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L’indépendance et la responsabilité de la BCE en question

28/3/17 par Martine Orange de Médiapart

Au nom de quoi la banque centrale européenne prend-elle ses décisions et auprès de qui rend-elle des comptes? Un rapport de Transparency International revient sur son indépendance. Si l’ONG reconnaît que la BCE a été essentielle pour éviter la dislocation de la zone euro, elle remet en cause ses méthodes.

Il suffit de voir l’affluence à chaque conférence mensuelle de Mario Draghi pour mesurer l’importance prise par la banque centrale européenne (BCE). Avant la crise financière de 2008, les réunions mensuelles de l’institution monétaire européenne – comme de toutes les banques centrales d’ailleurs – étaient superbement ignorées, sauf par une poignée de spécialistes. La chute de Lehman Brothers, puis la crise de la zone euro ont radicalement changé la donne.

De ces neuf ans de crise, la BCE émerge comme le principal voire l’unique acteur qui a sauvé la zone euro de la désintégration. Tandis que les gouvernements et les responsables européens pataugeaient, elle a fourni les centaines de milliards d’euros qui ont permis d’abord de sauver les banques puis de maintenir un système européen en péril. Mais la médaille a son revers. La BCE est aussi membre de la Troïka qui a imposé les politiques les plus dures aux pays en difficulté. Elle est celle qui pousse aux réformes structurelles dans toute l’Europe. Celle qui n’a cessé de faire un chantage sur la Grèce au point de mener un coup de force financier en 2015 pour pousser le gouvernement de Syriza à accepter l’inacceptable.

Son rôle est tellement associé aux politiques d’austérité imposées dans toute l’Europe que les mouvements de contestation ne s’y trompent pas. Ils manifestent à Francfort, où siège la banque, plutôt qu’à Bruxelles, pour protester contre la Troïka ou contre la dictature de la BCE.

Car tout cela est imposé au nom de quoi, de qui ? Auprès de qui la BCE rend-elle des comptes sur ses choix, qui ont des répercussions sur plus de 500 millions de citoyens européens ? s’interroge l’ONG Transparency International, dans un rapport publié le 28 mars. « La relation entre l’indépendance de la BCE, son mandat, sa responsabilité sont au cœur de ce rapport. Cet arrangement est destiné à assurer une légitimité à une institution qui a été délibérément placée en dehors du champ démocratique. Compte tenu de son indépendance, rendre des comptes pour la BCE consiste plus à répondre à des questions qu’à être soumis à un contrôle démocratique », écrit en préambule Transparency International, qui demande une transformation d’urgence, « si l’euro veut survivre à une prochaine crise ».

Défendu par les monétaristes dans les années 1970 – à l’époque où l’inflation était très forte –, ce concept d’indépendance des banques centrales a été appliqué à partir des années 1980 dans toutes les économies avancées. L’indépendance de la BCE a été gravée en lettres d’or dès sa création, l’Allemagne en faisant une condition impérative à sa participation à l’euro. Son seul mandat est « d’assurer la stabilité des prix ». Cette indépendance est censée lui permettre d’agir en dehors de toute pression politique. La banque centrale européenne a ses propres règles de fonctionnement, son autonomie financière, et ses membres sont irrévocables, sauf faute lourde constatée par la Cour européenne de justice. Au nom de la séparation entre la monnaie et le budget, il lui est interdit de financer les gouvernements.

En théorie, les banques centrales n’ont aucun rôle politique. Une théorie très discutable, insiste le rapport. « Pour parvenir au travers des taux au jour le jour sur le marché monétaire interbancaire à influencer les prix à la consommation, cela doit passer par le marché monétaire, par le marché des capitaux, par le marché du travail et par les marchés des biens et services. En d’autres termes, le mécanisme de transmission de la politique monétaire englobe toute l’économie. » Les politiques des banques centrales ne sont pas pour rien dans la « grande modération » qui a touché tous les salariés occidentaux à partir des années 1990, rappelle Transparency International.

Si la question de l’absence de contrôle démocratique sur les banques centrales avant la crise pouvait déjà être discutée, la pertinence d’un maintien de l’indépendance des institutions est encore plus sujet à caution aujourd’hui. L’ancien secrétaire américain au trésor, Larry Summers, s’est d’ailleurs publiquement prononcé pour en finir avec l’indépendance de la FED, compte tenu des défis économiques actuels : la politique de la banque centrale devrait, selon lui, être arrêtée en accord avec le gouvernement et être soumise au même débat démocratique.

Le rapport de Transparency International rejoint cette interrogation, à partir d’un autre constat : « La question de la légitimité et des limites de l’indépendance de la banque centrale devient beaucoup plus compliquée dans un environnement macro-économique déflationniste, dans lequel atteindre l’objectif de stabilité des prix engage des actions de la banque centrale qui vont bien au-delà du pilotage des taux d’intérêt à court terme sur le marché interbancaire », insiste-t-il, à la vue du bilan hors norme de la BCE depuis le lancement sa politique non conventionnelle (quantitative easing). Celui-ci atteint presque les 4 000 milliards d’euros – contre moins 1 000 milliards avant 2007 –, surchargé par les crédits aux établissements financiers et les rachats de titres de dettes souveraines et des grandes entreprises privées.

Depuis le début de la crise, la BCE est de fait largement sortie de son mandat. Au nom de l’urgence, parfois, comme lorsqu’il a fallu tenir à bout de bras le système bancaire européen fin 2008. Pour pallier l’absence de tout autre mécanisme européen pour soutenir l’économie de l’union, comme dans le cas des LTRO (Long term refinancing operations – crédit à taux très bas consentis directement par la BCE aux banques pour se refinancer) mis en œuvre en 2011.

Quelles qu’aient été ses décisions, la BCE ne peut pas nier qu’elle a eu un rôle très politique, même si elle tente d’en minimiser l’importance. Nombre de ses mesures ont été prises avec des arrière-pensées et des calculs politiques. Ainsi le choix de revenir dès 2012 à une politique monétaire restrictive. « Le bilan de la BCE a commencé à se contracter à nouveau dans la seconde moitié de 2012. Certains observateurs ont critiqué la BCE (.. .) soulignant que la politique monétaire était trop restrictive (..) Pourquoi la BCE n’a-t-elle pas engagé un quantitative easing en 2013-2014 ? La réponse réside probablement dans la politique économique de coordination budgétaire et monétaire (…) La BCE a freiné de peur que le stimulus monétaire n’altère les pressions sur les gouvernements pour implanter les réformes structurelles, consolider leurs budgets et mettre en place les régulations pour l’union bancaire », relève le rapport. Ce freinage monétaire selon plusieurs études a fait replonger la zone euro, à peine remise de 2008, dans la crise et le chômage.

Mais qui a décidé cette politique ? À quel moment la BCE a-t-elle été tenue de s’expliquer de ces choix ? Tout a été arrêté dans le secret des discussions au sein du comité exécutif de la BCE. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que Mario Draghi a répondu aux questions du parlement européen sur ce choix. Répondu aux questions, pas débattu démocratiquement des orientations de la politique monétaire de la BCE.

Au-delà de tout mandat

Mais c’est surtout au moment de la crise de l’euro que son rôle a été bien au-delà de toutes les limites institutionnelles. Le rapport a établi une liste impressionnante de ses interventions. Elles ont été incessantes et décisives. C’est Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, qui intime l’ordre au gouvernement irlandais de ne pas mettre à contribution les détenteurs d’obligations pour renflouer les banques irlandaises en perdition, laissant toute la charge aux contribuables irlandais, puis qui menace en 2011 le ministre des finances irlandais de couper les  financements d’urgence pour assurer la liquidité des banques (ELA pour Emergency liquidity assistance) si l’Irlande n’accepte pas le plan de sauvetage établi par la Troïka.

C’est toujours Jean-Claude Trichet qui écrit secrètement aux gouvernements espagnol et italien pour leur imposer une liste de réformes structurelles, en contrepartie du soutien de la BCE pour enrayer la spéculation sur leurs dettes. La BCE et la commission européenne jugeant le gouvernement de Silvio Berlusconi trop rétif à leurs exigences, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy organisèrent son éviction lors du sommet de Cannes en novembre 2011 pour le remplacer par l’ancien commissaire européen Mario Monti, écrit le rapport, rappelant cet épisode européen peu glorieux.

L’arrivée de Mario Draghi comme successeur de Jean-Claude Trichet à la présidence de la BCE a changé profondément la politique et l’attitude de la banque centrale. Ce qui prouve bien que la politique monétaire n’est pas qu’une affaire de technique, et qu’il y a aussi des hommes, avec leurs convictions, leurs choix politiques. Mais là encore les changements se sont faits sans débat en dehors de l’enceinte de l’institution monétaire. Auprès de qui Mario Draghi a-t-il eu à s’expliquer, si ce n’est auprès du puissant gouverneur de la Bundesbank, Jens Weidmann, et du ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, adeptes d’une stricte orthodoxie monétaire ?Mais s’il y a eu un pays à l’égard duquel la politique de la BCE n’a guère changé durant toutes ces années, c’est bien la Grèce. Le rapport de Transparency International reprend toutes les décisions depuis 2009. Il y en a plus de trois pages. Tout au long de cette période, la banque centrale a été un acteur décisif de la crise grecque, notamment au travers de son soutien des banques grecques. Transparency International revient longuement sur l’épisode de février 2015, préambule à la crise de l’été, lorsque la BCE a décidé de couper son soutien aux banques grecques et de rationner y compris les financements d’urgence (ELA). Un coup d’État financier, totalement illégal, qui allait mener à la capitulation du gouvernement de Syriza en juillet, souligne Transparency International.

L’ONG alerte : « La possibilité que le scénario mis en œuvre en Grèce en 2015 se répète est réel. Non seulement les banques dépendent toujours des procédures ELA, mais le volume de ces prêts a recommencé à augmenter depuis juin 2016. Cela intervient dans un contexte où un nouveau bras de fer a été engagé entre le gouvernement grec et ses créanciers autour de la deuxième revue du troisième programme d’ajustement. » Avant d’insister sur la nécessité de sortir les procédures de financement d’urgence des décisions discrétionnaires pour les inscrire dans un cadre légal et prévisible.

« Nous reconnaissons que la BCE a peu de choix dans l’architecture institutionnelle actuelle de la zone euro, qui autorise des politiques élus à fuir leurs responsabilités, forçant ainsi des technocrates non élus à faire “le sale boulot” à leur place », note Transparency International. Afin d’éviter les coups de force secrets, le pouvoir discrétionnaire, l’ONG préconise que les communications de la BCE aux gouvernements nationaux statuant sur les mesures exigées en contrepartie de son soutien monétaire soient cosignées par le président de l’Eurogroupe et par le parlement européen et que ces communications soient publiques. De même, elle recommande que les mesures qui vont au-delà du mandat normal de la BCE fassent l’objet d’un accord avec l’Eurogroupe et le parlement européen, afin de leur donner un fondement politique légal. Enfin, ajoute-t-elle, « la BCE ne devrait plus avoir un rôle substantiel dans la Troïka et ne devrait plus avoir un rôle formel dans la négociation et la surveillance des conditions exigées en contrepartie des fonds versés dans le cadre des plans de sauvetage », insiste Transparency International.Cette nécessité de transparence s’impose aussi pour la BCE dans ses missions de surveillance et de contrôle des banques, selon l’ONG. Car là aussi, les décisions prises par la banque centrale n’ont pas toujours été d’une grande clarté. Transparency International reconnaît que pour des raisons de protection du système bancaire, la discrétion peut être de mise. Néanmoins, l’opacité dans laquelle se déroulent, par exemple, les discussions sur le sauvetage et la recapitalisation de la banque italienne Monte dei Paschi lui paraît plus que discutable. « La situation en Italie montre clairement que le financier, le monétaire et le politique ne peuvent, en pratique, être séparés les uns des autres. (…) Dans les situations critiques, les décisions technocratiques deviennent invariablement politiques et conduisent la BCE à des négociations politiques qui n’ont rien à voir avec la notion de supervision indépendante. (.. .) Il existe seulement deux remèdes à cette situation : un plus grand contrôle démocratique – donc moins d’indépendance – ou, mais ce n’est peut-être pas le plus souhaitable, des processus de décision et de communication plus transparents », conclut le rapport.

La transparence s’impose aussi pour les dirigeants de la BCE. Les décisions de politique monétaire sont d’une telle importance pour le monde financier que celui-ci est prêt à tout mettre en œuvre pour être initiés avant tout le monde, influencer les choix. En la matière, la BCE n’a guère été vigilante. Ce n’est qu’après le faux pas de Benoît Cœuré – qui avait révélé lors d’un colloque financier des mesures de la BCE qui allaient être annoncées quelques heures plus tard – que l’institution monétaire a commencé à établir un code de conduite pour ses membres.

Comme toutes les autres autorités, la BCE n’est pas à l’abri de captures par des intérêts privés, insiste Transparency International. Celle-ci devrait établir, selon l’ONG, comme le font nombre d’autres institutions, un registre public qui mentionne les lobbies qui interviennent auprès d’elle, les colloques et les réunions auxquelles elle participe. Mais ce sont les allers et retours (revolving door) entre le privé et le public des membres de la banque centrale qui l’inquiètent. Officiellement, tous les membres importants de l’institution monétaire sont issus des banques centrales et des administrations nationales de la zone euro. Mais en quittant la BCE, beaucoup vont terminer leur carrière dans le privé.

