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Chronique des Humbles La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Chronique des Humbles

Pays sous la tempête, bateaux de nouveau arrimés au Pirée, avions qui ne se posent pas en Crète. Tempête donc. Sur terre grecque enclose, tout le métaplasme incarné du monde politique s’agite devant les élections alors multiples et variées cette année, histoire de brasser de l’air pour recracher du néant. Ensuite, ceux d’en bas, les humbles, et déjà “bioconservateurs” d’après certains transhumanistes et misanthropes, survivent comme ils le peuvent. Ainsi femmes et hommes n’étant plus encadrés, soutenus, comme ils l’étaient dans leur petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Parfois, ils ont même tout juste de la chance, comme hier ma cousine Evanthía au village thessalien.

Grèce rurale. Années 2010

Evanthía revenait de son travail en partie de nuit, à la boulangerie du village. Elle y gagne 12€ par jour, travaillant entre 4h et 8h du matin, bien entendu c’est du travail informel. Son mari, Pétros s’occupe des maigres champs appartenant encore à la famille, il bricole de la mécanique pour les gens du voisinage, comme il peut être occupé très occasionnellement dans l’année en tant que chauffeur routier conduisant les camions des chantiers. Ceci, lorsqu’il y a du travail. Le couple garde aussi les deux enfants de leur fille et de son mari, histoire de leur permettre d’aller travailler un peu. La famille ainsi élargie occupe une seule maison, chauffée au bois, et ils n’ont gardé qu’un seul vieux véhicule pour tous, et assuré, plus le scooter.

Evanthía utilise donc le scooter de la famille, pour lequel elle n’a ni permis et encore moins l’assurance. Plus de la moitié des habitants au village roulent ainsi, surtout pour un deuxième véhicule ou scooter, ils ont à peine de quoi mettre un peu d’essence au réservoir et c’est tout. Evanthía n’a pas fait attention hier matin, son scooter a été fauché par la camionnette que le voisin Nikos venait tout juste de démarrer pour se rendre à ses champs. Evanthía, d’abord secourue par le médecin de campagne et le pharmacien du village, elle a été transférée à l’hôpital du chef-lieu, puis opérée d’urgence. Fractures aux pieds, ses jours ne sont pas en danger, la famille est soulagée, Nikos, leur voisin et ami l’est autant.

L’à peu près encore possible dans les campagnes ne demandera par des comptes à Evanthía, Nikos s’arrangera avec la famille, ceux de la Police locale fermeront les yeux devant la paupérisation qui les entoure et qui les concerne même, le système de Santé accepte encore pour l’instant que de soigner Evanthía dans l’urgence, sachant qu’elle n’est plus de la tribu des rescapés patentés de l’Assurance Maladie. Ailleurs, et surtout en milieu urbain, le régime antisocial, celui du génocide alors lent montre pourtant déjà toutes ses dents.

Retraité et vendeur… informel. Athènes, années dites de crise
Retraités et manifestants. Athènes, mars 2019 (presse grecque)
Retraités et manifestants. Athènes, mars 2019 (presse grecque)

Lorsque la criminalité explose un peu partout et que certains candidats des politiciens se vantent même d’avoir été condamnés pour escroquerie (voir ici mon billet du 23 mars au sujet du cas de Myrsíni Loḯzou), voilà que cette semaine, la Police interpelle Suzana Iliádou, femme âgée de 90 ans laquelle vend ses tricots sur le marché hebdomadaire dans son quartier de Thessalonique. Elle a été gardée au Commissariat durant près de 12 heures d’après le reportage, un policier l’a même sommé non sans ironie pour sa main tremblotante durant… la séance de l’empreinte digitale et de l’apposition sur un support de son doigt préalablement encré.

La scène filmée a été néanmoins été diffusée par les médias, et ce fut le scandale en Grèce. Les voisins de la vielle dame, désormais choquée et apeurée s’en chargent pour vendre ses tricots sitôt sur le marché hebdomadaire, tandis que la ridicule Ministre SYRIZA Papakósta (des Apostats, issue de la Nouvelle Démocratie), elle déclare que “l’amende infligée à la vielle dame s’élevant à 200€ est justifiée sauf qu’elle sera gelée”, presse grecque de la semaine. Entre-temps à Athènes, des retraités manifestent devant le Parlement pour la 125ème fois depuis le début de la dite crise en 2010, de la dignité certes mais alors totalement symbolique.

Temps supposés nouveaux, des quartiers d’Athènes se transformant en zones interdites pour les habitants sous l’emprise du dictat Airbnb, paupérisation à peine cachée par les terrasses des bistrots ou sinon à Tríkala, ville de Thessalie, cette image de la camera sur Internet d’un centre-ville plutôt déserté en temps normal dans la journée. D’après les statistiques et les reportages de la semaine, les revenus déclarés des Grecs poursuivent alors une chute continue, ceux des Indépendants atteignent même 26% comparés à ceux de 2015, presse grecque du moment.

Paupérisation. Athènes, années dites de crise
Athènes, quartier placé sous… l’emprise Airbnb. Mars 2019
Centre-ville de Tríkala déserté. Camera Internet, mars 2019

En règle générale la Grèce du pays réel est en train de s’appauvrir, et en même temps, le fait de se maintenir pour de nombreux foyers, ne tient qu’aux quelques revenus de plus, notamment informels. On claque alors les dents jusqu’au bout, d’après une enquête récente, seulement 0,7% de la population grecque adulte ayant entre 35 et 44 ans, a les dents sont en bonne santé, presse grecque, mars 2019. Sauve qui peut… alors canines comprise ! Au même moment, et d’après une enquête de OCDE citée cette semaine par la presse grecque, les Grecs considèrent que leurs impôts ne leur reviennent pas sous forme d’un État aux services dignes de ce nom, et ceci pour plus de 82% d’entre eux. Ils s’illustrent même en tête du tableau des mécontents, devant les Israéliens, les Mexicains et les Chiliens (les Français sont en milieu du classement avec… seulement 57% de mécontents).

Merveilleuse époque brisée… et autant empreinte de l’instinct de la casse. Une boutique à Athènes propose-t-elle à ses clients que de se défouler en cassant tant d’objets divers et variés, vaisselle, téléviseurs, téléphones entre autres. Ailleurs, ce sont les affiches mêmes vieillies qui promettent la lune, vantant tout le mérite des… “Prophètes”, surtout lorsqu’ils sont venus depuis les Antipodes bien entendu.

Antiquité on dirait Tardive. Une bonne partie des pays de la dite Union européenne et de leur état actuel, vus de 2019, apparaissent comme la répétition générale des premières années de la crise grecque. Une des pires ignominies de l’histoire contemporaine de la Grèce aura été certainement l’abominable chantage à la prétendue lutte contre la Troïka, exercé par les Syrizístes et par ceux du parti ANEL, les acquis visiblement de toutes les caisses globalistes. Époque des illusions. On se souviendra des politiciens d’alors et de toujours, on se souviendra même de ces illuminés improvisés et inconnus Place Sýntagma à Athènes, prêcher autant dans le vide. Seul on dirait… notre Hermès de Greek Crisis, dit parfois le Trismégiste n’a pas l’air de s’en inquiéter vraiment maintenant que tout devient alors plus clair.

Payer pour alors casser. Athènes, mars 2019
Nul n’est prophète dans son pays. Affiche de 2017, Athènes, mars 2019
Hermès de Greek Crisis. Athènes, mars 2019

Sur terre enclose, tout ce métaplasme incarné du monde politique s’agite encore devant les élections alors multiples et variées cette année, histoire de brasser de l’air pour recracher du néant. Temps et autant histoire dans un sens parallèle dont il est question chez André-Jean Festugière, comme nous l’avons déjà évoqué à travers ce blog, notamment à travers les pages de son “Épicure et ses dieux”, datant certes de 1946. Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain.

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme? Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées.”

“Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Grecs et leurs Icônes. Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque
Monsieur le Premier ministre… Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque
Monsieur le Premier ministre… Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque

Les peuples n’ont peut-être pas dir leur dernier mot. D’où d’ailleurs toute cette urgence. Durant leur fête nationale du 25 mars, les Grecs ont-ils encore brandi les Icônes de leur Christianisme Orthodoxe ainsi que leur drapeau. Ils ont également brandi certains messages, ces dernies, directement adressés au personnage politique indescriptible et alors maudit, incarné par la marionnette Aléxis Tsípras, acquis comme on sait parmi les acquis visiblement de toutes les caisses globalistes dont de celles de George Soros “lequel financerait SYRIZA et aussi la Nouvelle Démocratie” d’après certains journalistes, radio 90.1 FM, zone matinale du 29 mars 2019.

“Monsieur le Premier ministre. Vous m’avez traité d’ultra de l’extrême-droite, de populiste, de décérébré, d’idiot. Alors je vous renvoie ces qualificatifs dans la gueule.”

La trace digitale de Suzana Iliádou, femme âgée de 90 ans laquelle vendait ses tricots sur le marché hebdomadaire dans son quartier de Thessalonique ayant été visiblement jugée concluante… le pays peut alors “se réformer” davantage. Demain on ouvrira le champagne en compagnie des candidates bimboïdes aux pseudo-élections européennes SYRIZA et des autres partis dits politiques. On ouvrira accessoirement même les urnes pour alors compter l’incommensurable.

Sans la moindre surcharge cognitive… mais néanmoins partiellement alité car fatigué pour cause de pharyngite insistante, l’ethnologue de ce blog autant appauvri… ne manquera pas que de vous tenir informés, depuis ce pays sous la tempête, des bateaux qui ne seront plus arrimés au Pirée ou des avions qui se poseront enfin en Crète.

Chronique des humbles, comme d’ailleurs nouvelles de ma cousine Evanthía du village, elle va mieux ce soir et surtout, elle n’est pas seule, pour ne jamais faire ainsi l’apprentissage de sa solitude. Pharyngite… soutenue, sous le regard du jeune Hermès et de la très respectée Mimi de Greek Crisis.

Mimi de Greek Crisis. Athènes, mars 2019
* Photo de couverture: Illuminé improvisé. Place Sýntagma à Athènes années de crise

Temps Nouveaux La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Temps Nouveaux

Nuit de super Lune. Athènes et son Printemps, ses colonnades antiques, ses visiteurs. Les politiciens annoncent en cette période candidature sur candidature. Élections dites européennes, élections municipales et régionales en mai prochain, il y aura pour tout le monde. Tout ce que le pays compte en profiteurs inoccupés s’estiment avoir trouvé ici leur heure de gloire. Ceux de SYRIZA ont-ils même fait adopter une loi au “Parlement”, abrogeant l’incompatibilité entre le fait d’être député et en même temps candidat aux élections européennes. Tout cela, pour ainsi porter au “plus haut” possible, les Apostats Koundoura et Danelis, respectivement des partis ANEL et “To Potámi”. Toute Mafia a toujours fonctionné suivant ses codes, c’est bien connu.

Colonnes antiques. Athènes, mars 2019

L’amendement dont la nouvelle traverse aussitôt la presse de la Colonie, porte le nom “d’amendement Koundoura”, l’actuelle ministre du Tourisme et ancienne du parti ANEL, elle incarne de fait la figure emblématique des Apostats hétéroclites et en réalité hétéronomes, ayant permis à SYRIZA de poursuivre au “Parlement” avec une nouvelle majorité toute faite, depuis le retrait du parti ANEL du “gouvernement”.

