Transmis par le collectif de Nîmes
Par Agnès Barad-Matrahji professeure de français – conceptrice aux Éditions FRANÇAIS PLUS.
Elle nous écrit de l’île de Lesbos où elle est rentrée, après avoir assuré des cours d’été à l’Université de Genève. Elle reprend ses activités auprès de l’association Syniparxi-Coexistence. Elle a rédigé l’article suivant, après une réunion, hier soir, avec le directeur du camp de Moria. Elle y exprime notamment le dépassement du seuil de tolérance des habitants et fait part de la détresse des « aidants », exténués et désespérés… Elle y dénonce l’incapacité du gouvernement grec à payer des employés pour surveiller les camps de nuit ou le dimanche.
La misère et la rage s’installent.
Prenez garde, gentlemen européens, à l’automne grec. Là où en est arrivée la Grèce avec le fardeau migratoire.
Après un été où s’oublient les problèmes, septembre revient sur le devant de la scène avec une multitude de problèmes. Les avoir négligé durant la période estivale ne les a pas fait disparaître mais les a aggravés. Il n’y a pas d’été pour ceux qui attendent dans des camps en Grèce depuis plusieurs mois que leur demande d’asile soit acceptée pour un pays meilleur que celui qu’ils ont quitté. Il n’y a pas de trêve à l’angoisse de l’attente, de la faim, du sommeil sous une tente. Les esprits et les nerfs sont surchauffés sous le soleil de plomb des lieux de détention où ils s’entassent.
Lieux de détention, de rétention ? Pour cette Europe frileuse de respecter ses engagements et qui laisse à la Grèce la gestion du fardeau migratoire.
Début septembre, on dénombre 60 000 migrants sur le sol grec, dont 20% se trouvent sur les îles de Samos, Chios, Lesbos. Sérieusement, peut-on les déporter en Turquie comme le proposent les accords européens ?
La situation actuelle à Lesbos est explosive.
Les camps de Moria, conçu pour 800 personnes, avec plus de 4 500 migrants et de Kara Tépé acceuillant 1 000 migrants ont atteint leurs limites. Il faut savoir que 60% y sont des femmes et des enfants. Dimanche 4 septembre, 156 personnes sont arrivées dans des embarcations de fortune sur l’île. Lundi 5 septembre, 136. Les chiffres sont quotidiens. Les possibilités d’hébergement sont épuisées et les conditions de vie difficiles. Difficile de fournir de l’eau, de l’alimentation, des premiers soins. La moyenne d’attente de l’étude d’un dossier et de sa résolution est d’environ quatre à six mois.
Les migrants se savent piégés en Grèce.
Leurs espoirs se transforment en colère. Les épisodes de rixes sont désormais courants. Chaque jour, à la moindre étincelle, se déclarent des incidents sérieux. Les craintes sont grandes pour le directeur du Centre de Moria, Monsieur Kourtis.
Dernièrement, il a recherché en vain un ophtalmologue à l’hôpital pour un jeune syrien. Les rendez-vous s’éternisant à l’année prochaine, il a déniché un spécialiste qui a diagnostiqué que le jeune homme était en train de perdre la vue. Suite à un bombardement dans son pays, chimique, sans aucun doute. Ce drame personnel a explosé en colère violente de tout un groupe de jeunes syriens dans le camp de Moria.
Ils ont tout supporté dans leur pays, mais là en Europe, c’en est trop.
Des jeunes mineurs s’en sont pris les uns aux autres dans leur malheur d’être enfermés. Ils sont 116 dans un périmètre de sécurité, c’est-à- dire avec des grilles et des portes cadenassées. Il y a 3 jeunes filles également. Pas de place pour les mettre ailleurs. Alors les Afghans sont pris pour cible par les jeunes syriens et eux-mêmes prennent les jeunes du Bangladesh pour responsables de leur situation.
La promiscuité des diverses nationalités active les querelles.