Ces pantouflages sont désormais soumis au comité d’éthique de la BCE. Mais la composition de ce comité pose problème qui rassemble d’anciens membres de la BCE sous la présidence de Jean-Claude Trichet en tant qu’ancien président de la BCE, ce qui, selon Transparency International, « peut limiter l’impartialité et l’indépendance de ce comité ». « Si l’ancien président de la commission européenne, José Manuel Barroso avait siégé au comité éthique de la Commission, il aurait difficilement pu prendre position sur son nouvel emploi comme président non exécutif de Goldman Sachs international », relève le rapport pour souligner les dangers de l’entre-soi.

La BCE semble de fait donner une grande latitude à ses anciens membres. Le rapport établit une  surprenante liste de pantouflage de membres éminents de la banque centrale. Tommaso Padoa-Schioppa, membre du comité exécutif, est devenu tout de suite après son départ, président européen du groupe Promontory Financial. Six mois après son départ, Otmar Issing est devenu conseiller international de Goldman Sachs. José Manuel Gonzalez Paramo a tout de suite été nommé au conseil de la banque espagnole BBVA comme responsable de la régulation et des affaires publiques. Lorenzo Bini Smaghi est devenu président de la Société générale. Jörg Asmussen a été nommé administrateur de l’assureur Generali et directeur de l’activité de conseils financiers chez Lazard. Manifestement, si la BCE revendique son indépendance, ce n’est pas vraiment auprès du pouvoir financier.

Grèce Eurogroupe accord de subordination

Le gouvernement Tsipras se dirige vers un accord de subordination et de reddition devant les créanciers. Par Vangelis Goulas

Accord de subordination et de reddition devant les créanciers. Le gouvernement essaie de « faire avaler la pilule » des mesures drastiques et de la déréglementation.

Le gouvernement traite de l’accord intervenu lors de l’Eurogroupe, pour le retour à Athènes des chefs de mission après le Lundi Pur[1], dans le but de négocier pour finaliser l’accord technique (SLA), lequel est toujours susceptible, selon le gouvernement, d’avoir lieu d’ici quelques jours.

Le gouvernement admet qu’il a accepté de légiférer immédiatement concernant les mesures, même s’il n’a rien communiqué à ce sujet, pour enjoliver les évolutions, les mesures et les réformes concrètes qu’il a convenu de faire avancer.

Selon nos informations, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre, une par une, toutes les exigences des créanciers tant en matière de prérequis que de nouvelles mesures drastiques concernant la réduction des revenus non imposables et des retraites, avec une attention particulière à l’égard de la déréglementation néolibérale.

Le paradoxe réside dans le fait que le gouvernement soutient que l’accord met en avant comme condition sine qua non qu’aucun euro supplémentaire ne sera déboursé au nom de l’austérité.

Et ce miracle se réalisera, toujours selon les « lumières » du gouvernement, car il y aura des mesures compensatoires d’un autre genre, qui aboutiront à la neutralité du solde budgétaire.

Cela signifie concrètement qu’il permettra soi-disant au gouvernement, par exemple, de réduire d’un côté l’exemption d’impôt chez les classes populaires et de compenser dans le même temps les pertes occasionnées par des prestations financièrement égales pour ces mêmes catégories sociales !

Il semble plutôt évident que l’impossibilité qu’une telle chose se produise est quasiment acquise, et sa validation par les « institutions », plus encore : en tout état de cause, dans la pratique, cela n’a aucun sens et constitue, par conséquent, une manœuvre gouvernementale de plus pour faire passer la pilule de la reddition et des nouvelles taxes.

Néanmoins, il faut souligner que le gouvernement va prélégiférer pour des mesures dépassant les 3,6 milliards d’euros en l’absence de mesures concernant la dette, en l’absence d’une détente quantitative, avec l’incertitude qui pèse sur la participation du FMI, avec les tranches à attribuer après la clôture du paquet de réformes et bien entendu si tous les prérequis sont réunis, dont le gouvernement ne souffle mot, mais qui sont vraiment intenables.

Dijsselbloem: il contredit le gouvernement. « Des réformes » aboutissant à un résultat budgétaire.

Dans le cadre des réformes sur lesquelles va devoir prélégiférer le gouvernement grec, pour l’après 2019, nous examinerons également les objectifs budgétaires, a notamment indiqué le chef de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, interrogé sur la composition des mesures qui déverrouilleront la 2e évaluation du programme. Comme il l’a déclaré, l’accent devra être mis sur les réformes structurelles, lesquelles aboutiront cependant à un résultat budgétaire.

« Pas un euro de plus d’austérité, ce ne sont pas mes propos », a-t-il notamment déclaré, en répondant à une question, au vu du positionnement adopté par la partie grecque. « Nous avons encore beaucoup de travail », a ajouté le ministre hollandais des Finances.

Monsieur Dijsselbloem a indiqué que les structures techniques reviendront très prochainement à Athènes et travailleront avec les autorités grecques concernant le paquet supplémentaire de réformes sur le marché du travail, le régime de pension communautaire et le régime fiscal.

Nous irons au-delà de l’austérité et nous nous concentrerons sur les réformes profondes, qui sont un élément fondamental pour la participation du FMI, a-t-il souligné.

En réponse à une question, il a encore affirmé qu’en tant que ministre des Finances il ne peut absolument pas promettre la fin de l’austérité, mais ce qu’il peut affirmer c’est qu’un énorme travail a été produit en Grèce et que cette dernière se trouve en bien meilleure posture. Il faut que nous dépassions l’austérité grâce à des réformes structurelles, c’est ce qu’a souligné également le FMI, c’est un changement d’orientation, a-t-il ajouté.

Le président du Conseil des ministres des Finances de la zone euro a clarifié qu’il n’existe pas d’accord politique pour le moment et a souligné qu’un énorme travail reste à faire.

Il a ajouté que nous regagnerons l’Eurogroupe si et dans la mesure où il existe un accord technique et là, les derniers débats politiques auront lieu.

Au sujet du calendrier, M. Dijsselbloem a affirmé que la question de la liquidité ne se pose pas à court terme pour la Grèce, mais que nous sentons tous qu’il existe une urgence au vu du débat essentiel portant sur la confiance.

[1] Premier lundi du Carême orthodoxe, jour férié.

Traduction Vanessa de Pizzol

https://unitepopulaire-fr.org/2017/02/27/le-gouvernement-tsipras-se-dirige-vers-un-accord-de-subordination-et-de-reddition-devant-les-creanciers/

Stoppons l’austérité et la dette ! Oui, mais comment ?

Par Thierry Müller . Cet article est un compte-rendu des discussions collectives qui se sont tenues dans le cadre de l’atelier “Stoppons l’austérité et la dette ! Oui mais comment ?” lors de l’événement Les 8 heures contre la dette illégitime, organisé le 4 décembre 2016 par le CADTM Belgique.  

Intervenant-e-s : Yiorgos Vassalos (Initiative de Solidarité avec la Grèce qui résiste), Yannis Youlountas (philosophe, écrivain, réalisateur), Ania Deschoemacker (PSL-LSP). Animation : Anouk Renaud (Cadtm Belgique) Distribution paroles : César Chantraine (CADTM Belgique) Synthèse : Thierry Müller

1. Quelle stratégie pour la Grèce depuis la Belgique ?

a) État de la situation

Cela fait maintenant six ans que la Grèce est le terrain de politiques d’austérité féroces et demeure sous une tutelle digne d’un régime colonial. D’ailleurs, le 3e mémorandum conclu en juillet 2015 pousse l’application des mesures néolibérales à un niveau inédit (privatisation du Trésor, privatisations supplémentaires, énième réforme des retraites…). L’état économique, social et humanitaire du pays est catastrophique. Les défauts sur les dettes privées se multiplient dans ce contexte de crise et entraînent une multiplication des saisies immobilières depuis le début de cette année.

En termes de mobilisations, de résistances, les avis sont partagés. Pour certains, la gauche politique et syndicale est dans le coma, elle ne peut rien faire, il n’y a plus d’espoir.

Alors que, pour d’autres, force est de constater que, sur le terrain, ça grouille d’initiatives locales et que les luttes à la base reprennent.

b) Pourquoi la montée de la gauche politique en Grèce a-t-elle conduit à un échec ?

La capitulation/trahison de Syriza/Tsipras n’était-elle pas quelque part prévisible, dans la mesure où les élites “providentielles” finissent toujours par “trahir”/décevoir/capturer la lutte… ? Ne sommes-nous pas quelque part responsables de nous laisser ainsi berner à chaque fois ? On s’illusionne quant à ce que l’on peut obtenir par la voie électorale ; ne plus miser que sur la seule voie électorale est déjà le signe d’un recul de la lutte, du rapport de force.

Face à la crise du capitalisme, il n’y a pas de solution à l’intérieur de ce système. L’expérience grecque nous a montré que ce système ne fera aucune concession si aucune lutte ne l’y contraint. Or, Syriza ne proposait pas de sortir des clous et n’organisa aucune mobilisation populaire pour le soutenir

c) Que faire ?

L’échec Syriza a tué l’espoir, on sait qu’il n’y a(ura) pas de sauveur suprême à attendre , il nous faut reprendre nos vies en mains.

D’une manière générale, il semble y avoir consensus pour dire que toute initiative de résistance est bonne à prendre, et à soutenir.

À la base, au niveau local : chacun peut agir, là où il est, sans attendre ni espérer : résister, créer et articuler une multitude de formes d’actions et de solutions, démontrer que s’organiser autrement (solidarité) est possible.
Pour ce qui est du champ de l’immigration, par exemple, articuler une mobilisation collective à partir de recherches de solutions concrètes aux problèmes quotidiens.

À un niveau plus “macro”, il faut préparer un plan de sortie de l’euro et même sortir de l’architecture européenne, imposer des changements sur les territoires nationaux et, à partir de là, reconstruire une architecture européenne nouvelle, un nouveau projet fédérateur, avec une perspective politique de gauche, qui affronte le joug que nous imposent “ceux qui tiennent la finance”.

Au niveau national, les propositions ont fusé : reconstruire un syndicat de classe, un Front radical et démocratique qui se donne pour objectif la conquête du pouvoir, un programme politique proposant l’abolition de la dette, la nationalisation des secteurs clés de l’économie, d’ambitieux plans d’investissement dans les domaines des soins, des services publics, de l’agriculture… Ces mouvements qui doivent être animés par une démocratie interne forte et l’axe anticapitaliste doit rester la ligne rouge, la balise à suivre.

Parallèlement, au niveau national, la question des conquêtes au niveau municipal, comme levier sur lequel s’appuyer a été soulevée.

Les discussions ont même abordé un niveau de long terme ou plus en fond du moins, avec des enjeux tels que : repenser la démocratie, l’État, le pouvoir. Nous sommes au temps de l’hiver, celui où la renaissance est en gestation, lente et hors visibilité.

Il faut en revenir aux fondamentaux, travailler sur un nouvel imaginaire social qui remet en question le capitalisme, le productivisme, le consumérisme, la démocratie représentative.

2. Quelle stratégie pour la Belgique ?

a) Constats et quelques pistes-clés

Avec un des gouvernements le plus à droite de son histoire, la Belgique connaît des attaques cinglantes contre les droits économiques et sociaux fondamentaux. Les luttes menées à l’initiative des syndicales, acteurs prépondérant dans le mouvement social Belge, ont suscité de l’enthousiasme en 2014, mais ont fortement ralenti depuis.

Quant à la thématique de la dette, les gouvernements successifs s’engagent à réduire le poids de la dette pour rentrer dans les clous des critères européens, alors que dans les faits, l’endettement ne fait qu’augmenter, à tel point, qu’il atteint plus de 100% du PIB et que certaines communes se retrouvent dans des situations réellement alarmantes.

Les nouvelles technologies sont également un élément du contexte à prendre en compte, car, avec celles-ci, le pouvoir accroît sa fabrication du consentement (manipulation de l’opinion), sa surveillance, sa répression, si bien d’ailleurs qu’aujourd’hui fonctionnent à plein les pratiques d’autocensure. Il faut réagir : soyons résolus de ne plus servir, bloquons la production, cessons d’adhérer à leur société de consommation.

La grève générale du début de l’année 2012 fut exemplaire, des expériences de front radical et démocratique comme D19-20, les luttes anti-CETA et anti-TTIP, ont démontré leur efficacité ; il faut poursuivre ces expériences, les relancer, en créer d’autres.

La résistance dans la rue, la grève générale et la montée du PTB ont une efficacité manifeste mais il faut relancer et questionner cette dynamique.

Il faut un plan d’action inclusif, très large, réellement de gauche, construit à la base, avec un plan de mobilisation dans la durée.

b) Autres “Que faire” ?

La désobéissance civile est une stratégie d’action intéressante à explorer, notamment en synchronisant les luttes complémentaires de groupes affinitaires multiples.

Elle permet également de développer des dynamiques créatives, nouvelles, “visibles”, “buggantes”, “hors partis”, multiformes.

En résumé : on sent d’une part une volonté d’actions et de résistances par rapport à un pouvoir central avec qui les comptes doivent se régler directement et impérativement, la volonté d’un mouvement construit dans un “hors de l’entre soi classique” des luttes syndicales et politiques qui soit un mouvement de masse démocratique et radical, et d’autre part la volonté que se développe une multiplicité de pratiques locales, créatives, où la rencontre entre résistants et populations se fait sur le mode de “la stimulation de la volonté et du désir à partir d’imaginaires collectifs mobilisateurs”.

c) Questions

Si beaucoup de pistes très diverses ont émergées durant cet atelier, beaucoup de questions ont également fait surface.