Pendant que dans Athènes “Bon chic bon genre” des événements commerciaux ignorent ouvertement le pays réel, et qu’à deux pas de ce marketing de la dernière chance pour le méta-capitalisme des lycéens manifestent contre la énième reforme du ministère supposé de l’Éducation et qui n’est plus nationale de manière officielle sous les néo-Stasiens de SYRIZA, voilà que dans les autres quartiers de la capitale, on y vend partout le drapeau du pays, librairies comprises désormais, car la fête nationale c’est pour le 25 mars. Il faut dire que depuis l’affaire macédonienne et la trahison aux yeux des Grecs de la classe politique, SYRIZA en tête, il y aurait comme une coupure alors plus radicale que du temps des manifestations des Indignés… et de l’innocence politique.

Il y a ceux qui se sentent blessés de voir leur patrie disparaître au point de ne plus supporter le life-style ambiant, puis ceux, certes davantage visibles, pour qui, la vie se poursuivrait, surtout autour d’une tasse de café, même amer. La propagande européiste comme de Soros à la SYRIZA ou à la Nouvelle Démocratie entre tant d’autres nuisances politiques alors fabriquées pour durer, pourtant elle peine à faire valoir sa dichotomie, entre les prétendus “démocrates et les fascistes/populistes”, leur… mayonnaise ne prend plus.

Événement marketing. Athènes, mars 2019

Lycéens qui manifestent. Athènes, mars 2019

Drapeaux en vente devant une librairie. Athènes, mars 2019

Même les authentiques “populistes” et autant suiveurs de l’illuminé et escroc Artémis Sóras (à ne pas confondre avec Soros), n’ont été qu’une poignée devant le “Parlement” l’autre soir… en promotion de leur histoire bien drôle. Signe des temps, il y a en Grèce depuis quelques années une sorte de secte et mouvance politique, initiée par l’ancien marchand de voitures d’occasion Artémis Sóras en ces années dites de crise.

Sóras prétend détenir un grand nombre de titres américains et ottomans d’il y a un siècle, d’une valeur de 600 milliards d’euros capables d’effacer la dette grecque, sauf que “les politiques l’en empêchent”. Il attire ainsi certains citoyens paupérisés et endettés, lesquels, après avoir versé leur obole à la secte, se voient délivrer des… certificats de non-paiement de leurs dettes… s’appuyant sur la prétendue existence des titres de leur chef. La secte-parti, en dépit des démêlées avec la justice, espère pour autant en une présence et existence électorale. Tout ce que le pays compte en profiteurs inoccupés, ils s’estiment avoir trouvé ici ou là, leur heure de gloire.

La saison est pourtant belle, la presse publie en ce moment les photos depuis la région historique de la Macédoine grecque (52% du territoire de la Macédoine géographique), on y découvre les pêchers en fleur et qui enchante le printemps par sa floraison abondante et alors rose. Et c’est depuis cette même Macédoine grecque que les élus SYRIZA sont… autant haïs et pour tout dire “recherchés” par la population qui ne décolère alors pas. Ainsi Nikos Pappás, ministre et ami personnel de Tsípras, a dans un premier temps annulé sa visite de la ville de Véria, après avoir été pris à partie à Kilkis, où très exactement a-t-il présenté la politique du “gouvernement”… dans une salle quasi-vide. Il s’est finalement rendu à Véria, où il a été de nouveau pris à partie par ceux du pays réel, presse du 20 mars.

Notons que l’ex-Ministre de la Grèce du Nord (régions de Macédoine et de Thrace) et actuelle candidate SYRIZA pour la Mairie de Thessalonique, la… bimbo Notopoúlou, n’est autre que la fille de l’ex-compagne du père de Pappás, ce dernier, Stélios Pappás, il a été nommé en 2017 à la tête de la Régie des Transports de Thessalonique sous SYRIZA. Toute Mafia a toujours fonctionné suivant ses codes, c’est bien connu. Pauvre Colonie aux belles vitrines !

Ceux de l’escroc Sóras. Athènes, mars 2019

Pêchers en fleur, Macédoine grecque (photo de presse), Mars 2019

Nikos Pappás à Kilkis devant une salle vide. Mars 2019 (presse grecque)

Belle vitrine. Athènes, mars 2019

Nuit donc de super Lune. Athènes et son Printemps, ses colonnades antiques, ses visiteurs, nos animaux adespotes aussi. Le pays réel est pourtant sous terre, la désintégration de la société et des liens devient alors patente, les crimes et délits sont en augmentation constante. Surtout, certains crimes et qui se répètent, n’auraient pas été autant possibles avant ces dix années de la dite “crise” sous la Troïka, tout comme sous les multiples applications de l’ingénierie sociale. Rappelons que l’ingénierie sociale fait référence à des pratiques de manipulation psychologique à des fins d’escroquerie et de contrôle des populations.

Ces pratiques exploitent entre autres, les faiblesses psychologiques, sociales et plus largement organisationnelles pour permettre d’obtenir quelque chose des personnes ciblées, et déjà leur soumission, y compris par le chaos et par la perte des repères, comme celle des liens de la vie affective, sociale et culturelle. Ainsi, le dernier crime et drame en date ayant choqué la Grèce, c’est l’histoire tragique de cette mère de 40 ans, laquelle a jeté sa fille âgée de 4 ans du balcon du 5ème étage de l’immeuble où ils habitaient avant de se jeter à son tour. L’enfant est mort, sa mère aussi, la porte de leur appartement avait été verrouillée par la mère de l’intérieur, de manière à empêcher le retour du père lequel était absent pour quelques heures, presse grecque du 19 mars 2019.

Terrain psychologique au pays devenu territoire. Dans Athènes, les nouveautés courent les rues, à l’image de nombreuses femmes âgées se proposant pour faire du ménage. Et il y a encore ces jeunes… dynamiques, se proposant pour gérer des appartements loués à la journée aux touristes Airbnbiens, sans oublier les trottinettes électriques… Il y a de quoi on dirait révolutionner le siècle jusqu’à la prochaine nuit de super Lune en 2034.

Animal adespote. Athènes, mars 2019

Dame recherche à faire du ménage. Athènes, mars 2019

Confiez-nous la gestion locative d’appartements loués à la journée. Athènes, mars 2019

Trottinettes électriques. Athènes, mars 2019

Athènes et son Printemps, ses colonnades antiques, ses visiteurs. Sous l’Acropole… on rénove parfois également les demeures des animaux adespotes c’est-à-dire sans maître. Preuve s’il en est que les citoyens ont beau ne pas prendre une part active dans la vie politique, leur destinée concrète n’est en rien totalement diminuée. Les politiciens certes, ils annoncent en ce moment candidature sur candidature. Élections dites européennes, élections municipales et régionales en mai prochain et il y aura pour tout le monde sauf pour la Grèce. Tout ce que le pays compte en profiteurs inoccupés s’estiment avoir trouvé ici leur heure de gloire.

Autocollants pour le candidat SYRIZA Iliópoulos pour la mairie: “Pour tout recommencer à Athènes”, tracts du candidat Kassidiáris de l’Aube Dorée sur les pare-brises des autos: “Pour qu’Athènes puisse être nettoyée”, nous voilà… donc rassurés.

Sur l’île d’Hydra, la cathédrale historique vient d’être a été pillée et vandalisée, la relique même de Saint Constantin d’Hydra a été ouverte, les Hydriótes en sont choqués, presse du 20 mars 2019.

Rappelons que Saint Constantin, le néo-martyre d’Hydra avait été engagé comme serviteur par le gouverneur turc de l’île de Rhodes, et qu’il fut entraîné à renier sa foi chrétienne. Sa conscience le ramena au Christ et il voulut recevoir le baptême du martyre comme acte de repentir. Son père spirituel l’en dissuada et saint Constantin se retira au Mont-Athos au monastère d’Iviron. Il revint pourtant à Rhodes, confessa sa foi et, pour cela, il fut pendu en 1800, après avoir souffert la torture, ses restes ont été ramenés par la suite à Hydra par sa mère.

Athènes, candidature SYRIZA. Mars 2019

Athènes, candidature Aube Dorée. Mars 2019

Demeures… pour animaux adespotes rénovées. Athènes, mars 2019

Athènes et son Printemps, ses colonnades antiques, ses politiciens de la classe dirigeante finalement à peine hellénophone. Lorsqu’ils se font passer pour des liseurs, des érudits, et des penseurs, ils empruntent à droite ou à gauche des idées importées, à défaut d’être nécessairement d’importance. Il fut un temps SYRIZA ne jurait que par Slavoj Žižek, le philosophe slovène marxiste influencé par la psychanalyse de Lacan, et à présent Tsípras, propose à Mitsotákis de lire le livre de l’économiste français Serge Latouche “Vers une société d’abondance frugale : Contresens et controverses sur la décroissance”.

En guise de réponse, Mitsotákis, par journalistes interposés, propose à son tour à Tsípras de lire le livre de l’économiste britannique Paul Collier “The Future of Capitalism: Facing the New Anxieties” (“L’avenir du capitalisme – Face à de nouvelles préoccupations”) et comme le remarque une partie de la presse grecque, “Homère n’a visiblement plus sa place à travers le florilège des discours des politiciens… de l’éminente décadence. Ni Platon, ni Eschyle, ni même Aristote. Ces politiciens enfin que les Grecs font élire, ne lisent pas les auteurs de la Grèce, comme ils ne se soucient absolument pas des Grecs ni de leurs problèmes, comme d’ailleurs ils ne légifèrent pas pour les Grecs et ils ne se sentent pas responsables devant les Grecs”, presse du 20 mars 2019.

Heureusement que mon ami Olivier Delorme, écrivain et historien, lui il les lit, et pour nos lecteurs qui peuvent y assister, il donnera une conférence à Saint-Malo samedi prochain 23 mars, sur le thème: Grèce-Europe occidentale, échanges et malentendus, conférence proposée par le Cercle Hellénique de la Côte d’Émeraude, en partenariat avec la librairie “La Droguerie Marine”.

La conférence d’Olivier Delorme à Saint-Malo, le 23 mars

Animal adespote. Athènes, mars 2019

De conférence en conférence, nous finirons par mieux saisir les enjeux qui sont certes les nôtres, mais après ? Nos pays deviennent “le cadre d’un étrange théâtre, où le burlesque irresponsable côtoie le tragique involontaire”, comme l’écrit ailleurs et à sa manière Philippe Grasset.

“Alors, la lumière se fait, c’est-à-dire qu’elle éclaire enfin quelque chose. Je ne dis pas que Pascal en serait moins effrayé pour autant, mais enfin l’on peut prétendre que cette frayeur est justifiée et, elle au contraire, tout à fait compréhensible. Ainsi la France reprend-elle sa place parmi le ‘concert’ épouvantablement disharmonique et cacophonique des événements du monde. La France, en effet, est désormais et de ce fait entrée de plain-pied dans la globalisation (et non ‘mondialisation’) du monde. Catastrophique, indescriptible, absolument subvertie, plus basse qu’elle ne fut jamais, la France est pourtant l’un des épiphénomènes les plus remarquables et les plus originaux de cet ‘immense mouvement’ qu’est la Grande Crise de l’Effondrement du Système.”

“Vous comprenez qu’à ce point l’inconnaissance vous impose le silence du commentaire du tout-venant et que le commentaire réduit au silence rend compte enfin de l’essentiel, qui est bien l’impasse où il se trouve ; car derrière cette impasse, car il y a toujours quelque chose derrière une impasse, se manifestent avec discrétion mais sûreté d’eux-mêmes les premiers sons de l’harmonie, les premiers signes de l’équilibre et la perspective de l’ordre qu’il importe de retrouver, – plutôt recréer que restaurer, – comme l’on retrouve le rangement du monde après la catastrophe. Il suffit, comme l’Indien de nos jeunesses enfuies, de coller l’oreille au sol pour sentir encore plus qu’entendre le grondement des Temps Nouveaux.”

