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E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 6eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

Partie 6 11 février par Eric Toussaint

Avertissement : La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances |1|. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans les jours et les semaines qui suivent l’agression de la BCE contre la Grèce, le 4 février 2015, se déroulent d’intenses négociations qui amènent à l’accord funeste du 20 février, confirmé le 24 février. Par cet accord qui prolongeait de quatre mois le deuxième mémorandum rejeté par la population grecque, le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est engagé à rembourser tous les créanciers selon le calendrier prévu (pour un total de 7 milliards € entre février et fin juin 2015, dont 5 milliards au FMI) et à soumettre à l’Eurogroupe de nouvelles mesures d’austérité et de privatisations.

Nous allons suivre et analyser le film des évènements dans cette partie. La narration par Varoufakis des négociations avec l’Eurogroupe mérite d’être connue et je vous encourage à la lire en entier.

Lire les précédents articles de la série :

  1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
  2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique
  3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
  4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
  5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

Le 5 février 2015, Yanis Varoufakis, accompagné d’Euclide Tsakalotos, est à Berlin afin de rencontrer d’une part Wolfgang Schäuble |2|, son homologue allemand, et d’autre part Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie dans le cadre de la grande coalition entre la CDU-CSU d’Angela Merkel et le SPD.

Le contact avec Schäuble commence mal car celui-ci refuse de lui serrer la main. Varoufakis met en avant les deux points suivants : « Premier point, je ne demandais pas de radiation de la dette, et l’échange de dettes que je proposais bénéficierait à l’Allemagne et à la Grèce. Deuxième point, j’ai insisté sur ma détermination à traquer les fraudeurs et faire passer des réformes pour encourager l’entreprenariat, la créativité et la probité dans la société grecque » |3|.

Varoufakis explique que la relation s’est détendue, Schäuble lui proposant de se tutoyer et de lui envoyer cinq cents inspecteurs du fisc allemand. « Je l’ai remercié pour sa générosité, mais j’avais peur qu’ils se découragent en réalisant qu’ils ne pouvaient déchiffrer ni les déclarations de revenus ni les papiers nécessaires. En revanche j’avais une idée : et s’il nommait le secrétaire général de l’administration fiscale de mon ministère ? » |4|

Varoufakis précise qu’il s’agissait de sa part d’une proposition tout à fait sérieuse. Il en a profité pour expliquer à Schäuble quelque chose que le ministre allemand savait certainement déjà : à savoir qu’au sein du ministère grec des Finances, le service de collecte des impôts avait été confié à une personne du privé. Varoufakis explique : « la personne qui en était responsable n’était ni nommée par moi ni redevable devant moi ou mon Parlement, même si c’était à moi de rendre compte de son action quotidienne. Voilà donc ce que je lui proposais : il choisirait un administrateur fiscal allemand aux références irréprochables et à la réputation intacte qui serait nommé sur-le-champ et responsable devant lui et moi ; si il ou elle avait besoin de renfort de son ministère, je n’y voyais aucun inconvénient. » Sur ce point, Varoufakis propose une solution qui constituerait, si elle était appliquée, un abandon encore plus important de souveraineté, et cela directement au profit du gouvernement allemand.

Mais Schäuble n’était pas intéressé et passe au sujet qui est au cœur de toute sa stratégie et de ses motivations profondes : « sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providences avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » |5|

Si Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras avaient pris au sérieux le message que voulait faire passer Schäuble et que son homologue italien avait déjà transmis à Varoufakis deux jours plus tôt, lors de son passage à Rome, ils auraient compris que la proposition d’échanges de dettes n’avait aucune chance de convaincre le gouvernement allemand et tous les gouvernements de la zone euro qui font de l’augmentation de la compétitivité (au profit des grandes entreprises privées exportatrices) leur objectif principal |6|. L’enjeu central pour eux est de baisser, partout en Europe, les salaires, les retraites et les allocations sociales, de précariser les contrats, limiter le droit de grève, réduire les dépenses sociales dans les dépenses de l’État, privatiser, etc. Si la proposition de Varoufakis avait été acceptée, elle aurait permis au gouvernement grec de desserrer l’étau de la dette. Or, le gouvernement allemand et la plupart des autres gouvernements de la zone euro (sinon tous) ont besoin de l’étau de la dette pour imposer la poursuite de l’application de leur modèle et se rapprocher des objectifs qu’ils se sont fixés. Ils souhaitaient aussi ardemment faire échouer le projet de Syriza afin de démontrer aux peuples des autres pays qu’il est vain de porter au gouvernement des forces qui prétendent rompre avec l’austérité et le modèle néolibéral.

Pour imposer des reculs sociaux, les dirigeants européens disposent également de la monnaie unique, l’euro, car elle permet d’imposer ce qu’on appelle la dévaluation interne |7| qui consiste principalement à réduire les salaires.

Syriza n’avait pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, par contre le gouvernement de Tsipras avait un mandat très clair pour agir afin d’effacer la majeure partie de la dette publique. Donc il était fondamental de donner la priorité à cet objectif. Varoufakis et le noyau dirigeant autour de Tsipras ont décidé de contourner ou d’abandonner tout de suite cet objectif.

Avant que l’entretien ne se termine, Varoufakis prend le temps de présenter ses arguments en faveur d’un échange de dette et remet à Schäuble la proposition écrite qu’il a déjà défendue à Paris, Londres, Rome et Francfort. Selon Varoufakis, Schäuble n’a pas daigné jeter un œil sur son document. Il l’a automatiquement donné à un de ses Secrétaires d’État en l’informant que c’était pour les « institutions » de la Troïka.

Ensuite, ils ont donné ensemble une conférence de presse. Schäuble, écartant la possibilité d’un terrain d’entente, a déclaré tout de go : « Nous sommes d’accord pour dire que nous ne sommes pas d’accord » (p. 220).

Puis, après une boutade, Varoufakis a adopté un ton œcuménique : « Je suis d’abord venu voir un homme d’État européen pour qui l’unité de l’Europe est un projet de longue date, un homme dont je suis avec intérêt les efforts et le travail au service de cette unité depuis les années 1980. » Au cours de son intervention il a précisé : « Quant aux défis de l’UE en général, je lui ai proposé de respecter les traités et les procédures existants sans attenter au fragile bourgeon de la démocratie » (p. 221). Comment peut-on sérieusement imaginer que le respect des traités et des procédures de l’UE est compatible avec l’éclosion du fragile bourgeon de la démocratie ? L’ensemble de l’ouvrage de Varoufakis démontre d’ailleurs que le carcan de l’UE portait atteinte à la démocratie grecque.

Il ne fallait pas invoquer, du côté grec, le respect des traités car cela donnait un argument très fort aux dirigeants européens pour exiger leur application par Athènes. C’était à éviter absolument car les deux mémorandums signés par la Grèce en 2010 et en 2012 avaient valeur de traités internationaux.

Il faut signaler encore que selon Varoufakis, lors de la conférence de presse, un journaliste allemand lui a demandé si, en tant que ministre, il allait rappeler à Schäuble que le gouvernement allemand était tenu d’extrader vers la Grèce Michael Christoforakos, l’ancien dirigeant de la filiale grecque de Siemens.
Il était avéré que Michael Christoforakos avait soudoyé, pour le compte de Siemens, des politiciens grecs en vue d’obtenir des contrats d’État. Les autorités grecques avaient tenté de l’arrêter, mais Christoforakos s’était enfui en Allemagne où il avait été arrêté. Depuis, les tribunaux allemands refusent de l’extrader vers la Grèce.

Varoufakis explique qu’il était scandalisé par le fait que les autorités allemandes refusent de remettre Christoforakos à la justice grecque mais qu’il ne pouvait pas l’exprimer comme cela lors d’une conférence de presse |8|. Dès lors, il a répondu au journaliste : « Je suis sûr que les autorités allemandes sauront aider un État fragilisé à se battre contre la corruption. Je compte sur mes collègues allemands pour comprendre qu’il n’est pas question d’avoir deux poids deux mesures où que ce soit en Europe » (p. 222-223).

Le rendez-vous qui a suivi avec Sigmar Gabriel, vice-chancelier, ministre de l’Économie et dirigeant SPD, fait penser à la rencontre avec Michel Sapin qui avait eu lieu le 1er février (voir la partie 5). Gabriel lui déclare qu’il fait cause commune avec le gouvernement de Syriza, puis tient un tout autre discours devant la presse. « Je n’avais droit qu’à des remarques agressives sur mon gouvernement et une interprétation rigoriste des obligations vis-à-vis de nos bailleurs de fonds. Cerise sur le gâteau, Gabriel a même osé parler de la « souplesse » de la troïka » (p. 225).

En réponse : « j’ai tranquillement servi mon baratin sur notre détermination à trouver un équilibre durable grâce à des propositions raisonnables pour revoir le plan de la troïka qui était un échec… » (p. 225).

De retour à Athènes

6 février. À partir du 6 février, Varoufakis se met au travail avec ses collaborateurs (pour une présentation de l’équipe dont Varoufakis s’était entouré, voir Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers) pour préparer la première réunion de l’Eurogroupe à laquelle le gouvernement de Tsipras était invité et qui se tiendrait à Bruxelles le 11 février. « Pendant trois jours et trois nuits, le cinquième étage du ministère a été un va-et-vient incessant d’envoyés de Lazard, de mes associés les plus proches, notamment Glenn Kim et Elena Panaritis » (p. 227). James Galbraith qui venait d’arriver des États-Unis s’est joint à cette équipe.

Simultanément, Varoufakis s’immerge dans l’activité parlementaire et participe à la première réunion du gouvernement au complet. Le 6 février, il se rend au parlement afin de participer comme député à l’élection de la nouvelle présidente du parlement. « L’élection de Zoe Konstantopoulou, députée Syriza intransigeante, au poste de Présidente du Parlement était un symbole. Au cours des deux législatures précédentes, c’est elle qui avait démontré que les méthodes employées pour faire voter les lois imposées par la troïka violaient les procédures usuelles. J’avais été heureux de voter pour elle parce que c’était un signal : plus jamais le Parlement ne serait réduit à donner son blanc-seing à sa propre servitude » (p. 229).

C’est la seule fois où le nom de Zoé Konstantopoulou est mentionné dans le livre de Varoufakis, qui fait plus de 500 pages. À aucun moment, Varoufakis ne fait mention de la création et du travail de la commission d’audit de la dette grecque alors qu’il s’est rendu à sa séance inaugurale le 4 avril 2015 (Voir aussi Chronique des interventions de l’exécutif grec au Comité d’audit de la dette grecque et Acte officiel de création de la Commission de la Vérité sur la Dette publique). Il ne mentionne pas non plus la commission sur les réparations de guerre réclamées à l’Allemagne par la Grèce. Alors que Zoé Konstantopoulou a déployé une intense activité, qu’elle a essayé de contribuer à redonner du sens à l’activité parlementaire, qu’elle a pris part à des discussions publiques et internes concernant les choix à faire, il n’en dit rien.

C’est également tout à fait frappant qu’il ne mentionne qu’une fois dans son livre le nom et l’action de sa vice-ministre, Nadia Valavani, qui était en charge notamment de l’important dossier des dettes fiscales à l’égard de l’État. Nadia Valavani est une figure de premier plan de la résistance à la dictature des colonels, elle a payé de sa personne son engagement. En tant que vice-ministre, elle a accompli un énorme labeur |9|. Alors qu’une personne comme Elena Panaritis est mentionnée plus d’une quarantaine de fois par Varoufakis, Valavani n’a droit qu’à une mention à propos de la finalisation du projet de loi de réponse à la crise humanitaire.

7 février. Première réunion du gouvernement au grand complet

 « Samedi matin, 7 février, j’ai assisté à ma première réunion de Cabinet. » On peut imaginer que Varoufakis parle de la première réunion du gouvernement au grand complet, mais cela n’est pas sûr. Ce n’est qu’une supposition. À propos de cette réunion, il poursuit : « J’avais en tête la fameuse phrase d’Oscar Wilde à propos de la démocratie : « Elle est impraticable, elle est à l’encontre de la nature humaine. C’est pourquoi il vaut la peine de l’appliquer. » Après avoir perdu quelques heures précieuses dans cette réunion très cérémonielle, où trop de gens ont trop longtemps parlé, j’ai foncé au bureau où les conseillers de Lazard et mes associés travaillaient sur les trois non papers [ce sont des documents de travail sans statut officiel. Note de l’auteur] que je comptais emporter à Bruxelles » (p. 231). C’est tout ce que Varoufakis nous dit de cette réunion. Le côté lapidaire de ce commentaire sur la première réunion du gouvernement en dit long sur la façon dont Varoufakis perçoit la manière de faire la politique et sur son dédain ou son incompréhension à l’égard des batailles qu’il faudrait mener à l’intérieur d’un gouvernement, comme dans l’ensemble de la société, si on veut pratiquer la démocratie. Varoufakis s’est cantonné, sans tentative de décloisonnement alors, et sans remise en cause de cette attitude aujourd’hui, dans l’entre-soi du cercle hermétique que Tsipras avait construit autour de lui et auquel il était convoqué quand le prince le jugeait nécessaire.

Lundi 9 février. Varoufakis ne montre pas non plus réellement d’intérêt pour les débats au parlement grec. La seule fois où il en parle d’une manière un tant soit peu développée, c’est lors de la session du Parlement, tenue les lundi 9 et mardi 10 février, où il a présenté et défendu les propositions qu’il ferait au cours de la réunion de l’Eurogroupe qui allait se tenir deux jours plus tard à Bruxelles.

« Demain je serai avec mes collègues de l’Eurogroupe à qui j’affirmerai que nous acceptons le principe de continuité entre les engagements des gouvernements précédents et le mandat du nôtre » (p. 233). C’est inacceptable du point de vue du mandat que les électeurs ont donné au gouvernement lors des élections du 25 janvier. Le programme de Thessalonique qui constituait la référence de Syriza pendant la campagne électorale disait « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction » (voir l’encadré sur le programme de Thessalonique dans la partie 5). Si les mots ont un sens, cela veut dire que Tsipras s’engageait comme chef du gouvernement à affirmer à l’Eurogroupe et partout ailleurs que son gouvernement refusait le principe de la continuité des engagements pris par les gouvernements précédents en ce qui concerne les mémorandums. Il ne s’agit pas seulement du sens des mots, mais de l’application effective d’une politique de changement. Varoufakis, en affirmant le principe de la continuité sans faire la moindre exception, enfermait la négociation dans le cadre étroit et coercitif de l’application du mémorandum. Et c’est malheureusement ce qui allait se passer, notamment en raison de ce premier renoncement à appliquer le programme pour lequel Syriza avait été porté au gouvernement.

Il faut lire attentivement le raisonnement de Varoufakis qui conduisait à la capitulation : « Le document qui présentait le plan de la Troïka, ce qu’on appelle un Memorandum of Understanding (MoU), établissait une liste des réformes (austérité étudiée, suppression d’avantages sociaux, privatisations ciblées, changements administratifs et judiciaires et ainsi de suite) auxquelles le gouvernement précédent s’était engagé, ainsi que les conditions (ou conditionnalités, pour le dire comme la troïka) à remplir pour le second prêt de renflouement. Il était impossible de les remplir entièrement puisqu’elles impliquaient une souffrance disproportionnée par rapport aux bénéfices, et 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus.

