Titre de la catégorie

Autem vel eum iriure dolor in hendrerit in vulputate velit esse molestie consequat, vel illum dolore eu feugiat nulla facilisis at vero eros et dolore feugait.

Archives de catégorie Austérité-Neolibéralisme

Un autre avenir après le Covid-19

Déclaration des Attac d’Europe – Un autre avenir après le Covid-19

Le réseau des Attac d’Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions dans le cadre de la crise multiple liée au Covid-19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ? Comment rendre possible le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.

Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques. Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires.

La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir.

Le réseau des Attac d’Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise politique et économique qu’elle a déclenchée.

En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien

1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous

Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit.

2. Une recherche publique de qualité

La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent être alloués.

En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie

3. Respect absolu du droit du travail

À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.

4. Respect absolu des droits fondamentaux

La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).

5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise

Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire.
Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.

En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables

6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes / intermittent·e·s du spectacle

La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies. Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale. Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital.

7. Réquisition immédiate de tous les logements vides

Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.

8. Protection des personnes exposées à la violence domestique

Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.

9. Soutien aux jeunes

Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de confinement.

10. Permis de séjour pour les sans-papiers

Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).

En ce qui concerne la justice fiscale

11. Un système fiscal équitable

La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus riches et des sociétés transnationales.

12. Taxation des bénéfices et de la fortune

Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon, Netflix…). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela concerne aussi ces entreprises.

13. Interdiction de distribuer des dividendes

Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise.

En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe

14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro

Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.

15. Contrôle des flux de capitaux

La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.

16. Démantèlement et socialisation des grandes banques

Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces banques qui sont ’trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire européen.

En ce qui concerne la solidarité internationale

17. Une réaction coordonnée au niveau européen

La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être répartis entre voisins. La solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.

18. La solidarité internationale avant tout

Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes.

En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies

19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique

Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les efforts fournis par la population.

20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition

La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.

21. La relocalisation solidaire de la production

La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments. L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des maladies.
C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne.

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/declaration-des-attac-d-europe-un-autre-avenir-apres-le-covid-19#En-ce-qui-concerne-les-services-publics-qui-sont-la-richesse-de-ceux-qui-nbsp

Pandémie, capitalisme et climat 

Source https://www.contretemps.eu/pandemie-capitalisme-et-climat/

Daniel Tanuro est agronome, militant écosocialiste en Belgique, auteur (notamment) de L’impossible capitalisme vert (La Découverte) et de nombreux articles pour Contretemps. Le 3 avril dernier il donnait une conférence (confinée) sur les enjeux politiques qui se nouent actuellement entre crise du coronavirus et crise climatique. On peut retrouver la vidéo de cette conférence ici, dont nous présentons une retranscription ci-dessous.

***

Cette pandémie est un véritable événement avec un E majuscule, un événement historique : il y aura un avant et un après à l’échelle mondiale, pas tellement par rapport au nombre de victimes, même s’il est important, il est tout de même nettement inférieur à celui de la grippe « espagnole » après la première guerre mondiale qui avait causé plus de 20 millions de morts, on en est heureusement loin aujourd’hui.

Ce qui donne à l’événement une portée historique c’est que la machine capitaliste à profits est quasiment arrêtée à l’échelle mondiale, parce qu’il y a une petite chose qui n’est même pas un animal, qui est un virus, à peine une forme du vivant, qui détraque toute la machine et qui menace la santé des gens. Il faut donc protéger la vie, il faut protéger les malades, il faut les soigner, il faut protéger aussi la main d’œuvre pour l’économie capitaliste. Et cette crise très profonde intervient dans un contexte particulier : elle intervient au moment où le capitalisme avait commencé une récession, depuis déjà 2019. Cette récession avait commencé et la pandémie l’amplifie de façon absolument extraordinaire. Un point important est que cette situation déplace le focus médiatique et politique : en temps normal de quoi nous parle-t-on? On nous parle de la croissance du PIB, de la balance des paiements, on nous parle de l’inflation, du taux de change, des taux d’intérêt, etc., tous ces indicateurs abstraits de l’accumulation du profit capitaliste, de l’accumulation de valeur abstraite… Et aujourd’hui à la faveur de cette pandémie le focus est tout à fait différent : l’attention politique et médiatique est complètement focalisée sur le travail des infirmiers, des infirmières, leur surcharge de travail, sur les malades qui meurent, ceux qui guérissent, sur le travail des éboueurs ou du personnel dans les magasins d’alimentation, le sort des personnes confinées, des non-confinés, etc.

Pour résumer, en temps normal on nous parle de l’abstraction de la non-vie, et maintenant dans cette épidémie on nous parle de la vie et de la mort c’est-à-dire du vivant. Il y a là un changement très important au niveau de l’ambiance idéologique générale sur lequel nous reviendrons.

*

Deuxièmement, l’épidémie n’est pas une régression vers les épidémies des temps anciens, ce n’est pas un retour vers la peste noire du moyen-âge par exemple, c’est tout autre chose.

Il y a plusieurs décennies que se multiplient des viroses d’un type particulier. On a connu le Sida tout d’abord, puis le zika, puis la peste porcine, la grippe aviaire, le chikungunya, le SRAS-1 en 2002, maintenant le SARS-COV2. Toutes ces viroses ont pour particularité de naitre dans des environnements naturels détraqués, agressés, ou dans des élevages industriels. Ce sont ce qu’on appelle des zoonoses, c’est à dire que le virus qui vit chez des animaux saute la barrière des espèces et contamine homo sapiens. L’origine de cette pandémie est donc tout à fait nouvelle et spécifique par rapport à celles du passé. Le virus lui-même est un produit des contradictions du capitalisme.

Le mode de diffusion de l’épidémie est également particulier ; l’épidémie va très vite, elle est très rapidement mondiale – les épidémies du passé n’étaient jamais mondiales, elles étaient continentales – et elle se diffuse évidemment grâce aux moyens de communication modernes en particulier les transports aériens, d’autant plus vite que l’humanité est regroupée dans d’énormes cités, des mégapoles, comme Wuhan qui est une ville de plusieurs millions d’habitants.

Ces deux facteurs-là, l’origine particulière du virus et son mode de diffusion, signifient qu’on n’a pas à faire à des virus archaïques, on n’a pas d’épidémie archaïque, on a au contraire, pour parler comme Bruno Latour, des épidémies modernes, des épidémies de l’Anthropocène.

*

Troisièmement, il ne s’agit pas uniquement d’une crise sanitaire. Il y a évidemment un aspect de crise sanitaire qui est aigu et très important, mais cette crise sanitaire fait partie en fait d’une crise écologique et sociale beaucoup plus vaste. En fait, la crise du covid-19 est la première crise globale – sociale, écologique et économique – de l’Anthropocène.

Des scientifiques qui, depuis quelques années 2000 se sont mis à étudier ce qu’on appelle la grande accélération et le changement global, ont identifié les paramètres de la soutenabilité de l’existence humaine sur cette terre : 1) Le changement climatique ; 2) le déclin de la biodiversité ; 3) les ressources en eau douce ; 4) la pollution chimique ; 5) la pollution atmosphérique aux particules fines ;  6) l’état de la couche d’ozone ; 7) l’état des cycles de l’azote et du phosphore ; 8) l’acidification des océans ; 9) l’occupation des sols ; 10) la couche d’ozone. En conclusion de leur rapport, remis en 2015, ces scientifiques ont estimé que le plafond de la soutenabilité était franchi pour quatre de ces paramètres : le climat, la biodiversité, l’azote et les sols.

Pour reprendre un langage biblique on pourrait dire que ces quatre paramètres sont les quatre cavaliers de l’apocalypse de l’Anthropocène, et la pandémie que nous sommes en train de vivre nous envoie un message, elle nous signale que ce quatuor de cavaliers est rejoint par un cinquième qui est aujourd’hui le risque épidémique.

*

Quatrième point, ce risque épidémique ne tombe pas du ciel, c’est une menace connue. Car nous avons la chance aujourd’hui de bénéficier d’un progrès des sciences absolument extraordinaire avec des capacités d’anticipation qui sont magnifiques. Les scientifiques nous ont prévenu des risques – non seulement d’une épidémie en général mais même très précisément du risque d’une épidémie de ce type-là. Après l’épidémie du SRAS en 2002 qui était déjà un coronavirus, une série de scientifiques sont arrivés à ces conclusions qui ont été traduites dans des rapports officiels, notamment deux rapports à l’assemblée nationale française (2005 et 2009), qui pointaient la grande probabilité de voir se répéter une nouvelle épidémie comme celle du SRAS, provoquée par une zoonose, un virus d’origine animale qui saute la barrière des espèces et se répand au sein de l’espèce homo sapiens. L’OMS elle-même, pas plus tard qu’en 2018, dressait une liste des menaces sanitaires qui pèsent sur le globe avec une série d’agents pathogènes connus, dans laquelle elle avait inséré une maladie X, parce que l’OMS estimait probable l’apparition d’un pathogène inconnu, capable de provoquer une épidémie aux conséquences très graves, une perturbation complète de la société à l’échelle mondiale. Et l’OMS estimait probable que ce nouvel agent pathogène soit de nouveau du type coronavirus.

Nous sommes donc dans un scénario connu, comme celui du changement climatique, pour lequel il y a plus de 50 ans que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme en disant que si nous continuons à envoyer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on va déséquilibrer complètement le système climatique et que ça pourrait avoir des conséquences absolument dramatiques. Là aussi, les gouvernements n’en tiennent absolument pas compte ; comme on le sait, les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter – sauf maintenant avec la pandémie, elles se réduisent substantiellement. Le comble de l’absurdité ou de l’aveuglement des décideurs politiques, c’est que, concernant la pandémie, en 2003, des chercheurs belges et français sont arrivés à la conclusion que les coronavirus constituent une catégorie très stable de virus et qu’il serait donc assez facilement possible de trouver un traitement qui serait valable non seulement pour le SRAS-1 mais aussi pour d’autres coronavirus qui viendraient après. Ils estimaient le coût de ces recherches à 200 ou 300 millions d’euros. Il leur fallait bien évidemment des subsides publics qu’ils n’ont pas obtenus, parce que les gouvernements considèrent que la recherche sur les médicaments appartient à l’industrie pharmaceutique, alors que celle-ci ne fait pas de recherche pour le bien de l’humanité ou la santé publique mais pour le profit. Il lui faut donc un marché et des clients solvables. Or l’épidémie de SRAS était passée, il n’y avait donc plus de marché, plus de clients, donc on n’a pas fait de recherches à ce sujet. Cela illustre la marque de l’attitude politique des décideurs et des responsables économiques face aux grandes menaces écologiques dont la pandémie fait désormais partie, à savoir cette incapacité à prendre compte ce qui est connu et les avertissements qui leurs sont lancés.

