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Archives de catégorie Austérité-Neolibéralisme

Grèce Colonie de la dette

La Grèce sous tutelle jusqu’au remboursement des prêts

11 mai par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis


Tag sur l’immeuble de l’Académie D’Athènes. CC MLCK

La fin annoncée du 3e mémorandum signé par Tsipras en août 2015 ne doit pas faire illusion : les conversations entre l’Eurogroupe et le Ministre des Finances grec Tsakalotos portent sur l’aménagement de la nécessaire « tutelle » législative et budgétaire qui va être imposée pendant des années à la Grèce par ses créanciers, dans le but d’effectuer les « réformes » non encore accomplies après le 28 août 2018, date prévue officiellement pour la fin du troisième programme « d’aide ».

 

L’Eurogroupe de janvier 2018 a précisé à nouveau la liste des 88 prérequis encore en suspens, à régler pour le bouclage de la 4e évaluation, qui doit avoir lieu au plus tard en juin 2018, pour la délivrance de la dernière tranche de 11,7 milliards d’euros, quatrième et dernier versement du programme. Selon le Ministre Tsakalotos « il n’y aura pas de nouvelles mesures [1] », seules les « promesses » non réalisées sont concernées : le cadastre, les privatisations – en particulier dans le domaine de l’énergie – la « réforme » de la fonction publique et l’attribution des permis des maisons de jeu électronique et de casinos sont en première ligne, la baisse du seuil minimum d’imposition. À noter que le programme électoral de Syriza énoncé à Thessalonique en septembre 2014 [2] prévoyait la restauration du seuil de non-imposition à 12 000 €/an. Le seuil de non-imposition a été fixé après de multiples négociations à 8.600 pour une personne seule, à 9000 euros annuels pour un couple avec deux enfants à charge. La situation va se dégrader car, sous la pression de la Troïka, le gouvernement s’est engagé en juin 2017 à rabaisser ce seuil à 5.700 euros et 6130 euros respectivement à partir du 01/01/2019 [3]. Et encore, la réalisation des mises aux enchères par internet, l’application de la TVA à 24% dans toutes les îles dès juillet 2018 (dont celles où sont confinés un grand nombre de réfugiés), la modification des critères de calcul de l’impôt ENFIA sur les bâtiments [4]

Sur les 86 milliards prévus du 3e accord de prêt d’aout 2015, la Grèce n’a reçu que 58,6 milliards € ; il est prévu que les 27,4 milliards restants seront attribués après mai 2018, une fois leur utilisation précisée. Précisons que la majeure partie de la somme est repartie immédiatement vers les créanciers sous la forme de remboursement de la dette, tandis que 45,4 milliards d’Euros, résultant de ces différents accords de prêt ont été injectés depuis 2010 dans la recapitalisation des banques privées [5] . Pour recevoir le reste, le pays doit donc matérialiser une série de réformes avant le mois d’août 2018. D’après le Mécanisme Européen de Stabilité s’exprimant au nom des institutions, cette dernière tranche du prêt devra permettre principalement de régler les dettes du pays en suspens.

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« L’espoir arrive » – Stand électoral Syriza au soir des élections de janvier 2015. cc mlck.

Comme Dijsselbloem le déclarait en janvier 2018 au Financial Time, « le Premier Ministre Tsipras et le ministre Tsakalotos ont entièrement changé le ton des rapports avec les partenaires communautaires. Tout est désormais beaucoup plus facile, c’est une situation tout à fait différente » [6] . CQFD.

L’ombre menaçante du FMI

Trois ans après la signature du 3e mémorandum, le FMI ne tranche toujours pas sur sa possible contribution financière à celui-ci. Une participation souhaitée par les créanciers européens, l’Allemagne en tête, mais appréhendée par le gouvernement Tsipras depuis le début. En effet, le FMI sans participer n’en continue pas moins en tant que créancier (des précédents plans « d’aide ») à exiger de nouvelles coupes dans les retraites et les salaires, au nom du service de la dette externe. Surtout, le FMI considère la dette grecque comme insoutenable et en réclame un aménagement par les créanciers européens. Mais ceux-ci, menés par l’Allemagne, sont opposés à une réduction de leurs créances sur la Grèce. Le FMI a toujours refusé la réduction de ses propres créances en prétextant que ses membres des Pays en développement ne comprendraient pas qu’un tel traitement de faveur soit accordé à la Grèce.

Le FMI aurait dû se prononcer fin janvier 2018 pour une seule et unique évaluation d’un programme (Memorandum of Economic and Financial Policies, MEFP) signé en juillet 2017 avec la Grèce [7] , qui prévoyait l’éventualité d’un versement de 1,6 milliard d’Euros, sous condition entre autres que les créanciers européens prennent des décisions essentielles pour la viabilité de la dette grecque. La Grèce, ne souhaitant pas que le FMI s’implique dans le programme par ce versement, a fait appel au marché en émettant des obligations pour faire face à ses problèmes de liquidité, en utilisant ce « retour sur les marchés » comme outil de propagande.

Bien qu’elles soient régulièrement annoncées comme « imminentes d’ici quelques semaines » depuis août 2015, les discussions entre les créanciers sur un réaménagement de la dette grecque ne sont pas toujours pas au programme dans l’immédiat.

En tant que créancier des deux premiers memoranda, le FMI siège au sein de la troïka devenue quartet En tant que créancier des deux premiers memoranda, le FMI siège au sein de la troïka devenue « quartet » [8] et son poids pèse lourd sur certains des prérequis exigés par les créanciers dans le cadre du 3e mémorandum. Ainsi, on reconnait la marque du FMI sur des mesures « débloquées » par la loi mammouth votée en procédure d’urgence en janvier 2018, comme la mise aux enchères des résidences principales par voie électronique, la réduction du droit de grève à travers une modification des procédures à respecter pour pouvoir faire grève, la révision à la baisse des droits aux allocations familiales pour les familles nombreuses (à partir de trois enfants). Mais aussi l’impunité pour les membres du TAIPED [9] et du super-fonds de privatisation [10] : la multi-loi de janvier 2018 prévoit que les experts profitent aussi désormais de l’asile juridique, y compris quand le résultat d’une privatisation a porté gravement tort au secteur public grec. C’est la réponse au scandale qui a mené devant les tribunaux grecs six membres du TAIPED [11] , malgré les protestations de la Troïka.

La dictature fiscale instaurée par le troisième mémorandum

Les mesures d’austérité du troisième mémorandum ont fait augmenter les dettes d’impôts de 20 milliards d’euros en créant 500.000 endettés fiscaux supplémentaires entre 2015 et 2017. Des dettes qui s’élevaient à 40 % du PNB fin 2014. Pourtant Tsipras avançant les chiffres officiels annonçait en janvier 2017 que les objectifs fiscaux avaient été atteints pour les deux années précédentes. C’est la démonstration que les objectifs fiscaux fixés par l’État grec sont bien supérieurs à ses besoins budgétaires mais surtout, qu’ils dépassent largement la capacité de paiement des contribuables grecs [12].

Résultat, pendant le seul mois de février 2018, 2,5 milliards d’euros supplémentaires se sont ajoutés aux dettes d’impôts non honorées. L’Agence Autonome des Recettes Publiques se prépare à procéder à des saisies, tandis que les mises aux enchères par internet pour dettes envers l’État seront mises en route, à partir du 27 avril 2018, en particulier pour contenter les créanciers qui en ont fait un prérequis sine qua non [13].

En août 2017, l’ensemble des dettes d’impôts impayés s’élevaient à 95,65 milliards d’euros, dont 5,48 milliards pour la seule année 2017, pour un total de 3,8 millions de contribuables endettés. Parmi eux, 2,4 millions de contribuables endettés, personnes physiques ou morales, sont incapables de payer aux impôts une somme inférieure à 500 euros, représentant un total de 340 millions d’euros. [14]

Ce sont donc 1,4 millions de contribuables qui sont exposés à des mesures de rétorsion de l’Agence Autonome des Recettes publiques [15] . (Rappelons que lors du recensement de 2011, la Grèce comptait 11 millions d’habitants.)

Dans le détail :
- 11,7% du total des contribuables doivent moins de 10 euros chacun pour un total de 1 million d’€ (505.202 personnes physiques et morales)
- 398.004 doivent moins de 50 euros, pour un total de 11,5 millions d’euros
- 34,5% du total des contribuables (1.485.693) doivent de 50 à 500 euros, pour un total de 327,8 millions d’euros [16].

Avec la même multi-loi de janvier 2018, le numéro fiscal (AFiMi) personnel qui conditionne toutes les opérations commerciales et nombre de procédures administratives pourra être supprimé par l’Agence Autonome des Recettes publiques. Par ailleurs elle pourra attribuer un numéro fiscal à quiconque, personne physique ou morale, pourvu qu’elle dispose de quelques éléments clé, ce qui lui permettra de verbaliser ou d’agir en représailles de supposées infractions, y compris en réclamant à une nouvelle personne morale les arriérés dus par un des membres de son Conseil d’administration si celui-ci est un contribuable qui s’est endetté dans les cinq dernières années, pour une hauteur minimale de 15 000 euros, dans le cadre de la lutte contre l’évasion et l’échappement fiscal [17] .

La Grèce s’était engagée à appliquer une baisse du seuil minimum d’imposition prévue après 2020. En effet le FMI et le reste des Institutions invoquent la nécessité de produire un excédent budgétaire de 3,5% du PIB dès 2019. Le gouverneur de l’Autorité Autonome des Recettes Publiques, contrôlée par les Institutions européennes et qui remplace le Trésor en Grèce a annoncé en mars 2018 que la baisse du minimum d’imposition interviendrait plus tôt que prévu, sous peine de voir activer le « sécateur » (koftis), voté par la multi-loi de mai 2016. Ce sécateur permet d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou un vote préalable du parlement grec, en cas de non-respect de l’objectif d’un excédent primaire (hors service de la dette) de 3,5% en 2018 et après – et donc indépendamment de la composition du gouvernement [18].

Comme le journaliste économique Romaric Godin le faisait remarquer au moment de son adoption, « Pour éviter d’avoir recours à ce mécanisme-sécateur, le gouvernement grec devra de toutes façons poursuivre la baisse de ses dépenses. Toute richesse grecque sera donc ponctionnée tant qu’il faudra rembourser la dette [19]. »

Sur la politique fiscale, le FMI continue donc à peser de tout son poids, en plein accord avec le MES, comme en témoigne le commentaire du responsable de la zone Europe au FMI, Poul Thomsen, interrogé sur l’avenir de la Grèce après la fin du 3e programme. « Nous n’avons pas d’objectifs précis et nous ne jouerons aucun rôle pour dire »Faites ceci ou cela« , mais l’important pour le FMI est que la politique menée soit bien compatible avec la reprise. Le redressement spectaculaire de la Grèce a été atteint grâce à l’augmentation des impôts, mais au détriment du développement. Il importe donc d’élargir significativement la base d’imposition [20]. »

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose de baisser le seuil de non-imposition pour faire contribuer davantage les plus faibles revenus et soulager les plus riches, trop sollicités fiscalement pour vouloir investir.

De nouvelles baisses de retraite de 20% à venir avant 2019

Dans le cadre du 3e mémorandum, de nouvelles baisses des retraites et la modification du système des cotisations de retraite ont été imposées par la loi Katrougalos en 2016, mais par la suite le gouvernement grec a été obligé de corriger partiellement certains points qui accentuent particulièrement la pauvreté. Ainsi il a été institué en 2017 une indemnité sociale pour les plus pauvres, et on a ouvert aux sans-abris et aux migrants la possibilité de s’inscrire en demandeurs d’emploi. Pour le dire autrement, les gens qui auront perdu leur résidence principale pourront néanmoins s’enregistrer comme demandeurs d’emploi : une des mesures « sociales » du gouvernement Tsipras.

Les modifications dans les pensions de retraite amenés par la loi Katrougalos s’appliquent pour 2,7 millions de retraités avec de nouvelles baisses allant jusqu’à 40% [21].
D’après l’OCDE, entre 2010 et 2016 les Grecs avaient déjà subi une perte de 36% de leurs revenus ; celle-ci va encore être accentuée par les nouvelles baisses de retraite. Les plus faibles revenus sont particulièrement affectés par la hausse des taxes et des impôts et la suppression progressive des indemnités destinées à compenser la précarité (EKAS, etc…) [22]

Parmi les plus touchés par les baisses de retraite du troisième mémorandum, les veuves dont les pensions de réversion ont pu baisser de 47,4%, puisque la pension initiale du défunt a baissé significativement après la Loi Katrougalos. Il n’y aura aucune allocation de réversion pour les nouveaux retraités. Les pensions de réversion aux enfants mineurs ou aux étudiants de moins de 24 ans sont désormais conditionnées par des critères très serrés, pour l’obtention d’une petite retraite inférieure à 300 euros délivrée par la caisse agricole OGA.

Les grandes modifications votées en 2016 et en 2017 ne seront appliquées et visibles dans les relevés de pension qu’à partir de décembre 2018. Pour les nouveaux retraités, qui toucheront moins que ceux ayant posé leur dossier en 2017, les baisses de retraites seront limitées à 20% puisque leur retraite démarre de plus bas. Les futurs pensionnés arrivant à l’âge de la retraite à partir de janvier 2019 verront les nouvelles baisses s’appliquer immédiatement [23].

Enfin, l’indemnité EKAS qui constituait un complément pour les pensions les plus faibles est en voie de suppression progressive [24], au cœur des économies qui permettent de dégager un « excédent primaire » par la réduction des dépenses publiques.

Résultat, début 2018, un Grec sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté fixé depuis 2015 à 376 €. Plus d’un million de retraités survivent avec moins de 360 € mensuels. Rappelons que le seuil de pauvreté en Grèce a été abaissé à plusieurs reprises par Eurostat [25] : en 2010 on risquait la pauvreté avec moins de 598 € par mois, alors que ce seuil rabaissé de 37% élimine statistiquement toute une tranche de nouveaux pauvres, dont les retraités [26].

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« Pablo Picasso : La croissance en Grèce – (Détail) » – Dessin satyrique de Yannis Kalaïtzis.

La reprise économique, un leurre de plus en plus lointain

Alors que l’on nous parle pour la Grèce de « bout du tunnel » de « reprise économique après des années d’effort », l’économiste Costas Lapavitsas propose une toute autre analyse de la situation grecque :
« La réduction de la consommation publique explique le brutal excédent primaire poursuivi par M. Tsakalotos … La stagnation de la consommation privée est due au chômage, aux bas salaires et aux lourdes taxes. ../.. En particulier, la consommation alimentaire diminue constamment. Le pire c’est que même la consommation des pâtes a baissé de 10%. »

« Le gouvernement Syriza en mai 2017 s’est à nouveau engagé sur le principe d’une austérité particulièrement cruelle, s’engageant à diminuer encore les retraites et à imposer de nouvelles taxes dans le but d’obtenir des excédents primaires annuels supérieurs à 3,5% du PIB annuellement jusqu’en 2022. Et ensuite ils se sont engagés à assurer des excédents annuels de 2% jusqu’en 2060 ! [27] »

« La hausse de l’impôt et la forte augmentation des cotisations d’assurance affectent l’attrait pour l’investissement. Dans le même temps, la réduction continue des prêts bancaires et les taux d’intérêt élevés ont restreint l’accès au crédit. Le système bancaire grec est totalement incapable de financer le retour aux investissements. Comment pourrait-il en être autrement lorsque 45% des actifs bancaires sont constitués de crédits en défaut de paiement ? En y ajoutant la dette publique et l’absence continue de crédit commercial, il n’y a aucun mystère sur la faiblesse de l’investissement qui en 2017 n’a été que de 25 milliards. Il convient de noter que les investissements antérieurs à la crise étaient d’environ 60 milliards par an. [Costas Lapavitsas, Le temps d’attente pour le gouvernement est terminé – 14/03/2018] »

Et la fin du 3e programme ne changera pas la donne, bien au contraire :
« En août 2018, lorsque le troisième programme de renflouement prendra fin, la Grèce devra emprunter sur les marchés des sommes substantielles. Rien que pour financer l’essentiel en 2019, le pays aura besoin de plus de 12 milliards d’euros. Aussi le gouvernement prévoit-il d’accumuler un »oreiller » de plus de 15 milliards d’euros sous forme de garantie pour les prêteurs étrangers.

C’est extraordinaire pour un pays qui manque cruellement d’investissements – conserver près de 10% de son PIB d’argent mort en stock. Même ainsi, les prêteurs internationaux devront être rassurés sur le fait que l’austérité sera maintenue et la Grèce aura besoin, le cas échéant, du soutien implicite ou explicite des créanciers de l’UE, ce qui implique bien entendu un prolongement de la mise sous tutelle de la Grèce, comme sur les autres pays endettés de l’UE. La Grèce restera effectivement dans un statut néocolonial. [28]« 

Les memoranda : des programmes réussis

La constante application des créanciers à imposer des mesures qui semblent systématiquement produire des effets contraires aux buts affichés pose la question : quels étaient à l’origine les objectifs des « plans d’aide » qui se sont succédés depuis 2010 ?

