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Appel SOS MEDITERRANEE Naufragés bloqués en mer

Naufragés bloqués en mer : SOS MEDITERRANEE sollicite l’assistance de la France, de l’Espagne et de la Grèce 

Malgré de multiples demandes d’assignation d’un port sûr envoyées aux centres de coordination de sauvetage de Malte et d’Italie, l’Ocean Viking reste confronté à une impasse. Conformément au droit de la mer, SOS MEDITERRANEE demande aux autorités maritimes de la France, de l’Espagne et de la Grèce, qui sont les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter la désignation d’un port sûr pour le débarquement des 234 rescapés bloqués à bord de l’Ocean Viking. Une solution doit être trouvée sans délai.

Entre le 22 et le 29 octobre, plusieurs navires humanitaires, l’Ocean Viking, le Humanity 1 et le Geo Barents, ont respectivement secouru 234, 179 et 572 femmes, enfants et hommes à bord d’embarcations impropres à la navigation, trouvées en détresse en Méditerranée centrale. Les sauvetages effectués par ces navires ont été menés dans les zones de recherche et de sauvetage libyenne et maltaise. Conformément aux conventions maritimes, les trois navires ont informé les autorités maritimes compétentes à toutes les étapes des opérations de recherche et de sauvetage. Toutefois, les centres de coordination de sauvetage (RCC) libyen et maltais n’ont pas répondu aux demandes de coordination, de partage d’information et de désignation d’un lieu sûr, ce qui ne nous a laissé d’autre choix que de nous tourner vers l’autre RCC le plus à même de porter assistance, à savoir celui de l’Italie, comme le prescrit le droit maritime.

Cependant, le 25 octobre, le nouveau gouvernement italien a pris une position radicale contre les ONG de recherche et de sauvetage. Le nouveau ministre italien de l’Intérieur annonce avoir émis une directive avertissant les forces de police et les autorités portuaires que son ministère évaluait la « conduite » de nos navires de sauvetage afin d’adopter une interdiction d’entrée dans les eaux territoriales. À ce jour, ni le navire de SOS MEDITERRANEE, ni celui de SOS Humanity, ni celui de MSF, n’ont reçu de communication officielle sur une telle décision. Ils sont néanmoins confrontés à un blocage total en haute mer et à une interdiction implicite d’entrer dans les ports italiens.

La situation à bord de l’Ocean Viking se détériore gravement. Les prévisions météorologiques annoncent un vent fort, de hautes vagues et une baisse de température d’ici la fin de la semaine. Et les provisions commencent à manquer.

234 vies sont en danger. De nombreux rescapés présentent des signes de torture, de violence sexuelle et d’abus dus à leur séjour en Libye. Ces temps prolongés en mer ont de graves répercussions sur le bien-être physique et psychique des personnes à bord qui ont échappé de peu à la mort en mer. Et ils mettent en péril la sécurité de vies humaines en mer.

« SOS MEDITERRANEE demande instamment aux autorités maritimes françaises, espagnoles et grecques, ainsi qu’aux autres centres de coordination de sauvetage en mer les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter un débarquement immédiat dans un lieu sûr. Ce blocus en mer n’est pas seulement une honte mais aussi une violation flagrante du droit maritime international et du droit humanitaire. Les rescapés doivent toucher terre sans plus tarder. Nous sommes face à une urgence absolue et toute journée d’attente supplémentaire pourrait avoir des conséquences fatales », déclare Nicola Stalla, coordinateur des opérations de recherche et de sauvetage de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking.

Alors que les autorités italiennes et maltaises ferment les yeux sur le sort de ces personnes, SOS MEDITERRANEE a sollicité officiellement les autorités maritimes les plus à même de porter assistance pour qu’elles interviennent auprès de leurs homologues italiens et maltais afin de coopérer, coordonner et faciliter le débarquement des rescapés bloqués en mer depuis 13 jours sur l’Ocean Viking.

La désignation d’un lieu sûr avec un minimum de déviation par rapport au voyage prévu du navire n’est pas seulement une obligation morale mais c’est aussi une obligation légale. Elle incombe à l’État responsable de la zone de recherche et de sauvetage où le sauvetage a eu lieu mais aussi à toute autre autorité gouvernementale qui peut être en mesure de porter assistance lorsque l’État responsable ne répond pas.

L’actuel blocage en mer de 985 personnes est illégal et inhumain. SOS MEDITERRANEE demande une fois de plus aux membres de l’Union européenne et aux États associés de respecter leurs obligations en mettant en place un mécanisme de débarquement prévisible afin d’alléger la pression sur les États côtiers européens. Un tel mécanisme doit garantir la possibilité de débarquer les rescapés dans le lieu sûr le plus proche d’où sont menées les opérations de recherche et de sauvetage, comme l’exige le droit maritime.

Les personnes ayant échappé à la mort en mer ne doivent plus être instrumentalisées dans des débats politiques.

Notes aux rédactions

– En 2018, après la fermeture des ports italiens, le taux de mortalité en Méditerranée centrale a doublé (5,6%) par rapport au taux de mortalité de 2017 (2,4%). En 2019, le taux de mortalité a été multiplié par quatre (9%). (Source : OIM- Projet Migrants disparus)

Extraits des conventions et résolutions maritimes internationales 

– Obligation de coopération et d’assistance de tous les États en vertu du principe de solidarité avec l’État SAR – Convention SAR chapitre 3 § 3.1.9 :
« Les Parties doivent coordonner et coopérer pour faire en sorte que les capitaines de navires qui fournissent une assistance en embarquant des personnes en détresse en mer soient libérés de leurs obligations avec un minimum de déviation supplémentaire par rapport au voyage prévu du navire, à condition que la libération du capitaine du navire de ces obligations ne compromette pas davantage la sauvegarde de la vie en mer ».

– « dans le cas où le RCC responsable de la zone où les survivants sont recueillis ne peut être contacté, tenter de contacter un autre RCC ou, si cela n’est pas possible, toute autre autorité gouvernementale qui pourrait être en mesure d’aider, tout en reconnaissant que la responsabilité incombe toujours au RCC de la zone où les survivants sont recueillis » [Rés. OMI MSC.167(78) de 2004].

– « Toute Partie devrait autoriser ses centres de coordination de sauvetage à prendre les dispositions nécessaires en coopération avec d’autres RCC pour identifier le ou les lieux les plus appropriés pour débarquer les personnes trouvées en détresse en mer. » [Annexe à la Convention SAR, chapitre 3 – 3.1.6]

Obligation de non-discrimination

« L’obligation de prêter assistance s’applique quels que soient la nationalité ou le statut de ces personnes ou les circonstances dans lesquelles elles se trouvent. » Convention SOLAS Chapitre V, Règle 33.1, 1974 (telle que modifiée en 2006)

– « 6.20 Toutes les opérations et procédures telles que le filtrage et l’évaluation de l’état des personnes secourues qui vont au-delà de la fourniture d’une assistance aux personnes en détresse ne devraient pas être autorisées à entraver la fourniture de cette assistance ou à retarder indûment le débarquement des survivants du ou des navires qui prêtent assistance. » RÉSOLUTION MSC.167(78) de l’OMI (adoptée le 20 mai 2004)

Source https://sosmediterranee.fr/communiques-et-declarations/naufrages-bloques-demande-assistance-france-espagne-grece/

Grèce : contre l’extrême droite sous toutes ses formes

Deux ans après la condamnation des nazis de Chryssi Avgi (Aube dorée), leur procès en appel est l’occasion d’étendre la mobilisation antifasciste.

Débuté en juillet, ce procès — qui pourrait aboutir à un allongement des peines de 2020 — est entré dans le dur, avec fin septembre les provocations des soutiens aux inculpés dans la salle d’audience (saluts nazis sans intervention de la police).

Le danger fasciste demeure

Bien sûr, le danger de reconstitution de Chryssi Avgi n’est pas pour demain, ne serait-ce que parce que, depuis deux ans, ses dirigeants se sont classiquement divisés, entre un Kassidiaris, ancien dirigeant des groupes d’assaut ayant fondé son groupuscule, un Lagos, député européen comptant parmi les responsables du meurtre en 2013 du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, et un Michaloliakos, le führer actuellement moins provocateur que les deux autres.