Cette surdité ou cet aveuglement sont d’abord dus au fait que les décideurs politiques sont complètement subordonnés au diktat des impératifs capitalistes du profit à court terme, ils ont donc le « nez dans le guidon ». Deuxièmement, il y a une raison plus idéologique : ils sont eux-mêmes intoxiqués par l’idéologie du capitalisme, l’idéologie néolibérale et considèrent que les lois du marché sont plus fortes que les lois de la biologie pour le virus ou que les lois de la physique pour ce qui est du changement climatique. Ils considèrent que les lois de leur système économique sont des lois naturelles supérieures et que le marché va tout régler en cas de problème. Or on constate plus que jamais que le marché ne règle pas tout : si l’on compte commander des masques en Chine pour protéger des soignants chez nous mais que la Chine est bloquée en raison de la pandémie, il n’y a plus de masques et on ne protège pas les soignants ni la population, c’est aussi simple que cela.

*

Le cinquième point touche à la gestion de la pandémie. Aujourd’hui, tous les politiques sont obligés de se résoudre à cette gestion, même ceux qui ne croyaient pas devoir le faire, comme Trump, Johnson, Rutte (Premier Ministre des Pays-Bas), qui voulaient laisser le virus se répandre et la collectivité s’immuniser. Même ceux-là sont obligés de faire machine arrière de façon précipitée. En effet ne rien faire, comme ils le préconisaient au départ, non seulement coûtera plus cher financièrement au système capitaliste mais aussi leur coûtera très cher à eux électoralement, et par exemple pour Trump ce n’est pas une considération mineure, loin s’en faut. Donc ils nous disent tous la même chose : que c’est une question de bien commun, et qu’il faut tous être unis autour de nos dirigeants éclairés pour combattre le virus. Bien évidemment, il faut respecter les consignes de sécurité : rester confiner, respecter la distanciation physique (plutôt que sociale)… Ne pas le faire serait irresponsable mais respecter les consignes de sécurité ne signifie pas qu’il faut se soumettre à la logique politique qui se cache derrière ces consignes. Cette logique c’est une logique de classe, de capitalisme pur et dur. La première priorité de cette logique c’est de réduire au minimum l’impact de la pandémie sur le secteur productif, là où on fait du profit, qui est le cœur de l’économie capitaliste, et c’est la raison pour laquelle on va envoyer les ouvriers au travail dans des secteurs qui ne sont pas de production essentielle.

La deuxième priorité de cette gestion de la pandémie c’est de ne pas remettre en cause la politique antisociale, les plans d’austérité qu’ils imposaient jusqu’à maintenant, surtout dans le secteur des soins, d’où la surcharge de travail de tous les personnels de ces secteurs. Évidemment la condition pour que cette équation puisse s’équilibrer, c’est de mettre le couvercle sur toutes les activités sociales, culturelles ou personnelles qui ne relèvent pas de ces catégories-là, d’où le lockdown et le confinement.

Il y a aussi une préoccupation politique qui s’ajoute à ces considérations, à savoir que tous les gouvernements (ou la plupart d’entre eux) sont confrontés à une terrible crise de légitimité ; les gens n’y croient plus et veulent du changement. La pandémie offre aux dirigeants une possibilité de se présenter comme chefs de guerre, comme le fait Macron à la télévision, des mécanismes de pouvoir fort s’instituent au prétexte de la lutte contre la pandémie. Le cas d’école, c’est Orban en Hongrie, qui s’est institué dictateur pour la gestion de l’épidémie. On est dans la logique décrite par Michel Foucault : la biopolitique couplée au « surveiller et punir ». Il s’agit d’un sérieux avertissement car la pandémie est grave mais n’a rien à voir en comparaison avec l’impact du changement climatique, si on a un basculement vers un cataclysme climatique et une montée du niveau des océans de 2 ou 3 mètres. Mais la gestion de la pandémie nous donne une image de ce que serait la gestion capitaliste d’une situation de ce genre, qu’ils n’auront évidemment pas vue venir, et qu’ils seront obligés de gérer. Leurs priorités seront alors les mêmes : priorité à la production, mise sous le boisseau des libertés, de la vie sociale, de la vie culturelle, et au nom de la lutte contre le fléau, s’accorder des pouvoirs spéciaux, créer un État fort.

*

Sixième point, l’objectif stratégique de la gestion sanitaire est évidement de relancer la machine capitaliste, qui est pour l’instant complètement en panne du fait de la pandémie. La situation va déboucher sur une crise économique d’une très grande ampleur, pire que la crise financière de 2007-2008. Pour faire face à la situation, les gouvernements doivent aujourd’hui lâcher du lest dans leurs politiques néolibérales : l’Union Européenne a mis au frigo le pacte de stabilité budgétaire et ses objectifs de zéro dettes/zéro déficit. Ils sont même obligés d’aller plus loin et de remettre en cause non seulement certains dogmes néolibéraux mais également un certain nombre de règles capitalistes, par exemple la sacro-sainte liberté d’entreprendre pour les entreprises. On évoque des nationalisations, des réquisitions, autrement dit il faut sauver le capitalisme mis en danger par le capital. Cela ne signifie absolument pas qu’il y aurait déjà rupture avec le néolibéralisme et a fortiori avec le capitalisme, cela signifie au contraire que se prépare une offensive sociale de très grande ampleur, à laquelle les classes populaires doivent se préparer à riposter.

Je me limite ici à l’impact écologique de la relance de l’économie capitaliste. Cet impact est très dangereux. François Gemenne[1] n’a pas tort quand il déclare que la crise du coronavirus est une catastrophe climatique[2]. Car le discours qu’on va nous tenir est celui de la priorité à l’économie, à la relance, en prenant le prétexte de l’emploi. Donc, pour relancer l’économie, il faudra donner amoindrir les objectifs climatiques, assouplir des réglementations environnementales jugées comme trop rigides, etc. Mais François Gemenne n’a pas raison non plus, car tout cela n’est pas dû au Coronavirus, au contraire cette crise aujourd’hui nous prouve qu’on pourrait réduire assez radicalement les émissions de CO2 d’environ 7% par année à condition de produire et de transporter moins de marchandises sur la planète. Le danger ne vient pas de la crise du coronavirus mais de la réponse capitaliste à cette crise du coronavirus, et il est d’autant plus grand que cette crise sert de prétexte ou de paravent pour répondre à une crise économique qui avait commencé avant la pandémie.

Nous devons nous préparer à une attaque très dure car ils vont mettre en balance, comme c’est très souvent le cas dans le capitalisme, l’emploi d’une part et la défense de l’environnement d’autre part. Cependant il y a une contradiction très importante dans cette volonté d’offensive : c’est que la volonté de relancer et de donner la priorité au capital et à sa rentabilité va a à l’encontre du sentiment de la population qui pense que nous sommes allés trop loin avec l’économie, le profit, qu’on a oublié le social, la santé, les soins aux gens. Cette contradiction constitue un obstacle majeur pour l’offensive capitaliste que les gouvernements veulent mener.

Parce que prendre soin à la lumière de la crise de la pandémie, cela prend un contenu très concret aujourd’hui. Il s’agit d’éviter d’autres pandémies qui pourraient être plus graves et qui auraient la même origine dans la destruction des écosystèmes.

La conclusion coule de source, si nous voulons éviter d’autres pandémies, il faut sortir de l’agrobusiness, de l’élevage industriel, il faut arrêter la déforestation, il faut une réforme urbaine de longue haleine qui déconstruise toutes ces mégapoles et qui construise des villes plus interconnectées avec des milieux naturels ou semi-naturels. Pour lutter contre les pandémies il faut surtout de l’eau propre, à laquelle des centaines de millions de gens n’ont pas accès. L’eau doit être publique et ne pas servir à irriguer les plantations agro-industrielles. De même, si on veut instaurer des systèmes de santé robustes, capables de faire face aux nouvelles pandémies de l’Anthropocène, il faut les refinancer radicalement. Pour cela, il faut faire payer les actionnaires, et annuler la dette dans les pays du sud. Quarante-six pays consacrent plus d’argent aux intérêts sur la dette qu’aux soins de santé. L’annulation de la dette est une condition sine qua non de lutte contre les pandémies.

Il y a aussi le changement climatique lui-même. On sait que la fonte du permafrost va fort probablement libérer des virus ou des bactéries anciens qui vont se répandre par le biais des ouvriers qui travaillent dans des mines des régions concernées. C’est pourquoi il faut absolument respecter l’objectif fixé à Paris de 1,5°C de réchauffement maximum, donc socialiser l’énergie et la finance.

Bref, il s’agit de tirer sur le fil du « prendre soin » – une thématique développée par les (éco)féministes – pour dévider l’ensemble des objectifs anticapitalistes. Il s’agit de reformuler l’alternative écosocialiste en partant de ce point de vue-là, en partant de ce changement majeur qui est qu’aujourd’hui les gens tirent de la crise la conclusion qu’il faut donner une priorité beaucoup plus forte à la santé, au bien-être, au prendre soin et qu’il faut pour cela mettre les moyens sur la table. Cela représente un tournant stratégique majeur, car depuis des décennies les écosocialistes sont confrontés à un problème : la lutte écologique, bien que sociale à long terme, apparaît comme en contradiction avec le bien-être social à court terme. Ici, avec ce changement majeur, l’irruption du « prendre soin », les deux problématiques se superposent, le social et l’écologique coïncident : mener le combat social c’est mener une lutte écologique.

C’est ce tournant qu’il faut essayer de saisir et dont il faut voir l’opportunité. Cela a des conséquences immédiates et il faut commencer maintenant ce combat, en luttant contre ce système et les projets productivistes comme la 5G, en luttant pour que la santé soit mise définitivement hors du marché et qu’elle soit refinancée, que l’industrie pharmaceutique soit confisquée, que les banques soient socialisées, etc.

Transcription réalisée par Le Groupe écosocialiste de solidaritéS et révisée par le conférencier.

Notes

[1] Membre du GIEC et coauteur de l’Atlas de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.

[2] « Pourquoi la crise du coronavirus est une bombe à retardement pour le climat », Le Soir, 20 mars 2020,

Le virus des cadeaux au patronat grec

En apparence, la situation en Grèce est loin de la tragédie du voisin italien : ce dimanche, le nombre de victimes est de 70, les personnes contaminées autour de 1700, selon les chiffres officiels.

Soyons sûrs que cette situation est due avant tout à la conscience de masse que dans la situation terrible du système de santé laminé par la troïka et les mémorandums, il est vital de se protéger… tout en exigeant l’attribution immédiate des moyens nécessaires.