Les travaux de la Commission Vérité sur la dette publique grecque [29] ont démontré notamment que le premier mémorandum avait eu pour but de financer l’État grec en faillite à cause de la recapitalisation des banques grecques, suite à la crise des subprimes, ce qui a permis que les banques étrangères, françaises et allemandes principalement, se dégagent alors qu’elles avaient prêté abondamment de l’argent sur le marché bancaire grec [30]

Les plans suivants ont servi à recapitaliser de nouveau les banques grecques et à continuer de dégager les créanciers privés, remplacés par les États de l’UE et les institutions européennes, financées par l’argent des contribuables européens.

Mais tout l’intérêt de l’affaire n’était-il pas dans la destruction du droit du travail, le démantèlement des services publics par la réduction des dépenses publiques, leur privatisation, la mise à l’encan des biens du pays en commençant par les ressources minières des sous-sols souterrains et sous-marins, les ressources énergétiques, tous les services de transports publics, la santé, l’eau … mais aussi les aéroports, marinas et des portions de bandes côtières, et maintenant la vente des biens privés de la population, habitations et terrains agricoles ou à construire, imposés par les memoranda ?

L’écrasement systématique des catégories les plus faibles de la population (pauvres, malades, personnes âgées ou dépendantes) par leur réduction progressive à la misère, à travers la baisse ou la suppression des pensions de retraite, la dégradation de l’accès à la santé et aux programmes d’aide aux personnes « handicapées » soumettent les populations à ce qui ressemble à une « guerre de basse intensité » telle que décrite par Jules Falquet [31] dans son livre Pax Neoliberalia [32], plus qu’à une « mauvaise gestion » par un État souffrant de « mauvaise gouvernance ».

Les scandales impliquant les hommes politiques au pouvoir à tous les niveaux, comme le scandale Novartis, et leurs va-et-vient entre les institutions publiques nationales et européennes et les grandes institutions financières privées ne laissent guère planer d’ambiguïté. La docilité des gouvernements envers les grands groupes financiers au détriment des intérêts vitaux des populations mais aussi de l’indépendance souveraine de leur propre pays montre combien les programmes mis en place par l’Union européenne à travers le MES, la BCE et le FMI n’ont qu’un seul but. Il s’agit d’en finir avec l’état social et de fermer le chapitre « bons salaires/bonnes retraites/bonne fin de vie confortable » qui fait de l’Europe un endroit « peu concurrentiel ». C’est d’ailleurs ce qu’a exprimé Schäuble devant Varoufakis [33].

En Grèce, l’austérité imposée au prétexte de la dette publique est menée aux extrêmes. L’hémorragie démographique qui s’ensuit contribue à régler les problèmes démographiques de l’Europe du Nord, avant que celle-ci se voie à son tour imposer des mesures renforcées d’austérité.

Dans la Grèce néolibérale mémorandaire, l’entreprise minière Eldorado Gold se contente d’un rendement d’extraction de l’or très faible car après avoir éventré des collines et des forêts classées en zone Natura 2000, sur 700 m de diamètre, 200 m de profondeur, en procédant à un mode inédit d’exploitation au cyanure aux conséquences encore inconnues sur l’environnement, rien d’autre ne compte pour l’entreprise canadienne que sa valeur boursière. Gagner un procès devant la Cour Constitutionnelle grecque fait remonter immédiatement le cours de l’action de la maison-mère [34] . Peu importe finalement qu’il y ait de l’or à la clé et à quel prix. Peu importe que le bassin hydrologique d’une région entière soit dévasté, ainsi que tout son système écologique.

C’est le système dette qui a justifié cette évolution en Grèce, en transformant ce pays en colonie de la dette.

C’est le système dette qui, après avoir agenouillé les pays du Sud pour siphonner leurs richesses, s’étend à travers l’Europe, multipliant les friches industrielles, outil principal de l’oligarchie pour instituer un ordre néolibéral à coup d’état d’urgence et de guerre de basse intensité, au nom desquels les constitutions mêmes sont modifiées, rejetant dans une histoire lointaine les conquêtes des peuples.

Merci à Anouk Renaud et à Éric Toussaint pour leur relecture attentive

Notes

[4ENFIA ou « taxe consolidée sur la propriété immobilière ». En fait, la Grèce dispose d’une quarantaine de taxes et de timbres sur la construction, les loyers, l’héritage, le transfert ou la légalisation des constructions sans permis, mais aucune taxe n’imposait jusqu’en août 2011 les ménages modestes sur leurs biens. Par l’établissement définitif de la taxe ENFIA passé dans la loi grecque en janvier 2014, le gouvernement espère des revenus supplémentaires de 3,5 milliards d’€, contre 500 millions € auparavant. Source en grec

[8Les créanciers de la Grèce sont la BCE, la Commission Européenne, le FMI et le MES, qui est intervenu en aout 2015 à l’occasion du 3e mémorandum, transformant la Troïka (Commission, BCE et FMI) des deux premiers memoranda en « quartet ».

[9TAIPED, en anglais Hellenic Republic Asset Development Fund, le Fond de privatisation des biens publics grecs, créé en 2011. Voir Sucer la Grèce jusqu’à la moelle sur le site du CADTM

[10Créé en août 2015 par le 3e Mémorandum.

[18« La pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions. »
Extrait du IIIe Memorandum of Understanding (MoU) paru dans L’Humanité du 16/07/2015, « Yanis Varoufakis met en lumière les appétits des liquidateurs de la Grèce ».

[20Kathimerini, Samedi 21/04/2017

[25Le seuil de pauvreté, indexé sur le salaire minimum qui a été réduit de 751 € en 2009 à 586 € en 2011, a été rabaissé, rendant un peu moins dramatiques les statistiques sur la néo-pauvreté des Grecs. Voir en grec

[26Le danger de pauvreté parmi les plus de 65 ans était de 28,4% de la population en 2004, de 23,6% en 2011. Depuis, il n’a cessé de baisser, en 2012 à 17,2%, en 2013 à 15,1%, en 2014 à 14,9% et en 2015 à 13,7%.

[31Maîtresse de conférences en sociologie HDR, Université Paris 7- Denis Diderot.

[32Pax Neoliberalia, Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence, Éditions Racine de iXe, 2016

[33« Mais Schäuble n’était pas intéressé et passe au sujet qui est au cœur de toute sa stratégie et de ses motivations profondes : « Sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providences avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » in Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

 

Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Documentariste, essayiste et traductrice du grec moderne, permanente au CADTM.

Source http://www.cadtm.org/La-Grece-sous-tutelle-jusqu-au

L’homme fardeau La rubrique de Panagiotis Grigouriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

L’homme fardeau

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, les touristes et les badauds s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté les lieux, car la pluie est alors de retour à Athènes, un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Manifestants et touristes. Athènes, le 1er mai 2018

Dans presque cette même vie des symboles, les syndicats, toujours dispersés et pour tout dire pratiquement disparus du champ de l’utilité publique, ont fait défiler les leurs autour de la place de la “Constitution”, tout juste le temps de cette belle matinée muséale du 1er mai pendant que l’agglomération athénienne s’était déjà déplacée coûte que coûte sur les rivages de l’Attique. Sous le pavé, la plage.

Nos touristes, photographiant tout de même les manifestants avec boulimie, drapeaux rouges et visages cependant serrés. Revue des… deux mondes. Le tout, après avoir si certainement croqué à la Grèce éternelle, au nouveau musée de l’Acropole et pour finir, aux mets supposons plus authentiques que jamais.

Et devant le “Parlement”, les cars des unités des MAT, les CRS du pays de Zeus, occupèrent les lieux pour empêcher de la sorte toute velléité populaire à l’encontre… des très chers élus, maintenant que le mystère de la politique semble totalement élucidé, dès l’arrivée au pouvoir en 2015 des Syrizistes et si fières de l’être.

Cependant, ceux et celles qui n’ont guère chômé en ce 1er mai, n’auront fait que traverser les lieux comme les artères de la ville pour se rendre à leur travail, désormais payé en règle rependue et générale près de 500€ par mois pour un temps finalement trop plein. Femmes et hommes alors cheminant la tête surtout baissée, le traditionnel café froid dans la main. Poids encore et surtout du monde.

Manifestants. Athènes, 1er mai 2018
Le traditionnel café froid dans la main. Athènes, le 1er mai 2018
Manifestants. Athènes, le 1er mai 2018

Et pendant que ceux de la… République populaire des Airbnbiens s’adonne aux emballements de la ville d’Athéna… d’ailleurs présentée comme étant “le nouveau Berlin”, Alexis Tsipras, illustre locataire de l’hybris comme de l’absurde, s’est envolé pour l’île de Lesbos, en visite officielle jeudi dernier 3 mai, le tout, après avoir dépêché sur Mytilène, capitale de l’île, plus de dix compagnies de CRS hellènes, l’escrocrise est ainsi un plat… qui mange décidément son chapeau.

Les habitants et les commerçants de l’île avaient aussitôt décrété Mytilène ville-morte, et en effet, pratiquement pas un seul commerce n’a ouvert ses portes pendant la visite du cynique Alexis. Des heurts ont même opposé forces de l’ordre et manifestants, ces derniers exprimant leurs désarroi devant la mutation forcée et violente que leur île connait, sous le double effet de l’austérité comme de celui des flux migratoires incontrôlés.

Cette… autre vie réelle grecque, indique alors que la Tsipoparade gouvernementale ne se déplace plus sans une protection policière importante par les temps qui courent décidément si vite. Et depuis les micros des radios, certains journalistes ont voulu rappeler que parmi les promesses électorales de l’imparable Alexis de 2014, y figurait également la suppression pure et simple des unités de CRS “pour n’agir qu’à travers le cadre d’une police de proximité”, histoires toujours simples, racontées à chaque fois avec force et conviction, aux peuples trompés, et pour tout dire ainsi mourants.

Mytilène, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène ville morte, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène, le 2 mai, Presse grecque

Ainsi, à travers une émission touchante sur le Deuxième Programme de la radio publique grecque ERT, dimanche 6 mai, dont l’invité fut le spécialiste du chant Rebétiko et plus amplement de la musique populaire grecque, Panagiótis Kounádis, il a été rappelé que “finalement certains peuples et cultures peuvent parfois disparaitre complètement… du fardeau de ce monde, suite notamment à une attaque généralisée, une guerre alors totale, dont une guerre totale culturelle”.

Le journaliste, un peu gêné, il a aussitôt compris ce que Panagiótis Kounádis voulait alors exprimer, le peuple grec pourrait ainsi ne pas faire exception à cette règle, d’ailleurs, “dans un monde où les mots concurrence et profit ont depuis longtemps remplacé les termes bonté et paix, dans un monde enfin, où seulement six bandes de salopards alors gouvernent au destin des mortels, d’où la généralisation des ‘gouvernants’ marionnettes et de surcroît incultes, contrairement par exemple au temps des dirigeants comme Charles de Gaulle, lequel au moins comprenait le monde, ainsi que ses interlocuteurs”, (Panagiótis Kounádis, le 6 mai, ERT).

Je me souviens, au sujet de mon ami Panagiótis Kounádis, j’écrivais au lointain Printemps 2014: “On commence alors à voir si possible plus loin que notre nez en crise. Mercredi soir, c’est dans une salle de la mairie d’Athènes qu’à l’initiative de Panagiótis Kounádis (musicologue) et de Fondas Ládis (écrivain et poète), que le nouveau SFEM (Association des amis de la musique grecque), reprend enfin le chemin du légendaire SFEM des années 1960, de Míkis Theodorakis, de Mános Hadjidákis et des autres.”

Visiteurs. Cap Sounion, mai 2018
Visiteurs et animal adespote. Athènes, mai 2018
Travailleurs et travailleuses du 1er mai. Athènes, 2018

En 2018, Panagiótis Kounádis rappelle déjà avec nostalgie que les grands noms de la musique grecque ont été essentiellement ceux du premier SFEM, espoirs d’alors que la dictature des Colonels a alors brisés net. “Le régime des Colonels a surtout occasionné des dégâts culturels énormes, finalement plus que politiques dans un sens. Toute l’énormité de la chanson de mauvais goût et de piètre existence actuelle nous parvient alors de cette période. Ce fut la fin de la musique populaire de qualité et en même temps massivement adoptée par les Grecs.”

“Ce n’est plus le cas, c’est la sous-culture, celle que les médias vont sans cesse promouvoir que les Grecs suivent et chantent sans cesse. Pourtant, tout n’est pas perdu. De nombreux jeunes suivent avec sérieux et conviction le cursus que nos lycées musicaux leur proposent encore. Dans la mesure où ils ne sont pas écrasés par les petits boulots payés 20€ par jour, ils peuvent, et ils sauront encore sauvegarder notre culture du chant populaire, sinon…”

Le chant populaire, c’est aussi ces petits orchestres, un bouzouki, une guitare et deux voix qui se reproduisent sur les terrasses des tavernes, et ce n’est pas tout à fait qu’un phénomène touristique. Le gagne-pain a conduit de bien nombreux musiciens à se reproduire dans les bistrots à défaut d’autres possibilités, à part cela… “Athènes, c’est le nouveau Berlin”, pauvres villes !

Musique populaire et taverne. Athènes, mai 2018
Athènes… nouveau Berlin
Animal adespote. Athènes, mai 2018

Dieu merci, la musique populaire est encore vivante, et les pluies des dernières heures ont causé des dégâts à Athènes et en Thessalie. Après-tout, les Grecs ne sont plus de la dernière pluie paraît-il. Les Chinois non plus, et c’est peut-être pour cette raison que le bien officiel “Bureau d’information pour les ressortissants Chinois”, vient d’ouvrir ses portes récemment au centre-ville.

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, nos touristes et les badauds, Chinois compris, s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Un peu plus loin, dans un quartier périphérique, certains Grecs accrochent sur un mur d’un trottoir étroit sacs et chaussures destinés à être aussitôt récupérés par les encore plus pauvres. Ailleurs, les francophones du… Temple de l’hybris, iront prétendre qu’un certain avenir… alors brûlant leur appartient, poids du monde !

Bureau d’information pour ressortissants Chinois. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Avenir… brûlant. Athènes, mai 2018

Pluies passagères au beau pays des plages et des ruines de toute sorte. D’après une récente étude du de l’universitaire Sávvas Robolis, avec l’introduction des réductions à venir pour 2019-2020 concernant les retraites que SYRIZA a signé entre 2015 et 2016, la pension mensuelle moyenne, qui est actuellement à 722€, tombera à 480€, et si en plus l’abaissement du seuil d’imposition mesure également adoptée, est alors appliquée en 2020, la pension nette moyenne, celle des retraités en Grèce sera de 450 euros.

C’est dans cet esprit, que le professeur Robolis estime qu’il sera alors très difficile de survivre pour cette catégorie de la population, surtout gardant à l’esprit que, selon les données officielles, déjà 48% de la population grecque, soit 5,1 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire, 382 euros par mois. Et sur ce 48%, il y a 1,5 million de personnes qui vivent dans une extrême pauvreté, soit moins de 182 euros par mois, Sávvas Robolis, mars 2018.

L’horizon depuis les plages pour les uns, nos cormorans, nos animaux adespotes qui nous observent derrière nos fils de fer barbelés et autres clôtures civilisationnelles, le poids du monde en réalité pour tous et surtout pour la majorité écrasante et écrasée.

Nos animaux adespotes. Athènes, mai 2018
Nos oiseaux marins. Attique, mai 2018
Nos plages. Attique, mai 2018

Les manifestants de ce 1er mai plus dispersés que jamais sont rentrés chez eux, Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté aussi les lieux de l’Acropole, car la pluie est alors de retour à Athènes.

Un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Animaux adespotes. Athènes, mai 2018
* Photo de couverture: L’homme… fardeau. Athènes, mai 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

La mesure du déclin grec

La mesure du déclin grec par Costas Lapavitsas 

Les perspectives économiques de la Grèce sont devenues bien meilleures après dix années de pertes, a annoncé Wall Street dans un vaste article le 24 avril. Il y a, enfin, une attente de croissance pour le pays. C’est parce qu’une série d’hommes d’affaires grecs optimistes, jeunes et vieux, a dit au journal réputé que les choses évoluent et que les conditions s’améliorent.

Vous vous demandez, sont-ils en train de lire les articles eux-mêmes? Pourquoi y a-t-il un diagramme dans l’article qui dit exactement le contraire. Et c’est beaucoup plus précis que les impressions de certains entrepreneurs de leur lieu de travail.

Le graphique compare l’économie de la Thaïlande (en bleu), de l’Argentine (en jaune), des États-Unis (en gris) et de la Grèce (en rouge). Les quatre pays ont connu des crises historiques profondes: la Thaïlande après 1996, l’Argentine après 1998, les États-Unis après 1929 et la Grèce après 2007. Il semble que le cours de chaque pays après le début de la crise, et en particulier sa profondeur ( combien le PIB a diminué) et combien de temps il a gardé.