“Cela fera bien office de commentaire, après tout, – perdu et retrouvé.”

Perdus et retrouvés, tout comme nos animaux adespotes dans Athènes. La ville et son Printemps, ses colonnades antiques, ses pèlerins.

Animal adespote. Athènes, mars 2019

* Photo de couverture: Nuit de super Lune. Athènes, mars 2019

Les limites de l’âme La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Les limites de l’âme

Printemps enfin. Week-end prolongé pour cause de Carnaval et de Lundi Pur, moment inaugural du carême orthodoxe en ce 11 mars. Il est de tradition en Grèce de déguster les plats de la mer comme on aime les nommer. Surtout, c’est la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes. Les Athéniens quittent la ville par milliers, la classe moyenne ramenée à 30% de la population ne se laissera pas abattre… sans fête. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu parfois aux yeux des Grecs. Ce qui compte cette semaine, c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel de promenoir en promenoir, unique Printemps du peuple.

Printemps. Athènes, mars 2019

Athènes accueille déjà ses touristes de l’avant-saison comme si de rien n’était. Pourtant c’est le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive. L’affaiblissement du pays, son affaissement multiple, moral, social, économique et culturel, conduisant tout droit… vers la menace de sa diminution territoriale par la guerre sournoise et asymétrique, toujours en cours, telle est en tout cas l’idée la plus rependue depuis 2015 et pour cause.

L’inquiétude du “petit peuple” est toujours grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive, mais on s’y habitue coûte que coûte, la rage est avalée à défaut d’être vomie, raison de plus pour si possible pour reprendre goût aux choses

La marionnette Tsípras s’accroche à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme et qu’il sera remplacé par la marionnette Mitsotákis. Les Puissances, à savoir Berlin, Bruxelles, la Goldman Sachs, ainsi que José Manuel Barroso, insistent ouvertement pour que des élections législatives anticipées soient “décidées” entre mars et juin d’après la presse de la semaine. Bonne blague. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel Tsípras aurait été préparé par les “élites” mondialisatrices, au demeurant bien avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes, la période de Carnaval en plus.

Les Athéniens quittent la ville. Gare routière le 8 mars 2019 (presse grecque)
C’est l’heure où il devient possible. Athènes, mars 2019
Prendre toute la mesure… Hermès de Greek Crisis, Athènes, mars 2019

Je dirais au risque de la répétition, qu’il y aurait un parallèle à oser… entre notre “euro-historicité” et une certaine forme revisitée de… l’Antiquité tardive. Une période comme on sait cruciale et qui intéresse au plus haut point les historiens ayant d’abord vu en elle un temps de décadence, mais autant une période charnière entre Antiquité et le dit Moyen Âge. Oui, Moyen Âge techno féodal en vue, et nous rentrerions ainsi dans la nuit sans dieux, ni étoiles.

La marionnette Tsípras s’accroche pourtant à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, et voilà que ceux du “gouvernement” se déclarent désormais agacés par ces dessins de presse publiés depuis peu, au sujet précisément du personnage cynique, immoral et perfide d’Aléxis Tsípras. Arkas, caricaturiste célèbre en Grèce, vient d’inaugurer une série de dessins intitulée… “Années d’enfance d’un Premier ministre”, tandis que d’autres dessinateurs de presse vont jusqu’à faire de Tsípras le nouveau Néron. Il faut admettre que les mentalités très actuelles sont nettement de leur côté.

Tsípras, le voilà qui s’entoure des complices habituels, Tsiprettes comprises notamment lors de la journée du 8 mars. Tsípras dont la plupart des ministres et élus se il faut dire font copieusement huer en Macédoine grecque après l’accord Macédonien imposé par Berlin, Bruxelles et l’OTAN, et que les Grecs n’en veulent pas à près de 80%, Tsípras enfin, dont le gouvernement use et abuse des arrestations et interpellations dites “préventives” et en dehors de tout cadre juridique avant toute apparition Syrizíste et officielle, surtout en Grèce du Nord. Du jamais vu depuis le temps des Colonels, sans oublier le nouveau redécoupage des circonscriptions à quelques mois ou semaines des élections législatives, les entorses légalisées ainsi imposées au non-cumul des mandas pour que certains Apostats, élus et ministres issus du parti ANEL (ayant quitté le gouvernement il y a peu) puissent figurer désormais sur les listes SYRIZA, aux élections dites “européennes” comprises.

Antiquité tardive (et alors finale ?) dans un sens. Époque charnière, suffisamment perceptible par exemple depuis Athènes. Où en sommes-nous ?

Tsípras et les.. Tsiprettes. Athènes, le 8 mai (photo Eurokinissi)
Arkas, ‘Années d’enfance d’un Premier ministre’. Athènes, mars 2019
Tsípras en Néron. Quotidien ‘Kathimeriní’, le 5 mars
Arrestations préventives. Quotidien ‘Kathimeriní’ du 5 mars

Dans la vraie vie on discute aux cafés et les sujets dits de société ne manquent pas. Il y a ainsi le cas de Nikos Georgiádis, ancien député Nouvelle Démocratie et conseiller de Mitsotákis il n’y a pas encore si longtemps. Nikos Georgiádis vient d’être condamné (détention avec sursis) pour crime sexuel commis sur mineur, presse grecque du 26 février. Le criminel Georgiádis se rendait ainsi en Moldavie et moyennant 75€ chaque fois, il “achetait la compagnie sexuelle de garçons mineurs de plus de 15 ans, et il n’a pas été interpelé en Moldavie car il y faisait usage de son vrai passeport diplomatique”, d’après le reportage depuis la salle d’audience.

Comme le remarque donc une bonne partie de la presse, il n’a pas été condamné pour pédophilie et il n’a pas été incarcéré non plus. “Le problème n’est pas Georgiádis et sa petite personne. Le problème c’est ce ramassis d’individus qui… de droit divin se croient tout permis, tout comme de pouvoir tout justifier, et lorsque cela leur devient alors injustifiable, de se lancer dans l’attaque et même d’exiger des comptes aux autres.”

“Individus issus de bonnes familles, diplômés d’écoles privées et de collèges onéreux, cadres supérieurs avant même leur service militaire, gens autoproclamés excellents, cosmopolites qui ‘enseignent’ aux mortels ordinaires le besoin d’être pauvres, sauf qu’ils vivent eux, dans l’opulence. Nikos Georgiádis est l’un d’entre eux. Ainsi, la solidarité provocante de la Nouvelle Démocratie et de certains médias proches, envers Nikos Georgiádis s’appuie-t-elle très exactement sur ce même postulat. ‘Ceux de l’élite’ ont bien entendu le droit de faire ce qu’ils veulent et de ne jamais payer la note. Si par malheur ils sont pris la main dans le sac, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les faire passer comme victimes ou à défaut, comme simples témoins”, presse grecque du 3 mars 2019.

Hiver finissant. Athènes, février 2019
Au café. Athènes, années dites de crise 2010-2019
Dystopie littéraire à Paris. Février 2019

Criminels, déviants et malades mentaux, souvent au pouvoir, et aussi secrets de polichinelle, en Grèce comme ailleurs. Il va de soi que l’alcoolisme de Jean-Claude Juncker ou de Nikos Anastasiádis, Président de la République de Chypre, ainsi que “le présumé traitement en psychotropes dont bénéficierait Aléxis Tsípras” (journaliste Trángas, radio 90.1 FM, février et mars 2019), ne seraient que les broutilles visibles de l’iceberg. Oui, pendant que ceux des… “classes dangereuses” fument alors des clopes et roulent au diesel, les “élites” auront complètement et depuis longtemps déjanté, sauf que le presque silence médiatique doit les couvrir, voire même, les défendre contre toute logique et contre toute morale.

Visiblement, et comme l’avait suggéré en bien d’autres circonstances un grand écrivain français en 1945, “quand on s’occupe trop de son peuple, on finit toujours par injurier en lui l’humanité entière, on lui prête tout le mal qu’on pense des hommes”. Nous voilà en 2019, et la déviance au pouvoir rêve de transhumanisme, autant que de la disparition physique des classes laborieuses désormais sans travail, en passant par le post sexualisme et sa recherche de l’élimination volontaire du genre dans l’espèce humaine.

Au Carnaval de Patras cette année, la dite élite est représentée sous une forme teratomorphique, dévorant les sociétés, les droits des citoyens et des travailleurs, l’économie réelle, disloquant par la même occasion nations et patries. Et c’est ce même obscurantisme à la Sóros et à la Tsípras, lequel sur l’île de Lesbos pourtant habitée par une population à 100% grecque et chrétienne, n’autorise plus que d’ériger la Croix sur une plage comme toujours depuis que Lesbos a été libérée du joug ottoman en 1912, officiellement “pour ne pas alors heurter la sensibilité des migrants”, lesquels arrivent comme on sait de manière programmée et organisée et autant tragique par la mer et par la… grâce des dieux des élites, celles qui comme on sait, elles ont détruit un maximum de pays dans un minimum de temps.

Camion dont un pneu a déjanté. Athènes, mars 2019
La Croix à Lesbos. Presse grecque, février 2019
Peuples et droits dévorés. Carnaval de Patras, mars 2019 (presse grecque)

Notons que le Transhumanisme c’est le dernier rejeton des Lumières, après le Capitalisme et le Socialisme, en passant par la bien fausse idée du prétendu Progrès. Nous songeons ainsi à Cornelius Castoriádis, pour qui, “dans l’histoire, nous l’avons vu, la seule constante est un progrès dans les moyens de la puissance – de la production et de la destruction, et la lutte entre ceux qui possèdent cette puissance (…) Et malgré ce que croyait Kant, malgré ce qu’on a cru en Occident entre le XVIIe et le XXe siècle, l’Aufklärung, les Lumières ne sont pas un point de passage obligé pour l’humanité toute entière, nous n’avons pas affaire à une tendance immanente de l’histoire humaine”, Cornelius Castoriádis, “Thucydide, la force et le droit” (enseignements des années 1984-1985).

Cornelius Castoriádis, lui et son esprit si vif ; Cornelius Castoriádis et autant tout le symbole de l’olivier sur sa tombe, et bien entendu Héraclite. “Les limites de l’âme tu ne les découvriras pas, même si tu parcours tout le chemin, tellement son logos est profond.” Cornelius parti en 1997 n’aura pas eu le temps d’apercevoir toute cette accélération bien actuelle dans le faux progrès. Mon ami Lákis qui fut l’ami de Cornelius me disait que Castoriádis aurait été profondément outré de notre époque, et il l’était suffisamment déjà de la sienne.

Finance, crises, austérité, géopolitique, guerre alors totale mais hybride, sont de notre temps. L’expérience grecque ainsi que l’analyse qui est celle de ce pauvre blog depuis ses débuts en 2011, c’est que l’austérité (euphémisme en toute évidence qui cache une réalité bien plus apocalyptique), la prise du contrôle total du pays (et des pays) par la finance et les forces hétéronomes et étrangères, des institutions, des mentalités (mécanique sociale), l’annulation (dans les faits) de la Constitution, la marionnettisation surpassant le ridicule de la classe politique (en réalité apolitique), la fin des droits sociaux, la mise en cause de l’histoire, de la culture et des frontières même du pays par “sa propre” classe politique, ce n’est qu’une palier dans cette guerre asymétrique que les pays, nations et sociétés subissent… au risque de disparaître même complètement… en succombant, à défaut de résister.

La sépulture de Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
Héraclite chez Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
L’expérience… grecque. Années de crise, 2010-2019

Et lorsque cette mainmise sur les ressources, sur les cultures, sur les populations, sur les mentalités atteint le niveau visé (par certains pays supposés grands et pas la dite élite mondialisatrice pour qui les petits gens ne sont que “de la vermine”, c’est bien connu), eh bien, il ne restera que le chaos provoqué, comme provoquant. Plus évidemment la guerre tout court… faite par d’autres moyens.