En finir avec les cadeaux au médical privé

Derrière le bulletin d’info sanitaire officiel visant à faire croire que la situation est sous contrôle, la réalité est très inquiétante et, si l’épidémie devait s’étendre, la catastrophe serait difficilement évitée. Cette semaine, la présidente de la Fédération des médecins hospitaliers a souligné l’horreur de la situation du système de santé public (ESY) : manque de lits en soins intensifs, manque de masques, de gants, de lunettes, absence des recrutements nécessaires, dangereux transferts vers les hôpitaux de médecins de centres locaux de santé qui se retrouvent désorganisés et perdent leur rôle de rempart… Dénonçant le filtre de la communication gouvernementale, elle met en avant le scandale des cadeaux aux cliniques privées : au lieu de les réquisitionner, Mitsotakis les enrichit en leur offrant 1600 euros par jour pour un lit en soins intensifs ! Ce gaspillage dément de l’argent public se retrouve aussi dans la promesse d’offrir à ce secteur 30 millions d’euros pour les tests, privant ainsi de ce financement les labos universitaires alors que ceux-ci procèdent déjà à de premières campagnes. Un chiffre résume cette situation scandaleuse : dans le plan d’urgence de 6,8 milliards, qui vient d’être adopté, seuls 3 % vont à la santé.

Le virus des bonnes affaires patronales

Car l’épidémie est une merveilleuse occasion pour les amis de ce gouvernement ultralibéral de poursuivre leur lutte contre les travailleurEs : un décret permet aux patrons de suspendre les contrats de travail et de licencier sans contrainte, l’État versant alors aux licenciéEs 800 euros… pour un mois et demi. La frénésie patronale (60 000 nouvelles demandes de versement d’indemnités en une journée !) a obligé cette semaine le gouvernement à mettre une ou deux conditions, mais la situation de l’emploi est d’autant plus tragique que cette indemnité fort insuffisante ne s’appliquera ni aux CDD ni aux chômeurEs en fin de droits, c’est à dire à un million de personnes environ. La brutalité patronale est sans limite : dans les écoles privées, des patrons, qui perçoivent toujours les droits de scolarité, licencient leurs enseignantEs… et exigent qu’ils et elles continuent à donner des cours s’ils et elles veulent être repris ensuite ! Pourquoi se gêner quand on voit la moralité d’un ministre d’extrême-droite, Georgiadis, qui ose vendre des « cours à distance » de sa propre « école » dans son émission de télévente sur une chaîne privée ! Là est pour l’heure le virus le plus insupportable, et quand on sait que le même personnage soutient les pires réacs de l’église, qui veulent continuer à faire communier (hostie donnée avec la même cuiller dans la bouche des fidèles !), on voit le lien profond entre libéralisme et réaction. Mentionnons aussi la tentative gouvernementale de couper le courant à l’usine VIOME, autogérée depuis des années…

Des tentatives de riposte

Face à cela, la gauche parlementaire est plutôt aux abonnés absents : au nom de l’unité nationale, Syriza s’est abstenu sur les propositions du gouvernement, le KKE (PC) a voté contre, mais leurs demandes de prioriser le public sont plus des vœux pieux. Peu ou pas d’initiatives politiques centrales, mais plutôt des initiatives syndicales et locales : appel de syndicalistes à ne pas se soumettre à la jungle patronale, mobilisations de secteurs, comme dans l’aéronautique (400 licenciements empêchés à Sky Serv-Swiisport, apprend-on dans le journal Prin). La gauche anticapitaliste participe aussi à des initiatives de solidarité locales : face à l’épidémie du virus et des attaques patronales, ne surtout pas rester seulEs !

Deux autres urgences

Bien sûr, on ne peut qu’être inquiets devant les risques pour les réfugiéEs, véritablement entassés dans les camps sur les îles ou sur le continent. Déjà quelques cas d’infection ont été signalés, ce qui fait craindre de terribles contaminations. Face à toutes les protestations, dont celles, particulièrement hypocrites, de l’Union européenne, la droite de Mitsotakis reste sur ses positions, daignant seulement faciliter l’accès aux soins. Même ou surtout dans ces conditions difficiles, une campagne internationale exigeant l’ouverture des frontières européennes et un accueil digne est urgente !

L’autre urgence, c’est bien sûr de s’opposer à la nouvelle menace de éemorandums que ne va pas manquer d’imposer l’UE, autour du noyau dur germano-hollandais. Face à cela, la solution est moins que jamais le repli national mais au contraire, la nécessaire solidarité des jeunes et des travailleurEs en Europe, pour les droits sociaux pour touTEs , pour les services publics, contre le virus du profit !

A. Sartzekis

Source https://npa2009.org/actualite

Gus Massiah: Grèce 2015 une alternative était possible

Réflexions suite à la lecture du livre d’Éric Toussaint Capitulation entre Adultes Grèce 2015 : une alternative était possible

25 mars par Gustave Massiah

Gus Massiah, membre du Conseil scientifique de Attac-France et du Conseil international du Forum social mondial, auteur de nombreux ouvrages, nous partage ici ses réflexions autour du nouveau livre d’Eric Toussaint, Capitulation entre adultes, Grèce 2015 : une alternative était possible qui vient de paraître en français aux éditions Syllepse à Paris et en grec aux éditions Red Marks à Athènes. Sa publication est également prévue en espagnol au mois d’avril chez Viejo Topo. Eric Toussaint, à travers cet ouvrage essentiel, nous offre une lecture alternative de la crise de la dette grecque de celle racontée par Yanis Varoufakis dans Conversations entre adultes. Il montre à travers différents arguments et un long travail d’analyse que le premier gouvernement Syriza avait ignoré les demandes du peuple grec, maintes fois exprimées, et avait adopté une position sur la dette qui était vouée à l’échec. Une alternative était possible ! Gus Massiah met en évidence dans ses réflexions une série de points essentiels qui, nous l’espérons, susciteront votre curiosité et vous amèneront à découvrir cet ouvrage.

J’ai lu avec beaucoup d’attention, d’intérêt et de plaisir le manuscrit. Le titre qui me paraît le mieux correspondre au manuscrit est : Grèce 2015 : une alternative était possible.

Je distinguerai trois parties dans mes réactions : l’introduction, les neuf chapitres suivants, le chapitre 10 qui élargit et sert de conclusion.
Je n’ai pas de divergences, quelquefois des questionnements. Je réagis en séquence sur le manuscrit en mettant en évidence la manière de valoriser le livre.

L’introduction met bien en évidence l’apport essentiel de ce livre et caractérise son actualité et son exemplarité. Elle rappelle ce que beaucoup n’ont pas noté : que la victoire électorale d’un parti de la gauche radicale était une première en Europe dans la période récente et que, en moins de six mois, ce gouvernement cédait aux exigences des créanciers. Éric Toussaint identifie bien les questions posées : Comment comprendre les échecs ? Quelles étaient les alternatives pour gagner ? Quel programme la gauche radicale peut défendre de manière crédible ?

L’auteur rappelle que le gouvernement n’est pas le pouvoir et qu’on ne peut sous-estimer le rôle dans la situation du bloc économique et de la classe capitaliste.

L’introduction interroge déjà sur ce que peut faire un gouvernement de gauche quand il gagne des élections. L’auteur rappelle que le gouvernement n’est pas le pouvoir et qu’on ne peut sous-estimer le rôle dans la situation du bloc économique et de la classe capitaliste.

Je voudrais revenir sur une des propositions de l’auteur, qui mériterait d’être nuancée, quand il indique : « La répétition par le peuple de l’ascension progressive vers le pouvoir qu’ont réalisé les bourgeois dans le cadre de la société féodale ou de la petite production marchande est impossible. » Ce qui renforce l’importance de l’étape du passage par un gouvernement. Je suis d’accord avec l’affirmation de la non répétition. Mais je pense que la caractérisation, forcément brève, peut donner matière à des interprétations contestables. La bourgeoisie a réussi une transition maîtrisée du féodalisme au capitalisme relativement rapide mais qui a quand même pris quelques siècles. Et elle a passé des alliances de classes différenciées avec des couches populaires ; plus avec la paysannerie en France, et plus avec les artisans en Grande Bretagne. Si je reviens là-dessus c’est pour indiquer que la question de la transition dans la sortie du capitalisme reste à inventer et implique des étapes et des alliances qui ne sont pas déterminées. Sans négliger que la sortie du capitalisme ne conduit pas automatiquement au socialisme. Ce n’est pas le gouvernement qui peut les déterminer tout seul, ce qui renforce l’affirmation sur l’importance du rapport entre le gouvernement et les mouvements.

La question de la transition dans la sortie du capitalisme reste à inventer et implique des étapes et des alliances qui ne sont pas déterminées.

Dans l’introduction, on retrouve l’importance du rapport de forces par rapport à l’Union européenne qui est redéveloppée dans la conclusion. Il est fait mention de la situation spécifique de la Grèce par rapport à l’Europe et des rapports de forces internes à l’Europe. La partie sur la situation électorale actuelle de Syriza est très intéressante. Elle montre peut-être l’ambiguïté de l’opinion populaire par rapport à l’Europe et son évolution. Il serait peut-être important de le préciser dès ce moment et de ne pas attendre la conclusion pour en montrer l’importance.

Une précision de l’introduction qui me paraît très importante c’est l’affirmation que l’enjeu n’est pas de tout ramener aux responsabilités de Tsipras et de Varouflakis. Ainsi, même si la critique est vive, la raison de l’échec ne se résume pas à l’idée d’une simple trahison ou d’un complot mais met en avant la nécessité de comprendre les orientations et l’enchaînement des déterminations et des décisions dans les politiques suivies ainsi que la nature des liens et des rapports politiques aux mouvements sociaux et citoyens. En fait, assez justement, l’auteur ne parle de trahison que par rapport au référendum, il met en cause des renoncements et des capitulations dont il faut comprendre les ressorts.

Les neuf chapitres suivants entrent dans l’histoire détaillée de ce qui s’est passé et de ce qui aurait pu être fait. Chacun des chapitres fait progresser la compréhension et le dernier chapitre reprend l’ensemble autour d’une question fondamentale et d’une affirmation : Oui, on pouvait faire autrement.

Ce décryptage corrige la présentation des faits et donne une interprétation précise et cohérente, avec, comme l’auteur le dit, l’exercice périlleux de se mouiller sur ce qui aurait pu être fait.

Je n’ai pas beaucoup d’interrogations sur les neuf chapitres. J’ai surtout beaucoup appris de choses dans la longue narration et dans le décryptage qui remet les choses dans l’ordre. Ce décryptage corrige la présentation des faits et donne une interprétation précise et cohérente, avec, comme l’auteur le dit, l’exercice périlleux de se mouiller sur ce qui aurait pu être fait.

