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L’avenir de la Grèce par Costas Lapavitsas

The future of Greece Une interview avec Costas Lapavitsas publié le 9/8/17 sur EReNSEP.

Syriza continue de superviser la mise en œuvre de l’austérité. Mais tout n’est pas sans espoir en Grèce.

En Grèce, il n’est pas tout à fait exact de parler de la «montée et de l’automne» du parti de gauche Syriza. «Rise and plateau» serait plus approprié.

Syriza est entrée au pouvoir en janvier 2015 en promettant d’affronter la «troïka» – la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international – pour sortir de la crise de la dette grecque et mettre fin à l’austérité sous laquelle les Grecs souffraient. Ainsi, ont commencé cinq mois de négociations dramatiques qui ont abouti à un référendum national dans lequel le peuple grec a déclaré un «non» retentissant – «Oxi» – à l’accord offert par la troïka.

Pourtant, face à cette réponse historique, le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, s’est adressé aux créanciers, en signant un troisième mémorandum qui démissionnait du pays de l’austérité et des privatisations croissantes .

La capitulation sans précédent de Tsipras a été suivie d’une autre: sa décision de rester au pouvoir pour mettre en œuvre les termes du mémorandum. Pour beaucoup, la montée rapide de Syriza vers le pouvoir de l’État, ses discussions difficiles dans les négociations et ses feintes vers «Grexit» ont marqué une accélération de la lutte des classes en Grèce. Sa capitulation s’est avérée une fin abrupte de ce processus fébrile. Maintenant, le parti travaille sur des mesures anti-travailleur et anti-gauche d’une grandeur historique.

Costas Lapavitsas a accompagné chaque étape de ce processus vertigineux en tant que député de Syriza et membre de la plate-forme de gauche, un bloc au sein du parti qui a appelé à la sortie de l’Union monétaire européenne et à la préparation du peuple grec pour la confrontation avec les créanciers internationaux. Si la plate-forme de gauche gagnait l’argument stratégique et politique à Syriza, la Grèce aurait probablement marqué un chemin très différent.

Aujourd’hui, ni Lapavitsas ni la Plate-forme de gauche ne font partie de Syriza. Pourtant, Lapavitsas n’a pas abandonné l’ assertion centrale de la plate-forme de gauche: que l’assujettissement de la classe ouvrière grecque n’est pas inévitable.

Ici, George Souvlis, candidat à un doctorat en histoire à l’Institut universitaire européen à Florence, et Petros Stavrou, ancien conseiller Syriza et membre actuel de l’initiative radicale ARK, parlent avec Lapavitsas pour les jacobins au sujet du gouvernement Syriza, la lutte contre l’austérité à travers L’Europe et les perspectives de relance de la gauche grecque.

GS: à titre d’introduction. Voulez-vous vous présenter en mettant l’accent sur les expériences formatives académiques et politiques qui vous ont fortement influencé?

CL: Je viens de la génération qui a commencé à comprendre le monde après la chute de la dictature en Grèce. Au cours de cette période, la radicalisation était une caractéristique cruciale de la société grecque. Ma propre famille était à gauche, alors j’ai été naturellement radicalisée longtemps avant que je commence mes études universitaires. Mais le contexte plus large des années 80 au Royaume-Uni était crucial pour ma formation. Au cours de cette période, je me suis rendu compte que le monde était beaucoup plus grand et que les problèmes idéologiques et politiques en jeu étaient beaucoup plus importants que ce que j’avais connu en Grèce dans les années 1970. Une grande partie de mon échéance politique, en d’autres termes, s’est produite en Grande-Bretagne. Depuis, j’ai été actif dans les rangs de la gauche britannique. Une autre expérience intellectuelle cruciale pour moi a été de découvrir le marxisme japonais il y a près de trois décennies. Cela m’a fourni un aspect encore plus large du marxisme et de l’économie, ainsi que d’une manière plus large de voir le capitalisme.

GS: Pourriez-vous citer certains intellectuels, tels que les économistes et les théoriciens politiques, qui ont été cruciaux pour votre formation intellectuelle en tant qu’économiste marxiste?

CL: Le premier livre que j’ai lu dans l’économie politique était Sweezy et le Monopoly Capital de Baran , quand j’étais plutôt jeune. C’est un excellent livre, l’une des contributions les plus importantes au marxisme au vingtième siècle, et m’a donné un respect durable pour l’économie de Sweezy. Inutile de dire, j’ai lu attentivement la plupart des écrits de Marx, mais je ne les ai jamais traités comme des textes saints. Pour moi, Marx était un grand penseur et révolutionnaire, mais il en est ainsi. J’ai également lu le complément habituel des classiques marxistes. Je devrais détailler Trotsky en particulier, dont les écrits sur la Révolution russe, le développement de l’Union soviétique et l’émergence du fascisme dans les entre-deux-guerres m’ont beaucoup influencé. J’ai longtemps appartenu à la partie de la gauche qui est fortement critique, même rejetant, de l’Union soviétique. Enfin, ma compréhension spécifique de l’économie marxiste est un mélange de, d’abord, la renaissance marxiste anglo-saxonne des années 1970 et 1980 et, deuxièmement, du marxisme japonais de l’école Uno. Je dois beaucoup à beaucoup mais je voudrais choisir Ben Fine et Laurence Harris au Royaume-Uni et Makoto Itoh et Tomohiko Sekine au Japon.

GS: Discutez de la Grèce. SYRIZA – après la défaite du nouveau sauvetage – a créé un récit sur la nature inévitable de ce développement, ce qui suggère que c’était le seul moyen d’aller de l’avant. Partagez-vous cette compréhension des événements? Sinon, quel était l’autre sens? En termes d’économie, qu’est-ce que SYRIZA aurait fait pour éviter ces développements?

CL: Il est intéressant de noter que l’argument principal qui vient de la direction actuelle de SYRIZA est qu’il n’y avait rien d’autre qui aurait pu être fait. C’est aussi exactement l’argument déployé par New Democracy, PASOK et tous les autres qui ont couru la Grèce depuis des décennies. Pourtant, SYRIZA est montée au pouvoir en promettant une autre manière qui apporterait des changements réels en Grèce et en Europe. J’ai soutenu SYRIZA à l’époque, car une autre façon était vraiment possible. Sinon, quel était exactement le point de SYRIZA? Avoir Alexis Tsipras comme Premier ministre au lieu d’Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie? Avoir des gens au gouvernement qui se disent «à gauche» et, espérons-le, mettre en œuvre les politiques de sauvetage plus «doucement»? Je rejette complètement cette vue.

Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas qu’il n’y avait pas d’autre façon. Le véritable problème était que la stratégie adoptée par son leadership n’était pas dès le départ. C’était une mauvaise politique, une mauvaise économie, une mauvaise compréhension du monde. Bref, ils visaient à s’opposer aux prêteurs et à transformer la Grèce, tout en restant dans l’union monétaire européenne. Cela n’a jamais été possible, comme je l’ai soutenu à l’époque avec plusieurs autres à SYRIZA. Nous avons combattu, nous sommes opposés à la direction et défendons un chemin alternatif en sortant de l’UEM et en défaillant sur la dette nationale. C’était la seule alternative réaliste pour la Grèce, qui aurait pu ouvrir un nouveau chemin de changement social radical. Les événements ont montré que nous avions absolument raison et que la stratégie du leadership était absurde. Mais nous n’avons pas été en mesure de gagner l’argument politique, et c’était l’essentiel. Après l’échec de sa stratégie, Tsipras s’est rendu aux prêteurs et a adopté ses politiques. La reddition de SYRIZA est une marque noire pour l’ensemble de la gauche européenne.

GS: Ce que vous proposez ci-dessus est à un niveau macroéconomique. Ne pensez-vous pas qu’il y avait d’autres alternatives tactiques à court terme? (Par exemple, organiser un référendum antérieur, imposer, dès le premier jour, ils ont pris le pouvoir et les contrôles bancaires). Parce que ce qui s’est passé à la fin était d’imposer des contrôles de capitaux à la dernière minute dans une conjoncture très difficile lorsque l’état grec Était presque paralysé économiquement.

CL: Pour quoi? Quel aurait été le point de l’application tactique antérieure des contrôles, si SYRIZA n’était pas prêt à aller jusqu’à la sortie de l’UEM et à la défaillance de la dette?

GS: Ce n’est pas mon poste, mais certains affirment que ces mouvements auraient obtenu de meilleurs résultats dans les négociations entre SYRIZA et la Troïka par rapport à ce que l’accord de sauvetage a apporté. Partagez-vous ce poste?

CL: Une meilleure négociation pour réaliser quoi? C’est juste une mauvaise pensée. Le problème de SYRIZA n’était pas une tactique, même si les méthodes de négociation de Tsipras, Varoufakis et les autres étaient également maladroites depuis le début. Quel est le but d’aggraver les prêteurs avec un style provocateur et un verbiage quand vous n’avez pas l’acier pour aller jusqu’au bout? Il est préférable de porter un costume et une cravate, mais soyez prêt à déclarer le défaut lorsque cela est nécessaire. Le problème avec SYRIZA, cependant, n’était pas ses méthodes, mais sa stratégie. Ils ne comprenaient pas ce qu’était l’Europe, combien les prêteurs étaient implacables. Surtout, ils ne comprenaient pas que la seule façon de lutter contre l’énorme pouvoir de la Banque centrale européenne sur la disponibilité de liquidités dans l’économie était de produire une monnaie nationale. Il n’y avait pas d’autre option pour un gouvernement de gauche. J’ai dit à Tsipras cela dans une conversation privée, mais il ne voulait pas l’entendre, car cela aurait impliqué une vraie rupture avec les institutions de l’UE. Et une pause n’était pas ce qu’il voulait par la formation, la disposition et les perspectives politiques.

GS: Je pense que c’était crucial pour l’échec de SYRIZA – et ceci est mon avis – que le parti n’a pas dit aux Grecs la vérité pendant la période des négociations. La vérité de ce qui se passait entre les deux parties et les intérêts étaient en jeu. Je suis sûr que vous vous souvenez que le discours principal produit au nom du parti au cours de cette période était que tout était sous contrôle, qu’il y aurait un accord équitable pour que les deux parties en profitent, etc. Je pense que c’était un mauvais pas tactique Parce que de cette façon, SYRIZA a démobilisé les gens, déléguant le processus de négociations à un groupe de spécialistes, l’équipe autour de Tsipras. De cette façon, SYRIZA a fait croire aux gens que tôt ou tard il y aurait une solution en faveur de leurs intérêts. Les gens n’étaient pas précisément informés de ce qui se passait à Bruxelles et n’étaient pas prêts à protester en masse contre les menaces de la troïka. Je crois que le Plan B aurait impliqué la préparation du peuple grecque autant que nécessaire pour un freinage possible avec l’UE. Qu’est-ce que tu penses?

CL: Le soutien populaire et la préparation politique de la classe ouvrière et des couches sociales plus larges auraient été d’une importance primordiale pour tout gouvernement radical qui souhaitait vraiment changer les choses en Grèce. SYRIZA a eu l’opportunité de s’engager dans cette situation après les élections de 2012, alors qu’elle est devenue l’opposition officielle, mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, le leadership a suivi la voie de la promotion d’Alexis Tsipras en tant que prochain Premier ministre et un personnage de la gauche mondiale. Après avoir pris le pouvoir, ils ne se sont jamais trompés sur des questions clés, même si les gens voulaient des réponses. Le seul point sur lequel ils étaient catégoriques était qu’ils voulaient rester dans les institutions européennes. C’est l’un des rares problèmes sur lesquels ils étaient honnêtes. Ils étaient, et restent, des Européens engagés. Comment, alors, ont-ils préparé les gens pour un conflit majeur avec les prêteurs européens? Même à l’époque du référendum de juillet 2015, qui aurait évidemment été un point de rupture, ils ont évité méticuleusement de préparer les gens à la bataille. Des centres puissants en Grèce et à l’étranger essayaient systématiquement d’effrayer le peuple grec en disant qu’un «non» signifierait sortir de l’UEM et de la catastrophe. SYRIZA et ses dirigeants ne l’ont jamais exprimé, mais ont toujours déclaré que le référendum n’était qu’une autre arme dans les négociations avec les prêteurs. Et à la fin, ils se sont rendus et ont transformé «Non» en «Oui». Ils n’ont jamais voulu un véritable combat.

GS: pensez-vous que ce choix stratégique est lié à la stratégie que les partis eurocommunistes ont adoptée au cours des années 1970, ou était-ce strictement une décision des habitants de Tsipras? Par exemple, Giorgos Stathakis, actuel ministre de l’Environnement et de l’Energie et l’un des plus importants conseillers économiques de Tsipras, était l’un des plus sincères de SYRIZA, après avoir déclaré à partir de novembre 2016 que la seule option réaliste pour le parti au pouvoir était immédiatement De signer un mémorandum avec la troïka. Quelle est votre opinion à ce sujet? Ce choix peut-il être expliqué en fonction de raisons idéologiques, économiques ou personnelles, ou est-ce une intersection de ces facteurs qui peuvent décoder efficacement la stratégie adoptée?

CL: Je ne pense pas que nous puissions relier directement le sinistre de SYRIZA à la tradition eurocommuniste. Il y avait beaucoup de courants historiques de gauche qui entraient à SYRIZA. Certains provenaient de l’eurocommunisme, mais certains des plus éminents venaient de la tradition stalinienne du Parti communiste grec. Une bonne proportion des cadres dirigeants de SYRIZA étaient des cadres du parti communiste en ligne et non pas un eurocommuniste. Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas l’eurocommunisme, mais comment le parti a été constitué et ce qu’il est devenu. Il a débuté de façon incertaine au début des années 1990, principalement sous le nom de Synaspismos, une émancipation du Parti communiste qui était toujours lourd et non enracinée dans la classe ouvrière. Il est devenu SYRIZA dans les années 2000, une petite tenue qui s’est considérée comme un joueur potentiellement important dans la politique grecque, car elle semblait offrir une nouvelle façon de faire des politiques pluralistes, démocratiques, etc. Le changement majeur de SYRIZA s’est produit sous la direction d’Alekos Alavanos, qui était probablement le politicien le plus talentueux de sa génération sur la gauche. SYRIZA a acquis les caractéristiques d’un nouveau parti de masse qui pourrait attirer de nombreux courants différents de la gauche dans un environnement de discussion constante et d’échange d’opinion. C’était aussi consciencieusement déménager.