Que nous montre la comparaison historique?

La crise la plus profonde a été celle des États-Unis, la fameuse crise de l’entre-deux-guerres, lorsque le PIB américain a chuté de plus de 35%. Notez que la reprise a commencé après environ 36 mois lorsque les États-Unis ont abandonné la règle d’or et ont sous-estimé le dollar. Après six autres années, ils ont réussi à compenser les pertes.

La crise la plus superficielle de la Thaïlande à la fin des années 90 a été causée par le déficit du compte courant et la contraction des flux de capitaux qui ont dévalué la monnaie. La contraction a été d’environ 15%, la reprise a commencé après un an et demi, et dans trois ans et demi, le pays a reconstitué les pertes.

Le suivant était la crise argentine. Tu te souviens d’elle? Ce pays où les mémorandums des premières années de notre propre crise disaient qu’il était détruit parce qu’il avait fait cesser les paiements et laissé sa monnaie sous-estimée? Le pays dont l’exemple devrait être évité avec tous les sacrifices en appliquant fidèlement les mémorandums dans l’euro? Le rétrécissement était d’environ 28% à son pire point.

Mais attention un peu mieux. Au cours des 36 premiers mois depuis le déclenchement de la crise, la ligne jaune se rapproche constamment de moins 10%. Pendant ce temps, l’Argentine appliquait fidèlement le programme judicieux du FMI et son économie était en constante détérioration. À 36 mois, il a cessé de payer et dévalué la monnaie. La crise s’est intensifiée et a atteint son point le plus dur après environ un an. Mais alors il a commencé à se développer rapidement et dans les trois prochaines années, le pays avait couvert toutes les pertes. C’était la « destruction » de l’Argentine.

Grèce

Nous allons maintenant en Grèce, le pays qui a juré et mis en œuvre de façon discrète le programme des prêteurs et le FMI. Le pays où les possesseurs et les possesseurs n’ont pas trouvé le courage de faire une action indépendante.

Le rétrécissement était d’environ 28% et il a fallu plus de cinq ans pour y arriver, c’est-à-dire en 2013. Mais ce qui est encore plus frappant, c’est que les cinq prochaines années n’ont pas amorcé une reprise substantielle. L’économie grecque est caractérisée par une stagnation complète. De ce point de vue, il ne fait aucun doute que la crise grecque est la pire de toutes.

Il est vrai que l’économie ne rétrécit plus et que certains secteurs, notamment ceux liés au tourisme et aux exportations, connaissent de meilleures conditions. Mais les impressions de certains entrepreneurs ont peu d’importance dans l’ensemble. La reprise de 2017 n’était que de 1,4% et est difficile à voir à l’œil nu.

Aucune donnée macroéconomique ne montre qu’il peut y avoir une accélération substantielle de la croissance à partir de maintenant, même si le gouvernement grec le dit. Ni l’investissement, ni la consommation, ni l’emploi, ni les exportations qui n’ont absolument aucune capacité à se développer massivement et à embrouiller l’ensemble de l’économie.

Le pays est dans un bourbier historique. Il ne pourra pas compenser la perte de PIB pour de nombreuses années à venir. C’est le véritable honneur d’accepter le programme des prêteurs et de rester à l’euro à tout prix.

C’est une catastrophe sociale car, bien sûr, les pertes de PIB se traduisent par une génération perdue de personnes et une désorganisation du tissu productif. C’est aussi une catastrophe nationale parce que la vraie force des pays repose sur leur force économique. Quiconque se demande comment le ratio PIB grec / turc a maintenant atteint 1 à 4,5, regardons le graphique.

Enfin, il s’agit de la banqueroute historique de l’élite grecque, une couche sociale lâche et exilée qui ne s’intéresse qu’à ses propres intérêts et n’a aucune vision pour le pays. Une couche qui a pris soin de transférer le coût de la crise au monde du travail et aux petites et moyennes strates. Dans cette élite correspond également le système politique grec complètement échoué.

Wally Strait Gernal a démontré par inadvertance l’ampleur du déclin historique qui menace notre pays.

Appauvris par les memoranda, les Grecs vont perdre tous leurs biens

Les emprunts non performants, la situation du parc immobilier en Grèce et les saisies des résidences principales

30 avril par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis CADTM 


Grèce : protestations citoyennes contre les enchères électriques de résidences principales. CC DenPlirono

 

L’étau se resserre sur les Grecs. Appauvris par les mesures d’austérité imposés par trois memoranda, ils doivent désormais se battre pour conserver leurs maisons, menacées par les emprunts hypothécaires non performants. Contractés avant la crise et les 25% de réduction du PIB, souvent dans des termes léonins, ces emprunts ne peuvent plus être honorés après des pertes d’emploi ou des baisses des revenus dépassant les 40%.

 

La situation du parc immobilier en Grèce

En Grèce, pendant de nombreuses décennies après la seconde guerre mondiale, l’achat d’un bien immobilier constituait pour la plupart des ménages la seule manière à long terme de faire des économies susceptibles d’échapper à l’inflation. La plus grande part de la richesse des Grecs a longtemps été placée dans l’immobilier et en particulier dans leur résidence principale, qui constituait traditionnellement un moyen d’assurer leurs vieux jours, en l’absence de prestations d’un État social inexistant même avant la crise. D’après différentes études, en 2002 le patrimoine des foyers grecs étaient constitués à 81,8% de biens immobiliers, à 17% de dépôts et seulement à 1,2% d’actions. Les Grecs sont propriétaires de leur habitation à 80,1%, le deuxième taux le plus élevé, après l’Espagne, de l’ancienne Union européenne des « 15 ». Dans les régions agricoles ce pourcentage atteint même les 97% contre 73,5% dans les zones urbaines [1].

Le recensement d’Elstat de 2011 [2] annonçait 6.4 millions de logements privés pour un total de 3.66 millions de foyers, et ainsi 2.5 millions de logements vacants. En comparaison, le recensement de 2001 faisait apparaître 5,4 millions d’habitations privées, dont 1,4 millions d’habitations vides [3].

Cette augmentation importante du parc des logements en 10 ans explique et reflète le boom des emprunts hypothécaires suite à l’annonce début 2005 par l’État grec que la TVA s’appliquerait à partir du 1er janvier 2006 sur tous les chantiers du bâtiment, jusque-là épargnés. C’est le moment où de nombreux foyers ont contracté des emprunts immobiliers pour construire précipitamment, avant l’application de la TVA sur le bâtiment, jusque-là exempté [4]. Déjà l’entrée dans la zone euro avait entraîné une importante hausse du coût de la vie et de nombreuses familles recouraient aux emprunts à la consommation ou à des jongleries avec leurs cartes bancaires, multipliant les virements d’une carte à l’autre pour alimenter successivement plusieurs comptes bancaires. La plupart de ces dettes de cartes bancaires se sont transformées en nouveaux prêts de consommation à des taux de 6 à 8 %, après « arrangements » dans la période 2012-2014.

C’est aussi le moment où les grandes banques étrangères (avec en premier la Société Générale et la Deutsche Bank) ont déversé sur le marché bancaire grec leur surplus de liquidités, permettant aux banques grecques dont Eurobank de distribuer des emprunts hypothécaires et à la consommation, à un taux que les marchés français et allemand ne permettaient plus. Ceci sans aucune régulation par l’État grec. Les bases étaient jetées pour la crise qui s’en est suivie, qui est d’abord une crise de l’endettement privé, comme l’a bien montré la Commission pour la vérité sur la dette grecque [5].

Des recapitalisations importantes et une réorganisation du marché bancaire grec ont abouti à sa concentration au bénéfice de quatre banques principales, Alpha Bank, Ethniki (Banque Nationale de Grèce), Peiraios (Banque du Pirée) qui avait racheté en 2013 les trois banques chypriotes en faillite et la partie assainie de la Banque agricole Agrotiki, et détient donc les hypothèques des terrains agricoles, et Eurobank. Ces quatre banques ont par ailleurs développé des activités dans l’immobilier à travers des filiales spécialisées.

En 2010, à l’annonce du premier mémorandum, la Grèce entière avait regardé avec incrédulité Yiorgos Papandréou, alors premier ministre, expliquer devant les caméras que le gouvernement, après avoir appelé le FMI à la rescousse, s’efforcerait à ce que soit maintenu au moins un salaire ou un revenu dans chaque famille dans les difficiles années à venir. La Grèce venait de traverser une décennie glorieuse avec l’entrée dans l’euro et les jeux olympiques de 2004 ; cette « prédiction » sonnait particulièrement faux, et tout le monde s’était regardé en s’interrogeant sur la santé mentale ou du moins sur les motifs de l’étrange prédiction – inquiétante – du premier ministre de l’époque. Or les memoranda qui se sont succédés depuis 2010 ont provoqué des baisses de revenus ou même des pertes totales pour de nombreux foyers quand le chômage s’est installé – avec des pertes de revenus qui ont dépassé les 40%. Pour une famille moyenne, même si l’on garde un emploi, il fallait désormais revoir les dépenses mensuelles, et nombre de gens ont été obligés d’opérer un choix entre manger à leur faim, nourrir leurs enfants et rembourser leurs emprunts dont les taux étaient d’ailleurs relativement élevés : de 7 à 13%.

En outre, de nouveaux impôts ont été instaurés, comme l’impôt sur les constructions (ENFIA) ou les impôts de solidarité qui frappent aussi les retraités pauvres et les employés. Aussi au bout de sept années de crises et de memoranda, les familles ont eu de plus en plus de mal à rembourser leur emprunt, contracté avant les pertes.

Après des années de crise financière et de récession, les banques grecques sont lestées de 103 milliards d’euros de créances douteuses, soit environ 60% du produit intérieur brut du pays [6]. Dans la perspective des crash tests bancaires imposés par la BCE lors du premier trimestre 2018 et confrontées à des créances douteuses qui atteignait 46,7 % de leurs actifs [7] au troisième trimestre 2017, les banques grecques ont trouvé à s’en débarrasser coûte que coûte en les revendant à des fonds d’investissements financiers spécialisés.

Les fonds vautours s’emparent des prêts hypothécaires grecs non performants

Les quatre banques grecques ont négocié la vente à prix cassé de leurs créances douteuses ou crédits non performants (Non Performing Loans NPL) à des fonds d’investissement étrangers. Ces Non Performing Loans sont constitués principalement d’emprunts à la consommation, de cartes bancaires et de prêts à des petites ou très petites entreprises qui ne sont plus honorés par les débiteurs en cessation de paiement depuis plus de trois mois – pour la Grèce, souvent depuis plus longtemps.

– Eurobank a vendu en septembre 2017 ses créances toxiques d’une valeur de 1,5 milliards d’euros, à un fonds suédois spécialisé, Intrum Justitia AB (Intrum). Le prix de rachat (45 millions d’euros) a représenté environ 3% du capital dû à Eurobank.

– La Banque du Pirée va échanger contre 2 milliards des créances douteuses d’une valeur de 2,5 milliards d’euros. Plus précisément, elle va vendre des créances NPL d’une valeur de 2,3 milliards pour 400 millions d’euros, et recevoir 1,6 milliards pour 700 emprunts NPL contractés par 120 entreprises.

– La Banque Nationale Ethniki annonce par l’intermédiaire de Morgan Stanley qui la conseille qu’elle s’apprête à céder ses créances NPL, d’une valeur initiale de 2 milliards, atteignant 5,2 milliards avec les intérêts pour 1 milliard d’euros. Ces créances concernent 200 000 emprunteurs, pour des prêts à la consommation (1,1 milliard), des cartes de crédit (500 millions) et des prêts aux petites entreprises (environ 400 millions d’euros). À noter que dans le cas d’Ethniki, la majorité des cessations de paiement remontent à environ 7 ans pour des dettes d’un montant moyen estimé à 10 000 d’euros. La banque précise que la vente des créances douteuses a été précédée par une proposition de règlement faites aux clients dans le cadre du code de déontologie, généralement faites par téléphone, et ne concerne pas « ceux qui ont répondu aux offres d’arrangement ».

– À son tour, Alpha Bank a annoncé fin janvier 2018 la vente pour 1 milliard d’€ de ses prêts non performants NPL d’une valeur de 3,7 milliards (2 milliards plus les intérêts) [8].

Ces cessions risquent d’exclure définitivement tout espoir d’arrangement de leurs dettes hypothécaires pour les ménages en rupture de paiement, qui gardent jusqu’à fin 2018 le faible espoir d’un recours juridique offert par la loi Katseli-Stathakis.


Les enchères électroniques pour dettes, une exigence des créanciers

Les saisies par les banques sur les biens mobiliers et immobiliers des particuliers se sont concrétisées après l’organisation des enchères sur internet. La tenue des enchères avait été jusque-là empêchée par des protestations citoyennes, occupations d’Études notariales, etc., que le procédé des enchères en ligne est supposé contourner.

Pour se convaincre de l’« efficacité » de l’État grec, les créanciers demandent pas moins de 7000 enchères électroniques d’ici la fin août 2018, soit environ 1000 enchères par mois, à doubler pour les trois mois suivants pour atteindre un total requis de 13 000 adjudications à la fin de l’année [9].

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                                   protestation contre la mise aux enchères par l’administration
Un vaste mouvement de protestations citoyennes, qui s’étend sur toute la Grèce depuis plus d’un an, s’oppose physiquement à la tenue des enchères, en coopération avec la majorité des associations de notaires, concernés par les dégâts sociaux impliqués, qui ont contribué à bloquer les adjudications en refusant d’y procéder jusqu’à la fin de l’année 2017. En face, les banques et une minorité de notaires opportunistes pressés de procéder à des enchères s’alignent derrière le gouvernement, qui cède aux pressions des créanciers avec force propagande contre les opposants et en promouvant l’ouverture des enchères qui vont menacer les biens des couches les plus appauvries de la société grecque. Les luttes pour le logement en Grèce ont à peine commencé.


Les résidences principales tombent entre les griffes de l’Agence Autonome des Recettes Publiques

Pire, trois ans après l’élection de janvier 2015 qui a porté Tsipras et Syriza au pouvoir sur un programme de sortie de l’austérité et des memoranda, seule possibilité pour la Grèce de retrouver sa souveraineté, la loi mammouth votée début janvier 2018 prévoit la saisie et la mise aux enchères des biens privés envers l’administration pour dettes supérieures à 501 €. À noter que tant le FMI que le gouverneur de la BCE, Mario Draghi lui-même, font des saisies en ligne une condition sine qua non pour la 4e évaluation qui conditionne le 4e et dernier versement. La même loi prévoit que les protestations contre les mises aux enchères qui en ont empêché jusque-là la « bonne tenue » seront pénalisées par des peines d’emprisonnement ferme de 3 à 6 mois.

Si les résidences principales des gens les plus modestes étaient jusque-là protégées de l’appétit des banques par un arsenal législatif (loi Katseli revue, durcie mais étendue jusque fin 2018 par la loi Stathakis [10]), les nouvelles mises aux enchères prévues au bénéfice de l’Autorité Autonome des Ressources publiques, qui a remplacé le service des impôts et des douanes, ne sont soumises à aucune restriction. Ainsi dès février 2018, des résidences principales ont été mises aux enchères sur une plate-forme digitale, concernant indistinctement riches fraudeurs ou petits entrepreneurs ruinés qui ne peuvent plus payer les cotisations, petits propriétaires retraités pauvres ou chômeurs qui ne peuvent plus faire face à leurs taxes.

En effet, le nombre des contribuables qui ne peuvent plus faire face à la pression fiscale augmente de manière proportionnelle à la progression du taux de pauvreté, résultant des réformes imposées par les créanciers depuis 2010.

Petit à petit, même le paiement de factures domestiques est devenu difficile. En effet la hausse des impôts et le démantèlement des services publics comme l’électricité, l’eau courante et le gaz, et la surtaxation cumulée (TVA sur la somme finale qui contient déjà 15% de taxe…) ont abouti à des hausses exponentielles des factures. Résultat, il n’est pas rare que des factures d’électricité ou d’eau s’élève à 700 ou 1000 euros, causant un déséquilibre durable sur un budget familial serré. 30% des clients de DEI [11] l’entreprise encore publique d’électricité sont en rupture de paiement et les coupures d’accès à l’électricité se multiplient.


Les Grecs, otages fiscaux des créanciers et du gouvernement

En un mois entre septembre et octobre 2017, les contribuables débiteurs d’une échéance non honorée auprès de l’administration des impôts grecs avaient augmenté de 9,6%, ce qui démontre l’épuisement du système fiscal grec.