Comment se pense et se construit le lien entre ces luttes micro-politiques et celles plus unifiantes du macro-politique ? Une articulation qui semble nécessaire puisque les expériences micro seraient trop défensives et locales que pour provoquer par elles-mêmes un changement d’envergure au niveau du pouvoir central, alors qu’une lutte macro qui ne s’appuierait pas sur des alternatives locales concrètes serait vouée à l’échec, à la récupération, à la réforme ?

Cette articulation nécessite-t-elle le choix d’un objet commun (exemple : la démocratie) ou d’un objectif unique et rassembleur (faire tomber le gouvernement, taxer les riches, etc.) ?
Qui doit prendre l’initiative de ce mouvement large : les syndicats, avec des consignes de lutte précises (mais définies où ? à et par la base ? comment contrôler les directions syndicales ?) ou le PTB (mais peut-il initier un mouvement inclusif et démocratique de lutte ici et maintenant ?) ? Si non, qui peut et doit jouer le rôle nécessaire du relais politique ?

http://www.cadtm.org/Compte-rendu-de-l-atelier-Stoppons

Grèce : le FMI savait que le programme échouerait dès 2010

Nouvelle pierre dans le jardin des créanciers européens sur la Grèce : le FMI avait mis en garde sur les risques de la stratégie mise en place en 2010. Des avertissements ignorés à l’origine du désastre actuel.

Par Romaric Godin La tribune

Alors que la crise grecque pourrait, le 20 février, connaître un nouvel épisode lors de la réunion de l’Eurogroupe sur la deuxième revue du troisième programme de financement de l’Etat grec, de récentes révélations viennent à nouveau éclairer les débuts de cette crise en 2010. Un éclairage qui explique largement les échecs et les aveuglements, même sept ans plus tard…

Ces révélations étaient, pour tout dire, passées relativement inaperçues en Europe lorsqu’elles ont été publiées dans le dernier ouvrage du journaliste étasunien Paul Blustein, Laid Low, paru en octobre dernier aux Etats-Unis aux éditions du Centre international de l’innovation de la gouvernance (CIGI). L’ouvrage s’intéresse particulièrement au rôle du FMI dans la préhistoire du premier mémorandum imposé à la Grèce en mai 2010. Ce récit détaillé confirme ce que d’autres sources avaient déjà établies, notamment la Commission sur la Vérité de la dette grecque, établie au premier semestre 2015 par Zoé Kostantopoulou, alors présidente de la Vouli, le parlement grec, mais aussi par d’autres journalistes étasuniens et par l’instance de surveillance interne du FMI. Mais cet ouvrage donne une vision plus claire des négociations du printemps 2010 et apporte davantage de précisions.

Les réserves du FMI sur le plan de 2010

Paul Blustein confirme ainsi que le FMI a bien participé au premier programme grec contre ses propres règles édictées après la crise argentine qui obligeaient le Fonds à ne pas aider un pays dont la dette n’était pas tenable sur le long terme. Or, les experts du FMI ne se faisaient aucune illusion sur la capacité du programme à sortir la Grèce de l’ornière. C’est la grande information de ce livre qui cite un « mémo interne » du chef économiste du FMI d’alors, Olivier Blanchard, transmis le 4 mai 2010, soit six jours avant l’annonce du plan « d’aide » à Athènes.

Ce mémo est d’une grande sévérité pour le mémorandum qui sera finalement signé avec la Grèce. Ce plan prévoyait, rappelons-le, officiellement, une dette maximale de 149 % du PIB en 2013 pour la Grèce et une légère récession en 2010 de 0,4 %, puis une reprise vigoureuse dans le cas où le pays réaliserait toutes les réformes structurelles imposées. Dans la version officielle qui a toujours cours et qui est encore largement acceptée par les décideurs et observateurs européens, c’est le manque d’implication de la Grèce dans le programme de réformes qui a fait échouer ces plans.

Des réformes vaines ?

Mais Olivier Blanchard, qui, depuis, a quitté le FMI avait déjà mis en garde dès le 4 mai 2010 : « même en remplissant entièrement toutes les conditions posées, rien ne peut soutenir la croissance contre la contribution négative du secteur public ». Et d’ajouter : « la reprise aura plus vraisemblablement la forme d’un « L » avec une récession plus profonde et plus longue que celle projetée ». Et de conclure : « le schéma de croissance en « V » projetée est beaucoup trop optimiste, il est improbable que les forts gains de productivité puisse jouer un rôle significatif ». Ce mémo prouve que le FMI savait donc parfaitement ce qui allait se passer en Grèce. Les informations de Paul Blustein ont été confirmées par Olivier Blanchard lui-même qui, dans un tweet du mercredi 15 février, a indiqué qu’il « n’a pas fait fuité lui-même » ce document, mais qu’il n’est finalement « pas mécontent qu’il ait fuité ».

Une dette non contrôlée

Dans son mémo, le chef économiste du FMI prévoit une explosion de la dette publique grecque jusqu’à 170 % du PIB, une analyse bien plus proche de la réalité (la dette publique grecque est aujourd’hui de 176 % du PIB) que les projections du mémorandum. Olivier Blanchard estimait alors, à mots couverts, que le programme devait prendre en compte l’adoption de « mesures plus radicales » comme la restructuration de la dette. Car, martèle-t-il à nouveau, « même avec une parfaite mise en œuvre des politiques demandées, c’est-à-dire si Athènes fait tout ce qu’elle est supposée faire, le programme peut dérailler ». Le verdict est sans appel : le programme de 2010 était fondé sur des illusions et ceux qui ont pris la décision de le mettre en place le savaient. La responsabilité de l’échec ne saurait alors être imputée à la Grèce et aux Grecs, comme c’est le cas depuis 2010.

Paul Blustein affirme que « cette recommandation d’Olivier Blanchard n’a pas été retenue ». Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a fait avaler la couleuvre au Fonds et fait adopter un programme dont le montant atteignait alors des niveaux jamais vus dans l’histoire du FMI. Il a donc introduit une « exception » aux règles du Fonds pour le faire entrer dans cette aventure dangereuse et ne pas mettre en péril l’architecture fragile et très politique mise en place. Les recommandations des équipes seront modifiées pour laisser une chance à un programme perdu d’avance.

Le FMI a travaillé à la restructuration de la dette grecque

Pourquoi cette insistance ? Paul Blustein l’explique en confirmant les informations publiées en 2015 outre-Atlantique. Le FMI a travaillé durant le printemps 2010 à un « plan B » pour la Grèce conforme à ses propres règles et incluant des mesures plus progressives et une restructuration de la dette publique. Ces plans ne faisaient certes pas l’unanimité au sein du Fonds – et étaient même repoussés par le département européen du FMI – mais ils correspondaient clairement à l’expérience de l’institution qui avait pu constater que l’implication des autorités locales dans les réformes étaient liées à ces deux conditions. Les économistes du Fonds ne sous-estimaient pas l’effet de contagion d’une « faillite » de la Grèce, mais estimaient qu’une action rapide et qu’un programme réussi étaient en mesure de stopper cette contagion. De fait, le programme de 2010 n’a pas empêché la contagion…

Le « non » de la BCE

Pourtant, cette option a été violemment repoussée par Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, qui jugeait la faillite inacceptable. Paul Blustein rapporte notamment une réunion interne à la BCE « durant le printemps 2010 » où l’économiste en chef Jürgen Stark – qui démissionnera en septembre 2011 – évoque la possibilité d’un « haircut », une participation des créanciers au plan d’aide. A ces mots, selon l’auteur, Jean-Claude Trichet « a explosé ». « Nous sommes une union économique et monétaire et il ne doit pas y avoir de restructuration de la dette », lance-t-il « en criant », précise un témoin. La messe était dite. A la mi-avril, Dominique Strauss-Kahn comprend dans une réunion au Sofitel (sic !) de Washington avec les Européens qu’il ne peut proposer cette option. Cela ne l’empêchera pas pourtant de soutenir la participation du Fonds au programme. Le mémo d’Olivier Blanchard ne pouvait que devenir lettre morte…

La responsabilité de Jean-Claude Trichet

Que retenir de tout cela ? D’abord, le rôle majeur joué par Jean-Claude Trichet qui a agi comme un obstacle majeur contre toute restructuration de la dette hellénique. La raison en est évidemment la crainte de la contagion, mais l’exposition, alors, des banques françaises et allemandes à la dette grecque (95 milliards d’euros en tout) a joué aussi un rôle majeur. A l’automne 2010, le président de la BCE fera pression sur les gouvernements irlandais et espagnol pour éviter toute restructuration du même type. En avril 2011, il menacera même le nouveau gouvernement irlandais de « jeter une bombe sur Dublin » en forçant le pays à sortir de la zone euro si le programme de « participation des créanciers » promu par la nouvelle majorité était mise en œuvre. Or, en jetant un tabou sur ce sujet, le Français a créé le nœud coulant de la dette qui étrangle encore la Grèce et qui enserre les autres pays jadis sous programme. Idéologue de « l’austérité expansive », terme à la mode alors, il a forcé une solution impossible contre les voix raisonnables du FMI. Les malheurs de la Grèce depuis sept ans y trouvent là leur origine. Une responsabilité qu’il refuse obstinément d’endosser depuis.

Le coût du mensonge

Deuxième conséquence : sur la Grèce, tout le monde a donc menti en mai 2010, du gouvernement grec au FMI en passant par les dirigeants européens et la BCE. Ce mensonge est structurant pour toute l’histoire de la zone euro, particulièrement l’épisode dramatique du premier semestre 2015. Les demandes du premier gouvernement Tsipras, fondée notamment sur une restructuration de la dette et une réduction du niveau de l’austérité, venaient percuter les vérités assénées depuis 2010. Il a fallu briser cette demande par la violence d’un troisième mémorandum, donc d’une poursuite de la logique de 2010, malgré l’évidence contraire de son échec. Le but était en quelque sorte de « forcer la réalité » pour la faire entrer dans une vision définie en 2010. Sept ans de maux du peuple grec, une fracture béante entre le nord et le sud de l’Europe, une humiliation du gouvernement démocratique grec et une situation toujours aussi bloquée auront été les prix à payer de cette tentative sordide de validation des mensonges des dirigeants européens.

La position du FMI aujourd’hui et le Grexit

Dernier élément : la position actuelle du FMI ne peut plus faire comme si une participation au programme était possible. La torsion effectuée en 2010 aux statuts du Fonds et à la rationalité économique n’est plus possible. Aussi, désormais, la participation du FMI semble une gageure. D’où le débat entre les créanciers européens et le Fonds depuis 2015. D’autant que le FMI a souvent été utilisé, notamment en juillet 2015, comme le « bad cop » des « gentils Européens », scénario largement validé par le gouvernement grec. Dès lors, la fin de cette union entre créanciers européens et FMI semble proche. Elle signe la fin du pacte accepté par Dominique Strauss-Kahn en 2010 et ouvre la porte à des scénarios où le Grexit, la sortie de la Grèce de la zone euro, est une possibilité.

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-fmi-savait-que-le-programme-echouerait-des-2010-639615.html

Dette grecque de 2012 et recapitalisation bancaire jusqu’à 2016

La restructuration de la dette grecque de 2012 et la recapitalisation bancaire jusqu’à 2016 par Daniel Munevar 

En premier lieu seront analysés l’impact qu’a eu la restructuration de la dette de 2012 sur les banques grecques et les mesures prises afin de garantir leur recapitalisation effective. Cette partie aborde le rôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) dans ce processus et les problèmes découlant de la composition de son conseil général. Celui-ci incluait d’anciens banquiers grecs et étrangers qui avaient eux-mêmes été impliqués dans la mauvaise gestion de banques. En conséquence, le FHSF s’est interdit de prendre des mesures significatives qui auraient bouleversé le statu quo autour du fonctionnement du système bancaire grec. Enfin, cette partie montre en quoi les politiques imposées par la Troïka dans le cadre du premier processus de recapitalisation ont fragilisé la stabilité du système bancaire grec.

Au début de l’année 2012, il est apparu clairement que le programme d’assistance financière à la Grèce était un échec. La mise en œuvre de mesures d’austérité a provoqué un effondrement économique, rendant inatteignables les objectifs fiscaux du programme. En conséquence de ces mesures, la dette publique a augmenté pour atteindre fin 2011 le montant de 356 milliards d’euros (172,1% du PIB). Cela a provoqué un important problème puisque le premier programme d’assistance financière était basé sur l’hypothèse qu’au début de l’année 2012, la majeure partie des besoins financiers du pays serait assurée par des fonds privés |1|. Or, l’accès de la Grèce aux marchés de capitaux était quasiment bloqué par la perspective imminente d’une restructuration de la dette. Ainsi, en plus des fonds publics nécessaires à la satisfaction des besoins financiers du pays, des mesures devaient être prises afin de réduire le fardeau de la dette.

il est apparu clairement que le programme d’assistance financière à la Grèce était un échec.