L’erreur désastreuse commise par Alavanos était de nommer Tsipras et son petit groupe comme nouvelle direction de SYRIZA, pensant qu’il ouvrait la voie à une génération nouvelle, nouvelle et radicale. Tsipras s’est avéré énormément ambitieux et était également habile à prendre le parti. Il a poussé SYRIZA vers un grand succès électoral en 2011-12. Autour de 2010, SYRIZA était juste un petit parti parmi beaucoup à gauche et, pour être franc, il a jeté les plus grandes bêtises quant à la nature de la crise qui se déroule. Tsipras l’a hardiment poussé à participer aux manifestations de masse qui se sont produites dans les places des villes grecques. Surtout, Tsipras était prêt à dire qu’il était prêt à gouverner, contrairement à tous les autres leaders de la gauche. La combinaison de sa volonté de gouverner et de l’implication de SYRIZA dans le mouvement des Squares a propulsé la fête aux élections de 2012. Il est devenu le gouvernement en attente.

Pendant un court laps de temps, il semblait que SYRIZA représentait une nouvelle forme d’organisation qui pourrait être l’avenir de la gauche non seulement en Grèce, mais aussi en Europe. Une alliance lâche de divers courants engagés dans un débat constant, avec un cadre puissant, qui pourrait attirer le soutien électoral et devenir le parti du gouvernement. La réalité est devenue claire en 2015. SYRIZA n’était pas une nouvelle façon de faire de la politique pour la gauche, mais simplement la dernière façon dont l’establishment politique grec pouvait continuer à dominer. Le débat politique sans fin et le mouvement ne sont ni une garantie de démocratie interne, ni un défi pour le capitalisme. SYRIZA s’est révélée complètement antidémocratique dans le gouvernement, un organe politique amorphe avec un leader tout-puissant au sommet et pas de véritable débat politique. C’est une machine électorale qui s’est imbriquée avec l’état grec et cherche seulement à se maintenir au pouvoir. Il n’y a pas d’avenir pour la gauche dans le modèle SYRIZA, c’est sûr.

GS: une devise discursive qui informe le récit officiel du gouvernement grec après l’accord de juillet 2015 est que sa gouvernance, en dépit des nombreuses difficultés auxquelles elle est confrontée jusqu’à présent, peut être définie comme une réussite en raison de sa performance financière augmentant l’excédent budgétaire principal de l’État À environ 4% du PIB en 2016. Partagez-vous cet optimisme au nom du gouvernement grec? Pourrions-nous définir sa performance économique en tant que réussie?

CL : Permettez-moi de mettre les choses en contexte. La grande contraction économique en Grèce s’est terminée en 2013. Depuis 2014, l’économie grecque a effectivement stagné: un petit peu, un peu plus bas. La pire partie de la crise était déjà d’un an avant que SYRIZA ne ​​prenne le pouvoir. Il est donc ridicule de dire que SYRIZA a donné un certain succès à la Grèce ou au peuple grec. En termes factuels, après que SYRIZA a repris, l’économie est revenue à une légère récession et a continué sur un chemin indifférent tout au long de 2016 et jusqu’à présent en 2017. Bien sûr, dans la politique grecque, il est possible de créer une réalité parallèle à travers la répétition constante des mensonges , Et SYRIZA est très bon à ce sujet. Mais la vérité est évidente dans les figures et dans l’expérience vécue des gens.

En termes de politiques économiques réelles, SYRIZA s’est avéré être le gouvernement le plus obéissant que la Grèce a eu depuis le début de la crise. Ils ont accepté les politiques économiques des prêteurs, ont signé le troisième accord de sauvetage en août 2015 et ont été méticuleux dans l’application. Il n’y a aucune preuve d’indépendance, pas d’exercice de la souveraineté. À cet égard, le dernier accord qu’ils ont signé en mai 2017, complétant le deuxième examen du troisième plan de sauvetage, a de nouveau obéissait aux prescriptions des prêteurs. Au cours de son ascension au pouvoir, SYRIZA a fait de grands efforts pour négocier fort, être dur et se tenir debout envers les prêteurs, contrairement aux précédents gouvernements grecs « doux ». En pratique, ils ont prouvé les pires négociateurs que la Grèce a eu pendant la crise. Les prêteurs les ont complètement dominés, imposant de l’austérité, des taxes et des réductions de pension, sans alléger la dette.

Le futur semble sombre pour la Grèce. Il continuera probablement à stagner: la croissance va peut-être ramasser un peu, puis il va diminuer un peu, puis encore la même chose. Il deviendra un pays avec un taux de chômage élevé et une inégalité élevée des revenus; Un pays pauvre dont la jeunesse formée partira; Un pays vieillissant écrasé par une énorme dette; Un petit pays non pertinent sur les franges de l’Europe. Sa classe dirigeante a accepté cette éventualité, c’est une faillite historique de sa règle. SYRIZA joue également un rôle dans cette catastrophe.

GS : Et qu’en est-il de la dette? SYRIZA a affirmé qu’il y aurait bientôt un allégement de la dette.

CL: En mai 2016, l’Eurogroupe, qui est l’organisme qui gère essentiellement l’union monétaire, a décidé un cadre pour la dette grecque, que SYRIZA a acceptée. Il n’y aura pas de «coupe de cheveux», car il n’y a pas de mécanisme au sein de l’union monétaire pour qu’un État puisse prendre les pertes de la politique d’un autre. Selon le cadre, la dette grecque sera considérée comme durable tant que le coût total du service (intérêts et principal) ne dépassera pas 15% du PIB annuel. La Grèce pourrait bénéficier d’une aide pour atteindre cette «durabilité» en allongeant la durée de certains des prêts existants et en réduisant les intérêts. C’est le meilleur que la Grèce peut espérer de ses «partenaires» dans l’UE. Pour cette raison, la Grèce devra définir sa politique budgétaire pour atteindre un excédent primaire très important pendant une longue période. Autrement dit, les faibles dépenses du gouvernement et la fiscalité élevée, c’est-à-dire une profonde austérité, depuis des décennies. Par implication, les taux de croissance seront abaissés. C’est une terrible situation qui rend la dette grecque décidément non viable à moyen et à long terme.

En mai 2017, le gouvernement SYRIZA a signé un autre accord fondé précisément sur ce cadre. Ils ont promulgué de nouvelles mesures, réduisant les pensions et imposant des taxes pour assurer une austérité arrosante de 3,5 pour cent d’excédents primaires par an jusqu’en 2022. Ils ont également accepté de réaliser d’autres excédents de 2% par an jusqu’en 2060! En dépit de légiférer sur ces mesures extraordinairement sévères, ils n’ont reçu absolument aucune concession sur la dette. C’est une incompétence incroyable. Ils ont capitulé, abandonnant tous les derniers vestiges de la souveraineté nationale et imposant des mesures sévères aux travailleurs, tout en abaissant abyssalement les conditions qui permettraient à l’économie grecque de se redresser, réduisant ainsi le chômage. Le gouvernement SYRIZA est une honte pour le peuple grec, mais aussi pour la gauche internationale.   

GS: Pensez-vous que cette situation en Grèce peut être comparée à celle des États d’Amérique latine pendant la crise des années 1980, puisque la crise de la dette était une caractéristique déterminante dans les deux cas?

CL: Dans une certaine mesure, oui, car la crise grecque était en substance une crise de la balance des paiements. En outre, la crise a été traitée par le FMI, de sorte qu’on peut trouver des résultats similaires en Amérique latine. Cependant, le véritable analogue pour la Grèce n’est pas l’Amérique latine, mais la crise allemande après la Première Guerre mondiale, la crise de la guerre-réparations. Après avoir perdu la guerre, l’Allemagne a été obligée de faire d’énormes réparations, surtout pour la France victorieuse, tout en faisant face à des restrictions sur son économie qui réduisaient sa capacité d’exportation et donc à faire les paiements nécessaires. Tout au long des années 1920, l’Allemagne a été placée dans une position impossible, comme John Maynard Keynes l’a réalisé immédiatement. Le résultat final a été, bien sûr, la montée de Hitler, qui a dénoncé la dette et militarisé l’économie en prévision de la Seconde Guerre mondiale. La Grèce occupe une position similaire aujourd’hui. Il a une énorme dette extérieure et est obligé de faire des paiements à l’étranger, mais il ne peut pas générer les excédents externes puisque l’union monétaire ne l’autorise pas efficacement. Les excédents budgétaires à l’heure actuelle sont créés par la compression de l’économie domestique, réduisant ainsi les perspectives de croissance. C’est une situation impossible pour la Grèce, qui ne peut être résolue qu’en cas de rupture forcée du piège.

GS: L’ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis a approuvé récemment qu’il y avait un Plan B. Croyez-vous cette déclaration? S’il y en a eu une, pourquoi l’équipe de Tsipras n’a-t-elle pas utilisé une option lors des négociations avec la Troïka quand il y avait encore du temps et des manœuvres? Dans le cas où Tsipras jouerait à cette carte, quel impact pensez-vous que cela aurait en termes économiques et politiques?

CL: Il est commun de créer un récit sur le passé qui vous permet de vivre avec vous-même. Il est également courant de réinventer le passé pour mieux répondre aux besoins du présent. Les gens le font souvent en politique, même si je tente personnellement de l’éviter autant que possible. Il n’y a jamais eu de plan B, c’est-à-dire un plan visant à retirer la Grèce de l’union monétaire et à rompre avec l’Union européenne. Au plus, il y avait des exercices d’arrière-plan sur quoi faire si la pression des prêteurs devenait trop grande. Ils ne représentaient jamais un plan B tel que je continuais à exiger – et à proposer – c’est un ensemble cohérent qui serait basé sur un soutien populaire. Et il ne pourrait pas exister pour SYRIZA car un tel plan aurait nécessairement entraîné la sortie de l’UEM. Les dirigeants de SYRIZA, y compris Yanis Varoufakis, ont été des Européens engagés qui n’accepteraient pas une rupture avec l’Europe. Les membres de SYRIZA qui n’étaient pas européanistes et demandèrent une pause, furent finalement poussés par Tsipras.

GS: Récemment, vous et Theodore Mariolis ont écrit un rapport analytique intitulé «L’échec de la zone euro, les politiques allemandes et un nouveau chemin pour la Grèce», publié par l’Institut RL, dans lequel vous décrivez les étapes qu’un futur gouvernement devrait mener pour Grexit Pour être un projet réalisable sans conséquences destructrices pour la majorité des personnes grecques. Que devrait faire un futur gouvernement pour que Grexit puisse être une réussite, même à long terme? 

CL: Les étapes de Grexit ont longtemps été bien comprises. Il n’y a pas de mystère. Grexit exige, tout d’abord, la souveraineté monétaire par un acte parlementaire, redéfinissant ainsi la soumission légale de la nation. Un taux de conversion de 1: 1 serait appliqué immédiatement sur les contrats, les flux d’argent et les sommes d’argent qui sont prévues par la loi grecque. Dans le même temps, il y aurait la nationalisation des banques, les contrôles de capitaux, les contrôles bancaires et les étapes pour s’assurer qu’il y a un approvisionnement régulier en médicaments, en nourriture et en énergie dans la période initiale jusqu’à l’émergence de l’économie. Le problème économique le plus grave serait la dévaluation du New Drachma, dont l’étendue dépendra de l’état du compte courant et de la solidité de l’économie. Dans le cas de la Grèce, il n’est pas facile de l’estimer, mais je suppose qu’une dévaluation de 20 à 30% dans la nouvelle position d’équilibre serait probable. La dévaluation serait positive pour l’industrie grecque, qui doit compenser la compétitivité sur les marchés internationaux et sur le marché intérieur. Les travailleurs bénéficieraient également à moyen terme car l’emploi serait protégé, mais ils nécessiteraient un soutien à court terme, en particulier par des subventions et des allègements fiscaux. Ce n’est pas un chemin facile par toute l’imagination, mais c’est parfaitement réalisable et nécessite une détermination et une participation populaire. Il y aurait peut-être une période de difficultés considérables, peut-être de six à douze mois, mais l’économie se retournerait.

La sortie, cependant, n’a jamais été un remède pour les problèmes grecs. Je l’ai toujours compris comme faisant partie d’un ensemble différent de politiques économiques qui changeraient l’équilibre des forces sociales en faveur du travail et contre le capital, mettant ainsi le pays sur un chemin différent. La Grèce a besoin d’une sortie progressive, en d’autres termes. Pour cela, deux étapes sont fondamentales. Tout d’abord, le gouvernement devrait lever l’austérité, abandonnant l’objectif ridicule et destructeur de 3,5% pour les excédents primaires. Il devrait stimuler les dépenses publiques pour l’investissement et d’autres choses, principalement pour les services parce que c’est là où l’emploi pourrait être rapidement créé. Deuxièmement, le gouvernement devrait adopter une stratégie industrielle utilisant les ressources publiques pour rééquilibrer l’économie en faveur de l’industrie et de l’agriculture plutôt que des services. Si ces politiques étaient adoptées, les bénéfices pour les travailleurs seraient substantiels, l’équilibre du pouvoir de classe changerait, les conditions du travail salarié seraient améliorées et il y aurait marge de redistribution des revenus et des richesses. Il serait possible de parler de la Grèce entrant dans une voie de développement différente avec un caractère fortement anticapitaliste qui pourrait conduire à la réorganisation socialiste de la société.