En octobre 2017 plus de deux tiers de l’ensemble des 6.100.000 contribuables ayant déposé une déclaration d’impôts avaient des dettes envers les impôts. En effet, les impôts non payés s’élèvent à 10,87 milliards d’euros pour la seule année 2017, avec une nouvelle ardoise de 1,27 milliard d’euros pour le mois de décembre [12]. Au total, près d’un million de cas de saisies sur les dépôts bancaires et sur les propriétés immobilières ont touché les contribuables grecs en 2017. D’après les éléments donnés par l’Agence des Recettes, l’ensemble des saisies a atteint 991.392 fin octobre 2017 contre 971.508 en septembre de la même année. Cette augmentation de 19.884 saisies en un mois signifie que l’Agence des Recettes a fait plus de 500 nouvelles saisies par jour [13].

Le gouvernement prétend que seuls les « mauvais payeurs » seront concernés par ces mises aux enchères, mais fin 2017, Euclide Tsakalotos, le ministre des finances et principal négociateur avec les créanciers, expliquait que « nombre de ménages s’ils ont vu leurs revenus baisser, en conservent un néanmoins mais choisissent de ne pas donner la priorité au remboursement de leur prêts bancaires ou au paiement de leurs impôts ». Ce discours justifie les mesures dictées par les créanciers au nom de « la lutte contre la culture du non-paiement », censée caractériser particulièrement les Grecs [14]. Or les créances douteuses n’étaient que de 5,5% du total des créances privées en 2008, passant à 7% en 2009 pour exploser à partir des memoranda à 45,9% de l’ensemble des créances en 2016, neuf fois plus que la moyenne de l’UE (5,1%). [15]

Tout l’esprit des memoranda tient en ces mots : pour justifier les mises aux enchères des habitations principales par l’État grec, il suffisait d’élargir la notion de mauvais payeur systématique à de plus larges couches de la population, de même que la baisse du seuil de pauvreté, indexé sur le salaire minimum réduit de 751 € en 2009 à 586 € en 2011, a rendu un peu moins dramatiques les statistiques sur la néo-pauvreté des Grecs. Et de même que la dette publique a justifié la mise à l’encan des biens et services publics grecs, les dettes privées justifient désormais les saisies des biens privés.
Ainsi 2,3 millions de contribuables (sur un total de 11 millions d’habitants en Grèce) avec des dettes s’élevant jusqu’à 2000 euros risquent de perdre leur bien immobilier parce que la chute de leur niveau de vie les précipite dans l’incapacité de payer.

Pour les mois de janvier et février 2018, l’Agence Autonome des Recettes du Public a enregistré un nouveau record d’impôts non payés de 2,6 milliards supplémentaires pour ces seuls deux mois, faisant explosant la dette totale des contribuables à 101,6 milliards d’€, dont 87,6 milliards possiblement recouvrables (c’est-à-dire correspondant à un endettement depuis moins de dix ans).

Les vrais mauvais payeurs et champions de l’évasion fiscale révélés par la liste Falciani (dite « Lagarde ») continuent, eux, à dormir d’un sommeil que rien ne vient troubler. Dans les commentaires de Poul Thomsen, responsable du secteur Europe pour le FMI lors de sa session de printemps en avril 2018, on voit se profiler au nom d’une « meilleure répartition fiscale au bénéfice des investissements », une nouvelle baisse du seuil de non-imposition, qui va soumettre de nouvelles tranches des classes moyenne et populaire [16] à la toute-puissance de l’Agence Autonome des Recettes du Public, transformée en shérif des créanciers.

Merci à Anouk Renaud et Éric Toussaint pour leur relecture attentive.

Notes

[4Cette loi N.3427/2005 a été signée par les ministres Alogoskoufis (Économie et Finances), Sioufas (Développement), Voulgarakis (Intérieur), Panayiotopoulos (Travail et Solidarité Sociale) et Papaligouras (Justice)[[https://www.taxheaven.gr/laws/law/index/law/11

[10La loi Katseli de 2010 prévoyait une protection des résidences principales face aux requêtes de saisie des banques pour impayés, en accordant un recours judiciaire pouvant aboutir à une tonte de la dette et à un règlement pour le remboursement du reste dû. La loi Stathakis de 2015 a confirmé cette loi en en raccourcissant le délai d’examen en justice et en étendant sa protection aux dettes envers les impôts, les caisses d’assurance, les collectivités locales et les organismes privés (banques). Elle établit aussi un seuil bancaire en dessous duquel il n’est pas possible de saisir un compte particulier et un « seuil minimum de survie » (entre 537 et 682 € pour un adulte célibataire, entre 1347 et 1720 € pour un couple avec deux enfants, etc). http://www.daneioliptes.com/web/10-αλλαγες-στο-νομο-κατσελη/

[12Ergasianet Φορο-εξάντληση : Στα 10,87 δισ. ευρώ οι απλήρωτοι φόροι το 2017 25-01-2018

[14Les Grecs dont une expression favorite est : « Je ne veux rien lui devoir » – qui explique aussi la générosité ostensible de l’hospitalité grecque.

Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Documentariste, essayiste et traductrice du grec moderne, permanente au CADTM.

Source http://www.cadtm.org/Appauvris-par-les-memoranda-les

Patrie flottante La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Patrie flottante

Journées ensoleillées, estivales. Premières baignades de la saison. Décidément, le bonheur ultime aura la mort dure en ce pays. Les touristes, venus disons pour l’Acropole et le soleil, rencontrent parfois ces Grecs qui leur expliquent comment et combien il est urgent que… Jésus de Nazareth puisse alors sauver leur patrie. Qu’en est-il finalement entre le pays visitable et le pays réel ? Symboles déjà du Sud, “là où les doigts de l’homme avec cette maladresse qui ne mentent jamais, osèrent jadis modeler la matière”, comme l’écrivait, mais il y a déjà un moment le poète Odysséas Elytis.

Symboles… du Sud. Athènes, avril 2018

Certains medias rappellent alors en cette journée, le 27 avril 1941, moment précis où l’armée allemande était entrée dans Athènes. “Ce dimanche matin du 27 avril 1941, Athènes s’est réveillé brusquement. Toute la nuit, la ville a été secouée par des explosions de nombreux dépôts de munitions, ils ne devraient pas tomber entre les mains des Allemands. Enfermés chez eux, les Athéniens attendaient avec angoisse et anxiété l’arrivée des envahisseurs. Entre mauvais pressentiment et grande émotion, les fenêtres fermées, les athéniens suivaient la situation en écoutant leur radio encore libre.”

“Dans sa tentative à donner du courage aux Athéniens endeuillées, le speakeur de la station radio avec sa voix nasale bien distinctive, Konstantinos Stavrópoulos, diffusait alors les dernières phrases libres encore perçues depuis son poste: Ici Athènes et sa radio encore libre, pas pour bien longtemps… Grecs ! Les envahisseurs Allemands sont aux extrémités d’Athènes. Frères ! Gardez bien l’esprit du front au plus profond de votre âme. L’envahisseur pénètre dans notre ville désertée, aux fenêtres fermées avec toutes les précautions. Grecs ! Haut les cœurs !”

Pays paisible, adespote du “Parlement”. Athènes, avril 2018

Pays paisible. Devant sa vitrine. Athènes, avril 2018

Mémoire et alors symboles du Sud, lesquels… parfois nous surveillent il faut dire bien d’en haut ou de loin. Du pays paisible au pays pesant il n’y aurait visiblement qu’un bien maigre pas. “La capitale grecque mérite mieux qu’un quart d’heure sur l’Acropole et quelques clichés sur ses embouteillages. Pour qui sait flâner, elle cache des recoins insoupçonnés. Cité rebelle, branchée, balnéaire, nous sommes partis (re)découvrir Athènes…”, écrit le quotidien “Libération” dans un beau texte touristique, et cependant de semi-propagande.

Athènes, la supposée belle du jour, dissimule pourtant mal sa dystopie ambiante façon entre-deux-guerres. D’ailleurs, sans trop deviner de ce que ces nouvelles guerres en cours sont-elles ou seront-elles faites concrètement. En attendant, c’est parfois une certaine mémoire historique qui nous est rappelée, comme par exemple ces derniers jours en plein centre-ville, le génocide du peuple Arménien, perpétué par la Turquie entre 1915 et 1916, ayant débuté très précisément le 24 avril 1915.

Dystopie ambiante. Athènes, avril 2018

Arméniens et mémoire du génocide. Athènes, avril 2018

Arméniens et mémoire du génocide. Athènes, avril 2018

Boycott des produits turcs. Athènes, avril 2018

Les Arméniens de Grèce rappellent alors que ce génocide a fait près 1,5 million de victimes dans la population arménienne de l’empire turc, ainsi que plus de 250 000 dans la minorité assyro-chaldéenne des provinces orientales et 350 000 chez les Pontiques, orthodoxes hellénophones de la province du Pont. Ce n’est pas… rien. Ainsi, la piètre géopolitique actuelle des réelles ou supposées grandes Puissances dans cette même région du monde un siècle après, n’aura presque plus à rougir, comparée aux tristes faits et gestes du passé d’il y a un siècle.

La Turquie d’Erdogan multiplie actes de guerre et provocations envers les peuples et les pays voisins, et depuis Athènes… on baigne très exactement dans cette géopolitique alors… de proximité. Non loin de la place de la Constitution où les comités des Arméniens ont installé leurs stands, c’est sur la place de l’Académie toute proche, que les comités des Kurdes ont installé les leurs, histoire de rappeler toute la gravité de l’invasion de la l’Armée turque à Afrin. Dans Athènes depuis peu, on y découvre également ces autocollants, incitant les Grecs comme les touristes à boycotter les produits turcs. Culture… de guerre ? Sauf que dans la vraie vie, les humains aspirent parfois, et fort heureusement, à la paix… comme autant à leur bout de soleil. Ainsi, les beaux quartiers de la Riviera d’Athènes sont depuis 2016 la destination de choix pour de très nombreux citoyens turcs, modernes, aisés et souvent Stambouliotes. Ils s’y installent avec leurs familles pour être visiblement plus que bien accueillis par les Grecs. La piètre géopolitique n’est sans doute pas la seule issue pour ce monde… de la proximité humaine. Espérons-le en tout cas.

Touriste à Athènes. Avril 2018

Touristes sur l’Acropole. Athènes, avril 2018

Touristes à Athènes. Avril 2018

Sauf que la proximité, voire la promiscuité, n’est pas forcément ni toujours bon signe… Sous la pression de la récente nouvelle augmentation des flux migratoires depuis la Turquie, la situation devient alors insupportable et cela pour tous. Mytilène, capitale de l’île de Lesbos de 27.000 habitants, explose actuellement sous la pression d’une population d’ailleurs autant asphyxiée de 10.000 migrants.

Durant près de cinq jours, certains migrants, Afghans pour l’essentiel, avaient occupé la place centrale sur le port de Mytilène revendiquant entre autres le droit d’asile, tout comme la possibilité de pouvoir circuler librement à travers le pays.

Rajoutant au chaos ambiant, la police, c’est à dire le gouvernement et ses ordres, n’a pas voulu faire évacuer la place et la situation s’est envenimée dans la nuit de dimanche à lundi derniers, lorsque des habitants excédés, et aussi des Aubedoriens, ont littéralement attaqué les occupants de la place. La police alors s’est interposée entre les deux… réalités bien âpres, une police il faut dire plutôt bienveillante vis-à-vis des assaillants.

Nuit du 23 avril à Mytilène (presse grecque)

“C’est une nuit que nous ne devons plus revivre”, rapporte en effet la presse locale, quotidien “Embrós” de Lesbos, le 24 avril 2018. Finalement, les migrants ont été évacués et même interpellés par les forces de l’ordre, et le calme est revenu après pratiquement toute une nuit chaotique, où, ce n’est que par chance que nous n’avons eu à déplorer aucune victime.

La presse autorisée, s’est souvent contentée de rapporter les faits sous le seul angle d’une action initiée par de groupes fascisants, certes provocante et dangereuse. L’épineuse vérité cultivée depuis le terrain grec, c’est que la population grecque ne peut plus supporter la présence accrue et incontrôlée de tant de migrants, livrés il faut dire en partie à eux mêmes avec tout ce qu’une telle évidence peut signifier. C’est alors ainsi que les Aubedoriens peuvent et pourront encore… agir, même si dans leur immense majorité les Grecs ne se sentent pas proches des idées prônées par l’ancien groupuscule mué en parti politiqué parlementaire depuis seulement le moment troïkan de la Grèce.

Cela étant dit, le repli identitaire grec est plus qu’évident, pour la plus grande majorité des Grecs, le sentiment patriotique défensif domine désormais les mentalités, et c’est justifié. Leur pays concret et leur existence se perdent ainsi d’en haut comme d’en bas, leur avis n’est jamais sollicité, les dites réformes, l’austérité, la Troïka initiatrice des lois, le référendum bafoué, la surimposition, la destruction des lois sociales existantes, puis en même temps les flux migratoires incontrôlés, et les biens publics bradés… entre autres, c’est sans doute trop.

Manifestants, Athènes, semaine du 22 avril (presse grecque)

Affiche, Marxisme et 50 ans depuis mai ’68. Athènes, avril 2018

Affiche de gauche. Athènes, avril 2018

Accessoirement, et en dépit des affiches parfois heureuses du centre-ville, la gauche grecque et d’ailleurs sous toutes ses formes, elle est bien morte, ceci bien exactement depuis l’avènement de la “gouvernance” SYRIZA. “Le système est pourri, sauf que nous, nous le sommes bien davantage”, peut-on ainsi lire sur un mur d’Athènes en ce moment.

Dernier acte en date, le démantèlement et la mise en vente de la Compagnie Publique d’Électricité (DEI), déjà certaines unités de production de lignite au nord du pays, les mieux rentables seront prochainement vendues d’après la dernière loi que ceux de SYRIZA/ANEL ont fait adopté cette semaine au sein du “Parlement”.

Les électriciens, tout comme les retraités et ceux du personnel hospitalier ont certes manifesté place de la Constitution le même jour cette semaine, mouvements cependant et alors grèves ne sauvant même plus l’honneur à vrai dire. L’avis très actuel du journaliste et dessinateur de presse Státhis Stavrópoulos (issu d’ailleurs des rangs de la gauche) est sans appel:

“Tsipras n’a pas laissé un seul crime que ses prédécesseurs avaient pu commettre, sans le poursuivre, et même le parfaire. Continuateur dans cette même voie, il massacre les retraites, il disloque le travail, il brade la Grèce, il en rajoute dans la vassalisation du pays, il crucifie la Constitution, il pousse la jeunesse à quitter le pays pour l’étranger.”

“Le système est pourri…” Athènes, avril 2018

Illusions. Athènes, avril 2018

Réalités. “J’achète immobilier cash”. Athènes, avril 2018

“Et nul besoin que d’être fou pour ainsi nous rendre tous malades. Il suffit comme pour Tsipras, que d’être dévergondé, amoraliste, cynique et menteur. Et comme en plus il incarne cette parfaite marionnette des Puissants, la mayonnaise alors elle prend bien, et aujourd’hui il nous dira alors qu’il s’agit du Socialisme plus l’électricité d’où la vente de DEI”.

“Tsipras a ainsi offert aux Puissants, Grecs comme Occidentaux, le meurtre de la Gauche. Même dans leurs rêves les Puissants, ici comme en Occident, ils n’auraient imaginé qu’un simple valet nommé Tsipras leur aurait offert la tête coupée du pays sur un plateau, telle Salomé réclamant la tête de Jean-Baptiste. Le tout, contre des miettes pour le peuple grec et autant, contre trente pièces d’argent pour cette clique qui se prétend alors de gauche.”

“Je ne sais plus quel cerveau doit avoir un type comme Tsipras, lorsqu’il croit qu’il est possible de laver le mensonge par le sang. Et même ceux qui quittent en ce moment le navire Tsipras ne sont guère meilleurs que lui, ils sont même pires. Sans Tsipras, ils seront jetés dans le ravin, mais c’est autant dans ce même ravin qu’ils vont être jetés en restant à ses côtés” Státhis Stavrópoulos, le 26/04/2018. Très beau pays à ses inimitables… animaux adespotes. Nos nombreux touristes, parfois en airbnbistes convaincus ne liront certainement pas Státhis, comme ils ne remarqueront que rarement, cette expression du malheur bien profond qui se lit pourtant sur les visages des travailleurs du pays, vieux d’ailleurs, comme autant chez les plus jeunes. D’après Eurostat de cette semaine, 21% de la population en Grèce n’arrive pas à faire face aux besoins essentiels, et de toute l’Union Européenne, c’est seulement la Bulgarie et son peuple qui sont encore plus paupérisés que les Grecs, presse grecque de la semaine du 22 avril 2018.

Petit et vieux commerçant. Athènes, avril 2018

Travailleurs. Athènes, avril 2018

Touristes. En Attique, avril 2018

Animal adespote. Athènes, avril 2018

C’est déjà le prélude de l’été et ainsi celui des premières baignades. Dans les parcs ceux qui aiment s’occupent des animaux adespotes, non loin de certaines églises où les cultes et les usages anciens ont été récupérés pour les besoins de la seule modernisation chrétienne d’il y a près de mille ans. Coquilles culturelles ainsi vidées en leur temps, autant que de nombreuses idéologies et même théologies héritées des Lumières comme des deux siècles précédents et précurseurs en ce moment.