Un deuxième programme d’assistance financière à la Grèce fut préparé à cet effet. Le nouveau programme conservait la même contradiction interne que celle du précédent : il était supposé que d’importants surplus budgétaires seraient compatibles avec une reprise économique. Ce programme incluait également la restructuration de la dette dans le cadre de ce que l’on a appelé Private Sector Involvement (PSI, « participation du secteur privé »). Le PSI prévoyait un échange de dette des derniers créanciers privés du pays, afin de réduire le fardeau de la dette. En conséquence, on attendait des banques grecques qu’elles jouent un rôle clé dans ce processus, étant donnée leur importante exposition aux titres grecs. Ainsi, afin d’assurer la stabilité financière, le programme devait simultanément s’occuper de la restructuration de la dette et de ses répercussions sur la solvabilité des banques.

Les négociations autour de la restructuration de la dette eurent lieu entre mars et avril 2012. Il s’agissait de l’opération la plus importante dans l’histoire des défauts sur la dette souveraine, puisqu’elle concernait des titres de créance pour une valeur nominale de 205 milliards d’euro |2|. Afin d’accomplir cette opération, le gouvernement grec a amendé les conditions associées à des titres soumis au droit grec pour une valeur nominale de 177 milliards d’euros |3|. En théorie, le gouvernement aurait pu utiliser ce mécanisme pour imposer unilatéralement des conditions à ses créanciers, mais il a préféré négocier avec eux en soumettant leurs titres, de manière rétroactive, à des clauses d’action collective (CAC) |4|. À l’aide de cet instrument, le gouvernement a obtenu un accord de restructuration de la dette publique concernant 82,5% des détenteurs de titres soumis au droit grec |5|. Les CAC ont été un élément-clé pour qu’un niveau important de créanciers détenant des titres soumis au droit grec acceptent l’accord et participent à la restructuration. En conséquence de cette restructuration, la valeur nominale de la dette grecque a été réduite de 107 milliards d’euros, soit près de 50% du PIB.

Cependant, l’allégement réel de la dette grecque n’a pas atteint ces montants. Cela s’explique par la distribution inégale des pertes liées à la restructuration. Alors que les fonds de pension et d’autres détenteurs domestiques de titres ont subi une perte d’environ 65% de la valeur de leurs titres, les banques ont quant à elles été entièrement dédommagées à travers un mécanisme de recapitalisation bancaire. Ainsi, un large montant de l’allègement de la dette a finalement servi à compenser les pertes des banques. Le deuxième programme d’assistance financière prévoyait un fonds de 40,5 milliards d’euros destiné à s’assurer que les besoins en capitaux des principales banques du pays soient satisfaits |6|. Il est important de souligner que, comme c’était déjà le cas dans le premier programme, aucun mécanisme de bail-in (faisant porter les coûts de la recapitalisation sur les actionnaires et les détenteurs des obligations émises par les banques) n’a été envisagé afin de réduire le besoin de financement par des fonds publics. Le gouvernement grec aurait pu épargner jusqu’à 25 milliards d’euros destinés au bail-out s’il avait pris ce type de mesure |7|. Cette décision contraste de manière importante avec l’approche adoptée pour le deuxième processus de recapitalisation de 2015, qui a impliqué un mécanisme de bail-in des parts du gouvernement dans les banques afin de réduire le montant du bail-out. Le « deux poids, deux mesures » appliqué ici (protéger les actionnaires privés en 2012, mais appliquer un bail-in des parts publiques en 2015) mérite d’être mis en question.

les banques ont quant à elles été entièrement dédommagées à travers un mécanisme de recapitalisation bancaire.

De plus, les fonds de recapitalisation ont été attribués afin d’assurer que les banques grecques supportent l’impact de la restructuration de la dette ainsi que la détérioration rapide de leurs portefeuilles de prêts. En théorie, un niveau adéquat de recapitalisation aurait dû leur permettre de reconnaître leurs pertes et d’assainir leurs bilans comptables, afin de pouvoir recommencer à distribuer des crédits dans l’économie et faire démarrer la reprise économique. À cet égard, un cadre crédible pour régler les problèmes des défauts de paiement (NPLs, « Non-performing loans  ») aurait dû inclure, parmi d’autres, des mesures visant à appliquer des changements dans le personnel de direction et les modèles de gestion des banques. Mais le programme s’est limité à quelques mesures superficielles telles que la projection de changements du cadre juridique afin de faciliter, entre autres, la maximisation du recouvrement des actifs |8|.

L’absence d’un cadre crédible pour régler les problèmes des NPLs s’explique en partie par l’hypothèse explicitement formulée par les régulateurs vis-à-vis de l’impact de ce deuxième programme sur l’économie – et par extension sur l’évolution des portefeuilles de prêts des banques. Le programme se basait sur l’hypothèse d’une forte contraction de l’économie en 2012 qui serait suivie d’une rapide reprise à partir de 2014. L’augmentation du pouvoir d’achat et de l’emploi aurait ainsi dû permettre aux banques de stabiliser, puis éventuellement d’endiguer, la croissance des créances douteuses |9|. Mais, puisque ces projections ne prenaient pas en compte les effets multiplicateurs de l’austérité budgétaire comprise dans le programme, elles se révélèrent largement erronées |10|. Tandis que la crise économique s’approfondissait en Grèce, les NPLs ont continué d’augmenter à un rythme effréné (graphique 1) |11|. Ainsi, au dernier trimestre de l’année 2013, les NPLs représentaient 138% du capital des banques |12|, et ce alors que leur recapitalisation avait eu lieu moins de 18 mois plus tôt. Sauver les banques sans relancer l’activité économique et sans reconnaître la qualité douteuse des portefeuilles de prêts était condamné à l’échec.

Graphique 1 – Évolution des défauts de paiement (Non-performing loans) en % de l’ensemble des prêts octroyés par les banques grecques (2009-2015)

Source : FMI

C’est le Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) qui supervisait le processus de recapitalisation bancaire. Le FHSF avait été mis en place en 2010 afin de garantir la stabilité du système bancaire grec. Parmi d’autres responsabilités, il est chargé de pourvoir en capital les établissements de crédit, de contrôler et de superviser la réalisation des plans de restructuration soumis par les établissements de crédit ayant bénéficié des ressources du Fonds, ainsi que de faciliter la gestion des NPLs |13|. Les débuts du Fonds, créé en tant qu’organe indépendant du gouvernement, furent timides. Dans les 18 mois qui ont suivi sa création, le FHSF disposait d’un capital de 1,5 milliard d’euros. Durant cette période, il n’a attribué des fonds qu’à la banque New Proton |14|. Nous reviendrons plus loin sur les caractéristiques particulières de la relation entre le FHSF et New Proton.

Une fois que le deuxième programme a commencé à être appliqué, l’étendue des opérations du FHSF a largement augmenté. Il reçut 50 milliards d’euros de fonds destinés au bail-out, qui allaient être utilisés pour la recapitalisation des banques affectées par la restructuration de la dette. Dans le cadre de ce processus, son indépendance par rapport au contrôle public fut renforcée. Malgré le fait qu’il allait bientôt acquérir une part importante du système bancaire en raison du processus de recapitalisation |15|, le programme a fixé des limitations strictes concernant les droits de votes du FHSF associés aux actions des banques en sa possession. Ces mesures avaient pour objectif de garantir l’autonomie des affaires des banques, de jure et de facto |16|. Ainsi, même si le processus de recapitalisation était principalement financé par des fonds publics, le contrôle réel du gouvernement grec sur les ressources des institutions qui en bénéficièrent était limité. Le mémorandum excluait implicitement la possibilité de propriété publique ou coopérative des institutions recapitalisées, alors que cette option avait déjà été appliquée avec succès, par exemple en Norvège et en Suède au début des années 90 |17|.

Le mémorandum excluait implicitement la possibilité de propriété publique ou coopérative des institutions recapitalisée.

Tandis que l’indépendance du conseil général du FHSF était renforcée, des questions préoccupantes furent soulevées concernant sa composition. Le gouvernement grec et la Troïka avaient dû faire face à un choix difficile pour sélectionner ses membres. D’un côté, se reposer uniquement sur des membres grecs était problématique en raison des importantes allégations de corruption et de connivence au sein du système bancaire grec. De l’autre, se reposer uniquement sur des membres étrangers aurait été perçu comme une décision de la Troïka outrepassant son rôle de manière injustifiée |18|. Finalement, en décidant de nommer des membres étrangers au passif douteux, c’est la pire combinaison des deux options qui a été choisie. Par exemple, on comptait Pierre Mariani et Wouter Devriendt parmi les membres du conseil. Ces deux hommes avaient été impliqués en Belgique dans le processus de résolution du groupe Dexia, qui avait été un fiasco.

Le cas d’Anastasia Sakellariou, directrice générale du FHSF entre 2013 et 2015, est encore pire. En mai 2015, Sakellariou a été sommée par le gouvernement grec de quitter son poste car elle était inculpée pour fraude et blanchiment d’argent, aux côtés de 25 autres anciens cadres de la banque Hellenic Post Bank |19|. Les charges portées contre Mme Sakellariou sont liées à l’approbation, en 2012, d’un prêt permettant le rallongement de deux lignes de crédit de la banque à un fameux magnat local |20|. Au lieu d’exiger son renvoi jusqu’à la fin de l’enquête, le directeur de la Banque de Grèce, Yannis Stournaras, et le conseil général du FHSF ont soutenu Mme Sakellariou |21|. Cela aide à comprendre pourquoi il a été si difficile de s’attaquer à la présence importante de NPLs dans le système : il n’est pas possible d’attendre une résolution satisfaisante de ce problème si les autorités chargées de réguler les banques et d’imposer la reconnaissance des pertes sont elles-mêmes impliquées dans ce jeu de corruption bancaire. Sans de fortes mesures de restructuration des banques incluant un changement complet du personnel de direction et des modes de gestion afin d’enrayer la corruption, les problèmes découlant des prêts douteux continueront à gangréner les institutions financières du pays.

On peut observer des exemples de cette dynamique dans la réponse apportée par le FHSF aux difficultés auxquelles devaient faire face deux autres établissements grecs, les banques Proton et Piraeus. Concernant Proton, la gestion de la banque fut modifiée en 2010, après que M. Lavrentis Lavrentiadis eut acheté une part minoritaire de la banque, ce que George Pavropoulos, directeur de la Banque de Grèce, avait personnellement approuvé malgré l’avis défavorable délivré par un audit |22|. La vente fut officiellement conclue un mois avant la signature du premier programme d’assistance. La banque Proton, contrôlée par M. Lavrentiadis, fut utilisée par celui-ci pour accorder à lui-même et à ses associés des prêts à hauteur de 600 millions d’euros avec des garanties faibles voire inexistantes. Parmi ces prêts, 51 millions d’euros furent transmis directement sur les propres comptes de M. Lavrentiadis |23|. Cette frénésie de prêts fut financée en recourant à la fourniture de liquidité d’urgence (« Emergency Liquidity Assistance », ELA) de la BCE |24|. Bien qu’il était de la responsabilité de la Banque de Grèce et du FHSF de superviser les opérations de la banque Proton, ces deux entités sont restées les bras croisés tandis qu’il a fallu qu’une commission spéciale d’investigation de la Cour suprême de Grèce intervienne pour révéler la fraude |25|. Au final, le FHSF a procédé en 2011 au bail-out de la banque Proton à l’aide de fonds publics à hauteur de 1,3 milliard d’euros |26|.

L’affaire de corruption à la banque Piraeus suit une logique similaire. En 2011, afin de renforcer son capital de base, Piraeus émit de nouvelles actions. Une fois le processus achevé, la famille de Michael Sallas, qui était alors le président exécutif de Piraeus, devint l’actionnaire majoritaire de la banque. Afin d’accomplir cet exploit, la famille Sallas avait contracté des prêts pour un montant total de 100 millions d’euros auprès de la Banque Marfin Popular (MPB), en donnant comme garantie les parts ainsi acquises |27|. Les responsables de l’audit de la MPB ont souligné que ces prêts avaient été accordés alors que les perspectives financières de Piraeus étaient « profondément négatives » et « désespérées » |28|. Il est estimé que près d’un cinquième du nouveau capital apporté à la banque fut permis par les prêts d’autres banques grecques. De la part de la Banque de Grèce et du FHSF, le fait d’avoir permis ce type d’opération représente un manquement majeur à leur rôle de gardiens de la stabilité financière. Concrètement, l’utilisation de prêts accordés par une banque pour acheter des parts d’une autre banque n’est rien d’autre qu’un système de Ponzi : si des pertes se matérialisent dans une banque financée de la sorte, son capital se réduisant alors et ses actionnaires étant éliminés, les mêmes pertes s’étendent à la banque ayant fourni les prêts. C’est pour cette raison que les normes internationales prévoient que les banques qui adoptent cette conduite doivent traiter les prêts comme une acquisition directe des actions de la banque concernée et déduire les montants de leur propre capital. Dans le cas présenté ici, la Banque de Grèce et le FHSF ont préféré détourner le regard |29|.

ces prêts avaient été accordés alors que les perspectives financières de Piraeus étaient « profondément négatives » et « désespérées »

De plus, les mesures prises par le FHSF ont conduit à une augmentation dangereuse du niveau de concentration du système financier dans le pays. Entre 2008 et 2013, la Grèce est le pays de la zone euro où le nombre d’établissements de crédit a diminué le plus |30|. Ce processus a notamment été marqué par la quasi disparition des filiales et branches étrangères, acquises par deux des plus grandes banques du pays soutenues et encouragées par les autorités européennes |31|. La Grèce s’est retrouvée avec le système bancaire le plus concentré de la zone euro : une fois que la première vague de consolidation fut accomplie en 2013, les cinq plus grands établissements de crédit du pays détenaient près de 95% de la totalité des actifs dans le système |32|. Ce degré de concentration soulève des questions supplémentaires quant à la capacité des banques à éviter la connivence et la protection d’intérêts particuliers, et quant à celle du gouvernement à se protéger lui-même et à protéger le public des risques associés à l’insolvabilité de ces institutions.