GS: Dans un scénario possible de Grexit, où une Grèce en dehors de l’UE pourrait-elle s’inscrire dans l’économie mondiale, qu’est-ce qu’elle échange avec qui; Attendrait-il une guerre commerciale avec l’UE?

CL: L’argument de la «guerre commerciale» est habituellement employé par des personnes qui souhaitent poursuivre les politiques de renflouement ou ont trop peur, même pour envisager des changements radicaux. La Grèce serait certainement confrontée à des difficultés si elle allait dans la voie de la rupture, notamment parce qu’elle devait inévitablement refuser sa dette. Mais, il est largement connu et accepté que la dette grecque est insoutenable. La défaillance est une affaire sérieuse, mais aujourd’hui elle ne mène pas à la guerre, aux boycotts et à d’autres résultats colorés. Les pays continuent à fonctionner et à survivre. Après tout, c’est l’état qui serait par défaut, et non les agents productifs individuels. Beaucoup plus risqué que le défaut est la perspective d’une rupture avec l’Union européenne, ce qui ne se produirait pas seulement en raison de la défaillance, mais aussi parce que la Grèce adopterait des politiques économiques contradictoires avec celles de l’UE. La Grèce devrait être préparée pour cela afin de remettre son économie en ordre. Il n’y a pas de raccourci. Il faudrait négocier des conditions spéciales, des exemptions, etc., et il faudrait se préparer à un combat pour adopter les politiques dont il a besoin. Si les travailleurs et les strates populaires étaient déterminés, le pays pourrait réussir.

GS: Passons maintenant aux développements de l’UE. Que pensez-vous, c’est l’avenir de la zone euro et comment voyez-vous les scénarios de la Commission européenne pour une Europe à grande vitesse, qui semble être le plan que l’Allemagne a actuellement pour l’UE?

CL : La crise de la zone euro comme période distincte dans le développement historique de l’UE est pratiquement terminée. L’Allemagne a imposé sa propre solution et a vaincu toute opposition. Le point à retenir: l’Allemagne a prévalu et a imposé sa volonté sur l’Europe au cours des sept dernières années. Il est apparu comme le pays incontestablement dominant. Comme cela s’est produit, il est également devenu évident que la nouvelle Europe est une entité hautement stratifiée, dotée d’un noyau et de plusieurs périphéries. L’ancienne distinction de noyau et de périphérie dont les marxistes parlent a réémergé en Europe de manière nouvelle et virulente. Le noyau, plus précisément, est la base industrielle de l’Allemagne qui se compose principalement de voitures, de produits chimiques et de machines-outils. Il n’y a pas d’autre complexe industriel en Europe comparable à celui de l’Allemagne, à l’exception éventuelle de l’Italie du Nord.

Le noyau a défini plusieurs périphéries, dont deux se distinguent. Le premier est immédiatement attaché au noyau industriel allemand: la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette périphérie agit comme un arrière-pays de la capitale industrielle allemande, fournissant du travail, des ressources et de la capacité de production, tous se sont vus sur l’Allemagne. La deuxième périphérie se trouve au sud: la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Ce sont des économies avec une industrie faible, une faible croissance de la productivité et une faible compétitivité, qui possédaient un grand secteur public qui fournissait un emploi mais ne pouvait plus le faire. Leur rôle est de fournir du personnel de travail qualifié au noyau allemand.

Cette stratification de l’Europe constitue le fondement d’un énorme pouvoir politique allemand. L’ascendance de l’Allemagne n’a pas résulté d’un plan du bloc historique allemand, mais après un point, il est devenu une politique consciente. Le levier le plus important pour assurer l’ascendance de l’Allemagne a été l’union monétaire, qui a fourni à l’Allemagne les moyens de dominer l’Europe dans le commerce et a servi de base à la capitale industrielle allemande pour exporter vers la Chine, les États-Unis et ainsi de suite. Grâce à l’union monétaire, l’Allemagne est apparue comme une puissance mondiale majeure. Mais, comme tout processus capitaliste de ce type, des tensions et des contradictions internes ont également émergé. Ceux-ci ont surtout à faire avec le noyau de l’Europe, et deux questions revêtent une importance primordiale.

La première concerne l’Allemagne elle-même. La montée de l’Allemagne qui a exporté du capital industriel s’est produite chez les travailleurs allemands: l’austérité continue en Allemagne, la contrainte des salaires, le resserrement des dépenses publiques, le manque d’investissement intérieur et la compression de la demande intérieure. C’est la base de la domination capitaliste allemande de l’Europe et a fourni les moyens pour que la capitale allemande gagne du terrain sur le marché mondial. Il s’agit clairement d’une situation instable et intenable à long terme. Les deux tiers du travail allemand survivent en termes précaires, avec de faibles salaires et des conditions de travail difficiles.

La seconde concerne les relations entre l’Allemagne, la France et l’Italie. C’est un point de grande faiblesse. La France est bien sûr un pays du noyau, mais elle ne peut pas survivre avec l’Allemagne car elle n’a pas la base industrielle, la compétitivité et la capacité de façonner l’union monétaire. En effet, son bloc historique manque d’un plan stratégique sur la façon d’affronter l’Allemagne et devient rapidement à la base de Berlin. L’Italie est encore pire. Il a une base industrielle importante, mais sa présence dans l’union monétaire est profondément problématique car elle ne peut pas concurrencer à des conditions raisonnables et son taux de croissance est très faible. L’Italie a été dans un état d’austérité de bas niveau depuis des années. Cela ne peut persister à jamais et les tensions éclateront à un moment donné. En résumé, la montée de l’Allemagne a stratifié l’Europe d’une manière qui n’a jamais été vue auparavant, créant d’énormes tensions. C’est là que j’attends de voir les éruptions et l’accélération de l’histoire dans les années à venir.

GS : Pensez-vous que ces éruptions viendront de haut ou de bas? 

CL : Au cours des dernières années, nous avons vu la montée du populisme de droite et de l’autoritarisme, souvent sous forme fasciste, dans plusieurs régions d’Europe. Ceci est le résultat de la stratification de l’Europe et de l’émergence de la domination allemande. C’est aussi le résultat de la retraite de la démocratie alors que l’Europe est devenue de plus en plus inégale. L’échec de la démocratie parlementaire, qui est manifeste dans toute l’Europe, et le fait que le processus politique s’est détaché des préoccupations des travailleurs, fait partie intégrante de l’ascendance de la capitale allemande en Europe. La réaction a inévitablement pris la forme d’exiger plus de souveraineté, et elle vient d’en bas: les gens pensent qu’ils ont perdu le pouvoir sur leur vie, où ils travaillent, qui fait les lois, qui applique les lois, qui sont responsables et Comment. Il existe une demande de souveraineté populaire et nationale en Europe.

Dans le passé, les forces de la gauche en Europe auraient formulé ces exigences pour exprimer les besoins et les aspirations des travailleurs, en s’opposant aux grandes entreprises et à l’ascendance allemande en Europe. La tragédie est que la gauche n’a pas joué ce rôle en Europe depuis des années et, par conséquent, le droit a pris de l’importance, s’appropriant même souvent le mode d’expression de la gauche et donnant un tournant autoritaire aux exigences populaires. Mais il n’y a rien d’inévitable à propos de ce développement. Tout dépendra de la réaction de la gauche à partir de maintenant. Il n’y a pas de lien ferme entre les travailleurs de l’extrême droite en Europe. La vraie question est de savoir si la gauche peut agir ensemble et commencer à intervenir efficacement. Le potentiel existe. Ce qui manque, c’est une compréhension claire des problèmes politiques brûlants en Europe, car la majeure partie de la gauche continue de fonctionner dans le cadre des années 90 et 2000. Il est temps pour la gauche de sortir de cela et jouer de nouveau son rôle historique en Europe.

L’article original http://www.erensep.org/index.php/en/articles/politics/364-the-future-of-greece

Médiapart : Entretien avec le président de SOS Méditerranée

Migrants en mer: «A un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez»

Par Cécile Andrzejewski Mediapart

En Méditerranée, plusieurs ONG interviennent pour sauver de la noyade des migrants embarqués à bord de rafiots de fortune. Ce que leur reprochent les autorités italiennes et européennes : par leurs actions, les associations favoriseraient l’immigration illégale. Une « erreur d’analyse », répond Francis Vallat, président de SOS Méditerranée.

Accusées de favoriser le travail des passeurs et de créer un « appel d’air » migratoire, les ONG intervenant en mer Méditerranée se sont vu imposer un code de conduite par le gouvernement italien. La plupart des associations refusent pour le moment de le signer. Et si les négociations continuent, les sauvetages ne s’arrêtent pas non plus, loin s’en faut.

Francis Vallat, ancien armateur, est le président de SOS Méditerranée, qui intervient en mer pour secourir les naufragés à l’aide de son bateau, L’Aquarius. Créée au printemps 2015, l’association, financée à 76 % par les dons de particuliers, est directement confrontée à l’ampleur de la crise migratoire et à la détresse des réfugiés, comme le raconte son président.

Quelle est la situation en mer Méditerranée en ce moment ?

Francis Vallat : Elle n’a malheureusement pas changé par rapport aux autres années. On devrait même avoir environ 20 % de passages en plus sur l’axe Libye-Italie. Au total, 200 000 personnes devraient passer par cette route sur l’exercice 2017. Il y a toujours un certain nombre de morts, probablement 5 000 cette année, ou un peu plus. Depuis le début, nous avons pu sauver 23 000 personnes. Selon les périodes de l’année, les ONG réalisent autour de 25 % des passages, le reste étant fait par la garde-côte italienne, les navires italiens, les bateaux de commerce…Comment opère SOS Méditerranée en mer ? 

Nous avons un bateau, L’Aquarius, qui mesure un peu moins de 80 mètres de long. Il dispose d’une partie d’accueil des réfugiés, avec, d’un côté, les hommes et, de l’autre, les femmes. Quand on peut les répartir, bien sûr, car les interventions sont intenses. Une autre partie est aménagée en petit hôpital avec des médecins et des infirmiers, sur laquelle on travaille avec Médecins sans frontières (MSF). Au total, on tourne autour de 26 personnes sur L’Aquarius, entre l’équipage de conduite du bateau, les sauveteurs, le personnel médical, les responsables communication et les journalistes qui suivent les opérations. Toutes les trois semaines, on fait escale à Catane, en Sicile, et on repart.

Pour les sauvetages, quand un bateau coule, nous sommes informés par le MRCC, le Centre de coordination des sauvetages en mer, dont le quartier général est à Rome. Nous sommes en liaison permanente avec eux, ils nous donnent l’ordre d’aller sauver les bateaux. Enfin, si on peut appeler ça des bateaux… Ils se dégonflent, des bouts de planche sortent, c’est une catastrophe. Dès qu’on arrive, on récupère les personnes. C’est très difficile parce que les réfugiés sont terrorisés, ils paniquent, la plupart ne savent pas nager. Il y a des gens parmi eux qui ont été torturés, des femmes souvent violées, parfois des enfants sont à bord. La semaine dernière, on a trouvé huit personnes mortes au fond du bateau parce qu’ils étaient trop nombreux, elles ont été asphyxiées avec les vapeurs d’essence. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais même les cas « normaux » demandent beaucoup de compétences. Il faut calmer les réfugiés, les rassurer, certains se jettent à l’eau.

Et ensuite ?

Ensuite ils viennent sur le bateau. On peut normalement accueillir jusqu’à 500 personnes, mais il nous est arrivé d’en avoir près de 1 000 à bord. Les premières 24 heures sont terribles. C’est là où on les calme, on les soigne, on les rassure. On parle avec eux de leurs vies, de ce par quoi ils sont passés. Ces échanges-là sont plus humains, à la fois très touchants, mais aussi très durs. L’atmosphère à bord du bateau s’avère absolument formidable. C’est indispensable car la pression morale reste très forte, il a pu arriver que nos propres sauveteurs soient traumatisés par ce qu’ils ont vu. Puis on va en Italie, à Lampedusa ou à Trapani. Comme on a un gros bateau, parfois, sur ordre du MRCC, on transborde sur L’Aquarius des gens sauvés par d’autres, pour les amener en Italie. C’est-à-dire qu’on embarque à bord des réfugiés qui ont été sauvés par d’autres bateaux.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

© Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Ces derniers temps, on entend beaucoup parler « d’appel d’air », une théorie selon laquelle, en intervenant en Méditerranée, les ONG encourageraient finalement les migrants à prendre la mer sur des rafiots de fortune et favoriseraient donc l’immigration illégale…

D’abord, en Libye, beaucoup de personnes sont extraordinairement maltraitées [lire à ce sujet les récits de migrants rescapés de l’horreur libyenne publiés en avril dernier sur Mediapart – ndlr]. Ces gens vivent un véritable enfer en Libye. Selon les périodes, nous sauvons 20 % à 25 % d’enfants. 80 % d’entre eux sont sans leurs parents. Ce qui signifie que la désespérance est telle qu’en dépit de tout, les parents se sont sacrifiés, ils ont économisé pour payer un passage, pour qu’au moins leur enfant soit sauvé. Le désespoir reste absolu, donc ils partiront.

Cette histoire d’« appel d’air » est une erreur d’analyse : lorsqu’en 2014, l’opération Mare Nostrum a été arrêtée, lorsque cette force a été enlevée d’un seul coup, ça n’a absolument pas tari le flux de départs en mer. La seule chose qui a augmenté, c’est le nombre de morts. La théorie de l’« appel d’air » constitue une sorte de fausse excuse qui camoufle la crainte ou le refus des sauvetages. On dépasse le cap des 50 000 morts depuis le début de la crise des migrants. Ces chiffres sont certainement sous-évalués car ils sont calculés uniquement sur la base des morts qu’on peut constater. Mais ils disent tout : ce drame se déroule à nos portes.