Toutefois, en examinant de près ce MoU en 2012, j’avais compris que pas mal de mesures pouvaient être appliquées sans provoquer trop de ravages sociaux. Il était donc stratégique de les accepter, ce qui revenait à 70 % du MoU, en échange de ce que nous exigions, et en refusant les mesures franchement toxiques des 30 % restants » (p. 234). Cette position dans la négociation constituait un abandon de l’engagement du programme de Thessalonique de remplacer le mémorandum par un plan de reconstruction. Il dit avoir déclaré au parlement : « Comme nous sommes des partenaires raisonnables, nous inclurons dans notre agenda de réformes jusqu’à 70 % de mesures du programme existant » (p. 234).

Il précisait, dans cette logique de la soumission, l’annonce suivante : « Au cours des négociations je m’engage à ne faire passer aucune loi qui dévierait de notre objectif : atteindre un minimum d’excédent budgétaire primaire » (p. 233). Cela signifiait que le ministre des Finances s’opposerait à toute loi, aussi bonne et nécessaire soit-elle, si l’impact budgétaire pouvait déboucher sur l’incapacité de dégager un excédent primaire |10|. C’est la dictature de l’excédent primaire qui se poursuit et qui est mortifère. Ce n’est pas théorique, c’est très pratique. Au moment où Varoufakis a dit cela, il savait que les créanciers, à commencer par la BCE, n’avaient pas l’intention de fournir des moyens financiers à la Grèce (comme mentionné plus haut, « 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus » et Varoufakis savait que la Troïka n’avait pas l’intention de verser les 10 % restants). Or, dans le programme de Thessalonique, la possibilité de dégager un excédent primaire était basée sur le fait que l’argent dû à la Grèce lui serait versé (il s’agissait notamment des 2 milliards de bénéfices de la BCE sur les titres grecs et du solde de ce que la Troïka devait verser à la Grèce dans le cadre du 2e mémorandum qui devait se terminer le 28 février 2015) |11|. Varoufakis savait que ce ne serait pas le cas, ce qui voulait dire en clair que la somme prévue pour combattre la crise humanitaire et relancer l’économie ne serait pas disponible si la Grèce ne s’engageait pas à respecter les engagements antérieurs : rembourser les créanciers (plus de 5 milliards à rembourser avant le 30 juin au FMI) et dégager un excédent primaire. Il s’est bien gardé de l’expliquer aux parlementaires, qui en majorité ne sont pas des économistes, et les a enfumés comme la plupart des ministres des Finances le font régulièrement.

« Ma tactique a soulevé un tollé : les partis classiques m’accusaient de ne pas céder assez à la Troïka, la gauche me fustigeait parce que je cédais trop » (p. 234).

Il concluait son introduction par des paroles fortes, qui allaient en fait s’appliquer très rapidement à la ligne qu’il avait présentée au Parlement en accord avec Tsipras : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Ce type de déclaration est typique de la démarche de Varoufakis et de Tsipras : adopter une attitude très modérée dans la négociation qui est secrète en multipliant les concessions tout en exprimant de manière répétée des paroles radicales fortes en public. Vu que les médias dominants, la Troïka, les partis grecs de droite, attaquaient Varoufakis et Tsipras comme des irresponsables gauchistes, l’illusion a fonctionné. Leur radicalité et leur volonté de résistance face à la Troïka apparaissaient incontestables |12|.

Dans le résumé de la présentation de sa politique au parlement grec, Varoufakis ne fait allusion à aucun moment à la revendication d’effacement de la majeure partie de la dette inscrite dans le programme de Thessalonique. Cela tranche avec le discours prononcé dans la même enceinte par Zoé Konstantopoulou lors de son élection comme présidente du parlement le 6 février 2015 : « Des initiatives (…) seront entreprises afin que le Parlement contribue de manière essentielle à promouvoir les revendications d’annulation de la majeure partie de la dette et de l’intégration de clauses de croissance et de garanties d’endiguement de la crise humanitaire et de secours à notre peuple. La diplomatie parlementaire n’est pas un cérémonial ni l’équivalent de relations publiques. Elle est un précieux outil qu’il est nécessaire de mettre en branle, pour ce qui est tant du Président que des commissions de relations internationales ou de commissions d’amitié, de sorte que l’affaire grecque, la demande d’une solution équitable et bénéfique pour notre peuple, par annulation de la dette et moratoire des remboursements soit l’objet d’une campagne interparlementaire de revendication vive, qui s’appuie sur l’information de vive voix des autres parlements et assemblées parlementaires mais aussi des peuples européens qui se mobilisent déjà en solidarité de notre peuple » (voir le Discours prononcé par Zoé Konstantopoulou, lors de son élection en tant que Présidente du Parlement hellénique.). La présidente du Parlement grec avait raison d’insister sur la nécessité de déclarer un moratoire sur le remboursement de la dette afin d’obtenir l’effacement de la majeure partie de celle-ci. C’était une condition sine qua non du respect des engagements pris par Syriza et du démarrage des changements promis à la population.

10 février. Varoufakis cherche l’appui de l’OCDE. Le 10 février en soirée, Varoufakis a organisé la réception en grandes pompes d’une délégation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE). Angel Gurria, son secrétaire général, avait fait le déplacement à Athènes. On peut parfaitement comprendre l’intérêt pour un gouvernement de chercher à rompre la stigmatisation dont il faisait l’objet de la part de la presse internationale dominante et de la Troïka. Mais Varoufakis en remet une couche : « Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvés au palais Maximou en grande pompe face aux caméras du monde entier. Le Premier ministre accueillait le Secrétaire général de l’OCDE avec le vice-Premier ministre, Dragasakis, et le ministre de l’Économie, Stathakis, et moi. Une façon de montrer que le gouvernement Syriza travaillerait main dans la main avec le club des pays les plus riches pour soumettre un agenda pro-croissance (…). La contribution d’une institution mondiale aussi prestigieuse, qui adouberait l’agenda une fois finalisé, serait un excellent moyen pour parer aux critiques inévitables » (p. 235-236). Rappelons que l’OCDE est une organisation internationale qui participe directement à l’amplification des politiques néolibérales surtout en leur donnant une caution pseudo-scientifique |13|. Chercher à rompre la stigmatisation ne veut pas dire encenser des institutions hostiles à l’abandon des réformes structurelles néolibérales.

11 février. La première réunion de l’Eurogroupe avec le gouvernement grec.

Le témoignage de Varoufakis sur la composition et le fonctionnement de l’Eurogroupe est tout à fait utile et c’est une des raisons de prendre la peine de lire son livre.

« L’Eurogroupe est une drôle de créature. Les traités européens ne lui confèrent aucun statut légal, mais c’est le corps constitué qui prend les décisions les plus importantes pour l’Europe. La majorité des Européens, y compris les politiques, ne savent pas exactement ce que c’est, ni comment il fonctionne, mais je vais vous expliquer. Les participants s’installent autour d’une grande table rectangulaire, et les ministres des Finances de chaque pays se répartissent des deux côtés ». Il ajoute, et c’est essentiel : « le vrai pouvoir est aux deux bouts de la table. D’un côté, à ma gauche, était assis Jeroen Dijsselbloem. A sa droite, il avait Thomas Wieser, président du Groupe de travail et détenteur du vrai pouvoir à cette extrémité-là ; à sa gauche, se trouvaient les représentants du FMI, Christine Lagarde et Poul Thomsen. A l’autre extrémité de la table, était assis Valdis Dombrovskis, commissaire chargé de l’euro et du dialogue social, dont le vrai job était de superviser (au nom de Wolfgang Schäuble) Pierre Moscovici, assis à gauche de cet économiste letton. A la droite de Dombrovskis, Benoît Cœuré, puis Mario Draghi, qui représentaient la BCE. Du même côté que Draghi, mais sur la longueur et en angle droit par rapport à lui était assis Wolfgang Schäuble. Leur proximité créait des étincelles, mais jamais de lumière » (p. 237).

En quelque sorte, l’Eurogroupe est l’institutionnalisation de la Troïka car il réunit la BCE, le FMI, les ministres des Finances de la zone euro et les représentants de la Commission européenne.

« Les réunions de l’Eurogroupe suivent un rituel qui montre à quel point la troïka et ses usages ont fait main basse sur la gouvernance de l’Europe continentale » (p. 237).

« Chaque fois qu’un thème est abordé – par exemple, le budget français, ou le développement des banques chypriotes –, Dijsselbloem l’annonce tout haut, puis invite chaque représentant des institutions à s’exprimer sur le sujet : Moscovici pour la Commission européenne, Christine Lagarde pour le FMI (ou Poul Thomsen si elle est absente), enfin, Mario Draghi pour la BCE (Benoît Cœuré intervenant les jours, rares, où Draghi n’est pas là). Une fois que chacun des représentants non élus a donné le la en livrant sa déclaration et en énonçant les termes de la discussion, les ministres élus peuvent s’exprimer. A chaque réunion à laquelle j’ai assisté ou presque, les ministres n’ont eu droit à aucun temps réservé pour présenter un exposé substantiel sur le sujet débattu » (p. 237-238).

Selon Varoufakis : « l’Eurogroupe n’est là que pour permettre aux ministres de valider et légitimer les décisions prises en amont par les trois institutions » (p. 238).

Varoufakis précise qu’il était accompagné de Dragasakis et de Chouliarakis, le Président du Conseil des économistes (que Dragasakis avait placé dans l’équipe de Varoufakis).

« Notre gouvernement est ici pour mériter une monnaie très précieuse sans dilapider un bien capital important puisque nous devons mériter votre confiance sans perdre celle de notre peuple » (p. 238) (je souligne).

Il explique ensuite qu’il est très important pour le gouvernement grec de prendre de nouvelles mesures pour corriger les précédentes, injustes, et répondre à la crise humanitaire (réembaucher du personnel qui a été licencié, augmenter les retraites de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, rétablir le salaire minimum dans le secteur privé).

« Les membres de l’Eurogroupe pouvaient compter sur moi, dis-je, pour qu’aucune de ces micro-mesures n’ait d’impact budgétaire » (p. 239).

« [J]’ai mentionné notre lien avec l’OCDE et proposé de travailler étroitement avec le FMI et la BCE dans leurs domaines d’expertise » (p. 239).
Il explique que sur les privatisations, le gouvernement ne sera pas dogmatique. Certaines privatisations pourront avoir lieu.

Il exprime la volonté de créer une banque publique de développement et d’y ajouter une autre banque publique à créer en collaboration avec la BCE afin de prendre en charge les prêts non performants des banques privées.

Il prononce une phrase terrible dans la continuité de ce qu’il avait annoncé au parlement : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs » (p. 239)

Ensuite, il aborde la question de la dette : « La troïka exigeait que l’État grec en faillite verse presque 5 milliards d’euros au FMI avant juillet 2015, puis 6,7 milliards à sa propre banque centrale en juillet et août 2015. Je proposais que l’on commence par une mesure raisonnable : que la BCE verse à la Grèce les 1,9 milliards qu’elle lui devait pour les bénéfices de nos obligations SMP [c’est-à-dire les titres que la BCE avait achetés aux banques privées entre 2010 et 2012. Note d’Éric Toussaint]. Cet argent appartenait à la Grèce. Si les créanciers voulaient que nous les remboursions, nous y donner accès était le minimum. Proposer moins était nous inciter au défaut de paiement. »

Varoufakis ajoute, dans une note de bas de page, ce que nous avons expliqué dans la partie consacrée à son exposé au Parlement grec deux jours plus tôt, à savoir qu’il savait quand il a dit cela que « la Troïka avait décidé de garder cet argent ». Il le savait depuis la veille des élections grâce au document de Thomas Wieser, vice-président de l’Eurogroupe, qui leur était parvenu (chapitre 8, page 513, note 7). De mon côté, j’ai également relaté cela au début de la partie 5.

Bien sûr, Varoufakis avait raison de demander que cette somme de près de 2 milliards € soit versée au gouvernement grec.

Il conclut en précisant que le gouvernement grec souhaite « de vraies négociations, menées de bonne foi, pour créer un nouveau contrat, fondé sur un objectif d’excédent primaire réaliste, et des politiques structurelles efficaces et socialement équitables – y compris les nombreux éléments du programme précédent que nous acceptons. Nous avons besoin de garanties sur ce point précis  » (p. 240).

Puis il ajoute : « Une telle ouverture ne saurait être interprétée comme l’acceptation de la logique de l’agenda précédent, que les Grecs ont rejeté » (p. 240). Cette précision est totalement en contradiction avec une autre partie de son discours que nous avons citée lorsqu’il déclare : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs ».

Dans la discussion qui a suivi, Schäuble a tout de suite déclaré : « Des élections ne sauraient changer une politique économique » (p. 241). Il a été appuyé par les interventions des ministres des Finances des républiques baltes, de Slovénie, de Slovaquie, de Finlande, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Autriche, de l’Irlande…

Varoufakis dit avoir, dans sa réponse, déclaré : « si vous êtes d’accord avec Wolfgang, je vous invite à le dire explicitement en proposant que l’on suspende les élections dans les pays comme la Grèce jusqu’à ce que le plan prévu pour ce pays soit mené à bien » (p. 242).
Jeroen Dijsselbloem et Thomas Wieser (vice-président de l’Eurogroupe) refusent alors que les trois documents préparés par Varoufakis pour l’Eurogroupe soient distribués.

On en vient au projet de communiqué qui devait être publié à l’issue de la rencontre. Varoufakis raconte : « J’ai jeté un œil sur le texte et j’ai tout de suite vu qu’il était inacceptable : il engageait explicitement la Grèce à appliquer jusqu’au bout le second plan de renflouement en appliquant l’intégralité du MoU « avec une flexibilité maximum au sein du plan pour s’accorder aux priorités des nouvelles autorités grecques » » (p. 243).

Varoufakis demande que le mot « amendé » soit ajouté après le mot « plan ». Schäuble refuse cet amendement en disant que, si l’on amende le mémorandum, il faudra repasser par un vote du parlement allemand, ce qui n’est pas concevable.

Varoufakis refuse. En conséquence, on menace la Grèce : s’il n’y a pas d’accord sur un communiqué, la BCE coupera totalement les liquidités aux banques grecques à l’issue du second mémorandum, c’est-à-dire le 28 février. Varoufakis refuse cet ultimatum. Dijsselbloem lui propose de renoncer à proposer le mot « amendé » et de le remplacer par « ajusté ». Varoufakis accepte à condition que le texte mentionne qu’en Grèce, il y a une crise humanitaire. Dijsselbloem refuse. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, met la pression sur Varoufakis.

Varoufakis consulte alors par téléphone Tsipras et Pappas qui eux aussi étaient à Bruxelles, installés dans un hôtel dans l’attente de la réunion de leur premier sommet européen qui allait commencer le lendemain. La conversation dure une heure. Varoufakis raconte : « J’ai dû changer trois ou quatre fois d’avis, oscillant entre « Allez vous faire foutre ! » et « On accepte ce putain de communiqué et on se battra le jour où il faudra définir précisément ce “plan ajusté”. » Pendant ce temps-là, Dragasakis me faisait signe de conseiller à Alexis de céder » (p. 247).

Finalement, Tsipras dit à Varoufakis de refuser le texte, ce qui met fin à cette réunion de l’Eurogroupe. Varoufakis résume ce premier round de l’Eurogroupe : « Les ministres des Finances de dix-neuf pays européens, les dirigeants de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, sans compter les conseillers, les interprètes et le personnel d’appoint venaient de perdre dix heures à faire chanter un ministre. Quel gâchis ».