À la fin de l’année 2013, il apparaissait très clairement que la tentative initiale de recapitalisation des banques grecques était un échec quasi complet. À cette période, le FHSF avait alloué 37,3 milliards d’euros à la recapitalisation et à la consolidation du système bancaire du pays. Sur l’allocation initiale de 50 milliards d’euros, les fonds restants furent mis en réserve au cas où de nouveaux besoins de recapitalisation apparaitraient. Lorsque le deuxième programme est apparu comme un échec et les spéculations autour d’un potentiel troisième programme ont commencé, le gouvernement grec a proposé d’utiliser les fonds restants du FHSF dans le but de réduire les divers besoins de financement du pays. Cependant, dès septembre 2013, les responsables de la Troïka craignaient que l’impact de la détérioration de l’économie grecque, couplé aux répercussions de la crise financière à Chypre, conduise à l’utilisation de fonds supplémentaires pour recapitaliser les banques au-delà des réserves disponibles du FHSF |33|.

Le désaccord entre les autorités grecques et la Troïka concernant la situation réelle du système bancaire grec apparut au début de l’année 2014, quand la Banque de Grèce fit fuiter dans la presse locale son évaluation des besoins en capitaux des banques grecques avant la publication d’une évaluation du programme par la Troïka et sans consulter celle-ci. Selon la Banque de Grèce, qui faisait l’hypothèse d’une reprise des profits de l’activité bancaire dès 2015, les besoins en capitaux des banques s’élevaient à 6 milliards d’euros. Dans le même temps, le FMI et la BCE évaluaient ce besoin à près de 20 milliards d’euros |34|. Toutefois, si la Troïka avait voulu pousser à agir dans son sens, cela aurait signifié deux choses. Premièrement, elle aurait dû insister sur la nécessité d’une restructuration plus profonde du secteur bancaire grec à peine un an après l’injection massive de fonds publics dans celui-ci. Deuxièmement, elle aurait dû ouvrir une discussion formelle sur un troisième plan de sauvetage, dans une situation où il n’y avait plus de fonds disponibles dans le cadre du deuxième programme et où la Troïka avait de sérieux doutes sur la volonté du gouvernement grec de remplir ses engagements.

Finalement, le FMI et la BCE se mirent en retrait sur la question. Dans une évaluation menée en avril 2014, le FMI se contenta de rendre compte que les hypothèses de la Banque de Grèce étaient « optimistes » et certainement situées dans la « tranche basse » des besoins réels de financement des banques. Le FMI s’abstint de faire part de sa propre estimation des besoins en capitaux des banques. En l’état, le FMI estimait que le pays avait besoin de 12,6 milliards d’euros supplémentaires afin de couvrir ses besoins de financement pour l’année 2015, sans prendre en compte les fonds de recapitalisation bancaire additionnels |35|. Cet écart devait être couvert soit par un retour sur les marchés de capitaux, soit par un nouveau programme. Reconnaître les besoins de fonds additionnels aurait écarté la première option et rendu la seconde inévitable.

La BCE allait suivre une approche similaire quelques mois plus tard. En octobre 2014, elle conduisit une évaluation approfondie afin d’examiner la situation des banques européennes et de déterminer si des mesures supplémentaires devaient être prises pour assurer leur capitalisation et leur fonctionnement. À l’issue de cet exercice, la BCE estima que trois des quatre principales banques grecques avaient passé le test de résistance avec succès |36|. Concernant la quatrième banque, Eurobank, son échec fut considéré comme étant marginal |37|. Cela représentait un changement important dans l’orientation de la BCE, étant donné son rôle en tant que gardienne de la stabilité financière du pays. De plus, cela indique que les considérations politiques et stratégiques ont pris le dessus sur les réalités financières alors que les doutes étaient de plus en plus importants quant à la capacité du gouvernement grec à mettre en place l’accord.

les considérations politiques et stratégiques ont pris le dessus sur les réalités financières.

Afin de justifier son orientation, la BCE a appliqué une approche similaire à celle de la Banque de Grèce en utilisant des prévisions basées sur des hypothèses favorables. Dans ses scénarios, la BCE supposait des taux d’inflation positifs, allant de 0,3% à 1,3% entre 2014 et 2016 |38|. Or, la Grèce connaissait déjà une situation de déflation depuis 2013 qui a pris de l’ampleur au point d’atteindre une baisse des prix de 1,4% en 2014 |39|. Vu l’impact négatif de la déflation sur les portefeuilles de prêts, la BCE aurait reconnu qu’il y avait un manque de capital dans tous les grands établissements bancaires si elle avait utilisé des hypothèses plus réalistes. Par définition, cela aurait signifié qu’elle aurait admis l’échec de la recapitalisation bancaire de 2012 et la nécessité de lancer un vrai processus de résolution bancaire. Mais à ce moment, le fait de cacher sous le tapis les problèmes des banques grecques était devenu une pratique routinière.


Le deuxième processus de recapitalisation bancaire (de 2015 à aujourd’hui)

Cette partie se consacre à présenter les principaux développements du système bancaire grec depuis le début de l’année 2015. Les contradictions des mesures adoptées par la BCE, en tant que conductrice de la politique monétaire de la zone euro et en tant qu’exécutrice en dernier ressort des politiques de la Troïka, seront analysées en détail. Cette partie se conclut par une vue d’ensemble des principaux éléments du deuxième processus de recapitalisation des banques grecques et par une exposition des principaux éléments permettant d’expliquer pourquoi ce processus ne pourra pas remplir ses objectifs affichés.

Comme l’a montré l’analyse faite précédemment, le système bancaire grec se trouvait dans une situation précaire au moment des élections de janvier 2015. Du côté de leurs actifs, le manque de changements appliqués au personnel et au modèle de gestion des banques s’est traduit par une constante contraction du crédit et, en conséquence, par une augmentation des NPLs. L’issue incertaine des négociations entre la Troïka et le gouvernement nouvellement élu a aggravé ce problème plus encore. Du côté des passifs, les banques devaient faire face à de nouvelles tensions en raison de la panique bancaire et étaient forcées d’augmenter leur dépendance au financement apporté par l’Eurosystème. Dans ce contexte, l’insolvabilité des banques systémiques n’était pas une question de probabilité, mais de temps. Les autorités européennes, notamment la BCE, étaient conscientes de ce fait et l’ont utilisé de manière déterminée afin de mettre le gouvernement grec sous pression. Il vaut la peine d’étudier chacun de ces développements.

l’insolvabilité des banques systémiques n’était pas une question de probabilité, mais de temps.

La contraction du crédit et l’augmentation conséquente des NPLs sont les principaux problèmes des banques grecques si l’on regarde du côté de l’actif de leurs bilans financiers. Les graphiques 1 et 2 montrent ces développements. Les crédits aux ménages et aux entreprises non-financières ont chuté de manière continue depuis le début de la crise. Cela reflétait l’effondrement économique à l’œuvre dans le pays et, par extension, le manque de demande de crédit et la sous-capitalisation bancaire. Par ailleurs, l’évolution des NPLs a suivi la tendance établie depuis 2008. On estime qu’au deuxième trimestre 2015, leur montant était proche de 100 milliards d’euros, obstruant réellement le système de crédit du pays et empêchant ce faisant toute perspective crédible de reprise économique |40|.


Graphique 2 – Évolution du crédit interne en Grèce (2009-2015)

Source : Banque de Grèce

Aggravant ces problèmes, une fuite des dépôts fut provoquée par l’absence d’engagement clair de la BCE en faveur d’un soutien illimité aux banques qu’elle avait jugé solvables lors de son dernier test de résistance. Entre décembre 2014 et juillet 2015, les dépôts des ménages ont diminué de 39,4 milliards d’euros, soit une réduction de près d’un quart de la totalité des dépôts (graphique 3) |41|. Parmi ces sorties d’argent, 17,8 milliards d’euros (45,1% du total) ont été transformés en monnaie en circulation |42|. Tandis que les besoins de financement provoqués par la fuite des dépôts s’amplifiaient, la dépendance des banques grecques à la BCE s’intensifiait. Les coûts de cette dépendance ont augmenté suite à la décision de la BCE de suspendre la dérogation appliquée à l’éligibilité des titres publics grecs en tant que garanties acceptables. Depuis avant la restructuration de la dette de 2012, les titres de créance grecs étaient qualifiés de pourris par toutes les grandes agences de notation. En conséquence, ils étaient considérés comme inéligibles en tant que garanties acceptables pour l’obtention de prêts de la BCE. Cependant, afin d’assurer le bon fonctionnement des opérations du système financier grec, la BCE avait introduit une dérogation permettant aux banques grecques de présenter des titres publics en tant que garanties afin d’accéder au financement de la banque centrale. Cette dérogation a été annulée en février 2015, et n’a été réintroduite que le 22 juin 2016. Dans ce contexte où les titres publics n’étaient plus acceptés en tant que garanties, la BCE a augmenté sa fourniture de liquidités d’urgence (ELA) aux banques grecques de façon continue, tout en la conditionnant à une issue positive aux négociations. Ainsi, l’ELA est passée de 59,5 milliards d’euros en février 2015 à 89 milliards d’euros au moment où le contrôle des capitaux a été introduit à la fin du mois de juin 2015 |43|.


Graphique 3 – Dépôts des résidents dans les banques grecques (2009-2016)

Source : Banque de Grèce

À cet égard, il est important de souligner que la décision de la BCE de limiter la mise à disposition de liquidités supplémentaires dans le système bancaire grec, qui a conduit à l’imposition effective d’un contrôle des capitaux, contrevenait aux principes guidant son action en tant que banque centrale, ainsi qu’à son mandat et à ses principales responsabilités |44|. En effet, l’une des principales tâches d’une banque centrale est de juguler les paniques bancaires. Pour ce faire, la banque centrale doit fournir des liquidités de manière illimitée en échange de bonnes garanties, afin d’assurer qu’un problème de liquidité ne se transforme pas en problème de solvabilité. Dans les lignes directrices de son cadre institutionnel, la BCE reconnaît que ce type de mise à disposition de liquidité est l’un de ses principaux outils de gestion de crise : « Le cadre institutionnel pour la stabilité financière de l’UE est composé de deux éléments : (i) la prévention des crises ; et (ii) la gestion et la résolution des crises. La BCE, en partenariat avec les banques centrales nationales de la zone euro, contribue à ces deux éléments. […] Les autorités peuvent prendre différentes mesures pour gérer une crise et empêcher les perturbations. Par exemple : […] les banques centrales peuvent chercher à rétablir des conditions normales d’accès aux liquidités sur les marchés financiers, ou prendre des mesures assurant le bon déroulement des opérations des structures de marché telles que les systèmes de paiement » |45|. Puisque la BCE avait estimé que les banques grecques étaient solvables lors du test de résistance appliqué en 2014, elle avait l’obligation de leur faire bénéficier de l’ELA afin de juguler la panique bancaire tant que ces banques étaient capables de présenter des garanties en accord avec les régulations de la BCE. Au moment où la BCE a plafonné l’ELA en contradiction avec ses outils de gestion de crise, les banques grecques auraient pu accéder à des fonds d’urgence pour un montant estimé à 28 milliards d’euros |46|. C’est pourquoi l’on peut dire qu’à travers ses actions, la BCE a placé des contraintes supplémentaires sur les conditions d’accès aux liquidités de l’économie grecque, de même qu’elle a causé des perturbations dans son système de paiement.

la BCE a placé des contraintes supplémentaires sur les conditions d’accès aux liquidités de l’économie grecque.

De plus, les agissements de la BCE contrevenaient à deux de ses responsabilités telles que fixées explicitement par les traités de l’UE |47|. Premièrement, les importantes perturbations qui ont été imposées au système de paiement sont clairement une violation de l’article 127 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dit que la BCE doit assurer le bon fonctionnement de ce système. Deuxièmement, la BCE a pour mandat d’apporter « son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union » |48|. L’une de ces politiques économiques est « [l’]impératif de briser le cercle vicieux qui existe entre les banques et les États » |49|. En forçant la fermeture des banques, en imposant des contrôles de capitaux et en poussant le pays, de fait, au bord d’une sortie illégale de la zone euro, la BCE a renforcé plus encore l’interdépendance entre l’État grec et ses banques. Comme à Chypre en 2013, ces agissements de la BCE étaient des moyens de pression destinés à obtenir une issue favorable à l’UE dans ses négociations avec une nation souveraine.

L’attitude générale de la BCE durant les négociations, violant son mandat et outrepassant son autorité, a été illustrée par les déclarations de Benoît Coeuré, membre du conseil exécutif de la BCE, le 29 juin 2015. Plutôt que de faire son travail en tant que banquier central, c’est-à-dire de rassurer tant les marchés que les déposants, Coeuré a nourri les incertitudes en déclarant : « La sortie de la Grèce de la zone euro, qui était un objet théorique, ne peut malheureusement plus être exclue » |50|. Concernant le référendum du 5 juillet, Coeuré a déclaré que si le peuple grec votait « Oui » au plan de sauvetage, il n’avait « pas de doute sur le fait que les autorités de la zone euro trouver[aient] les moyens […] de tenir leurs engagements » envers la Grèce. Continuant, il a déclaré que si le « Non » devait gagner, « [i]l serait alors très difficile de renouer un dialogue politique » |51|. Inutile de préciser qu’une ingérence aussi flagrante dans les affaires internes d’un pays membre est largement hors du champ d’intervention d’un membre du conseil exécutif de la BCE.