Le choix d’organiser la démonstration en contrepoint du récit de Varoufakis est très astucieux. Il rend vivant la présentation. Comme sa démonstration est auto-justificative, celle d’Éric Toussaint aurait pu être uniquement accusatrice. Ce qui n’est pas le cas, il arrive à réfléchir à sa position de manière plutôt équilibrée même si les contradictions du personnage sont un peu gommées par rapport à ses certitudes.

Les propositions de Varoufakis menaient à l’échec. L’analyse des six mesures prioritaires est très éclairante. Il s’agit d’un plan d’urgence autour de la restructuration de la dette publique, de la recherche d’un excédent primaire en contradiction avec le rejet de l’austérité, de l’impôt sur les grandes sociétés, des privatisations, d’une banque de développement, de la gestion des banques privées transférées à l’UE.

Du point de vue de la réflexion sur un projet de gouvernement, on peut admettre qu’il ne faut pas négliger la défensive en situation. Certaines des mesures, au-delà des gages donnés aux créditeurs, s’inscrivent dans la logique néolibérale présentée comme une évidence. Sans aller jusqu’à un rappel des ruptures nécessaires il n’y a pas d’ouverture vers des alternatives et donc pas de stratégie articulant les mesures d’urgence et la préparation de la transformation. Éric Toussaint explique plus loin le rejet du programme de Thessalonique de 2014 qui pèse sur les mobilisations et les rapports entre le gouvernement et les mouvements (concernant le programme de Thessalonique, voir http://www.cadtm.org/Ce-que-Tsipras-s-etait-engage-a-realiser-et-ce-que-son-gouvernement-a-mis-en).

La critique qu’adresse Éric Toussaint à la proposition de Varoufakis de restructuration de la dette part de l’hypothèse que tout le monde a bien compris l’importance du refus de la dette illégitime, ce qui malheureusement n’est pas le cas.

Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses relations avec la classe politique. Ce chapitre est très intéressant même si les éléments qu’il donne sur les raisons de cette évolution sont présentées à partir d’une critique, par ailleurs assez équilibrée, des positions de Varoufakis. La critique faite sur le discours de la corruption des classes dirigeantes grecques est juste, non que cette responsabilité n’existe pas et qu’elle n’ait pas joué un rôle dans la crise mais parce qu’il permet de réduire les responsabilités des créanciers et de l’Europe qui les protège en dernière instance.

La discussion sur le contrôle des banques privées pose une autre question, celle de l’appréciation du risque dans une politique radicale de rupture.

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza. On arrive au nœud de la situation. Ce qui différencie un programme révolutionnaire d’un simple programme de gauche c’est l’engagement du peuple qui dépasse la mobilisation des mouvements et l’affrontement électoral. Éric Toussaint le souligne à plusieurs reprises. Il faudrait essayer de comprendre comment Tsipras construit un rapport de transfert avec une partie du peuple qui lui permet de surmonter la déception du référendum, de rester au pouvoir et de ne pas sombrer aujourd’hui. Il a réussi à surfer sur une volonté d’éviter le pire qui ne se nourrit pas d’illusions.

La question qui nous est posée est comment des mots d’ordre, et notamment l’annulation de la dette illégitime, peuvent devenir mobilisateurs pour des ruptures possibles dans des périodes d’affrontement.

Les conseillers de Varoufakis. Ce chapitre montre l’importance de la technostructure et son ralliement au néolibéralisme. Il pose la question de l’expertise citoyenne et de l’importance de cette bataille stratégique. Elle ne se résume pas à la technostructure, elle s’est beaucoup imposée avec la double offensive de l’alliance du marché et du numérique, d’une part, et de la remise en cause du socialisme après 1989. D’où l’importance des initiatives telles que celle du CADTM ou de l’Aitec.

Une stratégie de négociation vouée à l’échec. Ce n’est pas le gouvernement grec qui ouvre les hostilités. La Troïka se lance dans une agression brutale. Elle le fait pour l’exemple. Trois questions illustrent la situation dans la période : l’annulation de la dette se retrouve au centre de l’affrontement, il faut donc s’y préparer au préalable ; le débat sur l’Europe est au centre de la définition d’une stratégie, la position ne se résume pas au choix de sortir ou non de l’Europe ; la crise grecque démontre la dérive des gouvernements socio-démocrates et l’effondrement de la social-démocratie en tant qu’alternative réformiste.

Vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015. Le bras de fer est clairement engagé. Il n’y a pas d’espace de négociation. Éric Toussaint énumère clairement les conditions de la capitulation : les réformes structurelles néolibérales ; le contrôle par le FMI ; une soutenabilité de la dette définie par les pays dominants ; la primauté absolue aux créanciers. La victoire de la Troïka est totale.

Éric Toussaint énumère clairement les conditions de la capitulation : les réformes structurelles néolibérales ; le contrôle par le FMI ; une soutenabilité de la dette définie par les pays dominants ; la primauté absolue aux créanciers. La victoire de la Troïka est totale.

Fin février 2015 : la première capitulation. C’est dans ce chapitre que vous énoncez le plus clairement la politique alternative qui revient à appliquer le programme de Thessalonique. A l’appui de cette proposition, il faut rappeler que c’était le mandat demandé et obtenu pour la victoire de Syrisa, il était donc légitime. La question qui est posée est celle du risque existant compte tenu du rapport de forces. Comme le dit Éric Toussaint, il fallait « se préparer aux nouvelles représailles des autorités européennes et donc à une possible sortie de la zone euro ». Là-dessus, il précise « Syriza n’avait certes pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, … » et un peu plus loin, il ajoute « de mon côté, mon analyse de la Grèce et de la zone euro avait évolué. Je suis devenu convaincu à partir de l’été 2013 que la sortie de la zone euro était une option sérieuse à envisager pour les pays de la périphérie européenne, notamment la Grèce. » Cette question n’était donc pas acquise dans le débat public, elle a dû peser dans l’évaluation des risques. Pour l’avenir, elle fait partie des questions qu’il faut poser publiquement dans le débat démocratique.

Diplomatie secrète et espoirs déçus. Dans ce chapitre il est intéressant de préciser qu’il ne s’agit pas de dire qu’une diplomatie ne doit pas comporter de secrets mais que la diplomatie secrète ne peut pas remplacer les mobilisations et les mouvements populaires. C’est donc le manque de stratégie appuyée sur les mobilisations qui apparaît et qui laisse l’exécutif sans moyens face aux coups de boutoirs de l’ennemi.

Dans les facteurs qui ont conduit au désastre, je retiendrai surtout : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, et le refus d’appeler à la mobilisation nationale et internationale.

Vers le dénouement. Dans les facteurs qui ont conduit au désastre, je retiendrai surtout : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, et le refus d’appeler à la mobilisation nationale et internationale. Admettons que pour accepter une confrontation grosse de dangers importants, il faut tenir compte des rapports de forces et des risques et qu’il ne suffit pas d’engager une confrontation pour définir une ligne alternative. Mais, refuser de prendre le risque sans l’expliquer et sans appel à la mobilisation populaire c’est capituler sans préparer une nouvelle situation qui permettrait d’avancer vers une alternative.

Le dixième chapitre sert de conclusion : Oui, il y avait une alternative pour réussir.
Ce chapitre reprend et présente les conclusions des chapitres précédents en différenciant : la caractérisation de la politique de la Troïka ; ce que le gouvernement grec a fait et ce qu’il aurait pu faire ; les leçons pour les luttes en Europe et ailleurs.

La caractérisation de la politique de la Troïka est claire ; elle a été d’une extrême brutalité se considérant en terrain conquis. La Troïka a fait capituler le gouvernement grec. Mais, même si la Troïka a gagné, elle n’en est pas sortie intacte. Elle a dévoilé la nature de l’Europe et jusqu’où elle était capable d’aller pour imposer sa ligne et sa doctrine. Elle a encore affaibli l’acceptation de l’Union européenne par les peuples. En refusant toute possibilité de répondre à la crise grecque, elle a rendu plus grave et plus visible la crise européenne.

La réponse à ce que le gouvernement grec aurait pu faire renvoie à la discussion sur les conditions de l’affrontement. Aucune stratégie ne peut éliminer la confrontation et les risques de l’affrontement. Ne pas être prêt à l’affrontement, c’est donner la main à l’adversaire. Mais il ne suffit pas d’accepter l’affrontement, il faut le préparer et le mener ; des tactiques sont nécessaires. Des étapes sont possibles et mêmes nécessaires en fonction des situations et des rapports de forces. La question difficile est d’apprécier et d’assumer les risques au niveau d’un peuple. Comment expliquer les réponses de la direction de Syriza ? Quelle est la part du recul devant les risques par rapport à leur adhésion à une option d’accord qui conduisait à la subordination ? Éric Toussaint privilégie une explication sociologique ; elle est probable, mais elle n’est peut-être pas suffisante pour rendre compte des contradictions dans une période d’affrontement.

Par rapport à l’affrontement avec le bloc capitaliste, ce qui fait la différence c‘est la mobilisation et la confiance populaire et la capacité de passer des alliances. Éric Toussaint insiste sur l’importance de la démocratie et de l’auto-organisation et il a tout à fait raison.

S’en remettre à des dirigeants est toujours risqué, surtout si ceux-ci privilégient la diplomatie secrète. La référence au programme de Thessalonique est bonne mais il ne suffit pas de dire : il suffit de l’appliquer ; elle laisse ouverte la question de comment l’appliquer en situation de crise. L’explication qu’Éric Toussaint donne dans le chapitre 3 (Comment Tsipras et Varoufakis tournent le dos au programme de Syriza) me paraît convaincante. Mais Tsipras avait conservé des capacités de manœuvre si on tient compte du faible impact électoral de la Plateforme de gauche.

Dans une situation révolutionnaire, la mobilisation populaire trouve d’autres formes d’intervention qui permettent de dépasser les limites des victoires électorales. Dans cette partie sur ce qui aurait pu être fait, se pose la question de ce que le mouvement populaire aurait pu faire pour pousser les dirigeants de Syriza à être fidèles à leurs engagements. Le référendum a permis de le canaliser, mais après la victoire du non, qu’est-ce qui aurait été possible, qu’est-ce que les mouvements grecs auraient pu faire ?

Les leçons pour les luttes en Europe et ailleurs, au-delà des spécificités de la situation grecque, nécessitent un changement d’échelle. La définition d’une alternative est nécessaire. Elle est urgente mais elle sera longue ce qui implique d’y travailler activement. La sortie et le dépassement du capitalisme doivent être rappelés et poursuivis à travers les luttes et les mobilisations, le travail d’élaboration intellectuel, les initiatives alternatives immédiates. La définition d’un nouveau projet socialiste s’inscrit dans la transition sociale, écologique, démocratique et géopolitique.