Les Grecs l’ont si bien compris qu’ils ne manifesteront plus jamais nous semble-t-il, à l’appel des partis de gauche ou des syndicats. Désormais et en tout cas pour l’instant, ce sont les questions identitaires, celles liées à l’ultime existence ainsi acculée, qui véhiculent, véhiculeront et canaliseront l’immense douleur des années troïkannes, ce que les grands rassemblements motivés par la question Macédonienne ont déjà prouvé, à Thessalonique à Athènes et partout ailleurs en Grèce.

Tout est chamboulé en même temps et tout se mélange dans les réactions. On se souviendra par exemple que sous le règne de Théodose la fiscalité se durcit encore, provoquant des révoltes et que les revenus de la “res privata” furent dévolus aux immenses besoins de l’État. On se souviendra autant de la dégradation du statut du citoyen, allant jusqu’à son abolition de fait et le rapprochement entre le statut d’emploi forcé des ouvriers et la condition d’esclaves, alors qu’ils étaient en théorie des citoyens. En fin de compte, je dirais que le monde de l’Antiquité tardive… expérimenta aussi un autre temps… d’asymétrie, et cela (autant) jusqu’au bout !

Sur Internet enfin, des clichés circulent depuis la Hongrie sous Orban, et on y découvre ces photos en grand, dénonçant la politique subversive de Soros et de Juncker. Europe alors plurielle, et sur les murs d’un bistrot en mer Égée, on préfère y accrocher ces traces encore palpables de la période italienne des îles du Dodécanèse. Les anciens s’en souviennent toujours, et c’était surtout le temps de leur enfance.

De la politique de Soros et de Juncker. Hongrie 2019, Internet grec et européen
Athènes au quotidien. Mars 2019
Mémoire italienne. Dodécanèse, années 2010-2019

Pourtant, la dimension sociale, voire celle de classe elle y est, et alors entière. La directrice locale d’un établissement appartenant à une enseigne grecque de supermarché, a récemment adressé un courrier à “ses” employés, courrier dont le contenu a pu être divulgué aussitôt dans la presse. “Vous devriez sourire aux clients car même ceux qui parmi vous gagnent 300€ par mois, ils doivent se rendre compte des réalités: 300€ c’est 300% de plus… que zéro”, presse grecque du 5 mars 2019. Bien entendu, devant le scandale et l’indignation provoqués depuis, cette directrice… présentée comme étant particulièrement locale, elle a été licenciée en pur marketing alors d’urgence, presse grecque du 8 mars. C’est bien connu, les fusibles ne sont pas eternels, contrairement aux inégalités, aux injustices et aux autres rapports de force.

Temps anciens et temps nouveaux… visiblement entremêlés. La presse s’en occupe à sa manière, lorsqu’elle ne s’attarde pas sur les belles prises des caïques de l’Égée, ou sur les repas de fête chez les moines du Mont-Athos, justement pour ne pas remâcher sur la politique. Temps dont il est question chez André-Jean Festugière, et notamment à travers les pages de son “Épicure et ses dieux”, datant certes de 1946. Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain. Un choc… ayant fini par être bien gobé chez le commun des mortels.

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme? Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées. Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Caïque et sa belle prise. Presse grecque, mars 2019
Repas de fête au Mont-Athos. Presse grecque, mars 2019

Le pays, désormais simple colonie dans un État plus vaste, l’Empire européiste, perd son âme, jusqu’à la preuve du contraire. Au final, il reste certes un habitat, un cadre matériel, plus Airbnb bien entendu. Ce pays des citoyens n’est plus un idéal et l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie.

Il devient un numéro, comme l’homme moderne… en week-end prolongé pour cause de Carnaval, surtout au moment de la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes en ce Printemps 2019. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu paraît-il actuellement. Ce qui compte cette semaine c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel, de promenoir en promenoir en cet unique et peut-être inique… Printemps du peuple.

Il y a certes de quoi parfois être las de la politique. Comme l’avait suggéré au sujet du politique mais en bien d’autres circonstances un grand écrivain français, “dans cette sphère, ce que nous appelons la sottise humaine éclate avec une satisfaction monstrueuse.”

Pas d’échappée donc cette année pour Greek Crisis en ce week-end prolongé. Frugalité obligatoire, pourtant digne, en ce moment inaugural du carême orthodoxe. Livres et alors relectures. C’est d’ailleurs le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive, ainsi que dans un sens, toute la mesure des limites de l’âme.

En compagnie bien entendu de Mimi et du jeune Hermès, dit parfois le Trismégiste.

Hermès de Greek Crisis… le Trismégiste. Athènes, mars 2019

Taxe GAFA : le gouvernement ne s’attaque pas à l’injustice fiscale

Taxe GAFA : une mesure symbolique qui ne s’attaque pas à l’injustice fiscale

mardi 5 mars 2019, par Attac France

Mercredi 6 mars, Bruno Le Maire présentera en Conseil des ministres le projet de loi dit « taxe GAFA ».

Si les géants du numérique payent des impôts dérisoires en France c’est parce qu’ils déclarent artificiellement leurs revenus dans des paradis fiscaux. Attac, qui milite depuis des années pour une juste taxation des multinationales là où elles réalisent leurs activités, se félicite que ce sujet soit enfin discuté. Toutefois, le projet du gouvernement est loin de résoudre l’anomalie qu’il prétend combattre.

Cette taxe doit s’appliquer à toute entreprise proposant des services numériques en France et dont le chiffre d’affaires lié aux activités numériques est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Le gouvernement espère 500 millions d’euros de rentrées fiscales par an. Une trentaine d’entreprises du numérique seraient concernées, telles que Uber, Booking ou Airbnb, mais aussi et surtout, les GAFA* (Google, Amazon, Facebook, Apple), premières cibles de cette taxation.

500 millions, un rendement modique

Il est aujourd’hui de notoriété publique que les géants du numérique déclarent artificiellement leurs revenus dans des paradis fiscaux comme l’Irlande ou les Pays-Bas, et payent des impôts dérisoires en France. Le gouvernement affirme que la « taxe GAFA » va résoudre cette anomalie.

Or le projet se limite à instaurer une taxe de 3% sur ce que Bruno Le Maire nomme le « chiffre d’affaires numérique » (marketplace, ciblage publicitaire, revente de données personnelles à des fins publicitaires). La recette espérée de 500 millions d’euros est un montant symbolique quand on sait qu’Amazon seule a un chiffre d’affaires estimé en France à 6,6 milliards d’euros en 2018 [1].

Selon Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, « Cette taxe est symbolique et ne règle en rien le problème de l’évasion fiscale massive de ces multinationales. C’est comme si on reconnaissait à ces entreprises un droit à l’évasion fiscale et qu’on se contentait de récupérer quelques miettes. Contrairement à ce que prétend la majorité, les GAFA ne vont pas être imposés « comme tout le monde » [2], ni payer leur « juste part d’impôts » [3]. Cette mesure est avant tout un coup de communication, destiné à montrer, à quelques semaines des élections européennes, que le gouvernement prétend répondre à la demande de justice fiscale ».

Pour une taxation unitaire des multinationales

Pour Dominique Plihon, porte-parole d’Attac, « si le gouvernement voulait vraiment mettre fin à ce scandale, il faudrait plutôt prélever une partie des bénéfices mondiaux des multinationales en s’appuyant sur des critères d’évaluation de leur activité réelle dans chaque pays : nombre d’employé·e·s, usines, magasins, montant des ventes ou encore parts de marché. »

Appelée taxe globale ou taxe unitaire, cette mesure permettrait de neutraliser durablement les transferts artificiels de bénéfices vers les paradis fiscaux. Fin janvier, dans le cadre de l’OCDE, 127 pays se sont engagés à trouver d’ici à 2020 un accord international sur la taxation des géants du numérique. « Un engagement qui va dans le bon sens, poursuit Dominique Plihon, mais il reste encore beaucoup d’obstacles politiques pour que cela devienne réalité. »

Les difficultés pour évaluer les pertes fiscales engendrées par les pratiques des géants du numérique puisent leur source dans l’absence de transparence et la grande opacité dont ils bénéficient. Il est donc nécessaire d’instaurer un reporting public pays par pays, afin de connaître l’activité réelle des multinationales dans chaque pays et de les taxer en conséquence.* nous reprenons ici le terme employé par le gouvernement mais il serait plus juste de parler de « taxe GAFAM », en ajoutant Microsoft à ce terme, tant l’entreprise possède un poids économique et une présence sur le « marché du numérique » semblables aux « GAFA ».

Grèce : les jeunes exclus de l’allocation logement

Le mouvement Generation 400 dénonce la décision du gouvernement concernant l’exclusion de l’allocation de loyer de 70 à 210 euros des nouveaux employés et des chômeurs de la génération 400, avec une annonce révélant qu’elle exclut tous ceux (en particulier les jeunes) qui travaillent et sont payés même avec le salaire minimum.
La nouvelle allocation varie entre 70 et 210 € par mois en fonction de critères de revenus et a commencé à être versée à partir du 1er janvier.

GENERATION 400 condamne ce système et dénonce :
« SYRIZA est fier de cet « avantage », persuadé qu’ils vont soulager 300 000 ménages vivant en location ou avec un prêt immobilier pour leur résidence principale. Vous penserez sûrement qu’il s’agit d’un montant non négligeable et au moins de quelque chose (!). Mais si l’on considère ce qui s’est passé ces dernières années en matière de logement, il ne s’agit que d’une miette!
Pour que les chiffres parlent d’eux-mêmes, nous pouvons bien sûr mentionner le cas qui concerne directement les employés de notre génération. Pour un ménage d’une personne, pour un nouvel employé, l’allocation est de 70 euros par mois. Ce nouvel employé est rémunéré (sur la base de l’augmentation du salaire minimum) de 546 € nets par mois, soit un revenu annuel de 7 644 €. Ce travailleur n’a pas d’allocation de loyer! Pourquoi ? Parce que, sur la base des critères de revenu pour rejoindre le programme, le revenu total du ménage ne peut dépasser 7 000 € pour un ménage composé d’une seule personne!
Pour nous qui avons cherché un logement ces dernières années dans les grands centres urbains afin de nous rapprocher de notre travail ou de le trouver, de faire un diplôme de deuxième ou de troisième cycle dans la chasse continue aux titres et qualifications exigés par le travail « moyenâgeux » , nous savons très bien ce qui se passe: de nombreuses maisons dans la région que nous souhaitons sont uniquement disponibles sur AirBnB, des mois de recherche continue, des sous-sol à moitié démoli près de l’électricité avec 300 € de loyer, des maisons que nous devons quitter de mai à septembre car le propriétaire préfère louer à des touristes pendant ces mois.
Pour les enseignants auxiliaires (un exemple important de travailleurs parce qu’ils sont obligés de changer d’île ou de ville chaque année), les conditions de vie, en particulier dans les destinations touristiques, sont insupportables sans logement de fonction car les logements disponibles sont chers et rares. Avec un salaire de 700 à 800 euros et un loyer de 400 euros, la situation est devenue insupportable pour de nombreux enseignants. Enfin, des démissions ont eu lieu, qui ne peuvent résister à la pression financière, peu importe ce que cela signifie pour le fonctionnement de l’école publique.
Pour un étudiant, le problème est tout aussi grave. Il est obligé de rester à une heure de son université, avec un moyen unique de transport avec les problèmes connus qui les rendent de plus en plus difficiles à utiliser.
Dans ce contexte, les 70 euros que le gouvernement attribue représentent littéralement une goutte d’eau dans un verre prêt à déborder de l’indignation ressentie par les jeunes lors de conversations quotidiennes avec des amis qui finissent toujours par « je ne m’en sors pas ».
Pour nous la solution est simple:
– Augmentations de salaires,
– Logement gratuit pour les étudiants et les chômeurs.
– Allocation de logement pour les jeunes à bas salaire qui corresponde au loyer et aux besoins.
– Critères d’adhésion au système d’allocation de logement qui sont réels et répondent aux besoins de la vie et pas seulement à la survie de chaque employé.
– logements de fonction pour les enseignants auxiliaires et les médecins ruraux.
– Enfin, dans l’exploitation commerciale de chaque quartier d’Athènes et du centre de Thessalonique, le plafond et la réglementation des plateformes de location à court terme.