Mais il est clair que le danger fasciste demeure, et Kassidiaris tente de faire du procès une tribune en vue d’« exprimer la voix de [ses] concitoyens avec un parti fort, comme ceux qui dominent maintenant dans toute l’Europe ». Or, le terreau reste fertile en Grèce pour la constitution d’un parti d’extrême droite qui pourrait un jour regrouper les tueurs nazis et les fascistes peu à peu recyclés en passant par le parti d’extrême droite Laos qui gouverna avec la droite et le Pasok en 2011 puis par la Nouvelle Démocratie, où ils poussent à une ligne d’État policier en occupant des postes clés : ministère de l’Intérieur, du Développement…

Un cas symbolique est celui du ministre de la Santé, l’avocat Thanos Plevris, un des « recyclés », fils de l’idéologue nazi grec Kostas Plevris, sinistre admirateur d’Hitler et auteur de livres pronazis et antisémites, avec des passages comme celui-ci : « Juif et être humain sont deux notions contradictoires, l’une exclut l’autre. » Pour de tels écrits, le père Plevris était passé en procès, défendu alors par son fils, qui n’hésitait pas encore en 2009 à protester contre la tentative d’empêcher de prêcher le national-socialisme. Aussi ne le croit-on pas un instant aujourd’hui quand il parle d’attitude « bestiale » de son père, lui-même avocat défenseur de Lagos et qui, face à la mère de Fyssas, lui a fait en plein tribunal le salut nazi…

Dans la rue contre la peste brune

Face à tout cela, certains exigent l’interdiction pour des groupes ou des personnes relevant de condamnations criminelles de pouvoir se présenter aux élections. Il faut surtout se battre contre la politique de droite extrême du Premier ministre Mitsotakis, entre emploi systématique de la violence policière et flicage de la société, et ses ponts recherchés avec l’extrême droite. Un rassemblement de quelques centaines d’anti­fascistes a eu lieu le 7 octobre devant le tribunal, en soutien à Magda Fyssas qui témoignait ce jour-là et a rappelé à la présidente : « Mon fils n’est pas mort, il a été assassiné »… Pour Pavlos, pour Loukman, pour les pêcheurs égyptiens et pour les autres victimes, et contre le danger persistant, le combat antifasciste continue !

À Athènes

https://nouveaupartianticapitaliste.org/actualite/international/grece-contre-lextreme-droite-sous-toutes-ses-formes

Condamnation pour les agresseurs de SOS MEDITERRANEE

Nous revenons vers vous pour partager les dernières informations concernant le procès des 23 militant.e.s ex-membres de Génération identitaire pour l’irruption violente dans les locaux de SOS MEDITERRANEE à Marseille le 5 octobre 2018, alors que sept salarié.e.s étaient présent.e.s.

Le tribunal correctionnel de Marseille a rendu son jugement hier jeudi 20 octobre.

L’audience ayant démontré l’ampleur des préjudices subis, notre association et les sept salarié.e.s ont été reconnu.e.s victimes de cette attaque. Les 23 prévenu.e.s ont été condamné.e.s pour ces faits de violence.

Pour François Thomas, président de l’association, « Nous sommes soulagé.e.s que justice soit faite. Ce n’est ni une victoire, ni une vengeance, mais il était crucial que les assaillant.e.s soient reconnu.e.s coupables de ces violences. Quatre ans plus tard, les victimes sont toujours profondément choquées. Elles vont désormais pouvoir entamer un processus de reconstruction ».

« Cette opération a porté une atteinte grave à la réputation de l’association et à sa mission », a déclaré Maître Sébastien Mabile, avocat de SOS MEDITERRANEE. À la suite de l’attaque, nous avons dû déménager et mettre en place une série de mesures de sécurité.

« La justice a fait preuve d’une grande fermeté. […] On ne peut pas tirer sur une ambulance », a conclu Maître François de Cambiaire, également avocat de l’association.

Tout au long de cette épreuve, vos nombreux messages de soutien nous ont donné la force de poursuivre malgré tout notre mission. Grâce à vous, l’Ocean Viking patrouille en ce moment même en Méditerranée centrale à la recherche d’embarcations en détresse.

Merci d’être à nos côtés,

L’équipe de SOS MEDITERRANEE
#TogetherForRescue

Source https://sosmediterranee.fr

Dossier : Italie, comment a-t-on pu en arriver là ?

Comment un pays qui se distinguait il y a quelques décennies encore par le plus puissant parti communiste d’Europe, disposant d’une base sociale immense et d’une haute stature culturelle, mais aussi par une gauche extra-parlementaire particulièrement forte et vivace, a-t-il pu sombrer dans un tel cauchemar ?

Car c’est bien de cauchemar qu’il faut parler, lorsque les seules options qui se détachent dans l’élection actuelle tiennent dans une coalition des droites radicales dominée par les néofascistes, une coalition du centre menée par le Parti démocrate (un parti qui s’est bâti justement sur les cendres du Parti communiste italien et sur la base d’une rupture totale avec l’héritage communiste dans quelque sens qu’on l’entende), et un Mouvement 5 étoiles dont on a vu au pouvoir ce que valait sa rhétorique et ses prétentions « anti-système ».

Ce dossier de Contretemps permet d’y voir plus clair en revenant sur la quinzaine d’années qui vient de s’écouler, marquée par des coalitions bancales et des gouvernements technocratiques, où se sont mêlés l’extrême centre, la droite et l’extrême droite, et dont le point commun a été d’imposer la continuité de la grande destruction néolibérale. Or c’est bien sur le fond de cette destruction – des solidarités collectives et des espoirs de changement – que prospèrent les néofascistes, ici comme ailleurs.

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Fratelli d’Italia : qui sont les néofascistes aux portes du pouvoir ? [Podcast], par David Broder et Ugo Palheta

L’extrême droite aux portes du pouvoir en Italie, Franco Ferrari

Cessez de prétendre que les fascistes italiens étaient des victimes innocentes, par Eric Gobetti

Avec le gouvernement Draghi, le retour paradoxal du bloc bourgeois, par Stefano Palombarini

Italie : un concentré de l’histoire du monde. Entretien avec David Broder

La Lega, Salvini et le spectre du fascisme. Leçons d’Italie pour la France, par Stefanie Prezioso

« Il n’y a rien de mystérieux dans le désastre de la gauche italienne ». Entretien avec Franco Turigliatto

Avec le gouvernement Draghi, le retour paradoxal du bloc bourgeois, par Stefano Palombarini

Italie : les droites radicales ne viennent pas de nulle part. Entretien avec David Broder

Italie: comment l’hégémonie néolibérale se renouvelle par une révolution apparente, par Stefano Palombarini

Italie : les chaînons clés de la crise politique et la gauche alternative, par Franco Turigliatto

Sur les décombres… Où va l’Italie ?, par Stefanie Prezioso

Italie : la démocratie contre le néolibéralisme, par Cinzia Arruzza

Fin de cycle politique et nouveaux départs pour la gauche italienne, par Stefanie Prezioso

Une gauche invertébrée. L’héritage dilapidé de la gauche italienne, par Perry Anderson

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Illustration : Wikimedia Commons. Source https://www.contretemps.eu/dossier-italie-politique-extreme-droite-berlusconi-salvini-meloni/

Alarm Phone 8 ans de lutte!

Il y a huit ans, le 11 octobre 2014, nous inaugurions le lancement de l’Alarm Phone, une ligne d’assistance pour les personnes se trouvant en détresse en mer. Nous avons choisi cette date car elle marquait l’anniversaire d’une catastrophe qui s’était produite le 11 octobre 2013, lorsque les autorités italiennes et maltaises avaient retardé le sauvetage d’un bateau en train de couler. Plus de 200 personnes sont mortes dans le naufrage. Au cours des huit dernières années, nos équipes ont été disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ont aidé plus de 5 000 bateaux en détresse le long des différentes routes maritimes vers l’Europe – la mer Méditerranée, l’Atlantique jusqu’aux îles Canaries et, depuis 2022, également la Manche, de la France au Royaume-Uni. Ces 5 000 bateaux ne transportaient parfois que cinq ou dix personnes, pour la plupart entre 30 et 80 individus, mais aussi fréquemment plus de 100 personnes, parfois même plus de 500 personnes.