Il se rend dans le bureau de la délégation et appelle Tsipras pour un rapide bilan.
« – Réjouis-toi ! s’exclama-t-il. Les gens font la fête dans les rues, ils sont avec nous. C’est génial !
problème) ; 2. Le mémorandum est prolongé jusqu’au 30 juin (cela arrange Varoufakis).

« J’ai dit à Jeroen (Dijsselbloem) que je lui concédais ces deux points, sans conséquences de mon point de vue, à condition qu’il m’accorde une chose : une certaine marge d’action » (p. 274). Il poursuit : « j’exigeais que le MoU, en tout cas les 30% des articles que je jugeais inacceptables, soient remplacés par une liste de réformes émanant de nous, tandis que l’excédent primaire visé serait réduit de 4,5 % à 1,5 % du revenu national » (p. 274).

Varoufakis ajoute « Stupeur : Jeroen acceptait. » Or, et c’est l’abc d’une négociation, si dès le départ votre ennemi accepte vos conditions, c’est que vous avez mal engagé celles-ci.

Dijsselbloem acceptait également que ce soit la Grèce qui remette une liste de propositions de réformes que les institutions de la Troïka auraient le loisir d’approuver ou de rejeter.

Varoufakis écrit : « Si cette introduction passait la barre pour figurer dans le communiqué final, ce serait une victoire pour les pays les plus faibles de la zone euro. Pour la première fois, un pays Une secrétaire m’a montré un tweet sur son compte, avec la photo d’un rassemblement et le message suivant : « Dans toutes les villes de Grèce et d’Europe les gens se battent avec nous. Notre force, c’est eux. » C’était vrai, je l’ai découvert le lendemain : des milliers de gens étaient réunis place Syntagma pendant que j’étais enfermé avec l’Eurogroupe, dansant et brandissant des banderoles proclamant « en faillite mais libres » ou « fin à l’austérité ». Au même moment, c’était encore plus émouvant, des milliers de manifestants allemands emmenés par le mouvement Blockupy encerclaient le bâtiment de la BCE à Francfort en signe de solidarité » (p. 249).

Cela montre parfaitement quel potentiel de mobilisation il y aurait eu si, dans les jours qui ont suivi, Tsipras et Varoufakis avaient maintenu une ligne de refus des ultimatums, s’ils avaient mis en pratique la suspension de paiement, l’audit, la décote unilatérale des titres détenus par la BCE, s’ils avaient mis en place un système de paiements parallèles, s’ils avaient exercé leur droit de vote dans les banques grecques et s’ils avaient décrété un contrôle des mouvements de capitaux.

Mais revenons au récit de Varoufakis. Il explique qu’après être passé par le bureau de la délégation grecque et avoir pris connaissance avec bonheur des mobilisations, il a donné comme il se doit une conférence de presse. Selon sa narration, il a déclaré ce qui suit à propos de la réunion de l’Eurogroupe : « L’accueil a été très chaleureux et ce fut l’occasion parfaite pour présenter nos analyses, nos points de vue et nos propositions, à la fois sur le fond et par rapport à la feuille de route. Sachant que nous nous reverrons lundi, nous poursuivrons normalement et tout naturellement avec cette deuxième réunion » (p. 250).

« Plusieurs amis et critiques m’ont reproché d’avoir déçu la population. Combien de fois m’a-t-on demandé : Pourquoi ne pas avoir révélé ce qui s’était passé ? Pourquoi ne pas avoir parlé de leur chantage et de leur mépris de la démocratie ? Voilà ce que je réponds : parce que ce n’était pas encore le moment » (p. 250).

En fait à partir de ce moment-là, et à part lors d’un évènement intervenu cinq jours plus tard le 16 février, Varoufakis entre dans une logique infernale : ce ne sera jamais le bon moment pour dire la vérité sur ce qui se passe au niveau de la négociation. À partir du 20 février jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015, Varoufakis adoptera une attitude conforme à la politique de la diplomatie secrète.

Alors que tant de micros et de caméras se tournaient vers lui quand il était ministre, il n’a jamais utilisé, à part le 16 février, la possibilité qui lui était offerte d’informer l’opinion publique sur ce qui se passait réellement dans la négociation. Il en a été de même pour Alexis Tsipras sauf pour un temps très court à la fin du mois de juin 2015 quand il s’est agi d’appeler au référendum du 5 juillet.

12 février. Une concession, vraiment ?

Varoufakis explique que ce refus de signer a convaincu les dirigeants européens de faire une concession. Dijsselbloem, apparemment sous l’injonction d’Angela Merkel, prend contact avec Tsipras en proposant d’annoncer que le gouvernement grec et l’Eurogroupe allaient discuter des paramètres techniques pour avancer dans l’exécution du plan en cours en tenant compte des objectifs du nouveau gouvernement. On peut se demander si Varoufakis a raison d’affirmer qu’il s’agissait d’une concession. Rien n’est moins sûr. Les dirigeants européens, en parlant d’exécution du plan, maintenaient leur point de vue. En même temps, ils voulaient donner l’impression qu’ils étaient ouverts à la négociation tout en démontrant que le gouvernement grec était incapable de se comporter de manière responsable et constructive.

Par ailleurs, Varoufakis explique qu’à partir de ce moment-là s’est établi un contact direct entre Merkel et Tsipras, ce qui allait par la suite avoir des effets négatifs.

Angela Merkel et Alexis Tsipras

Il ajoute que Tsipras a commencé à s’éloigner de lui qui était le seul ministre à être convaincu qu’il fallait être prêt à prendre des mesures unilatérales comme la décote des titres détenus par la BCE ou la suspension de paiement. En écrivant cela il omet le fait que Lafazanis, qui était un de six principaux ministres, était également favorable à des actions unilatérales, à commencer par la suspension de paiement. Sans parler des quatre vice-ministres membres de la Plateforme de gauche (Nadia Valavani, Dimitris Stratoulis, Costas Isychos, Nikos Chountis) et de la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. En fait, Varoufakis révèle ainsi qu’il n’a jamais imaginé sérieusement faire un front avec d’autres membres du gouvernement et du parlement afin de mettre en pratique une orientation à la hauteur des attaques de la Troïka. Varoufakis, en expliquant aux lecteurs qu’il était seul, cherche de manière en partie inconsciente des circonstances atténuantes pour son attitude timorée.

13-14-15 février à Bruxelles

Varoufakis est resté à Bruxelles après la réunion du 11 jusqu’à la réunion suivante de l’Eurogroupe, convoquée pour le 16 février. Selon Varoufakis : « La chancelière allemande voulait que notre équipe technique rencontre celle de la troïka pour commencer à discuter des propositions et des priorités de notre gouvernement » (p. 255). Varoufakis rassemble une équipe composée de Chouliarakis, de quatre conseillers de Dragasakis, d’Elena Panaritis et de Glenn Kim, qui sont chargés de travailler avec l’équipe de la Troïka à une tentative de rapprochement (pour en savoir plus sur ces conseillers de Varoufakis, voir la partie 4). Dans les coulisses, selon Varoufakis, il y avait aussi un envoyé de la Banque Lazard et James Galbraith. En plus, Varoufakis recevait des conseils à distance de la part de Jeffrey Sachs et de William Buiter (économiste en chef de la banque nord-américaine Citigroup).

En marge des réunions officielles de travail qui se sont déroulées ces jours-là à Bruxelles, Varoufakis a adopté une position sur les contrôles de capitaux : il s’y est opposé. Il ne faut pas s’étonner que ses conseillers de la banque Lazard et de Citigroup, tout comme ceux étant passés comme Panaritis et Sachs par la Banque mondiale, étaient totalement contre tout contrôle de capitaux. Galbraith l’était aussi.

C’était une grave erreur, c’est le moins qu’on puisse dire. Il aurait fallu imposer un contrôle afin d’éviter la fuite des capitaux. Évidemment, il ne fallait pas empêcher des envois modestes de fonds à l’étranger. Il fallait un contrôle sélectif sur les gros flux financiers. C’était tout à fait faisable.

Le 14 février, Tsipras remet à Varoufakis un projet de communiqué que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lui a fait parvenir. Ce projet était d’un tout autre ton que celui que Dijsselbloem et Schäuble avaient voulu imposer le 11 février, mais ce n’était qu’un leurre. Dès le lendemain, Varoufakis a dû déchanter. Alors que l’après-midi du 15 avait bien commencé par une rencontre avec Moscovici, qui lui soumettait le texte de Juncker que Varoufakis était prêt à signer, un peu plus tard, Dijsselbloem lui a communiqué un autre texte. Varoufakis raconte : « J’ai lu. C’était pire que la version qu’on avait refusée à la première réunion. Le texte engageait le gouvernement grec à « appliquer le plan en cours », ne nous autorisant à poursuivre notre mandat que dans le cadre « de la flexibilité existante comprise dans le plan en cours ». Toutes les concessions proposées par Juncker la veille et par Pierre quelques instants plus tôt avaient été expurgées. Même l’expression « plan ajusté » avait disparu. Sa version signifiait le retour du plan tel quel, en force, sans le moindre adjectif pour l’atténuer » (p. 265).

16 février à Bruxelles, deuxième échec de l’Eurogroupe

Le 16 février, la deuxième réunion de l’Eurogroupe se termine rapidement sur un échec puisque le texte soumis à la Grèce est pire que celui qu’elle avait refusé quelques jours plus tôt.

Lors de la conférence de presse qui a suivi, c’est quasiment la seule fois où Varoufakis explique publiquement qu’il y a un désaccord. Il résume ce qu’il a déclaré à la presse : « J’ai le plaisir de vous annoncer que les négociations se sont déroulées dans un esprit collégial, révélateur d’une vraie communauté de vue […] pour établir un terrain d’entente et arriver à un accord viable entre la Grèce, l’Europe officielle et le FMI. Je ne doute pas qu’elles se poursuivront demain et après-demain jusqu’à ce que nous obtenions cet accord. Si c’est le cas, pourquoi ne nous sommes-nous pas entendus sur un communiqué, une formule qui débloquerait les délibérations ?
La vraie raison c’est qu’il existe un profond malentendu sur notre mission : faut-il appliquer un plan que nous avons été élus pour remettre en cause ? Ou faut-il s’asseoir dans un esprit d’ouverture pour repenser ce plan qui, nous l’estimons et la majorité des personnes douées de discernement l’estiment également, a échoué à stabiliser la Grèce, a produit une tragédie humaine et a rendu la Grèce d’autant plus difficile à réformer ?
 » (p. 266-267).

Varoufakis explique à la presse ce qui s’est passé entre le 11 et le 16 février et il ajoute pour les lecteurs que pour la deuxième fois en cinq jours, le gouvernement grec avait dit non à la Troïka.

Ce deuxième refus a donné lieu à des manifestation de soutien au gouvernement en Grèce et la cote de popularité du gouvernement a atteint 75 %.

Mais Varoufakis et Tsipras n’ont jamais adressé un appel au soutien des populations d’Europe et d’ailleurs. Cela a joué un rôle non négligeable dans la difficulté de développer un puissant mouvement de solidarité internationale avec le peuple grec. Bien sûr, il aurait aussi fallu utiliser à fond les possibilités de communication données par les réseaux sociaux, ce qui n’a pas été fait par le gouvernement grec et par le noyau dirigeant autour de Tsipras. Le fait de fonctionner dans le cadre de la diplomatie secrète a également encouragé les dirigeants européens à maintenir les pires pratiques de chantage sans courir le risque que celles-ci soient dénoncées.

17-18-19 février à Athènes, le tournant vers l’accord du 20 février et le prolongement du mémorandum

Varoufakis explique que lors de la première réunion de ce qu’il appelle le « cabinet de guerre », après l’échec du 16 février, Tsipras, Pappas et Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet de Tsipras, étaient favorables à rompre les négociations. Varoufakis précise que Tzanakopoulos lui a hurlé : « Si tu veux signer le MoU (le mémorandum – Note de l’auteur), ça sera sans moi, je te le garantis ! » Concernant Tsipras, il écrit : « il lui arrivait de perdre son sang-froid et de menacer de planter les négociations » (p. 269). Spyros Sagias (secrétaire de cabinet) et Varoufakis étaient partisans de poursuivre les négociations.

Varoufakis finit par convaincre le reste du cabinet de guerre qu’il faut obtenir une prolongation du mémorandum. « Mon point de vue, partagé par Sagias et Dragasakis, était le suivant : demander un prolongement faisait partie de notre mandat à partir du moment où on ne s’engageait pas à appliquer le plan tel quel » (p. 271).

J’argumenterai dans l’article suivant pourquoi il aurait mieux valu refuser une prolongation du deuxième mémorandum.

Varoufakis, de son côté, voulait un prolongement du mémorandum alors qu’il était bien conscient que Berlin posait quatre exigences : poursuivre les réformes structurelles pour améliorer la compétitivité (cela voulait dire très clairement poursuivre les attaques contre les salaires, la sécurité sociale et aller plus loin dans les privatisations), maintenir le FMI dans un futur accord (ce qui impliquait de prolonger le deuxième mémorandum en cours par un troisième mémorandum même si Varoufakis ne le reconnaît pas |14|), définir ce qu’est la soutenabilité de la dette et surtout : « Reconnaître les obligations financières de la Grèce vis-à-vis de tous ses créanciers » (p. 271).

Ce dernier point a provoqué de fortes réactions dans le cabinet. Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet, y était opposé : « – Pourquoi faudrait-il reconnaître notre dette vis-à-vis de tous les créanciers ? »

Varoufakis explique qu’il a répliqué : « nous pourrions « reconnaître » notre dette en insistant pour qu’elle soit immédiatement restructurée et – j’ai martelé ce point – pour que nos créanciers récupèrent leur argent |15|. L’aile de Syriza qui exigeait des décotes immédiates et unilatérales parce que la dette était illégale en soi serait scandalisée, mais l’option a fini par être avalisée par le cabinet de guerre. Il était prévu que j’écrive à l’Eurogroupe pour soumettre une demande officielle de prolongement » (p. 271-272).

Cette décision allait très clairement à l’encontre du programme de Syriza et du gouvernement.

Par ailleurs, Varoufakis explique que « le scénario le plus probable » poursuivi par les dirigeants européens était le suivant : « la prolongation était un leurre, en retardant la solution ; ils attendaient que notre popularité s’essouffle, ainsi que nos réserves de liquidité, jusqu’à la date d’expiration, en juin, où notre gouvernement serait à bout de forces et capitulerait » (p. 272).

Varoufakis affirme que, face à ce scénario il a obtenu l’accord du cabinet de guerre pour « demander cette prolongation tout en signalant trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités nous répondrons par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de nous renfermer dans la camisole d’un plan bancal ou de nous refuser une restructuration nous répondrons par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux nous répondrons par la décote unilatérale des obligations SMP, suivie par la mise en place du système de paiement parallèle et la modification des règles de la Banque centrale de Grèce pour restaurer la souveraineté du Parlement sur ladite banque. »

Le problème c’est que, jamais au grand jamais, cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015.
Par ailleurs, à ce stade, nous ne disposons que du témoignage de Varoufakis. Aura-t-on un jour un témoignage confirmant son affirmation ? Il est tout à fait improbable que Tsipras confirme la version de Varoufakis car ce serait l’aveu de sa propre culpabilité.

Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

La menace dont parle Varoufakis n’a de toute façon jamais été communiquée à la Troïka.