La sortie et le dépassement du capitalisme doivent être rappelés et poursuivis à travers les luttes et les mobilisations, le travail d’élaboration intellectuel, les initiatives alternatives immédiates.

Je retiens à partir de l’analyse d’Éric Toussaint six propositions pour contribuer aux mobilisations et aux luttes et préparer la définition des programmes de gouvernements pour des périodes de victoires électorales populaires (sans aller jusqu’à « la critique du programme du Gotha » ou « le programme de transition » pour oser un petit clin d’œil entre nous).

  1. Préparer l’affrontement sur l’annulation de la dette publique
    C’est un point central de toute confrontation dans les situations de crise. Il faut s’y préparer par des campagnes internationales. L’annulation des dettes illégitimes et odieuses a progressé mais est loin d’être accepté. C’est un des reproches à Varoufakis, mais je pense que ce n’était pas une évidence pour lui et que pour beaucoup d’autres ce n’est pas un descripteur d’une position de gauche. Les commissions d’audit ont fait progresser mais pas encore assez. Le travail du CADTM est exemplaire, il faudrait l’amplifier à travers une coalition internationale.
  2. Préparer l’affrontement sur les banques
    Le contrôle des banques nécessite une double action. Un débat public sur la nécessité de contrôler les banques et de la nature de ces contrôles. Une préparation technique et professionnelle sur les différents outils de contrôle du système bancaire pour limiter les campagnes de dénigrement et l’organisation des paniques.
  3. Préparer l’abandon des plans d’austérité
    Discuter du programme économique, des mesures fiscales et du contrôle de l’inflation
  4. Approfondir le débat sur l’Europe (pour les pays européens)
    Ce débat très conflictuel doit être mené le plus tôt possible. Éric Toussaint l’aborde à plusieurs reprises. Ce n’est pas toujours très clair, même si ce n’est pas contradictoire. Il rappelle que Syriza n’avait pas prévu de quitter l’Europe et que le débat ne portait pas sur l’Europe. Ailleurs, Éric Toussaint dit qu’il a changé de position sur l’Europe. Ailleurs encore il développe la thèse de la désobéissance (avec laquelle je suis d’accord)
  5. Affirmer l’autonomie des mouvements
    Le rapport de forces dépend de la mobilisation populaire et de l’action des mouvements sociaux et citoyens. Un succès électoral est surtout consolidé par le surgissement populaire. L’autonomie des mouvements par rapport au gouvernement et aux partis politiques est une des conditions de la réussite.
  6. Affirmer l’actualité du dépassement du néolibéralisme et du capitalisme
    La bataille de l’hégémonie culturelle est centrale. La résistance contre les idéologies racistes, sécuritaires et xénophobes est prioritaire. Elle implique la construction d’un projet de dépassement du capitalisme et de réinvention du socialisme.

Auteur.e

Gustave Massiah est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.

Source http://www.cadtm.org/Reflexions-suite-a-la-lecture-du-livre-d-Eric-Toussaint-Capitulation-entre

Pétition  » Plus jamais ça »

#PlusJamaisCa, signons #PourLeJourDapres

15 associations et syndicats lancent une pétition pour un Jour d’Après écologique, féministe et social.

À la suite de la tribune « Plus jamais ça, préparons le jour d’après » du vendredi 27 mars, quinze organisations lancent aujourd’hui une pétition nationale pour défendre des mesures urgentes et de plus long terme, porteuses de profonds changements politiques. Cette pétition appelle les citoyen·ne·s, qui partagent le constat dressé d’urgence sociale et écologique et en ont assez des discours creux, à se mobiliser pour que le « Jour d’Après » soit construit ensemble, en rupture avec les politiques menées jusque-là. Les solutions existent, agissons !

Ces organisations appellent les citoyen·ne·s et l’ensemble de la société à faire entendre leurs voix pour « reconstruire ensemble un futur écologique, démocratique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral. » Alors que des actions urgentes s’imposent face à la crise sanitaire et que des décisions structurantes pour l’avenir sont en cours de discussion, il est primordial d’unir nos voix et d’axer le débat sur des mesures qui sont cruciales pour ne pas reproduire les erreurs du passé.

Par cette pétition, les citoyen·ne·s ont l’occasion d’exprimer leur soutien en faveur de quatre mesures urgentes, et de trois mesures de plus long terme.

« À court terme, il s’agit de stopper les activités non indispensables, de réquisitionner établissements médicaux privés et entreprises pour répondre à la crise, de suspendre les versements de dividendes, rachats d’action et bonus aux PDG. Et d’orienter les milliards d’euros injectés dans l’économie française et européenne vers les besoins sociaux et écologiques des populations ».

« Afin de ne pas relancer une économie profondément insoutenable écologiquement et socialement, nous invitons également les citoyen·ne·s à soutenir des politiques publiques de long terme pour ne plus jamais revivre ça. Services publics, fiscalité plus juste, ainsi que relocalisation et réorientation de l’agriculture, de l’industrie et des services doivent devenir les nouvelles priorités de l’action politique, pour remettre l’économie au service du plus grand nombre et limiter les dérèglements climatiques ». Cette pétition sera relayée sur les sites des nombreuses organisations signataires (liens ci-dessous), et le nombre total de signataires sera calculé en temps réel sur les sites internet de toutes les organisations qui hébergent la pétition :

Action Non-Violente COP 21, Alternatiba, les Amis de la Terre France, Attac France, CCFD Terre Solidaire, Confédération paysanne, CGT, Convergence nationale des Services Publics, Fédération syndicale unitaire (FSU), Fondation Copernic, Greenpeace France, Oxfam France, Reclaim Finance, Union syndicale Solidaires, 350.org.

Pour signer la pétition https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/petition-plus-jamais-ca-signons-pour-le-jour-d-apres#form

Voir l’appel des 18 https://www.grece-austerite.ovh/plus-jamais-ca/

La réforme hospitalière un projet pire qu’avant

Paris le 9 mai 2019, manifestation unitaire de la fonction publique.

Macron n’a rien appris : pour la santé, le « jour d’après » sera le jour d’avant… en pire

Certains y avaient vu une lueur d’espoir. Dans son allocution du 12 mars, Macron déclarait : « Ce que révèle déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe […]. Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».

Macron aurait-il donc « appris » des conséquences terribles des politiques d’austérité et de privatisation de la protection sociale menée par lui et tous ses prédécesseurs ? Le « jour d’après » marquerait-il un tournant radical vers un système de santé placé « hors des lois du marché » ?

Il n’a pas fallu longtemps pour avoir la réponse. Un projet de note, rédigée à la demande de l’Élysée par la Caisse des dépôts et consignations et révélée par Mediapart, préconise un « jour d’après » qui ne serait rien d’autre que le « jour d’avant »… en pire.

L’État providence selon Macron, après comme avant la crise, reste un état « stratège » qui ouvre les vannes d’un financement public massif… aux entreprises privées (start up, réseaux de soins concurrentiels des assurances et mutuelles, établissements de santé « non lucratifs »). La note de la CDC prévoit en outre la relance des « partenariats public-privé », qui transforment les hôpitaux publics en vache à lait pour le privé, et qui avaient du être arrêtés ces dernières années suite à plusieurs scandales. Et l’on ne parle même pas de la préconisation de la transformation, avec de l’argent public, en navires-hôpitaux, de bateaux de croisières devenus invendables : une aubaine pour les armateurs !

Pas un mot, en revanche, sur ce qu’attendent les personnels hospitaliers en lutte depuis plus d’un an et les patientEs qui constatent même hors épidémie la dégradation du service public, la pénurie de personnel, de matériel, les fermetures de services. Pour demain, comme pour aujourd’hui, les personnels de santé ne demandent pas des discours, mais des actes. Ils et elles ne demandent pas à être des « héros » épuisés et sacrifiés, mais des professionnelEs capable de donner les soins nécessaires, en toute sécurité pour eux et pour les patients. Or, dans la note de la Caisse des dépôts, rien sur l’augmentation des budgets hospitaliers, rien sur la réouverture des lits et des services nécessaires, rien sur le recrutement massif de personnel, pour les urgences et tous les services hospitaliers, rien sur le maintien et la réouverture des urgences de la chirurgie, des maternités des hôpitaux de proximité sur tout le territoire, ni sur l’extension hors de l’hôpital d’un service public assurant partout un accueil proche. En un mot : rien sur la remise à niveau d’un service public de santé assurant gratuitement l’accès aux soins de touTEs et capable de faire face aux crises sanitaires.

Non, Macron n’apprendra rien, et il n’y a aucune « unité nationale » possible derrière un pouvoir qui, incapable de faire face à l’épidémie actuelle, entend poursuivre « le jour d’après », la politique qui a mené à la catastrophe. Personnels hospitaliers, usagerEs de la santé, la solution ne viendra que de notre action solidaire pour imposer les réponses d’urgence à la crise : pour aujourd’hui, des masques, des protections, du matériel des médicaments, la réquisition des entreprises pour les fournir, le recrutement du personnel nécessaire ; et pour demain, un service public de santé gratuit et proches garantissant à toutes et tous l’accès aux soins.

Montreuil, le 1er avril 2020. 

Source https://npa2009.org/communique/macron-na-rien-appris-pour-la-sante-le-jour-dapres-sera-le-jour-davant-en-pire

Iles grecques le coronavirus s’ajoute à l’abandon de l’UE

Dans les îles grecques devenues camps de réfugiés, le coronavirus s’ajoute à l’abandon européen par Raphaël Goument

L’épidémie de coronavirus menace aussi les camps de réfugiés des îles grecques. Avec des dizaines de milliers de personnes qui y survivent sans accès suffisant à l’eau, aux douches, ni aux toilettes, ces camps risquent de se transformer en bombes sanitaires. Les ONG demandent leur évacuation, le gouvernement grec a décidé de les confiner. Reportage sur l’île de Chios avant le confinement.

Ils se sont donnés rendez-vous dans un petit appartement du centre-ville, à deux pas de la forteresse qui veille encore sur le port de Chios. Tous travaillent dans des ONG impliquées auprès des réfugiés. Pour la première fois, une assemblée numérique est organisée avec responsables humanitaires et bénévoles des autres îles. Sur l’écran, des petits carrés lumineux s’illuminent successivement. « Evros », « Lesbos », « Kos », « La Canée »… Chacun se présente par son emplacement, son front de lutte. Les traits sont tirés, les nouvelles ne sont pas bonnes. Agression de réfugiés, attaques de responsables d’ONG, destruction de lieux de solidarité, barrages sur les routes, départ des volontaires internationaux et réduction des activités des organisations caritatives, manifestation et contre-manifestation. Dans certaines îles, on a frôlé la guerre civile.