Plus terre-à-terre, les Grecs savent désormais que le temps des droites et des gauches ne sera plus, en tout cas plus comme avant, les sondages tournent alors à vide, même si le non-avenir par la dystopie promue comme… prometteuse passe et passera encore par le pseudo-système parlementaire. Celui en Grèce que les Syrizistes ont ainsi achevé, avec le dernier espoir via les urnes, referendum compris.

“Patrie flottante”, pays qui navigue, c’est aussi le titre du roman du journaliste Dimitris Papachrístos. Patrie alors flottante qui voyage avec le capitaine Barbagiannis Sitaras, originaire de l’ile de Chios. Un petit café au centre d’Athènes, juste en dessous du Parlement faisant office de passerelle pour son capitaine lequel voyage sans cesse les yeux fermés devant le spectacle du monde entier. Il a vécu la mort de son enfant aux États-Unis, et ensuite à Athènes, le suicide de sa femme. Pour le reste, il vit exclusivement à travers ses propres mots et il observe les faits autour de lui sous une allure bien interminable. Sans se laisser décevoir de tout ce qui arrive, tout comme de tout ce qui n’arrive alors pas.

C’est pour le roman la période de 2012, au moment où une partie de la ville avait été brûlée, alors manifestations, incendies, lacrymogènes, puis ce slogan tant braillé par la foule: “Que ce bordel de Parlement soit brûlé”. À partir de ce temps actuel, la patrie flottante navigue autant à travers l’histoire, ayant comme mât la mémoire, résistant aux vagues et au temps, et aussi devant toute forme de pouvoir. “Un roman qui défend la patrie, pour qu’elle ne s’enfonce pas dans ses propres eux usées, un texte qui défend alors l’homme, pour qu’il ne perde pas son identité en devenant simple numéro”, peut-on lire à travers les nombreuses présentations du livre sur Internet. Temps grecs très actuels.

“Patrie flottante”. Athènes, avril 2018

Prélude de l’été. En Attique, avril 2018

Usages anciens récupérés. Église byzantine à Athènes, avril 2018

Animaux adespotes nourris. Athènes, avril 2018

Journées ensoleillées, on dirait estivales. Premières baignades de la saison, les touristes venus disons pour l’Acropole et le soleil rencontrant parfois ces Grecs qui leur expliquent comment et combien il est urgent que… Jésus de Nazareth puisse peut-être sauver leur flottante patrie !

Les faits politiciens et même l’actualité étant du poison à mithridatiser jusqu’au plus profond de l’humanité restante en nous, nous sommes bien nombreux par exemple à ne plus vouloir accréditer la mascarade des élections futures et de toute sorte. Et il y a comme enfin de l’authentique sérieux, voire grave dans l’air du temps qui est le nôtre. Nos préoccupations s’élèvent ainsi parfois au-dessus de la mêlée, peut-être parce que la bassesse des supposés politiciens est sans précédant, dictature des Colonels comprise, si l’on croit ce que les Grecs pensent de plus en plus haut et fort.

Il fallait en arriver bien là… où nous ne sommes plus, pour qu’enfin, une pièce de théâtre puisse être entièrement consacré à l’œuvre du philosophe Dimitris Liantinis, preuve s’il en fallait, d’une certaine mutation dans les mentalités. Notons que Dimitris Liantinis était ce philosophe grec né en 1942 et disparu volontairement en juin 1998 en se retirant dans une grotte où l’on a retrouvé son squelette en 2005.

L’Académie d’Athènes l’avait couronné pour son livre sur Dionýsios Solomos, le grand poète de l’hymne national grec. Liantinis donc, ce penseur ayant évoqué le rapport dialectique entre les Grecs et Thanatos, la mort, et qui avait également analysé le discours poétique de Georges Séféris, (Prix Nobel de Littérature en 1963).

L’œuvre de Dimitris Liantinis au théâtre. Athènes, avril 2018

Beau pays… flottant et navigable ! Attique, avril 2018

Beau pays… navigable, “là où les doigts de l’homme avec cette maladresse qui ne mentent jamais, osèrent jadis modeler la matière”.

Les touristes, venus disons pour l’Acropole et le soleil, rencontrent parfois ces animaux adespotes, typiquement grecs. Patrie flottante !

Animal adespote. Athènes, avril 2018

* Photo de couverture: Jésus de Nazareth… et la Grèce. Athènes, avril 20

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Le salut du peuple La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Le salut du peuple

Il était une fois, comme bien souvent dans les contes, un Docteur Folamour, sa suffisante doxa et deux autres dirigeants… suiveurs. À cette époque on ne pouvait trouver attitude plus bilieuse sur la terre. Les prétextes, les leurs, ils ont été trouvés, tordus, voire au besoin fabriqués. Leurs missiles, à défaut de véritable mission, ils ont été pour l’essentiel interceptés et détruits avant de toucher le sol. Pauvres gens, piètres dirigeants. Voilà en résumé la vision grecque (non officielle) des événements qui ont frappé la Syrie il y a quelques jours. Et Athènes… c’est en quelque sorte l’Orient !

“Le salut du peuple est la loi suprême”. Athènes, avril 2018

En cette époque où comme bien souvent dans les contes, les… têtes d’âne semblent encore ordonner, on peut lire sur certaines parures de la ville d’Athéna, cette vieille maxime latine “Salus populi suprema lex est(o)”, formule généralement attribuée à Cicéron, et qui peut être traduite par “Le salut du peuple est la loi suprême”, devise également de l’État du Missouri.

Dans les cafés bien grecs, on se moque ainsi largement et volontiers de l’intervention tripartite occidentale contre la Syrie, et même la presse mainstream, en rajoute. “Eh bien voilà; ce n’est pas sans importance que d’autres pays, dont essentiellement l’Italie et l’Allemagne n’ont pas souhaité suivre… l’oncle d’Amérique, à l’exception normale de la Grande Bretagne… et cependant, à l’exception paradoxale de la France. C’est triste…”, fait remarquer Th., mon ami journaliste.

Dans nos chapelles et dans nos églises on célèbre toujours la Résurrection un peu fanée il faut admettre plus d’une semaine après Pâques, façon de parler comme manière de croire si possible, à l’hyperbole bien de notre temps, comme à celle de toujours. Hyperbole en grec, c’est cette une figure de style et autant manière de dire, consistant à exagérer l’expression d’une idée ou d’une réalité. Et pourtant l’espoir y réside toujours on dirait.

On célèbre la Résurrection. Athènes, avril 2018
La… Résurrection. Athènes, avril 2018
L’intervention contre la Syrie. “Quotidien des Rédacteurs”, avril 2018

Il fait beau et chaud en ce moment, et la Grèce est largement couverte de cette fine poussière d’Afrique, c’est aussi de saison. Sous ce soleil maladif, nos habituels badauds scrutent ainsi parfois les journaux, rien que par lassitude, la presse de la semaine a également et largement évoqué la disparition de Yórgos Baltadoros, enfant de la Thessalie montagneuse. Il était le pilote du Mirage 2000-5 de chasse grec qui s’est abîmé en mer Égée près de l’île de Skyros, après avoir participé à une opération d’interception de chasseurs turcs.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, le calendrier crisique grec s’enfonce de plus en plus dans sa géopolitique… finale. Telle avait été, il faut bien dire sa programmation dès le départ, sauf que durant les premières années de la crise, années en somme cruciales… et crucifiées par les charlatans de la Gauche SYRIZA, le peuple croyait que tout aurait pu se résumer en une affaire de luttes sociales. Plus maintenant.

Le pays (se) meurt ainsi dans la beauté, le chaos, la criminalité qui explose, autant qu’à travers cet ultime boom sélectif dans l’immobilier. Les étrangers d’abord, certains Grecs ensuite, ils investissent dans l’hôtellerie de luxe, ou sinon, dans la transformation des quatre murs athéniens… en Grande Muraille airbnb. Est-ce bien la mutation transitoire de la décennie ? Difficile à dire pour l’instant.

Et nos touristes défilent entre les ruines antiques et les ruinés contemporains… en comparant parfois les prix. Et rien que pour attirer l’œil, les images du passé, dont par exemple celles présentant la restauration traditionnelle rapide à la grecque dans toute sa splendeur, sont placées en avant-scène sur les façades des établissements.

On scrute les journaux. Athènes, avril 2018
La disparition de Yórgos Baltadoros. Presse grecque avril 2018
Image de jadis sur une façade. Athènes, avril 2018
Athènes et ses masques. Avril 2018

Le touriste, tout comme le Grec d’ailleurs, admirera ces faits authentiques de jadis, supposés alors générateurs de notre présent, belles images certes, mais seulement belles images. Car rien que les expressions des visages des travailleurs de cet autre temps sur ces posters grandeur nature, trahissent alors toute la distance qui nous sépare à jamais de cette période, lorsque même un certain Alexis Tsipras n’était pas encore né. Bella Grecia !

Il faut alors dire que dans la vrai vie, l’authentique d’aujourd’hui c’est plutôt ce 14% de la population grecque qui ne se soigne plus du tout, ce pourcentage dépasse alors 36%, lorsqu’il s’agit des classes les plus paupérisés (quotidien “Kathimeriní” du 16 avril 2018).

“Le prétendu accès au système de Santé, surtout pour ceux qui n’en bénéficient plus (30% de la population), reste lettre morte du fait de la non-gratuité d’un bon nombre d’actes ou thérapie, note le journal. Les Grecs n’ont pas les moyens, donc ils ne se soignent pas, et pour commencer, ils ne se rendent pas chez leur médecin.” Le salut du peuple… aurait pu être la loi suprême !

Dans le même ordre d’idées, les dépenses dans les supermarchés ne décollent vraiment pas, et seulement 3,8% des Grecs déclarent dépenser plus de 100€ à chaque fois qu’ils y font leurs courses, ils étaient pourtant plus de 6% à dépenser plus de 100€ il y a seulement une année (quotidien “Kathimeriní” du 16 avril 2018).

Le pays ne se relèvera pas que par son seul tourisme, dans les rues d’Athènes les sans-abri dorment dans les espaces verts, on y vend de plus en plus de leurs billets de loterie à la sortie du métro, tandis que les enseignes de type traiteur, inaugurent alors succursale après succursale. Splendides apparences, joyeux contrastes, où il y a certainement aussi… à manger et à boire.

Heureusement que nos animaux adespotes (sans maître), nous observent alors sans trop nous comprendre dans cet inique quotidien qui est le nôtre, cela, entre deux de leurs siestes si bien méritées.

Athènes, avril 2018
Nos animaux adespotes. Athènes, avril 2018
Un sans-abri. Athènes, avril 2018
Nouveaux traiteurs. Athènes, avril 2018
Billets de loterie. Athènes, avril 2018

Le peuple lui par contre, il ne dort pas. Il reste certes anesthésié par la para-normalité qui le gouverne, mais il ne dort pas. Mon ami Th., lequel vient de retrouver du travail dans un media inévitablement électronique pour 500€ par mois et pour un temps plus que plein, estime que par les temps qui courent, notre Occident n’a plus rien à générer de très constructif sur cette planète, ou sinon, que de la mise à mort et de la prédation.

“Notre époque se trouve plongée dans une étrange démence, et c’est cette même démence qui ordonne à la destruction de la Syrie et peut-être aussi, à la présumée préparation de la prochaine grande guerre contre la Russie, puissance il faut dire alors beaucoup plus logique, raisonnée et raisonnable que les méta-politiques qui gouvernent notre Occident en perte complet de sens”

Difficile d’en rajouter. Et à travers cette Grèce fort actuelle, cette perte de sens n’est pas sans rappeler d’autres moments dans l’histoire du pays: “Je suis revenu au centre d’Athènes à pied en compagnie de Theotokas. Nous évoquions en marchant la situation actuelle de la littérature et toutes nos conclusions elles ont été manifestement bien sombres. Tout reste suspendu au point mort, personne n’a la moindre idée de ce qui se passera alors demain. Theotokas, pourtant optimiste de tempérament, commence à douter de tout. J’évoque le problème qui se posera de manière implacable à tout un chacun parmi ceux qui écrivent, comment est-il alors possible que d’avancer au beau milieu de l’ouragan actuel. Il a rajouté: D’ici peu, nous nous demanderons si tout ce que nous avons pu écrire a encore un sens.”

Athènes, avril 2018
Athènes, avril 2018
L’hybris. Athènes, avril 2018

Le narrateur c’est le poète et diplomate Yórgos Séféris, Prix Nobel de littérature en 1963, Yorgos Theotokas, son ami, avait été un romancier issu du cadre du siècle précédant, et ce texte est un extrait du journal de Séféris, daté très exactement du 25 février 1940.

Ainsi, toujours à Athènes, le sacrifice du retraité pharmacien Dimitris Christoúlas lequel s’est suicidé en avril 2012 pour dénoncer le gouvernement Quisling d’alors (et finalement d’aujourd’hui), est toujours commémoré par les meilleurs des anonymes, pendant que dans les quartiers huppés de la Riviera d’Attique, les sans soucis se baigneront à souhait dans les eaux à 23 degrés du lac de Vouliagméni.

Mais tout n’est pas perdu. Fort heureusement, il nous est encore possible de voyager par exemple entre Paris, Constantinople et Bagdad… une promenade inévitablement musicale, voilà ce que l’homme sait encore faire en bien mieux que la guerre et la prédation.

Mémoire de Dimitris Christoúlas. Athènes, avril 2018
Lac de Vouliagméni. Athènes sud, avril 2018
Voyage musical. Athènes, avril 2018

Lors des tirs des missiles tirés contre la Syrie, Mimi et Hermès de Greek Crisis dormaient alors comme à leur habitude. Et quant à nous, ce n’est que par la suite des émissions inhabituellement matinales des radions que nous nous sommes réveillées en plein événementiel. Mais après-tout, les affaires des humains appartiennent définitivement à un certain au-delà, si l’on réfléchie bien.

Nos humains d’Athènes, le plus souvent jeunes aux vidages graves, certains d’être eux en tout cas, ils ont depuis manifesté cette semaine contre cette intervention en Syrie, laquelle espérons-le en tout cas ne préfigurera point le prochain “grand règlement”. Les manifestants, très déterminés il faut dire, ils ont même tenté à déboulonner la statue du Président Truman, sans succès ! Les forces de l’ordre (sous la “gouvernance” SYRIZA), ont aussitôt abordé nos jeunes manifestants issus des rangs du PC grec et de la gauche extrême avec toute la violence… nécessaire.

Mimi et Hermès de Greek Crisis. Athènes, avril 2018
Manifestants à Athènes. Avril 2018 (presse grecque)
Contre… la statue du Président Truman. Athènes, avril 2018 (presse grecque)

Le salut du peuple est la loi suprême, façon de parler ! Il était une fois, comme bien souvent dans les contes, un Docteur Folamour et toute sa funeste doxa, puis, deux autres dirigeants… suiveurs. Haute actualité.

Sinon, comme le remarquait notre poète Yórgos Séféris en son temps: “Toute la simplicité de la vie grecque: Deux rougets, des verdures bouillies, le tout servi sur une petite table entourée de chats”, (“Journal”, vendredi 9 août 1940). Bella Grecia !

Animal adespote. Athènes, avril 2018
* Photo de couverture: Vitrine. Athènes, avril 2018

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France : on privatise… même pas à la demande de la troïka

Privatisations: une rente perpétuelle et sans risque pour le privé

Par martine orange Médiapart

C’est un programme de privatisation calqué sur celui imposé par la Troïka à l’Europe du Sud que prépare l’exécutif. Aéroports régionaux, ports, barrages… les actifs stratégiques, les monopoles naturels, les biens communs sont appelés à être dilapidés. Sous couvert de modernité, le gouvernement rétablit la rente perpétuelle pour le privé..

Le gouvernement français n’a même pas besoin des équipes de la Troïka. Il a décidé de mener ses fameuses réformes structurelles, en suivant à la lettre le programme de privatisations imposé dans toute l’Europe du Sud au moment de la crise de l’euro. Il va beaucoup plus loin que la cession de participations dans des entreprises industrielles ou de service (Engie, France Télécom). Toutes les sociétés qui sont considérées dans le domaine régalien de l’État, toutes les infrastructures essentielles, constituant des monopoles naturels, sont désignées pour être vendues. Ce sont les actifs qui intéressent le plus le capital privé : ils forment des passages obligés et sont sans risque. En un mot, le gouvernement prépare le grand bradage du patrimoine national, en confiant tout ce qui peut constituer une rente au privé.

À aucun moment dans sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’avait soufflé mot d’un tel projet, pas plus qu’il n’avait évoqué la réforme de la SNCF ou la privatisation de la RATP. Pour justifier une telle dilapidation des biens nationaux, le gouvernement, comme à son habitude, avance la nécessité de changer, de bouger avec son temps. L’argent tiré de ces privatisations devant servir à alimenter un fonds d’investissement public pour aider les sociétés de la « start-up nation ». Mais derrière cet affichage high-tech, il s’agit bien d’un vrai programme d’austérité volontaire, d’un asséchement des recettes publiques, d’une privation d’actifs essentiels.