Par téléphone, nous avons été témoins de la disparition ou de la noyade de milliers de personnes au cours des huit dernières années. Nous avons écouté leurs parents et amis désespérés, à la recherche de leurs proches ou en quête de réponses. Nous avons également été témoins de refoulements violents, de la manière dont des personnes sont abandonnées à leur sort en pleine mer, ou bien capturées et renvoyées de force vers le pays qu’elles avaient cherché à fuir.

Dans le même temps, nous avons vécu d’innombrables moments de joie, de résistance et de solidarité, avec des personnes ayant pu atteindre l’Europe, ou ayant été secourues à temps. Nous avons été témoins de la façon dont les personnes qui font la traversée se sont organisées de manière collective pour contourner les frontières de l’UE, et comment celles-ci ont construit des structures de soutien tout au long de leur voyage. Et nous avons fait partie de réseaux de solidarité de plus en plus grands, avec une flotte et des avions civils qui sillonnent la mer et le ciel, des équipages de navires marchands, ainsi que des mouvements militants qui se sont rassemblés pour lutter contre la violence des frontières.

En Méditerranée occidentale, entre le Maroc et l’Espagne, nous pouvons encore observer des opérations de sauvetage menées par le Salvamento Maritimo espagnol, souvent le long de la route vers les Canaries. Malgré tout, l’Espagne, et l’UE dans son ensemble, continuent de financer le Maroc pour qu’il joue son rôle de gardien des frontières européennes et nous avons assisté à de terribles brutalités dans cette région, notamment près de Melilla. Le 24 juin 2022, au moins 40 personnes ont été tuées lors d’un massacre à caractère raciste au niveau de la clôture de l’enclave espagnole – une scène insoutenable de violence néocoloniale, menée par les forces marocaines, mais soutenue par les politiques migratoires et frontalières de l’UE. Ces victimes font partie des milliers de personnes qui meurent aux frontières espagnoles chaque année, notamment le long de la route de l’Atlantique.

La guerre contre les personnes qui se déplacent est également une réalité quotidienne en mer Égée, ainsi qu’à la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce. Les gouvernements grec et turc utilisent les personnes qui voyagent comme des pions dans leurs jeux de pouvoir militaristes et nationalistes. Si les refoulements grecs existent depuis longtemps, ils sont devenus systématiques à partir de mars 2020. Même les personnes ayant déjà mis le pied sur les îles grecques sont forcées de monter sur de petits radeaux de sauvetage et abandonnées dans les eaux turques. Ce sont clairement des cas de tentatives de meurtre. Ces crimes qui se déroulent aux frontières sont devenus monnaie courante en mer Égée et dans la région de l’Évros. En mars dernier, la petite Maria, âgée de 5 ans, faisait partie des personnes qui ont perdu la vie à cause de ce régime de refoulement.

En Méditerranée centrale, un régime de refoulement inversé a été mis en place, notamment grâce à une collaboration entre les drones de Frontex, les avions de l’UE, et les soi-disant « garde-côtes libyens ». La flotte civile étant souvent présente dans cette zone frontalière, de nombreux cas de non-assistance et d’interception ont pu être contrés, des personnes secourues, et les crimes frontaliers documentés et dénoncés publiquement. Néanmoins, la route de la Méditerranée centrale reste l’une des plus meurtrières au monde, notamment parce que les États membres de l’UE ne viennent pas secourir les bateaux en détresse dans les zones les plus dangereuses au large des côtes libyennes et tunisiennes.

De plus en plus de personnes ayant survécu à la traversée de l’UE doivent à nouveau utiliser des embarcations précaires pour tenter de rejoindre le Royaume-Uni. Les arrivées par la Manche ont considérablement augmenté ces dernières années. En constatant ce phénomène, nous avons décidé, en 2022, d’intégrer la route de la Manche dans le travail de l’Alarm Phone. Notre équipe WatchTheChannel a effectué des recherches et préparé un manuel de détresse en collaboration avec d’autres réseaux locaux en France et au Royaume-Uni.

Toutes les voies maritimes sont, et restent, des espaces contestés sur le plan politique. Les personnes qui se lancent dans la traversée exercent leur liberté de circulation, tandis que nous, en tant que réseau Alarm Phone, essayons d’instaurer de la solidarité le long des différentes routes. La circulation et la ténacité des personnes migrantes restent les forces motrices de la lutte contre les régimes d’apartheid européens et mondiaux. Des milliers d’arrivées continuent de défier l’étanchéité et l’externalisation des frontières de l’UE. Dans le même temps, les luttes auto-organisées pour le droit de rester et contre l’exploitation raciste à l’intérieur de l’UE se poursuivent. Les parents et les amis des personnes disparues ou mortes continuent d’organiser des actions de commémoration pour se souvenir et rechercher leurs proches, tout en protestant contre la violence aux frontières qui sont la cause de la disparition ou de la mort de ces derniers.

Nous nous sommes battus pendant huit ans.
Nous continuerons.
Nous n’abandonnerons jamais.

Alarm Phone
Octobre 2022

Source alarmphone.org/en/2022/10/11/8-years-of-struggle/

Grèce : une première victoire de la mobilisation étudiante

Crédit photos DR

Alors que la rentrée universitaire a lieu en ce moment, une impressionnante mobilisation étudiante s’est déroulée en septembre, avant tout à Athènes et Salonique, mais avec un écho national favorisant la suite du mouvement.

Les raisons de la mobilisation : la mise en route d’un projet reflétant le caractère policier du gouvernement ultra-­libéral de Mitsotakis, à savoir la création d’un corps de police affecté aux facs, avec tourniquets aux entrées et caméras de surveillance. Tout cela agrémenté de réformes des instances administratives, avec renforcement du pouvoir des chefs. Et comme raison de fond, dans un pays où les luttes ont permis de garder à l’université un caractère relativement démocratique, le projet d’adapter la fac aux stricts besoins des entreprises et de permettre le développement des facs privées, jusque-là interdites par la Constitution, tout en réduisant autoritairement le nombre d’étudiantEs dans le public, ce qui a commencé depuis un an. N’ayant jamais étudié dans une fac grecque mais connaissant la résistance populaire aux plans de casse, Mitsotakis et sa fine équipe (une ministre de l’Éducation nationale réac ultra-orthodoxe, un ministre du Supérieur qui nie la révolte anti-fasciste des étudiants de Polytechnique en 1973, un ministre de la Police voulant faire oublier qu’il a milité au KKE, le PC grec, etc.) ont donc décidé de commencer par la répression, les premiers groupes de la nouvelle police se présentant (de nuit) dans les facs début septembre.

Une répression sauvage

Mais ces nouveaux venus n’étaient pas seuls : d’un côté, ils étaient accompagnés par les MAT (CRS grecs). Et surtout, de l’autre, les étudiantEs se sont immédiatement mobilisés : plusieurs centaines en pleine nuit à Salonique, et plus encore en plein jour, bloquant les entrées des facs de Salonique et Athènes, et relayant dans les rues leur refus d’une université de la terreur, avec d’impressionnantes manifs dans les deux villes, notamment à Salonique où la complicité du doyen avec les forces de ­répression a conduit à exiger sa démission.

Furieux, le pouvoir a déchaîné sa police contre la jeunesse étudiante : le 16 septembre, elle chargeait un concert de solidarité à la fac de Salonique (une « action de résistance à l’occupation du territoire », selon un étudiant organisateur), auquel participaient 5 000 personnes, dont des enfants, et il s’en est fallu de peu qu’on ait des morts devant une telle sauvagerie. Même scénario contre une grosse manif à Athènes. Résultats : le lendemain, les manifs étaient encore plus grosses, et des sondages montraient le soutien massif de la jeunesse à ces mobilisations.