Pour une vie qui ne soit pas seulement un combat de survie! »

C.K

L’action du FMI dans la crise de la dette grecque

 25 février par Pierre Pénet

Athènes, le 5 mai 2010 (CC – Flickr – Nikos Roussos)

Cet article analyse comment les gouvernements européens se sont employés à « tordre » les chiffres produits par le Fonds Monétaire International (FMI) afin de permettre la certification des politiques austéritaires durant la crise de la dette européenne. Le cas traité est celui du programme d’austérité en Grèce. Trois résultats sont mis en évidence.

- Cet article montre qu’en 2010 les économistes du Fonds du FMI ont proposé une restructuration de la dette grecque car ils avaient de sérieux doutes sur les chances de succès de l’austérité. Face au refus des pays européens de restructurer la dette grecque, les experts du FMI ont été contraints d’ignorer les risques de l’austérité sur l’économie grecque.

- Sur la base de données inédites, cet article identifie dans les rapports d’expertise du FMI plusieurs paragraphes copiés-collés à partir des rapports de la Commission Européenne. Ce plagiat institutionnel a permis au FMI d’effacer les doutes que ses experts entretenaient vis-à-vis de l’austérité et de mettre en scène un consensus public avec les institutions européennes.

- Plus généralement, le plan d’austérité en Grèce n’a pas été conçu pour « réussir » d’un point de vue économique : son véritable objectif était de combler des procédures décisionnelles défaillantes et de permettre la survie de l’Eurozone. De ce point de vue, l’application généralisée de l’austérité à l’échelle continentale ne procède pas simplement d’une préférence idéologique pour les coupes budgétaires mais découle surtout des contraintes institutionnelles européennes qui découragent des types alternatifs d’action publique comme la relance budgétaire et la mise sous contrôle des banques, des outils appliqués aux États-Unis après 2008).

Ici le lien libre d’accès vers l’article en anglais : https://www.researchgate.net/publication/328124673_The_IMF_failure_that_wasn’t_risk_ignorance_during_the_European_debt_crisis

Auteur.e Pierre Pénet Chercheur senior FNS Université de Genève | Institut d’histoire économique Paul Bairoch

Source http://www.cadtm.org/L-action-du-FMI-dans-la-crise-de-la-dette-grecque

La violence systémique du capitalisme néolibéral

Violences : « Comparer des voitures brûlées avec les ravages du néolibéralisme depuis 40 ans est absurde »

Les images de violence « ne résument en rien le mouvement actuel », estime l’historien François Cusset, auteur d’un livre sur « le déchainement du monde, logique nouvelle de la violence », publié au printemps dernier. Pourtant, nombre de commentateurs indignés tentent bien de réduire la mobilisation des gilets jaunes aux seules images de dégradations et d’affrontements. Et passent sous silence d’autres violences, celles « du temps ordinaire » que décrit l’historien dans son livre : contagion sociale du stress, précarité, violences contre l’environnement, oppressions sexistes… « Jamais le système économique actuel ne s’est autant accommodé de la violence », dit-il. Entretien.

Basta ! : Une nouvelle loi anti-casseurs adoptée en vitesse, une profusion de commentaires s’indignant de la violence des manifestations sur les plateaux télés, et même un défilé, celui des « foulards rouges », dont le mot d’ordre est « stop à la violence »… Que vous inspire cette focalisation sur la violence du mouvement des gilets jaunes qui en arrive à son troisième mois de mobilisations ?

François Cusset [1] : La violence est avant tout celle que subissent les gilets jaunes : non seulement de la police, avec 300 blessés graves en trois mois, mais aussi des bons bourgeois et des nouvelles lois liberticides. Le rôle désormais central de l’image permet de réduire un mouvement social à ses exactions, ou à sa défense active, aux dépens de ses autres aspects. Les images des détériorations, de l’Arc de triomphe à Paris par exemple, et celles des visages tuméfiés des manifestants après l’usage d’armes par la police circulent plus facilement, mais elles ne résument en rien le mouvement actuel.

Et n’oublions pas que certaines dégradations sur la voie publique, comme les vitrines d’agences bancaires cassées ou les barricades érigées dans les quartiers chics de la capitale, ont un sens plus politique. En ne retenant que ces images, on ne fait plus la différence, et on rabat la résistance sociale sur le nihilisme ou la brutalité d’État : ce n’est pas du tout la même chose. Les dégradations de l’Arc de triomphe relèvent du défi, du vandalisme bravache. Les barricades sur la voie publique sont plus proches de l’action d’autodéfense collective.

La question de la violence n’est pas un thème en soi. Nous sommes face à diverses formes, complémentaires, d’expression de la contestation. La voiture brûlée ou le cordon policier défié font partie d’une panoplie d’ensemble, qui va de l’indocilité à la mise en œuvre d’alternatives collectives en marge de la société, en passant par la subversion depuis l’intérieur du système économique. Et, tout simplement, comparer quelques voitures de sport enflammées et des abribus brisés avec les ravages systématiques du néolibéralisme dans les vies depuis 40 ans est absurde. Une telle violence systémique engendre mécaniquement une contre-violence réactive, dérisoire dans ses moyens mais photogénique. Pour l’essentiel, cette violence s’exprime sur des objets ou des façades.

Dans l’expression du mouvement, l’occupation de certains lieux, des rond-points à l’Ouest parisien, qui concentre de nombreux lieux de pouvoir politiques et économiques, a été l’un des modes d’action privilégié. Comment l’analysez-vous ?

La contestation, en 25 ans, est passée du social au territorial. Les logiques de classe et les identités politiques sont brouillées. Elles sont donc remplacées par un enjeu d’occupation territoriale, comme lors du mouvement Occupy Wall Street aux États-Unis ou les occupations de place en Europe – en Grèce et en Espagne – et dans le monde arabe. Sur les ruines des mots d’ordre politique antérieurs, en crise, il s’agit pour les manifestants de recréer du commun : soit dans des territoires abandonnés par le pouvoir – c’est le cas dans certains quartiers populaires d’Athènes ; soit dans des lieux qui incarnent symboliquement l’opulence, où il est logique de venir braver le pouvoir, comme sur les Champs-Élysées et ses environs ; ou encore dans des endroits qui sont des sites de résistance, comme les « zones à défendre » (ZAD). A Notre-Dame-des-Landes, nous avons assisté à une autre forme d’occupation du terrain, avec des personnes qui s’approprient et cultivent un lopin de terre, se battent pour un territoire sur lequel elles expérimentent des formes d’existence collective.

Avec les gilets jaunes, le défi territorial est sans précédent : jamais les beaux quartiers de Paris n’avaient été occupés par une foule aussi longtemps et de manière aussi répétitive, même pendant les épisodes révolutionnaires. Dès le début de la Commune [du 26 mars au 28 mai 1871, ndlr], l’ouest parisien avait été repris par les « Versaillais ». Cette occupation répétée au fil des « Actes » et des semaines comporte une dimension symbolique – aller sous les fenêtres du pouvoir et de ses lieux – et une signification politique : quand on estime n’avoir plus rien à perdre et personne à qui confier sa représentation – ni parti, ni organisation, ni institution –, le défi est d’aller occuper assez longtemps le terrain adverse pour qu’il se passe quelque chose. Relever ce défi suppose de nouer un lien collectif sur place et de poser ensemble la question du commun : la question de ce que l’on fait là, tous, à cet endroit précis.

La première victoire des gilets jaunes n’est-elle pas de rendre visible, au moins temporairement, la violence économique et sociale que subissent nombre de personnes ?

C’est l’aspect incontestablement le plus fécond du mouvement. C’est aussi son ferment révolutionnaire. Il a rendu visible les dégâts sociaux du capitalisme, la paupérisation, la souffrance, et créé sur cette base du commun. Il démontre en actes que cette guerre sociale peut être un socle collectif, le point de départ d’un combat plus solide et ancré, que les motifs antérieurs de lutte, davantage liés à des options partisanes ou à des identités précises à défendre. Celles-ci n’ont pas disparu. Elles sont – en partie – suspendues, mises sous silence, au moment de rejoindre l’endroit où l’on va manifester : dans les cortèges, on aperçoit peu de drapeaux, aucun signe d’affiliation politique.

La présence de l’extrême-droite suscite pourtant l’inquiétude…

En regardant en détail les accoutrements, on peut repérer dans la foule des militants d’extrême-droite. Et puis certains fascistes attaquent des groupes d’extrême-gauche. Mais dans l’ensemble c’est un mouvement dont la composante déjà politisée, qui semble minoritaire, a choisi de taire sa provenance politique, parce que la majorité l’exige : si vous êtes avec nous c’est sans récupérer notre mouvement. Les gilets jaunes musulmans, hélas trop rares, comme les gilets jaunes islamophobes, laissent en quelque sorte au vestiaire leur appartenance politique ou religieuse pour rejoindre le mouvement, le temps d’un samedi.

Cette suspension tactique des identités intervient pourtant dans un monde très identitaire – par la politique, la religion, la nation, l’origine. Mais la pregnance du contexte, l’élan des circonstances sont si forts qu’ils relèguent au second plan les identités antérieures, et constituent un peuple capable de coordonner son action pour affronter le pouvoir. La suspension de ces appartenances fait la puissance du mouvement, mais ne règle pas tout : la suspension des identités ne fait pas une nouvelle identité. Elle est aussi une limite.

Si les identités politiques ou syndicales sont suspendues le temps du mouvement, dans quelle héritage historique s’inscrit-il ?

La référence explicite et spontanée, dans les discussions du samedi, à des épisodes révolutionnaires antérieurs – 1789, 1848, Mai 68 – exprime la raison qui les guide : face à une injustice sociale sans précédent, nous n’avons rien à perdre et le pouvoir va finir par céder. On a parfois l’impression d’un clin d’œil aux ancêtres, d’une sorte de connivence historique avec leurs homologues d’il y a deux siècles. Qu’ils aient à l’époque pu révoquer puis guillotiner un roi sous-tend la foi des gilets jaunes : tant que nous tiendrons le pavé ensemble, nous avons une chance que le pouvoir cède.

Le contexte politique bien sûr n’est plus le même. Nous vivons aujourd’hui dans un système politique et institutionnel entièrement bloqué par un chantage moral, qui est en réalité idéologique : soit le libéralisme autoritaire et l’austérité bruxelloise, la ploutocratie sans espoir, soit le 3ème Reich à la française, ou la rafle du Vel d’Hiv. Du moins tel qu’a été présenté le deuxième tour de la dernière présidentielle. Le système est figé dans cette alternative, imposée comme le seul choix effectif.

La « contre-violence » des gilets jaunes répond, dîtes-vous, à la violence systémique du néolibéralisme… Pourquoi celle-ci paraît-elle presque invisible dans le débat public ?

