsipras et Pappas ont vraiment fait le choix de miser sur Varoufakis pour faire partie d’un gouvernement. Jusque-là, ils le rencontraient pour puiser des idées et ensuite réfléchir tous les deux sur la façon de s’émanciper des décisions de Syriza.

Varoufakis revient sur sa collaboration avec Tsipras et Pappas début 2013

Varoufakis raconte qu’il a rédigé le discours que Tsipras a prononcé à la Brookings Institution, un think tank basé à Washington, assez proche des Démocrates. Varoufakis résume le discours en deux points. Premièrement, Syriza était un parti pro-européen qui ferait tout pour que la Grèce reste dans la zone euro ; pour rester dans la zone euro et pour que celle-ci survive, il fallait un nouveau plan dont la priorité des priorités était la restructuration de la dette, suivie par des réformes qui mineraient l’emprise de l’oligarchie grecque sur l’économie. Deuxièmement, les États-Unis n’avaient rien à craindre de la politique économique ou étrangère d’un éventuel gouvernement Syriza.

Cette orientation défendue par Varoufakis et assumée par Tsipras était clairement en opposition au programme de Syriza qui promettait la sortie de la Grèce de l’Otan.

Varoufakis rencontre l’équipe des économistes de Syriza en mai 2013

En mai 2013, à Athènes, Varoufakis fait connaissance avec l’équipe d’économistes de Tsipras.

  • « Outre Pappas et Dragasakis, ministre des Finances fantôme, elle comprenait deux autres députés Syriza que je connaissais et que j’aimais bien : Euclide Tsakalotos, collègue et ami de l’Université d’Athènes, et George Stathakis, professeur d’économie de l’Université de Crète. »

Il explique qu’il leur a soumis la proposition de programme que Tsipras lui avait demandée.

  • « Ils étaient tous en ébullition, ce qui montrait que j’avais réussi à dissuader Alexis de viser le Grexit et de le brandir comme une menace. J’ai perdu beaucoup d’amis de la gauche au sens large et de Syriza, qui ne m’ont jamais pardonné d’avoir contribué à exclure le Grexit des objectifs de Syriza. En revanche, la garde rapprochée des économistes d’Alexis avait à cœur de trouver une solution viable au sein de la zone euro. »

Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »

Je reviens avec un témoignage personnel qui a trait à la deuxième réunion de travail que j’ai eue avec Tsipras. Elle s’est déroulée à Athènes fin octobre dans son bureau de député dans l’enceinte du parlement grec. Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Équateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et, bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais, dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest et des conditions de remboursement très avantageuses. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise. Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait de mon interview que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014 quasiment le jour où la réunion avec Tsipras a eu lieu. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime […] mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale |14|. »

Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014.

Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussions et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 |15|. Je me suis rendu compte dès ce moment que Tsakalotos n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Son plan était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.

La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement aux années 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.

Revenons au récit présenté par Varoufakis. Quelques jours après la rencontre que j’ai eue fin octobre à Athènes avec Tsipras, celui-ci s’est rendu au Texas à un séminaire organisé par Varoufakis et son ami et collègue James Galbraith.

Novembre 2013, Varoufakis organise la venue de Tsipras à l’université Lyndon B. Johnson à Austin, au Texas

  • « En novembre 2013, Jamie et moi avons organisé un colloque de deux jours à l’Université du Texas sur le thème « La zone euro peut-elle être sauvée ? » Alexis, Pappas et Stathakis, très attendus, devaient intervenir. Le but était de présenter les trois dirigeants de Syriza à quelques figures des élites européenne et américaine, à des dirigeants de syndicats, des universitaires et des journalistes. […]
  • Au cours du colloque, Pappas et lui ont assisté à un débat particulièrement houleux entre ma pomme et Heiner Flassbeck, un économiste allemand de gauche, ancien ministre des Finances du gouvernement Schroeder. Flassbeck affirmait qu’il était impossible de libérer la Grèce de sa prison pour dettes tout en la maintenant dans la zone euro. Un gouvernement Syriza devait viser le Grexit, disait-il, en tout cas c’était la meilleure menace à brandir contre ses créanciers – c’était d’ailleurs le point de vue de la Plateforme de gauche, une faction de Syriza qui comptait parmi ses membres un tiers du comité central du parti. Ce jour-là, à Austin, j’ai acquis la conviction qu’Alexis n’était pas d’accord avec cette analyse ; si quelqu’un menaçait le pays du Grexit, ça devait être la troïka, pas Syriza. »