Les récits s’enchainent et se ressemblent. Partout, la situation semble hors de contrôle depuis la fin du mois de février. Un volontaire de Kos tire la sonnette d’alarme : « Les réfugiés manquaient déjà de tout mais ce à quoi ils font face désormais est bien plus dangereux, c’est la montée rapide et directe du fascisme. C’est bien plus grave que tout ce qui pouvait manquer jusqu’à présent. » Les autres acquiescent. C’est sans compter sur la menace du coronavirus qui ne ferait qu’envenimer encore la situation si des cas étaient détectés dans les camps de réfugiés – ils sont plus de 40 000 dispersés sur les cinq îles -, sans parler du désastre sanitaire qu’une telle contamination représenterait.

Deux réfugiées avec des sacs de produits alimentaires attendent de pouvoir partager un taxi pour retourner à Vial, le camp de Chios distant d’une dizaine de kilomètres. © Raphaël Goument.

Chios n’échappe pas à la règle. Avec plus de 6000 réfugiés pour quelques 50 000 habitants, l’île semble au bord de l’implosion malgré le calme relatif qui a depuis peu regagné la ville et ses alentours. Avec l’annonce du président turc Recep Tayyip Erdoğan fin février de ne plus vouloir retenir les migrants sur son territoire, les arrivées se sont multipliées. Rien qu’en 2020, ce sont près de 10 000 réfugiés qui ont tenté la traversé depuis la Turquie selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. L’île de Chios est en première ligne, séparée des côtes turques seulement par un bras de mer d’une dizaine de kilomètres.

Méfiance des habitants de l’île envers le gouvernement grec

La situation a amené le gouvernement grec, de droite, de Kyriákos Mitsotákis à instaurer début mars un régime d’exception pour au moins 30 jours. Aucune demande d’asile n’est plus enregistrée, ce qui est en contradiction avec la convention de Genève et avec le droit européen et international. Pis, les derniers arrivés depuis le 1e mars ne sont plus enregistrés ni même emmenés à Vial -le camp de Chios- et sont détenus dans des structures ad hoc, sans accès aux responsables des ONG ni à des avocats. Un reportage du New York Times à Evros, la frontière continentale au nord du pays, mentionnait des renvois directs vers la Turquie, ce que le gouvernement d’Athènes a jusqu’alors toujours démenti [1].

« Encore faut-il que le gouvernement du pays de retour – ici la Turquie – soit d’accord avec le renvoi, ça semble encore très incertain », précise Victoria*, une Grecque de 35 ans qui travaille pour une organisation internationale présente sur l’île et qui souhaite conserver l’anonymat. Et d’ajouter : « Il y a aussi une dimension de propagande assez évidente dans cette décision du gouvernement grec, c’est certainement pour rassurer la population locale et les Grecs en général. » Il faut dire que les insulaires entretiennent une défiance croissante vis-à-vis du gouvernement central mais aussi des institutions européennes.

Cette méfiance a atteint son paroxysme fin février quand Athènes a annoncé son intention de construire un nouveau camp fermé, dans les montagnes au cœur de l’île. Malgré un refus massif des insulaires et de leurs représentants, les autorités ont bien tenté de passer en force, débarquant discrètement près de 300 policiers anti-émeute helléniques afin de sécuriser les travaux préparatoires. La goutte de trop. Jamais de mémoire d’habitant, on avait aperçu ces armures et ces boucliers. Manifestations, grèves sauvages et barrages improvisés sur les routes : la réaction populaire a pris de court le gouvernement. La situation est devenue si tendue que les policiers anti-émeutes ont été rapatriés après seulement quelques jours, pourchassés jusque dans le port par des habitants furieux. « C’est vraiment à ce moment que tout a basculé, quand ils ont voulu construire le nouveau camp. Tout le monde s’y est opposé. Quels que soient les avis politiques, nous avons manifesté ensemble, mais malheureusement, pas pour les mêmes raisons. Certains ne veulent plus de réfugiés du tout… », précise Alba, une des rares volontaires internationales encore présente sur l’île.

Les volontaires des ONG : « Nous sommes devenus des cibles »

Ce sont surtout les franges les plus réactionnaires de la société grecque qui ont depuis fait parler d’elles. En tête des actualités, les arrivées à Lesbos de militants se qualifiant ouvertement d’identitaires voire de néo-nazis ont éclipsé les violences qui touchent les autres îles. À Chios, l’entrepôt qu’occupait l’organisation caritative norvégienne One Family–No Border a été incendié dans la nuit du 2 mars avec tout ce qu’il contenait de dons arrivés des quatre coins du monde et à destination des réfugiés. Vêtements, chaussures, poussettes, jouets et autres produits de première nécessité : au petit matin il ne restait que des cendres fumantes. Hanne Hoff, une femme de 62 ans atterrie sur l’île dès 2016 après une année à Lesbos, ne pense pas à une origine accidentelle.

L’entrepôt qu’occupait l’organisation caritative One family–No borders, incendié dans la nuit lundi 2 mars. © Raphaël Goument.

Loin d’être isolé, le cas de l’ONG One Family illustre la montée des menaces pour ceux qui aident de près ou de loin les migrants. Une autre organisation historique, Feox, a aussi dû réduire son activité. Ses créateurs, Adonis et Michaelis, deux jumeaux natifs de l’île, se sont taillés une solide réputation en secourant des milliers de naufragés qui approchaient des côtes de Chios depuis le début de la crise migratoire. « En 2015 et 2016, il arrivait en moyenne dix bateaux par jour, avec parfois jusqu’à 80 personnes dans l’embarcation. Faîtes le calcul », rapporte Adonis, une certaine fierté dans la voix. Les deux frères, qui portent barbes et longues chevelures grisonnantes, patrouillaient nuit et jour à moto le long de la côte, gagnant ainsi leur réputation de « jumeaux pirates ». Les choses ont changé.

Michaelis et Adonis, les « jumeaux pirates », à l’origine de Feox, une des premières organisations de secours des réfugiés de l’île de Chios. © Raphaël Goument.

Ce sont toutes les personnes qui viennent en aide de près ou de loin aux migrants qui se sentent aujourd’hui menacées. Pour ceux qui restent, principalement des Grecs, les consignes des centrales humanitaires deviennent de plus en plus strictes : « Ne pas dire d’où l’on vient, ni pourquoi on est sur l’île, se faire passer pour des professeurs, ne pas rentrer seul chez soi le soir », énumère Hypatia [2], elle-même responsable dans une organisation internationale présente sur le camp de Vial. Les loueurs de voiture refusent désormais de travailler avec des étrangers, de peur que leurs véhicules ne soient détruits. De nombreux volontaires internationaux ont préféré quitter l’île, à l’image d’Hanne Hoff, retournée en Norvège. « Nous sommes devenus des cibles, on ne sait pas ce qui pourrait arriver », se désole-t-elle. Combien de temps pourrait durer cette retraite ? « Au moins un mois, ensuite nous verrons. » C’est toute l’activité de solidarité et d’aide aux réfugiés qui s’en trouve ralentie.

Hanne Hoff, la Norvégienne à l’origine de l’organisation caritative One Family–No borders. © Raphaël Goument.

« Nous sommes abandonnés par le gouvernement et par l’Europe »

« Les Grecs ont été des gens exceptionnels, la société grecque s’est montrée d’une telle solidarité en 2015 au début de la crise des réfugiés », salue Alba, qui a préféré rester pour prêter main forte aux jumeaux pirates. « Les insulaires en ont assez, cela dure depuis trop longtemps, ils ont aussi des problèmes et des difficultés. On peut les comprendre d’une certaine manière. Ils ont l’impression de se faire voler leur île, tout ce qu’ils veulent, c’est reprendre leur vie d’avant ».

L’histoire de Chios est celle d’un lent pourrissement suspendu aux accords internationaux, négociés entre Bruxelles, Athènes et Ankara. Maria, une insulaire qui tient une taverne au sein des remparts de la vieille forteresse ne dit pas autre chose : « La situation a beaucoup changé. Il y a cinq ans, il n’y avait que 200 ou 300 réfugiés, et ils partaient ensuite en Europe. Mais les autres pays n’ont pas accepté cette circulation et ont tout fait pour les maintenir bloqués ici. Nous ne pouvons pas en avoir plus. Nous sommes abandonnés par le gouvernement et par l’Europe. » C’est désormais sur ces îles que se matérialisent les frontières extérieures de l’Union européenne.

C’était l’idée même des « hotspots », ces points de chute conçus par le gouvernement grec et l’Union européenne pour faire face à l’afflux de réfugiés depuis 2014. En avril 2015, un accord conclu entre la Commission européenne et Athènes acte la création de ces « institutions de premier accueil » – leur nom officiel. Cinq îles grecques, toutes proches des côtes turques sont concernées : Chios, mais aussi Lesbos, Kos, Leros et Samos. Ces structures, imaginées pour centraliser l’enregistrement des arrivées et le traitement des demandes d’asile ont vite été submergées.

Peu à peu, Chios s’est transformée en une immense prison à ciel ouvert

Depuis 2014, plus d’un million de personnes ont risqué la traversée. En avril 2016, le deal passé entre l’Union européenne et la Turquie pour tenter d’endiguer le flux de réfugiés a eu des effets directs sur la situation des hotspots. Désormais, il n’est plus question pour les demandeurs d’asile de circuler librement en Grèce. Ils doivent rester sur l’île le temps de l’examen de leurs dossier. Une nouvelle loi de janvier 2020 a encore considérablement restreint les dérogations en cas de vulnérabilité, qui pouvaient auparavant donner un droit de circulation sur le continent. Peu à peu, Chios s’est transformée en une immense prison à ciel ouvert pour des migrants qui ne savaient souvent même pas vers où se dirigeait leur embarcation de fortune.

L’ONG norvégienne Aegan See Reports tente de centraliser les chiffres clés des afflux migratoires sur les îles grecques depuis 2015. Ceux-ci sont sans équivoque : jusqu’à avril 2019, on comptait moins de 1800 réfugiés sur l’île. Puis, le compteur explose à partir de l’été 2019. En mars 2020, plus de 6000 demandeurs d’asile sont bloqués sur Chios. Ce pourrissement de la situation exaspère les habitants, et inquiète certains élus.

Dimitris Antonoglou siège au conseil de la ville de Chios depuis un an sous l’étiquette Hiaki Sympolitia, un parti de gauche : « Notre situation concerne toute l’Europe. C’est l’ensemble du spectre politique en Grèce comme ailleurs qui se déplace vers la droite. » © Raphaël Goument.