La Méditerranée, on peut s’y baigner, pêcher, y passer du bon temps, mais on ne peut pas non plus regarder ailleurs, on ne peut pas laisser mourir ces gens sans les aider. On peut discuter pendant des heures de la politique migratoire, le problème n’est pas celui-là, il est de dire qu’on ne peut pas laisser des gens mourir à nos portes, que le sauvetage ne se discute pas.

Cet argument de « l’appel d’air » est utilisé par l’extrême droite, les populistes, qui ne vont pas assez loin dans l’analyse. Ils se servent d’un rapport de Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’UE – ndlr] qui aurait pointé cet effet. Mais on a rencontré le directeur général de Frontex. D’après lui, les responsables de l’agence ne sont pas dans cette conviction. Il nous a paru sincère. Après, il y a les pressions politiques… La meilleure des preuves : Frontex [qui coordonne désormais l’opération Triton, laquelle a pris le relais de Mare Nostrum, mais dont l’objectif premier est le contrôle des frontières – ndlr] participe aux opérations de sauvetage. Si les ONG sont coupables d’un appel d’air, alors c’est le cas de tous ceux qui sont là, y compris les navires étatiques ou européens. À un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez.

« Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe »

Y a-t-il une réelle volonté politique face à cette crise ?

Nous, on s’occupe exclusivement de sauvetage. Notre seule action politique consiste à dire aux responsables nationaux et européens : votre boulot, c’est de travailler sur les solutions. Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe. À l’heure actuelle, il n’existe aucune stratégie. Que fait-on à court terme, à moyen terme, à long terme ? On sait que trouver des solutions va prendre du temps, mais c’est essentiel. Où est en France le groupe de travail qui réfléchit à ces problèmes ? Il y a un refus de voir le problème en face. Ce refus est irresponsable vis-à-vis des réfugiés et aussi vis-à-vis de nos enfants. On n’a pas le choix, il faut y réfléchir. On ne peut pas dire que rien n’est fait, mais les solutions sont loin d’être à la dimension du problème.

L’objectif final n’est-il pas que les garde-côtes libyens prennent le relais ?

Ça fait partie des choses discutées, des solutions proposées. Si ça peut permettre de les rendre plus responsables… Parce qu’aujourd’hui, quand on croise des gens en uniforme, on ne sait pas à qui on a affaire. Mais si ça consiste à prendre les réfugiés et à les ramener dans l’enfer qu’ils viennent de quitter, là on est clairement contre, ce n’est pas acceptable. Pour l’instant, tout ça n’est pas encore très clair, mais on se méfie beaucoup de cette histoire.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Le 25 juillet dernier, le gouvernement italien a présenté un code de conduite destiné aux ONG qui interviennent en Méditerranée. Cinq des huit ONG l’ont refusé, dont SOS Méditerranée ?

Nous sommes en discussion. Cette histoire est sortie il y a deux semaines. Il a d’abord fallu comprendre ce code. Nous avons eu, comme d’autres ONG, des discussions avec le gouvernement italien. Elles se poursuivent encore, avec une nouvelle rencontre à la fin de la semaine. Nous ne sommes pas contre un code de conduite en soi. Il y a déjà des règles extrêmement strictes : notre bateau a interdiction de se rendre dans les eaux territoriales libyennes ; il ne peut agir qu’à la demande du MRCC ; si L’Aquarius croise un bateau en difficulté, l’équipage doit prévenir le centre de coordination ; nous avons interdiction de tout contact avec les passeurs. Mais pour ce nouveau code de conduite, nous voulons discuter de certains points.

Lesquels ?

Premièrement, il faut qu’il soit clair que les transbordements entre navires seront autorisés. C’est-à-dire qu’on doit pouvoir accueillir des personnes sauvées par d’autres bateaux pour qu’ils puissent continuer les recherches, on ne doit pas être obligés de retourner au port entre chaque sauvetage. À l’heure actuelle, on a sauvé autant de gens car on a pu en recueillir en transbordement, ce qui a permis à d’autres de continuer les sauvetages. C’est essentiel, si on ne le fait pas, on perd des vies. S’il faut effectuer l’aller-retour sur les côtes, on perd une trentaine d’heures. On refuse également que toute action soit réalisée vis-à-vis des réfugiés dans les premières 24 heures. Parce que les gens sont dans un état de choc incroyable durant cette période, ils ont besoin de temps.

Enfin, il est hors de question qu’il y ait des personnes armées à bord [le code de conduite impose en effet la présence d’officiers de police dans les bateaux – ndlr]. La présence de gens armés constitue un facteur de tension et un facteur de risque. Dans ce cas précis, ça ne nous paraît pas justifié. Cette disposition nous inquiète. Il ne faut pas oublier que les réfugiés viennent de pays où ils ont vécu des événements violents.

Nous discutons de ces trois points, qui représentent des points de blocage pour nous, avec les autorités italiennes. Notre position est très claire mais nous avons bon espoir d’ouvrir un dialogue. Nous sommes très fermes, mais très équilibrés. Simplement, nous restons intransigeants sur le sauvetage, car c’est de ça qu’on s’occupe. La garde-côte italienne travaille très efficacement au sauvetage, c’est d’ailleurs le gouvernement italien qui assure la majeure partie du sauvetage, à hauteur de 40 % ces dernières années. Mais la pression des populistes reste très forte.

[Cet entretien a été réalisé par téléphone le jeudi 10 août. Le lendemain, vendredi 11 août, SOS Méditerranée a signé une version modifiée du code de conduite au cours d’une rencontre avec le ministère à Rome, ses demandes ayant été prises en compte. Voir Boîte noire – ndlr]

D’où viennent les réfugiés que vous secourez ?

Ils viennent de partout. De pays en guerre ou dans une crise politique qui ressemble à une guerre. Dans le nord du Nigeria, avec Boko Haram, à la place des habitants, vous fileriez aussi. Ils viennent de l’Érythrée, du Soudan, du nord du Nigeria donc, du Niger, de la Syrie. Par ailleurs, oui, il y a des réfugiés économiques, en particulier d’Afrique de l’Ouest, mais qui sommes-nous pour dire « toi, tu es politique, je te ramasse, toi non parce que tu es économique » ? Si vous n’avez aucune solution, c’est normal que vous partiez chercher un avenir ailleurs. Au sud du Sahara, dans la zone sahélienne, les conditions économiques sont très difficiles, les habitants cherchent des solutions. Pour la plupart, ce ne sont pas des gens qui arrivent en Libye et d’un seul coup vont chercher un bateau. Le pays employait énormément de ces gens, mais il est depuis tombé dans le chaos, des gangs les traitent de manière épouvantable.

Un bateau financé par des militants d’extrême droite s’est récemment lancé dans une tentative de navigation en Méditerranée pour empêcher les ONG d’agir…

Leur épopée a surtout consisté en une opération de communication. Ils ont été empêchés d’entrer dans des ports. Ces gens sont totalement marginaux. Ils tiennent du groupuscule. En parler, c’est leur donner une importance qu’ils n’ont pas du tout. Voilà pourquoi SOS Méditerranée s’est très peu exprimé à leur sujet. Il s’agit d’un épiphénomène qui est, à certains égards, ridicule. D’abord, ils ont imité notre modèle, en réalisant une levée de fonds. Or, ça demande un travail énorme : notre bateau coûte entre 11 000 et 12 000 euros par jour, nous devons lever 4 millions d’euros par an. Eux ont à peu près réuni 80 000 euros [76 000 exactement – ndlr], ils ne vont pas tenir très longtemps.

Il faut qu’on soit très vigilants parce qu’on ne peut pas se permettre de mettre en danger notre équipage et les réfugiés à bord. Ils nous ont suivis au début. Ils sont venus nous trouver et nous ont dit : « Nous vous sommons de quitter cette zone, vous mettez en danger l’Europe ! » Nous n’avons pas réagi et au bout d’un moment ils ont changé de route pour aller dire la même chose à un autre… Ce que l’on craignait, ce n’était pas qu’ils reprennent les réfugiés et les ramènent en Libye, ce n’est pas possible, on craignait surtout qu’ils leur fassent peur et que ceux-ci paniquent sur le bateau. Parce qu’eux sont réellement en état de choc.

Lavage complet ! la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Lavage complet !

Synchronies, canicule, comme tempêtes passagères. Temps actuel. Les medias évoquent pêle-mêle, la ruée vers les plages, les incendies du moment (l’île de Cythère brûle depuis près d’une semaine), l’autosatisfaction débordante du gouvernement, voire enfin, la visite officielle (déjà annoncée) en Grèce et en septembre du président Macron.

Petite tempête passagère. Large d’Égine, juillet 2017

Samedi 5 août, près de trente ferrys ont largué leurs amarres à destinations des îles depuis le Pirée, rêve alors concentré. “À partir du 18 août, tout ce beau monde rentrera à Athènes, voilà pour les vacances des Grecs, lorsqu’ils partent”, entend-on sur les ondes (Radio Alpha, 5 août, zone matinale). Visiblement on radote, comme on se répète un peu, autant sur les ondes.

Au large de l’île d’Égine l’un des deux ferrys de la matinée, gêné par une tempête qui n’a pas duré, n’a pas pu accoster de sa première tentative. Petite histoire du jour alimentant tout juste les conversations. Dans le temps et dans le vent actuel également, une certaines presse… formatée très “bas niveau”, évoque “ces OVNI vus dans le ciel de Crète”, miracle toujours actuel, spectacle et alors vérité sans doute mensongère.

Athènes, au marché aux puces. Août 2017

Lundi 7 août, et depuis le Troisième Programme (culturel et musical) de notre (presque) bien seule radio, l’émission de l’après-midi (sous les 40° C il faut aussi le signaler), elle avait été consacrée à l’œuvre de Guy Debord , à l’occasion d’une nouvelle (et quatrième) version traduite de son œuvre: “La Société du spectacle”. Un oasis fort apprécié par si peu d’auditeurs en réalité, au pays de l’archipel Égéen où la moitié de l’Europe s’y rend très volontiers pour y réaliser ses baignades.

Société du spectacle toujours, ainsi, une autre fraction de la presse ironise alors sans réserve, au sujet des “gouvernants”: “Les marchés financiers jouent de leur musique, et de ce fait, Tsipras et les siens dansent”. Événements, politiquement et copieusement déshydratés, et qui n’impressionnent guère les ultimes lecteurs de la presse. Les Grecs d’ailleurs n’en rient même plus du tout.

Touristes et Grecs. Póros, juillet 2017
Les ferrys arrivent à l’heure. Golfe Saronique, août 2017
Les voiliers affrontent les éléments. Golfe Saronique, juillet 2017

Pays pour autant comme on sait piloté… automatiquement, danse ou pas. Les ferrys arrivent néanmoins plutôt à l’heure, les voiliers affrontent les éléments, puis, les touristes et certains Grecs, profitent des îles ; à l’exemple de Póros. Synchronies parallèles. L’été et ses ambiances en rajoutent d’ailleurs à cette impression de fausse fluidité. Faux mouvements… à travers les débris de toute une civilisation comme le dirait sans doute le regretté Guy Debord.

“L’argent, c’est notre liberté battue en monnaie”, nous dit-il par son unique manière, ce clown comme on sait figé, il est placé devant une boutique “vieux jeu”, située derrière le bâtiment du premier Parlement grec (1875-1935).

“Athènes c’est de la lave”. Athènes, Août 2017
Animal (presque) adespote, heureux sous l’Acropole. Athènes, août 2017
Athènes, commerce à l’ancienne. Août 2017

Ou autrement, ce slogan bien actuel: “Athènes c’est de la lave” (“donc quittons-la”, pour ce qui est du sens entier du message). Avertissements échaudés de ce mois d’août, les plages en plus. Le pays expire, le pays transpire, et les apparences alors dominent, on dirait à l’exacte manière, exposée et analysée par Guy Debord, il y a pourtant plus d’un demi siècle.

Sauf que derrière le lustre touristique, les visages se figent parfois en cachette, car les professionnels ne s’en sortiront pas forcément… victorieux de l’embellie estivale. Comme partout dans ce bas monde, il va falloir finalement gratter un peu, pour accéder à la moelle sociale alors lésée.

Porte… fermée. Athènes, août 2017

“Je vais mettre la clef sous la porte, je ne peux plus et je ne veux plus payer pour cet État-zombi, celui qui nous suce le sang pour alimenter sa clientèle politique, ses sbires, tous ces bons à rien. Je laisse plus de 75% de mon chiffre d’affaires en impôts, taxes et cotisations. Je travaillerai en informel désormais, que tout s’effondre… qu’ils crèvent”. Lámbros, petit imprimeur d’Athènes et ses états d’âme en ce mois d’août.

Une certaine presse… “Les ONVI”. Athènes, juillet 2017
“L’argent c’est…” Athènes, août 2017
“Les gouvernants dansent”. Presse grecque, juillet 2017

De l’autre côté du miroir helléno-centrique, l’ami Mários, fonctionnaire attitré comme attristé, il dépeint également la situation, sa situation: “Ils ne nous laissent pas travailler honnêtement”.

“Toutes ces cliques, ces partis, dont nouvellement la caste Syriziste, ces syndicats, puis enfin ces collègues… aux nombreuses ‘relations’. Comme nos salaires dans la fonction publique ont été réduits de 30% à 40%, les pratiques mafieuses se multiplient… aussi sous prétexte de crise. On m’a rapporté qu’un tel, vétérinaire d’État, ne délivre pas de certificat de conformité aux éleveurs, faisant logiquement suite à l’abatage de leurs bêtes sans… percevoir un bakchich, allant parfois de 20€ à 30€ par tête… animale abattue, et pourtant tout se déroule en respectant les normes les plus strictes.”