Alors, après plusieurs autres charges et provocations et le risque évident d’une mobilisation encore plus forte, le pouvoir a mis la pédale douce ces deux dernières semaines, sa police « universitaire » se faisant quasiment invisible. Victoire donc pour le mouvement étudiant et son organisation en AG, mais victoire que, comme le disent beaucoup à gauche, on sait provisoire : d’une part le gouvernement explique ce « répit » par le manque d’équipements (caméras, tourniquets) indispensable à ses facs prisons ; d’autre part, comme ce gouvernement n’a pas d’autre cap que les privatisations, les cadeaux aux copains (comme on l’a vu avec l’enseignement à distance), il est évident qu’il va repartir à l’agression contre l’université publique et ses usagerEs.

Face à cette perspective, le mouvement devra veiller à s’auto-­organiser pour obtenir la victoire : le retrait de la loi universitaire, avec sa dimension policière unique en Europe. Dimension s’expliquant par un autre élément : en juin 2023 au plus tard auront lieu les élections et la seule ligne politique actuellement possible pour Mitsotakis est de s’aligner davantage encore sur l’extrême droite, avec clins d’œil aux électeurs du groupe nazi interdit Chryssi Avgi. Une raison de plus pour soutenir le mouvement étudiant en cours !

A. Sartzekis

Athènes, le 9 octobre 2022

Source https://lanticapitaliste.org/actualite/international/grece-une-premiere-victoire-de-la-mobilisation-etudiante

Exarchia : Nouveau passage à tabac par le gang EL.AS.

Un autre incident de violence pour servir des intérêts privés s’est produit hier soir dans la région d’Exarchia, avec des hommes du MAT qui ont battu et arrêté un habitant de la région parce qu’il protestait contre le fait que la police n’autorisait pas les jeunes  à entrer sur le terrain de basket.

Les forces de l’EL.AS. ont mené une « occupation » particulière de la zone d’Exarchia, non pas pour une quelconque « répression du crime », mais dans le seul but de réprimer les habitants protestataires et de protéger les intérêts privés qui sont derrière, d’une part, le désir de construire un station de métro sur la place du quartier, et d’autre part du « réaménagement » de la colline de Strefi.

L’incident, enregistré sur vidéo, a commencé lorsque les forces de police stationnées sur la colline de Strefi ont tenté d’empêcher les jeunes d’accéder au terrain de basket situé au pied de la colline. A noter qu’il n’y a pas d’interdiction « officielle » d’accès à ce stade, car il ne fait pas partie du plan de « réaménagement ».

Un voisin, qui se trouvait avec ses enfants sur les lieux, a réagi au comportement des policiers. Les hommes du MAT l’ont battu et arrêté avec les accusations bien connues portées par EL.AS. à ses victimes pour justifier ses violences  : résistance à l’autorité, violence contre un employé et tentative dangereuse de lésions corporelles. Le ridicule tragi-comique des accusations est renforcé quand on considère à quel point un homme non armé avec ses enfants présents pourrait faire du mal à un peloton blindé de MAT

Les pratiques des gangs appliquées par EL.AS. à Exarchia (et pas seulement là-bas),  sont appliquées pour protéger les intérêts d’entreprises privées, comme PRODEA Investments qui a entrepris le « redéveloppement » de Strefi Hill. Le « réaménagement » prévoit, entre autres, l’installation de caméras et l’entrée contrôlée sur la colline, la cimentation, l’abattage d’arbres et l’amincissement de la végétation, les résidents locaux réagissant à la destruction et la privatisation effective d’un autre des rares poumons verts publics de la ville. .

PRODEA est une société d’investissement immobilier, qui opère parmi de nombreuses autres propriétés dans le centre d’Athènes, et est chargée, avec d’autres sociétés « d’investissement », d’augmenter les valeurs objectives des propriétés de la région, d’augmenter les loyers et d’expulser les habitants qui n’ont plus les moyens d’y vivre.

C’est le successeur de l’infâme PANGAIA, qui compte 22 chefs d’inculpation contre ses dirigeants au degré d’un crime, avec les circonstances aggravantes de la loi sur les abuseurs de l’Etat. PANGAIA, qui appartenait à la Banque Nationale, a été rachetée par les intérêts israéliens Invel en 2013, qui ont financé une grande partie de l’acquisition avec un prêt à faible taux d’intérêt de 419 millions d’euros qu’elle avait reçu de… la Banque Nationale. En cours de route, PANGAIA a été rebaptisée PRODEA et est actuellement dirigée par d’anciens cadres de banque.

Dans un moment d’ironie tragi-comique, peu avant le passage à tabac du résident par EL.AS. sur la colline de Strefi, le maire K. Bakoyiannis a exprimé au conseil municipal son souhait que l’opposition condamne les « violences ». Où par le terme « violences » il entendait les réactions des habitants contre les « projets » d’intérêts privés promus par la Municipalité sans leur consentement. Mais certainement pas la violence d’EL.AS., qui a récemment attaqué à Exarchia des femmes, des hommes et des enfants, des citoyens ordinaires, des journalistes, des avocats et des magasins. Un gang payé par l’argent public, mais servant des intérêts privé

Source https://info-war.gr/exarcheia-neos-xylodarmos-apo-ti-symmo/

Un port grec sous contrôle américain

Un port grec crucial va désormais passer sous contrôle américain
La privatisation du port d’Alexandroupolis – un point d’entrée clé en Europe pour les importations d’armes et d’énergie – sera conclue cette semaine dans le cadre du programme d’ajustement économique mis en place par Bruxelles.

Il était autrefois difficile de situer la tranquille ville portuaire d’Alexandroupolis sur une carte. Récemment, cependant, elle a gagné en importance stratégique, Washington renforçant ses liens militaires avec la Grèce. Cette évolution s’est faite au détriment de la Turquie, alliée de longue date des États-Unis, car les dirigeants occidentaux se méfient de plus en plus du président autoritaire Erdogan.

Alexandroupolis est un point d’entrée crucial pour l’acheminement de matériel militaire vers l’Ukraine, ainsi qu’un lieu stratégique pour la diversification des sources d’énergie européennes. Elle est située à l’extrême nord-est du pays, à 18 miles à l’ouest de la frontière turque et à 30 miles au sud de la Bulgarie.

Au cours des trois dernières années, les États-Unis et la Grèce ont signé des accords visant à renforcer leur coopération en matière de défense et à garantir un « accès illimité » à une série de bases militaires helléniques. Parmi celles-ci figure une installation des forces armées grecques à Alexandroupolis. Depuis le début de cette collaboration, le port a connu un trafic inhabituellement élevé de navires militaires, à tel point que, lorsque 1 500 Marines de l’USS Arlington ont accosté en mai, les 57 000 habitants de la ville ont été confrontés à des pénuries de certains produits, comme les œufs et le tabac.

« Le port peut accueillir des navires d’une longueur maximale de 650 pieds. Sa proximité avec le réseau routier récemment amélioré et sa connexion avec les chemins de fer en font l’un des ports les plus importants de Grèce », explique le lieutenant général de réserve Ilias Leontaris. « Les États-Unis ont demandé à la Grèce d’inclure Alexandroupolis dans la liste des zones où les Américains seront présents, car ce port leur permet de déplacer facilement des forces et des matériaux vers l’Europe de l’Est. »

Les Américains ont apporté certaines améliorations au port visant à faciliter le chargement et le déchargement des matériaux. Rien qu’en 2021, les forces armées américaines y ont fait transiter 3 100 « pièces », selon des sources officielles citées par le New York Times. Ces sources n’ont pas précisé le type de matériel militaire, mais ont assuré au Times que tout était destiné aux bases américaines en Europe. Cette année, jusqu’en juillet, plus de 2 400 pièces d’équipement ont transité par le port. Des véhicules à mobilité protégée Bushmaster – envoyés par l’Australie en Ukraine – ont également atterri dans le port d’Alexandroupolis, selon le journal grec Kathimerini.