La police a laissé faire ce soir-là parce qu’elle était en sous-nombre. La situation est sous contrôle lorsqu’il y a l’armée. Pas de personnel de nuit dans le camp, ni le dimanche. Les employés ne peuvent pas travailler à ces moments-là suite aux restrictions budgétaires imposées par l’Europe.
L’argent fait défaut pour payer les salaires mensuels de 430 euros. Á ce tarif, allez-vous risquer de prendre des coups en tentant d’interrompre une émeute ?
Une quinzaine de blessés ont été soignés à l’hôpital, hémorragies, pansements, huit jeunes migrants ont pris la fuite en pleine nuit, passant par les portes des containers détruites comme les fenêtres. Ils ont été retrouvés le lendemain par la police. Le directeur du camp confisque désormais tout briquet et même papier afin que personne ne remette le feu. Personnellement, il lui est arrivé plusieurs fois d’arrêter un début de feu dans le camp. Son plus grand problème restant les appels à l’aide qui restent lettres mortes auprès des autorités locales et gouvernementales.
Il se tourne alors vers les agences humanitaires sur place, engoncées dans leur protocole et leurs missions spécifiques, nécessitant trop de temps pour référer des difficultés à leurs hiérarchies siégeant à Genève ou New-York.
Pendant ce temps, les problèmes s’enflamment. Il est fait appel à l’association locale Syniparxi, Coexistence, pour gérer l’urgence, comme le dit Monsieur Kourtis les membres de l’association sont les « pompiers » de la situation. Depuis deux mois, l’association offre des excursions hebdomadaires aux mineurs enfermés, véritables soupapes à l’échauffement de l’été et des esprits. Le directeur du camp a aussi besoin de payer un plombier, de réparer les lieux, il fait appel à l’association, pas à son ministère de tutelle. Cela fait des mois que cela se passe ainsi. Des besoins urgents sont couverts ainsi rapidement par l’association et ses membres qui organisent également des fêtes, musicale pour la journée de la paix le jeudi 1 septembre ou religieuse pour la fin du Ramadan. Il est encore fait appel à l’association pour trouver en urgence un logement à ces jeunes filles qui ne peuvent rester dans le camp au milieu des jeunes mineurs. Il faudrait d’ailleurs des possibilités d’hébergement pour les autres qui vont arriver… Le directeur du camp de Moria le déclare :
« Dans les prochains jours, les migrants ne pourront passer la nuit que dans des sacs de couchage, à l’extérieur du camp ».
Autre problème de taille sur l’île de Lesbos, la réaction de certains habitants. Le lundi 22 août, au nord-est de l’île, l’ancien maire de Molivos interdit à un bus d’excursion avec des migrants de laisser ceux-ci descendre dans les rues de la petite ville touristique. Il fait très chaud, des touristes apportent des bouteilles d’eau aux passagers du bus, dont une femme et un jeune homme blessés. Les heurts se poursuivent avec quelques habitants et l’arrivée de la police. Les migrants n’auront pas foulé le sol et repartiront dans les camps.
Les hurlements de « qu’ils retournent d’où ils viennent » fusent de quelques membres d’Aube Dorée…
L’immense problème des flux migratoires qui affecte la Grèce, transforme le territoire des îles en des camps de lutte. Lutte entre ceux qui sont enfermés, lutte de ceux qui n’en peuvent plus d’essayer de gérer un problème qui les dépasse. Lutte de se sentir démunis, de se sentir abandonnés par l’Europe.
Mais immensément fiers de parvenir à rester humains, les Grecs ont réussi là où les autres Européens auraient échoué.
TraSans moyens mais en restant humains. Fin de l’été, voilà où en est arrivée la Grèce, pliant sous le fardeau migratoire. Dévastée par les difficultés de tout ordre, la rage a refait son apparition dans ce pays appartenant à l’Europe. La rage et toutes les autres rages ensemble.