“Les confrères, aussi fonctionnaires en sont décidément outrés, seulement, l’intéressé appartient à un large réseau politique local… réellement très existant, l’amoralisme et le cynisme en plus. Ceci explique aussi cela, et les honnêtes gens alors se tairont encore et toujours. Je fais mon travail comme je peux, je ferme les yeux ou plutôt je fais semblant, je ne me mêle pas aux ‘affaires’ et encore moins aux magouilles. Enfin, nous sommes pour l’instant normalement et régulièrement rémunérés, contrairement à ceux du secteur privé. C’est déjà une sécurité. Et c’est aussi la vie, sans espoir, sans renouveau, sans goût ! Le pays ne s’en sortira plus.”

Synchronies, tempêtes passagères et ainsi… vérité enfin tangible. En Thessalie Occidentale, sous les montagnes du Pinde, on y lave encore tapis, couettes, draps et couvertures presque à l’ancienne, aux quelques lavoirs de rivière subsistants. Beauté, clarté, et souvent lucidité, pour ce qui en sort des discussions engagées. La Grèce en immersion complète. Lavage aussi complet garanti !

Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Près du lavoir. Thessalie Occidentale, août 2017

En Thessalie toujours, la presse régionale (à l’instar du quotidien historique “Elefthería” de sa capitale, Larissa), titrera… sur les “Nouveautés en taxes et impôts à découvrir à la rentrée”, et à acquitter avant la fin de l’année. Rien de très extraordinaire il faut dire. Mais entre Grecs, la spontanéité des discussions estivales engagées entre vacanciers et résidents (près des plages comme dans les montagnes), est définitivement sortie des pseudologies des faits et gestes prétendument “politiques”. L’été étant déjà un “ailleurs” dans un sens, crise ou pas.

Fort honorablement, le même quotidien dans sa ‘Une’, il rapporte aussi cette si bonne nouvelle: “Près de Makrychori (au Nord de Larissa), les vestiges d’une localité récemment découverte avait été habitée vers 5.300 avant notre chronologie. Les fouilles archéologiques se poursuivent. Dans une couche datant de la période de l’Helladique récent, nous avons découvert une demeure où sous son sol, un très jeune enfant avait été inhumée, tandis que la construction avait été habitée par la suite et cela sur plusieurs générations.” Autres temps !

Mais aujourd’hui, nous sommes inlassablement traversés par une époque coulée, coulante et ainsi collante. À Trikala, chef-lieu de l’ex-département homonyme (les départements ont été supprimés en Grèce suite à la réforme jugée “nécessaire”, initiée par la Troïka et par ses serviteurs Grecs lors du premier mémorandum à l’automne 2010), le Syrizisme local a co-organisé en ce début août, une opération de promotion politico-médiatique de sa députée européenne et européiste Konstantína Koúneva (originaire de la Bulgarie voisine, lâchement et sauvagement agressée en 2008 par des inconnus, probablement en lien avec son action de syndicaliste).

La ‘Une’ du quotidien “Elefthería” de Larissa. Août 2017

La députée a voulu… ainsi célébré le renouvellement en CDI d’un certain nombre de contrats des femmes de ménage travaillant à l’hôpital public de Trikala. “Elle se fout très largement de notre gueule cette femme, elle touche ses seize mille euros par mois de l’eurodéputée, puis, elle vient soi-disant soutenir nos faibles d’ici”, pouvait-on entendre en ville, dialogues entre passants, très exactement à la vue des affiches que SYRIZA y avait placé pour promouvoir l’événement, “suivi d’un concert de musique grecque donné dans la cour de l’hôpital”.

Et comme prévu… ce fut le vide total. Les musiciens abattus, très probablement rémunérés trois sous, se produisant devant un public de… fauteuils en plastique quasiment vides. Belle musique populaire pourtant, chansons de la gauche et autant de jadis. Du Theodorakis qu’une vielle dame Syriziste reprenait alors avec penchant… le tout, dans un certain situationnisme de la diagonale du vide politique comme ontologique. Le pays (et sa gauche) n’est plus, sauf alors pour le ridicule en images.

En face de l’hôpital de Trikala et en même temps, sur les terrasses des cafés et des tavernes, l’autre public y était en tout évidence plus nombreux… car en train de suivre un match de football, l’équipe d’Olympiakós du Pirée y jouait.

Événement… organisé par SYRIZA à l’hôpital de Trikala. Août 2017
Le même soir… en suivant le match de football. Tríkala, août 2017
Commerçant sceptique et ‘son’ animal adespote. Athènes, août 2017

Société du spectacle, plus certaines vérités évidentes. Pendant qu’à Athènes les commerçants se montrent sceptiques, chez ceux rencontrés dans les montages du Pinde, la colère qui en ressort est plus claire et plus limpide que jamais: “Les politiciens ont tous trahi, le pays est vendu, les jeunes sont partis, nos villages sont vides et nos écoles se ferment les unes après els autres. La Grèce n’est plus”, voilà pour les témoignages à chaud… sous les platanes.

D’autres montagnards se montrent au contraire plus modérés: “Nous en avons vu bien d’autres, nos parents et nos grands-parents surtout. Alors patience…”. Oui, patience. En Crète, certains agents de l’aéroport d’Héraklion ont récemment perçu une partie de leurs salaires en… bons d’achats, pratique illégale et néanmoins réellement existante (presse grecque du 7 août 2017) . Ainsi… et certes patience.

Sauf que depuis les montagnes grecques, Il est cependant possible de prendre plutôt de la hauteur et de la distance par rapport à la trivialité ambiante. On s’y attardera volontiers par exemple devant ces grottes transformées en chapelles, car au royaume des montagnes du Pinde, les moines Orthodoxes ont très historiquement investi ces cavernes propices au recueillement. Ces cathédrales de roches où trônent des fresques, à mi-chemin entre la peinture naïve et l’iconographie byzantine, ont toutes leurs légendes et leurs secrets.

Grotte transformée en chapelle. Thessalie Occidentale, août 2017
Gare… en ruine et sans train. Thessalie Occidentale. Août 2017
Fresque à l’intérieur d’une chapelle. Thessalie Occidentale, août 2017

Comme autant à la vue de cette gare en ruine, construite entre 1938 et 1939. Les voies ferrées n’ont jamais été posées, le train n’est jamais arrivé jusque là. Encore une des modernisations du siècle dernier en Grèce, définitivement stoppées par la Deuxième Guerre mondiale.

Chemin faisant, on se rend parfois compte que le souvenir de ceux qui appartiennent définitivement au passé, est parfois évoqué à travers les récits des habitants actuels (lesquels ne sont plus permanents): “Regardez cette photo prise ici-même en 1930, devant la demeure d’une famille puissante et riche aux normes de l’époque. De cette si belle maison, il ne reste actuellement que l’entrée externe, tout le reste, comme pratiquement le village dans son ensemble a été brûlé par les Allemands en Octobre 1943. Les habitants avaient fuit se cachant dans la montagne, ensuite, notre village a été partiellement reconstruit, mais seulement plusieurs années après.”

“Nous, descendants des anciens des années 1940, nous y demeurons désormais uniquement durant l’été. Nos familles, elles sont alors éparpillées entre Athènes, Larissa, Trikala, Thessalonique, voire même l’Australie. Nos retrouvailles, entre juillet et août, incarnent surtout le moment le plus heureux et le plus attendu de notre existence durant toute l’année. Nous en sommes fiers… même si cela ne dure que deux à trois mois par an.”

“Regardez cette photo, prise en 1930…” Thessalie Occidentale, août 2017
“Seule l’entrée extérieure a été conservée.” Même endroit, août 2017
Vieillard au village. Thessalie Occidentale, août 2017

Temps actuel. Les medias évoquent toujours pêle-mêle, la ruée vers les plages, les incendies du moment, ou sinon “l’effondrement” des droits des travailleurs: “Les plus anciens des employés sont actuellement licenciés à la pelle. Chaque employé ainsi renvoyé est remplacé par deux jeunes payés au mieux 350€ par mois chacun, pour un travail à temps plein et sous un contrat dit ‘révocable’. Il arrive parfois que même ces salaires de misère ne soient pas versés normalement.”

“Pourtant, les jeunes employés ne disent souvent rien, ils ne se plaignent pas, ils acceptent leur sort ; ils sont beaucoup plus dociles que les ainés. La Grèce connait déjà ce nouveau régime du Moyen-âge… des travailleurs. Le recul en quelques années (y compris sous SYRIZA) est sans précédent”, représentant de la Confédération Générale des Travailleurs Grecs – GSEE, interviewé en direct (Radio 90.1 FM, le 8 août 2017, zone matinale).

Dans ces montagnes du Pinde on s’y baigne parfois. Thessalie Occidentale, août 2017

Sauf que dans ces montagnes on s’y baigne parfois le temps d’un été, histoire de se purifier comme on aime le dire parfois. Chômeurs, travailleurs, éleveurs, ainsi que les rares voyageurs éclairés s’y retrouvent pour ainsi dire loin, si loin des villes. Loin également de la ruée vers les plages, Guy Debord aurait peut-être apprécié ce… situationnisme.

Synchronies toujours et tempêtes passagères. Nos animaux adespotes (sans maître) se disputent imperturbables le charme d’une femelle par exemple. C’est aussi de saison. Août 2017. Temps actuel. Lavage complet !

Nos animaux adespotes se disputent… Athènes, août 2017
* Photo de couverture: Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Sur les réfugiés semaine 32

10/8/17 L’Espagne pourrait dépasser la Grèce en arrivées de migrants par mer http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-espagne-pourrait-depasser-la-grece-en-arrivees-de-migrants-par-mer_1934562.html

9/8/17  Les réfugiés afghans en Allemagne ne seront plus renvoyés dans leur pays pour des raisons de sécurité http://french.china.org.cn/foreign/txt/2017-08/09/content_41381158.htm

9/8/17 Les regroupements familiaux des réfugiés freinés en Grèce https://www.euractiv.fr/section/migrations/news/les-regroupements-familiaux-des-refugies-freines-en-grece/

Derrière le «modèle» économique allemand, des milliers de précaires

Par Amélie Poinssot publié sur Mediapart

Des chômeurs devenus « assistés sociaux »

Bochum est particulièrement représentatif de cette dynamique inégalitaire. Ici, au cœur d’une Ruhr qui fut terre de charbon puis poumon de la production industrielle allemande, les grandes entreprises sont parties ces dernières années, tout comme les mines avaient fermé quatre décennies plus tôt. Nokia a déserté les lieux en 2008, Opel a arrêté sa chaîne de production fin 2014. Rien que cela, avec toutes les entreprises qui gravitaient autour, c’est un bassin de 50 000 emplois qui a disparu, estime la députée Die Linke (gauche) de la circonscription, Sevim Dagdelen. Laquelle souligne au passage que Nokia faisait 17 % de bénéfices quand elle a décidé de délocaliser en Roumanie… « Aujourd’hui, le taux de pauvreté à Bochum est de 18,7 %. Ce n’est plus une politique sociale que nous avons dans la Ruhr, mais une politique de pauvreté, dénonce la parlementaire (que Mediapart avait également interviewée au sujet des relations Allemagne-Turquie). On compte une expulsion de logement tous les deux jours. Les SDF sont de plus en plus nombreux. Dans un pays aussi riche que l’Allemagne, c’est un comble. »

La production automobile allemande est désormais resserrée autour de quelques grands sites, qui réalisent conception et assemblage tandis que les pièces sont fabriquées en Pologne, République tchèque, Slovaquie. Les nouveaux investisseurs ne prennent pas le chemin de Bochum ; le taux de chômage y reste supérieur à la moyenne nationale. Dans cette ville de quelque 380 000 habitants, environ 40 000 foyers vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.

« Le premier facteur de risque de se retrouver “Hartz IV” est le manque de diplômes : 75 % de nos allocataires n’ont aucune qualification, explique Franck Böttcher, le directeur du Jobcenter de Bochum. Le marché du travail ici ne peut plus absorber cette main-d’œuvre. Aujourd’hui, 85 % des salariés de la ville sont des travailleurs qualifiés. » Bochum, poursuit le fonctionnaire, se caractérise désormais par un chômage structurel de longue durée qui touche la moitié des plus de 18 000 chômeurs que compte la ville. « Depuis le jour où elles ont perdu leur emploi, ces personnes n’ont jamais retrouvé une activité. C’est préoccupant. »

Franck Böttcher pense que les réformes Hartz ont permis de ramener des chômeurs vers le monde du travail mais il est bien en peine, au bout du compte, de défendre ce système pour lequel il travaille. Il reconnaît que la quantité de travail n’a pas augmenté ces dernières années dans l’économie allemande, que seuls des emplois à temps partiel se sont développés. Et que le passage de l’indemnisation chômage à l’allocation Hartz IV est extrêmement brutal, entraînant pour les personnes concernées une chute de revenu considérable.

« Les réformes Hartz ont été dévastatrices en termes de pauvreté, insiste Hadrien Clouet. On est passé d’une logique d’assurance à une logique d’assistance généralisée. Les chômeurs Hartz IV ne sont plus des ayants droit mais des récipiendaires de la charité publique ; autrement dit des assistés sociaux. » Des assistés sociaux pour qui il est extrêmement difficile, voire impossible, de réintégrer le monde du travail à plein temps.