Juin 2014, nouvelle rencontre avec l’équipe des économistes de Tsipras

« Ce mois de juin 2014, rentré en Grèce pour les vacances d’été, j’ai retrouvé Alexis et sa petite bande d’économistes pour les prévenir qu’une nouvelle menace se profilait. » Varoufakis explique qu’il les a mis en garde contre l’action que la BCE comptait mener à partir de début 2015 : fermer le robinet des liquidités aux banques de certains pays de la zone euro et ne leur ouvrir que le robinet des liquidités d’urgence. Cela visait notamment la Grèce.

  • « Deux jours plus tard, j’ai eu un nouveau rendez-vous avec Alexis et Pappas.
  • – Tu te rends compte que tu es le seul à pouvoir superviser la mise en œuvre de la stratégie que tu proposes ? m’a demandé Pappas. Tu es prêt ? »
  • Varoufakis continue : « Une semaine plus tard, Wassily Kafouros, un ami que j’avais connu quand j’étais étudiant en Angleterre, a semé de nouveaux doutes dans mon esprit. D’après lui, j’étais la dernière personne à ignorer que Dragasakis était extrêmement proche des banquiers.
  • – Quelle preuve tu as, Wassily ?
  • – Je n’ai pas de preuves mais ça se sait, il est connu pour entretenir d’excellentes relation avec les banquiers, depuis son passage au Parti.
  • Je pensais que c’était une accusation infondée »

Varoufakis montrait clairement sa méconnaissance de Syriza et de ses dirigeants. En effet, Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même avait été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza était une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques avaient relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au PASOK dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. Alors qu’avant janvier 2015, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, était… Dragasakis. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie à l’époque. Dragasakis était clairement opposé à ce qu’on touche aux intérêts des banques privées grecques, il était également opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement. Il était favorable au maintien dans la zone euro.

Août 2014, les doutes sur Dragasakis et la volonté de changer le programme de Syriza

En août 2014, Varoufakis finit par faire part de ses doutes sur Dragasakis.

  • « – Ecoute, Alexis, j’ai entendu dire que Dragasakis est extrêmement proche des banques. Et, plus généralement, qu’il ferait semblant de trouver une issue, alors qu’il cherche à maintenir le statu quo.
  • Il ne m’a pas répondu tout de suite. Il a regardé au loin vers le Péloponnèse avant de se retourner en lâchant :
  • – Non, je ne pense pas. C’est bon.
  • J’étais déconcerté par son laconisme. Est-ce parce qu’il avait aussi des doutes mais préférait croire à la probité d’un camarade plus âgé ? Était-ce une façon d’ignorer ma question ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Sur le moment il m’a dit que je n’avais pas le choix : de toute façon, je serais amené à jouer un rôle essentiel dans les négociations. »

Varoufakis confirme que Tsipras peut compter sur lui mais pose une condition : il veut pouvoir intervenir dans l’élaboration du programme économique de Syriza avant les élections. Tsipras accepte.

Varoufakis : contre le programme de Thessalonique de septembre 2014

« Un mois plus tard, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. » Varoufakis fait une déclaration publique pour critiquer durement le programme et s’attend à ce que cela mette fin à la collaboration avec Tsipras.

Coup de théâtre, Pappas lui téléphone, gai comme un pinson, comme si de rien n’était en lui proposant une nouvelle rencontre. Varoufakis exprime son étonnement et Pappas lui répond : « – Arrête, ça ne change rien. Le Programme de Thessalonique était un cri de ralliement pour nos troupes. Pas plus. On compte sur toi pour mettre en forme le vrai programme économique de Syriza. » Varoufakis consent dans ces conditions à poursuivre la collaboration et finira par accepter de devenir ministre des Finances. Il explique qu’à la réunion au cours de laquelle il a donné son accord, l’échange suivant a eu lieu :