Malgré cette longue liste de problèmes, la Troïka a défendu l’inclusion d’un nouveau processus de recapitalisation – suivant la même logique que les processus précédents – dans le troisième mémorandum. Ce dernier limite explicitement la capacité du gouvernement à introduire n’importe quelle mesure qui pourrait avoir une incidence sur les opérations bancaires sans consultation préalable des membres de la Troïka |52|. L’accord du mémorandum énonce également la nécessité de mener une évaluation quant aux besoins en capital des banques afin de procéder à leur recapitalisation avant la fin 2015. Sur les 86 milliards qu’il était prévu de prêter à la Grèce dans le cadre du troisième programme d’assistance financière, l’accord allouait 25 milliards d’euros à cette recapitalisation.

L’évaluation devait être réalisée en urgence car la recapitalisation devait être achevée avant la fin de l’année 2015 afin d’éviter la mise en œuvre complète de la directive européenne relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2016. Celle-ci aurait nécessité le bail-in de 8% du passif des banques avant un versement de fonds de la part du Mécanisme européen de stabilité (MES). Concrètement, cela aurait signifié, outre le fait d’éliminer les créanciers ne disposant d’aucune sûreté particulière, de pratiquer une coupe partielle sur les dépôts non garantis supérieurs à 100 000 euros |53|. La réalisation d’un bail-in (qui aurait été adéquate au début de la crise pour distribuer les pertes plus équitablement) risquerait donc maintenant de faire plus de mal que de bien, particulièrement pour les déposants. Eu égard aux caractéristiques de l’instrument de recapitalisation du MES, la part des déposants qui aurait été soumise à une coupe est estimée entre 13 et 39%. Or, les plus gros déposants ayant déjà transféré leur argent à l’étranger, ces coupes auraient touché de manière disproportionnée le fonds de roulement des petites et moyennes entreprises grecques |54|. Comme ces chiffres le mettent en lumière, la décision de reporter à plus tard la reconnaissance des pertes et de l’insolvabilité des banques grecques continue à faire porter les coûts de la crise sur la population.

L’évaluation du système financier grec par la BCE se termina finalement en octobre 2015. Elle conclut à un manque en capitaux dans les banques grecques, au mieux, de 4,4 milliards d’euros et, au pire, de 14,4 milliards d’euros |55|. À cet égard, l’un des aspects les plus intéressants de cette évaluation concerne l’utilisation de critères nettement plus stricts que lors de l’évaluation précédente (conduite moins de douze mois plus tôt) en termes de besoins en capitaux des banques grecques |56|. Cette approche prudente se retrouve dans les hypothèses macroéconomiques utilisées : alors que les évaluations précédentes étaient caractérisées par l’utilisation d’hypothèses trop optimistes, comme cela a été expliqué précédemment, le dernier test de résistance prenait cette fois en compte, dans son scénario le plus défavorable, une récession prolongée et une déflation soutenue pour la période 2015-2017 |57|. Au vu des événements qui se sont produits en 2015, on peut légitimement se demander pourquoi la BCE n’avait pas choisi cette approche prudente fin 2014. Étant donné qu’à cette époque, les banques avaient réussi le test de justesse, il est certain que l’utilisation d’hypothèses plus prudentes aurait forcé le déclenchement d’un large processus de résolution bancaire dès 2013, lorsque sont apparus les doutes du FMI et de la BCE concernant le premier processus de recapitalisation bancaire. Curieusement, la BCE est incapable de fournir une explication quant à ce changement d’approche dans sa dernière évaluation |58|.

Néanmoins, les responsables européens accueillirent positivement les résultats de cette évaluation de la BCE puisqu’ils ne prévoyaient qu’un montant de 14 milliards d’euros nécessaire à la recapitalisation des banques, nettement en-dessous des 25 milliards que prévoyait le troisième mémorandum |59|. De plus, sur la base de ces résultats, les banques grecques disposaient d’une semaine pour présenter à la BCE leurs plans de recapitalisation et de plus d’un mois pour les mettre à exécution avant l’entrée en vigueur de la directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances. En décembre, les banques avaient réussi à lever 8,3 milliards d’euros provenant de sources privées grâce à des échanges d’obligations, des constitutions de carnets d’ordre et des outils de bail-in. Les 5,4 milliards d’euros restants furent fournis par les fonds de bail-out du FHSF |60|.

Il faut souligner que ce deuxième processus de recapitalisation transforma radicalement la répartition des actions des banques parmi les actionnaires. Les actions nouvellement émises étant vendues au rabais (avec un coût diminué de 34,4% par rapport à leur valeur nominale dans le cas d’Alpha, de 80% dans le cas de Piraeus et de 93% dans le cas de NBG |61|), la participation du FHSF dans le capital des banques, qui avait coûté plus de 40 milliards d’euros de fonds de bail-out, fut fortement diluée. Elle passa de 66,2% à 11% dans le cas d’Alpha, de 35,4% à 2,3% dans le cas d’Eurobank, de 57,4% à 40,3% dans le cas de NBG et de 66,9% à 26,4% dans le cas de Piraeus |62|. Cette importante dilution de la participation publique dans les banques du pays témoigne d’une approche qui contraste avec celle adoptée en 2012 afin de protéger les actionnaires privés. Cette mesure diluant la participation publique était justifiée par la nécessité, énoncée dans le troisième mémorandum, de réduire l’utilisation de fonds de bail-out pour recapitaliser les banques, en attirant des fonds privés. En effet, étant donnée la nécessité de protéger les déposants non garantis (c’est-à-dire principalement les fonds de roulement des PME), l’utilisation de fonds de recapitalisation supplémentaires sans dilution de la participation publique aurait conduit le système bancaire du pays à passer entièrement sous le contrôle du FHSF. Afin d’empêcher cette situation inconcevable aux yeux de la BCE, la seule option possible était de vendre les parts du FHSF à des investisseurs privés pour une fraction de leur prix. En outre, même si ces parts étaient soumises à d’importantes restrictions quant au degré de contrôle et d’influence que pouvait exercer le gouvernement grec sur les banques concernées, leur dilution représente tout de même une perte matérielle dans le patrimoine du secteur public grec. Après tout, il était attendu que leur vente constitue une part centrale des 50 milliards d’euros du fonds de privatisation mis en place par le troisième mémorandum |63|.

En complément de l’injection de fonds publics dans les banques, le mémorandum inclut des mesures approfondies afin de s’attaquer au problème des NPLs. Cependant, celles-ci reposent principalement sur des procédures institutionnelles et juridiques destinées à accélérer le processus de liquidation des prêts et l’établissement d’un marché secondaire des NPLs |64|. Les mesures proposées à ces fins permettent à chaque banque de gérer son propre portefeuille de NPLs, ce qui est problématique pour au moins deux raisons. Premièrement, puisque les banques pourront accéder à de nouveaux financements, elles seront certainement moins incitées à entreprendre des réformes structurelles pourtant nécessaires. Dans le cas du Japon par exemple, où les banques ont pu supporter les NPLs à un bas coût, celles-ci ont été peu enclines à conduire une restructuration de leurs établissements |65|. En Grèce, où il existe de manière avérée une longue histoire de connivence, l’absence de ces réformes permettra aux relations de clientélisme de perdurer puisque les banques pourront choisir les prêts qu’elles garderont et ceux dont elles se débarrasseront. Deuxièmement, la création d’un organe centralisé de gestion des actifs (une « bad bank ») permettrait de réaliser des économies d’échelle en termes de gestion, de capacité opérationnelle et de financement à bas coût, ce qui améliorerait le taux de recouvrement des NPLs.

Considérant cela, il apparaît clairement que le sort réservé aux banques et la résolution des problèmes liés aux NPLs sont intimement liés à la reprise économique. Malheureusement, étant donné l’impact négatif du nouveau processus de consolidation budgétaire que le pays doit mettre en œuvre sur les trois prochaines années, la reprise économique risque d’être trop lente pour améliorer réellement la situation ou pour s’attaquer efficacement au chômage |66|. Ainsi, il est peu probable que les nouvelles mesures de recapitalisation suffisent à restaurer la stabilité du système bancaire grec, en l’absence de mesures supplémentaires permettant de lutter de manière coordonnée contre les NPLs et de modifications radicales dans la gestion des banques. Cela a récemment été reconnu par le FMI. Malgré l’optimisme des autorités européennes quant à l’issue du dernier processus de recapitalisation, l’institution basée à Washington estime que les banques grecques auront besoin d’au moins 10 milliards d’euros supplémentaires afin de satisfaire leurs besoins en capitaux |67|. Le FMI souligne également que, sans d’importants changements dans la gouvernance des banques grecques et sans des mesures permettant de consolider leurs bilans, les problèmes de ces dernières années perdureront |68|.

Cette estimation, réalisée par un membre de la Troïka moins d’un an après la mise en œuvre du deuxième processus de recapitalisation, résume les problèmes contenus dans la réponse apportée à la crise par les autorités. Après sept ans de crise, on ne sait toujours pas précisément combien de ressources supplémentaires seront nécessaires afin de stabiliser le système financier du pays. De plus, les responsables des nombreux excès qui ont eu lieu avant 2008 sont encore aux commandes des banques tandis que les coûts de la crise continuent à être supportés par les contribuables grecs. À cet égard, et étant donnée la situation complexe dans laquelle se trouvent aujourd’hui les banques grecques suite aux politiques mises en œuvre par la Troïka, la proposition d’un plan alternatif afin de restaurer la stabilité bancaire doit compléter le présent article. Il est clair qu’un tel plan est nécessaire, dans la mesure où les politiques à l’œuvre actuellement se sont révélées être une succession d’échecs cuisants dont on ne peut entrevoir la fin.

http://www.cadtm.org/Grece-la-restructuration-de-la Traduit de l’anglais par Nathan Legrand

Notes

|1| IMF. (2013). Greece : Ex Post Evaluation of Exceptional Access under the 2010 Stand-By Arrangement, IMF Country Report No. 13/156. Retrieved June 12, 2015, from http://goo.gl/7CLyBd

|2| Xafa, M. (2014). Sovereign Debt Crisis Management : Lessons from the 2012 Greek Debt Restructuring. Consulté le 20 mai 2016 à l’adresse https://www.cigionline.org/publicat…

|3| Les autres titres (28 milliards d’euros), soumis au droit anglais, n’ont pas pu recevoir ce traitement. Certains détenteurs de ces titres, possédant 6,4 milliards d’euros de dette, ont fait obstacle à la restructuration et ont reçu la totalité du paiement qu’ils réclamaient.

|4| Zettelmeyer, J., Trebesch, C., & Gulati, M. (2012). The Greek Debt Exchange : An Autopsy. Consulté à l’adresse http://av.r.ftdata.co.uk/files/2012…

|5| Ibid.

|6| Bank of Greece. (2012). Report on the recapitalisation and restructuring of the Greek banking sector. Consulté à l’adresse http://www.bankofgreece.gr/BogEkdos…

|7| Zettelmeyer, J., Trebesch, C., & Gulati, M. (2012). The Greek Debt Exchange : An Autopsy. Consulté à l’adresse http://av.r.ftdata.co.uk/files/2012…

|8| IMF. (2012). Greece : Request for Extended Arrangement Under the Extended Fund Facility, IMF Country Report No. 12/57. Consulté le 21 septembre 2015 à l’adresse http://www.imf.org/external/pubs/ft…

|9| Bank of Greece. (2012). Report on the recapitalisation and restructuring of the Greek banking sector. Consulté à l’adresse http://www.bankofgreece.gr/BogEkdos…

|10| En mai 2012, le FMI projetait une croissance du PIB réel de -4,8% pour 2012, 0% pour 2013, et 2,5% pour 2014, la croissance a été en réalité de -7%, -3,9% et 0,8%.
IMF. (2012). Greece : Request for Extended Arrangement Under the Extended Fund Facility, IMF Country Report No. 12/57. Consulté le 21 septembre 2015 à l’adresse http://www.imf.org/external/pubs/ft… ; IMF. (2014). GREECE FIFTH REVIEW UNDER THE EXTENDED ARRANGEMENT UNDER THE EXTENDED FUND FACILITY, IMF Country Report No. 14/151. IMF Country Report No. 14/151. Consulté le 16 octobre 2014 à l’adresse https://goo.gl/jhUCjr

|11| IMF. (2014). GREECE FIFTH REVIEW UNDER THE EXTENDED ARRANGEMENT UNDER THE EXTENDED FUND FACILITY, IMF Country Report No. 14/151. IMF Country Report No. 14/151. Consulté le 16 octobre 2014 à l’adresse https://goo.gl/jhUCjr

|12| Ibid.

|13| HFSF. (2016). Hellenic Financial Stability Fund – What we do. Consulté le 21 mai 2016 à l’adresse http://www.hfsf.gr/en/about_whatwedo.htm

|14| HFSF. (2012). HFSF Annual Report 2010-2011. Consulté le 21 mai 2016 à l’adresse http://www.hfsf.gr/files/hfsf_annua…

|15| En juin 2015, le FHSF détenait 57,2% des parts de NBG, 35,4% d’Eurobank, 66,2% d’Alpha et 66,9% de Piraeus, pour une valeur totale estimée à 7,5 milliards d’euros. Comme cela sera étudié plus loin dans le texte, ces participations ont été diluées suite au processus de recapitalisation bancaire de novembre 2015.
Données apportées par la Banque de Grèce au Comité pour la vérité sur la dette grecque.