Ralf Lang en sait quelque chose. Cet homme de 58 ans a passé cinq années comme Hartz IV. Il fait partie de cette catégorie de gens diplômés également touchés par l’appauvrissement généralisé. Lucide et posé, il raconte son parcours, ses tentatives de reconversion, ses échecs, ses efforts pour ne pas se laisser enfermer dans la catégorie des Hartz IV. « Au bout d’un moment, votre vie sociale s’appauvrit. Vous finissez par ne plus voir que des gens comme vous. Vous n’allez plus au cinéma, vous priez pour que votre frigo ne tombe pas en panne, vous ne vivez plus qu’avec ce que vous avez déjà… » Ralf finit par rebondir en s’engageant en politique. Aujourd’hui élu municipal à Bochum sous l’étiquette Die Linke, il s’en sort avec une indemnité d’élu de 1 000 euros par mois. Il ne cotise pas pour la retraite et doit s’acquitter lui-même de son assurance santé. Mais mieux vaut cela que revenir en arrière : « Je suis soulagé de ne plus subir la pression du Jobcenter. Les employés exerçaient des contrôles permanents sur ma vie privée. Avoir une copine qui travaille, par exemple, vous empêchait de toucher l’allocation ! »

Outre l’allocation égale pour tous de 409 euros, les Hartz IV ont droit théoriquement à une allocation logement ainsi qu’à une allocation couvrant les charges de leur appartement, et parfois même à d’autres prestations suivant leur situation familiale. Mais si l’on en croit Anton Hillebrand, juriste à la retraite, aujourd’hui à la tête d’une association de bénévoles à Bochum qui vient en aide aux bénéficiaires des aides sociales, les droits des chômeurs ne sont pas toujours respectés. « Très souvent, les situations individuelles ne sont pas bien évaluées par le Jobcenter, explique cet homme, la main sur un pavé d’un millier de pages – le code allemand du travail social. Les textes sont extrêmement complexes et les gens ne connaissent pas leurs droits. Depuis la création de notre association en 2006, environ 1 500 personnes sont venues nous voir. Nous avons réussi à faire réévaluer leurs allocations dans 60 % des cas. »

Anton Hillebrand évoque le labyrinthe administratif dans lequel se perdent les allocataires, montre une armoire débordant de dossiers. « Depuis 2005, le nombre de recours pour non-respect des droits sociaux a explosé en Allemagne. Les lois Hartz ne sont pas seulement un échec politique ; c’est un échec juridique. Je ne comprends pas pourquoi les Allemands ne manifestent pas contre ce système. »

Mais comment trouver le ressort pour protester lorsque son sort est suspendu à une maigre allocation et que le moindre écart peut conduire à sa réduction, voire sa suspension ? Tanja Uhr, allocataire Hartz IV et mère célibataire de trois enfants, n’en veut pas particulièrement à l’administration. Elle trouve le personnel plutôt « compréhensif ». Elle se sent simplement coincée. Depuis qu’elle est séparée de son mari, elle veut absolument trouver un emploi. Mais les horaires de l’école maternelle (le Kindergarten), où sa cadette va tous les matins de 8 h 30 à 11 h 30, l’empêchent de travailler, même à temps partiel. Pourtant elle est prête à accepter tout ce que le Jobcenter de Bochum lui propose : fabrication de sandwichs, petite main dans une usine de chocolat, ménage dans un hôtel… « À chaque fois, les horaires demandés sont impossibles pour moi. » Elle attend avec impatience l’an prochain, quand sa fille aura cours l’après-midi. Alors, elle trouvera peut-être plus facilement du travail.

À Berlin, Gustav Horn, à la tête de l’IMK, l’Institut pour la macroéconomie et la recherche conjoncturelle, est très sceptique sur le bilan des réformes Hartz. « Ce système pousse les chômeurs à retrouver très vite un emploi, quel que soit le niveau de salaire, afin de ne pas basculer dans la catégorie des Hartz IV. C’est un système qui repose sur la peur et la pression. Tout cela n’est pas sans répercussion politique. Il y a aujourd’hui énormément de frustration accumulée dans la société allemande, même si elle ne s’exprime pas dans la rue comme dans d’autres pays. Il faut sans doute voir dans la montée du populisme d’extrême droite le résultat de cet agenda 2010. » L’AfD (Alternative für Deutschland), parti nationaliste et europhobe, est parvenu ces dernières années à se faire élire à la plupart des parlements régionaux de la République fédérale. En septembre, il pourrait faire sa première entrée au Bundestag.

 

Grèce : À Tilos, un îlot d’humanité dans un continent cadenassé

5/8/17 Par PAVLOS KAPANTAIS Humanité Dimanche

Meisoun, Mohamed et leurs enfants sont arrivés de Syrie en février. Aujourd'hui, Meisoun travaille, souriante et ravie.Meisoun, Mohamed et leurs enfants sont arrivés de Syrie en février. Aujourd’hui, Meisoun travaille, souriante et ravie.

C’est l’histoire d’une petite île grecque perdue quelque part dans la mer Égée. Avec à peine 500 habitants, Tilos a décidé de devenir le havre de ceux qui ont dû quitter leur patrie pour rester en vie. Reportage.

Maria Kamma, 47 ans, est la maire et l’âme de Tilos. Débordante d’énergie, enthousiaste et pleine d’humour, elle dégage une impression de volonté inébranlable. Élue en 2014, elle a déjà laissé une trace indélébile sur la vie de l’île. Encartée au Pasok (parti socialiste grec) depuis plus de vingt-cinq ans, elle force le respect de tous, même ceux qui pourraient la voir comme une adversaire politique. Les quelques militants de Syriza qui vivent sur l’île la saluent d’un simple « camarade ». Mais tout ce que fait Maria s’inscrit dans la tradition de solidarité des habitants de Tilos.
 

Cela fait maintenant sept ans que l’île reçoit un flux de réfugiés plus ou moins constant. Les premiers arrivent en 2010. Parmi eux, Nima, un Afghan de 15 ans à l’époque. Aujourd’hui âgé de 22 ans, il habite toujours à Tilos. C’est Maria qui l’a invité pour qu’il raconte son histoire. En arrivant, ils s’embrassent comme deux membres d’une même famille. Nima a tout de quelqu’un d’heureux. Sourire aux lèvres, il raconte son histoire : en 2010, il arrive à Lesbos depuis la Turquie, puis part pour Athènes. Là, tandis qu’il se cache dans des taudis, il rencontre un autre Afghan qui lui parle d’une île où il « sera accueilli comme s’il était un d’entre eux ».

Au début, Nima voulait aller en Norvège ou en Suède. Mais il a préféré Tilos, « un endroit magique » .

Au début, Nima voulait aller en Norvège ou en Suède. Mais il a préféré Tilos, « un endroit magique » .
 
Jusque-là, Nima rêvait d’aller en Suède ou en Norvège. Mais, épuisé par son voyage et coincé à Athènes dans une chambre qu’il partage avec 18 autres personnes, il se laisse convaincre et décide de tenter sa chance à Tilos. Les deux compagnons de route y partent le jour même. Dès leur arrivée, ils y rencontrent une autre famille de réfugiés afghans logés chez des locaux. « Au début, je leur demandais de me cacher. Je n’arrivais pas à croire que ma présence ne posait problème à personne. » Quelques jours plus tard, Nima ose enfin sortir et se balader dans le village. Il sera immédiatement pris en charge. Pendant un an, il suivra des cours de grec intensif tout en assistant à quelques cours avec les autres enfants du village.

Maria n’était pas encore la maire, mais son prédécesseur, Tasos Aliferis, aujourd’hui décédé, était dans la même logique. Nima nous raconte : « Pendant l’année scolaire, deux fois par semaine, le maire venait me chercher après l’école pour me faire rencontrer les habitants de l’île. Au bout de quelques mois, je connaissais déjà tout le monde. Une fois l’année scolaire terminée, je parlais déjà assez bien le grec. On m’a proposé de travailler dans un des restaurants du village. J’ai accepté. » Son travail est déclaré et rémunéré normalement. Il vient d’avoir 16 ans et fait désormais pleinement partie de la société locale. On est en 2011. Jusqu’à aujourd’hui, il ne partira de l’île que pour trois mois, le temps de passer par Athènes et de se « rendre compte à quel point Tilos est unique ». Dans la capitale, il reçoit une offre d’emploi d’une ONG pour être interprète auprès de réfugiés et d’immigrés fraîchement arrivés en Grèce. Mais il choisit l’île. « Tilos est un endroit magique », lance-t-il avec un large sourire.

Quatre ans après l’arrivée de Nima, le flux de réfugiés va s’intensifier du jour au lendemain. C’est désormais Maria qui doit tout organiser pour que l’île puisse y faire face sans y perdre son âme. Le challenge est de taille : en 2014, comme en 2015, Tilos va à plusieurs reprises accueillir le double de sa population en l’espace de quelques jours…
Parmi ceux qui seront en première ligne, il y a aussi Eleni Pissa, aujourd’hui responsable du « centre d’accueil pour familles vulnérables » de l’île. Regard pétillant et sourire malicieux, Eleni se souvient. Tout a commencé un matin de printemps en 2014. Se rendant à son magasin, elle a « vu un grand groupe de Syriens qui venaient d’arriver. Ils avaient le regard de ceux qui ont longtemps côtoyé la mort. Ça m’a fait froid dans le dos. Tout de suite avec Maria, on a créé un groupe de volontaires pour voir comment les nourrir, les loger, leur expliquer leurs droits…. Les jours suivants, le flux augmentait, mais de plus en plus d’habitants venaient se déclarer volontaires pour aider »…
Ils décident de transformer un vieux camp militaire abandonné en centre d’accueil. Le conseil municipal approuve à l’unanimité. « On a d’abord organisé l’essentiel : mettre l’eau courante, l’électricité, remettre en état deux bâtiments abandonnés. Au départ, on ne disposait que de notre travail et des maigres moyens de la municipalité. » Quelques mois plus tard, l’ONG Solidarity Now, ayant entendu parler de leur initiative, leur rend visite et propose de les financer. Dix conteneurs sont installés et transformés en habitations autonomes. « À l’époque, nous fonctionnions en tant que centre de premier accueil. Mais, une fois que l’accord entre l’UE et la Turquie a été mis en place, le flux vers notre île s’est quasiment arrêté. Ce n’est pas pour autant qu’on ne voulait plus aider ! »
Dans le camp, on apprend le chant et la musique, les langues, on fait du dessin et parfois aussi du yoga.
 
Les habitants de Tilos se portent alors volontaires pour accueillir d’autres réfugiés. Maria Kamma nous raconte : « Quand j’ai appelé le ministère pour leur dire que l’on souhaitait qu’on nous envoie des familles réfugiées, ils ne m’ont pas vraiment crue, ajoutant que notre île était tellement petite que cela n’était pas nécessaire ! Mais on a insisté. » L’idée est lancée de transformer le camp de premier accueil en camp pour les « cas vulnérables », c’est-à-dire les familles avec de nombreux enfants en bas âge et sans moyens. Idée acceptée avec enthousiasme par les locaux, et approuvée de nouveau par le conseil municipal à l’unanimité. Le camp est placé sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
C’est ainsi que les premières familles arrivent des quatre coins de la terre à la fi n du printemps 2016. « Dès le début, notre but a été de les intégrer, pas juste de les nourrir et de les loger », explique Eleni. Sont mis en place immédiatement des cours de grec et d’anglais pour les enfants et les adultes. « S’ils restent en Grèce, à Tilos ou ailleurs, le grec leur sera nécessaire, et l’anglais plus qu’utile. S’ils partent vers d’autres pays européens, au moins, ils auront appris l’anglais, ce sera pour eux un atout. » C’est dit avec une facilité déconcertante, mais tous les habitants du camp le savent : s’ils veulent rester sur l’île pour toujours, ils sont les bienvenus ! Cette attitude unique amènera de nombreux volontaires de passage ainsi que le soutien officiel du gouvernement.
Entrer dans le centre d’hospitalité de Tilos, c’est un peu rentrer dans une colonie de vacances où les tentes seraient remplacées par des conteneurs. Des enfants souriants courent à droite et à gauche et s’amusent d’un rien. Outre les langues, dans le camp, on enseigne le chant et la musique, on fait du dessin, de la peinture et parfois aussi du yoga. Les enfants jouent aussi au foot avec ceux de l’équipe locale. Une grande partie de ces activités sont spécialement conçues pour aider enfants et adultes à dépasser les traumatismes parfois très profonds qu’ils portent en eux. Et puis, aussi, on essaie de trouver un travail à tous ceux qui le désirent.
 

En tout, 46 Syriens sont logés dans le camp, dont 26 enfants de moins de 15 ans. Certaines familles ont déjà reçu l’asile, d’autres l’attendent. Meisoun, son mari Mohamed et leurs cinq enfants âgés de 3 à 11 ans sont arrivés en Grèce, début 2016, et au camp de Tilos en février 2017. Ils ont quitté la région de Dara en Syrie où ils vivaient pour échapper à la guerre, comme toutes les familles du camp. Candidats à l’asile à leur arrivée, ils ont reçu le statut de réfugiés il y a quelques semaines et savent, désormais, qu’ils ne seront pas expulsés.

«Il faut trouver un travail pour ceux qui veulent. Pour les femmes, c’est une émancipation.» Eleni, responsable du centre d’accueil

En Syrie, Meisoun avait toujours été femme au foyer. À Tilos, elle a décroché son premier travail rémunéré : femme de chambre dans un hôtel local. Eleni lui a demandé si elle voulait travailler et gagner ainsi de l’argent. Après en avoir discuté avec son mari pendant deux jours, elle a accepté. « Cela a été extrêmement difficile pour moi au tout début. Mais, en fait, ça va ! C’est même très bien ! » dit-elle avec un large sourire. En tout, 7 adultes sur 20 ont un travail sur l’île.
Pour la plupart des femmes, c’est la première fois. « C’est très important de trouver un travail à ceux qui le veulent, explique Eleni. Pour les hommes, c’est un peu un retour à la normalité. Pour les femmes, une émancipation et une introduction aux mœurs européennes. »
Trois des huit familles du camp pensent très sérieusement s’installer à Tilos. Comment trouver des emplois à tous ? Maria a déjà une solution. « Notre île est réputée pour son fromage traditionnel de chèvre. Il faut qu’on ouvre une coopérative et que tous ceux parmi les réfugiés qui veulent en devenir membres/actionnaires puissent le faire. Cela donnera du travail à tous et on produira assez de fromage pour que vous autres (tous ceux qui ne vivent pas à Tilos ­ NDLR) puissiez en profiter aussi ! » conclut-elle, en s’esclaffant.