À chaque début de plan d’aide, les équipes de la Troïka n’ont pas manqué d’exiger la vente des loteries nationales. Pour ces tenants acharnés du néolibéralisme, l’État n’a pas à conserver des entreprises juteuses, qui disposent souvent d’un monopole sur les jeux et apportent des recettes aux finances publiques. En Espagne, comme en Grèce, ils ont donc recommandé de vendre au plus vite ces sociétés de jeux.

Le gouvernement de Zapatero a renoncé en 2011, au dernier moment, à privatiser sa loterie nationale, jugeant l’opération trop préjudiciable aux intérêts publics : elle l’aurait privé de recettes, mais aurait aussi accentué les risques de corruption et de blanchiment sur un secteur toujours à la merci des mafias. Le gouvernement de Rajoy n’est pas revenu sur cette décision. Le gouvernement grec, lui, a dû s’incliner. Dès 2013, il a bradé la société qui avait le monopole des jeux de hasard en Grèce pour la laisser aux mains d’un milliardaire.

Pour sa première grande privatisation, le gouvernement français a naturellement choisi la Française des jeux. Une idée qui tient à cœur à Emmanuel Macron qui, lorsqu’il était ministre de l’économie, militait pour sa privatisation rapide. Mais son projet s’était heurté au refus du ministre du budget, Christian Eckert. Celui-ci ne voyait aucun intérêt pour l’État à se priver de rentrées d’argent assurées, ainsi que d’un contrôle et d’une capacité d’intervention sur ce secteur très vulnérable.

 © ADP © ADP

Les grincheux étant partis, les bonnes idées peuvent être reprises. Il y a quinze jours, le ministre des finances, par l’entremise du JDD, a donc annoncé la privatisation à venir de la société qui a le monopole des jeux de loto en France. Principal actionnaire de la société de jeux, avec 72 % du capital (le reste appartient pour l’instant aux salariés et aux distributeurs de loterie), il se propose d’en vendre une grande partie, pour ne garder que 25 à 30 %, choisissant ainsi de se priver d’une bonne centaine de millions d’euros de dividendes par an. Il est prévu que les taxes perçues sur les jeux – trois milliards par an environ à ce jour – doivent compenser ce manque à gagner. Quant à la surveillance du secteur, la réglementation existante est censée suffire.

 

En prévision de cette opération, la présidente de la Française des jeux, l’ex-socialiste Stéphane Pallez, a publié ses derniers résultats, en se félicitant de leur progression: une progression du montant des mises de 17% en 3 ans, un résultat net de 181 millions d’euros, en hausse de 2,8 % sur un an. Dans son grand plan de «transformation et de croissance», la Française des jeux se donne pour objectif de conquérir un million de clients supplémentaires d’ici à 2020. Il paraît que l’Etat met tout en œuvre pour lutter contre  l’addiction aux jeux

La deuxième privatisation annoncée, celle d’Aéroports de Paris (ADP), n’est pas plus surprenante. Là aussi, le gouvernement français marche dans les pas de la Troïka. À chaque fois, celle-ci a exigé que les gouvernements de l’Europe du Sud en difficulté cèdent ces infrastructures essentielles.

En 2012, Vinci a ainsi obtenu la concession des dix aéroports portugais sur cinquante ans, pour un peu plus de 3 milliards d’euros. La Grèce s’est vu imposer à son tour la privatisation de ses quatorze aéroports régionaux. Après avoir tenté de résister, le gouvernement d’Alexis Tsipras a fini par s’incliner face aux injonctions de la Troïka. Un consortium allemand, emmené par le groupe Fraport, a obtenu la concession des quatorze aéroports sur quarante ans pour 1,2 milliard d’euros. Une partie de cette somme a été avancée par la Banque européenne d’investissement, le reste est financé à crédit. Et le groupement est exempté de toute taxe locale et foncière. Il lui a fallu aussi céder ses ports, désormais aux mains des Chinois, ses autoroutes, ses réseaux de transport d’énergie.L’Espagne, une fois de plus, fait un peu de résistance. Sous la pression des créanciers, le gouvernement de Zapatero avait envisagé de privatiser la société publique qui gère les 46 aéroports du pays, l’AENA. Mais il avait dû renoncer à ce projet face à l’hostilité de l’opinion publique. Fin 2017, le gouvernement de droite a repris le projet, mais en précisant qu’il ne s’agissait que d’une privatisation partielle. Il entend conserver 51 % du capital de la société qui doit être introduite en Bourse.

La France en est déjà à l’étape suivante. Transformée en société anonyme en 2005, ADP a été introduite en Bourse l’année suivante et l’État n’en détient déjà plus que 50,6 %. Contre quelque 8 milliards d’euros, le gouvernement est prêt à céder l’ensemble de sa participation dans le cadre d’une concession exorbitante de tout droit commun, allant de 70 à 90 ans !

Le cadeau ne s’arrête pas là. Contrairement à ce qui a été fait en Grande-Bretagne, où le régulateur avait imposé lors de la privatisation des aéroports londoniens une scission entre Heathrow et les deux autres aéroports de la capitale afin de maintenir une concurrence, l’heureux gagnant aura la main à la fois sur l’ensemble du troisième aéroport du monde, Roissy-Charles-de-Gaulle, et sur Orly.

De plus, le bénéficiaire va hériter d’un contrat de concession rédigé par l’administration du ministère des transports, bâti sur le même modèle que les concessions autoroutières : l’augmentation du trafic et des tarifs, les investissements à réaliser, l’évolution des effectifs, la rémunération annuelle du capital. Les mécanismes d’indexation sont conçus de telle sorte que les tarifs, comme l’a dénoncé à plusieurs reprises la Cour des comptes pour les autoroutes, ne peuvent jamais baisser. En dix ans, les tarifs de redevances de Roissy et d’Orly ont augmenté de 49,5 %, alors que l’inflation n’a progressé que de 13,9 % et que le trafic passager a augmenté de 29 %.

Pas besoin d’être grand devin pour comprendre quelle sera la pente suivie par les tarifs dans les années qui viennent. On reparlera alors des difficultés économiques d’Air France, premier client d’ADP, et des nécessaires plans de réduction d’emplois pour l’aider à faire face.

Tout est à vendre

En outre, ADP bénéficiera des redevances des activités commerciales liées aux aéroports (boutiques, centres commerciaux). Celles-ci représentent désormais 83 % de son résultat opérationnel courant, mais ne sont jamais prises en compte dans le calcul des charges d’exploitation et des péages demandés aux compagnies aériennes qui, contrairement aux autres aéroports dans le monde, ont aussi assumé les charges de sécurité. Pour faire bonne mesure, le gouvernement s’apprête également à rétrocéder une partie des immenses emprises foncières (des milliers d’hectares) acquises au fil des années, à la suite d’expropriations imposées par l’État au nom de l’intérêt général et qui sont désormais la propriété d’Aéroports de Paris.

Le nom de l’heureux gagnant est déjà sur toutes les lèvres. Sans surprise, Vinci, qui a engagé la même tactique de grignotage du capital qu’il avait adoptée en 2005 pour la privatisation de autoroutes du Sud – il détient déjà 8 % d’ADP – devrait l’emporter. Il faut bien savoir récompenser les soutiens des premières heures : Xavier Huillard, PDG de Vinci, était au premier rang lors de la réunion Confluences à Lyon, à l’automne 2016, quand Emmanuel Macron se préparait à lancer sa campagne. Il faut aussi dédommager l’aventure avortée de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Officiellement, l’État doit au moins 200 millions d’euros à Vinci pour la rupture de la concession, bien que le groupe n’ait rien perdu dans cette affaire. Car en même temps que la concession de NDDL, où il a engagé très peu de frais, il avait obtenu, justement pour faire face aux travaux du nouvel aéroport, la concession de l’aéroport de Nantes, qui lui rapporte plusieurs dizaines de millions d’euros par an.

Le port du Havre. © Dr Le port du Havre. © Dr

Mais la grande braderie ne va pas s’arrêter là. Interrogé dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur Alstom, Martin Vial, président de l’Agence des participations de l’État (APE), a indiqué qu’une grande révision du portefeuille des participations de l’État avait été menée et qu’à l’avenir l’État se devait d’être plus sélectif.

Dans cette grande révision, ce n’est pas seulement le groupe ADP qui doit être cédé, mais toutes les grandes infrastructures stratégiques de la France. Poursuivant dans la foulée de la privatisation des aéroports de Nice et Lyon, ainsi que de la désastreuse vente de l’aéroport de Toulouse menée par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, le gouvernement entend liquider les ports de Marseille, Fos, Le Havre, Dunkerque, Rouen, Saint-Nazaire et La Rochelle, comme les aéroports de Bordeaux, Mulhouse, Strasbourg et Montpellier.  La liste n’est pas exhaustive. Car tout est à vendre.

«L’Etat se prépare à vendre 25 des 81 participations qu’il détient», s’alarme le député LR Olivier Marleix, président de la commission d’enquête parlementaire sur Alstom, inquiet de ce désarmement économique en préparation.. Il faut aussi ajouter les barrages et sans doute, à terme, une partie du réseau ferroviaire pour les lignes destinées uniquement au fret, comme le gouvernement en caresse le projet.

Qu’est-ce qui peut justifier un tel bradage du patrimoine, des biens communs de la nation ? Cette politique ne peut qu’aboutir non seulement à assécher les finances publiques de toute rentrée financière supplémentaire en dehors de l’impôt, mais à priver l’État de tout levier de contrôle, de tout moyen sur des pans entiers du territoire, sur les actifs les plus économiquement indispensables, qui bénéficient d’un monopole naturel.

Dans ses explications devant les parlementaires, le directeur général de l’APE justifie l’évolution du portefeuille des actifs de l’État au nom des changements industriels, des ruptures technologiques, de la fameuse disruption provoquée par le numérique. Mais il existe des choses qui ne changent pas, justement dans ces périodes de bouleversement. Et ce sont justement les infrastructures jugées essentielles au nom de la sécurité de l’État et de la préservation du contrôle économique du territoire. Les États-Unis, censés être le modèle néolibéral par excellence, en sont si conscients qu’en 2007, le gouvernement américain a décidé d’élargir ses dispositifs de sécurité et de contrôle, qui lui donnent un droit de veto sur toutes les opérations, aux infrastructures jugées stratégiques ou d’importance vitale. D’ailleurs, les grands aéroports et les grands ports américains sont tous sous contrôle public.

Les notions mêmes d’actifs stratégiques et de souveraineté semblent être étrangères aux différents directeurs de l’APE, auditionnés par la commission d’enquête parlementaire (lire ici, ici ou ). La souveraineté ? Cela leur paraît un concept désuet, dans ces temps de mondialisation et de financiarisation. De toute façon, à les entendre, l’État a tous les « leviers en main » : il y a des régulateurs.

Compte tenu des expériences passées, il y a tout à craindre. L’exemple des autoroutes est là pour le rappeler. Contre l’avis des parlementaires qui souhaitaient la reprise en main étatique des autoroutes, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, a imposé au contraire leur prolongation en leur concoctant de tels contrats qu’il n’a jamais voulu les rendre publics malgré le jugement du tribunal administratif.

La politique du gouvernement, censée être éclairée et de bon sens, va même à l’encontre de ses références économiques, à commencer par leur maître à tous, Adam Smith. Dans La Richesse des nations, celui-ci préconisait que les routes et les canaux appartiennent à l’État car ces voies de transport, infrastructures indispensables, ne pouvaient pas être soumises à la concurrence. Depuis, des centaines de travaux d’économistes ont cherché à cerner ce qu’étaient des monopoles naturels, des infrastructures indispensables. Une écrasante majorité d’entre eux aboutit à la même conclusion : il ne peut y avoir de concurrence dans de telles situations. Laisser de tels actifs aux mains du privé revient à lui accorder une rente indue, qui appauvrit l’ensemble des agents économiques.

Or c’est précisément ce que projette le gouvernement. Il décide de mettre aux mains du privé des moyens essentiels au pays, à commencer par Aéroports de Paris, des monopoles naturels comme les ports. Et compte tenu des conditions de concession qu’il prévoit – 40, 50, 90 ans –, c’est une rente perpétuelle et sans risque, puisqu’elle n’est constituée que par des passages obligés, qui est offerte au capital privé. Le gouvernement prenant tous les risques, en décidant de soutenir des activités à risque, les « start-uppers ». Le monde à l’envers.

Sous couvert de modernité, la présidence d’Emmanuel Macron « s’inscrit dans un temps de restauration », relève l’économiste Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement à Genève. « En 1825 fut adoptée la loi dite du “milliard des émigrés”, une rente de 3 % payée par l’État, pour indemniser les émigrés “spoliés” par la confiscation et la vente de leurs biens fonciers trente ans plus tôt sous la Révolution », poursuit-il. Et c’est bien de cela qu’il s’agit derrière tous ces programmes de privatisation : indemniser le capital privé, qui s’estime « spolié » depuis des années des biens communs qui lui avaient échappé, et qui désormais réclame la reconstitution de sa rente.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/190418/privatisations-une-rente-perpetuelle-et-sans-risque-pour-le-prive

Grèce : détérioration intentionnelle des services publics de l’eau

Communiqué d’Unité Populaire de Thessalonique concernant la détérioration intentionnelle des services publics de l’eau

LA PANNE PROLONGÉE DU RÉSEAU D’EAU À THESSALONIQUE EST LE RÉSULTAT D’UNE DÉTÉRIORATION INTENTIONNELLE DE LA SITUATION DE LA COMPAGNIE DES EAUX (EYATH). DES RESPONSABILITÉS POLITIQUES ET JURIDIQUES SONT À RECHERCHER.

Une coupure d’eau qui dure plusieurs jours et qui concerne une ville de 1,5 millions d’habitants apparaît de France comme une vision apocalyptique venant d’un monde lointain. Ce n’est cependant que le résultat des politiques de marchandisation et de détérioration conséquente des services publics imposées par l’Union Européenne. La publication de cette nouvelle vise notamment à sensibiliser l’opinion publique française sur ce sujet, à l’heure où la lutte des cheminot-e-s et des autres salarié-e-s pourrait endiguer le tsunami néolibéral de la politique Macron.

Au moment où nous publions la traduction de ce communiqué le procureur de Thessalonique s’est déjà saisi de l’affaire et l’alimentation en eau se rétablit dans les quartiers touchés. L’affaire n’est cependant pas terminée car ses causes sont toujours agissantes. Suez, dont le patron Jean-Louis Chaussade accompagnait Emmanuel Macron, lors de sa dernière visite officielles en Grèce, continue à convoiter le marché de l’eau de Thessalonique.  L’intérêt de cet épisode reste toujours d’actualité.

Source: https://rproject.gr/article/i-vlavi-stin-eyath-synepeia-tis-apaxiosis-tis-na-apodothoyn-oi-eythynes-politikes-kai

Communiqué d’Unité Populaire, section de Thessalonique, 1ère circo

Le 01/04/2018

Les cinq jours – comptés aujourd’hui – de coupure d’eau à Thessalonique, en raison de la panne de la principale conduite d’alimentation du réseau, en provenance d’Aravissos ( panne déclarée le jour du fiasco du Congrès sur le développement régional), marquent de manière fracassante, les conséquences dévastatrices des politiques des mémorandums et de privatisation, mises en œuvre par tous les gouvernements grecs successifs : Nouvelle Démocratie, PASOK, SYRIZA-ANEL.

Depuis que le gouvernement PASOK a introduit la Compagnie des Eaux et d’assainissement de Thessalonique (EYATH) à la Bourse d’Athènes, sa privatisation a été mise en route, et elle aurait déjà été achevée s’il n’y avait pas eu un grand mouvement populaire majeur dans la ville de Thessalonique s’y opposant, ainsi qu’un référendum citoyen local rejetant le projet à une majorité écrasante en 2014. Ces actions ont réussi à ce jour d’arrêter le processus.

Cependant, la marche vers la privatisation a eu pour conséquences, comme de coutume dans le néolibéralisme, des investissements minimes et la réduction accélérée du personnel de la Compagnie. À cela se sont rajoutées les politiques des mémorandums réduisant les budgets des ministères en charge du service, de sorte que le réseau d’eau potable et le réseau des égouts, ne soient pas rénovés depuis 1970 avec toutes les conséquences imaginables sur la salubrité de l’eau  et l’approvisionnement de la ville en eau de qualité et quantité acceptables. Une telle situation est davantage choquante, lorsqu’il est connu qu’EYATH SA a enregistré un bénéfice avant impôts de 24,9 millions d’euros en 2017 contre 21,77 millions d’euros l’année précédente, soit une augmentation de 14,52% et des réserves de trésorerie de 65,2 millions d’euros, augmentées de 15%!