Dimitris Antonoglou siège au conseil de la ville de Chios depuis un an sous l’étiquette Hiaki Sympolitia, un parti de gauche. Réellement inquiet, il hésite quant à la riposte à organiser. « Notre situation concerne toute l’Europe. On voit bien que c’est l’ensemble du spectre politique en Grèce comme ailleurs qui se déplace vers la droite. Les idées d’invasion, d’islamisation, font leur nid. Renaud Camus est devenu une référence en Grèce [3]. L’Union européenne croit avoir réglé ses problèmes en bloquant les réfugiés sur quelques îles. Mais c’est comme cacher la poussière sous le tapis, personne ne prend conscience de la taille du problème. » Pour l’élu grec, « il faut que l’Europe revienne à la réalité, tout ça c’est aussi la conséquence de sa politique ».

Raphael Goument

Ce reportage a été réalisé avant que le gouvernement grec décide des mesures de confinement des camps de demandeurs d’asile de la mer Égée, le 17 mars.

Photo de une : Un bateau des garde-côtes helléniques stationne dans la marina de Chios, arborant un drapeau « Frontex », l’agence de l’Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen et dont les moyens ont été considérablement renforcés depuis le début de la crise migratoire. © Raphael Goument.

Source https://www.bastamag.net/Refugies-Grece-Turquie-Chios-Lesbos-coronavirus-Union-europeenne

Capitalisme, vie et mort à l’heure du coronavirus

Capitalisme, vie et mort à l’heure du coronavirus par Contretemps ( Revue de critique communiste)

Nous publions la version écrite de l’analyse proposée par le philosophe Alexis Cukier pour la chaîne Youtube « Philosopher en temps de crise ».  ( vidéo en bas du document)

Rien ne sera plus comme avant. Désormais – l’heure appelle, je pense, à le dire sans détour, sans attendre les résultats de nouvelles expériences et de nouvelles enquêtes, en s’éloignant autant que possible des formules habituelles des discours philosophiques et politiques, de manière très directe –, les alternatives se poseront ainsi, ici et maintenant : le capitalisme ou la vie, travailler contraint à en mourir ou travailler librement pour la vie.

Après la crise, l’ordre établi sera prêt pour le gouvernement autoritaire des prochaines catastrophes écologiques. Nous aurons connu des malades, des mortes et des morts, nous aurons été travailler ou faire des courses la peur au ventre pour nous-mêmes et pour les autres, nous aurons été paniqué.e.s, sidéré.e.s, confiné.e.s, en colère, solidaires, déterminé.e.s. Nous aurons vu mise en œuvre à grande échelle cette priorité des dirigeants : sauver l’économie, c’est-à-dire les profits, plutôt que les vies. Dans les pays riches du Nord global, nous n’aurons certes pas connu les souffrances que les pillages, le néocolonialisme et les guerres font vivre aux habitant.e.s des pays appauvris du Sud global. Mais ce que les crises sanitaires, économiques, sociales, politiques, auront rendu ici aussi manifeste, c’est cette vérité : le capitalisme produit la mort. Par la guerre, qui lui est régulièrement nécessaire. Mais aussi continûment et d’innombrables autres manières, violentes ou progressives, visibles ou inaudibles, banales ou extraordinaires, et selon un développement inégal et combiné entre classes sociales et entre centre et périphéries : le capitalisme produit la mort et épuise la vie.

Leurs profits, nos morts

Celles et ceux qui meurent de maladies à coronavirus, du Covid-19, sont infecté.e.s par le virus SARS-CoV-2 mais sont tué.e.s par des décisions politiques qui, en défendant les conditions du travail, du soin et de la vie nécessaires au capitalisme, n’ont pas permis d’empêcher et ne permettent pas d’endiguer la pandémie ni de diagnostiquer et soigner les malades. On compte aujourd’hui les victimes de cette pandémie, mais pas celles des autres bien plus mortifères dont le capitalisme est également la principale souche : guerres, famines, intoxication et soins inaccessibles dans le Sud global, et là-bas surtout mais aussi ici cancers, affections neurotoxiques et cardiovasculaires, et toutes les autres maladies causées ou dramatiquement aggravées par la pollution atmosphérique et l’exposition à des substances chimiques, qui touchent en premier lieu les travailleurs et travailleuses du capitalisme industriel puis l’ensemble de la population. La pollution atmosphérique est un fléau mondial : ne nous étonnons pas qu’on découvre aujourd’hui qu’elle propage probablement le coronavirus et qu’en tout cas elle aggrave la maladie Covid-19. Celles et ceux dont le système immunitaire a été le plus endommagé par ces émissions et mutilations du capitalisme seront aussi les premières victimes de cette nouvelle pandémie.

Leurs profits, nos morts. En réalité, le capitalisme tue sans arrêt. Surtout dans ses périphéries, mais aussi en ses centres. À petit feu pour la plupart, mais au sens littéral et immédiat aussi, et en masse. Ce monde du capital a émergé et s’est toujours maintenu dans la violence et la guerre, par des hécatombes : les morts de la colonisation de l’Amérique, de la traite négrière, des colonisations et guerres coloniales en Afrique et en Asie, des guerres mondiales – qui se sont comptés, pour chacun de ces génocides, en millions et dizaines de millions – et d’autres innombrables guerres sans lesquelles le monde du capital n’existerait pas. Pour piller de nouvelles ressources et dominer de nouvelles mains d’œuvre, pour gagner l’hégémonie dans la compétition économique mondiale, pour liquider des stocks d’armes ou des réserves d’actions devenues sans valeur, pour reconstruire en masse ou imposer de nouveau besoins factices, ces guerres sont essentielles au capitalisme. Mais nous savons désormais que ce monde du capital produit la mort encore autrement, graduellement et sans cesse, par la destruction des écosystèmes naturels, des modes de vie populaires qui leur sont liés, par l’exposition de toutes les espèces vivantes à des pollutions chimiques et aux émissions de dioxyde de carbone, et parfois par des pandémies. En effet, pour faire du profit, il faut exploiter le travail, mais aussi la nature. Exploiter la nature, c’est-à-dire, par l’extraction, la pollution, l’intoxication, la réduction de la biodiversité, détruire la reproduction des écosystèmes qui rendent la vie possible.

On objectera que, dans la dernière période, l’espérance de vie a augmenté, ici et ailleurs, et on pourrait penser que le capitalisme en est la cause. C’est, je pense, une erreur : le capitalisme, l’exploitation du travail et de la nature pour le profit, n’est pas ce qui permet l’accès à l’eau potable, aux soins, à des conditions de vie salubres et une alimentation saine. Ce qui le permet, c’est, au contraire de la privatisation capitaliste, la logique de la mise en commun de biens, techniques et savoirs. Et les preuves s’accumulent ; nous savons désormais que le capitalisme ne peut fonctionner autrement qu’en détruisant la planète et la vie.

C’est dans ce monde, et pas dans un autre, que la maladie Covid-19 est apparue, et qu’elle tue. Il faudra enquêter et le vérifier en détail, mais il ne fait pas de doute que le transfert zoonotique et la pandémie en cours, comme d’autres auparavant, n’auraient pu avoir lieu sans l’agro-industrie de masse, l’hyper-urbanisation, la suppression des régulations socio-écologiques entre nature « sauvage » et monde humain, les chaînes logistiques mondiales de la circulation des marchandises, la concentration de particules fines, le démantèlement du soin public causé par l’austérité et la financiarisation de l’économie.

Le capitalisme, donc, met à mort. Mais qui pourra préserver la vie ? L’évidence est éblouissante aujourd’hui : ce n’est pas l’État capitaliste. Restons-en à la France : l’État a décidé de laisser venir l’épidémie plutôt que de dépister d’emblée massivement et d’organiser le soin des malades et le confinement des personnes contagieuses. Il a organisé la pénurie avant la crise, et une fois celle-ci venue, n’a pas produit aussitôt et en masse les respirateurs, masques et autres instruments de protection nécessaires. Il a choisi d’affecter certaines des ressources existantes aux bureaux de vote du premier tour plutôt qu’aux hôpitaux, pharmacies et commerces alimentaires. Et aujourd’hui, une fois les conséquences de ces erreurs criminelles en plein essor, il confine sélectivement les cadres et fait pression pour que les ouvrières et ouvriers aillent travailler. Il envoie « au front » les travailleuses – ce sont en grande majorité des femmes – du service public hospitalier et de la vente alimentaire sans moyen pour se protéger et ne pas contaminer. Par ses mesures financières, il sauve les banques et les grandes entreprises plutôt que les salarié.e.s. Il permet de reporter le paiement des loyers et factures des entités économiques, mais pas des locataires, des personnes endettées, des précaires. Il ne s’occupe en rien, ou à peine, des sans-abri, des intérimaires, des réfugiés, des exilés, des prisonnières et prisonniers dans les centres de détention et les centres de rétention, des plus pauvres et dominés. Il a décidé, sous couvert d’« état d’urgence sanitaire », de saper encore plus les libertés publiques et le droit du travail, de réprimer plus encore les quartiers populaires. L’État ment, comme il l’a toujours fait, notamment quand il est question de ses guerres et violences, mais aussi de maladies professionnelles et de pollution. L’État fait ce qu’il sait faire : ce qu’Achille Mbembe appelle la nécropolitique, décider qui pourra vivre et qui devra mourir. C’est le cœur de l’État moderne, comme Hobbes l’avait montré en son temps: faire peur, en agitant le spectre de la guerre civile et si nécessaire en déclarant la véritable guerre, et laisser mourir « pour le bien commun ».

L’État a donc déclaré que nous étions en « guerre ». Ce faisant, il nous habitue à un état de siège permanent, réclame la discipline et légitime les véritables guerres qu’il mène et pourra mener au nom de notre santé et de notre sécurité – entendons en réalité : pour préserver les intérêts capitalistes. Le capitalisme a toujours eu besoin de la guerre pour se maintenir et s’étendre, mais insistons : la guerre n’est qu’un moyen auxiliaire ; le moyen principal, c’est l’exploitation à mort, et la fin, c’est le taux de profit. C’est toujours la même chose, et en même temps quelque chose a changé, on le sent bien, y compris pour l’État. Depuis une vingtaine années, certains de ses secteurs, notamment l’armée, s’activent pour préparer de nouvelles modalités de gestion autoritaire des conséquences de la crise écologique en cours : catastrophes naturelles, déplacements de population, épidémies… Cette militarisation de la crise écologique se préparait à bas bruit, et elle a désormais commencé ici aussi, avec les militaires et drones qui contrôlent les déplacements des confinés. Nous y sommes. Les forces de l’écofascisme, ces formes autoritaires, meurtrières et liberticides de gouvernement des catastrophes écologiques que voyaient venir déjà Ivan Illich et André Gorz, sont en marche. Et seules des révolutions pourront les arrêter.