 Quand on lui fait remarquer à quel point son attitude et celle de toute l’île sont exceptionnelles, elle soupire. « Nous ne sommes pas des êtres exceptionnels. Nous avons juste fait le strict nécessaire que nous impose notre humanité commune. » Dans le climat européen actuel, c’est déjà une révolution.

 
LA RENOMMÉE D’UNE ÎLE
 
Peuplée d’à peine 500 habitants, l’île de Tilos défraie la chronique depuis longtemps. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est une des très rares à pouvoir encore nourrir sa population malgré l’occupation allemande. Elle va accueillir nombre de réfugiés locaux, venus des îles voisines où régnait la famine. Au lieu de voir ces nouveaux venus comme un danger, les habitants de Tilos vont utiliser les bâtiments vides pour les accueillir et les intégrer. En 2007, le maire y a célébré le premier mariage homosexuel de l’histoire de la Grèce. Il sera annulé par les tribunaux, un mariage entre personnes du même sexe n’étant alors pas reconnu par la législation. Mais cet acte va lancer le débat qui amènera au changement de la loi en 2015. En juin 2017, Tilos a reçu deux prix de la part de la Commission européenne : le premier prix dans la catégorie « îlots énergétiques » des prix européens de l’énergie durable, ainsi que le prix du public. Elle est à deux doigts de devenir la première île grecque indépendante énergétiquement, après avoir fortement investi dans les énergies renouvelables, solaire et éolienne ces dernières années.

Grèce : Projet Gold à Skouries

05/08/2017  La Grèce lance le coup d’envoipour le processus d’arbitrage sur le projet d’Eldorado Gold à Skouries :

Selon le journal web Keep Talking Greece :
« Eldorado Gold SA affrontera des fonctionnaires grecs devant un tribunal d’arbitrage plus tard ce mois-ci , alors que le gouvernement du pays considère le déménagement comme le moyen préféré de régler ses différences avec le mineur canadien. Le Ministre de l’Énergie George Stathakis a rencontré des représentants de l’unité locale Hellas Gold d’ Eldorado Gold SA à Athènes mercredi pour discuter du processus et des questions liées aux projets de la société minière dans le nord de la Grèce. Selon la déclaration du ministère , le processus devrait débuter à la fin Août, bien que la société ait fait remarquer qu’ elle n’a pas encore reçu notification formelle de la médiation imminente.
La licence pour Olympias est dans la phase finale, alors que les permis pour Skouries – les plus litigieux- sont en attente « Pour être clair, nous n’avons pas encore reçu un avis formel d’arbitrage et les permis demandés restent non émis « ,a déclaré dans un communiqué le président et directeur général d’Eldorado George Burns . « Nous continuons d’évaluer les dépenses en immobilisations et les délais de développement pour nos projets en Grèce. »
La société basée à Vancouver, qui exploite déjà la mine de Stratoni dans le nord du pays, a tenté de développer les projets de Skouries et d’ Olympias depuis des années, mais l’opposition locale et un va-et-vient en cours avec les autorités ont retardé les progrès.
Les plus grands différends entre la société et les autorités grecques gravitent autour des méthodes d’essai appliquées pour se conformer aux réglementations environnementales à Skouries, dont les autorisations finales sont encore en suspens. La semaine dernière, la société a déclaré que la production est maintenant ciblée pour 2020, ajoutant qu’elle avait passé en revue les dépenses en capital du projet.
La licence pour le projet Olympias de l’entreprise est dans la phase finale et Eldorado a dit qu’il prévoit de commencer la production de l’or, l’ argent, le zinc et la mine de plomb avant la fin d’ année. – via mining.com
Dans l’ opposition au projet, des membres de SYRIZA et des Grecs indépendants (ANEL) ont mené une lutte acharnée contre le projet en invoquant des raisons environnementales. En 2013, Eldorado Gold avait annoncé des retards dans leur projet grec. Cependant, les ministres de SYRIZA ont signé pour la poursuite du projet après la pression -habituelle- par les prêteurs du pays. »

 

Le mythe du succès des réformes sociales en Allemagne

Par Romaric Godin Publié sur Mediapart

Une des justifications principales des « réformes structurelles » est leur succès dans l’Allemagne du début des années 2000. Or bon nombre d’études confirment désormais que ces réformes portées par Gerhard Schröder ne sont pas à l’origine du « miracle économique allemand », déconstruisant un des mythes favoris des dirigeants français et européens. 

Les réformes Hartz de 2003-2005 en Allemagne sont une référence pour les dirigeants français qui, aujourd’hui, entendent réformer la France. Plus généralement, cette expérience a joué un rôle fondamental dans la décision des politiques européens d’imposer aux États les moins compétitifs de la zone euro des « réformes structurelles », afin de redresser leurs économies sur le modèle allemand. Progressivement, une narration s’est développée, celle d’une « Allemagne qui a fait les réformes nécessaires » et qui en était récompensée par une croissance forte et le plein emploi.

Emmanuel Macron a été un des plus intenses partisans de cette vision. Avant d’engager le conseil des ministres franco-allemand du jeudi 13 juillet, le président de la République a repris ce mantra : « Il y a des gagnants : l’Allemagne en fait partie parce qu’elle a su faire les réformes, et je salue les efforts qu’elle a faits », a-t-il répété dans une interview accordée à Ouest-France. Une remarque qui fait écho à une autre, sur la réforme en France : « La France doit réformer son économie pour lui donner plus de vigueur. » Comprenez : la France doit s’inspirer des réformes allemandes. Ce point de vue est, du reste, le fondement de la stratégie européenne d’Emmanuel Macron : donner à l’Allemagne le gage de mimétisme qu’elle attendrait pour la faire bouger, par ailleurs, sur l’évolution de la zone euro.

  Tony Blair et Gerhard Schröder, deux figures de la gauche « réformiste » du début des années 2000 © Reuters

Car outre-Rhin et en Europe, ces réformes font l’objet d’un consensus quasiment complet. Le candidat social-démocrate à la chancellerie Martin Schulz avait tenté d’aborder sa remise en cause, mais son effondrement dans les sondages a montré la force de ce consensus. Désormais, le patronat allemand et la droite conservatrice, jadis critiques sur « l’Agenda 2010 » de Gerhard Schröder, en sont devenus les plus fervents défenseurs et ont mené la contre-offensive face à Martin Schulz. Le ministre fédéral des finances, Wolfgang Schäuble, a ainsi fait l’éloge de ces réformes et les a présentées comme un modèle pour le reste de l’Europe. Dans la zone euro, les réformes inspirées de l’Allemagne sont, du reste, devenues les piliers de la politique économique de l’ensemble. La BCE appelle régulièrement France et Italie à s’en inspirer, et les grandes lignes des politiques imposées aux pays en crise par la troïka se sont fondées sur l’expérience allemande, dans la forme et dans la justification.

Il est vrai qu’en apparence la leçon est sans appel. En 2003, pour reprendre le titre célèbre d’une conférence donnée en novembre de cette année par Hans-Werner Sinn, à l’époque chef économiste de l’institut IFO, l’Allemagne était « l’homme malade de l’Europe ». Le chômage atteignait 11,2 % de la population active, selon les chiffres d’Eurostat en 2005, et la croissance était désespérément atone. Quinze ans plus tard, la croissance allemande s’est clairement renforcée et le pays est désormais en situation de plein emploi, avec un taux de chômage de 3,9 % de la population active. Comment ne pas croire que ce « miracle économique » n’est pas lié à la politique de réformes menée par le gouvernement de Gerhard Schröder entre 2002 et 2005 ? Et pourtant…Plusieurs études reviennent sur cette apparente évidence depuis quelque temps pour en réduire la réalité. De plus en plus, le lien entre la « renaissance économique allemande » et les réformes Hartz semble ténu, sapant les bases du récit dominant parmi les élites européennes. Dernière étude en date : celle du Center for European Reform (CER), un think tank pro-européen basé à Londres, intitulée « Le mythe Hartz ». D’après cette étude, « l’impact économique des réformes Hartz a été modeste ». Ses conclusions confirment un texte de février 2014, publié par quatre économistes allemands, qui affirmait que « les réformes Hartz n’ont joué aucun rôle essentiel » dans le redécollage économique de l’Allemagne et son retour au plein emploi. L’institut IMK, proche des syndicats allemands, avait aussi dès 2010 tracé la voie. 

Le "miracle économique" allemand :
              croissance, chômage et comptes publics © CER Le « miracle économique » allemand : croissance, chômage et comptes publics © CER

Qu’était-ce que ces réformes Hartz ? Regroupées en quatre lois, ces réformes ont d’abord réduit le coût des systèmes sociaux et permis une baisse des cotisations des entreprises. Elles ont ensuite favorisé la flexibilité du marché de l’emploi avec le développement de l’auto-entrepreneuriat (les « Ich AG », littéralement « Moi SA »), la facilitation des « minijobs », la réduction des entraves au licenciement pour les très petites entreprises. Enfin, elles ont incité les chômeurs de longue durée à reprendre un emploi en réduisant la durée d’indemnisation et en durcissant les conditions d’obtention des aides sociales. C’est la fameuse loi « Hartz IV », qui avait provoqué une vague de protestations dans toute l’Allemagne.

L’auteur du rapport du CER, Christian Odendahl, considère que ces réformes ont eu principalement trois effets. Le premier est la « fluidification » du marché du travail allemand qui, selon certaines études, a apporté une baisse de 1,5 point du taux de chômage. Le second est une augmentation de l’emploi des plus âgés. Tout cela ne saurait cependant expliquer le succès économique allemand. Et pour cause : « Les raisons du rebond économique allemand à partir de 2004 résident ailleurs », explique l’économiste.

L’essentiel est dû à trois raisons, indépendantes des réformes Hartz. La première est peu connue, mais importante et soulignée par Christian Odendahl : le secteur de la construction s’est stabilisé à partir de 2004, après une forte baisse à la suite de la réunification. Or « environ un tiers du déficit de croissance de l’Allemagne s’expliquait par ce seul secteur », indique la note. Un secteur très riche en emplois. On pourrait y ajouter  le développement du secteur des soins à la personne, dans la foulée d’un vieillissement, plus avancé qu’en France, de la population, secteur qui a créé beaucoup d’emplois ces dernières années.

Les effets de la croissance émergente sur la
              croissance allemande © CER Les effets de la croissance émergente sur la croissance allemande © CER

La deuxième raison est bien connue, c’est l’explosion de la demande émergente, notamment chinoise, en produits allemands. Car le décollage des pays émergents a entraîné une demande massive de biens intermédiaires, nécessaires à l’équipement des nouveaux « ateliers du monde ». Or l’Allemagne, bien avant les réformes Hartz, disposait déjà d’une avance et d’une réputation de qualité unique sur ce marché.

Cette avance, et c’est là la troisième raison, a été renforcée par un effet coût s’expliquant avant tout par une forte modération salariale. Or, et c’est un fait intéressant montré par l’étude du CER et le texte de 2014, cette modération salariale ne s’explique pas par les réformes Hartz. Elle a ainsi débuté dans les années 1990, sous la pression des délocalisations massives de l’industrie allemande vers l’ancien bloc de l’Est. En réponse à cette menace et compte tenu de l’importance du chômage alors, les syndicats ont choisi de prioriser l’emploi sur le salaire, grâce à des accords d’entreprise permettant de déroger aux accords de branche.

Cette pratique existait toutefois avant les réformes Hartz. Elle était simplement balbutiante au début des années 1990. En 1993, souligne Christian Odendahl, 600 000 travailleurs étaient touchés par ces accords, contre 7 millions de travailleurs en 1998. « En conséquence, les salaires réels ont commencé à ralentir doucement depuis le milieu des années 1990, pas depuis les réformes », conclut-il. Certes, par la suite, les réformes Hartz ont pesé davantage sur les bas salaires, mais l’essentiel du mouvement s’explique par une évolution de la culture d’entreprise allemande, où la fin des participations croisées a créé une pression sur la rentabilité des entreprises. Un mouvement qui « était presque achevé » en 2003, indique la note du CER.

Un mythe qui s’est imposé en dépit des faits

Cette note souligne, du reste, avec raison, que cette modération salariale a été à double tranchant et qu’elle n’a pas été un élément absolument déterminant de la croissance allemande. Cette modération salariale a en effet pesé sur la demande intérieure et a contribué à gonfler l’excédent d’épargne de l’économie allemande, qui a alimenté les bulles à l’origine des crises de 2007 et 2010, lesquelles, en retour, ont affaibli la croissance outre-Rhin. Mais les réformes Hartz ont-elles permis à l’économie allemande de mieux résister aux crises, notamment sur le plan de l’emploi ? Là encore, la réponse est plutôt négative. Christian Odendahl souligne que l’Allemagne a bénéficié en 2010 de la forte reprise de la demande mondiale, alimentée par le plan de relance chinois (une situation proche de celle d’aujourd’hui). Entre-temps, l’emploi a résisté surtout grâce au Kurzarbeit, autrement dit à un chômage technique subventionné par l’État et que les entreprises allemandes ont alors plébiscité par crainte de perdre de la main-d’œuvre qualifiée devenue rare.