Le terme violence est trompeur, il évoque le déclenchement d’un coup : une violence vient soudain briser le temps ordinaire. Or, la violence systémique du capitalisme néolibéral est à ce point présente dans les normes et les lois, les inconscients ou les courtoisies de façade, qu’elle en devient ordinaire, structurelle : le stress, la dépression, la haine de soi, la rivalité, la tension sociale, la pollution et la destruction de la vie.

Attention cependant à ne pas sombrer dans le simplisme mono-causal : ces « violences-monde », comme je les appelle, n’ont pas une cause unique, mais des causes multiples et parfois ancestrales, comme pour les violences sexistes et sexuelles. Les violences environnementales, inter-ethniques ou encore sexuelles ne sont pas des objectifs directs et conscients du système économique. Il s’en accommode, voire cherche à en tirer profit, à faire son miel des autres violences – comme le disait Naomi Klein du « capitalisme du désastre » et de sa « stratégie du choc ».

C’est à dire ?

Une catastrophe environnementale ou un attentat terroriste ne sont pas provoqués sciemment par « le système », évidemment. Mais une fois que le désastre a lieu, le système économique se saisit de l’aubaine pour imposer un « ajustement structurel » [des privatisations, des coupes budgétaires, des baisses de salaires, une réforme néolibérale des retraites ou des protections sociales, etc., ndlr]. Il est plus facile d’imposer un cran supplémentaire de paupérisation, de paranoïa sécuritaire ou d’objectif de rendement après un tremblement de terre ou un krach boursier qu’après une élection. La violence est au cœur de la genèse historique du capitalisme, elle n’est pas seulement un heureux accident, elle est aussi une origine sans cesse reconduite : le capitalisme moderne est né, il y a un demi-millénaire, de la traite négrière et de la colonisation.

On a voulu nous faire croire que le commerce adoucissait les mœurs. Le plus souvent, c’est la violence qui le stimule. On a oublié qu’en quatre années de mobilisation dans la deuxième guerre mondiale, entre 1941 et 1945, les États-Unis ont doublé leur PIB. Il faut se défaire de l’idée que la violence est une exception au sein du système économique. Jamais le système économique actuel ne s’est autant accommodé de ces violences ou en a été aussi directement partie prenante. Augmenter les rendements nécessitera toujours d’augmenter les contraintes, donc la violence.

Qu’a changé le tournant « néolibéral » dans la manière de ressentir et de subir cette violence ?

Entre le début des années 1970 et la fin des années 1980, le système économique dominant évolue. C’est d’abord l’extension à toute la planète de ce régime économique, et à toute l’existence de la valeur marchande. C’est aussi le déclin, voire la destruction, des gardes-fous qu’avait inventés ou laissés se développer le capitalisme et qui compensaient sa dureté : l’État providence, notamment, dont la période de gloire se situe après la seconde guerre mondiale, avec ses systèmes éducatifs et de protections sociales universels et accessibles. La privatisation en cours de ces systèmes, ou l’introduction dans leur fonctionnement d’une logique exclusivement comptable, le retrait de l’État d’autres missions, mettent fin à ces gardes-fous. Ce qu’on peut appeler la radicalisation du capitalisme consiste dans le règne sans partage de ses dogmes et dans la disparition de ces contrepoids. Nous payons aujourd’hui le prix très lourd d’une telle évolution.

Dans les autres formes de violences, quasi invisibles médiatiquement, vous évoquez la « violence évaluatrice » et « la contagion sociale du stress », en particulier dans le monde du travail. Comment s’exerce-t-elle ?

La violence évaluatrice est une violence du temps ordinaire : elle ne fait pas exception, elle ne laisse pas de traces, ni trauma, ni effusion de sang. Beaucoup d’évaluations, prises isolément, ont une raison d’être, pour l’évolution de carrière, le bilan de santé, etc. Le problème est la démultiplication de ces évaluations, leur flicage inutile et pesant, le fait qu’elles structurent notre vie quotidienne, de la naissance à la mort. Nous sommes évalués de l’école maternelle jusqu’à la retraite ; évalués par le bulletin scolaire, pour trouver du travail, pour mériter le chômage, pour que la police et la justice s’assurent de notre vertu. Notre état de santé est évalué constamment par les assurances…

Il existe aussi une auto – et une inter – évaluation permanente, parfois anxiogène parfois divertissante, pour laquelle les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel, avec le recueil de données sur nos comportements qui sont ensuite commercialisées. Le terme d’évaluation fait partie de ce langage châtié qui permet de voiler la violence du geste. Or, l’évaluation permanente est un processus de destruction de l’autonomie, pour l’évalué comme pour l’évaluateur : c’est de l’extérieur, contre l’intéressé, qu’on va désormais définir la valeur de quelqu’un.

Comment digérer ou extérioriser ces « violences monde » et « cette violence du temps ordinaire » que vous décrivez dans votre livre ? Comment la réguler ?

On pourrait réduire le rapport à la violence de chaque sujet à un double flux de violence « entrante », ce qui fait violence à quelqu’un, et de violence « sortante », ce que cette personne fait de cette violence et la manière dont elle l’extériorise, la sublime, la compense – ou juste la « gère », comme disent les jeunes. Car cette extériorisation se fait, depuis toujours, selon deux modes principaux. Par la culture et la sublimation d’abord, qui permettent de renvoyer vers l’extérieur (fiction, spectacle) les passions et les violences subies par nous-mêmes, pour nous en soulager, comme le font le cinéma, les séries télé, le théâtre, mais aussi le sport qui accomplit une catharsis énergétique et physique. Mais une autre manière de l’extérioriser consiste à en transférer la responsabilité, à imputer à un groupe donné le mal que nous subissons : de l’employé malmené qui va se défouler sur son épouse, jusqu’au transfert vers des boucs-émissaires raciaux ou religieux. La liste des bouc-émissaires historiques est longue : les juifs, les musulmans, les roms, les homosexuels, les bobos, les États-Unis, les Chinois…

Nous vivons une crise simultanée de ces deux formes de régulation de la violence. La catharsis culturelle est rendue difficile par l’explosion quantitative et qualitative de la culture de l’image, elle-même porteuse de violence. Et la sublimation n’est pas la même lorsque nous sommes spectateurs et lorsque nous interagissons. La promesse d’interactivité elle-même, via les réseaux sociaux par exemple, produit aussi de la frustration – je n’ai pas suffisamment de « like ». Reste le transfert émotionnel vers des victimes expiatoires. Dans un monde en crise et déstabilisé, c’est la porte ouverte aux démagogues et aux charlatans. Et le risque du pire, fascisme ou ultra-patriotisme.

Propos recueillis par Ivan du Roy

Photo : Lors de l’Acte XIII des gilets jaunes,le 9 février / © Serge d’Ignazio

A lire : Le déchainement du monde, logique nouvelle de la violence, éd. La Découverte, 237 pages.

Notes

[1François Cusset est historien des idées, professeur à l’université de Nanterre, auteur de « Le déchainement du monde, logique nouvelle de la violence », éd La Découverte.

Source Basta!, 11 février 2019

Des sanctions contre les chômeurs à l’ensemble des minimas sociaux ?

Comment des sanctions contre les chômeurs risquent, demain, de s’étendre à l’ensemble des minimas sociaux Par Rachel Knaebel 

Depuis début janvier, les chômeurs sont soumis à des contrôles renforcés en France. Un rendez-vous manqué, une offre d’emploi dite « raisonnable » refusée, et c’est la radiation, plus ou moins longue, avec suspension des indemnités. Cette politique punitive s’inspire clairement de celles qui sont menées en Grande-Bretagne et en Allemagne, où les sanctions se sont progressivement appliquées aux autres prestations sociales, allocations familiales ou aides au logement. Leurs conséquences sont sans appel : « Elles frappent d’abord les personnes les plus faibles », repoussées vers une encore plus grande pauvreté. En Allemagne, le tribunal constitutionnel est d’ailleurs en train de se pencher sur la légalité de ces sanctions. Explications.

Début janvier, le gouvernement français a durci par décret les contrôles et les sanctions à l’encontre des chômeurs. Cette politique ne tombe pas du ciel. Au Royaume-Uni, la possibilité de supprimer les allocations aux demandeurs d’emploi, qui manquent des rendez-vous ou sont jugés trop peu assidus dans leurs démarches, existe depuis plus de dix ans. « En 2007, le gouvernement travailliste a adopté une loi prévoyant des sanctions contre les personnes handicapées et en longue maladie, considérant que beaucoup n’étaient pas vraiment en incapacité de travailler », rappelle Anita Bellows. Depuis cette date, l’activiste du collectif « Personnes handicapées contre les coupes » (Disabled People Against Cuts) suit les effets de ces sanctions sur les personnes concernées. Et elles sont de plus en plus nombreuses.

Ces sanctions ont rapidement été étendues à l’ensemble des demandeurs d’emplois et des travailleurs pauvres qui perçoivent une allocation. Outre-Manche, une personne qui se retrouve au chômage percevra une indemnité forfaitaire pendant six mois (le Jobseeker allowance). Ensuite, elle recevra un minima social calculé en fonction de sa situation familiale, de ses revenus, du montant son aide au logement, etc. « En 2012, les conservateurs ont fait adopter une nouvelle loi, un « Welfare Act », qui a durci les sanctions à l’extrême. Elles ont gagné en durée et en sévérité », poursuit Anita Bellows.

« Les allocations peuvent être interrompues jusqu’à trois ans d’affilée »

« Les allocations peuvent être interrompues jusqu’à trois ans d’affilée, précise John, conseiller dans une agence du « Jobcentre » britannique du centre de l’Angleterre [1]. Même si la personne recommence à chercher du travail avec assiduité, si elle accepte de candidater à tout, ces sanctions ne sont pas levées. Une fois la décision prise, les allocations restent suspendues. » Et ce, jusqu’à l’échéance de trois ans ou si l’allocataire porte un recours en justice. « Des gens qui ne viennent pas à un rendez-vous parce qu’ils sont à l’hôpital sont sanctionnés, de même que des femmes qui sont en train d’accoucher… Quand les gens engagent un recours au tribunal, ils ont de bonnes chance de gagner, de faire annuler la décision », illustre Anita Bellows.

La justification affichée, en Grande-Bretagne comme en France, de ce nouveau régime de sanctions est d’inciter les personnes à retravailler le plus vite possible. Quels sont les résultats concrets de cette politique ? « Certaines catégories de personnes sont particulièrement vulnérables et affectées par la suspension des allocations. Cela inclut les parents isolés, les jeunes adultes qui sortent tout juste du système d’aide sociale à l’enfance, les personnes malades ou handicapées », souligne un rapport du Parlement britannique en octobre dernier. Souvent, les personnes sanctionnées « empruntent de l’argent, coupent dans leurs dépenses alimentaires et les autres dépenses de première nécessité, ou ne paient plus leurs factures, plutôt que d’augmenter leur revenus en retrouvant du travail », rapporte encore l’enquête parlementaire.

« Ces sanctions ont été utilisées pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage »

Les députés britanniques citent le cas d’une mère célibataire contrainte de se tourner vers les banques alimentaires. Son allocation avait été réduite parce qu’elle avait quitté un emploi à temps plein pour travailler à temps partiel, ne pouvant plus payer la garde de ses enfants. « Les personnes les plus sanctionnées sont celles qui ont déjà le plus de mal à naviguer dans le système, a constaté Anita Bellows. Ces sanctions, nous y sommes opposés par principe. En plus, elles ont été utilisées pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage » Résultat : si le taux de chômage officiel britannique affiche un séduisant 4 %, le nombre de travailleurs pauvres y est trois fois plus élevé qu’en France, avec plus d’un salarié sur cinq concerné !