Travailler pour la vie

Mais alors qui pour préserver la vie, des écosystèmes naturels et des êtres humains, maintenant et plus tard ? Ce n’est pas l’État donc, ni les patrons bien sûr, ni les scientifiques tou.te.s seul.e.s, mais ce sont les travailleuses et travailleurs.

C’est l’hypothèse principale de mes recherches académiques et militantes en cours sur les rapports entre le travail, le capitalisme et la nature ; mais c’est aujourd’hui aussi une évidence, un constat. Ce sont les travailleurs, et les travailleuses surtout, qui de fait répondent aux besoins essentiels, et prennent soin de la planète et de la vie. Qui lutte aujourd’hui contre la propagation de l’épidémie et travaille à répondre à nos besoins fondamentaux ? Pour l’essentiel des ouvrières : infirmières et soignantes de proximité, travailleuses du nettoyage, caissières, assistantes maternelles… et aussi les éboueurs et éboueuses, ambulanciers et ambulancières, agricultrices et agriculteurs, médecins, etc. Celles et ceux qui travaillent à la vie des autres le font aujourd’hui en risquant leur propre mort.

Qu’en est-il des autres ? Ceux, et surtout celles, qui travaillent à la maison et s’occupent des enfants, des cadres pour la plupart, travaillent également à la vie mais sans qu’on leur demande de risquer la mort. Elles et ils n’auront non plus rien décidé, et la loi d’état d’urgence sanitaire prépare la phase suivante de leur travail forcé. Peut-être seront-elles et ils, plus tard, remercié.e.s par l’État pour leur discipline et leur dévouement, à condition d’avoir accepté de jouer leur partition sans broncher dans la reproduction du capitalisme et de n’avoir pas réclamé et partagé avec les subalternes le pouvoir politique qui devrait revenir à toutes celles et ceux qui travaillent à la reproduction sociale.

La reproduction sociale, ce concept de la théorie marxiste approfondi et renouvelé par le féminisme matérialiste, est l’enjeu crucial de la crise en cours, comme du moment d’après. Cela désigne toutes les activités domestiques, de soin, de subsistance, de nettoyage et nettoiement, d’éducation, le plus souvent non salariées, et toujours déqualifiées et surexploitées. Qui fait ce travail utile et déconsidéré ? Pour l’essentiel des femmes pauvres et racisées. Sans la reproduction sociale qu’elles effectuent, on ne pourrait pas vivre. Et le capitalisme ne pourrait pas non plus exploiter le reste du travail social. La crise en cours révèle cependant qu’il faut cesser d’opposer la reproduction sociale à la production tout court. La reproduction sociale, c’est la production de la vie – et cela devra devenir, dans le monde d’après, c’est-à-dire demain, le seul travail.

Ce sont des travailleuses et travailleurs, donc, qui soignent, réparent, maintiennent, font subsister, éduquent, rendent possible l’entraide et l’auto-organisation populaire… cela n’a rien à voir avec la guerre. L’« effort de guerre », s’il y en a un, est plutôt demandé aux autres qui travaillent encore, incité.e.s ou contraint.e.s, dans les usines automobiles et aéronautiques, le BTP, la livraison à domicile et tous les secteurs qu’on dit enfin aujourd’hui « non essentiels » : elles et ils doivent s’exposer à la mort non pour la vie des autres mais pour que les capitalistes continuent de faire du profit et ne perdent pas le contrôle de la production. Ils doivent s’exposer à la mort pour que le travail de mort du capitalisme puisse continuer.

Il est temps de prendre acte qu’il y a des formes de travail qui ruinent la nature et d’autres qui au contraire participent à sa régulation et son autoreproduction ; des formes de travail qui conduisent à la mort et d’autres qui préservent et développent la vie. C’est ce qu’a montré Marx, en son temps, en montrant que le capitalisme rompt le métabolisme de l’homme et de la nature – et c’est pourquoi le marxisme écologique contemporain, au-delà de Marx, peut tant nous aider dans la période. C’est aussi ce que certains de ses textes permettent de penser avec le concept de travail vivant, en partant surtout du point de vue des travailleurs de la terre, dont l’activité même requiert de défendre les conditions naturelles de toute vie et de tout travail. Le travail vivant, en bref, exprime que nous ne sommes pas des forces de travail au service du « travail mort » des machines et de la finance ; que nous sommes des êtres vivants, des puissances naturelles qui risquons la maladie et la mort en allant travailler aux conditions des capitalistes ; et aussi que, dans notre expérience du travail, nous pouvons trouver les ressources pour refuser la prescription de la mort et orienter toutes nos activités vers la liberté et la vie. Ce sont ces forces du travail vivant que nous devons réunir aujourd’hui, parce que c’est de ce point de vue que les exigences de préservation de la vie, de liberté et d’égalité peuvent être associées, et que nous pourrons enclencher une révolution écologiste pour défaire l’écofascisme qui vient.

Rien ne sera plus comme avant, mais il est possible que ce soit la vie et la liberté qui gagnent. Pour cela, il faut se battre, de toutes nos forces.

Nous montrent la voie les travailleuses et travailleurs qui ont fait grève, notamment en Italie, et qui n’ont pas attendu, pour faire passer la vie avant le profit, l’arrêt des activités non essentielles si tardivement décidé par le gouvernement ; celles et ceux qui, notamment en France, font valoir leur droit de retrait et parfois parviennent à faire fermer leur entreprise ; les infirmières et internes qui tout en sauvant des vies, alertent, proposent, commencent à exiger ; l’auto-organisation populaire dans les quartiers aussi, qui se redéploie pour prendre soin des plus vulnérables, dominés, de celles et ceux dont la vie ne compte pas pour les politiques de l’État. Mais sur cette base, il faudra aller beaucoup plus loin, et sans tarder.

Alors, nous prendrons acte que le démantèlement complet de toutes celles des activités industrielles, logistiques et militaires qui sont polluantes et destructrices de la nature et de la santé humaine est nécessaire pour que la vie continue. La finance, cet accélérateur de catastrophes économiques, sociales et écologiques, sera abolie, les bourses capitalistes fermées, les richesses deviendront propriétés communes. Alors, nous travaillerons toutes et tous dans les secteurs essentiels à la vie, et le travail vivant sera libéré du travail mort. Alors nous aurons conquis le pouvoir sur le travail pour la vie, et le temps nécessaire pour décider et délibérer collectivement de son organisation et de ses formes, de ses moyens et conditions.

C’est ce que j’ai appelé, avant cette crise, un « travail démocratique », un nom possible du communisme. Bien sûr, ce dernier n’a rien à voir avec la Chine, cette superpuissance capitaliste, et a peu de points communs avec ce que fut la Russie soviétique ou d’autres pays et expériences du XXe siècle qui ne furent jamais dans les faits communistes. Pour se faire comprendre et ne plus perdre de temps, puisque après la crise est à portée de vue, il faut le qualifier : ce sera le communisme de soin, le communisme écologique, le communisme pour la vie.

Ce monde d’après la crise, nous devons et nous pouvons désormais le préparer très concrètement, ici et maintenant pour demain. Et cela commence ainsi : en refusant dès maintenant qu’ici ou ailleurs, quiconque travaille à mort et à faire mourir, en mettant nos activités autant que possible au service de la vie. Et nous devons nous préparer à la suite : des grèves, des boycotts, occupations et rassemblements, des assemblées populaires, des conflits, des délibérations et décisions, de nouvelles institutions permettant une planification démocratique de la transition écologique, des évolutions révolutionnaires dans l’usage de notre temps, dans nos rapports aux autres humains et à la nature. Nous devons dès aujourd’hui y œuvrer collectivement, pour que plus jamais on ne puisse nous imposer la bourse, plutôt que la vie.

Mais demain, en tout cas, nous n’aurons plus le choix et nous devrons vivre cette alternative : travailler à la mort ou travailler pour la vie, se soumettre au capitalisme écofasciste ou mettre en œuvre un communisme écologique. Et le temps sera venu de reprendre cette bannière : la liberté ou la mort.

https://www.contretemps.eu/capitalisme-vie-mort-coronavirus/

la conférence en vidéo https://youtu.be/N0WNV4Yri6s

En Grèce aussi atteinte au code du travail

Le coronavirus frappe le marché du travail grec : Rotation du travail, réduction des salaires de 50%.

La crise du coronavirus a frappé de plein fouet le marché du travail grec et permet aux entreprises d’opérer sur la base d’une rotation du personnel, réduisant ainsi les salaires des employés de 50 %. Les employeurs peuvent également suspendre les contrats des travailleurs.

Le gouvernement grec a publié un acte législatif qui permet aux employeurs et aux entreprises d’introduire un nouveau système de rotation du travail » : les employés peuvent travailler seulement deux semaines par mois et voir leurs salaires réduits en conséquence, de 50 %.

Les entreprises peuvent appliquer cette mesure pendant six mois au maximum.

Cette mesure fait partie d’un ensemble extraordinaire visant à lutter contre l’impact de l’épidémie de coronavirus et concerne les entreprises répertoriées comme étant touchées par la crise.

La liste des entreprises qui suspendent leurs activités ne cesse de s’allonger.

Ces mêmes entreprises ont également obtenu la possibilité de suspendre tout ou partie des contrats de leurs travailleurs afin de ne pas avoir à payer leurs salaires, auquel cas chacun de ces employés recevra 800 euros de l’État.

Le nouveau système de rotation du travail peut être utilisé en combinaison avec la mesure de suspension du contrat de travail par la même entreprise ou le même employeur.

La mesure n’est valable que si les entreprises ne licencient pas ou ne licencient pas de travailleurs.

Outre les 800 euros pour les travailleurs pour les mois de mars et avril, les indépendants et les travailleurs indépendants recevront également le même montant.

Si la situation se poursuit, l’aide de l’État aux travailleurs sera de 400 euros pour le mois de mai.

Bien entendu, les salariés non inscrits ne recevront rien et devront chercher comment ils pourront joindre les deux bouts sans aucun revenu.

Le porte-parole du gouvernement, Stelios Petsas, a déclaré que le gouvernement a déjà annoncé trois séries de mesures s’élevant à 6 milliards d’euros pour les seuls mois de mars et avril afin de soutenir les entreprises et les travailleurs.

Le coût fiscal s’élève maintenant à 4,7 milliards d’euros, ce qui correspond à 2,5 du PIB de la Grèce, a-t-il noté.

Il a ajouté que l’état de l’économie réelle se détériore manifestement de façon constante, ce qui explique que le gouvernement procède à des évaluations quotidiennes.

En attendant, des rumeurs circulent selon lesquelles le gouvernement pourrait également réduire les salaires des fonctionnaires.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/03/27/greece-coronavirus-labor-market/

Traduire / Μεταφράστε