Le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a remercié son homologue grec pour son soutien lors d’une réunion au Pentagone en juillet : « Je tiens à souligner que l’accès prioritaire que votre gouvernement a accordé à nos forces dans le port d’Alexandroupolis nous a permis de continuer à fournir une assistance militaire à l’Ukraine, à contrer les acteurs malveillants et à opérer dans les Balkans, en Méditerranée orientale et dans la région de la mer Noire. »

Le déploiement américain à Alexandroupolis n’est pas passé inaperçu à Moscou. Dès janvier, le Kremlin a accusé Washington d’envoyer des armes à Kiev via le port grec. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a exhorté Athènes à reconsidérer son alliance avec les États-Unis en faisant appel aux « liens historiques » entre les Grecs et les Russes. Le gouvernement turc a également critiqué cette présence militaire, s’inquiétant qu’une ville si proche de sa frontière soit devenue une véritable forteresse.

Au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Ankara a ordonné la fermeture des détroits menant à la mer Noire aux navires militaires russes et ukrainiens. Le gouvernement turc a également refusé à ses partenaires de l’OTAN la possibilité d’envoyer des armes en Ukraine via ce passage.

« Alexandroupolis est une porte d’entrée vers les Balkans et le corridor vers l’Ukraine. La Turquie étant devenue un allié moins fiable, il est nécessaire d’avoir une route alternative qui puisse être activée », explique Harry Theoharis, ancien ministre grec et député du parti de droite Nouvelle démocratie. Le port d’Alexandroupolis est donc devenu un objet géopolitique convoité, maintenant que sa gestion est offerte au plus offrant.

En échange des plans de sauvetage financiers successifs que l’UE a accordés à la Grèce au cours de la dernière décennie, Bruxelles a contraint Athènes à privatiser de nombreux actifs publics, dont la gestion de ses ports. Le plus grand, celui du Pirée, a été racheté par Cosco, une entreprise d’État chinoise. Le port de Thessalonique a quant à lui été vendu à un consortium dirigé par l’homme d’affaires Ivan Savvidis, oligarque et homme politique russo-grec, qui a été député à la Douma d’État pour le parti Russie Unie du président Vladimir Poutine.

Dimitris Rapidis – ancien conseiller de Dimitrios Papadimoulis, vice-président du Parlement européen, du parti de gauche SYRIZA – a critiqué le plan de privatisation. « C’est une erreur de privatiser les grands ports, car il n’y a aucune garantie pour l’avenir des travailleurs ou la sécurité de la zone. L’UE a clairement placé les intérêts financiers au-dessus des préoccupations de sécurité. »

À la date limite du jeudi 22 septembre, la Grèce avait reçu deux offres fermes pour une participation majoritaire dans le port d’Alexandroupolis. L’une est présentée par Quintana, une société américaine ayant des intérêts dans le secteur de l’énergie ; l’autre est présentée par International Port Investments Alexandroupolis, une coentreprise dirigée par la société de construction grecque GEK Terna, avec la participation de BlackSummit, un fonds d’investissement américain. Deux autres soumissionnaires ayant des liens avec la Russie – l’un appartenant à Savvidis, l’autre à la famille Coupelouzos, qui a un partenariat avec la société énergétique russe Gazprom – ont finalement été exclus.

« Nous n’allons pas cacher que nous avons le soutien du gouvernement américain », déclare John Charalambakis, directeur général de BlackSummit Financial Group. EL PAÍS dispose de deux sources affirmant que des représentants politiques américains et européens se sont rendus en Grèce pour faire pression sur l’accord.

« La Grèce est en train de devenir la porte d’entrée énergétique de l’UE. Et nous avons l’intention d’utiliser le port d’Alexandroupolis et celui de Kavala [également récemment privatisé] pour faire avancer les intérêts de l’Occident dans les axes de la sécurité militaire, de la sécurité énergétique, de la sécurité alimentaire – Alexandroupolis peut exporter les céréales de l’Ukraine – et de la sécurité commerciale », affirme Charalambakis.

La récente décision concernant le port d’Alexandroupolis influencera les relations qu’entretient Athènes avec Washington et Moscou – les gouvernements grecs successifs ont essayé de maintenir une politique d’équilibre entre les deux puissances. Cette politique sera certainement mise à l’épreuve.

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Un dilemme entre une violence inouïe et la mort

Des récits détaillés de survivants mettent en lumière les pratiques brutales et l’infrastructure de la violence contre les personnes en déplacement dans la région d’Evros/Meric.

Ces derniers temps, le téléphone d’alarme a reçu de nombreux appels de détresse de personnes bloquées dans les bois de la région d’Evros. Ces personnes sont souvent en mauvaise condition physique et nécessitent une aide médicale immédiate. Cependant, elles sont souvent refoulées par les unités des gardes-frontières grecs. Cela confirme ce que nous avons dit dans notre rapport sur les crimes frontaliers : Appeler les autorités grecques aujourd’hui signifie mettre la vie des gens en danger. Cependant, dans la région d’Evros, il n’y a souvent pas d’autre choix. Comme le montrent ces témoignages très détaillés, les personnes se trouvent souvent dans des zones reculées et sont soit empoisonnées, soit immobilisées. N’appeler personne, c’est souvent mourir. Appeler quelqu’un, signifie toujours que les autorités frontalières seront informées. C’est un dilemme entre une violence inouïe et la mort.

Le fait que les gens se retrouvent dans ces situations au premier abord est une conséquence directe du régime brutal de refoulement. Il oblige les gens à voyager en groupes toujours plus petits et à être invisibles. Les gens marchent la nuit dans les régions montagneuses, avec toujours la crainte d’être découverts et refoulés illégalement. Les situations décrites par ces personnes sont difficiles à imaginer : non seulement elles sont trouvées et refoulées, mais elles sont volées, dépouillées de leurs vêtements, humiliées et brutalement battues. Si l’on frappe une personne sur un genou blessé ou si l’on s’amuse à déshabiller les gens devant les autres, ce n’est rien d’autre que de la torture.

Le témoignage suivant a été donné par une survivante d’un refoulement brutal. Alarm Phone a été informé de cette détresse le 10 août et a informé sur demande diverses autorités, mais aussi le HCR, Frontex et différentes ONG. Comme le montre le témoignage en complément, même un avocat local a été impliqué et s’est rendu au commissariat d’Alexandroupolis. Mais malgré toutes ces mesures, le refoulement brutal décrit par Majed* dans les lignes qui suivent, n’a pu être évité.

Tout d’abord, je suis désolé, je ne peux pas beaucoup parler car je ressens toujours une douleur dans mon genou.

    Nous avons atteint la frontière grecque de nuit et avons traversé la rivière avec un bateau en caoutchouc. L’armée grecque ne nous a pas remarqués. Nous avons marché 5 km dans les montagnes pendant la nuit, puis nous nous sommes cachés toute la journée et avons marché à nouveau pendant la nuit pour 5 km supplémentaires. Le troisième jour, je suis tombé sur ma jambe, exactement sur le genou droit. Au début, la douleur n’était pas trop intense. Le même jour, nous avons rencontré un autre groupe de 7 personnes, que nous ne connaissions pas. Leur téléphone était cassé et ils n’avaient pas de carte. Ils ont demandé à marcher avec nous parce que nous avions un téléphone – nous avons accepté et nous sommes devenus 14 personnes. La nuit, nous avons fait 10 km. La marche a exacerbé et augmenté la douleur que je ressentais au genou. J’avais vraiment très mal et c’était devenu très fort. La nuit suivante, nous avons marché 14 km. La douleur était très forte, j’ai pris des antidouleurs, et la nuit suivante, nous avons encore marché 19 km. Cette journée a été très épuisante car la route de montagne était dure, c’était un voyage difficile. J’ai terminé le chemin en étant porté par mes amis. Je savais que c’était la fin de mon voyage. La cinquième nuit, j’ai essayé de marcher mais je n’ai pas pu faire un seul pas. Il y a eu un désaccord dans le groupe, mais finalement ils se sont mis d’accord pour me laisser me reposer un jour de plus – ensuite je pourrais continuer à marcher, peut-être avec un autre groupe. Ils m’ont laissé de la nourriture et de l’eau en plus.