Le gouvernement refuse donc d’investir et de rénover un réseau problématique et dangereux, il licencie les salarié-e-s contractuel-le-s pour livrer au futur investisseur une entreprise aux profits amplifiés, aux fonds de trésorerie augmentés, usant de la même stratégie appliquée à l’Organisme du port de Thessalonique.

Les  responsabilités de la précédente administration d’EYATH, comme de l’actuelle, ainsi que des ministres en charge du dossier sont énormes  car leur choix ont conduit une grande partie d’une ville très peuplée à la pénurie d’eau, engendrant des risques graves pour la santé publique, le marasme l’activité économique déjà en souffrance avant cela, l’augmentation des coûts pour nettoyage et la consommation d’eau potable. Ces responsabilités doivent être attribuées aux fautifs, aussi bien sur le plan politique que sur le plan juridique. Ce dernier aspect relève  de l’intervention directe du procureur. D’autant plus qu’un épisode similaire est susceptible de se reproduire, car la rénovation du réseau n’est pas prévue dans un proche avenir.

La réunion « urgente » organisée par la directrice du cabinet du Premier Ministre le cinquième (!!!) jour de la coupure d’eau, sa visite à la station de pompage de Dendropotamos pour s’assurer de la pureté de l’eau le cinquième (!!) jour de la coupure, les déclarations anodines de la ministre en charge Mme Kollias à la sortie de cette réunion, prétendant  qu’une solution du problème serait en route, ne font que susciter de l’exaspération chez nos concitoyen-ne-s déjà fatigué-e-s qui, au-delà de l’incurie à l’égard de ce service public, de l’évitement des responsabilités découlant de leurs politiques coupables, entendent de l’ironie à leur encontre de la part des dirigeants.

Unité Populaire exige du gouvernement et de l’administration d’EYATH l’arrêt de tout processus de vente du service. Elle déclare qu’elle continuera sans relâche sa lutte pour que l’eau, bien social, ne soit pas privatisée. Pour que la Compagnie des Eaux et d’assainissement de Thessalonique (EYATH) reste un service public, pour sa reconstruction et sa gestion sociale, dans l’intérêt des habitants de la ville, avec la protection du travail et l’amélioration de ses conditions.

La reconstruction démocratique l’administration publique mais aussi de tous les services publics est nécessaire, rejetant les  pratiques clientélistes, pour qu’ils puissent répondre efficacement aux besoins de la société et de la reconstruction de l’économie, au service de la qualité et non du profit.

Références :

Grèce 2018 : La bataille de la dette privée et des habitations principales

GRÈCE 2018 : LA BATAILLE DE LA DETTE PRIVÉE ET DES HABITATIONS PRINCIPALES

10 avr. 2018 Par Emmanuel Kosadinos

L’accès au droit de se loger est un axe central de la lutte des mouvements citoyens, surtout en période de crise économique et sociale où ce droit est menacé par l’austérité et la dette. En Grèce, la bataille pour les habitations principales est aujourd’hui au centre de la lutte sociale et politique. Elle pourrait devenir un point de convergence des forces qui combattent l’austérité.

Repères d’histoire économique et sociale  

L’accès au droit au logement est un axe central de lutte des mouvements citoyens, surtout en période de crise économique et sociale où ce droit est menacé. Pour accéder à ce droit, des ménages appartenant aux classes populaires ont fait le choix de l’acquisition d’un bien contre crédit bancaire. Ceci est davantage fréquent dans des pays où les locataires sont moins protégés, où le coût de la construction est relativement faible, où les liens familiaux sont sacralisés, où le taux élevé d’inflation garantissait une part décroissante des remboursements par rapport aux revenus du foyer. La plupart de ces facteurs, voire tous, sont présents, ou le furent, dans les pays de l’Europe du Sud, dont la Grèce, pays où la bataille pour les résidences principales est aujourd’hui au centre de la lutte sociale et politique.

Image d’Épinal des "trente glorieuses" grecques...Image d’Épinal des « trente glorieuses » grecques…

Du côté des banques: l’octroi facile de crédits, prenant souvent l’allure d’un véritable « pousse à l’endettement », fut une opération juteuse ouvrant sur un marché quasi illimité d’investissements et sur l’anticipation de profits conséquents. Pour l’économie ce fut un moteur de croissance rapide, mais au détriment d’un développement harmonieux et durable, accordant au bâtiment une part disproportionnée de l’activité industrielle. Cette distorsion structurelle de l’économie grecque, présente dès le début des années 1970, avant même la chute de la dictature des colonels, a été fustigée par la Gauche, y compris social-démocrate (PASOK), comme la marque même de l’absence de planification d’un capitalisme grec improductif. Chose étrange (ou pas tant que ça) ni l’accès du PASOK au gouvernement, ni l’intégration par la Grèce de l’Union Européenne n’ont inversé cette tendance mais l’ont au contraire amplifiée. D’ailleurs, de telles tendances ont bien marqué le développement économique des autres pays du Sud de l’UE.

Pour les dirigeants grecs, dictateurs ou élus, de Droite ou de Gauche, le surinvestissement dans l’activité du bâtiment a été la voie facile pour le développement du pays et l’augmentation des revenus, sans passer par les difficultés de la planification et de l’intervention active de l’État. Pendant une première période (1970 – 1990) l’activité de construction a pris la forme « artisanale » d’un « capitalisme populaire » d’un genre particulier, favorisant l’épanouissement des classes moyennes et la hausse des revenus de la classe ouvrière du bâtiment, l’instauration d’une relative paix sociale.

Pendant une deuxième période (1990 – 2010) l’activité du bâtiment a davantage profité à des capitaux de plus en plus importants, voire orientés vers l’exportation, en synergie croissante avec le capital international. La classe ouvrière du bâtiment a été recomposée, la main d’œuvre d’origine étrangère constituant une part grandissante, travaillant sans couverture sociale et dans des conditions de sécurité déplorables. Le point d’orgue funeste de cette phase c’est le bilan de 37 morts d’accidents du travail lors de l’achèvement des travaux pour les Jeux Olympiques de 2004.

Dans les années 1990 les entreprises grecques du BTP se placent sur l'internationalDans les années 1990 les entreprises grecques du BTP se placent sur l’international

En parallèle, les bas taux de crédit garantis par l’adhésion de la Grèce à la zone euro ont propulsé l’endettement privé (toutefois inférieur à celui en Espagne ou en Italie) et ont davantage permis à une partie des classes populaires d’accéder à la propriété de leurs logements et accessoirement à d’autres biens de consommation. De nouveaux quartiers habitables ont émergé à la périphérie des villes grecques pour loger les nouvelles classes populaires, essentiellement salariées du secteur tertiaire. Le résultat positif c’est que, vers la fin de cette période, 80% des ménages habitaient dans des logements dont ils étaient propriétaires avec des superficies moyennes supérieures à celles en Europe du Nord. Cependant, même avant le déclenchement de la crise économique, la situation de plusieurs de ces ménages était particulièrement tendue car la part des remboursements exigés par les banques grecques « généreuses » laissait peu de marges pour finir les mois et les travaux de construction. Nombre de ménages ont du se satisfaire d’habitations inachevées pour y loger leur vie de famille. À noter que cette situation correspondait à une période où le chômage était encore autour des 10% et la croissance flirtait avec les 4%.

Or, si le capitalisme grec s’est pendant un temps senti droit dans des bottes en béton armé, il s’est avéré qu’il n’avait que des jambes en argile et une laisse au cou, celle de sa dépendance aux capitaux de l’Union Européenne et à ses banques. Pas la peine ici de refaire l’histoire de la crise grecque et de la mise du pays sous protectorat de la Commission européenne et du FMI. Tout cela a déjà été suffisamment médiatisé. Juste rappeler le taux de chômage autour de 25% de ces dernières années et un taux de décroissance de 10% par an en moyenne. Pendant ce temps les banques grecques ont bénéficié de la part des gouvernements grecs successifs et sous les auspices des « instances européennes », notamment par le biais de recapitalisations, de subventions cumulées d’une hauteur d’environ 240 milliards d’euros, 1,2 fois le PIB annuel, pour être finalement bradées par le gouvernement SYRIZA-ANEL, actuellement au pouvoir, contre une bouchée de pain à des investisseurs étrangers obscurs.

Il est facile d’imaginer dans un tel contexte la détresse et la colère des classes populaires et moyennes grecques, dont les revenus ont baissé les dernières années de 30% , et les menaces qui pèsent sur leur survie, notamment sur leur droit de se loger , car ni les remboursements, ni les taux d’intérêt, ni les prix des biens de consommation, ni l’imposition n’ont baissé de manière significative. Cette situation rend impossible pour une grande partie des ménages le remboursement des crédits empruntés.

Une société surendettée et saisie

Le surendettement des ménages grecs, notamment ceux à revenus modestes, est un fléau social sans précédent. Et la question globale de la dette privée grecque est une bombe économique et sociale dont nous sommes spectateurs de la projection au ralenti du film de son explosion.

Mises aux enchères...Mises aux enchères…

Aujourd’hui il est estimé qu’autour de 1,5 millions de contribuables grecs sont dans l’incapacité de régler leurs dettes, soit plus de 24% de l’ensemble. Il s’agit de dettes envers les banques pour prêts immobiliers et de consommation, mais aussi envers le guichet public, impôts et caisses d’assurances, et de particuliers à particuliers.

L’examen des données officielles sur la dette privée grecque nous révèle qu’environ 4,4 millions de contribuables (près de 70% de l’ensemble) ne sont pas à jour de leurs dettes.

Parmi eux, quasiment tous ont des dettes envers le guichet public (impôts et cotisations) alors que 2,7 millions (35% des contribuables) ne sont pas à jour pour des dettes envers les banques.

  • 420.000 ont des dettes en suspension de paiement pour des prêts immobiliers (7%)
  • 350.000 (6%) ont des dettes pour des prêts professionnels
  • 1,7 millions (27%) pour des prêts à la consommation.

L’ensemble de ces dettes appelées « dettes rouges » contractées par des particuliers, des professionnels et des entreprises (petites, moyennes, grandes) correspond à la somme de 200 milliards d’euros, supérieure au PIB annuel.

Il est important de noter que la grande majorité  (80%)  des prêts immobiliers «rouges » concerne des sommes de 10.000 à 100.000 euros, alors que près de 90% des dettes envers le guichet public concerne des sommes inférieures à 20.000 euros, parfois même des sommes dérisoires.

En termes de répartition du volume de la dette privée l’image s’inverse. En fait, 0,2% des débiteurs du guichet public pas à jour de leurs dettes doivent près de 80% de l’ardoise totale, soit 73 milliards ! En ce qui concerne les dettes envers les banques (environ 110 milliards) l’ascension de la courbe est moins brusque, mais la tendance est la même, les dettes des grandes et moyennes entreprises constituant près de 40% de cette dette !

Logo du plus gros débiteur de l'Etat grec, ancienne société de courtage en failliteLogo du plus gros débiteur de l’Etat grec, ancienne société de courtage en faillite

À l’inspection de ces données on observe que la dette privée grecque, au-delà du fait qu’elle est le résultat de la récession de l’économie, n’est pas une situation homogène, à l’égard de causes plus spécifiques, de ses conséquences sociales et économiques et des actions nécessaires pour la traiter.

On peut séparer deux groupes de débiteurs : des débiteurs trop démunis pour régler leurs dettes et des débiteurs puissants sur les plans social et économique capables de se dégager des conséquences du surendettement par la faillite, les arrangements politiques, la délocalisation et la fuite des capitaux.

Sur la liste des plus gros débiteurs de l’État figure en première place (10% de la dette totale) une société de courtage  débitrice d’une énorme amende (et des intérêts) imposée suite à une condamnation pour escroquerie dans une affaire de spéculation financière avec le patrimoine des caisses d’assurance sociale.

En deuxième place on retrouve « Olympic Air SA  » héritière de la compagnie publique « Olympic Airlines » privatisée en 2009.

La compagnie publique grecque des chemins de fer (OSE) avec ses filiales occupait jadis la première place sur la liste des gros débiteurs de l’État (taxes, cotisations sociales, amendes imposées par la Commission européenne pour non respect de la concurrence) mais sa dette a été effacée par ordonnance du gouvernement SYRIZA en 2018 à la suite de la vente de sa filiale  de transport passagers (TRAINOSE) à «Ferrovie dello Stato Italiane» compagnie italienne publique à statut de SA.

 Il devient évident que le traitement de la dette grecque « privée » est une question politique à l’égard de la répartition de sa charge parmi les classes sociales, parmi l’État, les « particuliers » et les banques, et les actions pour son recouvrement ou son effacement. Ce constat se situe à l’opposé de la vision néolibérale qui traite la question de la dette par des opérations strictement comptables et juridiquement formalistes dont la finalité ultime est la réduction maximale du service public et le transfert des richesses vers la finance et la spéculation au détriment des classes populaires et des travailleur-euse-s.

Le soulagement des foyers populaires et des petites entreprises surendettés était une des mesures phares annoncées dans le programme politique sur lequel SYRIZA a mené et gagné les élections de 2015, programme dit « de Thessalonique ». Parmi les dispositifs annoncés pour réaliser objectif, que SYRIZA à l’époque jugeait pragmatique, il y avait la création d’un réseau de commissions sous contrôle citoyen, censées procéder à l’étalement des dettes, leur effacement ou leur rachat par une agence publique ad hoc. Figurait aussi dans ce programme l’interdiction du rachat des prêts par des tiers spéculateurs, dits « fonds vautours ».

Depuis le début de l’application en Grèce des mémorandums de plus en plus de foyers modestes, de travailleurs indépendants et de très petites entreprises se sont trouvés face au risque de saisie de leurs habitations et de leurs comptes.

Une grande partie des familles saisies pourrait se retrouver dans la rue...Une grande partie des familles saisies pourrait se retrouver dans la rue…

Une grande partie des familles saisies pourrait se retrouver dans la rue. Avec des salaires et retraites réduits parfois jusqu’à 50%, ou parfois sans aucun revenu à cause du chômage, il devient pour elles très compliqué de retrouver un appartement à louer malgré une forte baisse des loyers. Ceci d’autant plus qu’après la vente aux enchères de l’habitation saisie il pourrait rester des sommes importantes à rembourser.

Pour confronter cette situation, le gouvernement du PASOK de Georges Papandréou avait promulgué en août 2010 une loi de dérogation des saisies des habitations principales des débiteurs en difficulté financière, dite « loi Katselis » du nom de la ministre de l’époque. Cette loi accordait le sursis d’un an à ces personnes et autorisait dans certains cas les tribunaux de procéder à des renégociations des dettes envers les banques, voire à leur effacement. La loi Katselis a été prorogée plusieurs fois pendant les premières années de la crise. La Troïka a exigé la modification de la loi dans un sens restrictif, ceci étant resté un point en suspens dans les négociations avec le gouvernement grec. De ce fait, la prorogation de la loi Katselis c’est arrêtée en décembre 2014, un mois et demi avant l’accès de SYRIZA au gouvernement. La loi Katselis avait toutefois été critiquée comme insuffisante par SYRIZA lorsqu’il était dans l’opposition.

L’inversion politique et sociale de SYRIZA

Le 15 janvier 2015, dix jours avant la tenue des élections anticipées, le quotidien de SYRIZA titrait en gros à la Une « Aucune habitation aux mains des banquiers » (!)

15/01/2015: « Aucune habitation aux mains des banquiers » (!)15/01/2015: « Aucune habitation aux mains des banquiers » (!)

Mais comme la plupart des mesures proposées par le programme « de Thessalonique », celles annoncées pour la crise de la dette privée sont passées aux oubliettes, mémorandum et Troïka obligent. Varoufakis avait déjà dit que « le programme de SYRIZA ne valait même pas le prix du papier sur lequel il était écrit ». Sa nomination au poste clé de Ministre des Finances aurait dû rendre plus méfiants les militants. En effet, dès la signature de l’accord du 20 février 2015, le gouvernement grec s’engageait à ne mettre en place « aucune mesure susceptible de menacer la stabilité du système financier et du crédit », selon les critères de la BCE bien entendu. Cette clause faisait directement référence aux mesures annoncées par SYRIZA avant les élections, pour renégociation des dettes privées.

Le 21 mars 2015 alors que la négociation était en cours, le gouvernement grec a promulgué, suite à l’initiative de la ministre Valavanis du courant de Gauche, une loi autorisant l’étalement du remboursement des dettes envers le guichet public, par le dispositif dit « des 100 tranches » qui, bien que relativement timide, a permis de soulager plusieurs débiteurs modestes et à l’État encaisser des recettes dues. La question des dettes envers les banques est cependant restée en souffrance, véritable épée de Damoclès au-dessus des têtes des foyers populaires.

Pire que ça, après la capitulation de juillet 2015, le 3e mémorandum et ses lois d’application ont légiféré, sous les recommandations des créanciers internationaux de la Grèce (BCE, FMI, Commission Européenne), la priorité au remboursement des banques en cas de faillite d’une entreprise. Cette priorité s’exerce au détriment de l’État, des caisses d’assurance et des particuliers, dont les salariés aux salaires dus. Pour valider cette mesure il a fallu réformer en un clin d’œil le Code Civil grec. Quand la Troïka ordonne et que Tsipras s’exécute, la régularité juridique passe au second plan.