Varoufakis écrit : « Le pire serait de demander une prolongation, de l’obtenir et de ne pas signaler notre détermination à passer à l’acte si les créanciers s’éloignaient de l’esprit de l’accord intermédiaire. Si nous commettions l’erreur, ils nous traîneraient dans la boue pendant toute la prolongation, jusqu’à ce qu’on soit exsangues et qu’ils puissent nous achever » (p. 272). Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Varoufakis, avec l’accord du noyau autour de Tsipras, a demandé la prolongation du mémorandum sans signaler une quelconque détermination à passer à l’action et les créanciers ont traîné dans la boue le gouvernement puis l’ont amené à capituler officiellement.

Varoufakis a envoyé le 18 février à l’Eurogroupe une lettre dont il cite des passages terribles :
« Les autorités grecques reconnaissent les obligations financières vis-à-vis de tous les créanciers ». Elles comptent « coopérer avec leurs partenaires afin de contourner les obstacles techniques dans le cadre de l’accord de prêt dont nous reconnaissons la contrainte. » |16| Varoufakis ajoute qu’il ne pouvait « pas aller plus loin pour satisfaire Berlin » (p. 273). C’est le moins qu’on puisse dire.

20 février à Bruxelles : en route vers la capitulation

Varoufakis se rend à Bruxelles et, juste avant le début de l’Eurogroupe, Dijsselbloem lui annonce deux mauvaises nouvelles, qui n’en sont pas aux yeux de Varoufakis : 1. Le solde de 11 milliards € du Fonds de recapitalisation des banques (FHSF) sur lequel le gouvernement Tsipras comptait pour réaliser une partie de ses promesses électorales part vers le Luxembourg au lieu d’être mis à disposition de la Grèce (Varoufakis considère que ce n’est pas un

prisonnier d’un plan de renflouement serait autorisé à remplacer le MoU de la Troïka par son propre agenda de réformes » (p. 275). C’est du délire total. Voir dans l’encadré ci-dessous des extraits de l’accord signé par Varoufakis avec l’Eurogroupe le 20 février à Bruxelles.

L’Accord signé par Varoufakis lors de la réunion de l’Eurogroupe le 20 février |17|
(Extraits)« Les autorités grecques présenteront une première liste de mesures de réforme, sur la base de l’accord actuel, au plus tard le lundi 23 février. Les institutions (il s’agit de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, note d’Éric Toussaint) fourniront un premier avis visant à déterminer si cette liste est suffisamment complète pour être considérée comme un point de départ valable en vue d’une conclusion réussie de l’évaluation. Cette liste sera encore précisée puis soumise à l’approbation des institutions d’ici la fin avril.
Seule l’approbation, par chacune des institutions, de la conclusion de l’évaluation de l’accord prolongé, permettra tout déblocage de la tranche restant due de l’actuel programme du FESF [Fonds européen de stabilité financière] et le transfert des bénéfices de 2014 dégagés dans le cadre du SMP [Programme pour les marchés de titres]. Les deux sont à nouveau soumis à l’approbation de l’Eurogroupe.
 »
(…)
« Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers.
Les autorités grecques se sont également engagées à assurer les excédents budgétaires primaires requis ou les produits de financement nécessaires pour garantir la viabilité de la dette, conformément à la déclaration de l’Eurogroupe de novembre 2012
. »
(…)
« À la lumière de ces engagements, nous nous félicitons que, dans un certain nombre de domaines, les priorités politiques de la Grèce puissent contribuer à un renforcement et une meilleure mise en œuvre de l’accord actuel. Les autorités grecques s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles qui auraient un impact négatif sur les objectifs budgétaires, la reprise économique ou la stabilité financière, tels qu’évalués par les institutions. »

Selon Varoufakis, euphorique, il y avait quand même un hic : « Le communiqué avait un inconvénient : aucun assouplissement du resserrement des liquidités n’était prévu » (p. 275). Bref, l’asphyxie de la Grèce commencée officiellement le 4 février continuerait.

La corde qui étranglait la Grèce allait fonctionner comme un nœud coulant : tandis que celle-ci devait rembourser 7 milliards de dettes avant le 30 juin 2015, les créanciers ne feraient aucun versement d’argent frais et pire, la BCE continuerait de limiter l’accès des banques grecques aux liquidités d’urgence. Cela diminuerait leur capacité à acheter des titres émis par le trésor grec pour se financer et cela renforcerait l’asphyxie du gouvernement.

Varoufakis explique qu’au cours de l’Eurogroupe, il a reçu un SMS d’Emmanuel Macron lui demandant des nouvelles et qu’il lui a répondu : « On a eu un bon résultat. Maintenant il faut remonter les manches. Merci pour votre aide. ». Varoufakis ajoute : « Il a réagi en camarade : « Continuons à nous battre » » (p. 278).
Ensuite, Varoufakis donne une conférence de presse : « J’ai remercié Jeroen d’avoir gardé le cap et j’ai ajouté que ce serait l’occasion de s’y mettre. Pendant le week-end, mon équipe et moi allions établir la liste des réformes à soumettre dans les trois jours suivants.
– Il va falloir travailler d’arrache-pied, mais ce sera avec plaisir puisque nous partons d’une relation entre égaux.
 » |18| (p. 279)

En réalité, l’accord du 20 février est égal à l’acte d’un vassal qui se soumet au suzerain tout en proclamant qu’il est l’égal du suzerain. Rappelons les paroles tenues par Varoufakis dix jours plus tôt au parlement grec : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Varoufakis rend compte des réactions contradictoires : Jeffrey Sachs le félicite tandis qu’il est durement critiqué par Manólis Glézos, flambeau de la Résistance et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, et le célèbre compositeur Míkis Theodorákis, deux héros de son enfance pour reprendre ses termes (p. 282). Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’est excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015.

Varoufakis explique qu’à partir du 21 février, il s’attelle à rédiger les propositions de réformes à « intégrer au MoU » et à soumettre à l’Eurogroupe le 23 février. Varoufakis n’hésite donc pas à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’essayer d’amender le mémorandum en cours, alors qu’à l’époque, Tsipras et lui disaient à la population qu’il s’agissait d’un nouvel accord et que la Grèce s’était libérée de la prison du mémorandum et de la Troïka, rebaptisée « les institutions ».

Varoufakis écrit que le lundi 23 février au soir, « le texte serait envoyé à Christine Lagarde, Mario Draghi et Pierre Moscovici qui auraient la matinée du lendemain pour l’examiner avant la téléconférence de l’Eurogroupe du mardi après-midi. Ils seraient trois à évaluer les mesures avant de donner leur feu vert ou leur veto, sans que les ministres aient leur mot à dire » (p. 283). Comment dès lors peut-on affirmer, comme Varoufakis l’a fait en public à l’époque, que la Troïka n’existait plus et que la Grèce avait retrouvé la liberté ? Il reconnaît lui-même qu’il a accepté de soumettre à Lagarde (FMI), Draghi (BCE) et Moscovici (Commission européenne) les propositions que le gouvernement grec comptait envoyer ensuite officiellement à l’Eurogroupe.

Conclusion

En signant le 20 février 2015 un accord avec l’Eurogroupe selon lequel « Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers » et « s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles », Varoufakis et Tsipras rompaient avec l’engagement de mettre fin au mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction. Ils renonçaient à mettre en cause la légitimité de la dette et à en suspendre le paiement. Ils soumettaient à nouveau la Grèce au bon vouloir de la Troïka. Il était certain que celle-ci n’allait pas avaliser un programme de mesures permettant au gouvernement de concrétiser ses promesses. L’accord du 20 février est le premier document officiel par lequel Varoufakis et Tsipras abandonnent les propositions principales du programme pour lequel le Syriza avait été porté au gouvernement.

Comme l’écrivait Stathis Kouvelakis dans une interview à Alexis Cukier réalisée en 2015 « Les choses sont assez simples en réalité : les institutions européennes cherchent à construire une cage de fer dans laquelle on veut à tout prix enfermer le nouveau gouvernement pour l’empêcher de réaliser son programme. Il s’agit de montrer qu’une politique de sortie de l’austérité et du néolibéralisme est impossible dans le cadre actuel, et que, quels que soient les mandats confiés par les populations au gouvernement, quels que soient les résultats des élections, c’est toujours les mêmes politiques qui s’appliqueront. Leur premier objectif est clairement d’humilier Syriza et de mettre à genoux le nouveau gouvernement grec. Il s’agit également d’un avertissement adressé à Podemos et à toute autre force qui, en Europe, serait susceptible d’arriver au pouvoir et de remettre en cause les politiques d’austérité et le mécanisme de l’endettement. » |19|

De son côté le CADTM Europe avait publié le 31 décembre 2014 un communiqué qui sonne comme un avertissement : « Les puissants d’Europe et du monde entier n’ont même pas attendu la dissolution du Parlement grec et l’ouverture de la campagne électorale pour lancer leur nouvelle offensive de mensonges et de chantages qui visent à terroriser les citoyens grecs afin qu’ils ne votent pas aux prochaines élections du 25 janvier 2015 en faveur de SYRIZA, la Coalition de la Gauche Radicale grecque. En effet, secondés par les grands médias européens, « ceux d’en haut » du nom de Juncker, Merkel, Hollande, Renzi ou Moscovici commencent leur énième intervention brutale dans les affaires intérieures de cette Grèce, qu’ils ont d’ailleurs transformée en un amas de ruines sociales depuis qu’ils lui ont imposé leurs politiques d’austérité inhumaines et barbares.

Le CADTM n’a pas le moindre doute sur les intentions véritables de ceux qui ont fait de la Grèce le laboratoire européen de leurs politiques néolibérales les plus extrêmes et des Grecs des véritables cobayes de leur thérapie économique, sociale et politique de choc. On doit s’attendre à une escalade de leur offensive car ils ne peuvent pas se permettre que SYRIZA réussisse et fasse des émules en Europe ! Ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent car ils sont bien conscients que ce qui est en jeu aux prochaines élections grecques est le succès ou l’échec de la guerre sociale qu’ils mènent contre l’écrasante majorité des populations de toute l’Europe ! C’est d’ailleurs parce que l’enjeu est si important qu’on doit s’attendre à ce que « ceux d’en haut » d’Europe et de Grèce ne respectent pas le verdict des urnes, qui devrait couronner, pour la première fois de l’histoire, la victoire de la gauche grecque. Sans aucun doute, ils vont par la suite essayer d’asphyxier le gouvernement de gauche sorti des urnes, parce que son éventuel succès serait sûrement interprété comme un formidable encouragement à la résistance par les travailleurs et les peuples d’Europe. »

Nous verrons dans la prochaine partie que Varoufakis avec l’accord de Tsipras signera quelques jours après le 20 février 2015 un document rédigé par la Troïka reconnaissant de fait la primauté du mémorandum en cours par rapport aux mesures proposées par le gouvernement grec.

Notes

|1| Les trois premiers paragraphe de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent

|2| Ministre fédéral des Finances du 28 octobre 2009 au 24 octobre 2017. Depuis cette date, il préside le Bundestag.

|3| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 7, p. 217

|4| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|5| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|6| D’ailleurs, on éprouve vraiment des difficultés à croire que Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras aient vraiment pu penser que cette proposition pourrait convaincre les dirigeants européens.

|7| Les pays qui font partie de la zone euro ne peuvent pas dévaluer leur monnaie puisqu’ils ont adopté l’euro. Des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne sont donc coincés par leur appartenance à la zone euro. Les autorités européennes et leur gouvernement national appliquent dès lors ce qu’on appelle la dévaluation interne : ils imposent une diminution des salaires au grand profit des dirigeants des grandes entreprises privées. La dévaluation interne est donc synonyme de réduction des salaires. Elle est utilisée pour augmenter la compétitivité mais on constate qu’elle est très peu efficace pour retrouver de la croissance économique car les politiques d’austérité et de répression salariale sont appliquées dans tous les pays. Par contre, du point de vue des patrons, la crise de la zone euro qui a pris un caractère très aigu à partir de 2010-2011 constitue une aubaine : le salaire minimum légal a été réduit fortement en Grèce, en Irlande et dans d’autres pays.

|8| Varoufakis ajoute : « A l’heure où j’écris, Michael Christoforakos coule des jours tranquilles en Allemagne, Stournaras est toujours gouverneur de la Banque centrale de Grèce, le scandale Siemens n’a pas conduit le moindre homme politique devant la justice » (ibid., p. 223). Il faut savoir que Stournaras avait proposé en 2012 au parlement grec une résolution extrajudiciaire signée avec Siemens qui mettait fin à toute poursuite. J’ajoute que des procès liés à l’action de Siemens sont en cours en Grèce, depuis septembre 2017, avec le renvoi devant la justice de 18 cadres de Siemens (dont Christoforakos), en Grèce et en Allemagne, pour corruption d’agents de l’État « non identifiés ». Les agendas de Christoforakos livrés par son ancienne secrétaire montrent qu’il a eu des rencontres répétées avec certaines des principales figures politiques de la Nouvelle Démocratie et du Pasok, afin de leur remettre des commissions en nature.

|9| Elle a pris l’initiative d’élaborer la seule mesure qui combattait les effets létaux de l’austérité mémorandaire sur l’économie réelle, avec la possibilité d’éponger en 100 versements les dettes d’impôts des particuliers et des entreprises. Voir cet article

|10| Dégager un excédent primaire du budget implique généralement de comprimer les dépenses qui ne concernent pas le remboursement de la dette de manière à ce que les recettes (rentrées) soient supérieures aux dépenses (sorties). L’excédent primaire est donc calculé sans prendre en compte le remboursement de la dette publique. Une fois que ce paiement est pris en compte le budget est en déficit et il faut recourir à de nouveaux emprunts pour tenir la route.

|11| Le gouvernement Tsipras espérait également pouvoir compter sur la somme de 11 milliards qui constituait le solde du montant alloué à la recapitalisation des banques et que Syriza voulait rediriger vers la création d’une banque de développement et le renforcement du secteur public. Extrait du programme de Thessalonique : « En ce qui concerne le coût du capital de départ du secteur public, du vecteur intermédiaire et de banques spécialisées – estimé à 3 milliards d’euros –, il sera financé par le soutien de 11 milliards d’euros prévu pour les banques par le mécanisme de stabilité ».

|12| Stathis Kouvélakis témoigne du sentiment qu’un changement fondamental était en cours : « le discours de politique générale de Tsipras au Parlement le 8 février a été un moment extrêmement important. Il se situe après les ruptures symboliques, au moment de la prise de fonction du nouveau gouvernement, avec le serment civil, avec la gerbe de fleurs déposée à Kaisariani sur le monument aux deux cents héros communistes de la Résistance exécutés par les nazis le 1er mai 1940. Il faut rappeler que ces deux cents cadres communistes exécutés, c’était toute la direction du parti… Ce geste a inscrit ce gouvernement dans un fil historique puissant, dans l’histoire profonde du mouvement populaire et de la gauche communiste en Grèce. Et là, lors du discours de politique générale, on a pu sentir que la rupture était à nouveau vraiment à portée de main. » (Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 17-18). Bien sûr, différentes organisations de gauche n’ont pas manqué d’attaquer ou de critiquer durement Tsipras : il s’agissait du KKE, le parti communiste grec très sectaire, et des organisations de la gauche extraparlementaire que ce soit celles regroupées dans Antarsya, ou des groupes anarchistes qui ont occupé des locaux de Syriza rapidement après la constitution du gouvernement.

|13| Éric Toussaint, « Comment appliquer des politiques antipopulaires d’austérité ; L’OCDE fournit un vade-mecum pour les gouvernants »

|14| En effet, il n’y a pas d’autre interprétation possible car prolonger le mémorandum en vigueur impliquait automatiquement que les partenaires ne changent pas. Donc le fait d’insister sur la présence du FMI ne pouvait concerner dans la tête de Berlin qu’un troisième mémorandum à signer à l’issue du prolongement de celui qui était en cours. C’est d’ailleurs ce que Berlin a obtenu en juillet 2015.

|15| C’est Varoufakis qui souligne ce passage.

|16| Souligné par l’auteur.

|17| Le texte original en anglais est consultable sur ce site. Les extraits cités proviennent de la traduction réalisée à chaud par Ananda Cotentin

|18| Souligné par l’auteur

|19| Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 76-77)

Source http://www.cadtm.org/Varoufakis-Tsipras-vers-l-accord

Yannis Youlountas et son nouveau film bientôt à Grenoble

 » L’amour et la révolution  » c’est le titre du 3eme film de Yannis Youlountas qui sort en salle le 25 février. Le collectif de Grenoble communiquera prochainement sur le lieu de la projection-débat en présence du réalisateur : date envisagée 23 avril.