    Pendant la journée, j’ai appelé mon cousin. Il m’a donné le numéro d’un avocat. Je l’ai contactée, je lui ai donné les coordonnées de mon emplacement et je lui ai parlé de ma blessure au genou. L’avocate s’est rendue au poste de police d’Alexandropulis. Elle m’a informé que la police allait venir me chercher pour m’emmener au poste de police, puis à l’hôpital, afin que je puisse être enregistré dans le camp en fonction de mon état de santé. Elle m’a dit d’aller près de la route principale et que lorsque vous verriez la police, vous vous rendriez sans problème.

    À sept heures, près de l’autoroute, une personne masquée et cagoulée en uniforme militaire vert avec l’inscription « Police des frontières » est venue me voir. Il a pris le téléphone pendant que je parlais à ma femme. Il l’a cassé et m’a demandé quel genou était blessé, j’ai répondu le droit. Il m’a frappé sur tout le corps, surtout sur le genou blessé. Il m’a demandé de sortir ce qu’il y avait dans mes poches. J’avais des euros et de l’argent turc. Il a tout pris, il m’a volé. Il a vérifié mon sac et n’a rien trouvé de valeur, mais il ne m’a pas laissé prendre quoi que ce soit. Il m’a frappé à plusieurs reprises sur les genoux avec un bâton et sur le dos de manière brutale. Sur la route principale, il y avait une voiture de police et une autre personne dans la voiture, masquée et portant la même tenue. Il a ouvert le coffre de la voiture et m’a mis à l’intérieur. C’était très étroit et je ne pouvais pas respirer. Ils m’ont emmené dans une autre zone. C’était comme une route forestière, une route de campagne. Ils m’ont demandé de descendre et il y avait deux policiers en uniformes noirs normaux. Ils ne faisaient que regarder.C’est là qu’a commencé une séance de torture d’une demi-heure de bastonnades sévères sur tout le corps, avec de nombreux propos racistes et des humiliations sexuelles telles que « Je veux te tuer » ou « Je veux te baiser ».

    Puis un échange de voitures a eu lieu. Les policiers ont pris leur voiture et j’ai été emmené dans un véhicule militaire fermé. On a roulé un peu, puis ils ont installé un poste de contrôle près des deux personnes masquées. La police des frontières fouillait les voitures. Ils ont arrêté trois Afghans, dont l’un ne pouvait pas marcher, et un Syrien dont l’état de santé était critique. Je pense qu’il a été empoisonné par l’eau du marais.

Un autre petit véhicule militaire est arrivé sans aucun orifice d’aération, contenant au moins 30 personnes dans un espace très réduit. Nous mourions de chaleur et d’odeurs. Nous sommes arrivés à une prison près de la frontière. Je ne connais pas l’endroit, mais parmi les Syriens, elle est connue sous le nom de « prison d’Abu Riha », qui a une mauvaise et effrayante réputation. C’est une prison sale. Ils nous ont demandé d’enlever tous nos vêtements et nous ont laissé tout nus et ont mis tous nos vêtements sur une seule pile. Il y avait des enfants et des femmes dans l’autre pièce qui nous regardaient. Puis ils nous ont donné 30 secondes pour nous habiller et les gens ont commencé à prendre les vêtements des autres. Puis ils nous ont mis dans un très petit camion militaire. Nous étions au moins 70 personnes dans un très petit espace de 2/3 mètres maximum.

    Il y avait beaucoup d’autres cas d’évanouissement et de nausée.  

    Une demi-heure plus tard, nous avons atteint la frontière turque. Nous sommes montés dans le bateau en caoutchouc et ils nous ont laissés de l’autre côté. Il y avait une petite rivière après la grande. J’avais très mal à la jambe et il y avait beaucoup d’autres blessés et soudain, les habitants d’un village voisin sont arrivés avec des voitures. Ils transportaient les gens contre rémunération. J’ai pris la voiture en direction d’Istanbul. Je suis allé directement à l’hôpital d’urgence. Maintenant, je prends des analgésiques et j’utilise des béquilles, j’ai les ligaments déchirés et une pression sur l’artère. J’ai aussi du liquide dans le genou.

Je suis resté une semaine sans pouvoir dormir, et maintenant les médecins m’ont dit que j’avais besoin d’au moins 6 mois de repos et que je ne pouvais pas travailler. À la fin, j’ai appelé l’avocate grecque et elle était en colère contre moi parce qu’elle m’avait attendu au poste de police et que la police lui avait dit que je n’étais pas sur les lieux et que je m’étais enfui. Je lui ai dit que je n’avais pas changé mes coordonnées et que je ne m’étais pas enfui, je lui ai raconté l’histoire et elle était choquée. De plus, le soldat encapuchonné / masqué m’a demandé directement si j’étais blessé au genou, ce qui signifie qu’il sait que mon genou est blessé.

***

Le témoignage suivant a été transmis au téléphone d’alarme par une personne qui a été refoulée de Grèce en Turquie fin juillet 2022. Le 30 juillet, le téléphone d’alarme a été informé qu’une personne avait besoin d’une aide médicale urgente près du village grec de Mikro Dereio. Comme cette personne aurait été empoisonnée et aurait demandé une aide immédiate, les autorités régionales ainsi que le HCR, Frontex et diverses ONG ont été informés. Lorsque nous avons appelé le poste de garde-frontières de Metadaxes, ils ont confirmé être au courant de l’affaire, mais ont affirmé n’avoir « trouvé personne ». Comme le prouve le témoignage de Mohanat*, c’était un mensonge. Son histoire montre clairement que les personnes ne sont pas simplement abandonnées, mais souvent transportées avec le groupe pendant des heures ou des jours. Cependant, à un moment donné, les personnes se retrouvent dans un état tel qu’elles ne peuvent plus être transportées. Alors, à la lumière du risque de refoulement et d’attaques par les unités grecques, ils sont laissés sur la route avec l’espoir qu’ils seront trouvés et pris en charge. En outre, son histoire montre le problème des refoulements en chaîne, c’est-à-dire que les gens sont ramassés en Bulgarie, dépouillés de leurs vêtements, volés et battus, puis refoulés vers la Turquie via la Grèce. Il montre également qu’après avoir été refoulées vers la Turquie, les personnes sont poursuivies par les forces turques et craignent d’être expulsées vers la Syrie.

Nous avons traversé la rivière dans un bateau en caoutchouc, et l’armée grecque ne nous a pas remarqués. Nous avons choisi de marcher pendant la journée car la route était très montagneuse et difficile avec des vallées dangereuses. Le premier jour, nous avons marché pendant 7 heures. Le deuxième jour, il n’y avait plus d’eau. Nous n’avions pas d’autre choix que de boire SEULEMENT de l’eau de source sèche. Elle n’était pas potable. Elle était pleine de vers de grenouille et d’insectes. Nous avons tous eu des vomissements après avoir bu cette eau, et j’étais celui qui était dans la situation la plus critique avec beaucoup de fièvre vomitive et de nausées.

    Le troisième jour, je ne pouvais rien manger et les vomissements nauséeux continuaient. Le quatrième jour, nous avons atteint une rivière venant de Bulgarie et passant par la Grèce, dont je ne connais pas le nom. En raison d’une soif extrême, j’ai bu l’eau de cette rivière, ce qui a intensifié mon empoisonnement et j’ai presque perdu connaissance. Je ne pouvais plus me tenir sur mes pieds. Mes amis ne m’ont pas abandonné, ils m’ont porté et ont porté mes affaires. Le cinquième jour, la situation s’est aggravée et je n’ai pas pu continuer le voyage. Les amis ont continué leur voyage, j’ai pris le téléphone, j’ai cherché sur la carte le village le plus proche et j’y suis allé.