En faisant fi de toute évidence, le gouvernement SYRIZA-ANEL n’a cessé de clamer sous tous les tons que, malgré sa capitulation (« compromis honorable » en novlangue syrizéenne) et son ralliement au camp des banquiers, les habitations principales des ménages modestes resteraient protégées des saisies. Cette désinformation a été relayée par ses alliés au sein des directions des partis du Parti de la Gauche Européenne (PGE), acculés par le besoin de sauver les apparences suite à cette terrible défaite.

La supposée protection des habitations principales des foyers modestes est celle de la « loi Katselis » mais bien rabotée suivant les recommandations des créanciers (BCE, FMI, Commission Européenne), par l’ajout de conditions à remplir par les débiteurs pour pouvoir en bénéficier. Il s’agit de  clauses de revenus du foyer et de valeur du bien hypothéqué. Il faut qu’une partie de la dette soit due aux banques et que le débiteur n’ait pas exercé d’activité à caractère commercial pendant l’année qui précède sa demande de bénéficier de la protection de la loi. Il est important de citer que la dérogation à la saisie de l’habitation principale qui pourrait être accordée a seulement un caractère de sursis car les effets de la loi prennent fin le 31 décembre 2018. Le nouveau format de la loi, dont SYRIZA fait mine de s’enorgueillir, promulgué en tant qu’article de la loi d’application du 3e mémorandum en août 2015 et  portant le nom « loi Katselis-Stathakis » (du nom du ministre actuel) est restrictif pour une grande partie des débiteurs modestes qui vivent toujours sous la menace de saisie de leurs logements.

Précisément, la loi protège les habitations principales d’une valeur inférieure à 180.000 euros, bonifiée par le nombre des membres du foyer. À noter que la valeur ainsi déterminée est la «valeur fiscale» fixée par le gouvernement, bien supérieure en temps de crise à la valeur du bien sur le marché.

Les revenus du débiteur susceptible de bénéficier de la protection de la loi ne doivent dépasser de 70% le montant des «frais raisonnables de vie».  Ce montant est aujourd’hui fixé par le gouvernement grec à 680 euros mensuels pour une personne seule, ce qui indique que le niveau des revenus du débiteur ne doit dépasser les 1150 euros mensuels, dont 470 euros obligatoirement alloués au remboursement  de sa dette. Ces sommes sont indexées sur le nombre des membres du foyer. Selon des sources proches du gouvernement la loi actuelle protégerait les habitations principales de 60% des ménages surendettés. En admettant même que cette estimation serait réaliste, la loi laisserait à découvert 168.000 foyers, dont la précarisation est susceptible de déclencher une nouvelle crise sociale majeure.

Grèce 2018: La pauvreté ne recule pas...Grèce 2018: La pauvreté ne recule pas…

Pour dorer la pilule, le gouvernement SYRIZA-ANEL précise que des allègements plus larges pourraient être accordés par négociations directes «de bonne foi», entre les débiteurs et les banques. Voilà encore un gouvernement « de gauche » qui délègue la politique sociale aux banquiers !

Un autre retournement du gouvernement SYRIZA concerne l’interdiction aux banques de revendre des emprunts problématiques aux « sociétés de gestion de dettes» ou fonds-vautours. L’activité de ces sociétés (grecques, européennes ou en provenance de pays tiers) est désormais officialisée par la loi du 16 décembre 2015. Ces sociétés ont le plein droit de racheter aux banques des prêts à prix jusqu’à 3% de leur valeur nominale de les revendre sous forme de paquets de titres ou d’exiger leur remboursement par des moyens d’intimidation et de harcèlement dont elles ont le savoir-faire. Les banques obtiennent aussi le droit de vendre aussi des prêts qui sont à jour dans des paquets mixtes. Les critiques de cette loi réclament la possibilité de rachat des prêts à une valeur raisonnablement inférieure à la nominale (pas moins de 50%) pour débiteurs eux-mêmes, mais le ministre Stathakis de SYRIZA rétorque qu’une telle disposition serait «un encouragement indirect à la fraude et à la mauvaise foi».

Concernant les saisies de logements à venir, le gouvernement SYRIZA soutient que leur mise en œuvre en masse « favorisera la reprise de l’économie grecque et la consommation car, si les banques se débarrassent des prêts problématiques elles pourront recommencer à prêter de l’argent » pour démarrer un nouveau cycle infernal identique au précédent, en ayant entre temps ponctionné des richesses aux classes populaires et moyennes.

Luttes pour la défense du logement des familles modestes

Les saisies et les ventes aux enchères s’intensifient aujourd’hui par le gouvernement Tsipras, coaché par la Troïka, s’efforçant de sauver les banques, une fois de plus en équilibre instable en Grèce. L’implémentation des mesures est « sous haute supervision » par le biais d’évaluations régulières de l’économie et de la politique grecques, dont la passation réussie est la condition pour le déblocage des tranches du financement à l’Etat grec. Pour les néolibéraux, la stabilisation en Grèce du système bancaire passe par l’expropriation et la précarisation des classes populaires et moyennes.

Notons que, même lorsque les débiteurs saisis sont des personnes fortunées, les conséquences se reportent directement sur les classes travailleuses, dans le cas locaux de production, la saisie marquant son arrêt. Ainsi, on ne s’étonne pas de voir le Parti Communiste de Grèce (KKE), qui ne s’est jamais positionné comme représentant des classes moyennes, ni comme partisan des mouvements citoyens horizontaux, rejoindre le mouvement populaire de lutte contre les saisies et les mises aux enchères.

Les militants font irruption dans les tribunauxLes militants font irruption dans les tribunaux

Dans le contexte catastrophique de la Grèce actuelle, la défense du logement des familles modestes passe par des luttes massives et polymorphes d’obstruction au travail de l’administration, des notaires et de la justice lors de procédures de saisie, d’expropriation et de mise aux enchères. Le mouvement populaire grec, dans ses diverses tendances, s’y est déployé depuis le début de la crise, car le fléau des expropriations était déjà à l’œuvre. Le grippage de la mécanique des expropriations est cependant une éventualité réaliste, compte tenu de l’énorme volume d’affaires.

La formation de Gauche Radicale "Unité Populaire" a une place centrale dans le mouvement pour la défense du logement des familles modestesLa formation de Gauche Radicale « Unité Populaire » a une place centrale dans le mouvement pour la défense du logement des familles modestes

Les mobilisations massives devant et dans les tribunaux organisées par des collectifs citoyens ont été soutenues très activement par Unité Populaire, ANTARSYA, KKE et d’autres formations de Gauche Radicale. Je profite pour faire un clin d’œil aux camarades français présents lors de certaines de ces mobilisations. Elles ont réussi d’empêcher les tribunaux de tenir audience et de rendre les décisions des mises aux enchères, faisant trainer les saisies de report en report. La répression policière violente déployée par le gouvernement SYRIZA, a davantage attisé la combativité les militants plutôt que de décourager le mouvement. Des dizaines d’audiences ont été empêchées.

Le gouvernement de SYRIZA, cavalier du jeu d’échecs néolibéral,  avance en biais pour se  préserver de la chute de popularité, mission impossible ! Ainsi, cette mécanique infernale que la Droite avait échoué de mettre en place, est pleinement déployée aujourd’hui, deux ans et demi après la capitulation de juillet 2015. La cerise sur le gâteau sera le démarrage des saisies électroniques par l’administration publique le 1er mai 2018, une manière très ironique de  SYRIZA de célébrer la fête des travailleurs !

Afin de contourner cette résistance populaire le gouvernement SYRIZA implémente la mise aux enchères par voie électronique des biens saisis, notamment des logements des familles modestes. Ce dispositif avait initialement rencontré l’opposition des notaires grecs, surtout des petites villes de province, refusant de se connecter à la plateforme. Par la « loi-valise » d’application du mémorandum de janvier 2018, SYRIZA rend obligatoire et exclusif, à partir du 21/02/18, le recours à la voie électronique avec la possibilité de délocaliser la procédure en cas de situation locale compliquée. L’objectif est d’effectuer des mises aux enchères par centaines, et par milliers si possible. Il n’empêche que l’étude du notaire, certes moins repérable que la salle d’audience du Tribunal d’Instance, est un lieu physique, possible lieu de rendez-vous du mouvement populaire qui s’est déjà manifesté activement depuis l’application du nouveau dispositif.

Usage de gaz asphyxiants dans la salle du tribunalUsage de gaz asphyxiants dans la salle du tribunal

La poursuite et intensification de la répression des militant-e-s reste donc un recours nécessaire au gouvernement SYRIZA qui veut mener le projet néolibéral jusqu’au bout et à tout prix. Un amendement de loi a donc été déposé, arguant dans le rapport préalable que les actions d’obstruction aux mises aux enchères « nuisent à l’intérêt budgétaire suprême de l’État, à la stabilité du système financier et à l’approvisionnement des banques en liquidités » (!) Il devient donc possible de poursuivre d’office ces militant-e-s et de les juger en comparution immédiate. L’entrave donc aux mises aux enchères est considérée comme un délit spécifique, sui generis. Auprès de l’opinion publique grecque, les dispositifs légaux d’exception ont très mauvaise presse, faisant écho au droit de la dictature des colonels et des suites de la guerre civile.

Le tableau se complète par l’usage immodéré de la force brute et vile : faux témoignages, matraquages, gazages, traumatismes infligés aux militant-e-s-qui manifestent.

Avec "Unité Populaire" contre l'austérité et le néolibéralisme, pour les droits du peuple!Avec « Unité Populaire » contre l’austérité et le néolibéralisme, pour les droits du peuple!

Selon les propos des porte-paroles de la formation de Gauche radicale « Unité Populaire » :

« Ni les intimidations, ni la violence, ni la désinformation massive, ni les lois sui generis  n’arriveront à faire fléchir le mouvement de résistance des citoyen-ne-s grec-que-s face aux saisies et mises aux enchères des logements. Le recours du gouvernement SYRIZA aux plateformes électroniques pour désamorcer concrètement la contestation fera émerger de nouvelles formes efficaces de combat, notamment par l’essaimage du mouvement dans les quartiers populaires… »

La bataille pour les habitations principales des classes populaires pourrait devenir aujourd’hui un point de convergence des forces qui combattent l’austérité en Grèce.

Il y a besoin d'un large mouvement unitaire citoyen Il y a besoin d’un large mouvement unitaire citoyen

La Grèce et la libéralisation du transport ferroviaire

Grèce : Conséquences de la politique européenne de libéralisation du transport ferroviaire

Il y a un an le feuilleton de la vente de TRAINOSE, a pris fin.
La société est passée à Ferrovie Dello Stato Italiano pour un prix de 45 millions d’euros. Inutile bien sûr de rappeler les déclarations de messieurs Stathakis et Tsipras quand le gouvernement Samaras-Vénizélos programmait la vente des chemins de fer grecs…
L’accord a été signé après règlement de quelques problèmes particuliers : l’effacement de la dette de TRAINOSE envers OSE (750 millions d’euros) à la suite d’engagements imposés par le mémorandum en échange du patrimoine immobilier de l’OSE. (La dette de l’OSE à laquelle il est fait référence concerne les participations aux travaux d’infrastructure que l’État grec n’a pas payés obligeant ainsi l’établissement à emprunter pour en couvrir les dépenses.)

Quelles ont été les évolutions du réseau ferré en Grèce depuis qu’a été instaurée la politique européenne de libéralisation du transport ferroviaire ?
-démantèlement de l’établissement ferroviaire -fermeture de 40 % du réseau -fermeture de 60 % des gares -réduction des effectifs de 14 500 personnes (1989) à 2900 personnes (2014) -hausse spectaculaire des tarifs -abandon du fret -obsolescence du matériel roulant -dévalorisation de l’infrastructure, vols, abandon du patrimoine -diminution du niveau de sécurité et de qualité des services -diminution du salaire des cheminots de l’ordre de 40 %

Quelles conséquences pour les utilisateurs ?
-Rétrécissement du réseau et des gares, augmentation des tarifs, diminution du niveau de sécurité et de qualité des services

Quelles ont été les actions des luttes sociales et politiques menées ces dernières années ?
Les travailleurs des chemins de fer ces dernières années ont lancé une série de mobilisations et d’actions contre les politiques du mémorandum et les privatisations. Il y a eu plus de 100 jours de grève, avec comme principales revendications l’arrêt des privatisations et le retour à un OSE sous sa forme publique et unique. Ont également eu lieu des dizaines de manifestations, des occupations de bâtiments, des annulations d’itinéraires, etc
À la question « pourquoi un OSE public et unique » la réponse est que l’expérience a prouvé que le morcellement organisationnel n’a, à ce jour, mené nulle part. Ce modèle organisationnel a été testé, a conduit à des gaspillages et des dysfonctionnements et a échoué.
À la question « pourquoi un OSE public » la réponse est que son importance en tant qu’entreprise de transport est stratégique: – pour la sécurité nationale -pour le soutien du développement économique du pays et pour la mise en œuvre d’un plan de développement national et le développement régional
Une structure organisationnelle unique, chapeautée par les Directions Générales des activités et une séparation logistique de ces activités permettant de les suivre avec la plus grande transparence possible, servira les intérêts du peuple grec de la meilleure façon possible.

Dates-clés pour les directives européennes en matière de transport :

***2001 directive européenne 2001/12 – Séparation de la gestion de l’infrastructure. directive européenne 2001/13 – Procédure d’octroi de licences pour les transporteurs ferroviaires. directive européenne 2001/14 – Répartition des compétences en matière d’ infrastructure. directive européenne 2001/16 – Interopérabilité du réseau ferroviaire conventionnel .
***2012 directive européenne 2012/34 – Unification du cadre législatif.
***2004 : directive 2004/49, directive 2004/50, directive 2004/51, règlement 881/2004 – Une plus grande ouverture du marché du fret, adoption de procédures techniques communes en matière de sécurité, institution d’une Agence ferroviaire européenne.
***2007 directive 2007/58, directive 2007/59, règlement 1370/2007, règlement 1371/2007, règlement 3172/200 – Une plus grande ouverture du marché des transports de passagers, création d’un « brevet de conduite » européen pour les transports intra-européens, des droits pour les passagers et des critères de qualité minimum pour le travail de transport.
1991 Publication de la directive européenne 91/440 sur la libéralisation du transport ferroviaire.Évolution des volumes transportés depuis 2000.

Nombre d’organismes ferroviaires intervenant dans le transport de fret et de voyageurs.

OSE(ΟΣΕ) – gestionnaire de l’infrastructure
TREN OSE(ΤΡΑΙΝΟΣΕ)-exploitant du réseau ferré
EESTTY (ΕΕΣΤΤΥ) – société de maintenance du matériel roulant Y sont aussi liées indirectement les entreprises suivantes: GAIA OSE(ΓΑΙΑΟΣΕ) – valorisation du patrimoine immobilier
ERG OSE(ΕΡΓΟΣΕ) – gestion des travaux cofinancés par l’UE

Bref historique sur la dette L’OSE en tant qu’entreprise de transport – contrairement aux autres entreprises de transport privées ou publiques – a la responsabilité de la maintenance et de la surveillance des infrastructures(de ligne). Il a l’obligation de fournir des services à des fins nationales(défense) et bien sûr de faire œuvre sociale à travers sa politique tarifaire. L’état, déjà depuis la création de l’OSE en 1972, a défini ses obligations financières envers l’OSE, en signant une convention de financement correspondante.

a) Depuis 1972 et jusqu’à 1979, la convention de financement a été entièrement respectée. Depuis 1980 et jusqu’à 2002, elle a été respectée seulement pour un tiers avec pour résultat de porter la dette de l’État envers l’OSE à 2,7 milliards €(rapportés au taux actuel).
Depuis 2003 et jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement n’a pas versé un seul euro à l’OSE pour couvrir ne serait-ce qu’une partie de ses obligations envers l’OSE.

b ) Le coût de la participation nationale aux travaux de modernisation cofinancés et le coût des travaux financés par des fonds nationaux n’est pas entièrement couvert par le Programme d’investissement public. Ainsi depuis 1993 et jusqu’en 2004 l’OSE a emprunté 1,5 milliards € afin de respecter ses engagements en matière d’investissement. Le programme d‘investissement en 2006 et 2007 a été financé pour 640 millions € par la région de Grèce Occidentale(Π.Δ.Ε) et pour 540 millions par un emprunt de l’OSE. La prise en charge par l’OSE des obligations financières de l’État l’ont conduit à emprunter une somme totale d’environ 7 milliards € et le service de ces prêts a contribué pour 37 % à la création du déficit.
Sources : Syndicats des cheminots grecs

Source article https://unitepopulaire-fr.org/2018/04/08/grece-consequences-de-la-politique-europeenne-de-liberalisation-du-transport-ferroviaire/

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