Une mention figure sous le titre du film  » Non rien n’est fini en Grèce » interrogé à ce sujet Yannis Youlountas a donné un entretien à lundimatin  que l’on retranscrit ici .

Après Ne vivons plus comme des esclaves et Je lutte donc je suis, le réalisateur franco-grec Yannis Youlountas revient avec un nouveau long métrage : L’amour et la révolution. Vous pouvez voir la (longue) bande annonce qui suit ainsi que ses réponses aux quelques questions que nous lui avons envoyées.

La bande annonce ( longue) se trouve ici https://www.youtube.com/watch?v=4LHHR9LBga4&feature=share

lundimatin : Bonjour Yannis. Tu viens de terminer ton prochain film « L’amour et la révolution ». Sur l’affiche, on peut lire le sous-titre « Non, rien n’est fini en Grèce ». Qu’est-ce qui n’est « pas fini » selon toi ?

Yannis Youlountas : Ce sous-titre est notre réponse aux médias occidentaux qui, en Europe, laissent croire que tout est fini en Grèce. Cette désinformation intervient de deux façons. Tout d’abord un silence impressionnant, par rapport aux années précédentes, signifiant qu’il ne se passe plus grand-chose et que la situation s’est améliorée. Ensuite, quand la Grèce est brièvement évoquée, il ne s’agit que de chiffres incomplets et de déclarations mensongères. Les agences de presse parlent de croissance. Mais quelle croissance ? La croissance pour qui ? La croissance de quoi ? Avec la chute de moitié du coût de la main d’œuvre et des infrastructures, la Grèce est devenue un paradis pour les capitalistes, mais un enfer pour la plupart de ceux qui y vivent. Tsipras et les dirigeants européens claironnent depuis leurs salons feutrés que le plus dur est passé, alors qu’il ne fait que commencer. La situation sociale et écologique est dramatique, mais au milieu des ruines, des initiatives montrent que rien n’est terminé. Par exemple, depuis deux ans et demi, le mouvement social a accueilli de façon formidable, dans de nombreux squats, des dizaines de milliers de réfugiés et migrants qui ont ainsi pu échapper aux camps que l’Etat grec a mis en place ; des camps indignes conçus, pour la plupart, par des technocrates français envoyés par Bernard Cazeneuve début 2016. Et puis il y a les nouvelles résistances, mais là encore, motus en occident.

lundimatin : Dans la (longue) bande annonce que tu viens de mettre en ligne, une grande importance est donnée au groupe Rouvikonas. Peux-tu nous en parler un peu plus, étant donné que leurs actions semblent avoir une grande résonance en Grèce, mais restent fortement méconnues ici ?

Yannis Youlountas : Le groupe Rouvikonas est né il y a trois ans. Son nom signifie Rubicon en français, ce fleuve romain qui représentait la limite à ne pas dépasser. C’est une organisation politique anarchiste qui se définit comme une « opposition dans la rue » à l’action du gouvernement et de l’Etat. Une opposition directe qui frappe par surprise, mais sans jamais faire de victimes, tous les lieux où s’organise la destruction des conquis sociaux et du bien commun. Par exemple, Rouvikonas a détruit les locaux de Tirésias, organisme au service des banques qui avait conçu un grand fichier des personnes surendettées, ou encore le bureau du Taiped chargé de la privatisation du bien commun, ainsi que beaucoup d’autres temples de la bureaucratie au service du durcissement du capitalisme. Ces derniers mois, Rouvikonas a multiplié sabotages, occupations, y compris au sommet du pouvoir, blocages d’événements, par exemple les négociations avec la troïka. Rouvikonas défend aussi les victimes de la violence des patrons en organisant des représailles et soutient parallèlement des actions de solidarité indépendantes du pouvoir et des ONG. La plupart des membres de Rouvikonas sont des ouvriers, des étudiants, des chômeurs, hommes et femmes, qui ont simplement choisi avec courage et persévérance de ne pas laisser faire, quoi qu’il en coûte. Ils sont de plus en plus nombreux. Yorgos, l’un des fondateurs, qui intervient dans « L’amour et la révolution » est, à lui seul, sous le coup de 40 procès et risque plusieurs années de prison. Notre film comme les précédents a pour but, entre autres, de soutenir ces luttes à la fois en les faisant connaître, mais aussi de les aider à payer les amendes et les cautions. Nous ne sommes pas des reporters venus filmer à la sauvette pour faire du fric sur le dos de ceux qui résistent. Nous sommes des membres du mouvement social que nous connaissons bien et au service duquel nous agissons, d’Est en Ouest et d’Ouest en Est. Le cinéma est une arme. Une arme pour riposter, donner à voir et à penser autre chose, susciter l’envie d’agir en suggérant de multiples formes. C’est une arme contre la résignation, à condition de ne pas nous enfermer dans l’uniformité et le sectarisme, car il y a plein de façon d’agir. C’est aussi un moyen de soutenir nos prisonniers politiques, ainsi que nos principales initiatives solidaires autogérées : squats de réfugiés et de migrants, cuisines sociales, structures autogérées de santé, automédias. Fin 2013, nos compagnons d’Exarcheia ont commencé à utiliser l’expression « film solidaire ». Une expression qui nous plait bien et qu’on a conservée depuis.

 

Lundimatin : Le quartier d’Exarcheia est connu pour être le foyer contestataire et subversif historique d’Athènes. Tu sembles dire qu’il serait en « danger », qu’entends-tu par là ?

Yannis Youlountas : En effet, le pouvoir en Grèce et en Europe veut en finir avec Exarcheia, comme avec toutes les zones de résistance et d’expérimentation. En plus, ce quartier d’Athènes que la police peine à pénétrer sert de base à la plupart des groupes révolutionnaires qui le harcèlent, visibles ou invisibles, dont le plus connu est Rouvikonas. En Grèce, la propagande médiatique contre Exarcheia est énorme. Souvent ridicule. Parfois abominable. Par exemple, il est dit qu’Exarcheia est l’épicentre de la drogue à Athènes, alors que nos compagnons font la chasse aux dealers de drogues dures qui sont, à l’inverse, protégés par les flics à l’ouest du quartier, de façon très visible. L’État et la mafia ont tout intérêt à répandre l’aliénation et l’illusion dans les rangs de ceux qui leur résistent. Bref, c’est tout le contraire de ce que raconte la télé. L’épée de Damoclès au-dessus du quartier est double. La stratégie des conseillers de Tsipras est de gentrifier progressivement Exarcheia : projet d’une station de métro, grands travaux, aménagements, mais aussi achats de nombreux logements par des hommes d’affaires chinois invités de la dernière foire économique de Thessalonique (consacrée aux relations Grèce-Chine) pour les transformer en Airbnb, et par conséquent hausse des loyers… Pendant ce temps, le chef de la droite, Kiriakos Mitsotakis, promet solennellement de « nettoyer Exarcheia dès [son] premier mois », sitôt la future alternance passée, en évoquant un immense déploiement de forces de police, une opération quasi-militaire. Même si on prend sa menace au sérieux, la première des réponses a été une tornade de caricatures et de parodies satiriques. Bref, un grand éclat de rire dans le quartier et bien au-delà en Grèce.

 

Lundimatin : Après les émeutes massives de 2008, les mouvements sociaux quasi continus et l’effondrement économique du pays, de nombreux observateurs extérieurs s’attendaient à de possibles grands bouleversements politiques. Certains mettaient leurs espoirs dans Tsipras pendant que d’autres voyaient dans son élection une impasse inéluctable dans la politique classique. Trois ans plus tard, qu’en est-il ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de doute possible : l’élection de Tsipras a été une catastrophe. Après six mois d’agitation stérile aux côtés du pitre Varoufakis, la « capitulation » de Tsipras a assommé une grande partie de la population. Un choc qui a provoqué une immense résignation, une sorte de dépression, d’apathie profonde durant de longs mois pendant lesquels la plupart des pires lois sont passées comme une lettre à la Poste, sans résistance ou très peu. Même l’aile de gauche de Syriza qui a fait sécession a été laminée par le TINA de Tsipras et ses larmes de crocodile à la télé grecque. Dans le mouvement social, avant son arrivée au pouvoir, les avis à ce sujet étaient partagés. Malgré nos divergences fondamentales, certains se disaient naïvement qu’il limiterait un peu la casse en attendant mieux, d’autres ne croyaient pas du tout à une amélioration mais pensaient que l’arrivée de son parti aux affaires ferait tomber les masques et ouvrirait un boulevard aux composantes révolutionnaires. Mais la plupart craignaient ce qui allait finalement arriver : l’anesthésie quasi-totale du mouvement social durant plus d’un an, d’abord devant le spectacle de la bataille, puis celui de la défaite. Depuis, nous avons pris acte et essayons d’activer la résistance et les solidarités sous de nombreuses formes. L’Etat ayant abandonné la plupart de ses prérogatives sociales pour ne garder que les plus répressives, nous proposons l’autogestion et l’auto-organisation parmi les moyens non seulement de survivre, mais aussi d’expérimenter un autre futur.

Lundimatin : Ton film met en lumière des pratiques d’auto-organisation et de lutte très diverses, de l’aide aux migrants à la lutte contre la construction d’un aéroport, d’actions offensives et symboliques contre les lieux de pouvoir aux manifestations émeutières. Comment tout cela s’articule ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de recette miracle ni de vérité absolue. A chacun d’essayer, d’inventer, d’expérimenter là où il se trouve, avec ceux qui l’entourent. La lutte contre le projet d’un nouvel aéroport à Kastelli, en Crète, n’est pas exactement la même que celle que j’ai pu voir à Notre-Dame-des-Landes. Par exemple, il n’y a pas à proprement parler de ZAD, d’occupation effective des terrains concernés (600 hectares sur lesquels 200 000 oliviers seraient coupés). Les gens qui résistent vivent dans la ville principale et les villages alentours, ils cultivent les terres qu’ils refusent de céder, organisent des concerts et des débats, et sabotent autant que possible les conférences des bureaucrates envoyés pour convaincre les habitants. L’abandon du projet d’aéroport en France a été une immense joie pour eux, car ils suivaient depuis longtemps la lutte exemplaire de Notre-Dame-des-Landes ; même si, on le sait, rien n’est fini, notamment pour l’avenir de la ZAD. Autre différence : en Grèce, le mouvement social se divise beaucoup moins sur la question de la violence. Les émeutes sont rarement décriées dans nos rangs. La diversité des formes d’actions est plutôt admise comme légitime, respectable et même nécessaire. D’autant plus que la violence subie, politique, économique et sociale, provoque une immense colère un peu partout. Tout le monde ne descend pas dans la rue dans le but de brûler une banque, mais peu râlent quand ils assistent à cela. De toutes façons, nos compagnons émeutiers ne sont pas là pour discuter sur le macadam : ils ne veulent plus de ce monde, de ses banques, de ses boutiques de luxe arrogantes ; ni des symboles du pouvoir ni des valets casqués qui le servent. Ils font ce qu’ils jugent bon de faire, sans que personne ne les gêne. Quant aux migrants, lors de leur arrivée massive en 2015, nous avons rapidement perçu cette nouvelle épreuve comme un défi : celui de montrer concrètement de quoi nous étions capables. Le mouvement social a rapidement ouvert un grand nombre de nouveaux squats, à commencer par le Notara 26 à Exarcheia dès le mois de septembre 2015, pour accueillir ces visiteurs et les inviter à s’organiser eux-mêmes avec le soutien des « solidaires ». C’est depuis une expérience formidable d’émancipation individuelle et sociale. Ce mélange de population est une grande richesse à Exarcheia et ailleurs en Grèce. Il permet d’échanger, de multiplier les initiatives et de propager l’idée de changer la vie bien au-delà des convaincus, des férus de politique et d’Histoire, parmi les premiers opprimés du capitalisme : les migrants de la guerre et de la misère.

 

Lundimatin : C’est une impression lointaine et donc peut-être erronée, mais il semble que la situation grecque soit étrangement « gelée ». D’un côté il y a un gouvernement réduit à une impuissance évidente, de l’autre des forces subversives nombreuses et bien organisées, mais restreintes à un état « minoritaire ». A quoi ressemble, selon toi, l’avenir à moyen terme du pays ?

Yannis Youlountas : Le monde n’a jamais changé du fait d’une majorité. De plus, il faut souvent bien peu de choses pour que tout bascule très vite. Le plus souvent quand on ne l’attend pas. En Grèce, nous assistons à une véritable gestation depuis neuf ans, bientôt dix. Nous sommes passés par toutes les étapes. Des étapes très formatrices : des émeutes qui ont fait trembler le pouvoir mais n’ont pas réussi à le faire tomber, des grèves générales répétées mais sans lendemain, des occupations et des assemblées sur des places qui ont attiré beaucoup de monde mais qui tournaient un peu en rond, des lieux autogérés qui proposaient des alternatives alléchantes mais sans vraiment gêner le système économique dominant, des tentatives syndicales et électorales qui ont échoué lamentablement, des démonstrations d’ouverture et d’accueil par-delà les frontières mais sans parvenir à obtenir des papiers pour tranquilliser nos amis migrants, des actions de sabotage et de blocage qui ont montré que le pouvoir est un géant aux pieds d’argile et que sa puissance n’est bâtie que sur du vent et des simulacres, mais beaucoup n’ont pas osé faire de même par peur des conséquences juridiques. La leçon de cette période exceptionnelle est sans doute qu’une seule façon d’agir ne suffit pas, que la diversité est notre richesse, que le respect mutuel parmi ceux qui luttent devrait nous accompagner partout et qu’on ne sait pas d’où viendra la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Mais une chose est certaine, c’est que pour sortir de l’impasse mortifère, changer profondément la société et sauver la vie, nous n’avons pas d’autre choix que l’amour et la révolution.

 

Pour se tenir au courant de la sortie et de la diffusion du film, consultez www.lamouretlarevolution.net

 

Le traitement par l’UE des réfugiés

Intervention d’Omar Slaouti, militant antiraciste, lors d’une rencontre le  3 février 2018 à la Cité Internationale des Arts de Paris sur le traitement par l’UE des réfugiés. (Intervention faite à partir de travaux de cartographes, migreurop…sur l’assassinat des réfugiés par l’UE).