Christian Odendahl rappelle enfin combien il convient de relativiser le « miracle de l’emploi allemand », qui s’apparente moins à une augmentation du volume de travail qu’à un partage renforcé de celui-ci.  « Les heures travaillées ont retrouvé seulement récemment leur niveau du début des années 1990 », indique la note, alors que la population active a progressé de 4,5 millions depuis 2003 et atteint des niveaux records aujourd’hui. L’emploi créé est donc principalement partiel, ce qui pose un vrai problème d’inégalité sociale et de pauvreté. L’institut IMK met régulièrement en garde contre le phénomène croissant des travailleurs pauvres outre-Rhin. Relativiser ce miracle, c’est aussi rappeler que, à cause de ces réformes, l’Allemagne a un problème de ralentissement de la productivité et voit ses inégalités se creuser, deux éléments qui pèsent sur le potentiel à moyen et long terme de l’économie. Ces éléments ne peuvent être oubliés au nom d’un miracle statistique qui ne s’explique pas par les réformes.

Heures travaillées et emploi en Allemagne. © CER Heures travaillées et emploi en Allemagne. © CER

Bref, porter aux nues les « réformes Hartz » et en faire un modèle paneuropéen de prospérité et de croissance participe bien plutôt du mythe que de l’analyse économique. En guise de conclusion, Christian Odendahl souligne combien l’expérience allemande relève de la « chance ». Ce n’est sans doute pas là le seul motif, dans la mesure où il y a eu un mouvement raisonné issu de la culture d’entreprise allemande et où la particularité économique de l’Allemagne a pu offrir au bon moment au monde émergent un potentiel industriel qu’elle avait su préserver. Mais il y a là aussi une part de vérité : l’expérience allemande a bénéficié d’une succession d’événements qui ont dissimulé et atténué les aspects négatifs d’une politique de réforme. Il est impossible de construire une politique économique dans un autre pays fondée sur une telle expérience, qui mêle à la fois des aspects typiquement allemands à de la « chance ».

La note du CER rappelle ainsi quelques fondamentaux pour mener une politique de réforme et notamment celui de prendre garde à ne pas réformer le marché du travail en période de consolidation budgétaire. « L’Allemagne a été très chanceuse que la demande externe vienne en 2006 à son secours », explique Christian Odendahl, qui prévient que « d’autres pays européens ne seront pas si chanceux ». On songe évidemment à la France, qui entre précisément dans cette double politique de réforme et de consolidation budgétaire, alors même que la capacité productive du pays est faible et que la demande mondiale, si elle se redresse, demeure encore fort éloignée de son rythme de 2006. Bref, le pari est à haut risque et il est illusoire d’avancer « l’exemple allemand » comme un précédent.

C’est pourtant une pratique courante qui rappelle la thèse sur les « narrative economics » de Robert Shiller, prix Nobel (ou plus exactement titulaire du prix de la Banque royale de Suède pour l’économie) en 2013. Shiller explique que les « narrations », les « histoires », autrement dit les « mythes », ont un impact économique puissant. « Le cerveau humain a toujours été très réceptif aux narrations, factuelles ou non, pour justifier des actions en cours, aussi basiques que de dépenser et d’investir », explique-t-il en introduction d’un article de janvier 2017 sur le sujet. Dans le cas des réformes Hartz, nous y sommes pleinement : l’adoption de ce mythe par les classes politiques allemandes et européennes a conduit – et conduit encore – à des erreurs de politique économique.

De ce point de vue, le mythe des réformes Hartz rappelle celui de la grande inflation. Comme l’avait montré, en 2013, l’historien britannique Frederick Taylor dans son ouvrage The Downfall of Money (éditions Bloomsbury), la peur de l’inflation avait été imposée par les perdants de 1923. Ces derniers, membres de la « bourgeoisie éduquée » (« Bildungsbürgertum »), « sont devenus une grande force qui forgera l’opinion au cours des trois quarts de siècle suivants », soulignait l’historien, qui ajoutait : « Ce phénomène joue un rôle important, peut-être crucial, dans la transformation de l’expérience de l’inflation – qui a été une expérience dure, mais supportable pour beaucoup – en une catastrophe nationale reconnue par tous. » En 1992, l’Allemagne a imposé un objectif unique d’inflation à la future BCE, au nom de sa crainte inflationniste, qui devait désormais être partagé par toute la zone euro. C’est donc la narration économique imposée en Allemagne qui, ensuite, avait été imposée à la zone euro dans l’organisation de la BCE, avec, là encore, de graves conséquences économiques. Aujourd’hui, un autre mythe venu d’Allemagne domine, celui des réformes. Plus que jamais, il semble donc urgent, pour mener un vrai débat économique, de se libérer de ces mythes qui forgent les politiques économiques.

Grèce. Le Pirée, un port chinois au cœur de l’Europe

Publié par Alencontre le 5 – août – 2017

Par Alexia Kefalia

Cosco, l’armateur pékinois, contrôle désormais l’ensemble des activités du plus grand port de Méditerranée. Il est à peine 7h30 et déjà la température flirte avec les 38°C, en ce matin de juillet sur le port du Pirée. La mer se charge de reflets dorés au gré du soleil levant. S’amorce alors le ballet de ferrys bondés de vacanciers, voguant vers les îles des Cyclades ou du Dodécanèse. Au loin, on aperçoit de luxueux bateaux, voiles au vent, évoquant ces clichés en noir et blanc de marins grecs immortalisés par le célèbre photographe américain Robert McCabe dans les années 1950.

Yannis ne s’attarde que quelques minutes sur cette vue idyllique, qu’il peut observer depuis l’embarcadère numéro 1 de la zone de fret du port mythique. Cet homme de 44 ans, au visage buriné, aux mains rocailleuses et à la carrure d’Hercule, est calier depuis plus de dix ans. Il fait partie des dockers qui escaladent les coursives des navires pour charger de marchandises les cargos. Un métier intenable dans la chaleur émolliente. «Quand il y a plus de 40°C, la direction m’autorise à quitter le travail à 10 heures, au lieu de 14 heures, mais je le rattrape en heures supplémentaires par la suite», lance-t-il. Au vu de la conjoncture, il se sent privilégié. Bien que son salaire ait été amputé il y a trois ans, il perçoit néanmoins 1550 euros par mois, soit deux fois plus que le salaire moyen du pays. «C’est bien mieux que mes collègues du 2, payés 50 euros par jour, qui n’ont pas droit aux heures supplémentaires et ne peuvent s’arrêter qu’entre 13 heures et 16 heures en période de canicule», poursuit-il.

Le «2», c’est l’embarcadère mitoyen du sien, racheté par les Chinois de Cosco en juin 2008. Il se distingue par ses grues bleues imposantes qui s’étalent sur un troisième embarcadère, récemment construit par la compagnie pékinoise. Aucun des employés de l’armateur chinois, dont 80% sont Grecs, ne se plaint de ses revenus, mais les dockers de l’embarcadère 1 en doutent. Ces derniers viennent pourtant, depuis un an, de passer aussi sous la bannière de Cosco. Le colosse chinois a, en effet, acquis l’intégralité du port du Pirée à l’Etat grec, dans le cadre du programme de privatisations. Le port de marchandises, le terminal des voyageurs et celui des paquebots de croisière, l’ensemble est passé sous contrôle chinois.

«Mais il faut distinguer les conditions de travail», assène Giorgos Gogos, secrétaire général du syndicat du port de fret. «Les employés du 2 et du 3 sont salariés de PCT, Cosco Pacific Limited. C’est une société différente de Cosco Holding, celle qui a racheté l’OLP, la société de gestion du port du Pirée en 2016. Nous relèverons peut-être tous de la maison mère, Cosco, à la fin, mais nous, au moins, nous gardons nos conventions collectives et nos salaires», souligne-t-il.

Les ambitions de «Captain Fu» 

Si Cosco semble avoir gagné la paix sociale avec les dockers grecs dont les mobilisations ont, à plusieurs reprises, totalement paralysé l’activité du Pirée, c’est parce que ses projets pour le port sont titanesques. D’ici au printemps 2018, le très emblématique «Captain Fu», président de PCT, voudrait avoir transformé les embarcadères des ferrys et bateaux de croisières. Le défi est de taille, car le Pirée est le plus grand port en nombre de visiteurs de la Méditerranée avec 16,5 millions de passagers, selon l’étude annuelle de l’Union des ports de croisière méditerranéenne (MedCruise). Il se classe devant Naples, Messine (Sicile), les Baléares (Espagne) et Split (Croatie). Fu Changqiu veut développer des hôtels, rénover les immeubles, des centres commerciaux, pour changer la physionomie du port et satisfaire les vacanciers, en croissance exponentielle.

Près de 1 million de visiteurs sont passés par le Pirée en 2016, soit 12% de plus qu’en 2015, et les chiffres de cette année semblent exploser. Quant aux touristes chinois passant par la Grèce, selon les prévisions des professionnels du secteur, leur nombre pourrait atteindre le million en 2021, contre 150’000 en 2016. De facto, mis à part certains dockers, qui – peut-être à juste titre – regrettent de voir les bénéfices du port aller dans d’autres caisses que celles de l’Etat grec, rares sont ceux qui contestent les ambitions des Chinois. «Leurs résultats sur le port de fret font foi, explique Petros Machas, avocat d’affaires associé à Yingke, le plus grand cabinet d’avocats de Pékin. L’activité des navires de marchandises a triplé en quelques années. Les bénéfices sur les terminaux 2 et 3 ont augmenté de 8,7 %, soit 31,4 millions de dollars.» Le transport en Europe s’accélère grâce aux lignes ferroviaires sur lesquelles Pékin investit. «Ce sont aussi des revenus pour l’État, insiste Petros Machas, parce que Cosco paye ses taxes et crée aussi des emplois.» Cet avocat travaille notamment avec les Chinois pour le rachat du distributeur d’électricité (Admie), mais se diversifie aussi dans les services et le tourisme. Comme beaucoup, Petros Machas voit une opportunité de sortie de crise pour son pays, grâce aux investissements de l’empire du Milieu, même s’il distingue les catégories d’investisseurs venus de Chine. «Il y a des entreprises chinoises qui sont, sans conteste, occidentalisées, disposent de conseillers européens et avec qui il est aisé de travailler. Mais il y a ceux, venus chercher des golden visas, qui souhaitent acheter un appartement et obtenir un visa européen.» Ces derniers ne sont pas familiers du «mode d’emploi occidental», pointe l’avocat. Certaines entreprises chinoises s’apprêtent d’ailleurs à construire des immeubles en Grèce, «pour vendre des appartements à leurs compatriotes désireux d’un visa», assure encore Petros Machas.

Tsipras, défenseur de l’empire du Milieu 

A Athènes, l’engouement des Chinois pour la Grèce est encouragé au plus haut niveau. Alexis Tsipras fait partie des grands défenseurs de l’empire du Milieu en Europe. Le Premier ministre grec est allé jusqu’à mettre son veto sur la déclaration commune du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui condamnait les abus du régime chinois. «N’oublions pas qu’Alexis Tsipras a fait ses classes chez les communistes et ne peut s’en éloigner totalement», estime l’un de ses détracteurs, sous couvert d’anonymat. Plus prosaïquement, le chef du gouvernement grec sait son pays étranglé par la dette (180% du PIB) et connaît le besoin vital d’investissement pour faire redémarrer l’économie, dont la valeur s’est contractée d’un quart en neuf ans.

D’ailleurs, la majorité des Grecs ne conteste pas les investissements chinois. Elle s’insurge plus contre les déclarations d’Angela Merkel à la presse allemande sur la collaboration entre la Chine et la Grèce. La chancelière s’interroge sur l’importance des investissements de Pékin en Europe, via les «pays les plus faibles économiquement, comme la Grèce». Athènes occupe en effet une place de choix pour les stratèges chinois, car elle constitue une porte d’entrée vers l’Europe.

C’est pourquoi les nouvelles routes de la soie, grand œuvre de Xi Jinping rebaptisé dernièrement «l’initiative de la ceinture et de la route», aboutissent à Athènes. Loin de se contenter du port du Pirée, les Chinois étendent leurs investissements aussi dans les transports terrestres, les télécommunications, l’énergie et le tourisme.

Ce n’est pas le marché grec, en crise profonde, qui les intéresse, mais bien la perspective de rayonner en Europe. Alors que les investisseurs internationaux sont en train de retrouver le chemin de la Grèce, les Chinois, eux, travaillent à y ancrer leur hégémonie. (Publié dans Le Figaro, en date du 5 août 2017)

SOS Méditerranée publie son 1er rapport d’activité

Chers amis,

SOS MEDITERRANEE publie son premier rapport d’activité dont le résumé est disponible ici.

L’occasion pour nous de revenir sur 17 mois d’opérations en mer, de mobilisation citoyenne à terre, ainsi que de vous présenter nos perspectives pour l’année 2017.

Que de chemin parcouru, grâce à vous, donateurs, grâce à toutes celles et ceux qui bénévoles ou membres de l’équipe s’investissent sans compter pour secourir ceux qui se noient en Méditerranée et sensibiliser nos concitoyens!

Depuis le départ de l’Aquarius du port de Marseille le 26 février 2016, ce sont 21 792 hommes, femmes et enfants qui ont été secourus par nos équipes lors de 127 opérations de sauvetage au large des côtes libyennes. Cinq bébés sont même venus au monde à bord de notre navire et parfois dans des conditions extrêmes. C’est le cas de Christ, né le 11 juillet dernier. L’enfant était encore relié à sa mère par le cordon ombilical lorsqu’il a été secouru et transporté à bord de l’Aquarius.

L’année 2017 ne sera pas moins intense que 2016. A la fin juillet, SOS MEDITERRANEE a déjà secouru plus de 10 000 personnes, soit presque autant que sur toute l’année 2016 où 11 260 personnes ont été sauvées de la noyade par nos équipes.

C’est pourquoi nous avons besoin de vous et comptons sur votre soutien. Grâce à vos dons, nous poursuivrons notre mission urgente et vitale de sauvetage.

Pour suivre les activités de cette association http://www.sosmediterranee.fr

et la soutenir https://don.sosmediterranee.org/b/mon-don?utm_source=sitesosmediterranee&utm_medium=site&utm_campaign=don_site_je_donne

 

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