    Très épuisé, j’ai atteint une maison et trouvé une famille grecque qui m’a donné de l’eau. En fait, ils étaient gentils avec moi, mais j’ai remarqué que leur voisine passait un appel téléphonique et me regardait beaucoup. J’ai compris qu’elle appelait la police. J’ai décidé d’aller à l’église voisine du village pour me reposer et me cacher un peu, car j’étais vraiment épuisée et gravement malade et sans électricité. Je suis arrivé à l’église et soudain la voiture de police est arrivée. C’était une grande voiture fermée. Un policier et une policière en sont sortis. Je ne me souviens pas bien de la couleur de leurs vêtements car j’étais presque inconsciente. Ils étaient peut-être bleu foncé. Le policier s’est approché de moi et m’a demandé ce que je faisais ici. Je lui ai dit que j’étais dans un état critique et que j’avais besoin de soins urgents. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème, nous allons vous emmener au camp. Ils ont ouvert la porte arrière et là, j’ai trouvé au moins 30 personnes, toutes nues, avec seulement des caleçons sur elles. C’étaient des réfugiés afghans et marocains. J’ai parlé avec l’un d’eux et il m’a dit qu’ils étaient en Bulgarie et que la police bulgare avait pris leur argent et leurs vêtements et les avait ramenés de force en Grèce. La voiture était très chaude et il n’y avait pas de bouches d’aération. Nous ne pouvions pas respirer dans cet espace surpeuplé. Nous sommes arrivés à la prison, nous sommes sortis de la voiture. Ils nous ont déshabillés, ont enlevé tous nos vêtements et les ont posés sur le sol. On nous a complètement fouillés. Puis la police m’a rendu mes vêtements, mais sans la lacets de mes chaussures. Ils m’ont emmené dans une petite cellule surpeuplée sans me donner d’analgésiques, de nourriture ou d’eau.

    Je suis resté dans cette cellule de deux heures de l’après-midi à huit heures du soir. Ils nous ont fait sortir de la prison et nous ont mis dans une voiture fermée sans aucun orifice de ventilation et nous nous sommes dirigés vers la frontière turque. Nous sommes arrivés à un endroit où environ 40 personnes se trouvaient devant nous sur le sol, toutes nues. Il y avait des gens masqués qui les battaient sévèrement. Il faisait si sombre que je ne pouvais pas voir les uniformes des personnes masquées. Ils nous ont rendu de l’argent et ont commencé à nous frapper avec des bâtons pendant un long moment. Ils ont amené les bateaux pour traverser la rivière et m’ont volé même mes chaussures. Ils nous ont escortés dans le bateau vers la Turquie. J’ai atteint la rive turque du fleuve. Nous sommes entrés dans la forêt. La route était très cahoteuse et pleine de pierres, surtout sans chaussures. Nous étions environ 100 personnes, puis nous nous sommes séparés en groupes. Soudain, nous avons entendu le bruit de moteurs, mais des moteurs militaires. Puis nous avons entendu des gens crier derrière nous – ils étaient clairement battus. Je marchais avec des gens du Maroc, mais comme j’étais très malade, je marchais lentement alors qu’ils allaient vite. Puis une voiture militaire blindée est arrivée et les a embarqués après les avoir battus. J’ai réussi à me cacher et ils ne m’ont pas vu. Cette nuit-là, l’armée turque est devenue folle. Il y avait beaucoup de véhicules et de véhicules militaires, et la forêt s’est transformée en champ de bataille. Il y avait beaucoup de soldats et des ratissages continus, et j’ai entendu beaucoup de cris pendant toute la nuit.  Je me suis caché de dix heures du soir à sept heures du matin sans nourriture ni eau et avec une jambe enflée qui m’a rendu très déshydraté. À sept heures, j’ai rassemblé toutes les forces qu’il me restait pour survivre et j’ai couru vers un village voisin. Je suis arrivé dans le village et j’ai demandé de l’aide et de l’eau. J’étais tellement déshydraté. Je ne pouvais pas boire d’eau. J’ai demandé un taxi pour Istanbul. Maintenant, je me soigne tout seul car à l’hôpital, la police turque peut m’arrêter et m’expulser vers la Syrie, ce qui arrive trop souvent ces derniers temps à Istanbul.

***

Et ce dernier témoignage fait référence à une attaque survenue en juin. Il fait référence à des crimes commis par la police grecque avec l’aide de mercenaires à la frontière terrestre Evros/Meriç entre la Grèce et la Turquie. L’incident s’est produit au début du mois de juin 2022. À nouveau, les personnes ont été poursuivies, battues, refoulées, agressées et harcelées. De retour en Turquie, le harcèlement a continué, comme l’explique en détail Parzan* :

Nous étions assis dans la forêt à attendre que la nuit passe, quand avant le coucher du soleil, quatre personnes (trois jeunes d’environ 25 ans et un homme d’environ 40 ans) sont sorties de derrière les arbres sans le moindre bruit. Avec des pistolets pointés sur nos visages et des matraques dans leur autre main
L’un d’eux nous a dit à voix basse de nous asseoir, puis a demandé des téléphones et des GPS. Quand ils ont pris nos téléphones et les ont mis dans un sac, ils ont dit : « Comment êtes-vous venus ici ? Avec un passeur ? » Quand nous avons répondu non, ils ont demandé « Avez-vous vu d’autres groupes ? ». Nous avons répondu non. Ensuite, ils nous ont forcés à ouvrir nos téléphones (ils avaient toujours le pistolet dans les mains), ils ont consulté Google Maps, Google Earth et Telegram et ont cherché des points spécifiques sur la carte. Quand ils n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, ils nous ont dit de bouger.

    Ils nous ont emmenés à environ 100 mètres de cet endroit, dans un espace plus ouvert, et nous avons dû enlever nos chaussures et nos vêtements. Ils ont pris tous les euros de nos portefeuilles mais ont laissé les lires turques. Ils ont ouvert nos sacs, pris les outils tels que les scies, les couteaux, le gaz de camping et les batteries et les ont mis dans leur voiture. C’était une camionnette Nissan Navara blanche avec des lignes bleues.

Ils nous ont redonné nos chaussures à ce moment-là et nous ont dit de prendre notre sac. Leur patron a alors informé le fourgon de police de venir. La police a dit : « Pas de problème, on va vous emmener au camp de Thessalonique et vous donner des papiers pour quitter le pays. » – Bien que plus tard, quand nous avons vu la rivière Maritsa**, nous avons su qu’ils nous avaient menti.

Un de nos amis avait déjà été refoulé auparavant, alors il nous a dit de manger tout ce que nous avions car ils ne vous donneront pas de nourriture au centre de déportation. Alors, pendant que nous attendions l’arrivée du fourgon, nous avons ouvert nos gâteaux et nos biscuits et nous avons commencé à manger. Quand un policier nous a vus, il a pris notre nourriture et l’a écrasée avec son pied. Et il m’a donné un coup de pied dans la jambe.

Cela ne m’est pas arrivé, mais d’autres réfugiés m’ont dit qu’il y avait quelque chose appelé « tunnel de la mort » : ils obligent les gens à passer entre deux lignes de policiers et tous les frappent en riant.

Finalement, un grand van noir Mercedes Benz est arrivé et ils nous ont dit de monter dedans. Il n’y avait pas de lumière à l’intérieur du fourgon, toutes les fenêtres étaient recouvertes de feuilles de fer et il n’y avait aucune ouverture pour que l’oxygène puisse entrer. Il n’y avait pas de sièges, le van avait été transformé en boîte de fer. Nous sommes restés dans le fourgon pendant trois à quatre heures, après la première demi-heure, tout le monde était étourdi, effrayé et nauséeux. Mon rythme cardiaque s’est accéléré de façon étrange, si bien que je pouvais sentir mon cœur battre dans mes yeux et ma tête, et j’avais très chaud. Nous étions tous les uns sur les autres, personne ne parlait à personne. Soudain, la camionnette s’est arrêtée, la porte s’est ouverte et une autre personne a été poussée à l’intérieur. La porte est restée ouverte pendant environ 5 secondes et c’est le seul moment où l’air est entré.

La police lui avait cassé la mâchoire et il ne pouvait plus parler. Nous avons eu de la chance car nous ne sommes pas allés au centre de déportation parce qu’il était plein, ils nous ont emmenés directement à la rivière et nous ont battus quand nous sommes sortis de la voiture. Il y avait environ 80 personnes là-bas : Syriens, Iraniens, Afghans, Pakistanais. Une voiture est arrivée et a amené encore plus de gens. Ils nous ont tous alignés, les mercenaires avec leurs visages couverts et la police grecque leur parlant en anglais. Ils ont commencé à nous fouiller, ils ont pris les sacs, ils ont pris les chaussures et les chaussettes, ils cherchaient de l’argent dans les vêtements et ils ont déchiré les vêtements avec des couteaux jusqu’à ce qu’ils trouvent de l’argent, des bracelets, des bagues, des boucles d’oreilles et d’autres objets de valeur à l’intérieur. À ce moment-là, ils ont également pris les lires turques.