Il traite de  » la dépossession des corps », « l’invisibilité » qui se traduit par 2 termes l’injonction à l’assimilation ou l’intégration  » qui cache l’idée qu’on ne peut pas être différent et en même temps égal ».

Il met l’accent sur les images de réfugiés ( sans leur donner la parole) véhiculées par certains médias qui sont là pour provoquer la peur de l’invasion, de l’envahissement.

Il revient sur le terme de  » crise »  » la crise des réfugiés  » est ce qu’on parle de « la crise des actionnaires » la  » crise des banquiers » « la crise des capitalistes » le mot « crise » rend responsables ceux qui sont cités… »on écarte tout le processus temporel qui est à l’origine de mouvements de population ».

Ceux qui migrent ne font pas que franchir des frontières géographiques ils franchisent la frontière symbolique de la dignité. Cette » frontière de la dignité qui sépare un nous : occidental plutôt blanc moderne et civilisé d’un eux : plutôt africain, latino américain, barbare, et loin de notre modernité ».

« Le racisme n’est pas du tout un problème de relation interindividuelle, le racisme est d’abord et seulement un rapport social de domination construit entre celles et ceux qui ont de part leur statut politique qui lui même construit se situe à un certain niveau de la hiérarchie de l’échelle qui a été construite.

Il développe sur les politiques qui affament : une instrumentalisation politique de la famine.

Sur la question des réfugiés : Il relativise le nombre et les pays d’accueil. 83 % des réfugiés à l’échelle mondiale vont se retrouver dans les pays limitrophes du pays qu’ils quittent. Ce sont les pays les plus pauvres ( une dizaine) qui accueillent le plus.

Durée de l’intervention 30mn. Vidéo de 60mn avec les questions de la salle.

Voir l’intervention complète https://www.facebook.com/parolesdhonneurtv/videos/1898631100194282/

Instantanés helléniques La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Instantanés helléniques

À Athènes, et plus généralement au sud de la Grèce, c’est le moment des premières floraisons. Temps doux, bourgeons du moment, autant que cette autre… renaissance naturelle, celle des rassemblements contestataires massifs face au pouvoir en place. C’est vrai que la ville d’Athènes n’avait pas connu un tel rassemblement populaire comme celui qui s’est tenu dimanche dernier et qui a rassemblé près de 600.000 personnes, depuis bien longtemps. Printemps des… peuples ?

Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

Ce rassemblement, faisant suite à celui de Thessalonique, comme je le soulignais dans mon article sur ce blog du 28 janvier dernier, cristallise dans la forme déjà, l’opposition à la réouverture des négociations entre la Grèce et la Macédoine slave, et surtout à l’utilisation par cette dernière du nom historique de “Macédoine”. Autrement-dit, l’ex-République Yougoslave de Macédoine, et c’est au sujet de sa désignation définitive officielle (et ainsi enfin acceptée par les deux pays).

Sur l’histoire complexe de l’affaire macédonienne, les lecteurs du blog peuvent également lire l’analyse complète et argumentée (sur le site de LVSL) de mon ami historien et écrivain Olivier Delorme, publiée ce même jour (7 février 2018).

Dans les faits, il s’agit d’un très grand rassemblement populaire, dont les composantes patriotique et identitaire, dominaient essentiellement, ce fut autant et surtout une manière de défendre une certaine (et ultime ?) dignité piétinée depuis les années des mémoranda, et surtout depuis la trahison SYRIZA.

Peuple alors pathétique et plutôt de droite (comme autant celui de l’Église Orthodoxe), car la gauche ne mobilise plus comme on sait depuis 2015. Le tout, lorsque l’orateur principal du rassemblement était Míkis Theodorakis, mondialement connu pour ses engagements (non exhaustifs) à gauche, ancien élu communiste… mais également sporadique élu du parti de la Nouvelle Démocratie (droite), et même ministre (certes un peu cosmétique) au gouvernement de Konstantinos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie) dans les années 1990. Ceci n’explique certainement pas cela, sauf que ces autres engagements de l’homme politique (plus que du compositeur) méritent le rappel des faits.

Míkis Theodorákis. Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

La société grecque étant acculée, par conséquent, elle ne raisonnera (et résonnera) désormais qu’en termes identitaires, les enquêtes et autres sondages d’opinion démontrent que pour plus de 70% des personnes interrogées, “les organisateurs du rassemblement ont raison dans leurs positions soutenues”, et par ailleurs, les institutions auxquelles les Grecs font davantage confiance sont d’abord l’Armée et en ensuite l’Église, tandis que les partis, les syndicats, l’Assemblée nationale, les élus, arrivent très loin derrière.

D’après les reportages du moment (radio 90.1 FM du 6 février 2018 entre autres), la présence masculine dimanche dernier à Athènes, frôlait les deux tiers des participants, tandis que la même proportion lors du mouvement dit des Places et/ou des Indignés de 2011, avait été différente et plus équilibrée: une présence à 55% masculine et à 45% féminine. De même, le public plus proche de l’âge mûr (voire très mûr) dimanche dernier avait été majoritaire, voilà pour certaines données déjà mesurables.

Voilà donc pour la sociologie et ainsi démographie de ce 4 février 2018 à Athènes. Masculinité, militaires actifs et à la retraite très visiblement représentés, élus de la Nouvelle Démocratie également (pourtant par ailleurs mémorandistes), puis, des orateurs aux propos forts, tel le constitutionnaliste Yórgos Kasimatis pour qui: “Il y a une décision politique qui consiste à offrir notre identité à des étrangers. Ce nom (Macédoine) après la deuxième guerre mondiale, avait été offert tel une friandise au peuple de Skopje par Tito, ceci, pour que la Yougoslavie puisse un jour… revendiquer en son sein l’ensemble de la Macédoine (géographique). Aujourd’hui, toute la Grèce se retrouve présente ici pour ce rassemblement. Même ceux qui ne peuvent pas agir en notre sens, ils sont pourtant d’accord avec nous. C’est enfin aujourd’hui la première fois que l’article 120 de notre Constitution enfin s’applique-t-il.”

Article 120 de la Constitution grecque : “Le respect de la Constitution et des lois qui y sont conformes, ainsi que le dévouement à la patrie et à la République constituent un devoir fondamental de tous les Hellènes. L’usurpation, de quelque manière que ce soit, de la souveraineté populaire et des pouvoirs qui en découlent est poursuivie dès le rétablissement du pouvoir légitime, à partir duquel commence à courir la prescription de ce crime. L’observation de la Constitution est confiée au patriotisme des Hellènes, qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens à quiconque entreprendrait son abolition par la violence.”, (note de ‘Greek Crisis’).

Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs et réservistes, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

“C’est notre réponse du ‘NON’, lorsqu’en face, nous avons des gouvernements qui disent ‘OUI’ à l’esclavage et cela dure depuis 2010. Aujourd’hui, le peuple grec prend le contrôle de sa souveraineté. La Grèce est ici présente et entière pour ne pas céder la moindre terre grecque aux étrangers. Car l’ensemble du pays est en ce moment sous le point d’être vendu, cédée. (Si l’on accepte la réalité de la Macédoine géographique pour les voisins Slaves) alors la Turquie devrait s’appeler l’Ionie et la Sicile la Grande Grèce. Et il n’y a pas un seul spécialiste des relations internationales pour nous apporter le moindre exemple d’un pays dont le nom n’a aucun rapport avec l’histoire de son peuple. Aujourd’hui, les Européens sont alors devenus aveugles.”

“Les noms mixtes concoctés de la sorte, abolissent la vieille Macédoine, abolissent l’identité de la Grèce. Donc, nous nous opposons au moindre usage mot Macédoine de quelque façon que ce soit par le pays voisin. Qui ne voit-il pas enfin la boulimie expansive des grandes puissances qui exigent alors la contraction de la Grèce ?” (Kasimatis, le 4 février 2018 à Athènes) .

La veille du rassemblement, un slogan revendiqué comme anarchiste, avait été apposé sur une façade de la maison de Míkis Theodorakis: “Ton histoire commence à la montagne des résistants (de gauche en 1941-1944), pour finir dans la gadoue nationale de la Place de la Constitution.” “J’ai toujours combattu toute forme de fascisme, et en ce moment, le fascisme le plus dangereux est gauchisant car venu des Syriziste”, a-t-il répondu Theodorakis depuis la Place de la Constitution le lendemain. Non sans une certaine… moquerie, le député (néonazi) de l’Aube Dorée Ilías Kassidiáris a ainsi twitté: “Míkis (Theodorakis) a débuté (sa vie politique) au sein de l’EON, organisation de la jeunesse du régime du Général Metaxás (1936-1941), pour ainsi la boucler ici même sur la Place de la Constitution, aux côtés des patriotes et des nationalistes. Toutes ses autres positions politiques intermédiaires peuvent être effacées”, “Quotidien des Rédacteurs” du 4 février 2018 .

La maison de Míkis Theodorakis taguée. Le 4 février 2018 (presse grecque)
“Président ‘Macédonien’, Je renomme mon chien d’Alexandre en Alexis”. Quotidien “Kathimeriní”, 2018
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

L’Aube Dorée croit sans doute reboire du petit lait (comme… du petit peuple), sauf que c’est très probablement d’un lait alors caillé qu’il s’agit. Un grand vide politique identitaire serait pourtant en gestation en vue d’accoucher (ou pas) à… une nouvelle souris (de droite cette fois-ci), à la manière de la souris SYRIZA à gauche… au résultat ainsi acquis on dirait.

Cela dit, ce regain populaire (visiblement) organisé (et/ou récupéré) n’est pas tout à fait spontané, telle est mon intuition disons ethnographique d’après mon vécu de tant d’années (déjà) mémorandaires, métapolitiques et para-démocratiques. C’est tout de même curieux qu’aucun grand rassemblement n’ait pu s’organiser, si ce n’est que pour alerter de la gestation géopolitique teratomorphique pour ce qui est de Chypre par exemple, et cela depuis plus d’un an, comme les lecteurs assidus de ce blog peuvent peut-être se souvenir car j’avais évoqué cette question en janvier 2017.

Je ne possède pas… (toutes !) les qualités de l’oracle de Delphes, sauf que je respire suffisamment l’air du temps (mauvais), pour savoir que très probablement le vide politique laissé depuis la trahison SYRIZA, un vide souverainiste existe bel et bien, de droite (si l’on se base sur la classification du siècle qui est déjà bien derrière nous), et que ce vide ne peut pas ne pas être en quelque sorte “travaillé” par les tenants du vrai pouvoir. Ce qui n’exclurait pas un certain et potentiel “accident” dans l’événementialité supposée acquise… tout comme requise, comme parfois lorsque les peuples montent sur le devant de la scène… pour aussitôt s’éclipser (ou se faire trahir par la suite).

En tout état de cause, ce qui est ressenti à travers les convulsions de la société grecque, c’est comme une forme de “culture de guerre” à visage à peine couvert. La notion (toute proportion gardée pour ce qui est du cas grec) appartient aux historiens de la Grande Guerre, dont Stéphane Audoin-Rouzeau (il était mon directeur de Thèse en Histoire), s’agissant d’un ensemble de représentations, de pratiques, d’attitudes, de productions littéraires et artistiques qui a servi de cadre à l’investissement des populations européennes dans un conflit.

Musée de la Guerre. Athènes, janvier 2018
Trière, navire de guerre antique représenté sur poterie. Musée Byzantin, Athènes, janvier 2018
Surveillance du territoire et Garde Evzone. Athènes, janvier 2018

Cette culture de guerre larvée, elle est d’abord et principalement tournée vers l’intérieur (face au personnel politique, face à d’autres catégories de la population). Ensuite, exprimée vers l’extérieur par la primauté entre autres d’un discours identitaire, surtout défensif devant l’occupation troïkanne que la Grèce connait depuis 2010 (accentuée depuis SYRIZA/ANEL), devant aussi ce qui est considéré comme de l’usurpation de l’identité et de la culture helléniques (par les voisins de la Macédoine slave), et autant face à une menace explicitement formulée de la part de la Turquie sous le régime Erdogan. Situation en somme déjà assez complexe et potentiellement explosive, comme également l’admet l’éditorialiste de “Kathimeriní” du 6 février 2018 (pourtant grand quotidien systémique), évoquant “un courant puissant et incontrôlable.”

Tout le monde admettra (lorsqu’on discute sérieusement) que la Grèce aura tout intérêt à que l’État voisin de la Macédoine slave puisse se maintenir, tiraillé comme il est, entre la Bulgarie et l’Albanie, sauf qu’en plus (ou que d’emblée), la programmation actuelle géopolitique OTANesque dans les Balkans, prime sur tout le reste et que cette… programmation, ne serait pas forcément compatible avec les intérêts des peuples, ni (toujours) avec la coexistence, espérons-le pacifique entre eux.

Fouilles à Délos. Exposition, Musée Byzantin, 2017-2018
Exposition sur l’histoire des fouilles dans les Cyclades. Musée Byzantin, Athènes, 2017-2018
Poisson… Chrétien. Musée Byzantin. Athènes, 2018

Le grand rassemblement du 4 février à Athènes a enfin déjà, et autant matérialisé cette énorme rupture entre une large partie de la population (deux tiers je dirais) et le système politique, pour ne pas dire le régime politique tout simplement. C’est également une manière que de signifier de manière comptable et palpable dans la rue, toute l’étendue du divorce ainsi forcé (et non pas à l’amiable) prononcé en 2015, entre le peuple grec et la Gauche, l’ensemble de la Gauche d’ailleurs, et non pas seulement SYRIZA. Je l’avais souligné tôt, dès juillet/août 2015, et c’est ainsi.

En l’état actuel des choses, à travers la presse et les espaces Internet des partis et mouvements de gauche en Grèce, le grand rassemblement du 4 février est tout de même synonyme de choc. Et toute une campagne de dénigrement réunissant les Syrizistes et les autres formations de la gauche en Grèce, tirent à… boulets rouges sur Míkis Theodorakis, lequel n’est pas non plus certes un intouchable, loin de là.

Cependant, mon ami Dimitris Belandís, ancien au Comité Central SYRIZA jusqu’à l’été 2015, remet un peu de sens dans ce débat par un texte qu’il publie sur sa page Facebook , estimant “qu’il ne faut pas perdre de vue, que derrière la déconstruction si agressive de la figure de Theodorakis, c’est en réalité l’ultime déconstruction des symboles et des luttes des années 1940 à nos jours, en passant alors sous silence, l’incontestable et bien réelle crise existentielle de la gauche”.

Instantanés Cycladiques, exposition. Athènes, de novembre 2017 à février 2018
Travaux. Athènes, janvier 2018
Vue athénienne. Janvier 2018
Offre… du moment. Athènes, janvier 2018

Comme souvent dans l’histoire, nous nous contenterions… de l’offre du moment, comme des rares travaux de voirie à Athènes, faute de mieux. Instantanés ainsi helléniques !

Un supposé énorme scandale vient d’éclater à la seule initiative du “gouvernement”, comme par hasard trois jours après le rassemblement du 4 février. L’affaire ainsi nommée Novartis, met en cause un certain nombre d’hommes politiques du PASOK et de la Nouvelle Démocratie “pour corruption passive, liée à l’attribution du marché des produits vaccinaux en Grèce, cela au profit de la firme Novartis” entre 2006 et 2015.