En Angleterre, « la mise en place des sanctions s’est faite dans une grande indifférence, parce que les chômeurs sont stigmatisés. Mais aujourd’hui, avec le système de l’Universal Credit, qui fusionne les allocations sociales et chômage sous un même guichet, des personnes qui travaillent mais touchent des allocations parce que leurs revenus sont bas se retrouvent aussi sanctionnées. On commence donc à en parler plus largement », rapporte Anita Bellows. La réforme du « Crédit universel » (Universal Credit), votée en 2012, se met en place progressivement. Elle fusionne dans un même service et une même allocation l’ensemble des aides : l’allocation chômage minimum – l’équivalent du RSA –, l’allocation pour les personnes dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie ou de handicap, l’aide au logement, le crédit d’impôt pour la reprise d’un travail et le crédit d’impôt pour les enfants à charge. C’est cette allocation devenue unique qui peut désormais être réduite « si vous ne faites pas ce pourquoi vous vous êtes engagé », comme chercher du travail et fréquenter un Jobcentre [2].

En Allemagne, des sanctions renforcées pour les jeunes

En Allemagne, les sanctions contre les chômeurs peuvent également concerner leur aide au logement. Mi-janvier, le tribunal constitutionnel, la plus haute juridiction du pays, a commencé à étudier la question : ces suspensions d’allocations sont-elles compatibles avec la Constitution ? Le contrôle des demandeurs d’emploi y a été durci il y a plus de dix ans, au moment de la réforme du système d’assurance-chômage de 2005. La durée du chômage indemnisé a alors été limitée à un an. Le chômeur touche ensuite une allocation minimum, appelée « Hartz IV ». Le versement de cette allocation fait l’objet de contrôles renforcés destinés à « remettre au travail » au plus vite la personne concernée. Un rendez-vous raté, une formation refusée, une offre d’emploi à laquelle on ne candidate pas, signifient une coupe immédiate d’une partie de l’allocation, jusqu’à une suspension intégrale en cas de récidive.

Pour les moins de 25 ans, les sanctions sont encore plus drastiques : au moindre manquement, c’est la suppression totale de l’allocation. Au deuxième, l’aide au loyer – payée directement au propriétaire du logement – est aussi suspendue. « Ce traitement plus dur envers les jeunes est officiellement justifié comme une mesure “éducative” », déplore Inge Hannemann, aujourd’hui élue municipale de Hambourg pour le parti de gauche Die Linke. L’élue travaillait auparavant au Pôle emploi allemand, le « Jobcenter », entre 2005 et 2013, où elle a protesté contre la politique des sanctions. Avant, finalement, de se faire licencier.

Spirale d’endettement et perte de logement

« Les sanctions touchent avant tout les personnes qui sont déjà dans des situations difficiles : celles qui ont des troubles psychiques, les migrants, les personnes qui ne maîtrisent pas bien l’allemand ou qui, même si elles sont allemandes d’origine, ne maîtrisent pas le langage administratif. En fin de compte, elles frappent les plus faibles », souligne Inge Hannemann. Un centre social de la région de Wuppertal, dans la Ruhr, a récemment réalisé, en vue de l’audience au tribunal constitutionnel, un sondage auprès de plus de 21 000 personnes, chômeurs, travailleurs sociaux, avocats, agents du Jobcenter, sur les conséquences du régime de sanctions.

Les résultats de l’étude sont sans appel. Pour près trois-quarts des participants à l’enquête, les réductions d’allocation représentent le début d’une spirale d’endettement. Plus de 60 % des personnes interrogées affirment aussi que les sanctions contribuent à une perte de logement. Plus de 90 % des personnes qui ont répondu estiment, en outre, que les sanctions n’aident pas du tout à réintégrer les chômeurs sur le marché du travail. La majorité des agents des Jobcenter partage également ce point de vue.

« On n’aide pas les gens en leur faisant peur »

Pourtant, les sanctions pleuvent. Selon l’Agence pour l’emploi allemande, entre octobre 2017 et septembre 2018, plus de 920 000 sanctions ont été prononcées contre 400 000 chômeurs (un même chômeur peut être sanctionné plusieurs fois dans l’année). Un chômeurs sur six a été sanctionné dans l’année ! Pour les trois-quarts des sanctions, le motif était un simple rendez-vous raté [3]. « Quand j’ai commencé à dénoncer publiquement les sanctions, des collègues m’ont donné raison en interne, mais ils n’osaient pas le dire publiquement parce qu’ils craignaient de perdre leur job. Leur peur était justifiée. C’est ce qui m’est arrivé », témoigne aujourd’hui Inge Hannemann. Avec la procédure en cours auprès du tribunal constitutionnel, les langues se délient. Fin janvier, la directrice d’un Jobcenter local, celui de Brême, a sévèrement critiqué le système des sanctions dans une interview à un quotidien régional : « On n’aide pas les gens en leur faisant peur », a-t-elle déclaré, dénonçant les « dégâts » provoqués par les coupes dans les allocations.

Pour autant, l’ancienne conseillère Inge Hannemann ne croit pas que le tribunal constitutionnel, qui devrait rendre sa décision dans quelques mois, va interdire de couper les allocations aux chômeurs. « Le tribunal pourrait arriver à la conclusion qu’on ne peut pas couper le minimum vital. Mais pour les chômeurs, il y a un système de bons alimentaires qui peuvent être attribués quand les allocations sont suspendues. Donner ces bons est obligatoire pour les foyers où il y a des enfants mineurs. Sinon, il faut en faire la demande. Mais c’est le même conseiller qui décide de sanctionner et d’attribuer, ou pas, les bons. Et tous les magasins ne les acceptent pas, surtout à la campagne. Le tribunal pourrait en revanche affirmer qu’il faut arrêter de sanctionner plus sévèrement les moins de 25 ans, et qu’on ne peut pas supprimer l’aide au paiement du loyer, parce que cela met les gens à la rue, analyse l’ancienne conseillère. Mais il est possible que cela ne soit qu’une recommandation, et qu’ensuite la gouvernement prenne son temps pour légiférer, ou attende les prochaines élections. » Celles-ci auront lieu en 2021.

En France, l’ensemble de la protection sociale bientôt soumise aux mêmes sanctions ?

Et en France ? L’aide au logement ou les allocations familiales pourront-elles, demain, être aussi concernées par les sanctions visant un demandeur d’emploi jugé pas suffisamment zélé ? Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre en œuvre la fusion des allocations et aides. La version française de l’Universal Credit c’est l’« Allocation sociale unique », envisagée par le gouvernement [4]. « Il faut regarder ce qui se passe en Grande-Bretagne car ils sont souvent les premiers à mettre en œuvre des réformes que les autres pays reprennent ensuite », alerte Inge Hannemann. La mise en place de l’aide sociale unique telle que le souhaiterait Emmanuel Macron va-t-elle suivre les modèles allemands et britanniques, et soumettre tous les bénéficiaires d’aides sociales au régime de sanctions qui vaut désormais pour les chômeurs ?

Rachel Knaebel

Dessins : Rodho

Notes

[1Le prénom a été changé sur demande du conseiller.

[2Voir l’information du gouvernement britannique sur les sanctions quant à l’Universal Credit ici.

[3Voir les chiffres ici.

[4Cette allocation regrouperait le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), la prime d’activité, les aides au logement (AL), l’allocation adulte handicapé (AHH), l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse) et l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), selon Le Monde.

Source https://www.bastamag.net/Comment-les-sanctions-contre-les-chomeurs-risquent-demain-de-s-etendre-a-l

Les origines économiques de l’autoritarisme d’E. Macron

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La tentation d’un régime plus autoritaire dans la France de 2019 trouvait déjà ses racines dans la vision économique du candidat Macron. Or cette soumission à l’exigence néolibérale de circulation du capital est définie comme une exigence transcendante, qui dépasserait le cadre national et s’imposerait au pays.

L’évolution autoritaire du quinquennat d’Emmanuel Macron ne peut se comprendre qu’en partant de la source de ce pouvoir : l’économie. L’actuel président de la République a construit sa candidature et son existence politique sur une certitude : celle que la France était en déclin et que ce déclin s’expliquait par son refus de se soumettre à la « modernité ».

Or si la France a été incapable de s’y soumettre, c’est parce qu’elle avait un système politique qui était incapable d’adapter le pays à la « réalité » de la mondialisation et à l’ordre économique qu’elle induit. Dans son ouvrage Révolution, Emmanuel Macron le dit clairement : « Notre vie politique est aujourd’hui organisée autour d’un clivage ancien qui ne permet plus de répondre aux défis du monde. »

La « vérité » selon Emmanuel Macron

Dès lors, l’identité politique de l’hôte de l’Élysée peut se comprendre comme l’idée qu’il convient de briser avec les compromis du passé et de soumettre le pays, pour son « bien », à l’ordre économique. Le 1er mai dernier, dans un entretien accordé à la revue étasunienne Forbes, Emmanuel Macron avait déjà revendiqué cette vision du monde ; les investisseurs choisissent les pays qui seront les destinataires de leurs bienfaits et la fonction des États est de se rendre « attirants » (le président le dit explicitement dans ce texte). Ceci est clairement une politique néolibérale.

Comme le souligne l’auteur Quinn Slobodian dans son récent ouvrage Globalists (paru aux Presses universitaires de Harvard en 2018), le « néolibéralisme » est un courant de pensée qui vise avant tout à favoriser la liberté de circulation du capital. Or la condition principale de cette liberté réside dans la concurrence entre les États, concurrence qui elle-même s’appuie sur la capacité de ces derniers à offrir le « meilleur coût », donc moins d’impôts et un prix du travail faible. Ce sont les fameuses « réformes structurelles » qui forment la pierre angulaire du programme d’Emmanuel Macron et sur lesquelles l’exécutif n’entend à aucun prix revenir. Pour une raison évidente : c’est sur la réalisation de ces réformes que s’est constituée la vision politique du chef de l’État.

Or cette soumission à l’exigence néolibérale de circulation du capital est définie comme une exigence transcendante, qui dépasserait le cadre national et s’imposerait au pays. Elle l’est parce que la science économique lui a permis de l’être. Durant une trentaine d’années s’est en effet construit, comme l’explique dans cette vidéo de Mediapart l’économiste à l’OFCE Francesco Saraceno, un « compromis » scientifique entre les pensées néokeynésiennes et néoclassiques, qui a valorisé les bienfaits de la concurrence. Tout ce qui s’est retrouvé hors de ce compromis, ce que l’on appelle « l’hétérodoxie », a été placé hors du champ scientifique.

Voici qui tombait à point : les réformes, visant à renforcer l’ordre concurrentiel à tous les niveaux, sont dès lors devenues la réalisation concrète d’une vision rationnelle du monde s’opposant à un « obscurantisme », pour reprendre les mots des économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg dans leur pamphlet contre le « négationnisme économique ».

Dès lors, cette politique devient non plus une simple soumission, mais une reconnaissance de la vérité du monde et donc du réel. Et la tâche de la politique doit être de faire entrer le pays dans cette réalité à laquelle il se refuserait. « Nos partis politiques sont morts de ne s’être pas confrontés au réel », expliquait le futur président dans Révolution. Pour enfoncer le clou, on présente quelques exemples édifiants, mais toujours isolés et hors contexte général, prouvant le succès de cette reconnaissance de la vérité : l’Allemagne pour le marché du travail, la Suède pour les taxes sur le capital, le Canada pour les finances publiques, le Royaume-Uni pour l’administration, la Suisse pour l’innovation…

Alors la solution cesse d’être politique. Le débat n’oppose plus la droite et la gauche, mais les défenseurs de la vérité, rebaptisée « réel » ou « modernité », et ceux de l’erreur. La fonction du chef de l’État n’est plus que de faire entrer son pays dans cette vérité. C’était là le sens de cette « transcendance » qui emporterait le président de la République et dont parlait Emmanuel Macron dans un entretien de septembre 2016.