|16| IMF. (2012). Greece : Request for Extended Arrangement Under the Extended Fund Facility, IMF Country Report No. 12/57. Consulté le 21 septembre 2015 à l’adresse http://www.imf.org/external/pubs/ft…

|17| Mayes, D. (2009). Banking crisis resolution policy – different country experiences. Central Bank of Norway. Consulté à l’adresse http://www.norges-bank.no/Upload/77…

|18| Reuters. (2012). Greek banking governance is a gamble. Consulté le 21 mai 2016 à l’adresse http://www.breakingviews.com/greek-…

|19| Reuters. (2015). Greek bank bailout fund CEO asked to resign -government official. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://uk.reuters.com/article/uk-eu…

|20| ThePressProject. (2014). Head of Greek bank rescue fund to face charges over crony loans in Hellenic Postbank scandal – UPDATE. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://www.thepressproject.net/arti…

|21| Ibid.

|22| ThePressProject. (2014). George Provopoulos : The most powerful man in Greece a few months ago, now a suspect in a bank probe. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://www.thepressproject.gr/detai…

|23| Reuters. (2012). Special report : Greece claims magnate stole from his own bank. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://www.reuters.com/article/us-g…

|24| Ibid.
Le mécanisme ELA se rapporte au financement apporté dans ce cas par la Banque de Grèce à une institution solvable, ou à un groupe d’institutions solvables, faisant temporairement face à des difficultés d’accès aux liquidités. Bank of Greece. (2014). The Chronicle of the Great Crisis, The Bank of Greece 2008 – 2013. Consulté à l’adresse http://www.bankofgreece.gr/BogEkdos… Chronicle Of The Great Crisis.pdf

|25| Ibid.

|26| Reuters. (2011). Greece activates rescue fund to save Proton Bank. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://uk.reuters.com/article/uk-gr…

|27| Reuters. (2012). Special Report : Clandestine loans were used to fortify Greek bank. Consulté le 1er février 2016 à l’adresse http://www.reuters.com/article/us-g…

|28| Ibid.

|29| Ibid.

|30| ECB. (2014). Banking Structures Report 2014. Consulté le 29 janvier 2016 à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/o…

|31| Ibid.

|32| Ibid.

|33| Financial Times. (16 septembre 2013). Third time lucky ? The latest plan to rescue Greece. Consulté à l’adresse https://next.ft.com/content/d8bee48…

|34| Financial Times. (14 février 2014). Greece in banking sector stand-off with bailout lenders — FT.com. Consulté à l’adresse https://next.ft.com/content/90df6be…

|35| IMF. (2014). GREECE FIFTH REVIEW UNDER THE EXTENDED ARRANGEMENT UNDER THE EXTENDED FUND FACILITY, IMF Country Report No. 14/151. IMF Country Report No. 14/151. Consulté le 16 octobre 2014 à l’adresse https://goo.gl/jhUCjr

|36| ECB. (2014). Aggregate Report on the Comprehensive Assessment. Consulté à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/o…

|37| Ibid.

|38| Ibid.

|39| European Commission. (2015). European Economic Forecast Spring 2015. Consulté à l’adresse http://ec.europa.eu/economy_finance…

|40| Ekathimerini. (2015). Banks fear NPL sum will reach 100 bln euros. Consulté à l’adresse http://www.ekathimerini.com/197217/…

|41| Bank of Greece. (2015). Deposits Statistics. Consulté à l’adresse http://www.bankofgreece.gr/Pages/en…

|42| Bank of Greece. (2015). Financial Statements. Consulté à l’adresse http://www.bankofgreece.gr/Pages/en…

|43| Barclays Research. (2015). Greece : Capital controls imminent without breakthrough.

|44| Wyplosz, C. (2015). Grexit : The staggering cost of central bank dependence. Consulté à l’adresse http://www.voxeu.org/article/grexit…

|45| ECB. (2015). Macroprudential policy and financial stability. Consulté à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/ecb/tasks… ; cité par Klein, M. (2015). Greece shows ECB’s stress tests were nonsense. Financial Times. Consulté à l’adresse http://ftalphaville.ft.com/2015/07/…

|46| Barclays Research. (2015). Greece’s Achilles heel.

|47| Sandbu, M. (2015). ECB, enemy of the euro ? Financial Times. Consulté à l’adresse http://www.ft.com/intl/cms/s/3/bbf2…

|48| Commission européenne, 2012, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée). Consulté à l’adresse http://eur-lex.europa.eu/legal-cont…

|49| Conseil de l’Union européenne, 2012, Déclaration du sommet de la zone euro du 29 juin 2012. Consulté à l’adresse http://www.consilium.europa.eu/uedo…

|50| Benoît Coeuré (entretien avec), « La sortie de la Grèce de l’euro « ne peut plus être exclue » », Les Échos, 29 juin 2015. Consulté à l’adresse http://www.lesechos.fr/monde/europe…

|51| Ibid.

|52| European Commission. (2015). Greece Memorandum of Understanding for a three-year ESM programme. Consulté à l’adresse http://ec.europa.eu/economy_finance…

|53| Merler, S. (2015). Preserving the Greek financial sector : options for recap and assistance. Bruegel. Consulté le 22 septembre 2015 à l’adresse http://bruegel.org/2015/07/preservi…

|54| Coppola, F. (2015). The coming Greek bank nationalization, bail-in and privatization | Credit Writedowns. Consulté à l’adresse https://www.creditwritedowns.com/20…

|55| ECB. (2015). AGGREGATE REPORT ON THE GREEK COMPREHENSIVE ASSESMENT. Consulté le 2 février 2016 à l’adresse https://www.bankingsupervision.euro…

|56| Alors qu’en 2014, la BCE attendait des banques qu’elles atteignent un ratio CET1 de 8% dans le meilleur des scénarios et de 5,5% dans le scénario le plus défavorable, ces chiffres sont montés respectivement à 9,5% et 8% pour l’évaluation menée en 2015[[Ibid.

|57| Ibid.

|58| Merler, S. (2015). Greek bank recap. Bruegel. Consulté le 2 février 2016 à l’adresse http://bruegel.org/2015/11/greek-ba…

|59| Zero Hedge. (2015). Greek Bad Debt Rises Above 50% For The First Time, ECB Admits. Consulté le 2 février 2016 à l’adresse http://www.zerohedge.com/news/2015-…

|60| Macropolis. (2015). Greek banks complete book building : A recap of where we stand. Consulté à l’adresse http://www.macropolis.gr/?i=portal….

|61| Ibid.

|62| Macropolis. (2016). Last round of Greek banks’ recapitalisation drastically shifts shareholder structures. Consulté à l’adresse http://www.macropolis.gr/?i=portal….

|63| WSJ. (2015). How Will The Greek Privatization Fund Work ? Consulté le 2 février 2016 à l’adresse http://blogs.wsj.com/briefly/2015/0…

|64| On peut trouver une explication plus détaillée des mesures prises concernant les NPLs dans une version précédente de ce texte. Munevar, D. (2016). An analysis of the recapitalization of Greek banks in the context of the third Memorandum of Understanding. Consulté le 12 juin 2016 à l’adresse http://cadtm.org/An-analysis-of-the

|65| Claessens, S. (2000). Experiences of resolution of banking crises. BIS. Consulté à l’adresse https://www.bis.org/publ/plcy07s.pdf

|66| Papadimitriou, D., Nikiforos, M., & Zezza, G. (2016). HOW LONG BEFORE GROWTH AND EMPLOYMENT ARE RESTORED IN GREECE ? Levy Economics Institute of Bard College Strategic Analysis. Consulté le 3 février 2016 à l’adresse http://www.levyinstitute.org/pubs/s…

|67| IMF. (2016). Greece : Preliminary Debt Sustainability Analysis—Updated Estimates and Further Considerations – IMF Country Report No. 16/130. Consulté à l’adresse https://www.imf.org/external/pubs/f…

|68| Ibid.

Daniel Munevar  est un économiste post-keynésien de 30 ans originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette. Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie et conseiller spécial pour les investissements directs à l’étranger auprès du Ministère des Affaires étrangères de l’Équateur. C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique en Amérique latine. Il est membre du CADTM AYNA.

 

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Nous avons besoins de succès

“Nous avons besoin de succès” Leçons de Cuba, Brésil, Equateur et Grèce pour l’Etat espagnol Par Eric Toussaint , Fátima Martín 

“Il y a aujourd’hui des convergences entre des organisations politiques diverses (Podemos, Izquierda Unida, et d’autres organisations politiques comme Equo, CUP, BILDU |1| et des mouvements sociaux, la PACD (Plataforma Auditoria Ciudadana de la Deuda = Plateforme pour l’audit citoyen de la dette) et d’autres. Ce sont là les éléments fondamentaux du succès et nous avons besoin de succès. Nous ne pouvons pas échapper au succès. » c’est par ces mots qu’Eric Toussaint, porte-parole du CADTM International, a commencé son intervention lors de la « Rencontre des municipalités contre la dette illégitime et l’austérité » qui s’est tenue à Oviedo du 24 au 27 novembre |2|.

Lors de la conférence publique qui s’est tenue- et c’était délibéré- dans le Palais des Congrès connu sous le nom de ‘El Calatrava’, édifice monstrueux qui rappelle l’exubérance irrationnelle de la bulle immobilière espagnole et pour lequel Oviedo continue à payer une facture publique de plusieurs millions |3|, Eric Toussaint, en compagnie de la vice-maire d’Oviedo, Ana Taboada, et du chargé de l’économie et des finances de la ville de Madrid, Carlos Sánchez Mato, a partagé quelques “réflexions qu’il ne présenterait pas dans une conférence de presse”. Ce sont les leçons qu’il tire des expériences concernant la dette qu’ont vécues différents pays tels que Cuba, le Brésil, l’Equateur et la Grèce. Des leçons de victoires et de défaites qui viennent à point nommé pour appréhender la situation actuelle que vit l’Espagne.

Cuba a obtenu une réduction de dette de 80% après une suspension de paiement de plus de 30 ans auprès de Club de Paris.

Alors que le monde se réveillait avec la nouvelle de la mort de Fidel Castro, Radio Habana téléphonait à Eric Toussaint pour lui demander quelques mots, qu’il a répété à Oviedo : “Pour moi, Fidel représente la rébellion. A 27 ans, en 1953, il s’est lancé dans la lutte contre la dictature de Batista et a pris d’assaut la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba. Il a été emprisonné puis exilé à Mexico, d’où il est revenu en 1956 avec un groupe de révolutionnaires, en compagnie du Che. Son mouvement a su soutenir et provoquer une authentique révolution populaire qui a triomphé le 1er janvier 1959. Mais Fidel, pour ceux qui luttent sur la question de la dette, c’est aussi quelqu’un d’important. En 1985, il lançait un appel à la constitution d’un Front des peuples et des pays latino américains pour s’opposer à la poursuite du paiement de la dette |4|. Et il a exigé l’abolition des dettes des pays du Tiers-monde. Cuba a cessé le paiement de la dette en 1986. Quand en 2015 le Club de Paris a passé un accord avec Cuba sur une réduction importante de la dette |5|, il n’y a pratiquement pas eu de commentaires dans la presse internationale sur le fait qu’après une cessation de paiement de 30 ans, le pays soit parvenu à obtenir une réduction importante de la dette”.

Et de la victoire sur la dette de la Révolution cubaine, il est passé à « l’incohérence du PT » (le Parti des travailleurs du Brésil). “Le PT a participé activement à la lutte contre le paiement de la dette entre 1980 et 2000, et s’était associé à l’initiative pour la convocation d’un référendum populaire pour la suspension du paiement de la dette et la réalisation d’un audit pour en identifier la part illégitime afin de la dénoncer et d’en exiger la suspension du paiement. En septembre 2000, 6 millions de Brésiliens ont participé au référendum convoqué par une large coalition d‘organisations sociales et politiques (le Mouvement des sans terre, MST ; l’Audit citoyen de la dette, membre de Jubilée Sud et du CADTM ; la Centrale syndicale CUT ; le PT,…). 93% des votants se sont prononcés en faveur du non paiement. Mais le PT avait déjà amorcé un tournant inquiétant ; alors qu’il était à la tête de plusieurs villes importantes (Sao Paulo, Porto Alegre,…) il a décidé de désobéir au gouvernement central en ce qui concerne le paiement de la dette municipale illégitime. Il a pris cette orientation pour donner des garanties de bonne gestion crédible. Et il en a encore rajouté à la veille des élections présidentielles d’octobre 2002. Lula a signé en août en 2002 un accord avec le FMI, en disant que ‘si je suis élu président du Brésil, je respecterai le calendrier de paiement au FMI et aux créanciers’. Et cela a représenté un tournant fatal à l’orientation du PT. Cela explique aussi la situation des deux dernières années et le succès du coup d’état de la droite contre Dilma Rousseff. Le PT, qui a gouverné le Brésil à partir de 2003, a perdu l’important soutien populaire dont il a joui les premières années. Il l’a perdu parce qu’il a déçu le peuple en s’adaptant au système. Quand la droite a lancé le coup d’état parlementaire contre le PT, le peuple, déçu, ne s’est pas mobilisé pour défendre la présidente Dilma Rousseff”.