L’enquête déjà transmise au “Parlement” est ouverte par le Parquet, et parmi les présumés coupables (et sous le coup d’inculpation), on y découvre alors Samaras (ex-Premier ministre Nouvelle Démocratie/PASOK lequel contre-attaque en portant plainte à son tour), Stournáras (de la Banque de Grèce, comme… de la banque tout court), Venizélos le Pasokien, Avramópoulos (Commissaire actuel à l’immigration à Bruxelles), Pikramménos (président du Conseil d’État en 2009 et ex-Premier ministre technique au moment des élections de 2012), et bien d’autres, (presse grecque du moment à l’instar du quotidien “Kathimeriní”) .

Très jeune petit… peuple. Chypre vers 1950, photo du poète Yórgos Séféris (exposition, Athènes, janvier 2018)

Le… dit petit peuple en rigole, du pompiste du coin à la coiffeuse de quartier à Athènes, on sait que cette affaire (vraie ou pas peu importe), s’inscrit bien dans la ligne politicarde du “gouvernement” SYRIZA/ANEL, à travers notamment son (ultime ?) tentative pour demeurer au pouvoir, si possible jusqu’aux élections législatives de l’automne 2019. Le tout, lorsque ce gouvernement qui embauche massivement des contractuels… clients politiques dans la large fonction publique en ce moment (sans visiblement de réaction de la part de Bruxelles), est un gouvernement très largement haï (et non plus seulement rejeté politiquement) par les deux tiers de la population.

La question (ou sinon… l’autre question) serait également de savoir dans quelle mesure le cercle dirigeant (et atlantiste) de SYRIZA, bénéficie ou pas de l’aval des États-Unis dans cette mise en cause de telles personnalités politiques, très européistes et germano-compatibles avérées (Samaras, Pikramménos, Avramópoulos entre autres). Nous n’avons pas de réponse (pour le moment).

Le monde de jadis. Cyclades en exposition, Musée Byzantin, Athènes, nov. 2017 – févr. 2018
Humains et animaux représentés. 6ème siècle avant notre chronologie. Musée Byzantin, 2018
L’archéologue et son chat… cycladique. Exposition, musée Byzantin, Athènes, 2018
Exposition. Musée Byzantin, Athènes, 2018

Athènes, ses premières floraisons en son temps (métrologique) bien doux. Plongée ainsi historique et possible… à Délos et dans les Cyclades plus généralement, grâce à la belle exposition qui se tient au Musée Byzantin (jusqu’au 28 février), une autre manière (personnelle) pour ainsi prendre de la nécessaire distance (tout comme un éloignement très temporaire d’Athènes, les raisons sont familiales).

Mimi de ‘Greek Crisis’. Athènes, janvier 2018

Délos, obscure et glorieuse, toujours entre humains et animaux, dont les chats des archéologues de jadis. Comme ceux de ‘Greek Crisis’ pour les archéologues du futur, Mimi qui se fatigue parfois, et Hermès (dit le Trismégiste)… infatigable.

Renaissance naturelle, instantanés helléniques !

Hermès de ‘Greek Crisis’. Athènes, février 2018
* Photo de couverture: Rassemblement à Athènes le 4 février 2018 (presse grecque)

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Le tribunal permanent des peuples condamne l’UE et la France

Gus Masiah ( Économiste, Ingénieur, spécialiste de l’urbanisme, altermondialiste) était l’invité de Noël Mamere sur le Media ce mardi 6 février 18 .

Dans cet entretien de 16 mn il évoque le rôle mais aussi le poids du Tribunal permanent des peuples qui est un tribunal d’opinion saisi par des mouvements ou des associations . Fondé en 1979 par Lelio Basso

Le dernier en date s’est tenu les 4 et 5 janvier à Paris, au Centre International de Culture Populaire (CICP), pour une session consacrée aux violations des droits humains des personnes migrantes et réfugiées.

Il a rendu un jugement accablant sur l’UE et la France en les condamnant symboliquement de complicité de crime contre l’humanité au sujet du droit des exilés. (le terme d’exilés étant plus approprié que celui de migrants ou réfugiés).

voir l’entretien complet  https://www.lemediatv.fr/video/l-invite-de-noel-gus-massiah-060218-02072018-1137

Lire également sur le même sujet le billet de Benjamin joyeux https://blogs.mediapart.fr/benjamin-joyeux/blog/050118/les-politiques-migratoires-au-tribunal-des-peuples

« Sur la route d’Exarcheia » à la MDA

Le collectif Grèce-austérité de Grenoble soutenu par Attac 38 et CADTM38 

 vous invite à la projection-débat du film

Sur la route d’Exarcheia

Récit d’un convoi solidaire en utopie

Le Mardi 6 mars 2018 à 20 h

à la Maison des associations de Grenoble 6 rue Berthe de Boissieux Salle de conférence

suivie d’un débat avec Eloïse Lebourg réalisatrice et un des convoyeurs

Le film (57mn) – Le 28 mars 2017, un mystérieux convoi de 26 fourgons venus de France, Belgique, Suisse et Espagne arrive au centre d’Athènes, dans le quartier rebelle d’Exarcheia. Les chaînes de télé grecques évoquent une grave menace. Le ministre de l’intérieur annonce qu’une enquête est ouverte. La fabrique de la peur tourne à plein régime.

En réalité, il s’agit d’un convoi solidaire qui vient apporter un soutien matériel, politique et financier au mouvement social grec et aux réfugiés bloqués aux frontières de l’Europe. Parmi les 62 visiteurs, 4 enfants participent à cette aventure humaine : Achille, Nino, Capucine et Constance. Ce film raconte cette odyssée fraternelle et rend hommage aux solidarités par-delà les frontières.

Production MEDIACOOP – Réalisation de Éloïse LEBOURG avec le soutien de Maxime GATINEAU et Mathias SIMONET.Images de Maxime GATINEAU, Éloïse LEBOURG, Roman STACHA. Montage et mixage de Mathias SIMONET.Enregistrement voix off MIX & MOUSE. Voix de Constance et Capucine.
Avec le soutien du collectif solidaire ANEPOS. Remerciements à Maud et Yannis YOULOUNTAS et tous les convoyeurs.

Le débat – Au-delà du récit de ce convoi solidaire (notre collectif a participé à la collecte), il sera aussi question de la quasi colonisation de la Grèce par les intérêts financiers et sur les conséquences concrètes pour la population des mesures d’austérité décrétées par l’Union européenne et mises en œuvre par le gouvernement grec.

Les actions du collectifs – Vous trouverez dans la salle :

* des  produits VIOME + information sur leur situation et sur la prochaine commande groupée,
* des confitures vendues au profit des dispensaires autogérés grecs ( frais postaux),
* des tracts de présentation du collectif , ses objectifs, ses actions ,
* des tracts d’appel aux dons pour les dispensaires autogérés grecs,
* un chapeau pour la participation aux frais de la soirée ( droit et déplacements),
* les panneaux d’information du CADTM 38 sur la situation en Grèce. 

Merci de diffuser l’information dans vos réseaux avec cette affiche Sur la route d’Exarcheia_affiche_A4

Grèce. La droitisation de SYRIZA: un gouffre social, moral et idéologique

Publié par Alencontre le 1 – février – 2018

Par Antonis Ntavanellos

Le 15 janvier 2018 a été soumis au Parlement grec, et par la suite adopté par la majorité de SYRIZA-ANEL [Grecs indépendants], le projet de «loi-valise», par lequel le gouvernement Tsipras assure le «bon» déroulement de la 3e évaluation de la situation économique grecque par les créanciers. Ainsi, ce gouvernement suit sa route vers la fin formelle du programme du 3e mémorandum (signée le 14 août , annoncée pour août 2018.

D’ici à cette date le gouvernement doit encore éviter deux récifs. D’une part, les «stress tests» (tests de résistance bancaire) des banques grecques [Banque nationale de Grèce, Piraeus Bank, Alpha Bank et Eurobank], où il espère que les créanciers et la Commission européenne accepteront l’application de critères moins stricts, afin d’éviter le scénario d’une nouvelle recapitalisation des banques qui ferait exploser la vision optimiste de l’économie grecque actuellement diffusée. D’autre part, la stratégie de communication de Tsipras qui, malgré tous les problèmes, est déjà en train de préparer les prochaines élections. Il a encore en perspective la 4e évaluation (au printemps 2018), qui débouchera sur de nouvelles mesures d’austérité supplémentaires.

A condition que le gouvernement arrive à surmonter ces risques, il pourrait espérer obtenir une promesse favorable à des mesures «d’allégement» de la dette grecque, principalement un plus grand étalement dans le temps des indispensables remboursements. Dans tous les cas, les créanciers, pour l’instant, déclarent que le débat sur la dette sera officiellement ouvert après août 2018.

Il convient de noter que la fin formelle du 3e mémorandum ne signifie pas la fin des politiques mémorandaires brutales. Comme il a été explicitement convenu lors de la signature par Tsipras du 3e mémorandum, la totalité des lois, règles et règlements, associés au mémorandum, l’ensemble des contre-réformes néolibérales des huit dernières années, resteront en vigueur, au même titre que la mise sous «surveillance» de l’économie grecque jusqu’en… 2060 (c’est-à-dire jusqu’à ce que soient remboursés au moins les 75% de la dette) !

Le projet de «loi-valise»

Les dispositions mises en place lors de la 3e évaluation comportaient plusieurs mesures brutales:

• L’article le plus controversé dans cette loi est celui qui autorise les banques et les administrations publiques de procéder par voie électronique à la mise aux enchères des domiciles des familles populaires qui sont dans l’incapacité de régler leurs dettes. Le gouvernement a déjà essayé de procéder à des ventes aux enchères en grand nombre. Mais il a rencontré une résistance importante, entre autres par des mobilisations (au sein desquelles l’Unité Populaire – LAE – a tenu le premier rôle) qui ont empêché les tribunaux de tenir audience et de rendre les décisions de mises aux enchères. Le gouvernement a tenté la répression, et il a lamentablement échoué, provoquant la présence encore plus nombreuse des manifestant·e·s devant et à l’intérieur des tribunaux. Aussi, l’apparition du Parti communiste grec (KKE) dans ces actions, qu’il a rejointes avec beaucoup de retard, a aidé à affermir la conviction que nous pouvions arrêter les décisions gouvernementales sur cette question, cruciale pour les banques et les créanciers. Le gouvernement tentera d’éviter cet affrontement en organisant dès à présent des ventes aux enchères électroniques, dans des centaines d’études de notaires de tout le pays. Mais le programme de vente aux enchères concerne un tel grand nombre de cas qu’existe l’espoir réaliste que le mouvement de résistance se déplacera vers les quartiers pour y livrer la bataille afin de mettre un cran d’arrêt aux expulsions.

• Un emblématique tournant réactionnaire a été également la modification radicale de la loi qui régissait le droit de grève. Cette loi a été conquise de hautes luttes ouvrières pendant la période ayant suivi la chute de la dictature [1974]. Aujourd’hui, un gouvernement, dont seul le nom renvoie au terme de gauche, a décidé que pour qu’une grève soit déclarée, 50% +1 des travailleurs d’une entreprise ou d’une branche doivent être présents et approuver la décision d’entrer en grève. Une telle réglementation fut pendant des décennies le souhait des cadres dirigeants capitalistes les plus extrémistes, un souhait qui semblait jusqu’à présent irréalisable.

Incontestablement, la «loi-valise» contient bien d’autres mesures critiques, telles que des coupes majeures dans les allocations familiales et les retraites, ainsi que des modalités facilitant encore plus les privatisations au sein des «secteurs stratégiques» comme ceux de l’électricité ou de l’eau.

La grève

Cette politique gouvernementale a été systématiquement aidée par la direction des bureaucraties syndicales des secteurs public et privé qui, sous la houlette d’une coalition de cadres du PASOK, de Nouvelle Démocratie et de SYRIZA, ont tout fait pour faire obstacle au démarrage et à l’organisation de sérieuses mobilisations. Ainsi les grandes confédérations se sont abstenues de décider la grève en laissant sans protection et appui les travailleurs et travailleuses qui avaient l’intention de s’engager dans de telles luttes.

Tout le poids est retombé sur les épaules des syndicats de base où la gauche est une force motrice. Mais, encore à ce niveau, l’attitude du KKE proposant une seule journée de grève au moment du vote de la «loi-valise», sans mobilisations préalables, réduisait l’importance de cette grève, la transformant en action symbolique «pour l’honneur». Tenant compte de toutes ces données et de notre expérience, nous estimons que la participation à la grève était plus grande que prévu, mais largement insuffisante à l’aune de ce qui aurait fallu pour arrêter l’offensive gouvernementale.

La grève s’est étendue en particulier dans les transports publics (près de 100%) et dans le secteur de la navigation. Néanmoins, cette grève dans transports faisait obstacle à la possibilité de se rendre sur les places où étaient appelées les manifestations. Ainsi, les rassemblements se sont essentiellement appuyés sur les militants déterminés de la gauche politique.

Une fois de plus l’expérience de l’après 2015 a été confirmée en Grèce: les gens sont indignés et en colère, mais pour l’heure cela ne se traduit pas dans une action directe de masse, car pèse sur eux la déception durable provoquée par la défaite de 2015, et le manque d’une alternative politique convaincante pour le renversement de la brutale austérité.

La droitisation

Tsipras, en capitalisant sur la déception populaire et ouvrière, opère donc un déplacement rapide de sa base sociale et se tourne vers les classes dominantes.

SYRIZA a déjà organisé autour d’elle une alliance avec le cercle de capitalistes qu’elle appelait avant 2015 «la face obscure de l’entrepreneuriat». Des capitalistes qui ont construit des fortunes sur divers trafics, sur le jeu, sur le blanchiment d’argent, sur leur présence forte dans le football et qui, toujours, dépendent des bonnes relations avec les gouvernements respectifs.

SYRIZA étend ses relations en direction des «familles» les plus traditionnelles de la bourgeoisie, mettant ainsi à profit ses relations avec les banques et une instrumentalisation particulière des privatisations. C’est-à-dire qu’elle prend soin, tout en attirant des investissements étrangers, d’assurer une place et un rôle des capitalistes autochtones en tant que «partenaires locaux» des fonds internationaux et des transnationales, prétendant ainsi résister, face aux forces supérieures des «marchés internationaux», à «la déshellénisation des entreprises».

Mais principalement, la direction de SYRIZA met en avant sur tous les tons l’argument de la stabilité. C’est-à-dire l’affirmation que le gouvernement SYRIZA-ANEL a appliqué à vive allure les dispositions mémorandaires, tout en réduisant sensiblement les réactions populaires et des masses laborieuses, en installant dans le pays un climat de «paix sociale» pour la première fois depuis des années.

L’ambition de servir les intérêts de la classe dominante dans son ensemble se prolonge, sans que ce soit un hasard, jusqu’au soutien à des velléités les plus inflexibles du nationalisme grec dans la région.

Le gouvernement, avec pour figures de proue les ministres de la Défense Panos Kammenos (Anel) et des Affaires étrangères Nikos Kotzias (SYRIZA), a poursuivi sans problème la politique de la droite à propos du Moyen-Orient et de la Méditerranée Orientale: le soutien ouvert aux Etats-Unis, l’intensification de la présence de l’OTAN en mer Egée, le renforcement de «l’axe» avec l’Etat d’Israël et avec la dictature de Sissi, avec pour but l’isolement de la Turquie d’Erdogan, instable et ambivalente. Le gain serait la participation au partage du pétrole et du gaz en Méditerranée orientale et du sud-est, et le renforcement du centre de gravité grec au niveau des développements et des perspectives à Chypre.