  • « – Comme vous le savez, j’ai de sérieuses réserves sur le Programme de Thessalonique. J’ai même très peu de respect pour ce programme. Puisqu’il a été présenté au peuple grec comme votre profession de foi économique, je ne vois pas comment je pourrais, en toute honnêteté, endosser la responsabilité de le mettre en œuvre en tant que ministre des Finances.
  • Pappas a sauté sur l’occasion pour me dire et me redire qu’en aucun cas je ne devais considérer ce programme comme une contrainte.
  • – Tu n’es même pas membre de Syriza.
  • – D’accord, mais vous ne vous attendez pas à ce que je le devienne si j’accepte le poste ?
  • – Non, en aucune façon, est intervenu Alexis, dont la réponse était très étudiée. Je ne veux pas que tu sois membre de Syriza. Je ne veux pas que tu pâtisses des prises de décision collectives longues et alambiquées du parti. »

Conclusion

Varoufakis était un électron libre, sans influence dans Syriza (il n’en était pas membre). Tsipras considérait qu’il pourrait, en cas de nécessité, le démissionner sans provoquer de grands remous dans le parti. Le profil de Varoufakis correspondait au casting défini par Tsipras et Pappas : économiste universitaire, brillant, bon communicateur maniant la provocation et la conciliation avec le sourire, dominant parfaitement l’anglais.

Alexis Tsipras a décidé de fonctionner en petit comité dans le dos de son propre parti plutôt que de mettre en pratique une orientation politique décidée de manière collective au sein de Syriza et approuvée démocratiquement par la population grecque. Nommer Yanis Varoufakis ministre des Finances et lui recommander de ne pas devenir membre de Syriza correspondait à une logique de gouvernance technocratique selon laquelle la responsabilité de Varoufakis ne pourrait être engagée ni devant Syriza, ni devant les électeurs grecs, mais uniquement devant Alexis Tsipras et son petit cercle. Il est évident que l’absence de participation populaire et de mécanismes démocratiques dans l’élaboration de l’orientation politique allait à l’encontre de la nécessité, pour un gouvernement de gauche, de faire appel à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire. Le rappel des événements intervenus entre 2011 et fin 2014 est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015.

Fin de la troisième partie de la série « Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même »


Partie 1 : Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
Partie 2 : Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 3, p. 57. Toutes les citations proviennent des chapitres 3 et 4. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Voir le texte de cette lettre dans James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Le Seuil, 2016, http://www.seuil.com/ouvrage/crise-…

|3| « Ouvrez les livres de comptes de la dette publique ! » http://cadtm.org/Ouvrez-les-livres-de-compte-de-la

|4| http://cadtm.org/Commission-Internationale-d-audit

|5| En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en termes de tirage (100 000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?ca… Voir la version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi

|6| Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon…. , publié le 11 avril 2011

|7| Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy ». http://cadtm.org/Dette-les-grecs-et-la-Debtocracy, publié le 13 juillet 2011.

|8| Voir le diaporama de mon exposé : Eric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_C… . Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Éric Toussaint, « Huit propositions urgentes pour une autre Europe », publié le 4 avril 2011, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour

|9| Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs clés de Syriza y apparaissent. Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) :
Introduction. Section 1 – Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révélé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclide Tsakalotos (ministre des finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective

Section 2 – The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU – The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.

Section 3 – Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union – Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles

Section 4 – The PIGS as (Scape) Goats. Portugal – Marianna Mortagua
Ireland – Daniel Finn
Greece – Eric Toussaint
Spain – Javier Navascues
Hungary – Tamas Morva

Section 5 – Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yannis Dragasakis (vice-premier ministre des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les institutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Populaire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.

Section 6 – The Crucial Role of the European Left – Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.

Le livre est disponible en PDF : http://www.cadtm.org/Public-Debt-an…

|10| Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels. Elle soutient Unité populaire depuis août-septembre 2015.

|11| Daniel Munevar a également participé à cette discussion. Il a fait partie de l’équipe des conseillers de Varoufakis lorsque celui-ci était ministre des Finances.

|12| Source http://links.org.au/node/2888 (traduction en français à partir de l’anglais)

|13| Voir Éric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Le-peuple-grec-se

|14| Voir « L’appel d’Alexis Tsipras pour une Conférence internationale sur la dette est légitime », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014.

|15| Euclide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume-Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupait toujours cette fonction début 2017 dans le gouvernement Tsipras II.

http://www.cadtm.org/Comment-Tsipras-avec-le-concours

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