Puis les mercenaires ont commencé à nous emmener sur un bateau par groupes de quinze personnes, sans aucun bruit ni lumière, et ils nous ont amenés silencieusement sur les rives de la Turquie, nous ont jetés à l’eau et sont repartis pour amener le groupe suivant. Le bateau était l’Intex Excursion 5. En voici une photo. Je suis sûr que c’était ce bateau.

    Nous avons ensuite marché sans chaussures et sans savoir dans quelle partie de la Turquie nous nous trouvions, ni même quelle heure il était. Finalement, nous avons trouvé la police turque et certaines personnes étaient déjà là avec eux. La police a battu certains d’entre eux aussi. Puis la police turque a dit : « Nous ne donnerons des chaussures qu’aux personnes qui veulent retourner en Grèce maintenant, et les autres seront déportées dans leur pays. » Mais finalement, ils ont donné des chaussures à tout le monde (personne ne se souciait de la taille de vos chaussures, donc si vous aviez de la chance, vous preniez de grosses chaussures, il y avait des gens qui attrapaient des chaussures de filles de 9 ans). Ensuite, la police turque nous a dit de descendre cette route et que nous trouverions un village, mais ils ont menti. Nous y sommes allés et la route s’est terminée au milieu d’une jungle. Nous avons marché jusqu’à ce que nous trouvions un bâtiment d’entreprise et le garde nous a guidés vers un village appelé Meriç.

Après avoir trouvé le village, il y avait des taxis qui attendaient les migrants pour les emmener à Istanbul contre de l’argent, environ 1000 Lires par personne. Lorsque vous arrivez à Istanbul, la police ne vous verra pas si vous avez de la chance, mais si la police vous attrape et que vous n’avez pas de papiers pour rester, alors elle vous emmène dans un camp de déportation. La situation y est terrible : pas de toilettes propres ni de douche pendant des semaines, peu de nourriture, les gens ne peuvent que s’asseoir car il n’y a pas assez d’espace pour marcher ou dormir. Après deux ou trois semaines, ils envoient les gens dans leur pays et ne se soucient pas de savoir si c’est sans danger pour vous ou non.

Une fois de plus, ces histoires détaillées partagées par les gens montrent l’infrastructure de la violence dans la région frontalière d’Evros/Meric. Des personnes, y compris des enfants, sont placées en détention arbitraire ; des personnes sont volées, battues et harcelées par les gardes-frontières grecs, la vie de personnes blessées est mise en danger. Si ce n’est pas cela, quels sont les crimes contre l’humanité ? Il y a une écriture et un système clairs dans ces pratiques violentes. Ils se produisent de manière coordonnée et bien organisée et nécessitent une coopération directe entre les différentes unités et institutions impliquées. Ces crimes frontaliers sont le résultat de processus politiques – pratiquement appliqués par l’État grec, délibérément soutenus et légitimés par son principal partenaire, l’Union européenne. 

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* Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.
** Fleuve Evros en grec

 Source alarmphone.org

 

Migrants empêchés d’entrer en Grèce

Plus de 150 000 migrants empêchés d’entrer en Grèce depuis janvier, selon les autorités

La Grèce a bloqué l’entrée de plus de 150 000 migrants à ses frontières maritimes et terrestres depuis le début de l’année, a déclaré dimanche le ministre grec des Migrations. Rien que pour le mois d’août, ce chiffre s’élève à 50 000.

« L’entrée de 154 102 migrants en situation irrégulière a été évitée depuis le début de l’année », a déclaré dimanche 4 septembre Notis Mitarachi, ministre grec des Migrations, au quotidien Eleftheros Typos. « Environ 50 000 ont tenté d’entrer en Grèce rien qu’au moins d’août », a-t-il ajouté.

Le 24 août, le ministre de la Protection civile avait avancé le chiffre de 25 000 interceptions depuis le début du mois. Chaque jour, « 1 500 à 1 700 tentatives [de franchissement] sont effectuées », avait précisé Notis Mitarachi.

>> À (re)voir : Pour le ministre grec des Migrations, « les migrants n’ont pas besoin d’entrer en Grèce car la Turquie est un pays sûr »

Des chiffres difficiles à vérifier en l’absence de données indépendantes. Les méthodes de calcul de ces tentatives de franchissement soulèvent elles-mêmes des questions. « Une possibilité est que ces chiffres proviennent des alertes générées par le système automatisé de surveillance de la frontière, ou bien qu’ils aient été élaborés par les départements locaux de garde-frontières », expliquait il y a 10 jours Lena Karamanidou, chercheuse spécialiste de la région de l’Evros, contactée par InfoMigrants.

Arsenal anti-migrants

Le contrôle des frontières est présenté comme une des grandes priorités du gouvernement conservateur grec arrivé au pouvoir en 2019 et qui vise sa réélection l’année prochaine. Le gouvernement multiplie les annonces ces dernières semaines.

Le 19 août, le ministre des Migrations avait fait part de son intention d’étendre de 80 km supplémentaires un mur de 40 km le long de la frontière gréco-turque matérialisée par le fleuve Evros. Quelques jours plus tard, le Conseil gouvernement de sécurité nationale grec (KYSEA) avait approuvé cette extension. À terme, l’objectif serait de clôturer l’ensemble des 220 km de frontière, afin de la rendre totalement hermétique.

>> À (re)lire : Frontière Turquie-Grèce : arsenal anti-migrants ultra-moderne le long du fleuve Evros

En outre, le gouvernement va installer de nouvelles caméras thermiques et déployer 250 garde-frontières supplémentaires.

Un ensemble de mesures qui viennent renforcer celles déjà existantes. La Grèce a investi ces dernières années dans un arsenal ultra-moderne : caméras thermiques et radars high-tech accrochés sur les pylônes le long de la frontière, et même deux canons sonores positionnés au sud et au nord de l’Evros.

Une centaine de personnes refoulées quotidiennement en mer

La Grèce est régulièrement pointée du doigt pour sa gestion des frontières. Elle a été accusée à plusieurs reprises de refoulements illégaux sur terre et sur mer par des ONG et des médias.

InfoMigrants a recueilli plusieurs témoignages de migrants affirmant avoir été renvoyés violemment en mer Égée vers les eaux turques. À l’été 2021, une Congolaise avait expliqué à la rédaction comment les garde-côtes grecs avaient refoulé son embarcation en mer, mettant les passagers en danger. « Ils nous ont menacé avec leur armes (…) Ils ont tourné autour de nous, ce qui a fait de grandes vagues et du courant », avait-elle rapporté.

>> À (re)lire : « Ils nous ont jetés à la mer » : deux disparus après un « pushback » de la Grèce vers la Turquie

Fin 2020, un Guinéen avait raconté comment des hommes en uniforme avaient percé le canot dans lequel il se trouvait pour l’empêcher d’atteindre les îles grecques.

Dans un rapport accablant, dont des extraits ont été publiés fin juillet, l’Office européen de la lutte contre la fraude (Olaf) a démontré que l’ancienne direction de l’agence de surveillance des frontières Frontex avait connaissance des renvois illégaux de migrants menés en Grèce vers la Turquie entre 2020 et 2021. Frontex, qui a toujours nié être au courant de ces pratiques, en aurait même co-financé certains. La Grèce, elle, dément tout refoulement illégal à ses frontières.

Selon le dernier rapport de l’ONG norvégienne Aegean Boat Report, qui recense les « pushbacks » en mer Égée, jamais autant de migrants n’avaient été refoulés cet été. En moyenne, « 100 personnes ont été retrouvées à la dérive dans des radeaux de sauvetage et des canots pneumatiques, chaque jour du mois d’août, à la suite de refoulements effectués par les autorités grecques », peut-on lire dans le document. « Seulement 10% de toutes les personnes qui tentent de traverser en bateau vers les îles grecques réussissent et se retrouvent dans un camp », rapporte l’ONG.

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Source Infomigrants

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