Victoire de l’Equateur contre les détenteurs de bons achetés à Wall Street

Le cas de l’Equateur de Rafael Correa est une autre success story concernant la dette : « L’élection de Correa a été le résultat de dix ans de mobilisation populaire. Et sur la base du travail de la Commission d’audit de la dette, le Gouvernement de l’Equateur a suspendu le paiement d’une partie de la dette et triomphé de ses créanciers en refusant de payer 3 milliards de dollars de dette aux banquiers. Et malgré toutes les menaces de représailles, il n’y en pas eu. Cela a été une victoire totale de l’Equateur contre les détenteurs de titres qui avaient acheté des bons souverains à Wall Street » |6|.

Eric Toussaint, coordinateur de la Commission Vérité sur la dette grecque, a insisté sur deux leçons à tirer de l’expérience décevante de la Grèce de Tsipras. La première c’est « la nécessité pour le mouvement citoyen de maintenir la pression sur les organisations politiques. Quand Syriza a intégré dans son programme électoral de 2012 la revendication de l’audit de la suspension du paiement de la dette, le Mouvement pour l’audit citoyen a baissé la pression. Et alors Syriza a changé d’orientation sans que le mouvement social ne se rende compte de cette funeste évolution ». L’autre leçon est « la nécessité d’avoir un programme radical et cohérent. Je suis absolument convaincu que si le gouvernement grec avait mis en œuvre, à partir de la fin du mois de février, un programme qui intègre la suspension du paiement, l’audit, une monnaie complémentaire, le contrôle du capital, la socialisation de la banque, l’abrogation des lois d’austérité, etc… il aurait pu tenir tête aux créanciers et à la Commission européenne (CE) avec le soutien du peuple. Car dans les pires conditions, 62% du peuple grec a refusé les exigences des créanciers et il était prêt à la confrontation et à l’expulsion de la zone euro » |7|.

“De l’importance d’une initiative au niveau du Parlement espagnol”

Pour en revenir à l’Etat espagnol, ici et maintenant, le politologue belge s’est référé au processus d’Oviedo : « L’initiative au niveau des municipalités est fondamentale. C’est une initiative historique, jamais ni en Europe ni sur les autres continents, une tentative de ce type n’a eu autant de succès dans sa phase initiale, comme celle de ces derniers mois. C’est une initiative très prometteuse. Il ne s’agit pas qu’une municipalité toute seule déclare le non paiement de la dette, mais de construire un front qui accroisse le niveau de conscience de la population et qui essaie de modifier le rapport de forces face à la politique du gouvernement central. Avec comme objectif, évidemment, de parvenir à un moment donné à des actes de désobéissance. Madrid est en train de le faire d’une certaine manière par rapport à la Loi Montoro qui renforce l’austérité afin de payer la dette. Mais si l’on veut modifier les rapports de force, il est également fondamental dans le cadre d’une stratégie alternative de porter la thématique au niveau des Communautés autonomes, de l’Etat central et du Parlement. A partir de la remise en cause des dettes au niveau municipal, je crois qu’il est important d’avoir une initiative au niveau du Parlement espagnol le plus rapidement possible ».

Pour Eric Toussaint, le niveau politique ne suffit pas, il faut également une mobilisation active des citoyens : « S’il n’y a pas de pression d’en bas, du mouvement citoyen, si cette dynamique ne se donne pas une orientation tout en accumulant des forces, il lui sera difficile de remporter des victoires. Cela va demander beaucoup d’énergie. Pour ne pas répéter l’expérience de la capitulation grecque et dire qu’en Espagne, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe, nous allons réunir les conditions pour changer réellement le cours de l’histoire des prochaines années ».


« Il est impossible de rompre avec l’austérité sans désobéir »

Lors du débat, à la question posée par un des participants : “Peut-on passer, à l’intérieur de l’Union européenne, de la dette illégitime à son non paiement ? Personnellement je pense qu’un pays de l’UE ne peut pas le faire”, le porte-parole du CADTM a répondu : « Je poserais la question différemment. Est-il possible au sein de l’UE, en respectant les exigences de la Commission européenne (CE), de rompre vraiment avec l’austérité ? Tu dis qu’il y a de grandes marges. Personnellement, je ne le crois pas. Il est impossible de rompre avec l’austérité sans affronter la CE et sans désobéir clairement aux traités. Ils vont entrer en conflit avec toi, te pénaliser, etc. et la question sera alors si tu vas te soumettre ou pas, en tant que Gouvernement. Il faut se rappeler ce qui s’est passé en Grèce. Le Gouvernement grec n’a pas voulu la confrontation, il a continué à payer et dès le 4 février 2015, le président de la Banque Centrale Européenne (BCE), Mario Draghi, avait décidé d’empêcher l’accès des banques grecques à la ligne de crédit normale.

Nous serons certainement d’accord sur le fait qu’il est probable que Draghi ne puisse pas prendre pour l’Espagne le même type de mesures aussi brutales qu’il s’est permis de prendre avec la Grèce, mais il va essayer d’affaiblir le plus rapidement possible un gouvernement de gauche, progressiste, qui pourrait représenter une réelle alternative au niveau de l’Europe. La BCE ne voudra pas ouvrir une porte qui permettrait de rompre avec l’austérité, parce que l’orientation de la BCE n’est pas seulement idéologique, la BCE veut poursuivre ses attaques contre les lois du travail, les négociations collectives, etc. Je pense qu’il faut se préparer à une confrontation beaucoup plus dure que tu ne le crois. C’est pour cela que, le moment donné, des mesures comme l’audit qui menacent d’un non paiement constituent un élément fondamental pour construire un rapport de forces face aux autres pays et à la CE ».

Une monnaie complémentaire contre la dictature de l’euro et la BCE

D’autres questions ont porté sur le rapport entre la dette illégitime et le problème du système monétaire. A ce sujet, Eric Toussaint est revenu sur le débat sur la possibilité ou pas de réformer l’euro : “Mais on ne peut imaginer que l’Allemagne, la France et le Benelux qui tirent profit de l’euro tel qu’il est, puissent accepter une réforme de l’euro qui favoriserait les pays périphériques. Les grandes entreprises allemandes, françaises, belges et hollandaises, les institutions financières du Luxembourg, Autriche et Finlande ne l’accepteront pas”.

Pour finir, il s’est montré convaincu de « la nécessité, pour un gouvernement progressiste, de lancer une monnaie complémentaire, appelée monnaie fiscale, non convertible, permettant à un gouvernement de réaliser certains paiements afin d’affaiblir la dictature de l’euro et de la BCE. Mais sans doute dans certains cas la sortie de l’euro peut apparaitre comme une option possible à débattre sérieusement. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, et ses conseillers, James K. Galbraith et le jeune Daniel Munevar |8| : finalement ils auraient dû se préparer à une sortie de l’euro et cela n’aurait pas été aussi traumatisant qu’ils l’avaient pensé” |9|.


Traduit de l’espagnol par Lucile Daumas

http://www.cadtm.org/Nous-avons-besoin-de-succes-Lecons

Notes

|1| Des conseillers municipaux et des membres de Podemos, d’Izquierda Unida, de Equo (organisation politique écologiste faisant partie de UNIDOS PODEMOS avec Podemos et Izquierda Unida), de la CUP (organisation politique anticapitaliste et indépendantiste de Catalogne) et de BILDU (organisation indépendantiste au Pays basque et en Navarre) ont signé le Manifeste d’Oviedo et ont participé à la réunion d’Oviedo.

|2| Cette rencontre a été précédée du Manifeste d’Oviedo, signé par plus de 700 élus, maires, conseillers municipaux, députés des autonomies, nationaux ou européens, ainsi que par des personnalités internationales comme Susan George, Zoe Konstantopoulou, Yanis Varoufakis, Tariq Alí, James Petras ou James Galbraith et par des membres de mouvements sociaux. Dans ce Manifeste, les signataires s’engagent à soutenir la constitution d’un Front des municipalités, communautés autonomes et nationalités de l’Etat espagnol qui remette en cause la question de la dette illégitime, travaille pour son annulation et mette en place des audits citoyens de la dette des Administrations publiques. Après le rendez-vous d’Oviedo, une délégation du Front s’adressera au Parlement européen en mars 2017 et une nouvelle rencontre se tiendra à Cadix au mois de mai. manifiestodeoviedo.org

|3| Voir Fátima Martín, « Oviedo : Un exemple de dette illégitime, voire illégale, protégée par les tribunaux ». http://www.cadtm.org/Oviedo-Un-ejemplo-de-deuda

|4| Fidel Castro, « La dette ne doit pas être payée », publié le 26 de novembre 2016, http://www.cadtm.org/Fidel-Castro-La-dette-ne-doit-pas

|5| Daniel Munevar, Cuba : Qu’y a-t-il derrière les accords sur la dette avec le Club de Paris et les autres créanciers ? http://www.cadtm.org/Cuba-Qu-y-a-t-il-derriere-les publié le 11 janvier 2016.

|6| Voir Benjamin Lemoine, Eric Toussaint, « Des espoirs déçus au succès en Equateur, les exemples de l’Afrique du Sud, du Brésil, du Paraguay et de l’Equateur. » publié le 15 août 2016, http://www.cadtm.org/Des-espoirs-decus-au-succes-en

|7| Voir Benjamin Lemoine, Eric Toussaint, « Grèce : La Commission pour la vérité sur la dette, la capitulation de Tsipras et les perspectives internationales pour la lutte contre les dettes illégitimes », publié le 13 septembre 2016, http://www.cadtm.org/Grece-La-Commission-pour-la-verite

|8| Daniel Munevar, « Pourquoi j’ai changé d’avis sur le Grexit », publié le 28 juillet 2015, http://www.cadtm.org/Pourquoi-j-ai-change-d-avis-sur-le

|9| Voir Eric Toussaint, « Pour la prise de pouvoir par le peuple : Dix propositions afin de ne pas reproduire la capitulation que nous avons connue en Grèce », publié le 28 décembre 2016, http://www.cadtm.org/Pour-la-prise-de-pouvoir-par-le

 

Documents secrets du FMI sur la Grèce

Par E Toussaint : Nous mettons à la disposition du public francophone des documents tenus secrets par le FMI. Il s’agit de documents authentiques qui ont été mis à la disposition de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque par Zoe Konstantopoulou, la présidente du Parlement grec en fonction entre le 6 février et le 3 octobre 2015. Le contenu de ces 2 documents qui datent de mars et de mai 2010 est accablant pour le FMI.

http://www.cadtm.org/Documents-secrets-du-FMI-sur-la

Grèce : Les banques sont à l’origine de la crise

Par Eric Toussaint CADTM

Cette étude démontre que la crise grecque qui a éclaté en 2010 est d’origine bancaire privée. Elle n’est pas le résultat d’un excès de dépenses publiques. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et ceux des pays qui dominent la zone euro. L’adoption de l’euro par la Grèce a joué un rôle important dans les facteurs qui ont contribué à la crise. L’analyse contenue dans ce texte a été présentée à Athènes le 6 novembre 2016 lors de la réunion de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque.

http://www.cadtm.org/Grece-Les-banques-sont-a-l-origine

Les revirements et réactions sur la dette grecque

Les réactions suite au revirement de l’Eurogroupe qui suspend les mesurettes sur l’allégement de la dette accordées la semaine précédente

16/12 L’Eurogroupe rallume la mèche avec la Grèce sur la question de la dette par Amélie Poinsot de Médiapart https://www.mediapart.fr/journal/international/161216/l-eurogroupe-rallume-la-meche-avec-la-grece-sur-la-question-de-la-dette

15/12 Ecoutez  ces trois minutes sur France Culture, billet économique au sujet du communiqué de Dijsselbloem,  ministre des finances Pays bas et chef de l’Eurogroupe qui suspend les minuscules toilettages de la dette grecque décidés dernièrement. Question : qui a pris cette décision ? les 28 ministres ont-ils été consultés ? Pourquoi aucun communiqué officiel du groupe, ou du MES ? flou complet sur le fonctionnement de l’eurogroupe ,Les chefs d’état réunis vont-ils réagir ?  https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/nouveau-bras-de-fer-entre-la-grece-et-mais-

15/12 Grèce : le ton monte entre l’Eurogroupe et le gouvernement http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-l-eurogroupe-gele-les-mesures-sur-la-dette-624867.html

10/12 « La dette grecque n’est pas soutenable», martèle le Monsieur Europe du FMI 

http://www.info-grece.com/actualite/2016/12/10/la-dette-grecque-n-est-pas-soutenable-martele-le-monsieur-europe-du-fmi

7/12 Grèce : un « toilettage » de la dette pour encore « gagner du temps par Romaric Godin 

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-un-toilettage-de-la-dette-pour-encore-gagner-du-temps-623058.html

 

Déclaration du FMI que faut-il en croire ?

Dans cet article du 13/12/16 Grèce : faut-il croire le FMI dans son rejet de l’austérité Romaric Godin s’interroge sur la déclaration du FMI  http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-faut-il-croire-le-fmi-dans-son-rejet-de-l-austerite-624329.html

La déclaration du FMI du 12/12/16 par Maurice Obstfeld, Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI et Poul M. Thomsen est Directeur du Département Europe du FMI

« le FMI ne demande pas plus d’austérité à la Grèce  »  declaration-fmi

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