Sa mission est celle de faire passer la France des ténèbres à la lumière. Et seule l’acceptation de cet ordre néolibéral permettra de faire renaître le pays de son supposé déclin. « Le destin français est d’embrasser la modernité, non pour faire table rase ou pour s’adapter servilement au monde mais pour le conquérir en le regardant bien en face », écrivait Emmanuel Macron. La soumission à l’ordre économique devient alors le salut du pays. Cette fonction sacerdotale se retrouve aujourd’hui dans les grand-messes du « grand débat », où le président porte la bonne parole devant les foules.

L’impossible compromis social

En France, une telle pensée franchement revendiquée a pu paraître effectivement « révolutionnaire », comme l’a prétendu le pompeux titre du livre-programme de l’actuel président de la République. L’économiste Bruno Amable, professeur à l’université de Genève, permet de mieux comprendre pourquoi dans un ouvrage publié en anglais en 2017 (Structural Crisis and Institutional Change in Modern Capitalism: French Capitalism in Transition, paru aux Presses universitaires d’Oxford). Selon lui, la France a bien connu, notamment après le « tournant de la rigueur » de 1983, de « substantiels changements institutionnels » allant vers l’idéal néolibéral. Mais, précise-t-il, « la transformation du modèle français reflète l’adaptation des institutions néolibérales à la structure institutionnelle française préexistante dont les éléments remontent pour la plupart à la période fordiste de l’après-guerre ».

Ce modèle que Bruno Amable appelle « hybride » n’est pas une forme dégénérée ou incomplète, il a sa propre cohérence et sa propre justification. De fait, il correspond à la réalité sociale et politique du pays. Les différents gouvernements depuis 1983 se sont efforcés d’introduire des éléments néolibéraux, mais de manière progressive, afin de préserver des équilibres qui permettaient de conserver leurs propres ancrages dans la société.

« Les institutions sont le résultats des compromis sociopolitiques », rappelle Bruno Amable. La France, pays marqué jusqu’à la Première Guerre mondiale par de fortes inégalités et une forte liberté accordée au capital, est restée attachée au modèle issu de l’après-guerre. Et comme ce modèle a été créé par des éléments de gauche et de droite, les deux camps ont dû en préserver des pans entiers.

Or c’est précisément contre cette « hybridation » que s’est défini Emmanuel Macron. Puisqu’on ne transige pas avec la vérité, on ne peut accepter de compromis. Le rejet du « clivage droite-gauche » de l’actuel président de la République, c’est le rejet de ce compromis permanent, c’est la promesse d’une pureté de la politique, incarnée dans une vérité technocratique. En cela, cette démarche est d’une véritable radicalité : celle qui vise une politique qu’il veut plus « vraie », mais qui refuse toute résistance de la réalité sociale. Le réel rêvé par les technocrates prend alors le pas sur le réel concret, social, politique. Il faut faire entrer cette dernière réalité dans l’idéal, s’il le faut aux forceps puisque c’est pour le bien de la société.

Dès lors, la politique d’Emmanuel Macron s’éclaire d’un jour nouveau : réaliser un compromis sur les « réformes », ce serait revenir aux méthodes politiques précédentes, ce serait accepter l’hybridation et donc refuser que la vérité triomphe. C’est absolument impossible. Cette intransigeance, qui s’est manifestée dans le mode d’organisation du « grand débat », ne peut porter que sur les « baisses d’impôts » et les « économies à réaliser ».

Pour passer outre les résistances, ne reste que l’autoritarisme

Seulement voilà, la société française résiste. L’hybridation du système français correspondait à un équilibre social. Le détruire laisse nécessairement place au conflit. D’autant qu’Emmanuel Macron a, pour mener sa « révolution », ou plutôt sa destruction de ce système, surestimé l’ampleur de son soutien en se prévalant des élections présidentielle et législatives de 2017. Mais ces deux scrutins n’ont guère apporté de soutien clair à ses choix économiques. Le 5 mai, le scrutin a d’abord été un vote de rejet de l’extrême droite, tandis que les législatives sont souvent marquées par un « légitimisme » en faveur du chef d’Etat élu, qui ne s’est jamais démenti depuis 2002, et par une forte abstention.

La réalité est que le socle de soutien à cette politique économique présidentielle est réduit à ce que Bruno Amable et Stefano Palombarini appellent « le bloc bourgeois ». Un bloc qui n’est pas majoritaire, à la différence de ce que l’on observe dans les pays du nord de l’Europe, mais qui, système électoral oblige, peut l’emporter compte tenu de la division du bloc adverse. Sauf que ce bloc adverse peut faire front pour s’opposer à la politique de destruction du modèle français. C’est là que l’on en est désormais : un face-à-face violent et sans compromis possible, parce que l’essence même du système français est en jeu et que le régime électoral n’a pas pu clairement expliciter le choix de la majorité sur ce sujet.

Mais pour Emmanuel Macron, céder est impossible. Ce serait non seulement renoncer à son identité politique, mais aussi échouer à une épreuve essentielle, une forme de « baptême néolibéral ». « Les néolibéraux mettent en évidence la nécessité de passer outre les décisions populaires lorsqu’elles contreviennent à ce qui est vu comme un principe supérieur », écrit Quinn Slobodian. Assumer son impopularité, c’est se montrer capable de défendre la vérité envers et contre tout.

Il y a là une forme de fanatisme dans lequel on prouve sa capacité par son opposition à son propre peuple. On a vu des postures de ce genre dans toute l’Europe durant la crise de la dette : au Portugal, en Grèce, en Italie ou en Espagne. Pour Emmanuel Macron, c’est une façon de construire sa stature internationale, de montrer qu’il peut « réformer » ces Gaulois irréformables. C’était ce qui impressionnait tant les médias anglo-saxons au début du quinquennat.

Mais si céder est impossible, comment « passer outre » la résistance de la société française ? Quinn Slobodian décrit comment, à partir des années 1980, ont été construites des structures internationales capables de soumettre les États à l’ordre néolibéral : l’OMC, le FMI, l’UE, les marchés financiers… Lorsqu’un État décidait de changer de politique, cette pression « externe » le ramenait à la raison. Mais la France ne prête guère le flanc à ce genre de pression. La France n’a pas à craindre ses créanciers. Les marchés ont soutenu son modèle hybride et ne s’inquiètent guère du mouvement des gilets jaunes, ce qui rend, du reste, toute menace de l’UE peu crédible, à la différence du cas italien. Bref, cette option ne fonctionne pas.

Par ailleurs, Emmanuel Macron ne peut guère s’appuyer sur une prétendue « efficacité » de ses recettes économiques. Aucune de ses réformes, pas davantage que les précédentes, n’ont été en mesure de rendre la France plus solide économiquement, bien au contraire. En brisant le subtil équilibre entre État, consommateurs et entreprises et en faisant un mauvais diagnostic, centré sur l’attractivité et la compétitivité coût, il l’a plutôt affaiblie. Dès lors, la politique de « compensations » mise en place n’a guère porté ses fruits, d’autant qu’elle a été timide. Et les 10 milliards d’euros annoncés en décembre ne devraient pas tellement changer la donne, dans la mesure où les « réformes » atteignent le cœur du système français et donc de la confiance des ménages : l’emploi, la retraite, le chômage, le logement. On peut prétendre, comme le font les néolibéraux, qu’il en faut « encore plus », et c’est, du reste, ce que prétend le président de la République. Mais cette stratégie de la « fuite en avant » permanente est peu convaincante.

Incapable de prouver l’efficacité de sa politique, Emmanuel Macron n’a plus qu’une seule carte en main pour imposer sa « vérité » : celle de l’abus d’autorité. Une carte que le régime actuel, régime personnalisé dont le berceau est une guerre sanglante, lui permet de jouer aisément. Puisque le président de la République connaît la vérité, sait quelle est la bonne voie pour la France, il a le devoir, pour le bien de la France, de mener le pays dans cette voie, contre le désir du pays lui-même. Il lui faut faire le bonheur de « son » peuple malgré lui. Et cela vaut bien de le secouer, par une limitation du droit de manifester, par une tentation de contrôler la « neutralité » de la presse (donc son acceptation de la « vérité » néolibérale) et par une répression des mouvements d’opposition.

La certitude d’Emmanuel Macron d’agir pour le bien du pays et d’être guidé par une vérité transcendantale a de quoi fondamentalement inquiéter. Le néolibéralisme est actuellement sur la défensive. La crise de 2008 et ses suites, son inefficacité à relancer la croissance et à gérer la transition écologique tendent à le remettre en question.

Les grandes organisations internationales remettent en cause certains de ses dogmes comme la libéralisation du marché du travail, la « théorie du ruissellement », la liberté des capitaux… Ce qui se joue aujourd’hui, c’est une crise de régime économique, au sens de celle que l’on a connue dans les années 1930 et 1970. Dans ce contexte, la tentation autoritaire du néolibéralisme se renforce.

En février dernier, Dani Rodrik, l’économiste étasunien d’origine turque, professeur à Harvard, signalait que les démocraties libérales n’étaient pas menacées uniquement par un glissement vers la « démocratie illibérale », danger souvent agité. Un autre existe : « les libéralismes non démocratiques ». Cette idée a été développée par un autre chercheur de Harvard, Yascha Mounk, dans un chapitre de son ouvrage Le Peuple contre la démocratie, traduit aux éditions de l’Observatoire. Il s’agit d’un système où les vraies décisions sont soumises à des règles non choisies, issues de principes non démocratiques définis par l’ordre économique, et où le pouvoir se doit d’assurer l’obéissance des États à ces lois, s’il le faut au prix des libertés fondamentales. C’est vers un tel destin que la France semble désormais se diriger.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/040219/les-origines-economiques-de-l-autoritarisme-d-emmanuel-macron?onglet=full

Grandes entreprises française : un impact désastreux pour la société et la planète

Attac France, en partenariat avec l’Observatoire des multinationales, publie ce rapport qui synthétise le véritable bilan des entreprises du CAC 40 en matière de justice sociale, justice écologique et justice fiscale.

A l’occasion du Forum économique mondial de Davos 2019 et de la deuxième édition du « Choose France summit », Attac France fait une série de propositions concrètes lesquelles, si elles étaient mises en œuvre par les pouvoirs publics, contribueraient à répondre aux exigences de justice sociale, fiscale et climatique, aujourd’hui portées par la majorité de la population.

Dans ce rapport il est révélé qu’entre 2010 et 2017 : les impôts versés par les entreprises du CAC 40 ont baissé de 6,4 % en valeur absolue, alors que leurs bénéfices cumulés ont augmenté de 9,3 % et les dividendes versés aux actionnaires de 44 % en valeur absolue également sur la même période, tandis que leurs effectifs en France ont baissé de 20 %.

  • Quelle justice sociale alors que les profits des grandes entreprises françaises, les dividendes et les rémunérations des hauts dirigeants s’envolent quand les effectifs mondiaux stagnent et qu’ils diminuent fortement en France ?
  • Quelle justice climatique alors que les émissions de CO2 des sites les plus polluants du pays ont augmenté de 5 % en 2017 et que ces émissions, notamment issues d’entreprises du CAC 40, échappent largement à la fiscalité carbone ?
  • Quelle justice fiscale alors que les entreprises du CAC 40 ont plus de 2 500 filiales dans les paradis fiscaux et payent moins d’impôts aujourd’hui qu’en 2010 ?

Pour afficher le rapport en « plein écran », cliquez sur ce lien

Source https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/nouveau-rapport-d-attac-les-grandes-entreprises-francaises-un-impact-desastreux

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