Récemment la diplomatie grecque se tourne vers l’ouest des Balkans. Elle se réjouit de prétendre résoudre le différend avec la République de Macédoine au sujet du «nom», sur la base des termes dictés par l’Etat grec.

Avec le plein soutien des Etats-Unis, de l’UE et de l’OTAN, les «négociateurs» grecs exigent un nouveau nom pour le pays voisin, un «nom composé» (il semblerait celui de «Nova Makedonja») qui remplacerait celui de «République de Macédoine», pour tous les usages (erga omnes: à l’intérieur du pays et à l’échelle internationale, dans le langage officiel comme au quotidien), qui serait écrit en alphabet cyrillique (?) et utilisé à l’international tel quel sans pouvoir être traduit ni conjugué.

Le changement de l’appellation de l’Etat voisin devrait se reporter obligatoirement sur la qualification de sa langue et celle de la citoyenneté. Cette violation absurde du droit démocratique à l’autodétermination vise seulement à garantir l’usage grec exclusif du terme Macédoine.

Cet «arrangement» a pour vrai objectif l’intégration immédiate de la République de Macédoine à l’OTAN (probablement lors du prochain sommet, de juillet 2018) et le démarrage du processus de son intégration dans l’UE.

La véritable négociation s’est faite entre les grandes puissances occidentales et l’Etat grec, au sujet des contreparties suffisantes pour la levée du veto à l’intégration de la Macédoine à l’OTAN, émis par le gouvernement Karamanlis pendant le sommet de Bucarest, en 2008.

C’est pour cela qu’aujourd’hui l’OTAN et l’UE exercent une pression implacable sur le gouvernement de Zoran Zaev (en utilisant même l’influence des partis albanais qui se soucient peu de l’autodétermination «macédonienne»), afin qu’il accepte les conditions de la Grèce, en indiquant au gouvernement de Skopje qu’«il n’y a pas d’alternative».

En suivant cette politique, et par l’affirmation que l’extension de l’OTAN dans les Balkans renforcera la paix (!) et la démocratie (!!) dans la région, le gouvernement Tsipras s’efforce d’inclure dans son bilan une «réussite nationale», par la résolution, sur la base de la ligne des Etats-Unis, d’un problème qui stagnait pendant des décennies [1].

Ces mouvements tactiques font pression sur la direction de Nouvelle Démocratie, incarnée par Mitsotakis. En ayant conscience des bénéfices attendus par le capitalisme grec, Kyriakos Mitsotakis garde une «attitude responsable». Mais l’aile droite du parti et l’extrême droite nationaliste au-delà de Nouvelle Démocratie réagissent au plan idéologique, en organisant des rassemblements nationalistes [21 janvier à Thessalonique, avec 100’000 manifestants selon la police], en collaboration avec l’Eglise. Mais même ceux-là prennent soin de ne pas trop hausser le ton: d’une part, pour ne pas saborder par des provocations la politique du gouvernement, d’autre part, pour ne pas réduire les perspectives d’une victoire électorale de Nouvelle Démocratie.

Il s’agit d’une véritable incursion de Tsipras dans le projet politique de la droite. A travers celle-ci SYRIZA tente de suppléer à la perte de son influence parmi les couches populaires et laborieuses, ou de les réduire. Toutefois, tout porte à croire que cette tactique n’a pas de résultats spectaculaires, ou pas encore. Selon les déclarations d’un analyste critique radical, Tsipras est sur le chemin d’une bataille politique et électorale où il fera le constat que la faiblesse de la résistance des classes populaires est une chose, mais leur assentiment, fût-il seulement électoral, est tout autre chose.

Ce dont il y a toujours besoin en politique grecque, du point de vue des intérêts des travailleurs, c’est la création d’un pôle massif de la gauche radicale, qui servirait d’appui aux secteurs importants qui soutenaient SYRIZA, aujourd’hui déçus par sa politique et par son déplacement accéléré vers la droite. (Janvier 2018. Traduction par Manolis Kosadinos)

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[1] Selon Jaklina Naumovski dans Le Courrier des Balkans, «le mercredi 24 janvier, en marge du sommet de Davos, sept ans après la dernière rencontre à ce niveau, les chefs de gouvernement macédonien et grec, Zoran Zaev et Alexis Tsipras, se sont retrouvés pour poursuivre le dialogue autour du conflit du nom de la Macédoine, montrant ainsi un nouveau signe de détente dans les relations entre les deux pays. Cette rencontre qui intervient à peine trois jours après la manifestation massive de Thessalonique, et à quelques jours de la visite dans les deux capitales du médiateur des Nations unies, Matthew Nimetz, qui doit faire part de ses nouvelles propositions pour résoudre le principal litige diplomatique entre les deux pays… Alexis Tsipras a confirmé son intention de soutenir son voisin du nord dans le processus d’intégration euro-atlantique. Ainsi, parmi les mesures allant dans ce sens, il a annoncé l’ouverture du poste frontière Markova noga à Prespa. Il a également précisé son engagement à « soutenir les procédures suspendues par son gouvernement, plus précisément la candidature de son voisin à l’Initiative Adriatique-Ionienne (ESS) et faire en sorte que la deuxième phase de l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE soit ratifiée par le Parlement grec ». Ils ont conclu que les réunions continueraient dans les semaines à venir, notamment au niveau des ministères des affaires étrangères. Une rencontre saluée unanimement par les représentants de l’UE.»

La manifestation de Thessalonique est certes significative. Elle a reçu, selon des informations de la presse, le soutien de celui qui veut racheter le port de cette ville et qui a des liens avec Poutine: Ivan Savidis, plus russe que grec. Il est aussi le propriétaire de l’équipe de football PAOK Salonique, un des trois plus importants clubs de Grèce, et cultive les rapports avec l’Eglise orthodoxe. En outre, il a opéré de nombreux rachats d’immeubles et d’hôtels, ainsi que de firmes dans les secteurs du tabac et du sucre. Tout cela n’empêche pas – au contraire, pourrait-on dire – qu’il entretienne une relation avec Tsipras. Le projet politique pourrait être de constituer une droite dure au nord – qui ne se mélange pas avec la figure criminalisée d’Aube dorée – et qui fasse obstacle, lors des prochaines élections, à une percée victorieuse de la Nouvelle Démocratie de Mitsotakis. Tsipras est «capable de tout»!

Une des personnalités de premier plan de cette manifestation était le militaire à la retraite, nationaliste affirmé: Frangos Frangoulis (ou Fragos Fragoulis selon la translitération). Il a occupé des postes importants dans l’armée, dans les troupes spéciales, et dans l’état-major et les services de renseignement et fut général en chef des armées. Il occupa le poste de ministre de la Défense, brièvement, dans le gouvernement de transition de P. Pikramenos (mai-juin 2012). Mise en perspective historique, cette manifestation est toutefois loin d’avoir eu l’ampleur de celle de 1992.

Une autre manifestation se prépare, pour le dimanche 4 février à Athènes, et dans ce cas la Nouvelle Démocratie veut faire la démonstration de sa capacité d’opposition à Tsipras, tout en laissant entendre qu’elle ne veut pas faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN. Aube dorée sera présente, dans les marges. L’Eglise orthodoxe participe à l’opération. Comble de la confusion politique Mikis Théodorakis sera l’un des principaux orateurs. Manolis Glezos, invité, a refusé. (Rédaction A l’Encontre)

source https://alencontre.org/laune/grece-la-droitisation-de-syriza-est-un-gouffre-ideologique-et-moral-sans-fond.html

Ne touchez pas au droit de grève Athènes 15/1/2018

Manifestation devant un tribunal pour empêcher une vente aux enchères de logements

Rencontre entre Zoran Zaev et Alexis Tsipras, le 24 janvier 2018

L’État d’abjection

L’État d’abjection, par Jean-François Bayart, CNRS

Partagé avec l’aimable autorisation de l’auteur

L’État d’abjection

A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état d’abjection. La bouche mielleuse, nous parlons de l’impérieux devoir d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Érythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés africains de faire le sale travail de refoulement à notre place. Nous stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.

De même que l’état d’exception a institué l’État d’exception, par l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’État d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il repose. Auréolé de son commerce estudiantin avec Paul Ricoeur, le fringant Emmanuel Macron en sera le parfait fondé de pouvoir, dont le ministre de l’Intérieur, hagard et patibulaire, accomplira les basses œuvres. D’ores et déjà, il s’emploie à faire taire le malaise qui sourd dans les rangs de son parti. Un consensus honteux se met en place entre la plupart des formations représentées au Parlement, un consensus dont les mots puent le mensonge et l’hypocrisie. Dans la droite ligne d’un Manuel Valls affirmant qu’expliquer c’est excuser, le président de la République entend « se garder des faux bons sentiments » et enfourche le cheval du populisme en opposant les « intellectuels » au « peuple » : « Quand il y a des désaccords entre le peuple et les intellectuels, c’est qu’il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », a-t-il déclaré à Rome le 11 janvier. A quand les jurys populaires pour recruter ou évaluer les universitaires ?

Or, cette politique est dangereuse en même temps qu’elle est abjecte. Elle met en dissidence un nombre croissant de personnes. Les migrants eux-mêmes, bien sûr, qu’elle accule à une clandestinité publique. Mais aussi les militants associatifs ou les simples citoyens qui leur portent assistance, et que pourchassent les forces de l’ordre ou qu’incriminent les juges pour crimes d’humanité. Les organisations mafieuses d’Europe du Sud ou d’Afrique saharo-sahélienne prospèrent grâce à la rente artificielle que leur procure la prohibition de l’immigration, et elles développent un savoir-faire dans le franchissement illégal des frontières que les djihadistes n’ont pas manqué d’exploiter à leur tour. En Libye, voire dans le Sahel, elles tendent à se militariser, sur le modèle du Mexique, où les cartels tirent parti tout à la fois du convoyage des migrants et du trafic de narcotiques. Le blocage des routes sahariennes désorganise l’économie du nord du Niger, au risque d’y favoriser une reprise de la rébellion touarègue, laquelle se grefferait sur les mouvements djihadistes du Mali. La misère et l’exclusion sociale auxquelles on astreint les réfugiés ou les migrants dans nos villes constituent une menace pour la santé publique en les privant de suivi et de soins médicaux, alors même que ces populations en provenance des zones de guerre d’Irak, de Syrie et de Libye sont potentiellement porteuses de maladies graves et de formes de résistance aux antibiotiques qu’a engendrées leur exposition aux métaux lourds et à toutes sortes de pollution, dans les ruines des villes bombardées – l’une des conséquences des guerres de l’Occident que leurs thuriféraires néoconservateurs préfèrent passer sous silence, mais qui est la hantise des hôpitaux. Pis encore, la République, son administration, sa police, sa classe politique, perd son âme et son honneur.

Face à l’état d’abjection qui tourne au crime contre l’humanité et à la violation systémique des droits de l’Homme, et en attendant la saisine de la Cour pénale internationale, désormais inévitable à terme, le fonctionnaire doit faire valoir son devoir de désobéissance à des ordres anticonstitutionnels de nature à compromettre un intérêt public, et le citoyen son droit à la désobéissance civile. La complicité, même passive, n’est plus de mise. C’est en toute clarté intellectuelle qu’il convient de résister à la confusion morale qui entache notre politique migratoire depuis près de cinquante ans.

 Par Jean-François Bayart

Source http://movida.hypotheses.org/1943

La Grèce rivée en mode survie

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc Billet invité sur le blog de Paul Jorion.

La Grèce a connu l’année dernière sa première croissance en neuf ans, autour de 1,3%, et cela a suffi à Klaus Regling, le directeur général du MES, pour déclarer qu’elle n’est plus « en mode crise ». Encore un succès à mettre à l’actif de la politique européenne de rééquilibrage budgétaire !

Des experts documentaient cette année à Davos le procès du PIB et planchaient sur un autre indice intitulé Inclusive development index (IDI), l’indice de développement inclusif. Mais, bien que décrié, le PIB a la vie dure. Qu’il permette des démonstrations de complaisance de ce type n’y est sans doute pas étranger.

Abusifs, les commentaires fleurissent sur le thème que les indicateurs reviennent au vert en Grèce, dans la perspective de la fin de son troisième plan de sauvetage fin août prochain. C’est un peu vite oublier qu’un Grec sur cinq est officiellement au chômage, et qu’au troisième trimestre 2017 – dernières données disponibles – la consommation a baissé de 1% sur un an et l’investissement de 8,5%. Rien qui augure d’un démarrage en fanfare, même avec ces indices qui demanderaient eux aussi un sérieux coup de propre à l’heure du Big data, une fois leurs biais corrigés ! Mais la science économique a ceci de particulier qu’elle ne se soucie pas de la qualité de ses données… Pour mémoire, la conception du PIB date des années 30 aux États-Unis, lorsqu’avait été ressenti le besoin d’un outil permettant de mesurer la sortie de l’économie de la Grande dépression. Par défaut, il continue de faire autorité et de tromper.

D’autres indicateurs restent en berne à Athènes: la consommation du troisième trimestre 2017 a baissé de 1% sur un an, et l’investissement de 8,5%. Qu’importe, l’indice de la croissance est Roi !

La Grèce serait donc sortie de la crise, mais comment qualifier une situation où plus de 35% des Grecs sont sous le seuil de pauvreté, où la moitié d’entre eux vivent d’une pension de retraite – la leur ou celle de leurs parents – où sept jeunes sur dix âgés de 18 à 35 ans rêvent de partir à l’étranger ? Quel avenir peuvent-ils attendre d’un pays dont le montant de la dette publique correspond à 178% du PIB, et où la croissance devra prioritairement financer son remboursement, à moins qu’une nouvelle crise de la dette ne le mette à nouveau à terre ?

La vérité toute simple est qu’un tel pays ne peut pas prétendre au développement mais tout juste assurer la survie de ses habitants, et ce pour très longtemps.

LA GRÈCE RIVÉE EN MODE SURVIE, par François Leclerc

Grèce : Pris au piège

Pour les réfugiés syriens ou irakiens, la Grèce constitue la principale porte d’entrée en Europe. L’accord conclu par l’Union européenne avec la Turquie en mars 2016, qui prévoit le renvoi des migrants sur le sol turc, n’a pas stoppé les traversées : 30 000 personnes l’an dernier, dont 40% d’enfants.

Une partie des arrivants clandestins s’entasse sur l’île de Lesbos. Une équipe du magazine « Avenue de l’Europe » a pu se rendre dans le camp de Moria, interdit aux journalistes comme aux associations de défense des droits de l’homme, et y tourner ce reportage en caméra cachée.

Le camp de Moria, une décharge à ciel ouvert

C’est une décharge à ciel ouvert que découvrent les journalistes. Installé sur les hauteurs de l’île, le « hot spot » est prévu pour 2 000 personnes et en accueille près de 5 000. Totalement insalubre, dangereux, il pousse certains migrants au suicide.

D’autres, au bout de l’espoir, n’ont plus qu’à tenter un retour au pays. Un nouveau business pour les passeurs, qui font payer la sortie d’Europe 1 500 euros par personne.

Un reportage de Frédérique Maillard et Salah Agrabi, diffusé dans « Avenue de l’Europe » le 24 janvier 2018.

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-grece-pris-au-piege_2565009.html

 25/1/18  Durée 14 mn 16

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